Paul VI Homélies 16107

30 octobre 1977

Béatification des Frères des Ecoles Chrétiennes, Mutien-Marie et Miguel

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UNE GRANDE LEÇON D’AMOUR DES JEUNES ET DE CONFIANCE EN EUX



Homélie du Pape Paul VI lors de la béatification en la basilique Saint Pierre



Vénérables frères, très chers Fils et Filles réunis ici pour cette célébration solennelle,



L’acte que nous venons d’accomplir nous remplit le coeur d’une joie très pure. Nous avons proclamé bienheureux deux religieux, deux Frères des Ecoles Chrétiennes Miguel Febres Cordero et Mutien-Marie Wiaux et autorisé leur culte, livrant leur exemple à l’admiration et à l’imitation de tous les croyants. Deux astres nouveaux se sont allumés au firmament de l’Eglise. Comment ne pas exulter en contemplant ces frères qui sont déjà arrivés au but que chacun de nous aspire atteindre un jour ? Comment ne pas éprouver une grande joie en sachant que nous pouvons compter sur la puissante intercession de ceux qui ont connu des vicissitudes pareilles aux nôtres et qui sont donc en mesure de comprendre la grandeur et la misère de notre condition humaine ? Ils se trouvent sous nos yeux, dans la splendeur de la seule gloire qui ne craint pas l’usure du temps: la gloire de la sainteté. De continents divers, avec des caractéristiques humaines nettement différentes, ils sont unis par de profondes affinités intérieures qui révèlent une empreinte spirituelle identique ; celle de Saint Jean-Baptiste de La Salle qui a inspiré et guidé leur maturation chrétienne. Pour apprécier les mérites des deux nouveaux Bienheureux il importe d’évoquer à cet effet les mérites de la Famille religieuse à laquelle ils ont appartenu : le célèbre et méritant Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes que Saint Jean-Baptiste de La Salle fonda à Reims en 1680, donnant à l’Eglise une de ses institutions les mieux adaptées à la mission d’éducation qui lui est propre : une école pour l’école. Le but en vue duquel le Fondateur a conçu là nouvelle société religieuse était en effet la préparation d’éléments spécialisés dans les diverses tâches de l’éducation, capables de se consacrer avec succès à la formation chrétienne et humaine de la jeunesse pauvre, des fils du peuple.

Les caractéristiques de l’Institut découlent de tels desseins : il s’agit d’une société religieuse qui recueille des personnes engagées dans la pratique des conseils évangéliques dans une forme de vie pauvre et austère, vécue en commun et manifestée également à l’extérieur par la forme de l’habit ; ce sont des personnes dont la mission principale est l’enseignement scolaire — enseignement élémentaire et celui qu’on appelle aujourd’hui « secondaire » — basé sur des critères didactiques perfectionnés et réalisé avec la conscience de l’apôtre qui se sait responsable, devant les élèves, de leur annoncer l’Evangile, par la parole et par l’exemple, afin de conquérir leur coeur au Christ.

C’est cela, en effet, le but visé par toute école catholique : faire connaître et aimer Jésus. Et c’est avant tout pour cette raison que l’école catholique mérite la considération et l’estime de tout chrétien. Il est donc juste et nécessaire de soutenir nos écoles qui ouvrent les jeunes à la vie, leur assurent une formation humaine et spirituelle et, ainsi, édifient en même temps la cité terrestre et l’Eglise.

Quant à l’Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes, l’histoire nous informe que malgré les difficultés qu’il eut à surmonter, il connut une rapide et large diffusion : alors que son saint fondateur était encore en vie l’Institut était déjà présent dans 15 diocèses français, avec 22 communautés. Aujourd’hui il accomplit son oeuvre dans 78 pays des cinq continents.

Les deux Bienheureux que nous contemplons aujourd’hui dans la gloire du Royaume de Dieu témoignent éloquemment de la vitalité de l’ancienne plante sur laquelle ils ont fleuri.

Au Supérieur général, à ses collaborateurs, aux nombreux membres de cet Institut si riche de mérites nous manifestons notre vive satisfaction et nous les saluons en les bénissant.

De même nous saluons avec une toute particulière cordialité et déférence les Délégations gouvernementales qui représentent si dignement à cette cérémonie les deux pays d’origine des nouveaux Bienheureux, et nous entendons saluer en même temps les Pasteurs qui ont voulu intervenir.

Le Saint-Père a poursuivi en langue espagnole :



La vie du Frère Miguel, le chétif enfant né dans les replis andins de Cuenca, se déroula dans une famille aisée, de tradition catholique, ayant rendu de grands services à son pays.

L’enfance du nouveau Bienheureux fut attristée par un grave défaut physique : l’enfant avait, de naissance, les pieds déformés. Une raison de vive angoisse pour la famille qui ne tarda pas à se consoler en constatant les qualités d’intelligence et de bonté du nouveau rejeton qui grandissait sous la protection spéciale de la Vierge Marie. Miguel lui-même considérait comme un signe providentiel qu’il fût né l’année de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.

Son amour pour Marie envers qui il avait la plus grande confiance, ne fit que croître. C’est pourquoi, ne pouvant visiter les sanctuaires de Lourdes ou de Lorette ou n’importe quel autre pour demander sa guérison à la Reine des Cieux, il s’exclamera avec une confiante sérénité : « Je la verrai au ciel ».

Ayant pu, non sans obstacles, réaliser son idéal de se donner au Christ et à l’Eglise dans la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes, le Frère Miguel fit preuve d’un esprit profondément religieux, d’une admirable capacité de travail, d’une grande volonté de se sacrifier au service d’autrui. Et, parmi ses qualités émerge surtout, comme cela ne pouvait manquer chez un fils de Saint Jean-Baptiste de La Salle, l’amour de la jeunesse et un inlassable dévouement à sa droite formation humaine et morale.

Sur ce plan, notre Bienheureux atteignit des cimes telles qu’il est devenu un authentique modèle dont la réussite constitue un véritable titre de gloire pour l’Eglise, pour sa famille religieuse, pour sa patrie qui le nommera académicien titulaire de l’Academia Ecuatoriana, Correspondiente de la Espanola. Si nous nous interrogeons sur la raison fondamentale d’une telle fécondité humaine et religieuse, d’un tel succès et d’une si grande efficacité dans sa charge exemplaire de catéchiste, nous le trouvons au plus profond de son riche esprit qui le mena à acquérir une science revêtue d’amour, une science qui voit l’être humain, à la lumière du Christ, comme une image divine qui se projette — avec ses droits et ses devoirs sacrés — vers les horizons éternels. Voilà le grand secret, la clé du succès obtenu par Frère Miguel, la réalisation sublime d’un grand idéal et de ce fait une figure modèle pour notre temps.

En effet, lorsque peu de jours avant de mourir en terre d’Espagne, il dira : « D’autres travailleront mieux que moi », il léguait un héritage à l’Eglise, surtout au monde religieux et à ses frères en religion : poursuivre, dans son sillage, la tâche de former la jeunesse, faisant en sorte que l’école catholique, moyen toujours perfectible mais valide et efficace, soit un centre permanent de formation d’une jeunesse sincère et généreuse, imprégnée d’idéaux élevés, capable de contribuer au bien commun, consciente de son devoir de faire respecter les droits de toutes les personnes — des plus défavorisées d’abord et surtout — une formation qui les rende toujours plus humaines et ouvertes à l’espérance apportée par le Christ. Un défi merveilleux et exigeant qu’il faut relever avec courage et esprit d’initiative. C’est le grand message que le Frère Miguel nous a confié pour que nous le complétions aujourd’hui.

Le Saint-Père s’adresse ensuite en français aux assistants :



Le second Bienheureux que nous vénérons a passé toute sa vie en Belgique. Ce n’est pas une formule stéréotypée de dire du Frère Mutien-Marie qu’il a vu le jour dans une famille d’humble condition mais profondément chrétienne. C’était en 1841 à Mellet. Dans l’amour attentif de ses parents, dans leur exemple, dans la prière et le chapelet récités chaque jour en famille le jeune Louis Wiaux trouva tout ensemble une jeunesse heureuse, une foi solide et le désir de se donner à Dieu.

Dès l’âge de quinze ans, il répondit, à la lettre, à l’appel du Seigneur, quitta tout pour le suivre, renonçant même à son nom pour prendre celui d’un martyr très peu connu : geste symbolique de soixante années d’une vie religieuse effacée aux yeux des hommes, mais grande aux yeux de Dieu et exemple maintenant pour l’Eglise entière.

Cet exemple sera-t-il compris et suivi ? N’est-il pas opposé aux orientations du monde actuel ? Bien loin de chercher d’abord sa propre autonomie et son épanouissement personnel, le Frère Mutien-Marie s’est donné totalement, du jour où il est entré dans l’Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes, à plus grand que lui, à Dieu d’abord ; et à l’oeuvre de l’éducation chrétienne de la jeunesse. Et pourtant, dans cette vie sacrifiée en apparence, quelle autonomie intérieure profonde, quel épanouissement spirituel n’a-t-il pas trouvé, aux yeux du coeur qui voient la sagesse ? Obéissance, humilité, dévouement et sacrifice furent les maîtres-mots de sa vie. Par là, dans le grand collège Saint-Berthuin de Malonne, sa vocation de pédagogue prit des formes imprévues, polyvalentes, déterminées essentiellement par le souci de servir là où il y avait à servir ! Qui dira assez la volonté et la maîtrise de soi que suppose une telle existence ? Quelle richesse humaine et spirituelle, sous des dehors si simples ! Il n’a pas eu le charisme de réaliser des oeuvres scolaires aussi brillantes que celles de Frère Miguel, mais il est devenu le « maître » de beaucoup de jeunes, en leur dévoilant comment l’amour désintéressé peut inspirer toute une existence. Oui, durant plus d’un demi-siècle, en communauté, dans la vie scolaire et dans la vie religieuse, le Frère Mutien-Marie fut un exemple pour tous ceux qui passèrent dans son école, élèves, professeurs et parents. Exemple, il le demeure aujourd’hui surtout pour ceux qui, répondant à l’appel du Seigneur, ne font pas de l’enseignement une profession seulement, mais une vraie vocation religieuse !

Comment ne pas exalter ici de nouveau la grandeur et la signification particulières de l’école chrétienne ? Comment aussi ne pas mettre en lumière aujourd’hui la grandeur de la vocation des Frères et des Soeurs qui se consacrent à Dieu dans l’éducation chrétienne de la jeunesse, et particulièrement celle de cet Institut des Frères de Ecoles chrétiennes, dans lequel nos deux Bienheureux ont trouvé le chemin de la perfection. Le service ardent de l’Evangile mérite aux Fils de Saint Jean-Baptiste de La Salle l’honneur que l’Eglise leur rend, de façon éclatante en ce jour, silencieuse le plus souvent, mais toujours avec fidélité et confiance. Prions le saint Fondateur, prions les Bienheureux Miguel et Mutien-Marie, de soutenir l’engagement religieux de tous leurs Frères, d’obtenir lumière et force aux enseignants chrétiens, dans leur patient travail d’éducation, d’intercéder pour les chères populations d’Equateur et de Belgique, de procurer à toute l’Eglise, à la veille de la fête de la Toussaint, un nouvel élan de sainteté !

Et le Pape conclut en italien :



Oui, Frères, notre invocation s’élève, confiante vers les nouveaux Bienheureux, après la conclusion du Synode dédié à la catéchèse et en particulier à la catéchèse de la jeunesse que ces Bienheureux, qui dépensèrent leur vie à former des générations entières de jeunes à la connaissance et à l’amour du Christ et de son Evangile, nous soient proches pour nous indiquer la voie et nous assister dans les engagements d’une catéchèse convaincante et incisive.

Qu’ils nous enseignent la grande leçon de l’amour pour les jeunes et de la confiance en eux; un amour et une confiance qui puissent s’exprimer sans atténuer à leurs yeux la rigueur des idéaux évangéliques, mais en proposant courageusement à la fraîcheur encore intacte de leur enthousiasme, la Parole du Christ sans aucune adaptation de complaisance. Le témoignage de ce que la Parole du Seigneur a pu accomplir en Frère Miguel et en Frère Mutien-Marie et, grâce à eux, en tant de générations de jeunes, est la preuve inattaquable de la force victorieuse de l’Evangile.

Que le Christ qui a vaincu en eux, triomphe également de nos résistances humaines. Et qu’il veuille faire de chacun de nous un témoin crédible de son amour.






24-25 décembre 1977

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LE VERBE S’EST FAIT CHAIR



Homélie du Pape à la Messe de Minuit



Frères et Fils très chers !



Vous attendez de Nous une parole qui résonne déjà dans vos âmes; et le fait de l’entendre encore en cette nuit et en ce lieu en fait reconnaître la nouveauté éternelle, la force de vérité, la merveilleuse et béatifiante joie. Et nos lèvres répètent l’annonce de l’ange, qui brilla dans la nuit, à Bethléem, il y a 1977 ans, et qui, réconfortant les humbles bergers épouvantés qui veillaient dehors sur leurs troupeaux, annonça l’ineffable événement qui s’accomplit alors dans une étable voisine : « Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple. Aujourd’hui, dans la cité de David (Bethléem), il vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (
Lc 2,10-11).

C’est ainsi ! C’est ainsi, Frères et Fils ! C’est ainsi et Nous voulons avec humilité et sans crainte faire parvenir notre cri à tous ceux qui « ont des oreilles pour entendre » (Mt 11,15). Un événement et une joie ; voici cette grande nouvelle qui est double !

Le fait : il semble presque insignifiant. Un enfant qui naît et dans quelles conditions humiliantes ! Nos enfants le savent bien, lorsqu’ils font leurs crèches, témoignages naïfs mais authentiques de la réalité évangélique. Mais la réalité évangélique laisse transparaître une réalité concomitante et ineffable : cet enfant apparaît comme vivant d’une filiation divine transcendante, « Filius Altissimi vocatibur » (Lc 1,32). Nous faisons nôtres les expressions enthousiastes de notre célèbre prédécesseur, saint Léon le Grand, lorsqu’il s’écrie : « Notre Sauveur, Frères bien-aimés, est né aujourd’hui : réjouissons-nous ! Il n’y a pas de place pour la tristesse lorsque c’est le jour de naissance de la vie qui, écartant la crainte de la mort, nous donne la joie de l’éternité promise » (Serm. I de Nativitate Dom.).

Ainsi pendant que le mystère suprême de la vie trinitaire du Dieu unique se révèle dans les trois personnes distinctes, le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, et tous les deux unis dans l’Esprit Saint, un autre mystère enveloppe d’une merveille inexprimable notre rapport religieux avec Dieu, en ouvrant le ciel à la vision de la gloire de la transcendance divine infinie, et dépassant dans un don d’incomparable amour toute distance : la proximité, le voisinage du Christ-Dieu fait homme nous montre qu’il est avec nous, qu’il est à notre recherche ». « Car la grâce de Dieu est apparue, apportant le salut à tous les hommes » (Tt 2,11 Tt 3,4).

Frères et vous, tous les hommes ! Qu’est-ce Noël, sinon cet événement historique, cosmique, profondément communautaire puisque adressé à tous, et pourtant incomparablement intime et personnel pour chacun de nous, puisque le Verbe éternel de Dieu, grâce auquel nous vivons déjà de notre existence naturelle (cf. Ac Ac 11,23-28), est venu à notre recherche ; lui, l’éternel, il s’est inséré dans le temps ; lui, l’infini, il s’est anéanti, « prenant la condition d’esclave et devenu semblable aux hommes, il est apparu comme un homme, et il s’est humilié lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,6 ss.).

Nos oreilles sont hélas, habituées à un tel message, et nos coeurs sont sourds à un tel appel, un appel d’amour : « Dieu a tant aimé le monde... » (Jn 3,16) ; bien plus, soyons précis : chacun de nous peut dire avec saint Paul : « Il m’a aimé, et il a donné sa vie pour moi... » (Ga 2,20) !

Noël est cette venue du Verbe de Dieu fait homme parmi nous. Et chacun de nous peut dire : c’est pour moi ! Noël est ce prodige. Noël est cette merveille. Noël est cette joie. Et la parole de Pascal monte alors à nos lèvres : « Joie, Joie, Joie, pleurs de joie » !

Oh, que cette célébration nocturne de la naissance du Christ soit vraiment pour nous tous, soit pour l’Eglise entière, soit pour le monde, une révélation renouvelée du mystère ineffable de l’Incarnation, une source de bonheur incessant : Amen.








Homélies 1978

Eglise et documents, vol. XI – Libreria editrice Vaticana
II. (DISCOURS ET) HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES

1er janvier 1978

LA MATERNITÉ DIVINE DE MARIE ET LA PAIX

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Journée mondiale de la Paix

Le Pape Paul VI a célébré l’Eucharistie le dimanche 1er janvier, jour où l’Eglise fête la Maternité divine de Marie, en la Basilique Sainte-Marie-Majeure. Dans son homélie, le Saint-Père, célébrant la Journée Mondiale de la Paix, a lancé un vibrant appel aux jeunes. Voici la traduction de l’homélie :



Rassemblés par la foi en cette Basilique élevée par notre prédécesseur Sixte III quelques années après le Concile d’Ephèse qui en 431 avait proclamé solennellement Marie la « Theotokos », c’est-à-dire la Mère de Dieu, nous unissons dans notre célébration la louange pour ce très haut privilège que Dieu accorda à la Vierge Mère et la réflexion sur les exigences chrétiennes de la paix dans le monde.

Dans ce temple splendide, expression toute spéciale de la dévotion mariale du peuple romain, l’histoire et l’art se sont admirablement amalgamés au cours des siècles. Sa beauté classique et sa mystérieuse suggestivité nous invitent à de sereines et joyeuses pensées. Les différentes étapes du salut brillent dans ses antiques mosaïques. La scène sublime du couronnement de Marie, oeuvre de Jacopo Torriti, resplendit dans l’abside, et, à côté des souvenirs de la Grotte de Bethléem, dans une composition sculpturale d’Arnolfo de Gambie, les Mages adorent le Verbe Incarné.

C’est précisément ce cadre merveilleux, créé par la piété de nos ancêtres, que nous avons choisi pour célébrer la Journée de la Paix ; et, une fois de plus, nous voulons adresser à toute l’humanité la parole sereine et solennelle de la Paix.

La Journée de la Paix ne concerne pas la paix d’une journée, d’une seule journée.

Commémorée le premier jour de l’année civile, elle apporte chaque fois quelque chose à l’année qui vient : une célébration commune qui s’inscrit, comme voeux et comme promesse, en tête du calendrier ; mais elle apporte également un thème que nous avons proposé et qui constitue l’occasion et la source d’une convergence d’intentions à dimension universelle. Convergence dans la prière pour les catholiques et pour tous les chrétiens qui veulent s’y associer ; convergence dans l’étude et dans la réflexion pour les responsables de la conduite collective de la société et pour tous les hommes de bonne volonté ; convergence dans une action en commun : témoignage ainsi rendu au monde moyennant un effort solidaire pour défendre tous les habitants de notre planète, si gravement menacés aujourd’hui par l’« absurdité de la guerre moderne », comme nous l’avons souligné dans notre Message ; un effort solidaire pour édifier la paix dont la conscience de l’humanité ressent toujours plus la nécessité absolue.

Chacun des thèmes des diverses « Journées pour la Paix » complète les précédents comme une pierre s’ajoute aux autres pour construire une maison : cette maison de la Paix qui, comme l’a dit notre vénéré prédécesseur Jean XXIII, est basée sur quatre colonnes « la vérité, la justice, la solidarité agissante et la liberté » (cf. Encycl. Pacem in Terris,
PT 47).

Mais la pensée qui domine la célébration d’aujourd’hui se révèle spontanément dans le binôme : Marie et la Paix.

N’y a-t-il pas un lien entre la maternité divine de Marie et la Paix, que nous célébrons le jour même de sa fête, un lien qui n’est nullement accidentel, mais qui tire sa réalité et son fruit de tout le patrimoine dogmatique, patristique, théologique et mystique de l’Eglise du Christ ?

N’y a-t-il pas également une raison historique qui s’y ajoute et fait que nous nous soyons ici rassemblés, très chers fils et filles romains de naissance ou d’adoption ? N’êtes-vous pas venus, en fait, pour continuer et confirmer ce matin, par votre présence, la pratique profondément religieuse et filiale de vos ancêtres, diocésains de cette Eglise de Rome qui a choisi, pour rendre un hommage tout particulier à la Mère de Dieu, l’octave de la Nativité, déjà avant qu’une telle date marquât en Occident le début de l’année civile ?

Et, à vos côtés, n’est-ce pas également toute l’Eglise, tout le Peuple de Dieu qui se trouve mystiquement rassemblé en cette Basilique Patriarcale pour célébrer en même temps la Maternité de Marie et la Paix, cette paix que son Fils Jésus-Christ est venu apporter au monde ?

Mais il n’est pas nécessaire d’aller très loin dans notre réflexion. S’il existe une relation entre la Maternité divine de Marie et la Paix, quel rapport y a-t-il entre cette maternité et le refus de la violence qui fait partie du thème choisi pour la « Journée » de cette année 1978 ?

Oui, le lien existe.

Et les études des théologiens et des exégètes se multiplient à ce sujet, le soulignent toujours plus selon la perspective qui leur est propre, rejoignant dans leurs conclusions le jugement spontané des populations.

Que l’on considère, comme nous l’avons fait dans notre récent Message pour cette « Journée », la violence sous son aspect collectif international, c’est-à-dire celui de la guerre moderne qui nous menace avec sa « suprême irrationalité ,» avec son « absurdité » et avec la triste hypothèse de la guerre spatiale, ou qu’on la considère sous les multiples aspects de la violence passionnée de la criminalité croissante, ou de la violence civile érigée en système, une question fondamentale s’impose : quelles sont les causes de tels comportements et des idées ou des sentiments qui les inspirent ?

Ces causes nous les avons plusieurs fois rappelées dans nos précédents Messages, en particulier dans ceux sur le désarmement et sur la défense de la vie.

Ce matin nous ne voulons en rappeler qu’une seule : le choc provoqué dans la société par les conditions de vie « sous-humaines » (cf. Gaudium et Spes, GS 27).

De telles conditions de vie provoquent, surtout chez les jeunes, des sentiments de frustration qui déchaînent des réactions de violence et d’agressivité contre certaines structures et conjonctures de la société contemporaine qui voudrait les réduire au rôle de simples instruments passifs.

Mais leur contestation, instinctive ou organisée, porte non seulement sur les conséquences de ces pénibles situations, mais se tourne également vers une société comblée de bien-être matériel, satisfaite et jouisseuse, mais dépourvue d’idéaux supérieurs qui donnent un sens et une valeur à la vie » (Message de Noël, 20 décembre 1968).

En somme, une société, « désacralisée », une société sans âme, une société sans amour.

Qui sont, le plus souvent, ces violents, dont les actes, provoquant la crainte ou l’horreur, nous imposent comme un devoir d’en préserver nos coexistences humaines ? Bien souvent, trop souvent, les coupables de ces actes intolérables sont des oubliés, des marginaux, des méprisés qui ne sont pas ou ne se sentent pas aimés. Avides surtout d’avoir, plus que d’être ; témoins et souvent victimes de l’injustice des plus forts ou, dans quelques cas bien connus, victimes de la « violence structurale de certains régimes politiques », comment pourraient-ils se sentir autres que des « fils égarés » dans cette société anonyme qui les a engendrés, puis, souvent, abandonnés, sans échelle fixe des valeurs, c’est-à-dire sans boussole, sans étoile, sans l’étoile de Noël ?

Dans le secret de leur coeur, ces « orphelins » n’aspirent-ils pas, du fond de cette société marâtre, à une société maternelle et, finalement, à la maternité religieuse de la Mère universelle, à la maternité de Marie ?

La parole du Christ sur la croix : « Femme, voici ton fils » (Jn 19,26-27), ne s’adressait-elle pas à eux, à travers Saint Jean « Mère, voici tes fils » ?

Et n’est-ce pas à eux que le Christ agonisant disait « Fils, voici votre Mère », une mère qui vous aime, une mère à aimer, une mère au sommet d’une société de l’amour ?

Mère, donc, de Dieu et du Rédempteur (Lumen Gentium, LG 53), du Nouvel Adam dans lequel et par lequel tous les hommes sont frères (cf. Rm 8,29), Marie, Nouvelle Eve (cf. Lumen Gentium, LG 63) devient ainsi la mère de tous les vivants (cf. ibid. 56), notre mère très aimante (cf. ibid, 53) : Membre suréminent et absolument unique de l’Eglise (ibid., 53), Elle en est le modèle (ibid., 63) ; Elle est l’image et les prémices de l’Eglise qui doit s’achever dans le siècle à venir (ibid., 68). Ici une nouvelle vision s’offre à nous, c’est-à-dire le reflet de la Vierge dans l’Eglise, comme le dit Saint Augustin : Marie « figuram in se sanctae Ecclesiae demonstrat » — Marie reflète en elle-même l’image de l’Eglise (De Symbolo, c. I ; PL 40, 661 ; H. de Lubac, Méditations sur l’Eglise, p. 245). Mère du Christ-Roi, Prince de la paix (Is 9,6), Marie devient, par le fait même, Reine et Mère de la Paix. Enumérant les titres de Marie, le Concile Vatican II ne la sépare jamais de l’Eglise.

Et ainsi, c’est l’Eglise, toute l’Eglise qui doit, elle aussi, à l’exemple de Marie, vivre toujours plus intensément sa propre maternité universelle (cf. Lumen Gentium LG 64) à l’égard de toute la famille humaine, actuellement si peu humaine parce que désacralisée.

« Mater et Magistra », l’Eglise du Christ n’a pas la prétention d’édifier la paix du monde sans Lui ou à sa place; mais en proclamant le Royaume de Dieu dans toutes les nations elle entend, en même temps « révéler à l’homme, le sens de sa propre existence », sachant que « quiconque suit le Christ, Homme parfait, devient lui-même plus homme » (Gaudium et Spes, GS 41).

Retournant en pensée à Marie Reine de la Paix, nous rappelons volontiers que, voulant exalter ce titre dû à la Vierge, notre vénéré prédécesseur le Pape Benoît XV a fait élever en cette Basilique à la fin de la première guerre mondiale, un monument en son honneur.

Et surtout qu’on ne pense pas que la Paix, dont la Vierge est porteuse, doive être confondue avec la faiblesse et l’insensibilité des timides ou des lâches : rappelons-nous la plus belle des hymnes de la liturgie mariale, le Magnificat où la voix vibrante et fière de Marie s’élève pour donner force et courage aux promoteurs de la Paix : « Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au coeur superbe ; il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles » (Lc 1,51-52).

A Marie, nous entendons confier la cause de la paix dans le monde entier et, en particulier, à la chère nation du Liban, qui est un exemple de pays entraîné dans la spirale de la violence, moins par des causes internes que par la répercussion de situations qui, dans cette région, n’ont pas encore trouvé de justes solutions ; le Liban en a été, en somme, plus que toute autre une victime.

En cette Journée de la Paix, nous vous exhortons donc, vous ici présents, ainsi que tous les fidèles, à prier pour ce pays Notre-Dame du Liban afin que soient hâtées la réconciliation de ses fils et la reprise non seulement matérielle mais aussi morale et spirituelle de la nation.

A l’heure où l’on entrevoit des espérances de paix au Moyen Orient, la réconciliation des différents groupes libanais et la sereine coexistence des populations peuvent constituer un facteur et un exemple de réconciliation et de refus de la violence de la part de tous les peuples de cette région.

Concluant ces réflexions nous voulons adresser un pressant appel à tous nos fils et à chacun d’eux en particulier : que tous et chacun s’efforcent d’apporter une efficace, généreuse et authentique contribution à la Paix dans le monde, avant tout en éliminant du coeur toute forme de violence, tout sentiment de domination sur le prochain. En agissant ainsi vous marchez déjà sur la voie de la Paix universelle qui se base sur la Paix agissante des individus en particulier. Si vous voulez faire régner la Paix dans le monde entier, vous devrez la faire régner dans votre coeur, dans votre famille, à votre foyer, dans votre quartier, dans votre ville, dans votre région, dans votre pays. Alors, les autres également ressentiront le charme et la joie de pouvoir vivre sereinement et de pouvoir se prodiguer pour que ce bien immense devienne une aspiration, une exigence et un patrimoine pour tout le monde.

Et tout cela nous vous le disons en particulier à vous, Jeunes gens et Adolescents, aujourd’hui si nombreux en cette Basilique. Nous avons voulu terminer notre récent Message pour la Journée de la Paix en nous adressant plus particulièrement aux Jeunes et aux Adolescents du Monde entier, parce que vous êtes capables d’une extraordinaire ouverture et d’une joyeuse disponibilité que, malheureusement, les adultes ont parfois oubliées ou perdues.

Vous aussi, Jeunes gens et Adolescents vous avez votre mot à dire et à faire entendre aux aînés, une parole fraîche, neuve originale. Dites-la, cette parole de paix, ce « non à la violence », dites-la avec énergie, avec force, avec la force de votre coeur pur, de vos yeux limpides, de votre joie de vivre, mais de vivre dans un monde « où la justice et la paix se sont embrassées » (Ps 84 [85], 11).

Dans vos idéaux et dans votre comportement, donnez toujours la première place à l’amour, c’est-à-dire à la compréhension, à la bienveillance, à la solidarité, à l’égard d’autrui. Renforcez votre volonté convaincue de paix dans la prière, personnelle ou communautaire ; dans les échanges et dans les méditations où vous vous efforcez de connaître toujours plus profondément le Christ et de comprendre son Message dans tout ce qu’il exige ; dans les Sacrements et surtout le Sacrement de l’Eucharistie dans lequel le Christ lui-même vous donne la foi, l’espérance et, spécialement, la charité; renforcez enfin cette conviction dans la fidélité filiale à la Vierge Marie.

Si votre conviction est ferme et décidée vous serez, dans toutes les manifestations de votre jeunesse, des témoins de la Paix et de l’Amour du Christ qui est en vous.

Jeunes gens, adolescentes et enfants, vous portez en vous l’avenir du monde et de l’histoire. Ce monde sera meilleur, plus fraternel, plus juste si déjà, dès à présent, toute votre vie est ouverte à la grâce du Christ, à l’idéal de l’Amour et de la Paix que vous enseigne l’Evangile.

Daigne Marie, Reine de la Paix, « Salus Populus Romanus », intercéder pour ces intentions.




29 janvier 1978

XXV° journée des lépreux

29018
LA FAIM, LA DISCRIMINATION, LA MISÈRE : LES LÈPRES DE NOTRE ÉPOQUE


A l’occasion de la XXV° Journée Mondiale des malades de la lèpre, le dimanche 29 janvier, le Saint-Père a célébré une messe solennelle en la Basilique Saint-Pierre où se pressait notamment l’immense foule des jeunes qui ont participé à la « Rencontre Internationale » organisée par l’« Associazione Amici dei Lebbrosi » pour commémorer le jubilé d’argent de l’oeuvre voulue par Raoul Follereau. Cette Messe était le dernier acte des manifestations qui se sont déroulées sous le signe de « Contre la lèpre et contre toutes les lèpres ». Un appel que le Saint-Père a repris à son compte et qu’à son tour il a lancé au monde dans son homélie. En voici la traduction :



Vénérables frères et chers fidèles,

et vous principalement chers jeunes gens,



Vous avez parcouru, en une marche silencieuse, les rues de Rome et vous êtes venus très nombreux près de la Tombe du Prince des Apôtres pour écouter la Parole de Dieu, pour prier ensemble, pour exprimer publiquement votre foi en Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur, et pour lancer encore une fois au monde contemporain, un message d’amour et d’espérance.

Vous avez désiré et demandé de célébrer la XXV° Journée pour les lépreux avec le Vicaire du Christ, et nous, comme Evêque du Diocèse de Rome « qui préside à la charité » (St Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, cf. : Funk, Patres Apostolici, I, 25a), et comme Pasteur Universel, nous avons de bon gré voulu accueillir votre implorante voix et vous dilater le coeur en faisant nôtre votre programme : « Lutte contre la lèpre et contre toutes les lèpres ».

Déjà, il y a un moment, la Parole du Christ a résonné pour alimenter notre réflexion. La liturgie nous a fait entendre le célèbre passage du discours de la montagne qui nous est transmis par l’Evangile de Saint Mathieu : les Béatitudes, un des points-clés du Message évangélique, un de ses textes les plus émouvants et bénéfiquement révolutionnaires. Qui, dans l’histoire, aurait jamais osé proclamer « bienheureux » les pauvres d’esprit, les affligés, les pacifiques, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les gens au coeur pur, les artisans de paix, les persécutés, les insultés (cf.
Mt 5,1-12) ? Ces paroles semées au milieu d’une société fondée sur la force, sur la puissance, sur la richesse, sur la violence, sur les abus, pouvaient être interprétées comme un programme de lâcheté, d’aboulie, indigne de l’homme. Et au contraire, elles étaient la proclamation de la nouvelle « civilisation de l’amour » qui naissait sur des valeurs que l’intelligence obtuse de l’homme intéressé uniquement par la terre méconnaissait et dédaignait ; mais qui, dans le dessein amoureux de Dieu, étaient des instruments de rédemption, de libération, de salut. C’étaient ces valeurs, analysées par ce Saint Paul émerveillé qui avait fait dans sa propre personne l’expérience de la méthode divine, si lointaine de la logique humaine : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; et ce qui est rien, pour réduire à rien ce qui est... » (1Co 1,27-28). Les pauvres, les affligés, les pacifiques, les miséricordieux, les artisans de paix furent les destinataires privilégiés du message de Jésus et les bénéficiaires de la grâce de Dieu.

Déjà au VII° siècle avant le Christ, le prophète Sophonie s’était dressé contre les présomptueuses sécurités sur lesquelles se fondaient les israélites en raison de l’élection divine. Mais l’alliance avec Dieu supposait un engagement constant et une joyeuse fidélité à sa volonté. Il serait né un peuple nouveau, composé des humbles, des « pauvres » qui se seraient fiés exclusivement et complètement à Dieu.

La proclamation évangélique des « Béatitudes », des félicités, conserve et accroît sa pleine validité en ce jour où les catholiques et tous les hommes de bonne volonté du monde entier sont invités à exprimer, par un geste concret et efficace, leur solidarité avec leurs frères lépreux.

La lèpre ! Encore aujourd’hui, le nom seul inspire déjà un sentiment d’effroi et d’horreur. L’histoire nous apprend que ce sentiment était fortement ressenti dans l’antiquité, principalement par les peuples de l’Orient où, pour des raisons de climat et d’hygiène, cette maladie était assez répandue. Dans l’Ancien Testament (cf. Lv Lv 13-14) nous trouvons une précise et minutieuse casuistique et une législation détaillée concernant ceux qu’a touchés la maladie: les peurs ancestrales, la conception répandue qu’elle était fatale, incurable, contagieuse, contraignaient le peuple juif à prendre des mesures opportunes de prévention et notamment à isoler le lépreux qui, tenu pour être en état d’impureté rituelle, finissait par se trouver physiquement et psychologiquement mis en marge et exclu des manifestations familiales, sociales et religieuses du peuple élu. En outre, la lèpre prenait l’allure d’une marque de condamnation du fait que la maladie était considérée comme un châtiment de Dieu. Le seul espoir qui restait était que la puissance du Très-Haut daigne guérir ceux qui en étaient frappés.

Dans sa mission de salut, Jésus a maintes fois rencontré des lépreux, ces êtres défigurés dans l’aspect, privés de l’image de la gloire de Dieu dans l’intégrité physique du corps humain, authentiques épaves et rebuts de la société de l’époque.

La rencontre de Jésus avec les lépreux est le type et le modèle de sa rencontre avec chaque homme, celui-ci venant à être guéri et rendu à la perfection de l’originelle image divine, réadmis à la communion du Peuple de Dieu. Dans ces rencontres, Jésus se manifestait comme le porteur d’une vie nouvelle, d’une plénitude d’humanité depuis longtemps perdue. La législation mosaïque excluait, condamnait le lépreux, défendait de l’approcher, de lui parler, de le toucher. Jésus, par contre, se montra, avant tout, souverainement libre à l’égard de l’antique loi ; il s’approche du lépreux, lui parle, le touche, et même le guérit, lui rend la santé, reporte sa chair à la fraîcheur de celle d’un bébé. « Un lépreux vient à lui — raconte Marc l’Evangéliste — et, tombant à genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me guérir ». Emu de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois guéri ». Et aussitôt la lèpre le quitta et il fut guéri ». (Mc 1,40-42 cf. Mt 8,2-4 Lc 5,12-15). Il en sera de même pour dix autres lépreux (cf. Lc 17,12-19). « ... les lépreux sont guéris » Voilà le signe par lequel le Christ indique son caractère messianique aux disciples de Jean-Baptiste, venus l’interroger (Mt 11,5). Et à ses disciples, Jésus confia sa propre mission : « Proclamez que le Royaume des deux est proche (...) purifiez les lépreux... » (Mt 10,7 Mt 10,8). En outre, il affirmait que la pureté rituelle était complètement accessoire, que la seule vraiment importante et décisive pour le salut était la pureté morale qui n’a rien à voir avec les taches de la peau ou de la personne humaine (cf. Mt 15,10-20).

Mais le geste affectueux de Jésus qui s’approche des lépreux, les réconfortant et les guérissant a sa pleine et mystérieuse expression dans la passion: martyrisé et défiguré par la sueur de sang, par la flagellation, par le couronnement d’épines, par la crucifixion, Lui, abandonné par la population oublieuse de ses bienfaits, dans la passion, il s’identifie avec les lépreux, il devient l’image et le symbole de ceux-ci, comme en avait eu l’intuition le prophète Isaïe, contemplant le mystère du Serviteur de Jahvé : « Il n’a ni éclat ni prestance... méprisé, objet de l’abandon des hommes... pareil à celui dont on détourne la face... Et nous, nous l’avons considéré comme puni, frappé par Dieu et humilié » (Is 53,2-4). Mais c’est précisément des plaies du corps martyrisé de Jésus et de la puissance de sa résurrection que jaillissent la vie et l’espérance pour tous les hommes frappés du mal et des infirmités.

L’Eglise a toujours été fidèle à sa mission d’annoncer la Parole du Christ, unie au geste concret de solidaire miséricorde à l’égard des plus humbles, des derniers. Au cours des siècles, il y a eu un bouleversant, un extraordinaire crescendo de dévouement en faveur de ceux qui étaient frappés par les maladies humainement les plus répugnantes et, en particulier, par la lèpre dont la ténébreuse présence continue à subsister dans le monde oriental et occidental. L’histoire met nettement en lumière le fait que les chrétiens furent les premiers à démontrer de l’intérêt et des préoccupations pour le problème des lépreux. L’exemple du Christ avait fait école, et il fut fécond en gestes de solidarité, de dévouement, de générosité, de charité désintéressée.

Dans l’histoire de l’hagiographie chrétienne est demeuré emblématique l’épisode vécu par François d’Assise : il était jeune comme vous ; comme vous il cherchait la joie, le bonheur, la gloire ; il voulait toutefois donner un sens total et définitif à sa propre existence. Parmi toutes les horreurs de la misère humaine, c’était pour les lépreux surtout que François éprouvait instinctivement une grande répugnance. Et voilà qu’un jour il en rencontre précisément un, au cours d’une randonnée à cheval dans les environs d’Assise. Il eut un grand frisson, mais pour ne pas trahir sa décision de devenir « chevalier du Christ », il sauta de selle et, alors que le lépreux lui tendait la main pour recevoir l’aumône, François lui remit de l’argent et l’embrassa (cf. Thomas de Celano : Vita seconda di San Francesco d’Assisi, I, V ; Fonti Francescane, Assise 1977 ; St Bonaventure de Bagnoreggio Leggenda Maggiore).

La grandiose expansion des Missions à l’époque moderne a donné un élan nouveau au mouvement en faveur de nos frères lépreux. Dans toutes les régions du monde, les Missionnaires sont allés à la rencontre de ces malades, abandonnés, refoulés, victimes d’interdits sociaux, légaux, de discriminations qui dégradent l’homme et violent les droits fondamentaux de la personne humaine. Par amour du Christ, les Missionnaires ont toujours annoncé l’Evangile également aux lépreux, ils ont tenté par tous moyens de les aider, de les soigner avec tout ce qu’offrait la médecine encore peu armée, mais, en particulier, ils les ont surtout aimés, les délivrant de la solitude et de l’incompréhension, allant même parfois jusqu’à partager étroitement leur existence, parce que dans le corps défiguré de leur frère, ils avaient découvert l’image du Christ souffrant. Nous aimons rappeler ici la figure héroïque du Père Damien De Veuster qui choisit spontanément et demanda à ses Supérieurs l’autorisation de s’isoler au milieu des lépreux de Molokai, pour rester avec eux et leur communiquer l’espérance évangélique et qui, finalement, atteint par le mal, partagea le sort de ses frères jusqu’à sa mort.

Et avec lui, nous voulons rappeler et offrir à l’admiration du monde, et comme exemples, les milliers de Missionnaires, de prêtres, de religieuses, de laïcs, de catéchistes, de médecins qui ont voulu se faire les amis des lépreux : leur édifiante et exemplaire générosité nous encourage et nous éperonne, aujourd’hui, à poursuivre l’humaine et chrétienne « lutte contre la lèpre et contre toutes les lèpres », qui envahissent la société contemporaine comme la faim, la discrimination, le sous-développement.

Au cours ce dernier siècle l’homme a réalisé de grands progrès dans le domaine scientifique, et il peut légitimement en être heureux. Dans le champ de la médecine également, de rigoureuses et patientes recherches ont fait découvrir des remèdes capables de rendre la lèpre moins dangereuse, arrêtant les dévastations qu’elle produit dans le corps et permettant de soigner ces malades sans les bannir de la coexistence civile.

Malgré tout, il y a encore dans le monde, au dire des experts, près de 15 millions de lépreux, spécialement en Asie, en Afrique et en Amérique centro-méridionale. C’est un chiffre qui doit nous faire réfléchir. Comment pouvons-nous vivre tranquilles dans nos villes, où la société opulente nous a offert et nous offre tout le superflu, nous conditionnant avec ses instruments sournois de la communication sociale, nous incitant à jouir de tout et à gaspiller le nécessaire, alors que d’autres hommes comme nous sont martyrisés et détruits dans leur chair parce que manquent les moyens, les hôpitaux dûment équipés, les médicaments spécifiques ?

Voilà pourquoi nous nous adressons aujourd’hui à tous nos fils disséminés dans le monde, à tous les hommes du pouvoir, de la politique, de l’économie, de la culture ; un problème aussi brûlant, qui nous concerne tous directement parce qu’il frappe nos semblables ne saurait être sous-évalué ; il faut l’affronter courageusement à tous les niveaux, spécialement sur le plan international.

Et maintenant, d’une manière toute particulière, notre appel paternel et pressant s’adresse à vous, jeunes gens ici présents dans cette Basilique si vibrante de vie et d’enthousiasme, et à tous les jeunes soucieux non seulement de leur avenir mais également de celui des autres : pourriez-vous accepter de rester enfermés, ancrés dans l’égoïsme individualiste, les yeux fermés sur cette réalité douloureuse ou bien entendez-vous ouvrir votre coeur ardent à la solidarité, à l’association, offrant votre contribution personnelle d’idée, d’initiatives, de sacrifices pour vos frères lépreux ?

Souvenez-vous bien chers jeunes gens, qu’en plein 1978, il y a des millions de bambins, de jeunes, d’hommes, de femmes, de vieillards, frappés par la lèpre, qui en ce moment invoquent votre aide !

Comment répondrez-vous à ces douloureuses implorations ?

Nous sommes convaincu que votre réponse sera décidée et généreuse, et nous nous adressons à vous, plein de confiance, parce que vous portez dans vos mains et dans votre coeur l’avenir de la société, l’avenir de l’Eglise, et par conséquent l’avenir plus serein des lépreux.

Veuille le ciel qu’à la fin de notre aventure humaine, à la fin et à la conclusion de notre pèlerinage personnel, le Christ, juge suprême de l’histoire, nous adresse ces émouvantes et sanctifiantes paroles : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde (Mt 25,34), parce que j’étais lépreux et vous avez tout tenté pour me guérir, pour me faire retrouver une pleine dignité, pour guérir non seulement les plaies de ma peau, mais pour cicatriser les blessures de mon coeur meurtri par la solitude, pour me réintégrer au sein de la communauté, pour me rendre la sérénité et la joie de vivre. Venez ! »

Ainsi, soit-il !





Paul VI Homélies 16107