2002 Magistère Mariage 1928

1928

La
prop. 2, 4 a même voulu expliciter la dynamique normale de la naissance et du développement de toute vie chrétienne à partir de la foi. Elle l'a fait dans l'esprit des discours pétriniens et pauliniens du Livre des Actes et selon un schéma qui, après avoir connu bien des avatars littéraires chez les Pères et les médiévaux, s'exprime encore au chapitre 6 de la session 6 du Concile de Trente DS 1526 pour illustrer le thème de la foi racine de la justification. L'homme entend prêcher la parole de Dieu et croit en Jésus comme en son Rédempteur. Il se prépare à recevoir le baptême, ce qu'il fait en confessant sa foi. Il est ainsi incorporé au Christ, accepte les conditions éthiques de la justification et prend une place active dans l'Eglise. Quand il se marie, il le fait évidemment à la lumière de sa foi, de son appartenance au Christ auquel il demande d'élever son amour conjugal à la force et à l'inconditionnalité de l'agapé rédempteur.
Mais que va-t-il se passer quand ce dynamisme est perturbé sinon rompu? Les candidats au mariage ont bien reçu le baptême, sacrement de la foi. Mais cette foi, ils ne l'ont pas vécue ou ils l'ont rejetée. Il a semblé à la CTI, à la suite de longues discussions dont on trouve ici un certain résumé, qu'une double question se posait. Une première se situe au niveau des faits: quand et comment peut-on savoir si le jeune homme et la jeune fille qui demandent un mariage religieux ont vraiment la foi ou l'ont perdue? Une seconde question est plus doctrinale peut-on dire, comme l'ont fait certains publicistes: "pas de foi, pas de mariage" ou, au contraire, peut-on faire jouer un certain "automatisme" "il y a eu baptême, donc le seul mariage possible est sacramentel"?

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La première question a été résolue de diverses manières, dans certains milieux, mais la réponse qu'on lui a donnée n'a pas toujours été exempte de cet étonnant antisacramentalisme qui s'est manifesté dans certains milieux catholiques du méta-Concile. Est-il si simple de porter, en toute sérénité, un jugement sur l'existence ou la non-existence de la foi des interlocuteurs? Qui a vraiment juridiction pour le faire? N'est-il pas plus sage, plus chrétien aussi, de passer par le biais des intentions et des motivations? Or ici, on s'aperçoit que la plupart des cas peuvent être rattachés à deux grandes options. Certains candidats au mariage chrétien, si paradoxal que cela soit, demandent seulement celui-ci pour des raisons mondaines de pompe extérieure ou de convenance familiale. Au fond d'eux-mêmes, malgré le baptême de l'enfance, il y a une indifférence totale, voire une hostilité contre le Christ et son Eglise. Ce blocage de la foi entraîne celui de l'intention: ils n'ont certainement pas la volonté d'entrer dans le mystère sacramentel, de s'engager "selon le rite de notre Mère la sainte Eglise". L'honnêteté ne peut qu'inspirer le refus d'une cérémonie qui serait tout compte fait une comédie, comme aussi le rejet d'une parodie parasacramentelle. L'absence d'intention et de foi rendrait ce mariage invalide. Mais, dans d'autres cas, plus nombreux qu'un certain élitisme ne l'a supposé un moment, les fiancés sont certainement éducables. Leur foi et leurs connaissances religieuses sont peu apparentes mais il y a tout de même chez eux un appel au divin, à une dimension supérieure du mariage. Avec l'aide des pasteurs et des foyers chrétiens, cette simple disposition à croire peut se développer, se renforcer, s'éclairer. Comment ne pas saisir l'occasion d'un catéchuménat qui, en éclairant et en nourrissant la foi, rencontrera la dynamique de l'intention personnelle en la renforçant?
Ainsi apparaît la voie moyenne choisie par la CTI à propos de la seconde question. Ni le fait du baptême d'autrefois ni l'absence de foi ne résolvent ces cas, au plan du principe par une sorte d'automatisme ou, au contraire, par un refus de la réalité sacramentaire. La clé du problème est dans l'intention, l'intention de faire ce que fait l'Eglise en offrant un sacrement permanent qui entraîne indissolubilité, fidélité, fécondité. Pour qu'il y ait possibilité d'un mariage sacramentel valide, il faut le baptême et une foi explicite qui, tous deux, alimentent l'intention d'insérer un amour conjugal humain dans l'amour pascal du Christ. Par contre, si le refus explicite de la foi, malgré le baptême de l'enfance, entraîne le refus de faire ce que fait l'Eglise de Dieu, il ne sera pas possible de réaliser un mariage sacramentel valide. Ces jeunes gens sont-ils pour autant exclus de tout mariage? C'est ce qu'étudiera, entre autres, la troisième série des propositions.

3 - CREATION ET REDEMPTION

3 - 1 - Le mariage voulu par Dieu

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Toutes choses ont été créées dans le Christ, par le Christ et pour le Christ. Dès lors même qu'il a été institué par le Dieu Créateur, le mariage devient une figure du mystère d'union du Christ Epoux et de l'Eglise Epouse. Il se trouve ordonné d'une certaine façon à ce mystère. C'est ce mariage- là qui, lorsqu'il est célébré entre deux baptisés, est élevé à la dignité de sacrement proprement dit. Il a pour sens, alors, de signifier et de faire participer à l'amour sponsal du Christ et de l'Eglise.

3 - 2 - Inséparabilité de l'oeuvre du Christ

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Quand il s'agit de deux baptisés, le mariage comme institution voulue par le Dieu Créateur est inséparable du mariage-sacrement. La sacramentalité du mariage des baptisés n'affecte pas celui-ci de façon accidentelle de telle sorte qu'elle pourrait lui être attachée ou non. Elle est inhérente à son essence au point de ne pouvoir en être séparée.

3 - 3 - Tout mariage de baptisés doit être sacramentel

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La conséquence des propositions précédentes est que pour des baptisés, il ne peut exister véritablement et réellement aucun état conjugal différent de celui qui est voulu par le Christ. Dans ce sacrement, la femme et l'homme chrétiens se donnant et s'acceptant comme époux par un consentement personnel et libre, sont radicalement libérés de la "dureté du coeur" dont a parlé Jésus Mt 19,8. Il leur devient réellement possible de vivre dans une charité définitive car, par le sacrement, ils sont vraiment et réellement assumés dans le mystère de l'union sponsale du Christ et de l'Eglise. Dès lors, l'Eglise ne peut en aucune manière reconnaître que deux baptisés se trouvent dans un statut conjugal conforme à leur dignité et à leur mode d'être de "nouvelle créature dans le Christ", s'ils ne sont pas unis par le sacrement du mariage.

3 - 4 - Le mariage "légitime" des non-chrétiens

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La force et la grandeur de la grâce du Christ s'étendent à tous les hommes, même au-delà des frontières de l'Eglise en raison de l'universalité de la volonté salvifique de Dieu. Elles informent tout amour conjugal humain, confirment la "nature créée" et tout autant le mariage "tel qu'il fut au début". Les hommes et les femmes qui n'ont pas encore été touchés par la prédication de l'Evangile, s'unissent par l'alliance humaine d'un mariage légitime. Celui-ci est pourvu de biens et de valeurs authentiques qui lui assurent sa consistance. Mais il faut bien voir que, même si les époux l'ignorent, ces valeurs proviennent du Dieu Créateur et s'inscrivent d'une manière inchoative dans l'amour sponsal qui unit le Christ et l'Eglise.

3 - 5 - L'union des chrétiens inconscients des exigences de leur baptême

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Il serait donc contradictoire de dire que des chrétiens, baptisés dans l'Eglise Catholique, peuvent vraiment et réellement opérer une régression en se contentant d'un statut conjugal non sacramentel. Ce serait penser qu'ils peuvent se contenter de l'"ombre" quand le Christ leur offre la "réalité" de son amour sponsal.

On ne peut cependant pas exclure des cas où, chez certains chrétiens, la conscience soit déformée par l'ignorance ou par l'erreur invincible. Ils en arrivent alors à croire sincèrement qu'ils peuvent contracter un vrai mariage en excluant le sacrement.
Dans cette situation, ils sont incapables de contracter un mariage sacramentel valide puisqu'ils nient la foi et qu'ils n'ont pas l'intention de faire ce que fait l'Eglise. Mais, d'autre part, le droit naturel de contracter mariage n'en subsiste pas moins. Ils sont donc capables de se donner et de s'accepter mutuellement comme époux en raison de leur intention de conclure un pacte irrévocable. Ce don mutuel et irrévocable crée entre eux un rapport psychologique que sa structure interne différencie d'une relation purement transitoire.
Cependant cette relation ne peut en aucune façon être reconnue par l'Eglise comme une société conjugale non sacramentelle, même si elle représente l'apparence d'un mariage. Pour l'Eglise, en effet, entre deux baptisés, il n'existe pas de mariage naturel séparé du sacrement mais uniquement un mariage naturel élevé à la dignité de sacrement.

3 - 6 - Les mariages progressifs

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Ces considérations montrent l'erreur et le danger d'introduire ou de tolérer certaines pratiques. Elles consistent à célébrer successivement, pour le même couple, plusieurs cérémonies de mariage de degrés différents bien qu'en principe connexes entre elles. Il ne convient pas davantage de permettre à un prêtre ou à un diacre d'assister, comme tels, à un mariage non sacramentel que des baptisés prétendent célébrer, ou encore d'accompagner cette cérémonie de leurs prières.

3 - 7 - Le mariage civil

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Dans une société pluraliste, l'autorité de l'Etat peut imposer aux fiancés une formalité officielle qui rende publique devant la société politique leur condition d'époux. Elle peut aussi porter des lois qui règlent d'une manière certaine et correcte les effets civils qui découlent du mariage, ainsi que les droits et les devoirs familiaux. Il faut cependant en instruire d'une manière adéquate les fidèles catholiques, cette formalité officielle que l'on appelle couramment mariage civil ne constitue pas pour eux un mariage véritable. Il n'y a d'exception à cette règle que dans le cas où il y a eu dispense de la forme canonique ordinaire ou encore si, par l'absence prolongée du témoin qualifié de l'Eglise, la cérémonie civile peut servir de forme canonique extraordinaire dans la célébration du mariage sacramentel CIS 1098. En ce qui concerne les non-chrétiens et souvent aussi les non-catholiques, cette cérémonie civile peut avoir une valeur constitutive soit pour le mariage légitime soit pour le mariage sacramentel.

COMMENTAIRE

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Pour s'orienter dans le très dense enseignement de la troisième série des propositions qui fut étudiée sous la conduite du professeur CAFFARA, il faut partir de deux points de repère essentiels: la spécificité du mariage chrétien (*), la diversité des types de mariage selon la multiplicité des relations des hommes au Christ créateur et rédempteur.

(*) Cf CTI 'Seize thèses de christologie sur le sacrement de mariage': texte du P. MARTELET approuvé in forma generica par la majorité absolue des membres de la CTI Présentation texte des 16 thèses .

On a parfois dit que cette question devait être interprétée dans le cadre d'une théologie de la nature et de la surnature. Beaucoup en douteraient aujourd'hui car il leur semble que Vatican II a ignoré cette distinction (1) ou a résorbé la grâce dans la nature (2).

(1) Cf. Ph DELHAYE, "Note conjointe sur Nature et Grâce à Vatican II" à propos de l'étude du professeur CAFFARA dans Esprit et Vie, juillet 1978, p. 412-416

(2) A propos du mariage, précisément, qui n'a pas entendu dire ces mois derniers: le mariage est une réalité profane, or GS 36, a proclamé l'autonomie des réalités terrestres? Si on prend la peine de lire ce texte en entier, on verra qu'il vise avant tout les réalités scientifiques et les institutions politiques en excluant deux fois explicitement les "normes de la morale". Pas un mot n'y est dit du mariage qui, par contre, est étudié des points de vue chrétien et personnaliste indissolublement unis aux GS 47-52 Le Concile se serait-il contredit à quelques pages de distance?

On peut, semble-t-il, se servir encore de cette formule, ne serait-ce ce que montrer plus aisément le sens exact des deux aspects du mariage. Quand les Philosophes grecs (PLATON, ARISTOTE, les Stoïciens) parlent de la physis, ils entendent par là avant tout le cosmos qui pré-existe à l'action de l'esprit (pneuma) et qui échappe à la connaissance, à la providence, à la création des dieux, du démiurge, du "premier moteur". Cette idée n'est évidemment pas reprise par les Pères ou les scolastiques, mais elle renaît dans l'averroïsme comme dans le droit naturel de GROTIUS. Celui-ci entend bien faire une morale 'quasi Deus non daretur' et, s'il n'est pas suivi par tous dans cette perspective, les théoriciens de la politique comme les philosophes de l'Aufklärung éliminent au moins le Christ de leurs systèmes pour se contenter de parler d'un Etre suprême. Les juristes régaliens de l'Ancien Régime, comme les tenants de la Révolution de 1789, seront paradoxalement d'accord pour considérer le mariage comme une institution purement profane, dépendant exclusivement de l'Etat. Si les catholiques veulent une cérémonie supplémentaire, comme les protestants passent au temple pour une bénédiction, on peut à la rigueur le permettre, mais le mariage est déjà fait. Une alliance plus curieuse est celle que certains théologiens, partisans de la natura pura, font alors, de fait, avec les régaliens. Sans doute, ils déclarent que cette nature pure" (3) non orientée vers la grâce est une simple hypothèse mais, en ce domaine comme dans tant d'autres domaines de la morale, ils oublient bien vite ce caractère hypothétique de la nature pure pour en faire le fondement même de leur enseignement. Le mariage chrétien, dès lors, est avant tout un contrat juridique, une institution civile que l'Eglise a usurpée. Le sacrement reste extrinsèque et, comme on l'a dit, il est le cadre doré d'une peinture qui existait en dehors de lui. On pourrait les séparer... On le voit, il ne s'agit pas d'une querelle de compétences mais du sens même de l'être chrétien. Le rejet de cette séparation par plusieurs Papes, et notamment par LEON XIII prop. 3, 2 , le restaurateur du thomisme, est une prise de position doctrinale; elle renvoie aux vues des Pères et des scolastiques.

(3) Cette théorie de la 'nature pure' revient à dire que Dieu aurait pu créer les hommes intelligents et libres, sans les appeler à son amitié, à l'adoption filiale, à la divinisation. Cette hypothèse de travail, aux yeux de ses auteurs, a l'avantage de mieux expliquer la gratuité absolue de l'adoption. Dieu ne se serait pas contredit en ne poussant pas son amour de l'homme jusqu'à le diviniser. De plus, on nourrit l'illusion qu'en étudiant cet homme à l'état de nature pure on rejoint l'homme décrit par les philosophes et les juristes qui, eux, ne laissent aucune place au péché originel et à la Rédemption, éléments essentiels de l'histoire du salut. Le pire est qu'après avoir indiqué cette nature pure comme une hypothèse de travail, ces théologiens raisonnent comme si elle existait de facto et comme si tous les hommes n'étaient pas appelés à la divinisation surnaturelle. Pour eux, les païens, les bons ou les mauvais sauvages rencontrés dans les colonies sont dans l'état de nature pure et non pas dans l'état de nature pécheresse ou de nature appelée à la divination. Il faut tenir et que Dieu aurait pu ne pas diviniser l'homme et qu'il l'a fait cependant.

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Pour ceux-ci, en effet, il n'est nul besoin de l'hypothèse de la natura pura pour affirmer avec la Révélation, notamment avec saint Paul, la gratuité de la divinisation. La nature et la grâce existent bien comme les deux dimensions de l'être chrétien. Mais elles sont toutes deux l'oeuvre du Dieu créateur et rédempteur, elles sont en continuité l'une avec l'autre. Il n'est pas question d'ignorer la nature - et donc les aspects humains et civils du mariage - mais de la situer avec saint AUGUSTIN, les Victoriens, saint ALBERT, saint THOMAS, saint BONAVENTURE ... et Vatican II dans l'histoire du salut. La nature humaine est toujours située à un moment de l'histoire du salut: à la création du début des choses (natura condita), prop. 3, 4 , à la nature pécheresse entachée de la dureté du coeur qui explique le divorce prop. 3, 3 , à la nature rachetée qui reçoit de la grâce la force de dominer les difficultés de la vie conjugale prop. 3, 3 et fonde l'amour conjugal sur l'agapé christique lui-même. On le comprend donc, dans cette optique - par nécessité ontologique bien plus que par des lois -, il est impossible pour des chrétiens conscients de leur engagement au Christ de revenir à des stades antérieurs de l'histoire du salut et de conclure un mariage qui ne soit pas sacramentel prop. 3, 3 ou de vouloir faire d'une union purement humaine une étape légitime vers cette insertion de leur amour dans l'agapé du Christ.
Mais qu'en est-il des chrétiens que l'ignorance ou l'erreur rendent inconscients de cette exigence? Comment juger les autres "types" de mariage? La CTI a tenu à s'exprimer sur ces sujets à la fois pour utiliser la méthode des contrastes et mieux faire voir qu'il ne peut être question de mépriser les valeurs humaines du mariage (La CTI remercie vivement Mgr DENIS, doyen honoraire de la Faculté de droit canonique de Paris, de l'aide qu'il lui a apportée à ce sujet. Mgr DENIS a aussi exposé ses opinions dans Etudes de droit et d'histoire. Mélanges Mgr H. WAGNON, Faculté internationale de droit canonique, Louvain-la-Neuve, 1976, p. 479-496.).

Prenons tout d'abord le cas des chrétiens dont la conscience est déformée par une erreur invincible ou par
****************** Valeur 3 inconnue! l'ignorance prop. 3, 5 . Ils ont le droit naturel de se marier et ils sont incapables prop. 2, 3 de le faire au niveau de leur baptême par manque de foi et d'intention. La CTI n'a pas cru pouvoir suivre l'opinion de certains juristes qui parlent ici d'un autre type de mariage légitime. Mais elle a voulu reconnaître la réalité et la consistance de cette union au plan psychologique et elle l'a nettement distinguée d'une simple liaison.

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Quant au mariage des non-baptisés, auquel le vocabulaire des canonistes donne le nom de "légitime", la prop. 3, 4 en reconnaît la consistance, les valeurs, les biens.
****************** Valeur 3 inconnue! Elle va plus loin, tout comme la prop. 3, 1 , en y voyant une image et une orientation vers le mariage dans le Seigneur. Si la CTI avait travaillé dans l'optique de la natura pura, on aurait pu lui reprocher une tentative de récupération. Mais il s'agit ici d'une suite logique de la dialectique qui va de l'oeuvre créatrice à l'oeuvre rédemptrice. Le Christ Sauveur, non seulement divinise le mariage humain, mais pardessus le règne du péché il restaure la dignité du mariage qu'avec le Père et l'Esprit il a voulu comme un des éléments de son Oeuvre créatrice.
Il restait à parler du "mariage civil". Il ne pourrait être question d'oublier qu'il fut et est encore parfois une machine de guerre. Mais, dans une société sécularisée et pluraliste, il devient parfois difficile, quand il s'agit de tous les citoyens, de rattacher les effets civils du mariage au seul sacrement. De toute façon, la CTI n'a aucune opinion à exprimer sur des concordats ou des révisions de concordats. Dans sa prop. 3, 7 , elle a seulement voulu reconnaître que l'Etat a bien le droit de régler la reconnaissance civile des mariages en exigeant certaines formalités qui lui sont propres.
Le danger existe évidemment de voir certains chrétiens penser que cette cérémonie civile remplace la célébration sacramentelle. L'expérience des pays où survit plus ou moins le Concordat NAPOLEON-CAPRARA montre que du côté des fidèles on a pu pallier ce danger (*). Mais, paradoxalement, aujourd'hui le danger viendrait plutôt de certains clercs qui cèdent à la mode de l'antisacramentalisme. En dehors des cas extraordinaires que la prop. 3, 7 énumère, comment pourrait-on souhaiter que le sacrement de mariage soit célébré sous la tutelle du magistrat d'un Etat laïc sinon athée?

(*) Sociologiquement le mariage religieux catholique conserve un tel prestige que l'on voit même des païens (des Japonais non baptisés) essayer d'en bénéficier quelque peu lors de leur voyage de noces à l'étranger. Cf. Mgr M. COPPENRATH, archevêque de PAPEETE, "l'Eglise témoin du mariage de non-chrétiens!" Dans l'année canonique t. XXII, 1978 en hommage à Mgr Ch. Lefebvre. Paris, 1978, p. 25-32.


4 - INDISSOLUBILITE

4 - 1 - Le principe

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La Tradition de l'Eglise primitive, qui se fonde sur l'enseignement du Christ et des apôtres, affirme l'indissolubilité du mariage, même en cas d'adultère. Ce principe s'impose malgré certains textes d'interprétation malaisée et des exemples d'indulgence vis-à-vis de personnes qui se trouvaient dans des situations très difficiles. Il n'est d'ailleurs pas aisé d'évaluer exactement l'extension et la fréquence de ces faits.

4 - 2 - La doctrine de l'Eglise

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Le Concile de Trente a déclaré que l'Eglise ne se trompe pas quand elle a enseigné et enseigne, selon la doctrine évangélique et apostolique, que le lien du mariage ne peut être rompu par l'adultère DS 1807. Cependant, le Concile a seulement anathématisé ceux qui nient l'autorité de l'Eglise en cette question. Les raisons de cette réserve sont certaines hésitations qui se sont manifestées dans l'histoire (les opinions de l'AMBROSIASTER, de CATHARINUS et de CAJETAN) et, d'autre part, des perspectives qui se rapprochent de l'Oecuménisme. On ne peut donc pas affirmer que le Concile ait eu l'intention de définir solennellement l'indissolubilité du mariage comme une vérité de foi. On tiendra compte cependant des paroles prononcées par Pie XI, dans Casti Connubii, quand il se réfère à ce canon: "Si l'Eglise ne s'est pas trompée et ne se trompe pas quand elle a donné et donne cet enseignement, il est donc absolument certain que le mariage ne peut être dissous, même pour motif d'adultère. Il est évident tout autant que les autres, causes de divorce, beaucoup plus faibles que l'on pourrait supposer, ont encore moins de valeur et ne peuvent être prises en considération." DS 1807 Casti connubii 56

4 - 3 - Indissolubilité intrinsèque

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L'indissolubilité intrinsèque du mariage peut être considérée sous différents aspects et recevoir plusieurs fondements.
On peut envisager le problème du côté des époux. On dira alors: l'union intime du mariage, don réciproque de deux personnes, l'amour conjugal lui-même, le bien des enfants exigent l'unité indissoluble de ces personnes. De là découle, pour les époux, l'obligation morale de protéger leur alliance conjugale, de la conserver et de la faire progresser.
On doit aussi mettre le mariage dans la perspective de Dieu. L'acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement, crée un lien qui est fondé sur la volonté de Dieu. Ce lien est inscrit dans l'acte créateur lui-même et il échappe à la volonté des hommes. Il ne dépend pas du pouvoir des époux et, comme tel, il est intrinsèquement indissoluble.
Vue dans les perspectives christologiques, l'indissolubilité du mariage chrétien a un fondement ultime encore plus profond. Il consiste en ce que le mariage chrétien est image, sacrement et témoin de l'union indissoluble entre le Christ et l'Eglise. C'est ce que l'on a appelé "le bien du sacrement". En ce sens, l'indissolubilité devient un événement de grâce.
Les perspectives sociales fonderont elles aussi l'indissolubilité: elle est requise par l'institution elle- même. La décision personnelle des conjoints est assumée, protégée et fortifiée par la société, surtout par la communauté ecclésiale. Il y va du bien des enfants et du bien commun. C'est là la dimension juridico-ecclésiale du mariage.
Ces aspects divers sont intimement liés entre eux. La fidélité à laquelle les époux sont obligés doit être protégée par la société elle-même, tout spécialement par la société qu'est l'Eglise. Elle est exigée par le Dieu créateur tout autant que par le Christ qui la rend possible dans la mouvance de sa grâce.

4 - 4 - Indissolubilité extrinsèque et pouvoir de l'Eglise sur les mariages

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Parallèlement à sa praxis, l'Eglise a élaboré une doctrine concernant son propre pouvoir dans le domaine des mariages. Elle en a ainsi précisé l'ampleur et les limites. L'Eglise ne se reconnaît aucun pouvoir pour dissoudre un mariage sacramentel conclu et consommé (ratum et consommatum). Pour de très graves motifs, pour le bien de la foi et le salut des âmes, les autres mariages peuvent être dissous par l'autorité ecclésiastique compétente ou, selon une autre interprétation, être déclarés dissous d'eux-mêmes.
Cet enseignement est seulement un cas particulier de la théorie portant sur la manière dont évolue la doctrine chrétienne dans l'Eglise. Aujourd'hui, elle est quasi généralement acceptée par les théologiens catholiques.
Il n'est pas exclu cependant que l'Eglise puisse préciser davantage les notions de sacramentalité et de consommation. En ce cas, elle en expliquerait encore mieux le sens. Ainsi, l'ensemble de la doctrine concernant l'indissolubilité du mariage pourrait être proposé dans une synthèse plus profonde et plus précise.

COMMENTAIRE

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L'indissolubilité du mariage chrétien a un lien tout spécial avec la sacramentalité de celui-ci prop. 2, 2 . Elle est rendue possible par l'insertion de l'amour humain dans l'agapé Christ-Eglise prop. 3, 1 , 3, 2 , 3, 3, etc., par-dessus "toute dureté de coeur". Il est temps de l'étudier pour elle-même et de voir les problèmes qu'elle pose aujourd'hui.
Quand on analyse de près la quatrième série des propositions qui fut préparée sous la direction du R. P. E. HAMEL, on s'aperçoit qu'il s'agit bien de la doctrine traditionnelle de l'Eglise, tout récemment réaffirmée par Vatican II. Cependant, entre Gaudium et spes de 1965 et ces propositions de 1977, il y a toute la différence qui sépare ce qu'on appelait autrefois "la possession pacifique" (*) d'une doctrine, d'une prise de conscience de difficultés auxquelles il faut répondre.

(*) Je fais allusion à un procédé utilisé par bien des manuels d'autrefois ... sans pouvoir autant entendre le légitimer. Si l'on faisait l'histoire d'une doctrine et que l'on tombait sur une période creuse, on déclarait: cette doctrine était tellement connue et acceptée qu'on en parlait même pas. De cet argument par le silence, je retiens seulement ce fait: en cas de polémique et d'oppositions, on multiplie les arguments dans une mesure plus grande qu'aux époques où la chose semble aller de soi et être admise par tout le monde.

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Le texte de 1965 ne fait même pas allusion à "l'affaire ZOGHBY" (1) qui remettait en question le sens des affirmations du Concile de Trente au nom des hésitations des premiers siècles de l'Eglise et des doutes de certains théologiens. Depuis lors, bien des études, des livres, des articles ont paru. Les uns croyaient apporter des dossiers écrasants en faveur de la dissolution de certains liens matrimoniaux. Les autres n'acceptaient aucune hésitation, à l'exception d'un cas ou deux. La CTI ne pouvait résoudre ces questions historiques; elle a eu la sagesse d'en reconnaître la difficulté. Elle a peut-être mieux exprimé que Vatican II les hésitations des Pères du Concile de Trente. Mais s'il n'est pas possible de parler de dogme de la foi, au sens strict, il ne peut être question de ne pas voir ici une "doctrine catholique" avec toute la force que revendique cette note théologique (2). On se fondera pour cela tant sur l'enseignement de Pie XI que sur l'incise tridentine qui fait état de "la fidélité à la doctrine évangélique et apostolique" prop. 4, 2 .

(1) On verra l'étude savante et sereine du R. P. WENGER, dans Vatican II, Chronique du la quatrième session, Chap. VI, p. 200-246 . Le vicaire patriarcal melkite pour l'Egypte et le Soudan préconisait l'extension de la pratique de l'économie des Eglises Orientales non unies à Rome. Le conjoint abandonné peut contracter un second mariage, non sacramentel, mais reconnu par l'autorité ecclésiastique.

(2) On emploie indifféremment l'expression veritates catholicae et doctrinae catholicae comme le note J. BEUMER à l'article "Katholische Wahrheiten" du Lexikon fur Theologie und Kirche, t. 6, col. 88. On trouvera l'exégèse de ce terme technique dans le DTC (XIV vol. 2, col. 26-81) article "Vérité" de A. MICHEL. Les observations de L. OTT sont particulièrement nettes. On lit dans la traduction française de son Précis de théologie dogmatique, 3 édit., Mulhouse, 1955, p. 21:
"Conformément au but du magistère ecclésiastique, qui est de conserver intacte et de proclamer infailliblement la vérité révélée DS 1800, l'objet premier et principal (objectum primarium) de la proclamation doctrinale par l'Eglise, ce sont les vérités et les faits immédiatement révélés. Mais l'infaillibilité doctrinale de l'Eglise s'étend aussi à toutes les vérités et à tous les faits qui découlent de la doctrine révélée ou en sont la condition préalable (objectum secundarium). Ces vérités et ces faits, non directement ni formellement révélés, sont si étroitement en relation avec la vérité révélée que leur contestation met en péril la doctrine révélée. Elles sont désignées si le magistère ecclésiastique a porté sur elles une décision définitive, sous le nom de vérités catholiques (veritates catholicae) ou de doctrines ecclésiastiques (doctrinae ecclesiasticae), pour les distinguer des vérités divines ou des doctrines divines de la révélation (veritates vel doctrinae divinae). Elles doivent être acceptées avec un assentiment de foi qui s'appuie sur l'autorité du magistère ecclésiastique pourvu de l'infaillibilité doctrinale (fides ecclesiastica). (Les Vérités catholiques, Par. 6)

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Le mouvement des idées postconciliaires a tout autant mené la CTI à utiliser la distinction entre une indissolubilité extrinsèque et une indissolubilité intrinsèque, dont Vatican II ne faisait pas état. La première est réalisée quand l'autorité intervient pour annuler un mariage ou pour constater au nom de son pouvoir que cette union est nulle prop. 4, 4 .

Dans le phénomène général de "l'évolution des doctrines" prop. 4, 4 , l'Eglise s'est reconnue et a revendiqué certains pouvoirs en ce sens sur les mariages non sacramentels des païens prop. 4, 4 , dans la ligne de ce qu'on appelle le privilège " paulin " et le " privilège de la foi " (S. Exc. Mgr Ch. LEFEBVRE, doyen de la Rote, a bien voulu aider la CTI pour l'étude de cette question et a rédigé à ce propos un "document" fort précieux qui sera bientôt publié dans une revue canonique). Mais elle ne s'en reconnaît aucun sur les mariages sacramentels conclus et consommés. On évitera le faux scandale d'une contradiction si l'on voit que d'un côté il s'agit d'une alliance humaine et, de l'autre, d'une union fondée dans le Christ. Cela ne veut pas dire évidemment que certains pas en avant ne puissent être réalisés prop. 4, 4 in fine , par exemple à propos de l'idée de consommation quand il s'agit de mariages sacramentels. De meilleures connaissances sur la formation du lien conjugal font craindre que la théorie des canonistes médiévaux sur la consommation du mariage par un seul coït pris dans sa matérialité ne soit vraiment un peu courte. Mais on n'a pas encore mis au point une autre théorie et ce qu'on a parfois avancé sur une consommation du mariage équiparée à une longue maturation psychologique évoque le danger du mariage à l'essai.

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L'indissolubilité intrinsèque du mariage ne se situe plus au niveau d'une autorité agissant de l'extérieur, mais au niveau des réalités elles-mêmes. Elle constate que le lien formé dans le Christ entre un homme et une femme qui se sont donné et accepté l'un à l'autre est de lui-même indestructible et qu'il échappe à toute autorité. 'Quod Deus conjuxit, homo non separet!' Il faut lire et relire cette prop. 4, 3 en notant l'insistance mise sur les arguments qui concluent avec conviction et force à l'indissolubilité du mariage chrétien. On est loin de la sérénité de 1965, quand on prenait la thèse comme allant de soi; ici on sent la conscience anxieuse de défendre la doctrine de l'Eglise contre des critiques venant de toute part. Et pourtant cette indissolubilité est la conclusion des exigences de l'union conjugale, de la volonté du Dieu créateur, de l'amour rédempteur, comme des considérations prises dans le bien de la société et des enfants.
Plutôt que de résumer ces textes clairs et forts, essayons plutôt en conclusion de ce paragraphe et à l'instar de la fin de cette prop. 4, 4 , de coordonner tous ces arguments en une dialectique dynamique. Le voeu de pérennité et de fidélité conjugale est d'abord dans la volonté, l'affectivité, le désir même des deux personnes qui se donnent totalement, c'est-à-dire dans tout ce qu'elles sont et seront. Chacun des conjoints entend bien pouvoir compter sur l'autre, pour le meilleur comme pour le pire, il bâtit désormais sa vie et son activité dans cette perspective, au point d'être comme mutilé si l'autre vient à lui manquer. Hélas! ce bel idéal est menacé comme tant d'autres valeurs humaines, par la faiblesse, l'accoutumance, l'égoïsme, l'agressivité. Le sujet-autrui est menacé de n'être plus qu'un objet, un moyen de plaisir égoïste, Quand ce n'est pas un souffre-douleur. C'est bien pourquoi, avant même les périodes de crise, la grâce du Christ entreprend de guérir l'amour sponsal de ses défauts, de transformer le désir en don, de surélever l'éros au niveau de l'agapé qui, au lieu de chercher d'abord son bien, songe avant tout à celui de l'autre (la charité divine "ne recherche pas son propre intérêt" 1Co 13,5. On songera aussi à cette définition scolastique de l'amour:'delectari bono alterius' trouver sa joie dans le bonheur d'autrui.). L'amour passe du registre du désir à celui du don. Le Christ donne à ses fidèles ses grâces à travers un sacrement permanent. Celui-ci consiste dans une communion ontologique autant que psychologique et morale avec son propre mysterion d'amour.


2002 Magistère Mariage 1928