2002 Magistère Mariage 1600

Au centre de la spiritualité conjugale il y a la chasteté

14 novembre 1984

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A la lumière de l'encyclique Humanae Vitae, l'élément fondamental de la spiritualité conjugale est l'amour répandu dans le coeur des époux comme don de l'Esprit Saint Rm 5,5. Les époux reçoivent ce don dans le sacrement en même temps qu'une particulière consécration. L'amour est uni à la chasteté conjugale qui, se manifestant dans la continence, réalise l'ordre intérieur de la coexistence conjugale.
La chasteté, c'est vivre dans l'ordre du coeur. Cet ordre favorise le développement des manifestations d'affection dans la proportion et au sens qui leur sont propres. De cette manière se trouve également confirmée la chasteté en tant que vie selon l'Esprit Ga 5,25, comme l'exprime saint Paul. L'Apôtre pensait non seulement aux énergies immanentes de l'esprit humain mais encore et surtout à l'influence sanctifiante de l'Esprit Saint et à ses dons particuliers.

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Au centre de la spiritualité conjugale, il y a donc la chasteté non seulement comme vertu morale en connexion avec les dons de l'Esprit Saint - avant tout avec le don du respect de ce qui vient de Dieu (donum pietatis). C'est à ce don que pense l'auteur de l'épître aux Ephésiens quand il exhorte les époux à être "soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21. Ainsi donc, l'ordre intérieur de la coexistence conjugale, qui permet que les manifestations d'affection se développent selon la proportion exacte et la signification qui leur sont propres, est le fruit non seulement de la vertu à laquelle les époux s'exercent mais aussi des dons de l'Esprit Saint avec lequel ils collaborent.
Dans quelques passages de son texte (particulièrement HV 21 HV 26 traitant de l'ascèse spécifiquement conjugale, c'est-à-dire des efforts pour acquérir les vertus d'amour, de chasteté et de continence, l'encyclique Humanae Vitae parle indirectement des dons de l'Esprit Saint auxquels les époux deviennent sensibles dans la mesure où ils ont acquis la maturité dans la vertu.

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Cela correspond à la vocation de l'homme au mariage. Ces deux êtres qui, selon l'expression la plus antique de la Bible, - "seront une seule chair", ne peuvent réaliser une telle union au propre niveau des personnes (communio personarum) si ce n'est moyennant les forces provenant de l'esprit, et précisément de l'Esprit Saint, qui purifie, vivifie, fortifie et perfectionne les forces de l'esprit humain: "C'est l'esprit qui donne la vie, la chair ne sert de rien" Jn 6,63.
Il en résulte que les lignes essentielles de la spiritualité conjugale sont inscrites dès l'origine dans la vérité biblique sur le mariage. Cette spiritualité est, depuis l'origine également, ouverte aux dons de l'Esprit Saint. Si l'encyclique Humane Vitae exhorte les époux à une prière persévérante et à la vie sacramentelle (en disant "qu'ils cherchent surtout dans l'Eucharistie la source de la grâce et de la charité"; qu'"ils recourent avec humble persévérance à la miséricorde de Dieu qui est accordée dans le sacrement de la pénitence" HV 25),elle le fait en se rappelant que c'est l'Esprit Saint qui "donne la vie" 2Co 3,6


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Les dons de l'Esprit Saint, et en particulier le don du respect de ce qui est sacré, semblent avoir ici une importance fondamentale. En effet, ce don soutient et développe chez les conjoints une sensibilité particulière à l'égard de tout ce qui ,dans leur vocation et leur coexistence, porte le signe du mystère de la Création et de la Rédemption; à l'égard de tout ce qui est un reflet crée de la sagesse et de l'amour de Dieu. C'est pourquoi ce don semble initier l'homme et la femme de manière particulièrement profonde au respect des deux significations inséparables de l'acte conjugal dont parle HV 12 par rapport au sacrement de mariage. Le respect des deux significations de l'acte conjugal ne peut se développer pleinement que si, pour le fonder, il se réfère profondément à la dignité personnelle de ce qui dans la personne humaine appartient de manière intrinsèque à la masculinité et féminité, et si, inséparablement, il se réfère aussi à la dignité personnelle de la nouvelle vie qui peut naître de l'union conjugale de l'homme et de la femme. Le don du respect de ce que Dieu a créé s'exprime précisément dans cette référence.

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Le respect de la double signification de l'acte conjugal dans le mariage, qui naît du don de respect pour la création de Dieu, se manifeste également comme crainte salvifique: crainte de détruire ou de dégrader ce qui porte en soi le signe du mystère divin de la Création et de la Rédemption. C'est précisément de cette crainte que saint Paul parle dans l'épître aux Ephésiens quand il écrit: "Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21.
Si cette crainte salvifique s'associe immédiatement à la fonction "négative" de la continence (ou à la résistance opposée à la convoitise de la chair), elle se manifeste également - et de manière croissante au fur et à mesure que cette vertu mûrit - comme sensibilité pleine de vénération pour les valeurs essentielles de l'union conjugale: pour les deux significations de l'acte conjugal (ou, pour le dire selon le langage des précédentes analyses: pour la vérité intérieure du mutuel langage du corps).
Prenant pour base l'essentielle référence à ces deux valeurs fondamentales, l'union des époux s'harmonise dans le sujet avec paternité et maternité responsables. Le don de respect pour tout ce que Dieu a créé fait graduellement disparaître l'apparente contradiction et réduit graduellement la difficulté découlant de la concupiscence, grâce à la maturité de la vertu et à la force du don de l'Esprit Saint.

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S'il s'agit des problèmes de la continence périodique (ou recours aux méthodes naturelles), le don du respect pour l'oeuvre de Dieu aide en principe à concilier la dignité humaine avec les rythmes naturels de fécondité, c'est-à-dire avec la dimension biologique de la féminité et de la masculinité des conjoints, dimension qui a également une signification propre pour la vérité du mutuel langage du corps dans la coexistence conjugale.
De cette manière également, ce qui se réfère à l'union conjugale par le corps - moins au sens biblique qu'au sens directement biologique - prend une forme humainement mûre grâce à la vie selon l'Esprit.
Toute la pratique de la régulation droite de la fertilité, si étroitement liée à la paternité et maternité responsables, fait partie de la spiritualité conjugale et familiale chrétienne; et ce n'est qu'en vivant "selon l'Esprit" qu'elle devient intérieurement vraie et authentique.



Le respect de l'oeuvre de Dieu, source de la spiritualité

conjugale.

21 novembre 1984

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Nous basant sur la doctrine contenue dans l'encyclique Humanae Vitae, nous entendons tracer une esquisse de la spiritualité conjugale. Dans la vie spirituelle des époux, les dons de l'Esprit Saint opèrent également et, en particulier, le donum pietatis, c'est-à-dire le don du respect pour ce qui est oeuvre de Dieu.

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Ce don, uni à l'amour et à la chasteté, aide à identifier dans l'ensemble de la coexistence conjugale, cet acte dans lequel, au moins potentiellement, la signification nuptiale du corps est liée à sa signification particulière et même exceptionnelle de cet acte: sa dignité et la grave responsabilité qui, par conséquent, y est attachée. De ce fait, l'antithèse de la spiritualité conjugale est constituée, en un certain sens, par la carence subjective de cette compréhension liée à la pratique et à la mentalité anticonceptionnelles. Plus que tout, cela constitue un énorme dommage du point de vue de la culture intérieure de l'homme. La vertu de chasteté conjugale et, plus encore, le don de respect pour ce qui vient de Dieu, modèlent la spiritualité des époux afin de protéger la dignité particulière de cet acte, de cette manifestation d'affection où la vérité du langage du corps ne peut être exprimée qu'en sauvegardant la potentialité procréatrice.
La paternité et maternité responsables signifient l'évaluation spirituelle - conforme à la vérité - de l'acte conjugal, dans la conscience et dans la volonté de chacun des deux époux qui, dans cette manifestation d'affection, après avoir considéré les circonstances internes et externes, et, en particulier, les circonstances biologiques, expriment leur mûre disponibilité à la paternité et maternité.

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Le respect pour l'oeuvre de Dieu contribue à faire en sorte que l'acte conjugal ne soit pas dévalué et privé d'intériorité dans l'ensemble de la vie conjugale - qu'il ne devienne pas "habitude" - et qu'en lui s'exprime une plénitude adéquate de contenus personnels et éthiques, et aussi de contenus religieux, c'est-à-dire la vénération à l'égard de la majesté du Créateur, ultime et unique dépositaire de la source de la vie, et à l'égard de l'amour nuptial du Rédempteur. Tout cela crée et élargit, pour ainsi dire, l'espace intérieur de la liberté mutuelle du don dans lequel se manifeste pleinement la signification nuptiale de la masculinité et de la féminité.
L'obstacle de cette liberté est constitué par la contrainte intérieure née de la concupiscence, orientée vers l'autre "ego" comme objet de jouissance. Le respect de ce que Dieu a créé libère de cette contrainte, libère de tout ce qui réduit l'autre "ego" au niveau de simple objet: il fortifie la liberté intérieure du don.

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Cela ne peut se réaliser que moyennant une profonde compréhension de la dignité personnelle tant de l'"ego" féminin que de l'"ego" masculin, dans la coexistence réciproque. Cette compréhension est le fruit fondamental du don de l'Esprit qui pousse la personne à respecter l'oeuvre de Dieu. C'est de cette compréhension, et donc indirectement de ce don, que tirent leur vraie signification nuptiale toutes les manifestations d'affection qui constituent la trame de la persistance de l'union conjugale. Cette union s'exprime par l'acte conjugal, seulement dans des circonstances déterminées, mais elle peut et elle doit se manifester continuellement chaque jour grâce à différentes manifestations d'affection qui sont déterminées par la capacité de l'"ego" à éprouver une émotion désintéressée par rapport à la féminité et - réciproquement - par rapport à la masculinité.
L'attitude de respect pour l'oeuvre de Dieu que l'Esprit suscite chez les époux a une énorme signification pour ces manifestations d'affection, car vont de pair avec elles la capacité de la satisfaction profonde, de l'admiration, de l'attention désintéressée à l'égard de la beauté visible et en même temps invisible de la féminité et masculinité, et enfin la faculté d'apprécier le don désintéressé de l'autre.

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Tout cela décide de l'identification spirituelle de ce qui est masculin ou féminin, de ce qui est corporel et en même temps personnel. De cette identification spirituelle surgit la conscience de l'union à travers le corps qui sauvegarde la liberté intérieure du don.
Au moyen des manifestations d'affection les époux s'aident l'un l'autre à demeurer dans l'union, et en même temps ces manifestations protègent en chacun d'eux cette paix intime qu'ils éprouvent au fond d'eux-mêmes et qui est, en un certain sens, la résonance intérieure de la chasteté guidée par le respect pour ce qui est la création de Dieu.
Ce don comporte une attention profonde et universelle envers la personne dans sa masculinité et féminité, créant ainsi le climat intérieur favorisant la communion personnelle. Ce n'est que dans un tel climat de communion personnelle des époux que peut mûrir correctement cette procréation que nous qualifions de "responsable".

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L'encyclique Humanae Vitae nous permet de tracer une esquisse de la spiritualité conjugale. Voilà le climat humain et surnaturel dans lequel - tenant compte de l'ordre biologique et, en même temps, se basant sur la chasteté soutenue par le donum pietatis - se forme l'harmonie intérieure du mariage, en plein respect de ce que l'encyclique appelle "double signification de l'acte conjugal" HV 12. Cette harmonie signifie que les époux vivent ensemble dans la vérité intérieure du langage du corps. L'encyclique Humanae Vitae proclame que la connexion entre cette vérité et l'amour est inséparable.



Les réponses aux interrogatoires sur le mariage et la

procréation dans le cadre

28 novembre 1984

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La catéchèse que j'ai entreprise il y a plus de quatre ans et que je conclus aujourd'hui peut être groupée tout entière sous le titre: "L'amour humain dans le plan divin" ou, pour être plus précis: "La Rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage". Cette catéchèse peut être divisée en deux parties.
La première partie est consacrée à l'analyse des paroles du Christ qui s'avèrent capables d'introduire le présent thème. Ces paroles ont été analysées longuement dans l'ensemble du texte biblique; et à la suite de cette réflexion, qui s'est poursuivie pendant plusieurs années, il semble indiqué de mettre en relief les trois textes qui ont été soumis à l'analyse précisément dans la première partie de la catéchèse.
Il y a d'abord le texte où le Christ se réfère "à l'origine" dans son entretien avec les pharisiens au sujet de l'unité et de l'indissolubilité du mariage Mt 19,8 Mc 10,6-9 Puis, il y a les paroles du Christ dans le Discours sur la Montagne où il est question de la concupiscence qui constitue "un adultère commis dans le coeur" Mt 5,28. Enfin, il y a les paroles, transmises par tous les Synoptiques, où Jésus se rapporte à la résurrection des corps dans l'"autre monde" Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35.
La seconde partie de la catéchèse a été consacrée à l'analyse du sacrement sur la base de l'épître aux Ephésiens Ep 5,22-33 qui remonte à l'"origine" biblique du mariage, que rappellent les paroles du livre de la Genèse: "(...) l'homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair" Gn 2,24.
La catéchèse de la première partie et celle de la seconde utilisent de manière répétée l'expression "théologie du corps". Celle-ci est, en un certain sens, une formule de travail. L'introduction de l'expression et de concept de "théologie du corps" était nécessaire pour établir sur une base plus large le thème de "la Rédemption du corps et du caractère sacramentel du mariage". Il convient en effet d'observer tout de suite que l'expression "théologie du corps" embrasse bien davantage que le seul contenu des réflexions faites. Dans ces réflexions ne sont pas comprises un bon nombre de problèmes qui, en raison de leur objet, appartiennent à la théologie du corps (comme par exemple le problème de la souffrance et de la mort, si important dans le message biblique). Il est nécessaire de le dire clairement. Il faut néanmoins reconnaître que les réflexions au sujet du thème "La Rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage" ne peuvent se dérouler correctement que si elles partent du moment où la lumière de la Révélation touche la réalité du corps humain (c'est-à-dire sur la base de la théologie du corps) Cela est confirmé notamment par les paroles du livre de la Genèse: "Les deux (...) deviendront une seule chair" paaux paroles clés du Christ. Nous sommes revenus à ces réflexions également en entreprenant au terme de ce cycle de catéchèses l'analyse de l'encyclique Humanae Vitae.

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La doctrine contenue dans ce document de l'enseignement contemporain de l'Eglise demeure en rapport organique, soit avec le caractère sacramentel du mariage, soit avec toute la problématique biblique de la théologie du corps, centrée sur les paroles clés du Christ. En un certain sens, on peut même dire que toutes les réflexions qui traitent de la "Rédemption du corps et du caractère sacramentel du mariage" semblent constituer un ample commentaire de la doctrine contenue précisément dans l'encyclique Humanae Vitae.
Ce commentaire semble certainement nécessaire. L'encyclique, en effet, en donnant une réponse à quelques interrogations que l'on se pose aujourd'hui dans le cadre de la morale conjugale et familiale, a suscité en même temps d'autres questions de nature biomédicale, comme on le sait. Mais des questions qui sont aussi (et surtout) de nature théologique: elles appartiennent à ce domaine de l'anthropologie et de la théologie que nous avons appelé "théologie du corps".
Les réflexions faites servent à affronter les interrogations qui ont surgi en relation avec l'encyclique Humane Vitae. La réaction qu'a suscitée l'encyclique confirme l'importance et la difficulté de ces interrogations. Elles sont réaffirmées également par les énoncés suivants de Paul VI où le pape relève la possibilité d'approfondir l'exposé de la vérité chrétienne dans ce secteur.
L'a confirmé en outre l'exhortation Familiaris consortio, fruit du Synode des Evêques de 1980: De muneribus familiae christianae. Ce document comprend un appel, adressé particulièrement aux théologiens, pour qu'ils élaborent de manière plus complète les aspects bibliques et personnels de la doctrine contenue dans Humanae Vitae.
Relever les interrogations suscitées par l'encyclique veut dire les formuler et en même temps en chercher la réponse. La doctrine contenue dans Familiaris consortio demande que la formulation des interrogations aussi bien que la recherche d'une réponse adéquate se concentrent sur les aspects bibliques et personnels. Cette doctrine indique également la voie à suivre pour le développement de la théologie du corps, la direction du développement, et donc aussi, la direction de son perfectionnement et approfondissement progressifs.

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L'analyse des aspects bibliques éclaire la manière d'enraciner la doctrine proclamée par l'Eglise contemporaine au sujet de la Révélation. Cela est important pour le développement de la théologie. Le développement, c'est-à-dire le progrès en théologie, se réalise en effet en reprenant constamment l'étude du dépôt révélé.
L'enracinement de la doctrine proclamée par l'Eglise dans toute la Tradition et dans la Révélation divine elle-même est toujours ouvert aux interrogations des hommes et utilise également les instruments les plus conformes à la science moderne et à la culture d'aujourd'hui. Il semble que dans ce secteur l'intense développement de l'anthropologie philosophique (en particulier de l'anthropologie qui se trouve à la base de l'éthique) rencontre de manière très voisine les interrogations suscitées par l'encyclique Humanae Vitae à l'égard de la théologie et spécialement de l'éthique théologique.
L'analyse des aspects personnels de la doctrine contenue dans ce document a une signification existentielle pour établir en quoi consiste le vrai progrès, c'est-à-dire le développement de l'homme. Dans toute la civilisation contemporaine - et particulièrement dans la civilisation occidentale - il existe une tendance cachée et en même temps suffisamment explicite à mesurer ce progrès selon la mesure des choses, c'est-à-dire des biens matériels.
L'analyse des aspects personnels de la doctrine de l'Eglise contenue dans l'encyclique de Paul VI met en évidence un appel résolu à situer le progrès de l'homme à la mesure de la personne, c'est-à-dire de ce qui est un bien de l'homme comme homme - qui correspond à sa dignité essentielle.
L'analyse des aspects personnels entraîne la conviction que l'encyclique présente comme problème fondamental le point de vue de l'authentique développement de l'homme; ce développement se détermine en effet, en principe, à la mesure de l'éthique et non seulement à celle de la technique.

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Les catéchèses consacrées à l'encyclique Humanae Vitae constituent seulement un partie, la partie finale, de celles qui ont traité de la Rédemption du corps et du caractère sacramentel du mariage.
Si j'attire particulièrement l'attention précisément sur ces dernières catéchèses, je le fais non seulement parce que le thème dont elles traitent est plus étroitement lié à notre époque, mais aussi parce que c'est d'elle que proviennent les interrogations qui imprègnent en un certain sens l'ensemble de nos réflexions. Il en résulte que cette partie finale n'est pas artificiellement ajoutée à l'ensemble, mais qu'elle lui est unie de manière organique et homogène. En un certain sens, cette partie qui, dans sa disposition globale, est placée, à la fin, se trouve en même temps au début de cet ensemble. Cela est important du point de vue de la structure et de la méthode.
Le moment historique semble voir lui aussi sa signification: en effet, les présentes catéchèses ont commencé durant la période des préparatifs du Synode des Evêques de 1980 sur le thème du mariage et de la famille (De muneribus familiae chritianae) et prennent fin après la publication de l'exhortation Familiaris consortio qui est le fruit des travaux de ce Synode. Nul n'ignore que le Synode de 1980 s'est référé également à l'encyclique Humanae Vitae et a reconfirmé pleinement sa doctrine. Toutefois, le moment le plus important semble celui, essentiel, qui, dans l'ensemble des réflexions accomplies, peut se préciser de la manière suivante: pour affronter les interrogations que suscite l'encyclique Humanae Vitae, surtout en théologie, pour formuler ces interrogations et en chercher la réponse, il faut trouver ce cadre biblico-théologique auquel on fait allusion quand on parle de Rédemption du corps et de caractère sacramentel du mariage. Dans ce cadre se trouvent les réponses aux interrogations éternelles de la conscience des hommes et des femmes, et également à celles, difficiles, de notre monde contemporain en ce qui concerne le mariage et la procréation.




PASTORALE DES DIVORCES-REMARIES




INTRODUCTION


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Le mariage et la famille ont une importance décisive pour un développement positif de l'Eglise et de la société. Les époques où la situation du mariage et de la famille est florissante sont toujours des temps de bien-être pour l'humanité.
Si le mariage et la famille sont en crise, cela a des conséquences notables pour les conjoints et leurs enfants, mais aussi pour l'Etat et pour l'Eglise. Il est évident pour tous que les bouleversements et les changements culturels de ce siècle qui touche à sa fin n'ont pas épargné non plus la vie matrimoniale et familiale. Certes, des signes d'espérance apparaissent également dans cet important domaine de l'existence. Mais, dans l'ensemble, en de nombreux pays, le mariage et la famille se trouvent dans une crise profonde. Un des nombreux symptômes en est le nombre croissant de ceux qui divorcent et contractent un nouveau lien civil.
La question de savoir quelle voie l'on doit suivre dans l'accompagnement pastoral de ces personnes est aujourd'hui l'objet de vives discussions dans l'Eglise. De plus, des difficultés dans la pastorale familiale ne sont pas quelque chose de nouveau. L'Eglise les a rencontrées dès le temps des apôtres. Les Pères de l'Eglise se sont préoccupés de résoudre au cas par cas les problèmes qui apparaissaient; pour cela, ils s'en sont naturellement tenus à l'enseignement de Jésus sur l'indissolubilité du mariage, mais ils se sont aussi efforcés, sans évacuer la parole de Jésus, de prendre en compte les situations particulières, souvent très complexes. En Occident, au cours du second millénaire chrétien, les problèmes liés au mariage ont été par la suite clarifiés et réglementés sur les plans de l'enseignement et du droit ecclésiastique. Les Eglises orthodoxes soulignèrent, elles, le principe de l'oikonomia (économie), c'est-à-dire de l'attitude bienveillante dans des cas particuliers difficiles, ce qui, en outre, a entraîné un affaiblissement progressif du principe de l'akribia (acribie), de la fidélité à la vérité révélée.
Ces dernières décennies, les divorces, généralement suivis d'une nouvelle union civile, ont augmenté d'une manière vertigineuse. Pour cette raison, l'Eglise a ressenti le devoir de réfléchir à nouveau et de préciser à cet égard certains principes magistériels, canoniques et pastoraux. Ces réflexions d'introduction ne peuvent traiter de manière exhaustive ce thème qui présente de multiples aspects; surtout, elles ne peuvent entrer dans les nombreux problèmes connexes, par exemple le développement ultérieur de la doctrine du mariage depuis le concile Vatican II. Elles n'ont pour seul but que de: 1, décrire le contexte des déclarations les plus récentes du Magistère; 2, résumer le contenu essentiel de la doctrine de l'Eglise sur ce thème, et 3, reprendre certaines objections faites à cette doctrine, en indiquant la direction de la réponse.


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I.- Le contexte des nouvelles déclarations magistérielles.

1 - Le concile Vatican Il a approfondi l'enseignement de l'Eglise sur le mariage et la famille, et il l'a proposé dans une perspective plus personnaliste GS 47-52. Etant donné l'option prise par le Concile d'annoncer la vérité de manière positive, on a moins parlé des difficultés et des problèmes. Les questions relatives aux fidèles divorcés remariés n'ont pas été expressément soulevées par les pères conciliaires et n'ont donc pas trouvé place dans les documents conciliaires. Elles n'avaient pas encore à l'époque l'actualité qu'elles ont aujourd'hui. Néanmoins, le Concile enseigne que le divorce mine la dignité du mariage et de la famille GS 47 et est inconciliable avec l'amour matrimonial GS 49.

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2 - Dès la fin du XVIII ème siècle, dans certains pays, le divorce fut introduit par les législations étatiques comme une possibilité juridique; dans les années 60 et 70 de notre siècle, il a été entériné par le droit civil dans presque tous les Etats dont la population est en majorité catholique. En conséquence, un nombre toujours plus élevé de fidèles catholiques ont, eux aussi, demandé le divorce et, pour la plupart, ont contracté un nouveau lien, naturellement sans célébration devant l'Eglise. Selon le Code de droit canonique de 1917, alors en vigueur, ces fidèles furent considérés comme "ipso facto infâmes " CIS 2356 et "publice indigni" CIS 855 Par. 1. Etant donné qu'ils vivaient dans le péché, ils étaient exclus non seulement des sacrements de la pénitence et de l'eucharistie, mais ils étaient aussi considérés comme "publiquement infâmes".
En divers endroits de l'Eglise, surtout aux Etats-Unis, cette réglementation ecclésiale fut ressentie comme trop rigide et dépassée. On fit remarquer que, dans la réalité, il fallait tenir compte d'histoires humaines très différentes et on attira particulièrement l'attention sur ceux qui avaient des doutes fondés sur la validité de leur précédent mariage, mais ne pouvaient pas le prouver dans une procédure de nullité matrimoniale. En divers milieux, on proposa et on pratiqua une solution au "for interne" pour des situations difficiles dans des cas déterminés, les confesseurs donnaient l'absolution aux fidèles divorcés remariés et les admettaient à la réception de la communion.

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3 - Le 11 avril 1973, la Congrégation pour la doctrine de la foi adressait une lettre aux évêques de l'Eglise catholique, confidentielle, pour donner quelques orientations concernant cette question. Ce document soulignait que tous devaient s'en tenir à l'enseignement sur l'indissolubilité du mariage. Sur la question de savoir si les fidèles en situation irrégulière pouvaient être admis aux sacrements, on renvoyait à la législation en vigueur dans l'Eglise, mais aussi à ce que l'on appelle la 'probata praxis Ecclesiae in foro interno'. Le but de la lettre était de protéger et de défendre l'indissolubilité du mariage contre certains développements libéraux. Le renvoi à "la pratique éprouvée au for interne " demeurait pourtant ouvert à diverses interprétations. On discutait aussi de la manière dont on pouvait rendre justice aux fidèles qui, en conscience, étaient convaincus de la nullité de leur mariage précédent mais ne pouvaient pas en apporter la preuve par des faits concrets.

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4 - Ces questions et d'autres semblables exigeaient une clarification. Il apparaissait aussi toujours plus clairement qu'il fallait donner des indications, non seulement négatives, mais aussi positives, sur le comportement pastoral à l'égard des fidèles divorcés remariés. L'assemblée du Synode des évêques de 1980 s'est attaquée avec courage à ces problèmes et a élaboré diverses propositions.
A partir de ces propositions, Jean Paul II, avec sa responsabilité de Pasteur suprême de l'Eglise, a présenté dans son exhortation apostolique Familiaris consortio, du 22 novembre 1981 FC 1, toute une série de décisions concrètes sur le problème FC 84. Ces décisions, qui seront reprises dans la deuxième partie de cette introduction, montrent combien l'Eglise, en tant que Mère et Maîtresse, se préoccupe aussi des fidèles en situation irrégulière.

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5 - En 1983, après plusieurs années de préparation, était promulgué le nouveau Code de droit canonique. Celui-ci parle sur un autre ton des fidèles divorcés remariés, mais réaffirme que "ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste" ne peuvent être admis à la sainte communion CIC 915 CIO 712.
Le nouveau droit ecclésial souligne en outre la compétence du tribunal ecclésiastique en ce qui concerne la vérification de la validité du mariage de catholiques. Il traite aussi de la force probatoire des déclarations des parties et ouvre ainsi de nouvelles voies pour démontrer la nullité d'une précédente union voir plus loin, II, 7 . Cette innovation juridique indique ainsi une voie par laquelle même des situations particulières complexes peuvent être résolues au for externe, qui est le for compétent pour la réalité publique du mariage.

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6 - Malgré les indications de Familiaris consortio qui, pour l'essentiel, sont entrées aussi dans le Catéchisme de l'Eglise catholique, publié en 1992 CEC 1650-1651, et les clarifications des nouveaux codes, certains milieux ont, par la suite, réclamé une pratique pastorale différente, surtout en ce qui concerne la question de la réception des sacrements. Un nombre assez conséquent d'experts ont proposé des études où ils cherchaient à justifier théologiquement cette pratique. De nombreux prêtres ont donné l'absolution aux fidèles divorcés remariés qui la demandaient et ont recommandé, ou au moins toléré, qu'ils reçoivent le corps du Seigneur.
Pour prévenir des abus pastoraux, les évêques de la province ecclésiastique du Rhin supérieur ont publié, en 1993, diverses déclarations "sur la pastorale des divorcés et des divorcés remariés" (cf. DC, n. 2082, 1993, p. 986-994). Leur intention était de créer dans les communautés paroissiales de leurs diocèses une pratique unitaire et ordonnée sur cette difficile question. Ils ont souligné les paroles claires de Jésus sur l'indissolubilité du mariage. Ils ont rappelé qu'une admission généralisée des fidèles qui, après le divorce, se sont remariés civilement, n'est pas possible. Mais ils ont admis la possibilité que, dans des cas déterminés, ces fidèles puissent accéder à la Table du Seigneur si, après un entretien avec un prêtre prudent et expérimenté, ils estimaient en conscience y être autorisés.

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7 - L'initiative des évêques fut accueillie positivement par de nombreux milieux dans l'Eglise. Cependant, d'assez nombreux cardinaux et évêques s'adressèrent à la Congrégation pour la doctrine de la foi pour demander des éclaircissements. Certains théologiens furent, en revanche, plus radicaux et demandèrent un changement de la doctrine et de la discipline. Beaucoup pensaient que, après un temps de pénitence, on devait réadmettre officiellement aux sacrements les fidèles divorcés remariés. D'autres étaient d'avis que l'on devait laisser la question aux prêtres engagés dans la pastorale, ou bien remettre la décision aux fidèles intéressés eux-mêmes.
A cause des implications doctrinales de ces propositions, la Congrégation pour la doctrine de la foi a adressé, le 14 septembre 1994, une lettre aux évêques de l'Eglise catholique sur l'accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés remariés (DC, n. 2103, 1994, p. 930-932), afin de réaffirmer la vérité et la pratique de l'Eglise.

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8 - Au cours de son assemblée plénière en 1997, le Conseil pontifical pour la famille s'est occupé à fond du problème des fidèles divorcés remariés. A la fin de ces discussions, certaines "recommandations" pastorales ont été publiées (DC, n 2156, 1997, p. 260-261). A l'occasion de cette assemblée plénière, le Saint-Père, dans une allocution prononcée le 24 janvier 1997 (DC, n. 2155, 1997, p. 202-204), a rappelé certains principes essentiels dans la ligne de Familiaris consortio.

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2002 Magistère Mariage 1600