2002 Magistère Mariage 1904

1904Index Table

Durant les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise, les chrétiens ont célébré leur mariage "comme les autres hommes" (A Diognète V,6), sous la présidence du père de famille, par les seuls gestes et rites domestiques, comme par exemple celui d'unir les mains des futurs époux. Cependant, ils n'ont pas perdu de vue "les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle" (A Diognète V, 4). Ils ont éliminé de leur liturgie domestique tout aspect religieux païen. Ils ont donné une importance particulière à la procréation et à l'éducation des enfants; (ibid., V, 6) ils ont accepté la vigilance exercée sur les mariages par les évêques (Ignace d'Antioche, Lettre à Polycarpe V, 2). Ils ont manifesté pour leur mariage une spéciale soumission à Dieu et une relation avec leur foi (Clément d'Alexandrie, Stromates IV, 20). Parfois même, à l'occasion du mariage, ils ont bénéficié de la célébration du sacrifice eucharistique et d'une bénédiction spéciale (Tertullien, Lettre à sa femme II, 9).

1 - 5 - Les traditions orientales

1905Index Table

Dès une époque ancienne, dans les Eglises d'Orient, les pasteurs ont pris une part active dans la célébration des mariages, à la place des pères de famille ou en même temps qu'eux. Ce changement ne fut pas le fait d'une usurpation. Il s'accomplit au contraire à la demande des familles et avec l'approbation des autorités civiles. En raison de cette évolution, des cérémonies primitivement accomplies au sein des familles furent progressivement inclues dans les rites liturgiques eux-mêmes. De même l'opinion se forma que les ministres du rite du "mysterion " matrimonial n'étaient pas seulement les croyants, mais le pasteur de l'Eglise, lui aussi.

1 - 6 - Les traditions occidentales

1906Index Table

Dans les Eglises d'Occident, la rencontre se fit entre la vision chrétienne du mariage et le droit romain. Une question en naquit: "quel est l'élément constitutif du mariage au point de vue juridique?" Elle fut résolue en ce sens que le consentement des époux fut considéré comme le seul élément constitutif. C'est ainsi que, jusqu'au temps du concile de Trente, les mariages clandestins furent considérés comme valides. Cependant, depuis longtemps, l'Eglise avait souhaité qu'une place soit aussi réservée à certains rites liturgiques, à la bénédiction du prêtre et à la présence de celui-ci comme témoin de l'Eglise. Par le décret "Tametsi" la présence du curé et d'autres témoins est devenue la forme canonique ordinaire, nécessaire à la validité du mariage.

1 - 7 - Les nouvelles Eglises

1907Index Table

Il est à souhaiter que, sous le contrôle de l'autorité ecclésiastique, de nouvelles normes liturgiques et juridiques du mariage chrétien soient instaurées parmi les peuples récemment évangélisés. C'est le voeu même du Deuxième Concile du Vatican et du nouvel Ordo pour la célébration du mariage. Ainsi seront harmonisées la réalité du mariage chrétien et les valeurs authentiques que recèlent les traditions de ces peuples.
Une telle diversité des normes due à la pluralité des cultures est compatible avec l'unité essentielle. Elle ne dépasse donc pas les limites d'un pluralisme légitime.
Le caractère chrétien et ecclésial de l'union et de la donation mutuelle des époux peut, en effet, être exprimé de différentes manières, sous l'influence du baptême qu'ils ont reçu et par la présence de témoins parmi lesquels le "prêtre compétent" joue un rôle éminent.
Diverses adaptations canoniques de ces différents éléments peuvent peut-être paraître opportunes aujourd'hui.

1 - 8 - Adaptations canoniques

1908Index Table

La réforme du droit canonique doit tenir compte de la vision globale du mariage, de ses dimensions à la fois personnelles et sociales. L'Eglise doit avoir conscience, en effet, que les dispositions juridiques sont destinées à aider et à promouvoir des conditions toujours plus attentives aux valeurs humaines du mariage. Cependant, on ne doit pas penser que ces adaptations puissent porter sur la totalité de la réalité du mariage.

1 - 9 - Visée personnaliste de l'institution

1909Index Table

"La personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin de vie sociale, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales" GS 25. En tant que "communauté intime de vie et d'amour conjugal" GS 48 le mariage constitue un lieu et un moyen aptes à favoriser le bien des personnes dans la ligne de leur vocation. Par conséquent, le mariage ne peut jamais être considéré comme une manière de sacrifier des personnes à un bien commun qui leur est extrinsèque. D'ailleurs "le bien commun est l'ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres d'atteindre leur propre perfection d'une façon plus totale et plus aisée" GS 26.

1 - 10 - Structure et non superstructure

1910Index Table

Bien que soumis au réalisme économique en son début et pour toute sa durée, le mariage n'est pas une superstructure de la propriété privée des biens et des ressources. Certes, les formes concrètes d'existence du mariage et de la famille peuvent dépendre des conditions économiques. Mais l'union définitive d'un homme et d'une femme dans l'alliance conjugale correspond avant tout à la nature humaine et aux exigences inscrites en elle par le Créateur. C'est bien la raison profonde pour laquelle le mariage, loin de l'entraver, favorise grandement la maturation personnelle des époux.

COMMENTAIRE

1911Index Table

La première série des propositions n'a pas spécialement une portée ni une intention polémiques. Elle n'en devait pas moins rencontrer les objections aujourd'hui formulées contre le mariage considéré comme une institution. Quels sont ces reproches? Ils sont les plus variés. Les uns diront que l'homme et la femme font de leur union ce qui leur plaît sans aucune structure préétablie ou encore que, du moment que "l'amour est là", des rites d'entrée dans le mariage, des modèles de vie sont superflus. Les autres affirmeront que le mariage sacrifie le bien des personnes à celui d'une société oppressive et extrinsèque quand ce n'est pas tout simplement à des impératifs économiques plus ou moins camouflés. Enfin, d'autres encore reprocheront à l'Eglise d'avoir usurpé une autorité sur le mariage qui était du domaine de l'Etat ou des familles et qu'il faut donc faire passer, ici aussi, le grand courant de la sécularisation. N'entend-on pas souvent dire que, d'après l'Epître à Diognète, "les chrétiens se marient comme les autres hommes" ou que, seulement au XIe siècle, l'autorité ecclésiale s'est imposée pour régenter le mariage et ses rites de célébration?
Quelles réponses la CTI propose-t-elle à ces difficultés? Il ne fut pas aisé de condenser en dix propositions l'instrument de travail de M. ERNST, sa "relation" (1) pas plus que les documents qui les supplémentèrent (2). Le sens complet apparaîtra seulement à ceux qui liront son commentaire et son rapport final. Ici, on pourra tout au plus indiquer quelques directions de pensée et de recherche. Elles se distribuent d'ailleurs en deux domaines essentiels: la personne, le couple humain devant le Dieu Créateur et Rédempteur d'une part, le rôle exact joué par l'Eglise gardienne et responsable des visées de la foi en ce domaine d'autre part.

(1) Il faut distinguer avec soin trois textes dus au zèle et à la science du professeur ERNST. Il y eut, tout d'abord, en mars 1977, un long instrument de travail. Une traduction française en a été donnée dans Esprit et Vie, 1978, p. 2-10, 17-28, 69-79. Elle est rééditée en brochure séparée par les Cahiers du livre, 42, rue des Platanes, 37170 Chambray-lès-Tours, sous le titre original: le mariage comme institution et sa mise en cause actuelle. Un deuxième texte: Institution et mariage fut présenté à la CTI à titre de "relation" pour introduire les débats de décembre 1977. Ce travail, beaucoup plus court, suppose le premier mais va plus loin dans l'examen des difficultés actuelles. Enfin, dans un troisième écrit, le professeur ERNST donne un commentaire étendu des dix propositions de la première série. Les textes 2 et 3 seront très prochainement publiés dans le volume que publiera la CTI sous le titre: Problèmes doctrinaux du mariage chrétien.

(2) Trois études furent particulièrement précieuses pour cette recherche, notamment au plan de l'histoire des institutions: A. G. MARTIMORT, Contribution de l'histoire liturgique à la théologie du mariage (dans Esprit et Vie, 1978, p. 129-137); H. SCHURMANN. NeuTestamentliche Marginalien zur Frage nach der Institutionalität, unaufösbarkeit und Sakramentalität der Ehe (dans Studia Moralia en octobre 1978); V. MULAGO, Mariage traditionnel africain et mariage chrétien (paraîtra prochainement dans la Revue de théologie africaine de la Faculté de théologie de Kinshasa, Zaïre).

1912Index Table

La réaction de la théologie préconciliaire eût été de mettre en avant la nécessité d'un contrat juridique et de se référer à la "natura pura", base d'un droit naturel auquel plus tard un sacrement de la foi fût venu s'ajouter comme un élément extrinsèque. L'option de la CTI a été, en ne négligeant rien de ce qu'il y avait de valable dans ces exposés, d'envisager les questions dans les perspectives de l'histoire du salut et de la philosophie personnaliste.
L'anthropologie, la psychologie, la sociologie prop. 1, 1 ; 1, 9 ; 1, 10 nous renseignent sur le sens du mariage qui est fondé sur la différence des sexes prop. 1, 1 qui permet une relation interpersonnelle d'un type spécifique, particulièrement enrichissante prop. 1, 10 . Mais, pour le croyant, le mariage prend avant tout son sens de par l'action du Dieu Créateur et Rédempteur. Il ne s'agit pas d'ignorer la distinction de la nature et de la grâce (3) mais, dans l'histoire du salut, il y a une continuité toute spéciale entre le mariage, voulu par le Créateur pour la "nature Créée" et le mariage restauré par le Rédempteur et sa grâce pour la "nature rachetée". C'est bien pourquoi, Mt 19,5 comme Paul Ep 5,31 rappelleront la volonté du Seigneur Jésus de ramener le mariage, par la grâce, à ce qu'il fut "au début" prop. 1, 1 ; 1, 2 . Yaweh a créé l'être humain à son image, il les fit mâle et femelle pour les donner l'un à l'autre dans la joie de la complémentarité, la victoire sur l'isolement, comme aussi pour leur donner ce pouvoir quasi divin de transmettre, de donner la vie prop. 1, 1 .

(3) Le P. H. DE LUBAC, qui depuis trente ans a tout spécialement étudié cette question nature-grâce a récemment publié une synthèse et une mise au point: "Petite catéchèse sur la nature et la grâce" dans Communio (franc.) n. II, 4, juillet 1977, p. 11-23. Il y montre notamment que cette distinction n'est nullement périmée mais essentielle au christianisme (p. 11). cf. aussi Ph. DELHAYE: "Note sur nature et grâce à Vatican II" dans Esprit et Vie, juillet 1978, p. 412-416.

1913Index Table

Les écrits apostoliques prop. 1, 3 ont bien saisi toute la portée du don et de l'appel que cela impliquait. Tout est dit, au fond, par Paul quand il proclame que le mariage chrétien se fait "dans le Seigneur" 1Co 7,39 selon la logique de la foi et de la grâce instaurant une nouvelle création 2Co 5,17. L'intimité sexuelle entre les époux qui se sont unis "dans le Christ" est matériellement la même que dans la fornication et l'adultère des païens 1Co 6,12-20 1Co 6,9-10 mais elle en diffère dans sa réalité humaine et divine. Cette union peut être insérée dans l'amour du Christ et de l'Eglise Ep 5,22-23; cette alliance humaine prend sa place dans l'Alliance entre Dieu et son peuple. Dans la relation au conjoint, celui-ci n'est plus objet mais un sujet, une personne prop. 1, 9 . Le sens du mariage n'est pas d'asservir un des partenaires, il n'est pas le produit d'une société économique prop. 1, 10 . "L'union définitive d'un homme et d'une femme" prop. 1, 10 est une réponse de la grâce de Dieu aux appels que le Créateur a mis lui-même dans les personnes humaines à tous les niveaux de leur être pour les aider à se construire, à se dépasser avec la force de sa grâce prop. 1, 10 .
S'il est dès lors question de directives morales et canoniques formulées par l'Eglise, si celle-ci intervient dans la célébration du mariage, ce n'est pas seulement comme la conséquence d'une autorité ou pour répondre aux voeux des familles et même de l'Etat prop. 1, 5 , c'est avant tout pour appliquer et préciser les exigences de la nouvelle création dans le Christ et la foi. Ici aussi le recours à l'histoire (4) ou la comparaison entre les traditions de l'Occident, de l'Orient, du tiers monde pour la célébration du mariage et les orientations qui s'ensuivent, sont pleinement éclairants. Le résultat le moins paradoxal de cette comparaison n'a pas été de voir se dégager les éléments essentiels de l'entrée des chrétiens dans l'état du mariage, marqué par sa double appartenance au Christ et à l'Eglise prop. 1, 7 cf. 2. D'une part la donation consciente et volontaire, l'engagement réciproque d'un homme et d'une femme se fait sous l'influence de leur baptême 1, 7 cf. 2, et est une manifestation de leur "sacerdoce royal" LG 34. D'autre part, cet acte en soi si personnel et intime a nécessairement pour témoins des représentants du Peuple de Dieu, parmi lesquels, à des titres divers selon les traditions, le pasteur a bien sûr une place de choix.

(4) Pour faire court, renvoyons à la bibliographie de la dernière en date des encyclopédies théologiques: Dizionario Teologico Interdisciplinare, t. II, p. 517 s.

1914Index Table

Mais cette constatation n'était pas la visée première de cette affirmation. Les recherches de la CTI voulaient d'abord rencontrer le reproche d'usurpation cléricale prop. 1, 5 et voir comment les pasteurs ont pris une place de plus en plus importante dans l'acte initial du mariage. Il ne s'agissait pas d'écrire ici en raccourci une histoire de la liturgie du mariage ni de prétendre que celle-ci, durant les premiers siècles, a nécessairement eu un caractère "clérical", encore moins de découvrir un "droit canonique" primitif du mariage. Mais on ne pouvait non plus ignorer la très nette convergence entre, d'une part, le souci des pasteurs d'écarter le caractère païen des noces familiales, de discerner les conséquences de la foi dans l'entrée et la vie en mariage comme aussi, d'autre part, le désir des familles de prendre à témoin la communauté de ce changement de vie, de demander la bénédiction du prêtre, d'unir le don humain interpersonnel au don du Christ à son Eglise dans la sainte Eucharistie. Que ces interventions pastorales se soient faites prop. 1, 5 et 1, 6 et puissent se faire encore prop. 1, 7 dans un pluralisme de cohérence, cela n'a rien d'étonnant. Cela montre que, salva sacramenti substantia, l'Eglise est capable de faire la synthèse de l'immuable réalité du mariage chrétien avec les traditions authentiques des diverses cultures et des moments de l'histoire; on peut en espérer des adaptations chez les peuples récemment convertis prop. 1, 7 . Cela implique aussi, bien sûr, des réformes canoniques: la CTI s'est exprimée sur celles qui se préparent prop. 1,8 avec plus de résignation que d'enthousiasme.

2 - SACRAMENTALITE

2 - 1 - Symbole réel et signe sacramentel

1921Index Table

Le Christ Jésus a fait redécouvrir de façon prophétique la réalité du mariage telle qu'elle fut voulue par Dieu dès l'origine du genre humain Gn 1,27 Mc 10,6 Mt 19,4 Gn 2,24 Mc 10,7-8 Mt 19,5 Il l'a restaurée par sa mort et sa résurrection. Aussi le mariage chrétien se vit-il "dans le Seigneur" 1Co 7,39; il est déterminé par les éléments de l'oeuvre salvifique.
Dès l'Ancien Testament, l'union matrimoniale est une figure de l'alliance entre Dieu et le peuple d'Israël Os 2 Jr 3,6-13 Ez 16 Ez 23 Is 54 Dans le Nouveau Testament, le mariage chrétien revêt une dignité plus haute, car il est la représentation du mystère qui unit le Christ Jésus et l'Eglise Ep 5,21-33. Cette analogie est plus profondément éclairée par l'interprétation théologique: l'amour suprême et le don du Seigneur jusqu'en son sang tout comme l'attachement fidèle
et irrévocable de l'Eglise son épouse deviennent modèles et exemples pour le mariage chrétien. Cette ressemblance est une relation d'authentique participation à l'alliance d'amour entre le Christ et l'Eglise. De son côté, par manière de symbole réel et de signe sacramentel, le mariage chrétien représente concrètement l'Eglise du Christ Jésus dans le monde et, surtout sous l'aspect de la famille, est appelé à juste titre une "Eglise domestique" LG 11.

2 - 2 - Sacrement au sens strict

1922Index Table

De cette façon, le mariage chrétien est configuré au mystère de l'union entre le Christ Jésus et l'Eglise. Le fait que le mariage chrétien soit ainsi assumé dans l'économie du salut justifie déjà l'appellation de "sacrement" au sens le plus large. Mais il est encore beaucoup plus: une condensation concrète et une actualisation réelle de ce sacrement primordial. Le mariage chrétien est donc en lui- même, vraiment et proprement, un signe du salut qui confère la grâce du Christ Jésus. C'est bien pourquoi l'Eglise catholique le compte parmi les sept sacrements DS 1327 DS 1801

Entre l'indissolubilité du mariage et sa sacramentalité, il existe un rapport particulier, c'est-à-dire une relation constitutive réciproque. L'indissolubilité permet de saisir plus facilement la sacramentalité du mariage chrétien; en retour, du point de vue théologique, la sacramentalité constitue le fondement dernier, bien que non unique, de l'indissolubilité du mariage.

2 - 3 - Baptême, foi actuelle, intention, mariage sacramentel

1923Index Table

Comme les autres sacrements, celui du mariage communique la grâce lui aussi. La source dernière de cette grâce est l'impact de l'oeuvre accomplie par le Christ Jésus et non pas seulement la foi des sujets du sacrement. Cela ne signifie cependant pas que, dans le sacrement du mariage, la grâce soit donnée en dehors de la foi ou sans aucune foi. Il s'ensuit, d'après les principes classiques, que la foi est présupposée à titre de "cause dispositive" de l'effet fructueux du sacrement. Mais d'autre part la validité du sacrement n'est pas liée au fait que celui-ci soit fructueux.
Le fait des "baptisés non croyants" pose aujourd'hui un nouveau problème théologique et un sérieux dilemme pastoral, surtout si l'absence, voire le refus de la foi semblent patents. L'intention requise - l'intention d'accomplir ce que font le Christ et l'Eglise - est la condition minimale nécessaire pour qu'il y ait vraiment un acte humain d'engagement au plan de la réalité sacramentelle. Certes il ne faut pas mêler la question de l'intention avec le problème relatif à la foi personnelle des contractants. On ne peut cependant pas non plus les séparer totalement. Au fond des choses, l'intention véritable naît et se nourrit d'une foi vivante. Là donc où l'on ne perçoit aucune trace de la foi comme telle (au sens de terme "croyance", disposition à croire) ni aucun désir de la grâce et du salut, la question se pose de savoir, au plan des faits, si l'intention générale et vraiment sacramentelle, dont nous venons de parler, est présente ou non, et si le mariage est validement contracté ou non. La foi personnelle des contractants ne constitue pas, on l'a noté, la sacramentalité du mariage, mais l'absence de foi personnelle compromet la validité du sacrement.
Ce fait donne lieu à des interrogations nouvelles, auxquelles on n'a pas trouvé jusqu'ici de réponses suffisantes; il impose des responsabilités pastorales nouvelles en matière de mariage chrétien. "Avant tout que les pasteurs s'efforcent de développer et de nourrir la foi des fiancés, car le sacrement du mariage suppose et réclame la foi" (Ordo ce1ebrandi matrimonium. Praenotanda, n. 7.)

2 - 4 - Une articulation dynamique

1924Index Table

Dans l'Eglise, le baptême est le fondement social et le sacrement de la foi en vertu desquels les hommes qui croient deviennent membres du Corps du Christ. De ce point de vue également, l'existence de "baptisés non croyants" implique des problèmes de grande importance. Les besoins d'ordre pastoral et pratique ne trouveront pas de solution réelle dans des changements qui éliminent le noyau central de la doctrine en matière de sacrement et de celle du mariage, mais dans un renouveau radical de la spiritualité baptismale. Il faut restituer une vision intégrale qui saisisse le baptême dans l'unité essentielle et l'articulation dynamique de tous ses éléments et dimensions la foi, la préparation au sacrement, le rite, la confession de la foi, l'incorporation au Christ et à l'Eglise, les conséquences éthiques, la participation active à la vie de l'Eglise. Il faut mettre en relief le lien intime entre le baptême, la foi et l'Eglise. Seulement, à ce prix, il apparaît que le mariage entre baptisés est un vrai sacrement "par le fait même", c'est-à- dire non pas en vertu d'une sorte d'"automatisme", mais de par son caractère interne.

COMMENTAIRE

1925Index Table

Le sens même de l'institution du mariage est basé sur le caractère sacramentel de celui-ci (deuxième série de propositions) et implique une divergence sur les compétences et l'identité des sociétés en cause (troisième série de propositions). Un ouvrage si porté cependant à gommer les différences entre le catholicisme et la réformation est bien obligé de reconnaître ici ce qu'il appelle "un point de controverse particulier" (J FEINER et L. VISCHER, nouveau livre de la foi, la foi commune des chrétiens, ed. Française Paris 1976 p. 564). Dans le catholicisme, l'institution matrimoniale est fondée sur l'insertion sacramentelle de l'amour sponsal dans le mystère pascal et dès lors l'Eglise, fidèle à son Seigneur, y joue un rôle primordial. "La doctrine protestante, au contraire, ne l'admet pas et considère le mariage, selon un mot célèbre de LUTHER, comme une "affaire profane". L'Eglise ne s'en préoccupe qu'en relation avec l'annonce de la parole de Dieu, mais elle n'a pas à s'en soucier davantage que, par exemple, de la profession du chrétien". (J FEINER et L. VISCHER, nouveau livre de la foi, la foi commune des chrétiens, ed. Française Paris 1976 p. 564 - La savante étude sur LUTHER et le mariage écrite par J. PAQUIER dans le DTC, I, 1274-1283 n'a rien perdu de sa valeur).
Les rapprochements oecuméniques tout autant que la crise sacramentaire d'aujourd'hui et d'autre part le fait nouveau de "baptisés non croyants" ont amené les membres de la CTI, sous la conduite, cette fois du professeur K. LEHMANN ( la relation du Pr K. LEHMANN a pour titre complet: la sacramentalité du mariage chrétien - le lien entre le baptême et le mariage. Trad. Française à paraître) à repenser un certain nombre de problèmes. Que veut-on dire quand on affirme le mariage chrétien est un sacrement? Quelle part joue la foi dans tout acte sacramentel? Qu'en est-il plus spécialement à ce propos dans le cas du mariage, notamment pour ceux qui viennent demander une cérémonie religieuse sans avoir une foi personnelle?
Parlons tout d'abord du mariage comme sacrement prop. 2, 1 ; 2, 2 . On a écrit des bibliothèques sur le sens et l'évolution du mot sacrement. Les membres de la CTI ne l'ignoraient pas. Ils étaient bien conscients qu'au XIIe siècle, sous l'influence de l'aristotélisme, le terme a reçu une définition plus stricte, centrée sur les deux idées de signe et de causalité efficiente (1). Dès lors, le septennaire des sacrements incluant le mariage, permet de mieux distinguer les signes efficaces du Christ lui-même et de sa grâce d'une multiplicité de choses sacrées et de signes symboliques que l'on appellera désormais "sacramentaux". On aurait tort cependant de croire qu'il s'agit d'une nouveauté car le septennaire (incluant le mariage) se retrouve tout autant dans les Eglises orientales même non chalcédoniennes qui ont échappé à l' "invasion d'ARISTOTE". D'autre part, si les formules sont moins nettes avant le XIIe siècle, la définition, longtemps classique elle aussi, de saint ISIDORE de SEVILLE (+ 636) accouple l'idée de signum à celle de virtus avant même que les scolastiques du XIIe siècle aient remplacé celle-ci par causa pour être fidèles aux catégories d'ARISTOTE (2). C'est dans cette perspective de causalité efficiente et... efficace en elle-même (3) que le Concile de Trente définira la sacramentalité du mariage DS 1327 DS 1801 comme le rappellent et l'expliquent les prop. 2, 1 ; 2, 2 .

(1) Cette utilisation de la catégorie très précise de causalité efficiente aristotélicienne s'est faite entre 1140 et 1150 (cf. P. VAN DEN EYENDE, les Définitions des sacrements pendant la première période de la théologie scolastique, Rome, 1950). Auparavant on parlait plutôt de virtus sans avoir d'ailleurs un vocabulaire précis. Pierre LOMBARD (+ 1159 donne dans les Sentences (manuel qui sera commenté jusqu'au XVIe siècle), livre 4, dist. 1, 4, 2, cette définition: "Sacramentum proprie dicitur quod ita signum est gratiae Dei et invisibilis gratiae forma, ut ipsius imaginem gerat et causa existat. Non igitur significandi tantum gratia sacramenta instituta sunt, sed etiam sanctificandi".

(2) S. ISIDORE de SEVILLE, Etymologiae, lib. 6, Chap 19, n. 40-42: "ob id sacramenta dicuntur, quia tegumento corporalium rerum, virtus divina secretius salutem eorundem sacramentorum operatur, unde et a secretis virtutibus et a sacris sacramenta dicuntur .. et grece mysterium dicitur quod secretam et reconditam habeat dispositionem".

(3) Cette idée de la virtus sacramenti se retrouve chez tant de Pères de l'Eglise! S. CYRILLE de Jérusalem dira que pendant que l'eau lave le corps, dans le baptême, la force de l'Esprit Saint purifie l'âme indépendamment de la dignité du ministre (Catéchèse 3,4). Saint AUGUSTIN insistera sur le fait que le signe sacré est un moyen objectif de grâce, indépendant de la dignité du ministre (contre les Donatistes) et même parfois de l'acquiescement personnel du sujet (le baptême des enfants contre les Pélagiens) (Lettre 98,9; In Joan. 26,11; Enarr in ps 77,2; In Ep Joh 6,10)

1926Index Table

Mais on peut prendre aussi le terme sacrement dans son origine biblique et sa dimension patristique de mysterion prop. 2, 1 ; 2, 2 . N'est-ce pas en ce sens que LG 1, présente l'Eglise elle-même comme "le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union continue avec Dieu et l'Eglise, de tout le genre humain"? Dans cette perspective, on insiste moins sur la causalité qui fait passer une force d'une personne à une autre par un rite que sur l'union d'une réalité humaine à une réalité divine. Quel est ce mysterion? Col 1,26 et tant d'autres textes diront qu'il s'agit essentiellement de l'incarnation du Fils premier-né, Créateur lui-même, tête du corps de l'Eglise, premier-né d'entre les morts qui veut unir les hommes à son image divinisante Col 1. Cette oeuvre se réalise au premier chef par le baptême que Rm 6 va présenter comme une assimilation au mysterion du Christ. Celui-ci est mort, il a été enseveli, il est ressuscité. Il l'a fait pour nous, c'est-à-dire à la fois à notre avantage et à notre place. Notre foi nous mène donc à répéter ce geste rituel d'entrée, d'ensevelissement comme aussi de sortie du fleuve baptismal. Et comme il ne s'agit pas seulement d'un symbole mais d'une communion, notre mort et notre résurrection rituelles se traduisent par la divinisation, par une mort au pêché et une vie pour Dieu.
Le texte de Ep 5 remet bien le mariage chrétien dans le cadre du mysterion pascal. C'est bien la raison pour laquelle la mort et la résurrection du Christ pour les hommes Rm 4,25 sont présentées ici dans une autre catégorie biblique celle de l'amour sponsal du Seigneur pour son peuple. Mais il s'agit bien du même mysterion de l'amour salvateur du Christ et de l'Eglise Ep 5,32. C'est dans ce mysterion pascal, sous cet aspect sponsal, qu'est inséré l'amour conjugal d'un chrétien et d'une chrétienne. Cette Union est pleine de dons et d'exigences morales, certes, mais ramenée avant tout à un amour restauré selon le voeu du Dieu créateur Ep 5,31 et élevé par la grâce comme le notait en termes si nets GS 48. "L'authentique amour conjugal est assumé dans l'amour divin et il est enrichi par la puissance rédemptrice du Christ et l'action salvifique de l'Eglise, afin de conduire efficacement à Dieu les époux, de les aider et de les affermir dans leur mission de père et de mère". LG 11 qui parle, lui aussi, de "participation" identifie tellement le mysterion de l'amour Christ-Eglise qu'il reprend l'expression patristique d' "Eglise domestique" pour désigner le foyer, ainsi que le note la prop. 2, 1 .
Si le mariage chrétien est un sacrement au double sens de "signe efficace" de la grâce du Christ et d'insertion spécifique dans le mysterion du salut, le problème se pose immédiatement de savoir comment un homme qui n'a pas la foi chrétienne pourrait contracter un tel mariage. La CTI a voulu traiter ce problème tout d'abord parce qu'il s'impose à l'intention de tous comme un fait nouveau (*) prop. 2, 3 , mais aussi parce qu'il permettait de faire le point sur les relations foi - sacrement que Vatican II a examinées dans une perspective nouvelle ou, plus exactement, renouvelée.

(*) Quand HUGUES de SAINT-VICTOR par exemple traite la question du "mariage des incroyants" (De Sacramentis, livre 2, partie 11, chap. 13), il ne songe pas un instant à d'autres qu'aux infidèles, aux Juifs, aux païens. Pour nous, ce même terme d'incroyants utilisé à propos du mariage évoque beaucoup plus des baptisés qui n'ont pas la, foi ou qui ne l'ont plus.

1927Index Table

C'est simplifier, mais non falsifier les choses que le dire, en lisant l'Ecriture en continuité avec sa Tradition: le magistère de l'Eglise a toujours tenu que les signes mystériques et sacramentels doivent leur efficacité à l'action perpétuée du Christ à travers ses ministres, mais que d'autre part les grâces offertes doivent être reçues avec foi par les hommes qui en sont bénéficiaires. Cela est requis comme une condition première pour que le sacrement soit efficace, et évidemment plus encore pour qu'il soit fructueux. Si la foi du sujet ne peut être personnelle, comme c'est le cas dans le baptême des enfants, elle a au moins un substitut dans la foi de l'Eglise, des parrains, des parents avant d'être personnellement assumée par l'option fondamentale de l'âge de raison ou une cérémonie de profession de foi, aux formes d'ailleurs historiquement très variées.
Il serait vain de le nier: si cette importance dispositive de la foi personnelle a été quelque peu estompée dans la théologie catholique du XVI siècle et au Concile de Trente DS 1605-1608, c'est en réaction contre les doctrines de la Réformation. Pour celles-ci, il n'y a pas d'action du Christ ou de l'Eglise dans les sacrements qui soit indépendante de la foi personnelle du chrétien. Les gestes sacramentels de l'Eglise seraient seulement la nourriture ou le signe de la foi des hommes et non plus l'action de Dieu par l'Eglise.
Vatican II, par-dessus les polémiques et même les oppositions qui perdurent, a voulu rendre plus pacifiquement témoignage à la foi traditionnelle de l'Eglise catholique en affirmant SC 59 que les sacrements confèrent la grâce (c'est l'hommage rendu à l'ex opere operato), mais qu'en même temps ils supposent la foi, la nourrissent, la fortifient et l'expriment.
C'est ce que la CTI a voulu exprimer à son tour prop. 2, 3 . Dans le mariage chrétien, la grâce est communiquée en dernière analyse en vertu de l'oeuvre du Christ. Mais, d'autre part, la foi de l'homme et de la femme baptisés qui veulent s'épouser "dans le Seigneur" n'est pas un élément adventice; la grâce n'est pas donnée en dehors de la foi et sans aucune foi prop. 2, 3 .


2002 Magistère Mariage 1904