Paul VI Homélies 20809


Autour de Pierre, les représentants des Evêques de l'Eglise universelle

SYNODE EXTRAORDINAIRE DES ÉVÊQUES

MESSE D'OUVERTURE Chapelle Sixtine, Samedi 11 octobre 1969

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 « CHARITE ET UNITE DOIVENT GUIDER LE PROGRES POST-CONCILIAIRE »




Le samedi 2 octobre (11 ocotbre ?), à 10 h., à la chapelle Sixtine, le Pape a célébré la messe d'ouverture du Synode extraordinaire des évêques. A l'Evangile, le Saint-Père a prononcé le discours suivant :



Frères !



Le récent Concile, vous le savez, a mis davantage en évidence le caractère communautaire de l'Eglise, dont il est un aspect constitutif fondamental. Ce caractère, considéré en lui-même, ne couvre pas toute la réalité de l'Eglise, qui, à un observateur plus attentif, apparaît comme le corps mystique du Christ, composé de l'unité et de la distinction des organes et des fonctions ; toutefois, la communion, sous son double aspect de communion dans le Christ avec ceux qui croient en lui et même, virtuellement, avec toute l'humanité, a fait l'objet, d'une façon particulière, des réflexions du Concile, spécialement lorsque celui-ci a mis en relief la communion qui intervient dans l'Episcopat ; et, en se souvenant que l'Episcopat succède légitimement aux Apôtres, et que ceux-ci constituaient un groupe particulier, choisi et voulu par le Christ, il a paru heureux de reprendre le concept et le terme de collégialité, en l'appliquant à l'ordre épiscopal. « De même que saint Pierre et les autres Apôtres — dit le Concile — constituent, par ordre du Seigneur, un seul Collège apostolique, ainsi le Pontife romain, successeur de Pierre, et les évêques, successeurs des Apôtres, sont-ils unis entre eux » (Lumen gentium,
LG 22).

Ainsi, Nous avons été le premier à comprendre l'agréable devoir qui découle de ce rappel du dessein de Dieu sur la charge apostolique, laquelle annonce le message de la foi au Peuple de Dieu, lui confère les mystères de la grâce et le guide en son cheminement sur la terre et dans le temps ; ce devoir, c'est celui de donner plus d'ampleur et d'efficacité au caractère collégial de l'Episcopat, étant en cela guidé par la conception fondamentale de la fraternité, qui unit en communion tous les adeptes du Christ, et qui s'enrichit d'une plus grande plénitude dans les Evêques, en tant qu'héritiers de ces titres que le Christ lui-même attribua aux disciples élus, appelés par lui Apôtres (Lc 6,13), confidents du mystère du royaume de Dieu (Mc 4,11), ses amis (Jn 15,14-15), ses témoins (Ac 1,8), destinés à la grande mission d'annoncer et d'actuer l'Evangile (Mt 28,19), en esprit d'humilité (Jn 13,14) et de service (Lc 22,26), « pour l'oeuvre du ministère, en vue de la construction du corps du Christ » (Ep 4,12).

Nous croyons avoir déjà donné la preuve de Notre volonté d'assurer concrètement le développement de la collégialité épiscopale ; soit en instituant le Synode des Evêques, soit en reconnaissant les Conférences Episcopales, soit en associant quelques-uns de nos Frères dans l'Episcopat ; Pasteurs résidant dans leurs diocèses, au ministère propre de notre Curie romaine ; et, si la grâce du Seigneur nous assiste, si la concorde fraternelle vient faciliter nos rapports mutuels, l'exercice de la collégialité sous d'autres formes canoniques pourra avoir un plus ample développement. Les discussions du Synode extraordinaire, en définissant la nature et les pouvoirs des Conférences Episcopales, ainsi que leurs rapports avec les termes canoniques opportuns et en confirmation de la doctrine des Conciles Vatican I et Vatican II sur le pouvoir du successeur de Saint Pierre, et celui du Collège des Evêques, avec le Pape son Chef.

Mais avant de commencer les travaux du prochain Synode, arrêtons-nous un moment, Frères, dans la célébration du mystère eucharistique, point culminant de l'unité du corps mystique, pour nous rappeler non pas tellement l'aspect juridique de la collégialité, ni les expressions par lesquelles elle s'est manifestée historiquement, ni même — ce qui compte le plus, mais que nous supposons, présent à nos âmes — la pensée du Christ, qui l'a conçue et instituée, mais la valeur morale et spirituelle que la collégialité doit assumer en chacun de nous, et de nous tous ensemble.

Réfléchissons en effet : il existe entre nous, qui avons été choisis pour succéder aux Apôtres, un lien spécial, le lien de la collégialité. Qu'est-ce que la collégialité, sinon une communion, une solidarité, une fraternité, une charité plus abondante et plus pressante que n'est le rapport d'amour chrétien entre les fidèles ou entre les disciples du Christ associés au sein de divers autres groupements ? La collégialité est charité. Si l'appartenance au corps mystique du Christ fait dire à Saint Paul : « Si quid patitur unum membrum, compatiuntur omnia membra ; sive gloriatur unum membrum, congaudent omnia membra » (1Co 12,26), quel doit être le retentissement spirituel de la sensibilité commune pour l'intérêt aussi bien général que particulier de l'Eglise en ceux qui, dans l'Eglise, ont de plus grands devoirs ? La collégialité est coresponsabilité. Et quel signe plus clair du caractère de disciples authentiques le Seigneur a-t-il voulu, pour le groupe des Apôtres assis près de lui à la cène de l'ultime adieu, sinon celui d'un mutuel amour : « In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad invicem » (Jn 13,15). La collégialité est un amour bien visible que les Evêques doivent alimenter entre eux. Et puisque la collégialité insère chacun de nous dans l'orbite de la structure apostolique destinée à l'édification de l'Eglise dans le monde, elle nous oblige à une charité universelle. La charité collégiale n'a pas de limite. A qui finalement, sinon aux Apôtres fidèles, le Seigneur a-t-il adressé ses ultimes recommandations rendues sublimes par la prière toute d'extase qui conclut les derniers discours de la dernière cène : « Ut unum sint » (Jn 17,23) ?

C'est ainsi que, pensons-Nous, en traitant des rapports des Evêques regroupés dans ces nouvelles associations territoriales, auxquelles on donne le nom de Conférences épiscopales, comme aussi des relations des Conférences elles-mêmes avec le Siège Apostolique et entre elles, une considération doit l'emporter sur les autres dans nos âmes, celle de la charité qui, dans l'unité de la foi, doit informer la communion hiérarchique de l'Eglise.

Que par conséquent sur ces deux principes, la charité et l'unité, soient orientées les lignes directrices du progrès postconciliaire de la communion ecclésiale vers ce niveau supérieur qui porte la marque de la collégialité épiscopale. Ces lignes Nous semblent être au nombre de deux : l'une tend à accorder honneur et con-, fiance à l'ordre épiscopal ; et nous aurons soin de reconnaître, dans une mesure plus juste, à nos Frères dans l'épiscopat, cette plénitude de prérogatives et de facultés qui dérivent pour eux du caractère sacramentel de leur élection aux fonctions pastorales dans l'Eglise ainsi que de leur communion effective avec ce Siège Apostolique ; et cette ligne ne sera pas freinée ni interrompue, si l'application du critère de subsidiarité, vers lequel elle s'oriente, vient à être modérée avec une humble et sage prudence, de telle sorte que le bien commun de l'Eglise ne soit pas compromis par de multiples et excessives autonomies particulières, nuisibles à l'unité et à la charité — lesquelles doivent faire de l'Eglise « un seul coeur et une seule âme » (Ac 4,32) — et fautrices d'émulations ambitieuses et d'égoïsmes clos. Cette ligne ne sera pas non plus démentie si l'autre critère du pluralisme doit être précisé de sorte qu'il ne touche pas la foi — qui ne peut admettre ce pluralisme — ni la discipline générale de l'Eglise, qui ne supporte ni l'arbitraire ni la confusion, au détriment de l'harmonie fondamentale de la pensée, de la vie habituelle de l'ensemble du Peuple de Dieu, et de la collégialité elle-même.

L'autre ligne, issue elle aussi de la grande estime dans laquelle nous devons tenir la collégialité épiscopale, et qui sera également suivie loyalement par nous, conduit l'Episcopat à une participation plus organique et à une coresponsabilité plus solidaire dans le gouvernement de l'Eglise universelle. Nous croyons avec confiance, et d'ailleurs Nous Nous l'entendons avec joie répéter par beaucoup, que cela se présente comme un avantage commun, comme Notre réconfort et Notre soutien dans la rude et croissante fatigue de Notre charge apostolique, comme un témoignage plus clair de la foi unique et de la véritable charité qui doivent apparaître au sommet hiérarchique de l'Eglise plus que partout ailleurs et aujourd'hui plus que jamais, dans un éclat nouveau et une ardeur accrue. Déjà, comme Nous le disions, Nous sommes engagés sur cette route, avec l'aide de Dieu et grâce à vous. Frères vénérés, nous poursuivrons notre chemin. Mais sur ce point encore, il reste bien clair que le gouvernement de l'Eglise ne doit pas assumer les aspects et les normes des régimes d'ordre temporel dirigés aujourd'hui soit par des institutions démocratiques, parfois excessives, soit encore par des formes totalitaires contraires à la dignité de l'homme qui leur est assujetti : le gouvernement de l'Eglise revêt une forme originale qui vise à refléter dans ses expressions la sagesse et la volonté de son divin Fondateur. C'est là et sous cet aspect que nous devons nous souvenir de la responsabilité suprême que le Christ a voulu nous confier lorsqu'il a consigné à Pierre les clés du royaume et qu'il l'a constitué fondement de l'édifice ecclésial, lui confiant le charisme très délicat de confirmer ses Frères (Lc 22,32), recevant de lui la plus grande et la plus ferme profession de foi (Mt 16,17 Jn 6,68), et lui demandant une singulière et triple confession d'amour qui doit se traduire dans la vertu fondamentale de charité pastorale (Jn 21,15 ss.). La responsabilité que la Tradition et les Conciles attribuent à Notre ministère spécifique de Vicaire du Christ, de Chef du Collège apostolique, de Pasteur universel et de Serviteur des serviteurs de Dieu, et qui ne pourra être conditionnée par l'autorité, même suprême, du Collège apostolique, laquelle nous voulons le premier honorer, défendre et promouvoir, mais qui ne serait pas telle s'il lui manquait notre suffrage.

Charité et unité. Voilà notre méditation à l'ouverture du Synode extraordinaire sur lequel, par la célébration du sacrifice eucharistique, nous implorons la lumière et l'assistance de l'Esprit-Saint.

N'est-ce pas en ce moment dédié à la réflexion et à l'affirmation de la Collégialité, en ce jour de la divine Maternité de la Très Sainte Vierge Marie, qu'il convient de nous recueillir avec une âme intimement émue au souvenir des Apôtres dans le Cénacle, eux qui, dans l'attente du Paraclet, étaient « assidus d'un même coeur à la prière avec... Marie Mère de Jésus » (Ac 1,14) ? Et, dans une telle union d'esprit, n'est-ce pas aussi le moment de faire nôtres les acclamations de la liturgie du Jeudi-Saint ? « Ubi caritas et amor, Deus ibi est. Congregavit nos in unum Christi amor. Exultemus et in Ipso jucundemur. Timeamus et amemus Deum vivum. Et ex corde diligamus nos sincero ».

Amen. Amen.






25 octobre

CONCELEBRATION A SAINTE-MARIE-MAJEURE

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Le samedi, 25 octobre, en fin d'après-midi, le Saint-Père, entouré par les Pères du Synode, a assisté à une concélébration solennelle en la basilique de Sainte-Marie-Majeure. A l'Evangile, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :



Vénérables frères et fils très chers dans le Christ,



Aucun d'entre nous, certainement, ne s'étonnera de cette « station » que Nous, faisons, pendant le Synode extraordinaire des Evêques, à la basilique de Sainte-Marie-Majeure, à ce sanctuaire historique et vénéré de la piété mariale, si cher à l'Eglise de Rome ; et chacun de nous sentira plutôt renaître en lui un besoin spontané d'exprimer pleinement sa propre dévotion à la Bienheureuse Vierge Marie, au moment où notre réflexion sur notre vocation à l'appartenance au Corps mystique du Christ, qui est l'Eglise, nous invite à évoquer et à vénérer celle qui fut la bienheureuse mère du corps physique du Fils de Dieu, qui s'est fait Fils de l'homme (cf. S. augustin, PL 40, 399).

Il peut arriver parfois, que, même nous qui sommes revêtus du sacerdoce du Christ, pris par le désir de justifier le culte catholique dû à Marie, par la controverse et les discussions apologétiques avec ceux qui en combattent la légitimité ou cherchent à en diminuer les raisons, nous soyons tentés d'alléguer les titres bibliques, théologiques, traditionnels, affectifs, par lesquels se manifeste habituellement la dévotion à la Vierge, et que nous laissons quelque peu dépérir l'expression vécue et filiale de notre piété envers elle, trouvant peut-être moins facile aujourd'hui qu'autrefois d'entretenir des relations spirituelles pieuses et cordiales avec Marie, qui, Mère du Christ selon la chair, est aussi notre Mère selon l'esprit, et Mère de l'Eglise. Mais voici que nous, réunis en Synode, ou attirés par sa célébration et ses thèmes d'études auxquels tous s'intéressent, nous avons éprouvé instinctivement le besoin de terminer l'assemblée synodale près de Marie, sous son regard maternel.

En effet, réfléchissant une fois de plus sur l'Eglise, sur son caractère essentiel de communion hiérarchique, sur le fait et le mystère de la puissance génératrice conférée à certains élus et ministres du Peuple de Dieu, Nous avons été frappé, une fois de plus, par le rapport qui existe entre Marie et l'Eglise, et spécialement entre ces membres de l'Eglise qui ont pour fonction particulière d'exprimer, par le ministère de la parole, la Parole de Dieu, de répandre par les sacrements l'Esprit, source de vie et de sainteté, d'exercer avec autorité le service de la conduite pastorale des fidèles dans le pèlerinage temporel et eschatologique, autrement dit entre nous, prêtres et pasteurs, et la Très Sainte Vierge Marie. C'est à cause de ce rapport que nous sommes ici réunis ce soir.

C'est un rapport d'analogie : Marie est la Mère du Christ, l'Eglise est la Mère des chrétiens ; et plus cet aspect de l'Eglise devient évident, et dans sa dimension historique, en chaque Eglise locale et dans cette Eglise romaine — et en particulier dans cette Basilique, appelée « la Bethléem de Rome » (grisar) —, plus le rapprochement, la comparaison, la parenté entre Marie et l'Eglise devient facile et s'impose. Il faut ici rappeler une idée fondamentale de la théologie et de la dévotion mariale, une idée ancienne, que le Concile nous a rappelée (Lumen gentium,
LG 63) : celle de Saint Ambroise, qui définit Marie comme le « type de l'Eglise » (PL 15, 1555), ou encore « la figure de l'Eglise » (PL 16, 326) ; expression à laquelle Saint Augustin fait écho : « Elle (Marie) nous a montré en elle la figure de l'Eglise» (PL 40, 661) ; car la génération maternelle et surnaturelle des fidèles par l'Eglise. Ce parallélisme nous rapproche encore plus de Marie : toute la plénitude de grâces qui a fait de Marie la « toute belle », la très sainte, l'immaculée, n'a-t-elle pas quelque correspondance dans la richesse de grâce, qui a été versée en nous, quand l'ordination sacrée nous a assimiles au Christ dans les charismes de la sainteté et du pouvoir ministériel ? Il sera toujours bon pour nous de faire de Marie notre miroir sacerdotal, « miroir de justice » ...

La méditation se prolonge sans fin, et passe de la sphère mystique à la sphère morale. Marie est le modèle de l'Eglise (cf. Lumen gentium, LG 53). Elle « contient d'une manière éminente toutes les grâces et les perfections » de l'Eglise (olier) ; celles que nous devrions et voudrions avoir. Marie est éducatrice. Elle est notre éducatrice, à nous dont la fonction est d'être, par la doctrine et l'exemple, éducateurs du Peuple de Dieu. Et qu'est-ce que nous enseigne Marie ? Oh! nous le savons ; tout l'Evangile.

Mais à nous, spécialement ? Aujourd'hui ?

L'étude devient prière. Marie ! Elle nous enseigne l'amour ; Marie obtient l'amour ; Marie, qui a conçu le Christ par l'oeuvre de l'Esprit-Saint, l'Amour-Dieu vivant, préside à la naissance de l'Eglise au jour de la Pentecôte, lorsque le même Esprit-Saint remplit le groupe des disciples — et au premier rang d'entre eux, les Apôtres —, et vivifie dans l'unité et la charité le corps mystique et historique des chrétiens, l'humanité rachetée. Nous sommes venus ici pour implorer, par l'intercession de Marie, la continuation perpétuelle de ce même miracle, et obtenir d'elle, comme d'une source, un nouveau fleuve de l'Esprit-Saint. Parce que nous avons redécouvert la communion ecclésiale, qu'au niveau apostolique nous appelons collégialité, c'est-à-dire une intercommunion de charité et d'efficience apostolique, que nous voulons en cet âge fatidique du monde et de l'Eglise mieux honorer et rendre plus opérante dans le sentiment et dans l'action, au moyen de l'amour; cet Amour qui donna à Marie la faculté d'enfanter le Christ, et que nous implorons pour nous, afin d'être capables d'accomplir notre mission d'engendrer le Christ au monde. Et c'est pour nous avant tout que nous demandons cet Amour, qui en descendant en nous s'appelle la grâce, et qui, remontant de nous en un « fiat » qui fait écho à celui de Marie, est notre oblation, et notre charité, dont nous espérons que jamais elle ne s'éteindra dans les années de notre vie mortelle, afin qu'elle brûle pour toujours dans notre vie immortelle. Marie, c'est l'amour que nous demandons, l'amour pour le Christ, l'amour unique, l'amour suprême, l'amour total, l'amour-don, l'amour-sacrifice ; apprends-nous ce que déjà nous connaissons et que déjà nous professons humblement et fidèlement : à être immaculés, comme toi ; à être chastes dans cet engagement sublime et redoutable qu'est notre célibat sacré, aujourd'hui où il est si discuté par beaucoup et si incompris par quelques-uns. Nous savons ce qu'il est : il est, plus encore qu'un état, un acte continu, une flamme toujours ardente, il est une vertu surhumaine, et donc qui a besoin d'un soutien surnaturel. Toi ô Marie, toujours vierge, fais-nous comprendre maintenant, non seulement la nature paradoxale de cet état — qui est propre au sacerdoce latin, et, pour l'ordre épiscopal et l'état religieux, aux Eglises d'Orient —, mais sa valeur : l'héroïcité, la beauté, la joie, la force ; la force et l'honneur d'un ministère sans réserve, tendu tout entier vers le don et le sacrifice de soi dans le service des hommes ; la crucifixion de la chair (Ga 5,24), l'engagement absolu pour le règne de Dieu ; Marie, aide-nous à comprendre, à comprendre de nouveau ce mystérieux appel à la consécration sans partage à la suite du Christ (cf. Mt 19,12). A aimer ainsi, aide-nous.

Et la prière se poursuit. Nous avons noté comment les pages du Concile qui te sont dédiées, O Vierge Fidèle, reconnaissent en Toi une vertu première ; la première vertu qui nous unit à Dieu, la foi. Quiconque pénètre au plus profond du diagnostic des besoins en cette heure de tempête pour la société, et, par reflet, pour l'Eglise de Dieu, voit que ce qui contribue le plus à mettre l'Eglise en communion avec le Christ, et par conséquent avec Dieu et avec les hommes, c'est avant tout, la foi : la foi surnaturelle, la foi simple, pleine et forte, la foi sincère, puisée à la source authentique, la Parole de Dieu, et à son canal indéfectible, le magistère institué et garanti par le Christ, la foi vive. O Toi, la « bienheureuse qui as cru » (Lc 1,45), affermis-nous par ton exemple, et obtiens-nous ce charisme. Comment pourrons-nous être ceux qui marchent à la suite du Christ, si le doute, si la négation affaiblissent notre certitude ? (cf. Jn 6,67). Comment pourrons-nous être des témoins, comme apôtres, si la vérité de la foi s'obscurcit dans nos esprits ?

Et puis, ô Marie, nous demanderons aussi que ton exemple et ton intercession nous donnent l'espérance. Spes nostra, salve ! Oui, d'espérance aussi, nous avons besoin, et combien ! O Marie, toi qui es, comme dit le Concile en conclusion de sa grande leçon sur l'Eglise de Dieu (Lumen gentium, LG 68), celle qui représente et inaugure l'Eglise qui doit trouver son achèvement dans le siècle futur, de même Tu es sur la terre celle qui resplendit maintenant devant le Peuple de Dieu, signe d'indestructible espérance et de consolation, O Mater Ecclesiae !




MESSE DE MINUIT

Noël, 25 décembre 1969

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Noël: la rencontre avec le Christ.

Cette célébration nocturne revêt un caractère symbolique. Elle est le symbole de l’homme qui marche dans la nuit et qui cherche. Il cherche une lumière, il cherche sa propre direction, il cherche la rencontre avec un Homme qui lui est nécessaire, un Homme qu’il lui faut absolument trouver.

Cela signifie que le sens profond de cette cérémonie inaccoutumée est, avant tout autre, une prise de conscience de nous-même. Qui sommes-nous ? Nous sommes des êtres humains qui marchons dans les ténèbres. Oui, si notre vie, sous tant d’aspects, est pleine de lumière: lumière de la pensée, de la science, de l’histoire et de l’expérience, lumière du progrès moderne, à un autre point de vue plus important et décisif, et qui nous concerne nous-mêmes, comme notre existence personnelle et notre destin -, cette même vie est dans l’obscurité. C’est l’obscurité du doute, qui semble tout envahir comme une nuit totale, l’obscurité de notre solitude intérieure, l’obscurité qui règne jusque sur le monde dans lequel nous vivons,. et que nous connaissons bien, mais qui devient toujours plus mystérieux à mesure qu’il se manifeste: qu’est-il réellement? Que signifie-t-il, au fond? Que vaut-il, en fine de compte? Voilà quelles sont nos ténèbres. Il y aurait de quoi gémir et désespérer si nous n’étions soutenus par une prodigieuse énergie intérieure qui nous pousse à poursuivre notre recherche, et par une joyeuse espérance qui, cette nuit, envahit et exalte nos esprits : l’espoir de trouver ce que nous cherchons, de trouver, disions-nous, l’Homme nécessaire, l’Homme qui sait tout sur nous-mêmes (cfr. Io
Jn 2,25), l’Homme qui peut nous sauver.

Dans notre recherche, nous ne sommes d’ailleurs pas dépourvus d’une certaine lumière qui éclaire nos pas et qui, cette nuit, nous a guidés jusqu’ici. C’est la lumière de la raison naturelle; c’est la lumière des traditions religieuses dans ce qu’elles ont de vrai et d’honnête; c’est surtout la lumière de notre tradition chrétienne, la lumière de notre éducation religieuse, la lumière de notre expérience spirituelle. Nous connaissons l’histoire de l’Evangile. Nous avons foi dans le Christ, sur le témoignage de cette voix prophétique séculaire qui s’appelle l’Eglise. Cette nuit est celle de la foi. Et qu’est-ce que la foi? La foi, c’est la rencontre avec le Christ, la foi, c’est l’accueil du Christ. Nous entendons résonner dans notre mêmoire une parole fatidique inscrite au frontispice du récit messianique, l’Evangile de saint Jean: «II est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu» (Jn 1,11). Ce fut une rencontre manquée. Et il est important de noter que lui aussi, le Christ, est à la recherche, à la recherche de l’humanité. Qu’il est long, le chemin qu’il a dû parcourir pour arriver jusqu’à nous! D’où vient-il? Il a dû franchir des abîmes démesurés, des dis tances infinies : «il descendit du ciel, et il a pris chair». Verbe ineffable de Dieu et Dieu lui-même, il s’est fait homme, pour se mettre à notre portée et rendre possible cette rencontre. Seul un amour sans limite, un amour divin, a pu imaginer et réaliser un tel plan. Et tel est le plan de notre religion: oui, c’est une rencontre, une communion. Mais il nous faut encore nous demander: comment se réalise cette venue du Christ jusqu’à nous, cet accueil que nous lui réservons? La réponse est toujours la même: cela se réalise dans la foi. Lui, Dieu, vient à nous revêtu de la nature humaine; et il viendra pour nous, longtemps après le moment historique de l’Evangile, caché sous le signe, à la fois révélateur et mystérieux, du sacrement. L’acceptons-nous? Croyons-nous?

Notre prière, en cette heure décisive, est celle-là même, psychologiquement si exacte, des disciples du Seigneur dans l’Evangile: «Augmente en nous la foi» (Lc 17,5). Nous remarquons en effet que la foi, cette adhésion vitale au Dieu incarné dans le Christ Jésus, comporte des degrés: elle peut être inerte et passive, elle peut être douteuse et intermittente, elle peut être laborieuse et en recherche (cfr. Matth Mt 11,3), elle peut ‘être engagée dans cet effort dialectique bien connu: l’intelligence à la recherche de la foi; ou la foi à la recherche de l’intelligence. Elle peut connaître le drame de ce personnage de l’Evangile qui nous représente tous: «Je crois, Seigneur; mais viens en aide à mon incrédulité» (Mc 9,23). Pour être authentique, pour être efficace, la foi doit être entière, vivante, personnelle. La rencontre avec le Christ doit s’achever dans un «oui», qui nous le révèle comme le Maître, comme le Sauveur, comme Lui-même s’est défini, et comme nous voulons le reconnaître en ce jour de Noël et, dans une certaine mesure, en faire l’expérience: «Je suis la Voie, la Vérité et la Vie» (Jn 14,6).

A cet instant notre méditation s’interrompt et cesse d’être absorbée dans cette vision où nous a conduits la recherche de cette nuit: nous nous souvenons alors de la réalité, de l’autre réalité, extérieure et sensible, de la réalité concrète et expérimentale, dans laquelle se déroule effectivement notre vie naturelle. Il ne faudrait pas que cette méditation nous eût distrait, comme dans un songe, des conditions qui nous qualifient comme hommes de ce monde. Non, Messieurs. La foi, la vie chrétienne ne nous éloignent pas du contact normal avec l’expérience humaine qui nous est propre. Une telle affirmation mériterait un long discours: comment la vie surnaturelle du monde de la foi peut s’associer à la vie naturelle de notre milieu et de nos droits et devoirs personnels. Rien ne change apparemment. Mais c’est comme si la nuit était terminée et comme si la lumière du jour avait commencé à poindre, éclairant tout le cadre de notre cheminement dans le temps: toute chose, à la lumière de la foi, prend son vrai visage. «Tout ce qu’il y a de vrai, de digne, de juste, de beau, d’aimable, tout ce qui mérite l’estime . . . (cf. Philip Ph 4,8) vient au grand jour. Tous les secteurs de la vie se définissent selon leur valeur propre; et au milieu de la scène - étonnante et dramatique, parfois douloureuse et mauvaise - du monde qui nous entoure et nous possède, l’homme, la personne humaine, se dresse et se découvre, souveraine et libre, dans une vérité nouvelle (cfr. Io Jn 8,32). Ainsi s’exprime l’Evangile de l’Incarnation. «A tous ceux qui l’ont reçu (le Christ), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jn 1,12).

Voilà le miracle de Noël: la Naissance du Christ devient notre naissance. Le mystère de la Vie divine, jaillie du Christ, l’Homme-Dieu, se communique par voie de participation, non plus seulement par la foi, mais également par la grâce, à tous ceux qui l’auront accueilli, Lui le premier-né parmi nous tous, hommes devenus frères (cfr. Rom Rm 8,29).

Et vous, Laïcs, qui vivez dans le siècle, qui revendiquez pour la sphère temporelle son autonomie; vous spécialement, Messieurs les Diplomates, qui représentez une puissance absolue dans son ordre, indépendante de toute autre autorité terrestre, fût-elle même celle de l’Eglise qui, elle, est au service de l’ordre surnaturel, ne craignez point pour votre souveraineté temporelle, car «non eripit mortalia, qui regna dat caelestia», il ne prend pas les royaumes de la terre, Celui qui donne le royaume du Ciel (Hymne de l’Epiphanie). Il n’est pas venu pour prendre, mais pour donner. Craignons et exultons en même temps: il est venu apporter un feu sur la terre, le feu de la charité. Et que désire-t-il, sinon que ce feu s’allume dans le monde (Lc 12,49): le feu de l’amour et de la paix.


*Insegnamenti di Paolo VI, vol. VII, p.813-816.
L’Osservatore Romano, 27-28.12.1969, p.3.
L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, 1970, n.1 p.12.
La Documentation catholique, 1970, n.1555 p. 53-54.



Homélies 1970




(DISCOURS ET) HOMELIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES







LA PAIX EST UN DEVOIR, ELLE EXIGE UNE EDUCATION

1° janvier, Homélie à l’église du Gesù

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Chers fils et filles,



Nous sommes ici réunis pour ouvrir l'année civile nouvelle avec le voeu, avec le propos, avec l'espérance de la paix, avec la prière pour la paix. C'est là un idéal qui, plus que tout autre, devrait se refléter dans la réalité de la vie humaine, pour assumer et favoriser tous les biens auxquels l'humanité peut aspirer, aussi bien dans l'ordre personnel que dans l'ordre familial, social, politique, national et international, terrestre et supraterrestre. Nous avons toujours besoin de paix. Bien plus, au fur et à mesure que notre civilisation se développe, s'affirme, s'enrichit, et par là même se complique de connaissances, d'instruments, d'institutions, de questions, d'aspirations..., augmente en même temps le besoin d'un ordre, d'une paix, qui assure et élève l'heureuse et juste complexité de notre vie personnelle et collective à tous les niveaux, à commencer par le plan intérieur de notre conscience (comment peut-on bien vivre en homme, en chrétien, sans la paix de la conscience ?), pour s'élever aux autres plans sur lesquels se déroule notre vie. Et cela au milieu de multiples rapports (qui, pour être bons, exigent d'être pacifiques) ; au milieu de tant de problèmes (qui demeurent ouverts et source de tourments, s'ils ne sont pas résolus dans la paix) ; au milieu de mille difficultés (qui demandent toutes à être surmontées dans la paix) ; au milieu de souffrances et de malheurs innombrables (auxquels seule la paix peut apporter un remède juste et efficace).

Nous voulons donner la vision de cette universalité de la paix, comme pour avoir en ce nom béni et grand la synthèse de notre conception optimiste du monde dans lequel nous vivons, et du temps qui s'ouvre aujourd'hui à un nouveau cours, à une année nouvelle, selon notre mode Conventionnel qui suit à sa manière la commutation solaire. La paix veut être le signe du temps qui vient, le voeu pour chaque événement futur, le programme de notre histoire.

Aujourd'hui Nous disons une seule chose : la paix est un devoir.

Comme chacun le voit, unir le concept de paix à celui de devoir, donne à notre réflexion un caractère de gravité, et semble enlever à la vision idyllique de la paix une grande part de sa sérénité. Certes cela la dépouille de toute parenté éventuelle et équivoque avec la mollesse et la lâcheté, car chaque devoir comporte un effort que nous ne sommes pas toujours disposés à accomplir ; exige une vertu, pour laquelle souvent nous manque l'énergie, et souvent aussi le désir. Mais, après avoir compris dans une certaine mesure que la paix est au sommet de la construction humaine, nous répétons : la paix est un devoir, un devoir grave.

Peut-être surgit spontanément dans notre esprit- une réponse qui tend à nous libérer de cette gravité : oui, elle est un devoir, mais qui ne nous concerne pas. Il concerne les chefs, il concerne les responsables de la conduite d'une communauté, spécialement ceux qui sont revêtus d'une responsabilité internationale. C'est au sein des nations et entre les nations que surgissent les conflits contraires à la paix : et nous le voyons bien, disent les personnes privées ; mais que peut un individu à lui tout seul, ou un groupe restreint et étranger, pour mettre la paix dans les rapports intérieurs d'un peuple, ou dans les rapports extérieurs entre les peuples ? C'est l'affaire des hommes politiques, c'est l'affaire des diplomates, c'est l'affaire des gouvernements, pourrait-on dire, faisant ainsi de la paix le synonyme d'une bienheureuse et égoïste indifférence.

Certes la paix est le devoir des chefs ; mais pas seulement le leur. Aujourd'hui la société qui s'organise démocratiquement attribue des pouvoirs et des devoirs à tous les membres de la communauté. Et même s'il n'en était pas ainsi, il resterait encore vrai que la paix est un devoir pour tous, soit parce qu'elle a non seulement à régner dans la politique, mais aussi en tant d'autres sphères inférieures, qui, en pratique, engagent davantage encore notre responsabilité personnelle ; soit parce que la paix trouve sa source opérante dans les idées, dans les esprits, dans les orientations morales, avant que de se déployer dans l'activité extérieure. La paix, avant même d'être une politique, est un esprit. Avant même de s'exprimer, victorieuse ou vaincue, dans les vicissitudes historiques ou dans les relations sociales : elle se forme, elle s'affirme dans les consciences, dans cette philosophie de la vie que chacun doit se procurer à soi-même comme une lampe pour ses pas sur les sentiers du monde et dans les expériences de la vie.

Cela signifie, très chers frères et fils, que la paix exige une éducation. Nous l'affirmons ici, de l'autel du Christ, pendant que Nous célébrons la sainte Messe, qui commémore sa parole et renouvelle d'une manière non sanglante et sacramentelle son sacrifice, pacificateur du ciel avec la terre ; nous l'affirmons comme disciples, comme des élèves qui ont toujours besoin d'écouter, d'apprendre, de recommencer l'apprentissage de leur « metanoia » (conversion), c'est-à-dire de la transformation de leur mentalité instinctive et malheureusement traditionnelle. Il faut secouer les gonds de préjugés invétérés tels que la force et la vengeance considérées comme critères régulateurs des rapports humains, de sorte qu'à une offense reçue une autre doive correspondre, souvent plus grave : « oeil pour oeil, dent pour dent » (
Mt 5,38) ; que l'intérêt personnel doive prévaloir sur celui d'autrui, sans tenir compte du besoin des autres ni du droit commun... Il faut mettre à la racine de notre psychologie sociale la faim et la soif de la justice, avec la recherche de la paix, qui nous vaut le titre de fils de Dieu (cf. Mt 5,6-9). Ce n'est pas une utopie, mais le progrès réclamé, aujourd'hui plus que jamais, par l'évolution de la civilisation ; c'est l'épée de Damoclès d'une terreur toujours plus grave et de plus en plus possible, suspendue au-dessus de nos têtes. De même que la civilisation a réussi à bannir, au moins en principe, l'esclavage, l'analphabétisme, les épidémies, les castes sociales..., calamités aussi invétérées et tolérées que si elles eussent été inévitables et inscrites au coeur de la triste et tragique communauté des hommes, de même aussi il faut réussir à bannir la guerre. La civilisation humaine l'exige. Un terrible et croissant danger de conflagration mondiale l'impose. N'avons-nous pas, simples et faibles mortels que nous sommes, des moyens pour conjurer l'hypothèse de catastrophes dévastatrices aux dimensions de l'univers ? Oui, nous les avons : nous avons le recours à l'opinion publique qui, en cette occurrence, devient l'expression de la conscience morale de l'humanité, et nous savons tous quelle peut être sa puissance salutaire. Et nous avons aussi notre devoir particulier et personnel d'être bons, ce qui ne veut pas dire faibles, mais : promoteurs du bien, généreux, capables de rompre par la patience et le pardon la triste et inéluctable chaîne du mal ; qui veut dire : aimer, c'est-à-dire être chrétiens. Nous avons, nous, une autre ressource, qui peut avoir la force de remuer les montagnes (cf. Mt 11,20 Mt 21,21) ; c'est l'insertion de la causalité divine dans le jeu mystérieux de la causalité naturelle et de la liberté humaine ; et cette ressource est comme une monnaie à deux faces dont l'une est la prière (cf. Mt 7,7), et l'autre est la foi (cf. Jc Jc 1,6). Quel que soit le résultat de la force spirituelle de la prière faite avec foi ; nous ne pourrons pas toujours le mesurer avec les méthodes expérimentales de notre monde sensible et historique. Le prétendre serait en effet concevoir et instrumentaliser l’action divine comme une énergie cosmique livrée à notre disposition arbitraire. Ce n'est pais ainsi que se déroule le dessein de la miséricorde divine pénétrant dans nos vies temporelles. Mais les effets ne manqueront pas ; la prière de la foi ne restera pas déçue ; bien au contraire, elle sera peut-être exaucée dans une mesure surabondante, même si momentanément nous demeurent cachés le quand et le comment. Mais le Seigneur Lui-même nous a exhortés à recourir à cette aide puissante, tandis que nous confessons ainsi à la fois notre insuffisance radicale à atteindre notre salut et la bonté toute-puissante du Père qui peut nous libérer du mal (Mt 6,13), et changer à notre avantage même nos souffrances (cf. Rm 8,28) et nos malheurs.

Et c'est finalement cette pensée, qui nous réunit ici maintenant pour prier dans la ferveur de notre foi le Christ « notre paix » (Ep 2,14), le Christ « prince de la paix » (Is 9,6), le Christ qui, en naissant, fait annoncer par les Anges « la paix sur terre » (Lc 2,14), le Christ qui, ressuscité, répète aux siens le salut du suprême bonheur : « paix à vous » (Jn 20,19-21), le Christ qui écoutera, au delà de tout mérite de notre part, notre invocation : « dirige nos pas sur la voie de la paix » (Lc 1,79).

Nous te prions ainsi :

Seigneur, nous avons encore les mains ensanglantées depuis les dernières guerres mondiales, de sorte que tous les Peuples n'ont pas encore pu se serrer fraternellement la main entre eux.

Seigneur, nous sommes aujourd'hui armés à un degré jamais atteint dans les siècles précédents, et nous sommes chargés d'instruments meurtriers, capables d'incendier la terre en un instant, et de détruire peut-être l'humanité.

Seigneur, nous avons fondé le développement et la prospérité de nos nombreuses industries colossales sur la capacité démoniaque de produire des armes de tout calibre, et toutes destinées à tuer et à exterminer les hommes nos frères : nous avons ainsi établi l'équilibre cruel de l'économie de tant de nations puissantes sur le marché des armes avec les nations pauvres, privées de charrues, d'écoles et d'hôpitaux.

Seigneur, nous avons laissé renaître en nous les idéologies qui font des hommes les ennemis les uns des autres : le fanatisme révolutionnaire, la haine de classes, l'orgueil nationaliste, l'exclusivisme racial, les rivalités tribales, les égoïsmes commerciaux, les individualismes jouisseurs et indifférents aux besoins des autres.

Seigneur, nous écoutons chaque jour, angoissés et impuissants, les nouvelles de trois guerres encore allumées dans le monde.

Seigneur, c'est vrai, nous n'allons pas par un droit chemin.

Seigneur, regarde cependant nos efforts, insuffisants certes, mais sincères, pour la paix dans le monde ! Il y a des institutions magnifiques, sur le plan international. Il y a des projets pour le désarmement et pour les négociations de paix.

Seigneur, il y a par-dessus tout tant de tombes qui nous serrent le coeur, de familles brisées par les guerres, les conflits, les répressions capitales; de femmes qui pleurent, d'enfants qui meurent ; de réfugiés et de prisonniers accablés sous le poids de la solitude et de la souffrance ; et il y a tant de jeunes qui s'insurgent pour que la justice soit promue et que la concorde soit la loi des nouvelles générations.

Seigneur, Tu le sais, il y a de bonnes âmes qui font le bien dans le silence, avec courage, désintéressement, et qui prient avec un coeur repenti et un coeur innocent. Il y a des chrétiens, et combien, Seigneur, dans le monde, qui veulent suivre ton Evangile et pratiquent le sacrifice et l'amour.

Seigneur, Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde, donne-nous la paix.





Paul VI Homélies 20809