Paul VI Homélies 28050

25 octobre 1970

L'EGLISE ET LE MONDE D'AUJOURD'HUI ONT SURTOUT BESOIN DE SAINTS

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La canonisation solennelle des Quarante martyrs de l'Angleterre et du Pays de Galles que nous venons d'accomplir nous offre l'heureuse occasion de vous parler, bien que brièvement, du sens de leur existence et de l'importance que leur vie et leur mort ont eus et continuent d'avoir non seulement pour l'Eglise d'Angleterre et du Pays de Galles, mais aussi pour l'Eglise Universelle et pour tout homme de bonne volonté.

Notre temps a besoin de saints et, d'une manière spéciale, de l'exemple de ceux qui ont donné le suprême témoignage de leur amour pour le Christ et pour l'Eglise : « Personne n'a un amour plus grand que celui qui donne sa vie pour ses amis » (
Jn 15,13). Ces paroles du divin Maître, qui se rapportent en premier lieu au sacrifice que Lui-même accomplit sur la croix en s'offrant pour le salut de toute l'humanité valent aussi pour la grande foule choisie des martyrs de tous les temps, depuis les premières persécutions jusqu'à celles de nos jours, peut-être plus cachées mais pas moins cruelles. L'Eglise du Christ est née du sacrifice du Christ sur la croix et elle continue à croître et à se développer en vertu de l'amour héroïque de ses fils les plus authentiques. « Semen est sanguis christianorum » (tertullianus, Apologeticus, 50 ; PL 1, 534). De même que l'effusion du sang du Christ, l'oblation que les martyrs font de leur vie devient, en vertu de leur union avec le sacrifice du Christ, une source de vie et de fécondité spirituelle pour l'Eglise et pour le monde tout entier. « C'est pourquoi, nous rappelle la Constitution Lumen gentium, 42, le martyre dans lequel le disciple est assimilé au Maître acceptant librement la mort pour le salut du monde et dans lequel il devient semblable à Lui dans l'effusion de son sang, est considéré par l'Eglise comme une grâce éminente et la preuve suprême de la charité ».

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cet être mystérieux qu'est l'homme : sur les ressources de son esprit, capable de pénétrer dans les secrets de l'univers et de soumettre les choses matérielles en les utilisant pour arriver à leurs buts ; sur la grandeur de l'esprit humain qui se manifeste dans les oeuvres admirables de la science et de l'art ; sur sa noblesse et sur sa faiblesse, sur ses triomphes et sur ses misères. Mais ce qui caractérise l'homme, ce qu'il y a de plus intime dans son être et dans sa personnalité, c'est la capacité d'aimer, d'aimer jusqu'au fond, de se donner avec cet amour qui est plus fort que la mort et qui se prolonge dans l'éternité.

Le martyre des chrétiens est l'expression et le signe le plus sublime de cet amour, non seulement parce que le martyr reste fidèle à son amour jusqu'à l'effusion de son propre sang, mais aussi parce que ce sacrifice est accompli pour l'amour le plus haut et le plus noble qui puisse exister, à savoir pour l'amour de Celui qui nous a créés et rachetés, qui nous a aimés comme Lui seul sait aimer, et qui attend de nous une réponse de don total et sans conditions, c'est-à-dire un amour digne de notre Dieu.


Signe d'amour


Dans sa longue et glorieuse histoire, la Grande Bretagne, île des saints, a donné au monde beaucoup d'hommes et de femmes qui ont aimé Dieu de cet amour pur et loyal : c'est pour cela que nous sommes heureux d'avoir pu aujourd'hui compter quarante autres fils de cette noble terre parmi ceux que l'Eglise reconnaît publiquement comme saints, les proposant ainsi à la vénération de ses fidèles, et parce que ces saints représentent par leurs existences un exemple vivant.

A celui, qui, ému et saisi d'admiration, lit les actes de leur martyre, il est clair, nous voudrions dire évident, qu'ils sont les dignes émules des plus grands martyrs des temps passés, en raison de la grande humilité, de l'intrépidité, de la simplicité et de la sérénité avec lesquelles ils ont accepté leur sentence et leur mort et même plus encore avec une joie spirituelle et une charité admirable et radieuse.

C'est justement cette attitude profonde et spirituelle qui groupe et unit ces hommes et ces femmes qui, par ailleurs, étaient très différents entre eux par tout ce qui peut différencier un ensemble nombreux de personnes, à savoir l'âge et le sexe, la culture et l'éducation, l'état de vie et la condition sociale, le caractère et le tempérament, les dispositions naturelles et surnaturelles, les circonstances extérieures de leur existence. Nous avons en effet, parmi les quarante saints martyrs, des prêtres séculiers et réguliers, nous avons des religieuses de divers ordres et de rangs divers, nous avons des laïcs, des hommes de très noble descendance et aussi de condition modeste, nous avons des femmes qui étaient mariées et mères de famille : ce qui les unissait tous, c'est cette attitude intérieure de fidélité inébranlable à l'appel de Dieu qui leur demanda, comme réponse d'amour, le sacrifice même de leur vie.

Et la réponse des martyrs fut unanime : « Je ne peux pas m'empêcher de vous répéter que je meurs pour Dieu et à cause de ma religion — c'est ce que disait saint Philip Evans — et je me sens si heureux que si jamais je pouvais avoir beaucoup d'autres vies, je serais très disposé à les sacrifier toutes pour une cause aussi noble ».


Loyauté et fidélité


Et, comme par ailleurs de nombreux autres, saint Philip Howard, comte d'Arundel, affirmait aussi : « Je regrette de n'avoir qu'une vie à offrir pour cette noble cause ». Et sainte Margaret Clitherow exprimait synthétiquement, avec une simplicité émouvante, le sens de sa vie et de sa mort : « Je meurs pour l'amour de mon Seigneur Jésus ». « Quelle petite chose, en comparaison de la mort bien plus cruelle que le Christ a soufferte pour moi », s'écriait saint Alban Roe.

Comme beaucoup de leurs compatriotes qui moururent dans des circonstances analogues, ces quarante hommes et femmes de l'Angleterre et du Pays de Galles voulaient être et le furent à fond, loyaux, envers leur patrie qu'ils aimaient de tout leur coeur. Ils voulaient être et ils furent en fait de fidèles sujets du pouvoir royal que tous, sans aucune exception, reconnurent jusqu'à leur mort comme légitime en tout ce qui appartenait à l'ordre civil et politique. Mais ce fut là justement le drame de l'existence de ces martyrs, à savoir que leur honnête et sincère loyauté envers l'autorité civile se trouva en désaccord avec la fidélité envers Dieu et qu'ainsi, suivant les préceptes de leur conscience éclairée par la foi catholique, ils surent conserver les vérités révélées, spécialement sur la sainte Eucharistie et sur les prérogatives inaliénables du successeur de Pierre qui, par la volonté de Dieu, est le pasteur universel de l'Eglise du Christ. Placés devant le choix de rester fermes dans leur foi et donc de mourir pour elle ou d'avoir la vie sauve en reniant la foi, sans une minute d'hésitation et avec une force vraiment surnaturelle, ils se rangèrent du côté de Dieu et affrontèrent le martyre avec joie. Mais leur esprit était si grand, si nobles étaient leurs sentiments, si chrétienne était l'inspiration de leur existence que beaucoup d'entre eux moururent en priant pour leur patrie tant aimée, pour le roi et pour la reine et même pour ceux qui avaient été les responsables directs de leur arrestation, de leurs tortures et des circonstances ignominieuses de leur mort atroce.

Les dernières paroles et la dernière prière de saint John Plessington furent précisément celles-ci : « Que Dieu bénisse le roi et sa famille et daigne accorder à Sa Majesté un règne prospère en cette vie et une couronne de gloire en l'autre. Que Dieu accorde la paix à ses sujets en leur donnant de vivre et de mourir dans la vraie foi, dans l'espérance et dans la charité ».


Activité et sacrifice


Voici comment pria saint Alban Roe peu de temps avant d'être pendu : « Pardonnez-moi, ô mon Dieu, mes innombrables offenses comme je pardonne à mes persécuteurs » et, comme lui, saint Thomas Garnet qui, après avoir nommé particulièrement ceux qui l'avaient livré, arrêté et condamné, supplia Dieu en disant : « Puissent-ils tous obtenir le salut et avec moi atteindre le ciel ».

En lisant les actes de leur martyre et en méditant la riche matière qui a été recueillie avec tant de soin sur les circonstances historiques de leurs vies et de leur martyre, nous restons frappés surtout par ce qui brille sans équivoque dans leur existence. Cela, par sa nature même, peut traverser les siècles et par conséquent rester toujours pleinement actuel et, spécialement de nos jours, d'une importance capitale. Nous nous rapportons au fait que ces héros, fils et filles de l'Angleterre et du Pays de Galles, ont pris leur foi vraiment au sérieux : cela veut dire qu'ils l'acceptèrent comme l'unique règle de leur vie et de toute leur conduite, en retirant une grande sérénité et une profonde joie spirituelle. Avec une fraîcheur et une spontanéité non séparées de ce don précieux de l'humour, typiquement particulier à leur peuple, avec un attachement à leur devoir fuyant toute ostentation et avec la pureté typique de ceux qui vivent avec des convictions profondes et bien enracinées, ces saints martyrs sont un exemple rayonnant du chrétien qui vit vraiment sa consécration baptismale, croît en cette vie qui lui a été donnée par le sacrement de l'initiation et que celui de la confirmation a renforcée de telle manière que la religion n'est pas pour lui un facteur marginal mais bien l'essence même de tout son être et de son action, faisant en sorte que la charité divine devient la force inspiratrice, active et agissante d'une existence toute tendue vers l'union d'amour avec Dieu et avec tous les hommes de bonne volonté, qui trouvera sa plénitude dans l'éternité.

L'Eglise et le monde d'aujourd'hui ont extrêmement besoin de tels hommes et de telles femmes, de toutes conditions et de tous états de vie, prêtres, religieux et laïcs, parce que seules les personnes de cette stature et de cette sainteté seront capables de changer notre monde tourmenté et de lui rendre, en même temps que la paix, cette orientation spirituelle et vraiment chrétienne à laquelle tout homme aspire intimement — même parfois sans s'en rendre compte — et dont nous avons tous tant besoin.

Que notre gratitude monte vers Dieu qui a voulu dans sa prévoyante bonté susciter ces saints martyrs dont l'action et le sacrifice ont contribué à la conservation de la foi catholique en Angleterre et dans le Pays de Galles.

Que le Seigneur continue à susciter dans l'Eglise, des laïcs, des religieux et des prêtres qui soient de dignes émules de ces hérauts de la foi.

Dieu veuille dans son amour que fleurissent et se développent même aujourd'hui des centres d'étude, de formation et de prière, aptes à préparer, dans les conditions modernes, de saints prêtres et des saints missionnaires tels que furent en ces temps les vénérables collèges de Rome et de Valladolid et les glorieux séminaires de Saint-Omer et de Douai, des rangs desquels sortirent justement beaucoup des quarante martyrs. Ainsi, comme le disait l'un d'entre eux, saint Edmond Campion, une grande personnalité : « Cette Eglise ne s'affaiblira jamais tant qu'il y aura des prêtres et des pasteurs à veiller sur leur troupeau ». Que le Seigneur veuille nous accorder la grâce qu'en ces temps d'indifférentisme religieux et de matérialisme théorique et pratique qui sévit toujours davantage, l'exemple et l'intercession des saints quarante martyrs nous réconfortent dans la foi et raffermissent notre amour authentique pour Dieu, pour son Eglise et pour tous les hommes.




28 novembre 1970

LA CEREMONIE D'ORDINATION A MANILLE

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Fils et Frères très chers,

Nouveaux prêtres de l'Eglise de Dieu,



Nous ne vous dirons qu'un mot très bref car la cérémonie est déjà longue et elle parle d'elle-même ; d'ailleurs vous êtes fort bien renseignés sur le sacrement que vous avez reçu.

Nous Nous limiterons à vous recommander de méditer tout au long de votre vie le fait de votre ordination. Aujourd'hui commence pour vous un thème de pensée, de prière, d'action que vous devrez toujours vous rappeler, examiner, explorer, chercher à comprendre. Ce thème devra s'imprimer dans votre conscience, comme déjà il est imprimé par le caractère sacramentel, dans votre âme, dans votre être humain, dans votre être chrétien. Pensez-y : aujourd'hui vous êtes devenus prêtres ! Essayez de donner une définition de vous-mêmes, et les mots deviendront pénibles et difficiles ; et la réalité qu'ils voudraient exprimer apparaîtra encore plus difficile, mystérieuse et ineffable. Ce qui est intervenu en vous donne véritablement le vertige ! Quid retribuant Domino pro omnibus quae retribuit mihi (
Ps 115,12) ? peut dire chacun en se sentant envahi par l'action transformante de l'Esprit-Saint. Vous devenez pour vous-mêmes objet d'émerveillement et de vénération. Ne l'oubliez jamais. Ce caractère sacré que le monde ne connaît pas et dont beaucoup cherchent à dépouiller la personnalité du prêtre, vous devrez le garder présent à l'esprit et dans votre conduite, parce qu'il dérive d'une nouvelle présence qualifiante de l'Esprit-Saint dans vos âmes ; et si vous vous montrez vigilants dans l'amour, vous en aurez aussi une expérience intérieure (cf. Jn 14,17 Jn 14,22-23). Ne mettez jamais en doute votre identité sacerdotale ; cherchez plutôt à la comprendre.

Vous pourrez comprendre quelque chose de votre sacerdoce en cherchant à saisir deux sortes de relations qu'il établit. La première concerne les relations que vous avez acquises avec le Christ par votre ordination sacerdotale. Vous savez que dans l'économie religieuse du Nouveau Testament il n'existe qu'un seul vrai sacerdoce, celui de Jésus-Christ, unique médiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2,5) ; mais, en vertu du sacrement de l'Ordre, vous êtes devenus participants du sacerdoce du Christ, de sorte que non seulement vous représentez le Christ, non seulement vous exercez son ministère, mais vous vivez le Christ. Le Christ vit en vous ; et vous, ainsi associés à lui à un degré aussi haut et aussi plein de participation à sa mission de salut, vous pouvez dire ce que disait Saint Paul de lui-même : « Je vis, mais non pas moi, c'est le Christ qui vit en moi ! » (Ga 2,20). Une telle réalité ouvre au prêtre la voie ascendante de sa spiritualité la plus haute qui soit ouverte à l'homme, et qui arrive aux sommets de la vie ascétique et de la vie mystique. Si par hasard un jour vous vous sentiez seuls, si un jour vous vous sentiez des-hommes fragiles et profanes, si vous étiez tentés d'abandonner l'engagement sacré dei votre sacerdoce, rappelez-vous que vous êtes « par lui, avec lui et en lui », vous êtes chacun « un autre Christ ».

La deuxième sorte de relations qui à partir de maintenant vous relie à l'Eglise concerne celles qui s'établissent avec votre Evêque (ou avec votre Supérieur), avec le Peuple de Dieu, avec les âmes, et aussi avec le monde. Le prêtre n'existe plus pour lui-même mais pour le ministère dans le corps mystique du Christ. Il est un serviteur, un instrument de la Parole et de la grâce. L'annonce de l'Evangile, la célébration de l'Eucharistie, la rémission des péchés, l'exercice de l'activité pastorale, la vie de foi et de culte, le rayonnement de la charité et de la sainteté, constituent son devoir; dès aujourd'hui, c'est un devoir qui aboutit au sacrifice de soi, comme Jésus, sur la croix. C'est un fardeau pesant. Mais Jésus le porte avec celui qu'il a élu, et il lui fait comprendre la vérité de ses paroles : « mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt 11,30). C'est qu'en effet, comme l'enseigne Saint-Augustin, « pondus meum, amor meus » (Conf. XIII, 2, 9). L'amour du Christ, devenu principe unique et suprême de la vie sacerdotale, rend tout facile, tout possible, tout heureux.

Nous voudrions que la conscience de cette destination pastorale au service du prochain ne s'éteigne jamais en vous, et vous rende toujours sensibles aux maux, aux besoins, aux souffrances qui entourent la vie d'un prêtre ; chaque catégorie de personnes semble tendre les bras vers lui et invoquer sa compréhension, sa compassion, son assistance : les enfants, les jeunes, les pauvres, les malades, les affamés de pain et de justice, les malheureux, même les pécheurs..., tous ont besoin de l'aide du prêtre. Ne dites jamais que votre vie est aliénée et inutile. « Qui est faible, dit S. Paul, que je ne sois faible avec lui ? » (2Co 11,29). Et si vous avez cette sensibilité aux déficiences physiques, morales, sociales des hommes, vous éprouverez en vous-mêmes une autre sensibilité, et celle-là à l'égard du bien potentiel qui toujours se trouve dans l'être humain : pour un prêtre, toute vie est digne d'amour. Cette double sensibilité, au bien comme au mal humain, est le battement du Coeur du Christ dans celui du prêtre fidèle ; et ce n'est pas pour rien que l'on peut parler de miracle, psychologique, moral, et mystique si vous voulez, et en même temps très social : un miracle de la charité dans le coeur sacerdotal.

Vous en ferez l'expérience. C'est le voeu que nous faisons pour vous en ce jour de votre ordination sacerdotale, et Nous l'accompagnons de notre Bénédiction Apostolique.



Et à vous, très chers enfants qui faites aujourd'hui votre première communion, que vous dirons-Nous ?

La parole la plus belle serait celle-ci : restez toujours, pour toute la vie, comme vous êtes aujourd'hui : bons, religieux, innocents et amis de ce Jésus qui maintenant vient dans votre coeur. Vous savez sans doute que Jésus a eu une grande prédilection pour les petits enfants, et qu'il a dit à tout le monde : « Si vous ne devenez comme des enfants, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux », c'est-à-dire vous ne pourrez être de vrais chrétiens et aller au paradis. Il faut toujours être comme des enfants. Mais comment cela peut-il se faire, alors que l'on devient grand et que la vie change ?

Qu'une chose, du moins, ne change jamais pour vous, chers fils : gardez toujours le souvenir de ce jour, et promettez à Jésus que vous serez toujours ses amis, avec humilité, avec simplicité, avec confiance. Ses amis, même lorsque vous aurez grandi ; toujours amis de Jésus. La faites-vous cette promesse ? Vous verrez qu'elle sera acceptée de Jésus qui, lui, restera votre Ami pour toujours.

Nous le prierons ensemble pour qu'il en soit ainsi.


Avec notre affectueuse Bénédiction.



MESSE DE MINUIT - Noël 25 décembre 1970

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Messieurs et Chers Amis, Nous devons avant tout nous rendre compte du motif de cette célébration nocturne. Pourquoi sommes-nous ici? Que sommes-nous venus faire? Rendre hommage à une habitude traditionnelle? à une simple singularité rituelle?

Non; ce qui nous tire de notre sommeil, ce que nous nous sentons obligés de commémorer avec une conscience vigilante est un fait historique, un événement d’une importance suprême et unique, un message que nous sommes incapables de définir en termes adéquats et que notre intelligence ne réussit pas à comprendre entièrement. Une expression théologique, exubérante de réalité historico-humaine et d’insondable mystère, le présente à notre esprit émerveillé et incrédule, à notre foi et à notre joie: il s’agit de l’Incarnation. Il s’agit du Verbe de Dieu qui s’est fait homme. Quelque imparfaite et problématique que puisse être l’idée que nous avons de Dieu, de son existence, de sa transcendance, du rapport créateur et existentiel de la divinité avec les choses finies, que nous connaissons, et avec l’histoire humaine qui se déroule dans le temps, nous ne pouvons nous empêcher d’être ébahis par l’hypothèse, que nous reconnaissons ici comme un fait réel et accompli: c’est le Verbe du Dieu, Dieu lui-même, qui entre personnellement sur la scène terrestre et humaine, et assume en lui une vie humaine en tout semblable à la nôtre (hormis le péché) (
He 4,15), existant ainsi toujours un quant à la personne, mais avec une double nature, divine et humaine. Et comme Fils de l’Homme, lui Fils de Dieu a vécu plusieurs années sur cette terre, il s’est rendu visible, avec un visage humain, il a grandi, il a travaillé, parlé, souffert parmi nous; bref, il s’est révélé, et il a accompli une mission qui ne peut pas ne pas regarder l’humanité entière et atteindre la destinée de tout homme, passé, présent et futur, de ce monde.

Ainsi en est-il. Tremblant et stupéfait, Nous répétons l’annonce de cette naissance extraordinaire, la naissance du Christ, le Verbe de Dieu fait chair, le Messie de l’histoire, le Sauveur du genre humain; et Nous faisons nôtres les paroles de l’ange du Seigneur: «Rassurez-vous, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle (la bonne nouvelle, l’évangile par excellence) qui sera une grande joie pour tout le peuple: aujourd’hui, dans la cité de David (Bethléem), un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur» (Lc 2,10-11).

Ce n’est pas là une légende littéraire, ni un mythe fantastique; c’est un fait réel et concret, d’une nature et d’une importance telles que toute l’histoire humaine en demeure atteinte; c’est pour le rappeler que nous sommes ici, pour le célébrer, pour repenser encore à l’influence qu’il a sur nous. Ainsi se rouvre pour nous une méditation que chacun d’entre nous aura, d’une façon ou de l’autre, cent fois commencée: méditation sur le christianisme, sur sa réalité, sur son efficacité, sur le rapport qu’il a avec nous - ou du moins qu’il devrait avoir avec nous. Et par christianisme, en fin de compte, Nous entendons le Christ, son être, sa parole, son immanence dans la foi et dans la vie des hommes, sa présence aujourd’hui devant nous, sa figure apocalyptique, demain: le Christ, clef de toute question et de tout destin.

Oh, Messieurs et Amis, que j’ose appeler frères! laissons-nous tous dominer par cette pensée extraordinaire: le Christ, le Verbe de Dieu descendu en forme humaine sur la scène du monde. Mais que cette pensée, loin d’engendrer en nous la crainte (ce qui serait pourtant tout-à-fait naturel), nous envahisse de joie et d’allégresse, comme nous l’a demandé le message céleste. Cette joie sera le cadeau que nous ferons à Jesus-Christ pour sa naissance parmi nous; ce sera notre offrande; notre humble effort d’accueil et de compréhension. Noël, nous le savons, est une fête joyeuse; elle nous apparaît bien telle dans l’amour et dans la tendresse de cette nouvelle vie qui naît (Cfr. Jn 16,21), dans la délicieuse faiblesse de l’enfance, dans le cadre de l’intimité si simple et sublime du foyer domestique.

Mais il y a plus. Noël n’est pas seulement la sublimation de la vie naissante, fruit de l’amour, étincelle de nouveauté et d’innocence, gage d’un monde meilleur, que nous espérons pour demain, celui de la nouvelle génération. Ce n’est pas seulement une joie qui naît de la terre. Observez bien: c’est une joie qui vient d’en-haut, c’est la révélation de la bonté infinie de Dieu, le signe d’un dessein mystérieux qui touche le monde et les hommes, c’est une pensée d’amour infini qui a ouvert le ciel clos du mystère impénétrable de la vie intime du Dieu inconnu, et l’a communiqué à la terre, comme une pluie illuminante et vivifiante. L’apôtre Paul nous dit que «la grâce de Dieu est apparue, salutaire pour tous les hommes» (Tt 2,11), et l’apôtre Jean: «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique» (Jn 3,16). Nous nous trouvons devant une conception universelle des destins suspendus sur l’humanité, et qui ont même pénétré dans la trame de l’histoire: c’est une conception de salut, une conception de clémence et d’amour, une conception tellement optimiste que même les malheurs, les souffrances, et la mort elle-même y trouvent une issue positive, pour le bien de l’homme (Cfr. Rm 8,28-31). Telle est la vérité sur la vie, telle est la philosophie qui remporte la victoire sur toutes les expériences et sur toutes les tentatives pour expliquer les choses et les faits et dire le dernier mot sur la réalité du monde.

Notre dernier mot à Nous, qui sommes spécialement obligè d’observer le monde dans ses expressions les plus générales et les plus significatives, et d’en peser la valeur selon leur classification définitive, notre dernier mot serait au contraire facilement pessimiste, il déboucherait sur le doute, sur l’absurde, sur le néant. Nous serions des hommes myopes, aveugles, des hommes déçus, des hommes tentés par le scepticisme et le désespoir: où va le monde? que vaut la vie? qu’est-ce que la civilisation? Peut-on vraiment envisager de faire régner sur terre l’ordre, la justice, la paix, l’amour? Tels serions-nous, et telles seraient les conclusions de notre sagesse déçue, s’il n’y avait pas Noël, c’est-à-dire l’inauguration d’une économie de salut et d’espérance! Les efforts du Sisyphe que nous sommes ne l’ont pas instaurée, mais elle nous est donnée par un Amour transcendant qui n’a ni mesure ni regret, et veut faire de nous, de l’humanité, un peuple nouveau, un peuple bon et heureux (Cfr. 1P 2,5 1P 2,9).

Noël, fête de joie et d’espérance, fête qui anime le devenir humain orienté vers une plénitude qui ne faillira pas.

Saluons-la et célébrons-la comme notre fête et comme la fête du monde.

Sachant que cette cérémonie est retransmise directement par la télévision à de nombreux pays de l’Amérique latine et à la France, Nous désirons leur adresser nos souhaits de paix dans le Seigneur.

A vous tous qui vous unissez à la célébration de cette messe, vont nos voeux de joyeux et fervent Noël. Nous souhaitons que chacun de vous accueille au plus profond de son coeur le message de paix et d’amour fraternel apporté par l’Enfant Jésus, et Nous vous bénissons.

... saluts en portugais, en espagnol...


Homélies 1971


9 avril 1971, Vendredi Saint: ALLOCUTION DU PAPE AU CHEMIN DE CROIX

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Ce chemin avec la Croix et vers la Croix pourrait ne plus finir, si nous voulions suivre le fil des réflexions formidables auxquelles il nous conduit ; et nous devrions rester, la tête baissée, plongés dans nos pensées pour chercher à comprendre ce qu’est la tragédie, ce qu’est l’héroïsme, ce qu’est le péché, ce qu’est le sacrifice, ce qu’est la douleur, ce qu’est la mort, ce qu’est le duel entre le mal et le bien, ce qu’est la rédemption, ce qu’est mourir pour vivre... ce qu’est la Croix du Christ.

Comme conclusion à notre Chemin de Croix, choisissons la pensée la plus simple. Plus qu’une pensée, c’est un sentiment : la compassion, dont nous venons de chanter dans l’hymne « Stabat Mater » les strophes douloureuses.

On dirait que la Croix — sa scène atroce, son histoire déshonorante eût à faire le vide autour d’elle, à repousser les hommes de sa contemplation. Tandis que, comme les commentaires aux pénibles Stations de ce triste et pieux pèlerinage l’ont laissé entendre, la Croix nous attire. Jésus lui-même avait prédit cela : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (
Jn 12,32 Jn 8,28). Jésus crucifié exerce un charme mystérieux sur celui qui ne dédaigne pas de tourner son regard vers Lui (cf. Jn 19,37). Nous devons, ce soir, garder de ce charme le souvenir expérimenté, l’attraction secrète.

Pourquoi Jésus crucifié nous attire-t-il ?

Oh! Comme elle descend profonde cette question dans nos esprits !

Il nous semble que le premier motif soit la solidarité, la parenté, la sympathie, que Lui, en souffrant et en mourant sur la Croix, a établi avec tout homme qui souffre. En Le regardant, il nous semble écouter de nouveau son invitation très humaine : « Venez à moi, vous tous qui peinez et portez un fardeau accablant: je vous soulagerai » (Mt 11,28). L’entendons-nous cette voix, qui sort des lèvres mourantes du Christ ? Nous sommes tous, de manière et en mesure différentes, nous sommes tous souffrants ; n’entendons-nous pas l’invitation de l’« Homme qui connaît la souffrance » (Is 53,3) nous appelant à Lui ? La douleur — qui nous isole dans le monde naturel — pour Jésus, elle est un point de rencontre, elle est une communion. Y pensez-vous, Frères ? Vous malades, vous malheureux, vous moribonds ? Y pensez-Vous, vous hommes accablés par la fatigue, par le travail ? Vous, rendus opprimés et solitaires par les épreuves et par les responsabilités de la vie ? Tous peuvent vous manquer, Jésus en Croix non, Il est avec vous, Il est avec nous.

Bien plus : Il est pour nous ! Pourquoi Jésus agonise-t-il et meurt-il ? Réfléchissons ! C’est le grand mystère de la Croix; Jésus souffre pour nous ! Il expie pour nous. Il est victime. Il partage le mal physique de l’homme pour le guérir du mal moral, pour effacer en Lui nos péchés.

Hommes sans espérance ! Hommes, qui avez l’illusion de recouvrer la paix de la conscience en suffoquant en elle vos remords inextinguibles (nous en avons, nous tous pécheurs ; nous devons en avoir, si nous sommes de vrais hommes), pourquoi tournez-vous le dos à la Croix ? Ayons tous le courage de nous tourner vers elle, et de nous reconnaître coupables en elle ; ayons la confiance de soutenir la vision de sa figure mystérieuse : elle nous parle de miséricorde, elle nous parle d’amour, de résurrection ! Elle émane pour nous le salut !

A ce point, Frères et Fils, nous voudrions prendre congé de vous, si précisément le souvenir, l’image presque sensible du Calvaire, ne nous suggérait de rappeler à votre esprit et à votre prière le lieu béni, où le Christ consomma son sacrifice rédempteur, la terre de Jésus, où ne souffle pas encore le vent propice de la paix.

La prédication du Seigneur, vous le savez, et les actes par lesquels Il a racheté le monde se sont déroulés en cette terre que, en s’incarnant, Il choisit entre toutes comme sa patrie. C’est pourquoi nous parlons de Terre Sainte et considérons Jérusalem comme Cité Sainte, c’est-à-dire la cité de la Pâque, de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ et de la Pentecôte.

C’est dans cette Terre Sainte que se rendront toujours des hommes d’étude, des ascètes, des pèlerins et des pénitents pour apaiser leur soif d’amour et de savoir. Car elle est étroitement unie à la personnalité même du Sauveur et rend ses enseignements plus vivants et plus clairs.

Voici quelques paroles de Jésus à ce propos : « ... et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Ainsi Jérusalem est établie comme première étape du témoignage des Apôtres et de l’appel du Seigneur adressé à l’humanité.

Aujourd’hui nous devons être pleins d’égards affectueux pour les communautés chrétiennes de cette Terre Sainte, déjà tellement éprouvées au cours de l’histoire, pour ces Frères, qui vivent là où vécut Jésus, et qui, autour des Lieux Saints, sont les successeurs de la toute première Eglise ancienne, qui a donné naissance à toutes les autres Eglises.

Nous désirons leur envoyer un salut et les assurer de notre affection et de la sympathie des chrétiens répandus dans le monde. Ces Frères continuent à avoir besoin, plus que jamais, de notre soutien spirituel, moral et matériel. Les secours, que le monde chrétien n’a jamais laissé manquer à ses Frères de Jérusalem et de la Palestine, ne servent pas seulement à maintenir les édifices matériels, qui rappellent les grands mystères de la Rédemption, mais à soutenir aussi les oeuvres religieuses et sociales, nécessaires pour animer la vie communautaire et subvenir aux besoins des indigents qui sont assistés sans discrimination.

Nous avons un exemple à imiter : celui de Saint Paul ; en écrivant aux Corinthiens, il se préoccupait des conditions de vie des « saints » de Jérusalem (1Co 16,1-4).

Puissent notre souvenir, notre salut et notre aide réconforter nos Frères de la Terre Sainte.

Et à eux, à vous ici présents, et à tous ceux qui écoutent en ce moment notre voix, nous allons donner la Bénédiction Apostolique.



16 mai 1971

ACTUALITE DE LA DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE POUR LA DEFENSE ET LA PROMOTION DE L’HOMME

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