Paul VI Homélies 28095

12 octobre

L’HOMÉLIE DE PAUL VI À LA CANONISATION D’OLIVER PLUNKETT

12105



Dia’s Muire dhibh, a Mann Phâdraig ! céas mile fâilte rômhaibh ! Ta Naomh nua againn inniu : Comharba Phâdraig, Olibhéar Naofa Ploincéad. (Que Dieu et Marie soient avec vous, famille de Saint Patrick ! Cent mille souhaits de bienvenue ! Aujourd’hui, nous avons un nouveau Saint : le successeur de Saint Patrick : Saint Oliver Plunkett !).

Aujourd’hui, Vénérables Frères et chers Fils et Filles, l’Eglise célèbre la plus haute expression de l’amour — la dimension suprême du chrétien et de la charité pastorale. Aujourd’hui, l’Eglise tressaille d’une joie immense, parce que le sacrifice d’amour de Jésus-Christ, le Bon Pasteur, est reflété et manifesté dans un nouveau Saint.

Et ce nouveau Saint est Oliver Plunkett, Evêque et Martyr : Oliver Plunkett, successeur de Saint Patrick sur le Siège d’Armagh ; Oliver Plunkett, gloire de l’Irlande et, aujourd’hui et à jamais, Saint de l’Eglise de Dieu. Oliver Plunkett est pour tous — pour le monde entier — un extraordinaire exemple de l’amour du Christ.

Et, de notre côté, nous nous prosternons aujourd’hui pour vénérer ses reliques sacrées, exactement comme en une occasion précédente nous nous sommes plein d’admiration, agenouillé en prière, devant son tombeau à Drogheda. Les souffrances endurées par Oliver Plunkett sont une autre expression du triomphe et de la victoire de la grâce du Christ. Comme son Maître, Oliver Plunkett a sacrifié volontairement sa vie (cf. Is
Is 53,7 Jn 10,17). Il la donna par amour et, ainsi, s’associa volontairement de manière très intime aux souffrances du Christ. Il prononça et effet des paroles telles que : « Je remets mon esprit entre tes mains, Seigneur », « Seigneur Jésus, accueille mon âme ».

Les mérites de la Passion du Seigneur, la puissance de Sa Croix et le dynamisme de Sa Résurrection furent très actifs et manifestes dans la vie de ce Saint. Nous rendons grâces à Dieu — Père, Fils et Esprit Saint — qui accorda à Oliver Plunkett le don glorieux d’une foi surnaturelle, une foi si intense qu’elle lui donna la force et le courage nécessaires pour affronter le martyre avec sérénité, avec joie et avec détachement. Condamné à la peine de mort à cause de sa profession de foi catholique, il reçut selon l’expression de notre Prédécesseur Benoît XV, la couronne de martyr de la foi (cf. Bref Apostolique de Béatification, 23 mai 1920, AAS 12, 1920, p. 238). Et fidèle à l’exemple du Roi des Martyrs, il n’y avait aucune rancoeur dans son âme. Mieux, par sa mort, il scella son message même ainsi que le « ministère de la réconciliation » (cf. 2Co 5, 18, 20) qu’il avait prêché et accompli durant sa vie.

Parmi ses activités pastorales, figura inlassablement l’exhortation au pardon et à la paix. Auprès des partisans de la violence il ne cessa de plaider pour la justice ; il fut toujours l’ami des opprimés, et n’accepta jamais de transiger avec la vérité ou d’excuser la violence : il ne voulait pas admettre qu’on remplace l’Evangile de la paix par un autre. Et lorsqu’il dit avec l’Apôtre Pierre « Ne rendez pas le mal pour le mal » (1P 3,9), son témoignage garde toute sa valeur dans l’Eglise d’aujourd’hui.

Quel merveilleux modèle de réconciliation, quel guide sûr pour nos jours ! Oliver Plunkett avait compris avec Saint Paul que « Dieu nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation » (2Co 5,18). C’est de Jésus lui-même qu’il avait appris à prier pour ses persécuteurs (cf. Mt Mt 5,44) ; et avec Jésus qu’il avait l’habitude de dire : « Père, pardonne-lui... » (LE 23,34). Et sur l’échafaud, ses dernières paroles furent, en effet : « Je pardonne à tous ceux qui, directement ou indirectement, sont responsables de ma mort et de mon sang innocemment versé ».

Quel exemple en particulier pour tous ceux qui ont des liens spéciaux avec Oliver Plunkett, pour tous ceux dont il a partagé la vie ! Comme un fils illustre d’Irlande, il est l’honneur et la force du peuple qui lui transmit la foi catholique !

En 1647 Oliver Plunkett et ses cinq compagnons étaient conduits à Rome par le célèbre Oratorien, le R.P. Pietro Francesco Scarampi ; et durant les 22 années suivantes il séjourna dans la Cité de Pierre et de Paul. Comme étudiant au Collège Irlandais, il reste un exemple de force d’âme et de piété pour les séminaristes d’aujourd’hui. Pendant 3 années, après son ordination sacerdotale en 1654, il exerça avec les Oratoriens, sa mission pastorale à Saint Jérôme de la Charité, à Rome, et s’occupa de visiter les malades du proche hôpital du Saint-Esprit. Comme ministre de Jésus Christ et serviteur de l’amour fraternel il est un modèle de zèle et de dévouement pour ses frères en sacerdoce dans le monde moderne. Pendant 12 années il enseigna au Collège de Propaganda Fide, et, comme professeur ecclésiastique il est un flambeau de véritable sagesse surnaturelle pour ses confrères d’aujourd’hui.

Et avant tout, Oliver Plunkett fut un Evêque de l’Eglise de Dieu, Primat d’Irlande pendant douze ans. Il fut un vigilant prédicateur de la foi catholique, un champion de la charité pastorale qui était nourrie de prières et se manifestait dans sa sollicitude pour ses frères du clergé; une charité pastorale qui s’exprimait dans son zèle pour l’instruction chrétienne de la jeunesse, pour la promotion de l’éducation catholique, pour la consolation de tout le Peuple de Dieu. Tirant sa force de l’inépuisable source de grâce, de la puissance de la Croix — qui est éminemment contenue dans l’Eucharistie, source de toute la puissance de l’Eglise (Sacrosanctum Concilium, SC 10) et dans laquelle se renouvelle l’oeuvre de la Rédemption — Oliver Plunkett infusa dans son peuple une vigueur nouvelle et ranima l’espérance en un moment d’épreuves et de misères.

Oui Oliver Plunkett est un triomphe de la grâce du Christ, un modèle de réconciliation pour tous et un exemple particulier pour chacun — mais Oliver Plunkett est aussi un maître qui nous enseigne les suprêmes valeurs du christianisme.

Au moment où le monde entame le dernier quart du vingtième siècle et entre dans les décennies conclusives de ce millénaire, à un tournant décisif pour toute la civilisation chrétienne, le témoignage de Saint Oliver Plunkett proclame devant le monde que le sommet de la sagesse et la « puissance de Dieu » (1Co 1,18) se trouvent dans le mystère de la Croix. Et l’Eglise élève la voix en une solennelle affirmation pour authentifier et consacrer ce témoignage, et pour réaffirmer, pour cette génération-ci et pour tous les temps, la réelle prédominance des valeurs évangéliques dans le monde. Le message d’Oliver Plunkett apporte un espoir plus grand que la vie présente ; il montre un amour plus fort que la mort.

Puisse, grâce à l’action du Saint-Esprit, l’Eglise tout entière faire l’expérience de sa perspicacité et de sa sagesse et, avec lui, être capable d’entendre le conseil qui nous vient de Saint Pierre : « espérez pleinement en la grâce qui doit vous être apportée par la Révélation de Jésus-Christ » (1P 1,13). Puisse l’Eglise le comprendre comme un rappel au renouvellement et à la sainteté de la vie, consciente comme elle l’est, qu’en vertu de la puissance de la Croix, il n’y a pas de limites à ce que peut supporter l’amour (cf. 1Co 13,7), et que les souffrances de notre temps elles-mêmes ne peuvent se comparer à la gloire qui nous attend (cf. Rm Rm 8,18).

Et c’est ainsi que nous exhortons nos chers Fils et Filles d’Irlande, en leur disant avec une immense affection, un sincère amour : « Souvenez-vous de vos chefs, eux qui vous ont fait entendre la parole de Dieu, et, considérant l’issue de leur carrière, imitez leur foi. Jésus-Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (He 13,7). Que ceci soit donc l’occasion pour que le message de la paix et de la réconciliation dans la vérité et dans la justice, et surtout le message d’amour pour le prochain, se grave dans les esprits et dans le coeur de la bien-aimée population irlandaise tout entière — ce message signé et scellé du sang d’un Martyr, à l’imitation de son Maître. Puisse l’amour vivre toujours dans vos coeurs. Et Saint Oliver Plunkett vous inspire, chacun de vous.

Et pour le monde entier nous proclamons : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). C’est ce que nous a appris, le Seigneur, ce que nous vous annonçons avec la plus profonde conviction.

Vénérables Frères, chers Fils et Filles : rendons grâces au Seigneur; Aujourd’hui et à jamais Oliver Plunkett est un Saint de Dieu !

Avec notre Bénédiction Apostolique !


19 octobre 1975

béatification de Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, du R. P. Arnold Janssen, du R. P. Joseph Freinademetz et de Marie Thérèse Ledochowska

19105
QUATRE NOUVEAUX HÉROS, HUMBLES ET GRANDS, DE LA FOI




Vénérables Frères, Très chers Fils et Filles,


Grande est notre joie, la vôtre et la nôtre, pour la béatification de quatre nouveaux héros, humbles et grands, de la foi : Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod ; le Père Arnold Janssen ; le Père Joseph Freinademetz ; Marie-Thérèse Ledochowska !



I- Cette nouvelle et lumineuse étape de l’Année Sainte a été intentionnellement placée en cette Journée Missionnaire Mondiale. Et cette circonstance est particulièrement mise en évidence ici par la présence de nombreux Evêques missionnaires qui ont dépensé leur vie entière au service de l’Eglise ; par la présence également de 400 catéchistes des pays de mission. Nous les saluons tous avec un sentiment d’affection toute particulière. Aujourd’hui toute l’Eglise est unie dans la prière, dans une généreuse ferveur pour la cause missionnaire. C’est l’occasion annuelle où l’Eglise, peuple de Dieu, en pèlerinage, réfléchit sur sa physionomie générale, sur sa mission constitutive. C’est la parole de Jésus qui la définit ainsi, qui la veut ainsi : « Comme le Père m’a envoyé, moi je vous envoie » (
Jn 20,21). « Allez, et enseignez toutes les nations » (Mt 28,19).

Le Concile Vatican II a confirmé, dans le Décret sur l’activité missionnaire que « durant son pèlerinage sur la terre, l’Eglise est de nature, missionnaire » (Ad Gentes, AGD 2) et il a poursuivi traçant une large et merveilleuse synthèse théologique qui encadre sa mission dans le plan salvifique du Père : celui-ci, né de « l’amour dans l’envoi du Fils Unique avec Qui Dieu « entre de manière nouvelle et définitive dans l’histoire de l’humanité » (ibid., 3) et se prolonge dans l’effusion, le jour de la Pentecôte, du Saint-Esprit qui insinue en tout temps, « dans le coeur des fidèles le même esprit missionnaire qui avait poussé le Christ lui-même » (ibid., 4). Envoyée par le Christ, l’Eglise poursuit dans le temps et dans l’espace ce devoir fondamental qu’elle ne saurait réduire ou altérer sans trahir sa propre nature constitutive, sa propre vocation originelle.

II- Voilà, Frères et Fils, l’idéal missionnaire qui aujourd’hui, fait vibrer nos coeurs, et c’est précisément cet idéal qui unifie et rend semblables entre elles, bien que si diverses, les figures des quatre nouveaux Bienheureux qu’aujourd’hui l’Eglise propose au culte et à l’imitation de ses fils. Nous allons rappeler brièvement leurs caractéristiques essentielles, nous servant tour à tour de la langue qui fut la leur.



Le Saint-Père poursuit en français :



1. Nous dirons d’abord aux Fils du Père de Mazenod, aux membres de sa famille, à ses compatriotes d’Aix en Provence, aux diocésains de Marseille à tous les pèlerins venus pour le fêter : soyez très fiers, exultez de joie !

C’était un passionné de Jésus-Christ et un inconditionnel de l’Eglise ! Aux lendemains de la Révolution française, la Provence allait en faire un pionnier du renouveau pastoral. Dès son retour à Aix, après son ordination, l’Abbé de Mazenod est saisi par les urgences du diocèse : les jeunes, le menu peuple, les marginaux, les populations rurales. Il se veut le prêtre des pauvres et gagne des compagnons à son idéal. C’est le début d’une petite société : les Missionnaires de Provence qui deviendront les Oblats de Marie Immaculée. Nommé Vicaire général puis Evêque de Marseille, Mgr de Mazenod donne sa pleine mesure. Il bâtit des Eglises, crée de nouvelles paroisses, veille avec vigueur et tendresse à la vie de ses prêtres, multiplie les visites pastorales et les prédications percutantes, souvent en langue provençale, développe l’instruction catéchétique et les oeuvres de jeunesse, fait appel aux congrégations enseignantes et hospitalières, défend les droits de l’Eglise et du Siège de Pierre. A partir de 1841, les Oblats de Marie embarquent vers les cinq continents et vont jusqu’au bout des terres habitées. Notre Prédécesseur Pie IX dira d’eux : « Les Oblats, voilà les spécialistes des Missions difficiles ! ». Et le Père de Mazenod voulait qu’ils soient de parfaits religieux !

Ce Pasteur et ce Fondateur, témoin authentique de l’Esprit Saint — comme l’a si bien dit Mgr l’Archevêque de Marseille dans son Bulletin diocésain, — lance à tous les baptisés, à tous les apôtres d’aujourd’hui un rappel capital : laissez-vous envahir par le feu de la Pentecôte et vous connaîtrez l’enthousiasme missionnaire !



Paul VI poursuit son homélie en langue allemande. En voici la traduction :



2. Dans le nouveau Bienheureux P. Arnold Janssen, l’Eglise honore l’Apôtre inlassable de la Bonne Nouvelle ainsi que le Fondateur des Missionnaires de Steyl (Hollande), de la Congrégation des Soeurs Missionnaires de Steyl et des Soeurs Cloîtrées de l’Adoration Perpétuelle. Sa vie et son oeuvre, marquées de sa foi profonde, ont tendu avant tout au fidèle accomplissement de la Mission du Christ : « Allez par toute la terre et proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16,15).

La grande oeuvre missionnaire que le Bienheureux fondateur, le Père Arnold Janssen, a constituée, presque sans ressources humaines, est le fruit très précieux de son engagement apostolique personnel et de son inébranlable confiance en la Volonté et en la Providence de Dieu. C’était un homme livré continuellement à la prière, un zélateur de l’apostolat de la prière. Il avait un culte tout particulier pour le Sacré Coeur de Jésus, le Verbe Divin et le Saint-Esprit. En encourageant les exercices spirituels et en innovant une intense propagande par la presse, le Père Janssen contribua très largement au renouvellement de la vie religieuse dans les foyers. Ses providentielles fondations d’instituts religieux ouvrirent un large espace à sa féconde action pastorale donnant à sa mission d’apôtre une dimension universelle. Que sa béatification soit célébrée au moment où la Société du Verbe Divin fête son premier centenaire, et en même temps que la béatification du Serviteur de Dieu, le Père Joseph Freinademetz, voilà qui témoigne de la faveur des voies divines.

3. Ce deuxième pionnier de la foi, le bienheureux missionnaire, formé à Steyl, Joseph Freinademetz, originaire du Sud-Tyrol, la contrée de langue latine au sud des Dolomites qui à l’époque, tant au point de vue civil qu’ecclésiastique, dépendait de l’Autriche, comme aujourd’hui il fait partie du territoire italien du Haut-Adige, fut le premier missionnaire de son Ordre opérant au milieu de l’immense population chinoise et méritant aujourd’hui notre amour et notre sollicitude. Il s’est fait Chinois parmi les Chinois pour gagner ceux-ci au Christ. L’idéal si élevé des Missionnaires du Christ qui avait inspiré la fondation de l’Institut missionnaire de Steyl trouva ainsi dès le début sa première expression dans le Bienheureux Joseph Freinademetz. Il est un modèle et un intercesseur pour tous ceux qui proclament la Foi dans les pays lointains, exposés aux mille dangers dont Saint Paul fait état dans II° Epître aux Corinthiens (2Co 11,22-23). A cette occasion nous saluons, cordialement et affectueusement les nombreux pèlerins de Bolzano-Bressanone qui, avec les vigoureuses et fidèles populations du Haut-Adige, se réjouissent pour l’élévation aux Autels de leur co-diocésain, héroïque exemple de générosité absolue envers Dieu qui appelle.

4. Parmi les témoins de la foi qu’en raison de leur action missionnaire nous béatifions à l’occasion de la Journée Mondiale des Missions, il ne manque pas l’exemple lumineux de la collaboration féminine à l’oeuvre missionnaire de l’Eglise. C’est celui de la Bienheureuse Servante de Dieu Marie-Thérèse Ledochowska.

Elle descendait d’une famille noble d’origine polonaise, comme l’indique son nom; elle était toutefois autrichienne de naissance, étant née à Salzbourg ; elle était la nièce du Cardinal Ledochowski, la soeur du très éminent Père Wladimir Ledochowski qui devint Général de la Compagnie de Jésus, soeur également d’une autre âme d’élite, Ursule, fondatrice des Soeurs du Sacré-Coeur de Jésus Agonisant (bien connues ici à Rome, à Primavalle).

La nouvelle Bienheureuse, Marie-Thérèse Ledochowska, accueillit le pressant appel du Cardinal Lavigerie en faveur de l’Afrique et mit de tout coeur ses remarquables facultés au service de l’Eglise et de l’Apostolat missionnaire. Elle fonda l’Institut de Saint Pierre Claver pour les Missions Africaines — aujourd’hui « Soeurs Missionnaires de Saint Pierre Claver » — dont le but était et est de soutenir par la prière, l’aumône, les publications religieuses et tous moyens utiles, la tâche apostolique des missionnaires en Afrique. La Bienheureuse Marie-Thérèse Ledochowska soutenait également l’idée missionnaire par des conférences, des études, et en diffusant des périodiques qui paraissent encore aujourd’hui. Elle était, selon l’esprit de l’Evangile et par amour du prochain une éminente pionnière des modernes exigences de l’alphabétisation.


Le Saint-Père continue en langue italienne :

III- Le manque de temps nous empêche de nous arrêter autant que nous le voudrions sur le message spécifique que chacune de ces grandes figures nous propose, à nous, hommes de notre temps. Nous ne manquerons pas toutefois d’accueillir une triple invitation que nous adressent tous ensemble les quatre Bienheureux, unis dans un seul concert vocal.

a) Avant tout l’invitation à sentir et à voir dans chaque homme un frère qui vit avec nous et comme nous aime, espère, pleure ; à l’aider à s’élever, à parvenir à la plénitude de son développement humain, social, culturel, spirituel. Et tout cela, non pas, évidemment, par simple sympathie — d’ailleurs tout à fait légitime —, par esprit de bonne entente ou par une sorte de « compassion » qui naisse de motifs seulement naturels ; non, il faut que ce sentiment soit éclairé d’abord et avant tout par la Révélation qui nous montre mystérieusement présent et caché dans le visage de nos frères, spécialement de ceux qui souffrent, le visage même du Christ (cf. Mt 25,31-46).

b) Ils nous invitent ensuite à cueillir les signes des temps pour témoigner de la présence de l’Eglise dans le monde et la rendre toujours plus actuelle, en mettant en oeuvre tous les moyens que nous offrent soit les circonstances du kairos (redimentes tempus, « profitant du moment » Ep 5,16), soit les inclinations du génie propre de chacun. Les nouveaux Bienheureux nous donnent, en effet, l’image de personnes qui, certes, n’étaient pas repliées sur elles-mêmes en un stérile narcissisme ou se bornant à résoudre des problèmes ou pseudo-problèmes individuels ; elles se sont mises à travailler sérieusement, et durement, pour le Royaume de Dieu, où, comment et quand elles ont eu l’intuition des énormes possibilités qu’elles avaient de se rendre utiles. Ces Bienheureux apprennent à tant d’esprits inquiets, mécontents ou démoralisés comment se dépenser pour autrui, en agissant plus et en parlant moins, car les ouvrier de la vigne sont attendus à toute heure (cf. Mt Mt 20,1-16).

c) En troisième lieu ils nous invitent à prendre toujours plus nettement conscience du fait que « dans l’ordre actuel des choses, dont découlent de nouvelles conditions pour l’humanité, l’Eglise, sel de la terre et lumière du monde, est appelée de façon plus pressante à sauver et à rénover toute créature, afin que tout soit restauré dans le Christ, et qu’en Lui les hommes constituent une seule famille et un seul peuple de Dieu » (Ad Gentes, AGD 1).

L’aliment irremplaçable de cette oeuvre de suprême importance est la foi ; l’amour ; la prière dans le coeur de valeureux missionnaires.


Le Saint-Père a ajouté en langue espagnole :

Quelle est la force mystérieuse qui a poussé les nouveaux Bienheureux à suivre leur idéal missionnaire ? Une foi illimitée en Dieu qui s’est traduite en un amour passionné pour le Christ. Foi et amour qui se développent en un désir envahissant de diffuser parmi les hommes le message du salut. Aujourd’hui en exaltant joyeusement l’exemple de sainteté des nouveaux Bienheureux, nous sollicitons également leur aide et leur intercession pour tous ceux qui, animés des mêmes idéaux, vouent leur existence à l’évangélisation du monde.


Paul VI a conclu en langue anglaise :

Finalement, c’est la prière qui a été le levain secret de l’étonnante fécondité de l’action de ces âmes. La prière les a soutenus dans les difficultés et les a rendus capables d’accomplir des actions qui surpassent toutes possibilités humaines. Et leur exemple enseigne à tous les apôtres de la mission — aujourd’hui et à jamais — que la vie intérieure est, et demeure, l’âme de tout apostolat ».

Tout comme ces nouveaux Beati — si différents et cependant si pareils — nous montrent la voie à suivre, puissent-ils à cet effet nous obtenir l’assistance de Dieu. Nous le leur demandons, confiant à leur intercession la réussite fructueuse de nos intentions.



20 octobre 1975

L’HOMÉLIE DU SOUVERAIN PONTIFE À LA CANONISATION DE GIUSTINO DE JACOBIS

20105



Vénérables Frères et très chers Fils,



Le rite de canonisation que nous accomplissons aujourd’hui est la continuation idéale de la célébration de la Journée Missionnaire Mondiale durant laquelle nous avons proposé les figures exemplaires de quatre nouveaux Bienheureux à la vénération des fidèles. Et en effet, aujourd’hui tout comme dimanche dernier, notre regard se fixe avec admiration sur un insigne représentant du monde missionnaire, l’Evêque Justin De Jacobis qui, pendant une vingtaine d’années fut, au coeur du XIX° siècle, le Préfet et le premier Vicaire Apostolique d’Abyssinie où il exerça jusqu’à la mort un intense et courageux ministère.

Cette antique et noble nation africaine connut la parole chrétienne dès l’âge apostolique — qui ne se rappelle la suggestive rencontre, sur le chemin de Gaza, entre le dignitaire Ethiopien et le diacre Philippe (cf.
Ac 8,26-40) ? Elle se réjouit aujourd’hui de voir exalté un de ses fils, car le nouveau Saint s’était fait réellement abyssin parmi les Abyssins et avait été, depuis lors, appelé très affectueusement Abuna Yagob. La fête d’aujourd’hui est une grande joie également pour la Congrégation Religieuse de Saint Vincent de Paul à laquelle appartenait notre Saint. Et c’est fête aussi pour la Région lucane où Justin De Jacobis naquit et vécut sa jeunesse dans le chaleureux climat d’une honnête famille nombreuse. Et enfin c’est l’Eglise tout entière qui se réjouit parce qu’en cette année bénie une nouvelle lumière de sainteté s’allume pour elle et en elle en soutien de sa présence salutaire dans le monde et du rayonnement de ses idéaux de renouvellement et de réconciliation qu’elle a proposés pour le présent Jubilé ! L’Année Sainte veut être, doit être une époque de sainteté et les rites fréquents que nous célébrons en l’honneur des nouveaux Saints, des nouveaux Bienheureux, tendent, en vertu du caractère concret des modèles présentés, de l’incarnation existentielle de l’homo novus, ou nova creatura que seule la foi du Christ peut engendrer (cf. Ep 4,22-24 Col 3,9-10 2Co 5,17), et aussi en raison de la certitude de trouver en eux une plus valable protection et un raccord plus direct avec l’Eglise céleste (cf. He He 12,22-23), tendent, disons-nous, à raviver un tel panorama de spiritualité religieuse, à le parsemer d’étoiles, à l’enrichir, à le compléter.

Mais il conviendra, désormais, de préciser, s’appuyant sur des recherches plus complètes, quelles sont les raisons qui justifient aujourd’hui notre joie. Qui était Justin De Jacobis ? Il fut, nous l’avons dit, un apôtre de l’Ethiopie ; il fut un religieux des Prêtres de la Mission ; il fut un homme qui, dans un pays éloigné de sa terre natale, couronna son rêve juvénile et viril de se faire messager de l’Evangile du Christ. Mais cela ne peut suffire ; n’est-ce pas aussi valable pour tant d’autres Religieux et Missionnaires catholiques ? Et alors, qui était réellement notre Saint ? Quels sont les caractères particuliers, ou plus exactement les vertus qui marquèrent sa démarche évangélique ? Nous devrions, à ce propos suivre de très près les péripéties de sa vie et soupeser tous les récits, toutes les notes biographiques. Renonçant à de telles recherches, nous nous limiterons — selon notre habitude — à mettre en lumière quelques traits saillants et, pensons-nous, tout particulièrement dignes d’attention.

Partant pour l’Afrique, en 1839, comme simple Préfet Apostolique, Justin De Jacobis, non seulement suivait sa vocation, c’est-à-dire la voix de Dieu murmurée à son esprit et aussitôt écoutée, mais il recueillait également l’invitation de la Congrégation « De Propaganda Fide » de l’époque, acceptant ainsi la, missio canonica qui lui était conférée par l’autorité de l’Eglise. C’est précisément dans cette rencontre entre l’intention personnelle et la charge formelle que nous trouvons cette conjonction qui, étant expression d’une authentique obéissance et d’une généreuse fidélité, ne saurait que préluder à une action évangélique des plus efficaces. Justin De Jacobis fut un bon et fidèle serviteur (Mt 25,21 Lc 19,17) qui, envoyé dans la vigne du Seigneur, travailla inlassablement malgré de continuelles tribulations, à la défricher, à la cultiver, à la féconder.

Mais, pour sa part, il s’était préparé avec soin à une si haute mission ; il y était, pour ainsi dire, déjà exercé. Nous rappellerons, à ce propos, l’apostolat qu’il accomplit dans son pays, d’abord dans les Pouilles, puis à Naples où son zèle resplendit pendant une meurtrière épidémie. Le premier trait que nous relevons en lui est donc sa pleine correspondance au mandat missionnaire, vers lequel il sut orienter tout le nécessaire travail de sa préparation et à l’accomplissement duquel il apporta une mûre expérience sacerdotale, fortement trempée et capable de tous sacrifices.

Nous devons relever ensuite comment, dans l’apostolat en terre africaine — qui devint bientôt pour lui une seconde patrie — émergèrent nettement deux notes particulières qui nous semblent pouvoir, constituer de très valables lignes directrices pour orienter l’oeuvre missionnaire telle qu’elle est conçue à l’époque moderne. Ayant reçu le 8 janvier 1849 l’ordination épiscopale des mains de Mgr Guillaume Massaia, capucin, envoyé par la suite en Ethiopie et, lui aussi, un grand apôtre missionnaire qui sera élu Cardinal, Saint Justin De Jacobis eut, avant tout autre, le constant souci de former le clergé indigène, préfigurant ainsi la ligne de la pastorale de la vocation qui allait, surtout après le Concile Vatican II, être considérée comme définitivement établie au sein de l’Eglise (cf. Décret Ad Gentes AGD 16). Travaillant dans le Tigré, à Adoua puis à Gouala, il appliqua les charismes de sa vocation à susciter, à récolter, à éduquer les vocations parmi les fidèles de la naissante communauté chrétienne : pour préparer les prêtres indigènes, il fonda un Séminaire auquel il donna le nom de « Collège de l’Immaculée ». Il nous plaît aussi d’évoquer ici un de ses prêtres, converti et ordonné par lui-même, l’abba Ghébré Michaël (1791-1855) qui, mort après de longs et douloureux mois d’agonie, est vénéré comme Martyr de l’Eglise qui l’a proclamé Bienheureux le 31 octobre 1926. C’est avec la plus vive satisfaction que, dans une lettre à nous adressée par le Président de la Conférence Episcopale d’Ethiopie, nous avons lu ces mots : « Le Bienheureux Justin De Jacobis a été un père pour l’Eglise Ethiopienne ; il a en effet régénéré l’Ethiopie Chrétienne et l’a rendue à plénitude de cette Foi Catholique qu’elle avait reçue de son premier Apôtre, Saint Frumenzins (du IV° siècle, consacré Evêque par Saint Athanase ; cf. P.L. 21, 473-80).

Pour lui, la seconde ligne directrice fut, l’action oecuménique : opérant dans un milieu d’antique tradition religieuse, il voulut rapprocher les frères séparés, les Coptes, Ethiopiens et, également, les Musulmans ; et même si en agissant ainsi il lui fallait rencontrer de violentes hostilités et de graves incompréhensions, il n’en voulut pas moins donner plus d’ampleur aux valeurs chrétiennes existantes, visant à l’unité et à l’intégrité de la foi.

Voilà les principaux éléments qu’un regard posé ça et là sur la vie du Saint nous a permis d’y relever et que nous voulons maintenant suggérer à votre méditation. Aujourd’hui, nous le répétons, toute l’Eglise est en fête parce qu’un autre de ses fils a été promu parmi les Saints ; et la cause missionnaire, toujours essentielle et permanente dans l’Eglise, peut dès maintenant compter sur un autre intercesseur et protecteur. Nous devons donc l’invoquer pour qu’il continue à répandre sa lumière, à inculquer son exemple, à transmettre son héritage spirituel à ses Confrères de Saint Vincent de Paul et à tous les Missionnaires. Et nous l’invoquerons en particulier pour la terre Ethiopienne qui fut témoin de l’ardeur de sa charité et de son rude labeur apostolique : et nous l’invoquerons pour le Continent Africain tout entier, un continent qui, grâce aux progrès réalisés et pour les éléments très purs de sa culture, est désormais en marche sur les voies d’un développement certain et nous voulons l’espérer — d’un progrès non moins certain, consolant et florissant, de la foi catholique. Qu’il en soit ainsi !




1er novembre 1975

béatification d'Ezéchiel Moreno y Diaz, Gaspard Bertoni, Vincent Grossi, Anne Micbe-lotti et Marie Droste zu Vischering

11175
DES SAINTS D’AUJOURD’HUI, POUR AUJOURD’HUI


Paul VI, se servant tour à tour des langues italienne, espagnole, allemande, portugaise et anglaise, a prononcé une homélie dont voici notre traduction :



I. L’Eglise exulte une fois encore devant cinq de ses fils héroïques. Au cours de cette Année, l’aspect de sainteté de l’Eglise brille d’un éclat tout particulier ; « la vocation universelle à la sainteté » mise en relief par le Concile Vatican II (Lumen Gentium,
LG 39-42 et qui intéresse toutes les catégories de l’Eglise — évêques, prêtres, religieux, laïcs de toute condition et de toute situation — se trouve merveilleusement confirmée par ces figures, fortes, humbles, généralement peu connues, et cependant très riches d’admirables exemples qui nous les rendent proches, semblables, imitables et qui nous frappent par leur profond attachement, leur actif dévouement à Dieu et à leurs frères.

Une fois de plus, Dieu est glorifié dans ces Bienheureux. L’Eglise ne cesse d’engendrer des fils qui propagent son Nom grâce à leur témoignage concret et convaincant des vertus théologales. L’Eglise dévoile au monde son secret le plus profond et vital, le courant sanctificateur qui l’imprègne toute entière, un courant jaillissant du coeur même de Dieu Un et Trine. Mais le genre humain, lui aussi en est ennobli, embelli, parce qu’il continue à faire naître dans son sein des modèles d’humanité complète et de fidélité à la grâce ; et ceux-ci nous prouvent que, malgré tout, le bien existe, le bien opère, le bien se diffuse, fut-ce même en silence, et, en fin de compte, avec ses influence bénéfiques, domine le bruit assourdissant, mais stérile et déprimant, du mal.



II. Nous avons cinq figures qui honorent l’âge moderne ; diverses par leur expérience, elles sont cependant semblables entre elles par leur commun dénominateur d’âmes consacrées à Dieu dans le sacerdoce ou dans la vie religieuse. Elles ont toutes quelque chose à nous dire dans leur vie, ce qui demanderait pour toutes, d’être envisagées séparément, chacune en soi.



1. Le premier des nouveaux Bienheureux est Ezéchiel Mo-reno, religieux et évêque, une gloire en plus pour l’Espagne Catholique. Né à Alfaro (Logrono) en 1848, il fit son entrée chez les Augustin Récolets, mais déploya son zèle loin des frontières de sa patrie : d’abord aux Philippines où il reçut l’ordination sacerdotale et exerça son apostolat à Manille, dans les îles Palaivan et à Imus ; puis au Collège-Noviciat de Monteaguro (Navarre) ; comme premier Vicaire Apostolique de Casamare (Colombie) et comme Evêque de Pasto, également en Colombie. Il démontra toujours un zèle infatigable dans la proclamation de la Parole de Dieu, dans le ministère du Sacrement de la Pénitence, dans l’assistance des malades de jour comme de nuit, dans la vigoureuse défense de son troupeau contre les erreurs du temps, faisant toujours preuve, toutefois, d’un grand amour et de beaucoup de délicatesse envers ceux qui s’étaient trompés. Mériterait un discours à part cet amour envers la Croix, tel qu’ils se révéla au cours de la douloureuse maladie qui le conduisit à la mort en 1906. Exemple vivant de sainteté pour les Evêques qui « ont reçu la grâce sacramentelle pour que, par la prière, le sacrifice, la prédication, par toutes les formes de la charge et du service épiscopal, ils exercent en perfection la charge de la charité pastorale ; qu’ils ne craignent pas de donner leur vie pour leurs brebis, en étant le modèle de leur troupeau (cf. 1P 5,3) que par leur exemple ils poussent aussi l’Eglise à une sainteté toujours plus grande (Lumen Gentium, LG 41).

2. Gaspard Bertoni, prêtre de Vérone, fondateur des Stigmatins (1777-1853) ! Jeune prêtre formé à l’école de Saint Ignace, il se prodigua pour le bien de ses concitoyens en soignant les plaies laissées par la guerre franco-autrichienne ; il avait ressenti l’urgente nécessité de s’occuper de la jeunesse qui se voyait abandonnée à elle-même, privée de formation, à la dérive; sans moyens financiers et dans l’humilité la plus absolue il recueillit des enfants et des adolescents dans son premier oratoire, créé sous le nom de « Cour Mariale ». L’institution se répandit au nom de Marie afin de donner à la jeunesse une formation complète scolaire, humaniste et surtout spirituelle — usant des moyens irremplaçables de la direction spirituelle et de la piété eucharistique et mariale. C’est ainsi qu’en 1816 naquit, près de l’Eglise des Stigmates, la Congrégation des Missionnaires apostoliques (appelés précisément les Stigmatins) qui, à une époque plutôt mal disposée à l’égard des Ordres religieux, devait s’appliquer à l’oeuvre d’éducation de la jeunesse par le moyen de l’école gratuite. Confesseur expert, il apporta des soins tout particuliers aux vocations, soutint de ses encouragements des oeuvres naissantes, parmi lesquelles celles de la Marquise de Canossa, et de Naudet ; sa vie fut une continuelle immolation, jusqu’à la purification ultime par la maladie : « J’ai besoin de souffrir » furent ses dernières paroles. Nous voyons en cette humble et clairvoyante figure l’apôtre des jeunes qui, aujourd’hui encore, indique le chemin à suivre pour un avenir sûr de la société.

3. Vincent Grossi, prêtre de Crémone, fondateur des Filles de l’Oratoire (1847-1917) : voici un autre apôtre de la jeunesse et un exemple serein et convaincant pour les prêtres engagés directement dans les soins pastoraux, nos excellents curés et vicaires des paroisses du monde entier ; ils trouveront en lui un nouveau modèle de sanctification et de dévouement. En effet, pendant 44 années il eut charge de paroisse, avec toutes les obligations qu’une telle vie comporte, de la prédication opportunément mise à jour et pleine de ferveur à la délicate sollicitude à l’égard des malades, des soins spirituels aux nécessités administratives. Le dévouement, qu’une foi profonde animait en lui, le poussa surtout à se pencher sur l’enfance et sur les adolescents, auxquels il consacra tous ses soins et pour lesquels il fonda l’Institut des Filles de l’Oratoire destinées tout spécialement à l’enseignement du catéchisme dans les paroisses : un apostolat simple et grand, irremplaçable, sans lequel il n’est pas possible d’assurer des bases solides à la vie chrétienne ! L’abbé Grossi était ainsi : homme aux solides et généreuses vertus, cachées dans le silence et purifiées par le sacrifice et les mortifications affinées par la soumission, il a laissé une trace profonde dans l’Eglise qui, aujourd’hui, le propose comme modèle et le prie comme intercesseur.


4. Un appel mystérieux, incessant à la souffrance : voilà, synthétisée, la vie brève et intense de Anne Michelotti, Jeanne-Françoise de la Visitation, née à Annecy en 1843 et morte à Turin, en 1888, à l’âge de 44 ans. La spiritualité salésienne l’accompagna durant ce court trajet marqué par la pauvreté, par l’humilité, par les incompréhensions, par les croix. Eduquée par les Petites Servantes du Sacré-Coeur de Jésus elle se signala dès sa plus tendre enfance par sa prédilection pour le saint-tabernacle et pour les pauvres. C’est en faveur de ceux-ci qu’elle fonda sa Congrégation. C’est une lumière d’amour qui a brillé et a éclairé les taudis de la ville qui trop souvent ignore ceux qui souffrent ; cette lumière est pour nous tous l’indication du pur amour envers Dieu qui s’immole pour les plus pauvres et pour les abandonnés.

5. Et en conclusion, aujourd’hui l’Eglise honore également une autre jeune religieuse, Marie Droste zu Vischering, en religion Soeur Marie du Divin Coeur. Elle est une gloire pour l’Allemagne où elle naquit à Munster en 1863 et pour le Portugal où, à l’âge de 36 ans, en 1899, elle mourut à la tâche. Supérieure du Couvent des Soeurs du Bon Pasteur à Porto, elle accomplit avec le plus grand dévouement une tâche rendue plus difficile par les circonstances. Née d’une famille aristocratique des plus honorées elle aspira cependant à un honneur plus élevé en accueillant la grâce extraordinaire que Dieu lui donne en partage : sa dévotion fervente envers le Sacré-Coeur de Jésus, l’amour qu’elle lui portait, inspirèrent sa volonté de se dévouer à la jeunesse en péril et aux pauvres. Ce sont les mêmes sentiments qui inspirèrent son inlassable zèle apostolique à encourager les vocations sacerdotales. Par ses lourdes souffrances endurées avec joie pour le salut des âmes, Soeur Marie, elle-même image de l’éternel Bon Pasteur, mérita d’être l’humble ambassadrice du Coeur Divin, porteuse d’un message que notre prédécesseur Léon XIII allait confirmer en consacrant le genre humain au Sacré-Coeur de Jésus. Cette consécration eut lieu quelques jours avant la mort de notre nouvelle Bienheureuse, lorsque, le 28 mai 1899 fut publiée l’Encyclique Annum Sacrum. L’ambassade de cette honorable Servante de Dieu prend ainsi, de même que celle de la Bienheureuse Michelotti, une signification profonde en l’actuelle Année Internationale de la Femme, et montre la place que la femme peut prendre dans l’Eglise comme collaboratrice active dans le plan divin du salut.

Il faut parler également du Portugal et évoquer de manière toute particulière la figure de la nouvelle Bienheureuse Marie du Sacré-Coeur Droste zu Vischering.

Aux nombreux pèlerins venus, avec leurs Evêques, du Portugal, la patrie adoptive de la nouvelle Bienheureuse, une patrie qu’elle a tant aimée et où, elle aussi est tant aimée, et spécialement aux pèlerins venus de Porto où la Soeur Marie du Sacré-Coeur passa une partie de sa vie et où repose son corps, a tous, donc, nos félicitations les plus cordiales, au milieu de la joie de cette assemblée et de l’Eglise toute entière.



III. Le message que nous adressent les nouveaux Bienheureux est le même que celui que nous font parvenir tous ceux qui ont pris l’Evangile au sérieux : « aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit » (Mt 22,37) et aimer son prochain comme soi-même et plus que soi-même. C’est la voie royale vers la sainteté et hors de celle-ci on ne peut construire rien de valable pour le royaume de Dieu. Les Bienheureux Moreno, Bertoni, Grossi, Michelotti et Droste ont vraiment aimé de cette manière le Seigneur et leurs frères : et dans les manifestations — cependant si diverses — de leur piété comme de leur vie, nous retrouvons les traits communs de la sainteté chrétienne. Mais, ensemble, ceux-ci nous disent aussi quelque chose de particulier : ils nous parlent du souci des jeunes de l’amour envers la Croix et ceux qui souffrent ; de l’amour pour la Vierge.



1. Le souci des jeunes : dans la diversité des initiatives et des oeuvres, ces bienheureux ont tous perçu, avec une clairvoyance qui nous frappe, la nécessité de suivre les jeunes, parce qu’ils étaient certains que ces jeunes portent l’avenir de l’Eglise et de la société. Avertissement sérieux pour notre temps ! Il doit faire réfléchir les Evêques, les prêtres, les religieux et religieuses Il invite à se consacrer davantage et toujours mieux aux merveilleuses énergies de la jeunesse, capables d’assurer la vitalité de la communauté chrétienne, la santé des familles, la continuité des vocations, l’engagement généreux pour un avenir meilleur.



2. Nos nouveaux Bienheureux nous parlent aussi de l’amour pour la Croix, spécialement ceux qui ont souffert et désiré souffrir même jusqu’au plus haut sommet de l’héroïsme. Et cet héroïsme était d’autant plus grand qu’il restait invisible dans l’isolement, dans la pauvreté, dans les difficultés, dans les incompréhensions, dans la maladie et dans une vie cachée — exactement comme le grain qui tombe en terre et meurt afin de produire de nombreux fruits (cf. Jn 12,24). Et c’est avec le même dévouement qu’ils ont aimé tous ceux qui, plus que les autres, ont été marqués par la Croix : le pauvre et le malade ; ils ont découvert en ceux-ci l’image souffrante du Christ. Il y a dans tout cela une très grande leçon pour notre temps, lorsque le courant de l’hédonisme, la recherche du confort à tout prix et l’insouciance pour les besoins d’autrui sont en voie de faire oublier au monde que la plus grande partie de l’humanité souffre de disette matérielle et spirituelle. La civilisation d’un peuple se mesure à sa sensibilité face aux souffrances et à sa capacité d’y porter remède.



3. Puis les nouveaux Bienheureux nous parlent également de leur amour pour la Très Sainte Vierge Marie qui a sans cesse animé leur Apostolat et les a toujours accompagnés comme un exemple lumineux. Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, Marie « coopère, par amour maternel, à la naissance et à l’éducation des fidèles » (Lumen Gentium, LG 63). Aussi est-elle présente d’une manière toute particulière dans la vie cachée des Saints. Nous voulons indiquer pat là que nous devons tourner nos pensées vers Elle. Elle est la Reine de tous les Saints que nous fêtons en ce jour de Toussaint, et la gloire du Paradis, dans la beauté virginale de son corps transfiguré, qui est devenu le Temple du Verbe fait chair, ainsi que dans l’éclat de l’incomparable sainteté de son âme pleine de grâce.

En élevant aujourd’hui notre pieuse pensée vers la Très Sainte Vierge, guidé par l’exemple des nouveaux Bienheureux nous ne pouvons nous empêcher de mettre en relief une curieuse coïncidence. Il y a exactement vingt-cinq ans, le même jour et en ce même lieu, notre Prédécesseur Pie XII proclamait solennellement l’Assomption de Marie dans les deux, provoquant une explosion de joie dans l’Eglise : « toutes les générations m’appelleront Bienheureuse » (Lc I, 48).

A Marie, nous recommandons nos existences, les vicissitudes variées du monde actuel, puis l’Eglise tout entière. Que Marie nous assiste, nous guide ; qu’elle nous dispose, comme les nouveaux Bienheureux, à nous consacrer docilement, avec Elle et avec eux, comme Elle et comme eux, à la gloire du Père, du Fils, de l’Esprit Saint.




Paul VI Homélies 28095