Textes du magistère - ou Constitution par laquelle N. S. P. le Pape Pie VII rétablit la compagnie de Jésus.




PIE, ÉVÊQUE


SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU.


Pour en conserver le perpétuel souvenir.

L'Église que Jésus-Christ notre Sauveur a fondée sur la pierre ferme, et contre laquelle, selon la promesse du même Sauveur, les portes de l'enfer ne prévaudront jamais, a été si souvent attaquée, et par des ennemis si terribles que, sans cette divine et immuable promesse, il eût paru à craindre qu'elle ne succombât entièrement, circonvenue, soit par la force, soit par les artifices de ses persécuteurs. Ce qui est arrivé dans des temps déjà reculés se renouvelle encore, et surtout à la déplorable époque où nous vivons, époque qui semble être ces derniers temps, annoncés tant de fois par les apôtres, où " viendront des imposteurs marchant d'impiété en impiété, en suivant leurs désirs ". Personne n'ignore quel nombre prodigieux d'hommes coupables se sont ligués dans ces temps si difficiles contre le Seigneur et contre le Christ, et ont mis tout en oeuvre pour tromper les fidèles par les subtilités d'une fausse et vaine philosophie, et pour les arracher du sein de l'Église, dans la folle espérance de ruiner et de renverser cette même Église. Pour atteindre plus facilement ce but, la plupart d'entre eux ont formé des sociétés occultes, des sectes clandestines, se flattant par ce moyen d'en associer plus librement un plus grand nombre à leurs complots et à leurs desseins pervers.

Il y a longtemps que ce Saint Siège, ayant découvert ces sectes, s'éleva contre elles avec force et courage, et mit au grand jour les ténébreux desseins qu'elles formaient contre la religion et contre la société civile. Il y a déjà longtemps qu'il excita l'attention générale sur ce point, en provoquant la vigilance nécessaire pour que ces sectes ne pussent tenter l'exécution de leurs coupables projets. Mais il faut gémir de ce que le zèle du Saint-Siège n'a pas obtenu les effets qu'il attendait, et de ce que ces hommes pervers ne se sont pas désistés de leur entreprise, de laquelle sont enfin résultés tous les malheurs que nous avons vus. Bien plus, ces hommes, dont l'orgueil s'enfle sans cesse, ont osé former de nouvelles sociétés secrètes.

Dans le nombre il faut indiquer ici une société nouvellement formée, qui s'est propagée au loin dans toute l'Italie et dans d'autres contrées, et qui, bien que divisée en plusieurs branches et portant différents noms, suivant les circonstances, est cependant réellement une, tant par la communauté d'opinions et de vues que par sa constitution. Elle est le plus souvent désignée sous le nom de Carbonari. Ils affectent un singulier respect et un zèle tout merveilleux pour la religion catholique, et pour la doctrine et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ, qu'ils ont quelquefois la coupable audace de nommer leur grand-maître et le chef de leur société. Mais ces discours, qui paraissent plus doux que l'huile, ne sont autre chose que des traits dont se servent ces hommes perfides pour blesser plus sûrement ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Ils viennent à vous semblables à des brebis, mais ils ne sont au fond que des loups dévorants.

Sans doute, ce serment si sévère par lequel, à l'exemple des anciens Priscillianistes, ils jurent qu'en aucun temps et qu'en aucune circonstance ils ne révéleront quoique ce soit qui puisse concerner la société, à des hommes qui n'y seraient point admis, ou qu'ils ne s'entretiendront jamais avec ceux des derniers grades des choses relatives aux grades supérieurs ; de plus, ces réunions clandestines et illégitimes qu'ils forment à l'instar de plusieurs hérétiques, et cette agrégation de gens de toutes les religions et de toutes les sectes, dans leur société, montrent assez, quand même il ne s'y joindrait pas d'autres indices, qu'il ne faut avoir aucune confiance dans leurs discours.

Mais il n'est besoin ni de conjectures, ni de preuves, pour porter sur leurs discours le jugement que Nous venons d'énoncer. Leurs livres imprimés, dans lesquels on trouve ce qui s'observe dans leurs réunions, et surtout dans celles des grades supérieurs, leurs catéchismes, leurs statuts, d'autres documents authentiques et très dignes de foi, et les témoignages de ceux qui, après avoir abandonné cette société, en ont révélé aux magistrats les artifices et les erreurs ; tout prouve que les Carbonari ont principalement pour but de propager l'indifférence en matière de religion, le plus dangereux de tous les systèmes ; de donner à chacun la liberté absolue de se faire une religion suivant ses penchants et ses idées ; de profaner et de souiller la Passion du Sauveur par quelques-unes de leurs coupables cérémonies ; de mépriser les sacrements de l'Église (auxquels ils paraissent par un horrible sacrilège en substituer quelques-uns inventés par eux), et même les mystères de la religion catholique ; enfin, de renverser ce Siège Apostolique contre lequel, animés d'une haine toute particulière à cause de la primauté de cette Chaire (S. Aug. Epist. 43), ils trament les complots les plus noirs et les plus détestables.

Les préceptes de morale que donne la société des Carbonari ne sont pas moins coupables, comme le prouvent ces mêmes documents, quoiqu'elle se vante hautement d'exiger de ses sectateurs qu'ils aiment et pratiquent la charité et les autres vertus, et s'abstiennent de tout vice. Ainsi elle favorise ouvertement le plaisir des sens ; ainsi elle enseigne qu'il est permis de tuer ceux qui révéleraient le secret dont Nous avons parlé plus haut ; et quoique Pierre, le prince des apôtres, recommande aux chrétiens " de se soumettre pour Dieu, à toute créature humaine qu'il a établie au-dessus d'eux, soit au roi, comme étant le premier dans l'État, soit aux magistrats, comme étant les envoyés du roi, etc. " (Ep. I. cap. II, vers. 13) et quoique l'apôtre saint Paul ordonne que " tout homme sois soumis aux puissances plus élevées, " (Rom. cap. III, v. 14) cependant cette société enseigne qu'il est permis d'exciter des révoltes pour dépouiller de leur puissance les rois et tous ceux qui commandent, auxquels elle donne le nom injurieux de tyrans.

Tels sont les dogmes et préceptes de cette société, ainsi que tant d'autres qui y sont conformes. De là ces attentats commis dernièrement en Italie par les Carbonari, attentats qui ont tant affligé les hommes honnêtes et pieux. Nous donc qui sommes constitué le gardien de la maison d'Israël, qui est la sainte Église ; Nous qui, par Notre charge pastorale, devons veiller à ce que le troupeau du Seigneur, qui Nous a été divinement confié, n'éprouve aucun dommage, Nous pensons que, dans une cause si grave, il Nous est impossible de Nous abstenir de réprimer les efforts sacrilèges de cette société. Nous sommes aussi frappé de l'exemple de Nos prédécesseurs, d'heureuse mémoire, Clément XII et Benoît XIV, dont l'un, par sa constitution In eminenti du 28 avril 1738, et l'autre, par sa constitution Providas du 18 mai 1751, condamnèrent et prohibèrent la société De' Liberi Muratori ou des Francs-Maçons, ou bien les sociétés désignées par d'autres noms, suivant la différence des langues et des pays, sociétés qui ont peut-être été l'origine de celle des Carbonari ou qui certainement lui ont servi de modèle ; et quoique Nous ayons déjà expressément prohibé cette société par deux édits sortis de Notre Secrétairerie d'État, Nous pensons, à l'exemple de Nos prédécesseurs, que des peines sévères doivent être solennellement décrétées contre la société, surtout puisque les Carbonari prétendent qu'ils ne peuvent être compris dans les deux constitutions de Clément XII et de Benoît XIV, ni être soumis aux peines qui y sont portées.

En conséquence, après avoir entendu une congrégation choisie parmi Nos Vénérables Frères les Cardinaux, et sur l'avis de cette congrégation, ainsi que de Notre propre mouvement, et d'après une connaissance certaine des choses et une mûre délibération, et par la plénitude du pouvoir apostolique, Nous arrêtons et décrétons que la susdite société des Carbonari, ou de quelque autre nom qu'elle soit appelée, doit être condamnée et prohibée, ainsi que ses réunions, affiliations et conventicules, et Nous la condamnons et prohibons par Notre présente constitution, qui doit toujours rester en vigueur.

C'est pourquoi Nous recommandons rigoureusement, et en vertu de l'obéissance due au Saint Siège, à tous les chrétiens en général, et à chacun en particulier, quels que soient leur état, leur grade, leur condition, leur ordre, leur dignité et leur prééminence, tant aux laïques qu'aux ecclésiastiques, séculiers et réguliers ; Nous leur recommandons, disons-nous, de s'abstenir de fréquenter, sous quelque prétexte que ce soit, la société des Carbonari ou de la propager, de la favoriser, de la recevoir ou de la cacher chez soi ou ailleurs, de s'y affilier, d'y prendre quelque grade, de lui fournir le pouvoir et les moyens de se réunir quelque part, de lui donner des avis et des secours, de la favoriser ouvertement ou en secret, directement ou indirectement, par soi ou par d'autres, ou de quelque manière que se soit, ou d'insinuer, de conseiller, de persuader à d'autres de se faire recevoir dans cette société, de l'aider et de la favoriser ; enfin, Nous leur recommandons de s'abstenir entièrement de tout ce qui concerne cette société, de ses réunions, affiliations et conventicules, sous peine de l'excommunication, qu'encourront tous ceux qui contreviendraient à la présente constitution, et dont personne ne pourra recevoir l'absolution que de Nous, ou du Pontife Romain alors existant, à moins que ce ne soit à l'article de la mort.

Nous leur ordonnons en outre, sous la même peine de l'excommunication, réservée à Nous et aux Pontifes Romains Nos successeurs, de dénoncer aux Évêques ou à qui de droit tous ceux qu'ils connaîtraient pour être membre de cette société ou pour avoir trempé dans quelques-uns des complots dont Nous avons parlé.

Enfin, pour repousser plus efficacement tout danger d'erreur, Nous condamnons et Nous proscrivons ce que les Carbonari nomment leurs catéchismes, leurs livres où est écrit ce qui se passe dans leurs assemblées, leurs statuts, leurs codes, tous les livres écrits pour leur défense, soit imprimés, soit manuscrits, et défendons à tous les fidèles, sous la même peine d'excommunication, de lire ou de garder aucun de ces livres, leur ordonnant en même temps de les livrer tous aux autorités ordinaires et aux autres qui ont le droit de les recevoir.

Nous voulons qu'on ajoute aux copies des présentes même imprimées, signées de la main d'un notaire public, et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même foi que l'on ajouterait aux présentes, si elles étaient représentées ou montrées en original.

Qu'il ne soit donc permis à aucun homme d'enfreindre ou de contrarier, par une entreprise téméraire, cette Bulle de Notre confirmation, rénovation, approbation, commission, invocation, réquisition, décret et volonté. Si quelqu'un est assez téméraire pour le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu Tout-Puissant, et des bienheureux apôtres S. Pierre et S. Paul.


Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, le 13 septembre, de l'Incarnation de Notre Seigneur mil huit cent vingt-et-un, la vingt-deuxième année de Notre Pontificat.


LÉON XII

13 mars MDCCCXXVI.

LETTRE APOSTOLIQUE

DE N. S. P. LE PAPE LÉON XII



Condamnation de la société dite des francs-maçons et des autres sociétés secrètes



LÉON, ÉVÊQUE.


SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU.

Pour en conserver le perpétuel souvenir.

Plus sont grands les désastres qui menacent le troupeau de Jésus Christ, notre Dieu et Sauveur, plus doit redoubler, pour les détourner, la sollicitude des Pontifes Romains auxquels, dans la personne de saint Pierre, prince des apôtres, ont été conférés le pouvoir et le soin de conduire ce même troupeau. C'est à eux, en effet, comme étant placés au poste le plus élevé de l'Église, qu'il appartient de découvrir de loin les embûches préparées par les ennemis du nom chrétien pour exterminer l'Église de Jésus Christ (ce à quoi ils ne parviendront jamais) : c'est à eux qu'il appartient tantôt de signaler aux fidèles et de démasquer ces embûches, afin qu'ils s'en gardent, tantôt de les détourner et de les dissiper de leur propre autorité.

Les Pontifes Romains, Nos prédécesseurs, ayant compris qu'ils avaient cette grande tâche à remplir, veillèrent toujours comme de bons pasteurs, et s'efforcèrent, par des exhortations, des enseignements, des décrets, et en exposant même leur vie pour le bien de leurs brebis, de réprimer et de détruire entièrement les sectes qui menaçaient l'Église d'une ruine complète. Le souvenir de cette sollicitude pontificale ne se retrouve pas seulement dans les anciennes annales ecclésiastiques, on en retrouve d'éclatantes preuves dans ce qui a été fait de nos jours et du temps de nos pères par les Pontifes Romains, pour s'opposer aux associations secrètes des ennemis de Jésus Christ ; car Clément XII, Notre prédécesseur, ayant vu que la secte dite des Francs-Maçons, ou appelée d'un autre nom, acquérait chaque jour une nouvelle force, et ayant appris avec certitude, par de nombreuses preuves, que cette secte était non seulement suspecte mais ouvertement ennemie de l'Église catholique, la condamna par une excellente constitution qui commence par ces mots : In eminenti publiée le 28 avril 1738, et dont voici la teneur : (lien).

Cette Bulle ne parut pas suffisante à Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Benoît XIV, car le bruit s'était répandu que Clément XII étant mort, la peine d'excommunication portée par sa Bulle était sans effet, puisque cette Bulle n'avait pas été expressément confirmée par son successeur. Sans doute il était absurde de prétendre que les Bulles des anciens Pontifes dussent tomber en désuétude si elles n'étaient pas approuvées expressément par leurs successeurs, et il était évident que Benoît XIV avait ratifié la Bulle publiée par Clément XII. Cependant, pour ôter aux sectaires jusqu'au moindre prétexte, Benoît XIV publia une nouvelle Bulle commençant ainsi : Providas, et datée du 18 mars 1751 ; dans cette Bulle, il rapporta et confirma textuellement et de la manière la plus expresse celle de son prédécesseur. En voici la teneur : (lien).

Plût à Dieu que ceux qui avaient le pouvoir en main eussent su apprécier ces décrets autant que l'exigeait le salut de la religion et de l'État ! Plût à Dieu qu'ils eussent été convaincus qu'ils devaient voir dans les Pontifes Romains, successeurs de saint Pierre, non seulement les pasteurs et les chefs de l'Église catholique, mais encore les plus fermes appuis des gouvernements et les sentinelles les plus vigilantes pour découvrir les périls de la société ! Plût à Dieu qu'ils eussent employé leur puissance à combattre et à détruire les sectes dont le Siège Apostolique leur avait découvert la perfidie ! Ils y auraient réussi dès lors ; mais, soit que ces sectaires aient eu l'adresse de cacher leurs complots, soit que, par une négligence ou une imprudence coupable, on eût présenté la chose comme peu importante et devant être négligée, les Francs-Maçons ont donné naissance à des réunions plus dangereuses encore et plus audacieuses.

On doit placer à leur tête celle des Carbonari, qui paraîtrait les renfermer toutes dans son sein, et qui est la plus considérable en Italie et dans quelques autres pays. Divisée en différentes branches et sous des noms divers, elle a osé entreprendre de combattre la religion catholique et de lutter contre l'autorité légitime. Ce fut pour délivrer l'Italie et les autres pays, et spécialement les États du Souverain Pontife, de ce fléau qui avait été apporté par des étrangers dans le temps où l'autorité pontificale était entravée par l'invasion, que Pie VII, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, publia une Bulle, le 13 septembre 1821, commençant par ces mots : Ecclesiam a Jesu Christo. Elle condamne la secte dite des Carbonari sous les peines les plus graves, sous quelque dénomination et dans quelque pays qu'elle existe. En voici la teneur : (lien).

Il y avait peu de temps que cette Bulle avait été publiée par Pie VII, lorsque Nous avons été appelé, malgré la faiblesse de nos mérites, à lui succéder au Saint Siège. Nous Nous sommes aussitôt appliqué à examiner l'état, le nombre et la force de ces associations secrètes et Nous avons reconnu facilement que leur audace s'était accrue par les nouvelles sectes qui s'y sont rattachées. Celle qu'on désigne sous le nom d'Universitaire a surtout fixé notre attention ; elle a établi son siège dans plusieurs universités, où des jeunes gens, au lieu d'être instruits, sont pervertis par quelques maîtres, initiés à des mystères qu'on pourrait appeler des mystères d'iniquité, et formés à tous les crimes.

De là vient que si longtemps après que le flambeau de la révolte a été allumé pour la première fois en Europe par les sociétés secrètes, et qu'il a été porté au loin par ses agents, après les éclatantes victoires remportées par les plus puissants princes et qui Nous faisaient espérer la répression de ces sociétés ; cependant, leurs coupables efforts n'ont pas encore cessé : car, dans les mêmes contrées où les anciennes tempêtes paraissaient apaisées, n'a-t-on pas à craindre de nouveaux troubles et de nouvelles séditions que ces sociétés trament sans cesse ? N'y redoute-t-on pas les poignards impies dont ils frappent en secret ceux qu'ils ont désignés à la mort ? Combien de luttes terribles l'autorité n'a-t-elle pas eu à soutenir malgré elle, pour maintenir la tranquillité publique ?

On doit encore attribuer à ces associations les affreuses calamités qui désolent de toute part l'Église, et que Nous ne pouvons rappeler sans une profonde douleur : on attaque avec audace ses dogmes et ses préceptes les plus sacrés ; on cherche à avilir son autorité, et la paix dont elle aurait le droit de jouir est non seulement troublée, mais on pourrait dire qu'elle est détruite.

On ne doit pas s'imaginer que Nous attribuions faussement et par calomnie à ces associations secrètes tous les maux et d'autres que Nous ne signalons pas. Les ouvrages que leurs membres ont osé publier sur la religion et sur la chose publique, leur mépris pour l'autorité, leur haine pour la souveraineté, leurs attaques contre la divinité de Jésus-Christ et l'existence même d'un Dieu, le matérialisme qu'ils professent, leurs codes et leurs statuts, qui démontrent leurs projets et leurs vues, prouvent ce que Nous avons rapporté de leurs efforts pour renverser les princes légitimes et pour ébranler les fondements de l'Église ; et ce qui est également certain, c'est que ces différentes associations, quoique portant diverses dénominations, sont alliées entre elles par leurs infâmes projets.

D'après cet exposé, Nous pensons qu'il est de Notre devoir de condamner de nouveau ces associations secrètes, pour qu'aucune d'elles ne puisse prétendre qu'elle n'est pas comprise dans Notre sentence apostolique et se servir de ce prétexte pour induire en erreur des hommes faciles à tromper.

Ainsi, après avoir pris l'avis de Nos Vénérables Frères les Cardinaux de la sainte Église Romaine, de Notre propre mouvement, de Notre science certaine et après de mûres réflexions, Nous défendons pour toujours et sous les peines infligées dans les Bulles de Nos prédécesseurs insérées dans la présente et que Nous confirmons, Nous défendons, disons-Nous, toutes associations secrètes, tant celles qui sont formées maintenant que celles qui, sous quelque nom que ce soit, pourront se former à l'avenir, et celles qui concevraient contre l'Église et toute autorité légitime les projets que Nous venons de signaler.

C'est pourquoi Nous ordonnons à tous et à chaque chrétien, quels que soient leur état, leur rang, leur dignité ou leur profession, laïques ou prêtres, réguliers ou séculiers, sans qu'il soit nécessaire de les nommer ici en particulier, et, en vertu de la sainte obéissance, de ne jamais se permettre, sous quelque prétexte que ce soit, d'entrer dans les susdites sociétés, de les propager, de les favoriser ou de les recevoir ou cacher dans sa demeure ou autre part, de se faire initier à ces sociétés dans quelque grade que ce soit, de souffrir qu'elles se rassemblent ou de leur donner des conseils ou des secours ouvertement ou en secret, directement ou indirectement, ou bien d'engager d'autres, de les séduire, de les porter ou de les persuader à se faire recevoir ou initier dans ces sociétés, dans quelque grade que ce soit, ou d'assister à leurs réunions, ou de les aider ou favoriser de quelque manière que ce soit ; au contraire, qu'ils se tiennent soigneusement éloignés de ces sociétés, de leurs associations, réunions ou assemblées, sous peine d'excommunication dans laquelle ceux qui auront contrevenu à cette défense tomberont par le fait même, sans qu'ils puissent jamais en être relevés que par Nous ou Nos successeurs, si ce n'est en danger de mort.

Nous ordonnons en outre à tous et à chacun, sous peine de l'excommunication réservée à Nous et à Nos successeurs, de déclarer à l'évêque et aux autres personnes que cela concerne, dès qu'ils en auront connaissance, si quelqu'un appartient à ces sociétés ou s'est rendu coupable de quelques-uns des délits susmentionnés.

Nous condamnons surtout et Nous déclarons nul le serment impie et coupable par lequel ceux qui entrent dans ces associations s'engagent à ne révéler à personne ce qui regarde ces sectes, et à frapper de mort les membres de ces associations qui feraient des révélations à des supérieurs ecclésiastiques ou laïques. N'est-ce pas, en effet, un crime que de regarder comme un lien obligatoire, un serment, c'est-à-dire un acte qui doit se faire en toute justice, et où l'on s'engage à commettre un assassinat, et à mépriser l'autorité de ceux qui, étant chargés du pouvoir ecclésiastique ou civil, doivent connaître tout ce qui est important pour la religion et la société, et ce qui peut porter atteinte à leur tranquillité ? N'est-ce pas indigne et inique de prendre Dieu à témoin de pareils attentats ? Les Pères du Concile de Latran ont dit avec beaucoup de sagesse (can. 3) " qu'il ne faut pas considérer comme serment, mais plutôt comme parjure tout ce qui a été promis au détriment de l'Église et contre les règles de la tradition. " Peut-on tolérer l'audace ou plutôt la démence de ces hommes qui, disant, non seulement en secret, mais hautement, qu'il n'y a point de Dieu, et le publiant dans leurs écrits, osent cependant exiger en son nom un serment de ceux qu'ils admettent dans leur secte ?

Voilà ce que Nous avons arrêté pour réprimer et condamner toutes les sectes odieuses et criminelles. Maintenant, Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques, Nous demandons, ou plutôt Nous implorons votre secours ; donnez tous vos soins au troupeau que le Saint-Esprit vous a confié en vous nommant évêques de son Église. Des loups dévorants se précipiteront sur vous et n'épargneront pas vos brebis. Soyez sans crainte, et ne regardez pas votre vie comme plus précieuse que vous-mêmes. Soyez convaincus que la constance de vos troupeaux dans la religion et dans le bien dépend surtout de vous ; car, quoique nous vivions dans des jours mauvais et où plusieurs ne supportent pas la saine doctrine, cependant beaucoup de fidèles respectent encore leurs pasteurs, et les regardent avec raison comme les ministres de Jésus-Christ et les dispensateurs de ses mystères. Servez-vous donc, pour l'avantage de votre troupeau, de cette autorité que Dieu vous a donnée sur leurs âmes par une grâce signalée. Découvrez-leur les ruses des sectaires et les moyens qu'ils doivent employer pour s'en préserver. Inspirez-leur de l'horreur pour ceux qui professent une doctrine perverse, qui tournent en dérision les mystères de notre religion et les préceptes si purs de Jésus-Christ, et qui attaquent la puissance légitime. Enfin, pour Nous servir des paroles de Notre prédécesseur Clément XIII, dans sa Lettre encyclique A quo die à tous les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques de l'Église catholique, en date du 14 septembre 1758 :

" Pénétrons-nous, je vous en conjure, de la force de l'Esprit du Seigneur, de l'intelligence et du courage qui en sont le fruit, afin de ne pas ressembler à ces chiens qui ne peuvent aboyer, laissant nos troupeaux exposés à la rapacité des bêtes des champs. Que rien ne nous arrête dans le devoir où nous sommes de souffrir toutes sortes de combats pour l'amour de Dieu et le salut des âmes. Ayons sans cesse devant les yeux celui qui fut aussi, pendant sa vie, en butte à la contradiction des pécheurs ; car si nous nous laissons ébranler par l'audace des méchants, c'en est fait de la force de l'épiscopat, de l'autorité sublime et divine de l'Église. Il ne faut plus songer à être chrétiens si nous en sommes venus au point de trembler devant les menaces ou les embûches de nos ennemis. "

Princes catholiques, Nos très chers fils en Jésus Christ, pour qui Nous avons une affection particulière, Nous vous demandons avec instance de venir à Notre secours. Nous vous rappellerons ces paroles que Léon le Grand, notre prédécesseur et dont Nous portons le nom, quoique indigne de lui être comparé, adressait à l'empereur Léon : " Vous devez sans cesse vous rappeler que la puissance royale ne vous a pas seulement été conférée pour gouverner le monde, mais encore et principalement pour prêter main forte à l'Église, en comprimant les méchants avec courage, en protégeant les bonnes lois, en rétablissant l'ordre dans toutes les choses où il a été troublé ". Les circonstances actuelles sont telles que vous avez à réprimer ces sociétés secrètes, non seulement pour défendre la religion catholique, mais encore pour votre propre sûreté et pour celle de vos sujets. La cause de la religion est aujourd'hui tellement liée à celle de la société, qu'on ne peut plus les séparer ; car ceux qui font partie de ces associations ne sont pas moins ennemis de votre puissance que de la religion. Ils attaquent l'une et l'autre et désirent également les voir renversées ; et s'ils le pouvaient, ils ne laisseraient subsister ni la religion ni l'autorité royale.

Telle est la perfidie de ces hommes astucieux, que, lorsqu'ils forment des voeux secrets pour renverser votre puissance, ils feignent de vouloir l'étendre. Ils essaient de persuader que Notre pouvoir et celui des évêques doit être restreint et affaibli par les princes, et qu'il faut transférer à ceux-ci les droits, tant de cette Chaire apostolique et de cette Église principale, que des évêques appelés à partager Notre sollicitude.

Ce n'est pas la haine seule de la religion qui anime leur zèle, mais l'espoir que les peuples soumis à votre empire, en voyant renverser les bornes posées dans les choses saintes par Jésus-Christ et son Église, seront amenés facilement par cet exemple à changer ou à détruire aussi la forme du gouvernement.

Vous aussi, Fils chéris, qui professez la religion catholique, Nous vous adressons particulièrement Nos prières et Nos exhortations. Évitez avec soin ceux qui appellent la lumière ténèbres et les ténèbres lumière. En effet, quel avantage auriez-vous à vous lier avec des hommes qui ne tiennent aucun compte ni de Dieu ni des puissances, qui leur déclarent la guerre par des intrigues et des assemblées secrètes, et qui, tout en publiant tout haut qu'ils ne veulent que le bien de l'Église et de la société, prouvent par toutes leurs actions qu'ils cherchent à porter le trouble partout et à tout renverser ? Ces hommes sont semblables à ceux à qui l'apôtre saint Jean ordonne de ne pas donner l'hospitalité, et qu'il ne veut pas qu'on salue (IIe Épître, v. 10) ; ce sont les mêmes que nos pères appelaient les premiers nés du démon.

Gardez-vous donc de leurs séductions et des discours flatteurs qu'ils emploieront pour vous faire entrer dans les associations dont ils font partie. Soyez convaincus que personne ne peut être lié à ces sociétés sans se rendre coupable d'un péché grave : fermez l'oreille aux paroles de ceux qui, pour vous attirer dans leurs assemblées, vous affirmeront qu'il ne se commet rien de contraire à la raison et à la religion, et qu'on n'y voit et n'y entend rien que de pur, de droit et d'honnête. D'abord ce serment coupable dont Nous avons parlé, et qu'on prête même dans les grades inférieurs, suffit pour que vous compreniez qu'il est défendu d'entrer dans ces premiers grades et d'y rester ; ensuite, quoique l'on n'ait pas coutume de confier ce qu'il y a de plus compromettant et de plus criminel à ceux qui ne sont pas parvenus à des grades éminents, il est cependant manifeste que la force et l'audace de ces sociétés pernicieuses s'accroissent en raison du nombre et de l'accord de ceux qui en font partie. Ainsi ceux qui n'ont pas passé les rangs inférieurs doivent être considérés comme les complices du même crime, et cette sentence de l'apôtre (Épître aux Romains, ch. 1) tombe sur eux : " Ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non seulement ceux qui les font, mais même ceux qui s'associent à ceux qui s'en rendent coupables ".

Enfin, Nous Nous adressons avec affection à ceux qui, malgré les lumières qu'ils avaient reçues, et la part qu'ils avaient eue au don céleste et aux grâces de l'Esprit-Saint, ont eu le malheur de se laisser séduire et d'entrer dans ces associations, soit dans les rangs inférieurs, soit dans les degrés plus élevés. Nous qui tenons la place de Celui qui a déclaré qu'il n'était pas venu appeler les justes mais les pêcheurs, et qui s'est comparé au pasteur qui, abandonnant le reste de son troupeau, cherche avec inquiétude la brebis qu'il a perdue, Nous les pressons et Nous les prions de revenir à Jésus Christ. Sans doute ils ont commis un grand crime, cependant ils ne doivent point désespérer de la miséricorde et de la clémence de Dieu et de son Fils Jésus Christ ; qu'ils rentrent dans les voies du Seigneur, il ne les repoussera pas ; mais semblable au père de l'enfant prodigue, il ouvrira ses bras pour les recevoir avec tendresse. Pour faire tout ce qui est en Notre pouvoir et pour leur rendre plus facile le chemin de la pénitence, Nous suspendons pendant l'espace d'un an après la publication de ces Lettres apostoliques dans le pays qu'ils habitent, l'obligation de dénoncer leurs frères, et Nous déclarons qu'ils peuvent être relevés de ces censures, même en ne dénonçant pas leurs complices, par tout confesseur approuvé par les Ordinaires des lieux qu'ils habitent.

Nous usons également de la même indulgence à l'égard de ceux qui demeurent à Rome. Si quelqu'un (ce qu'à Dieu ne plaise !) était assez endurci pour ne pas abandonner ces sociétés dans le temps que Nous avons prescrit, il sera tenu de dénoncer ses complices, et il sera sous le poids des censures s'il revient à résipiscence après cette époque ; il ne pourra obtenir l'absolution qu'après avoir dénoncé ses complices, ou au moins juré de les dénoncer le plus tôt possible. Cette absolution ne pourra être donnée que par Nous, Nos successeurs ou ceux qui auront obtenu du Saint-Siège la faculté de relever de ces censures.

Nous voulons que les exemplaires imprimés du présent Bref apostolique, lorsqu'ils seront signés de la main d'un notaire public et munis du sceau d'un dignitaire de l'Église, obtiennent la même foi que l'original.

Que personne ne se permette d'enfreindre ou de contredire Notre présente déclaration, condamnation, ordre, défense, invocation, réquisition, décret et volonté. Si, néanmoins, quelqu'un se le permettait, qu'il sache qu'il s'attire par là la colère du Dieu tout-puissant et des saints apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, l'année de l'Incarnation de Notre-Seigneur 1825, le 3 des ides de Mars (13 mars), de notre Pontificat l'an II.

(Cette bulle est daté suivant l'ancien usage de la chancellerie romaine, qui commençait les années de l'Incarnation au 25 mars ; ainsi sa date répond au 13 mars de l'année 1826.)




Textes du magistère - ou Constitution par laquelle N. S. P. le Pape Pie VII rétablit la compagnie de Jésus.