Thomas sur Jean 48

48
1010. Après avoir traité de la vie [n° 699] et de la nourriture [n° 838] spirituelles, le Seigneur poursuit en parlant de la formation, ou de l’enseignement, ce qui est la troisième chose nécessaire à ceux qui ont été régénérés spirituelle ment, comme on l’a dit [n° 699].

Il commence par montrer le but du présent chapitre] l’origine de son enseignement; ensuite, à partir du chapitre VIII, il manifestera son utilité.

Ici, l’Evangéliste commence par situer le lieu où le Christ a mis en lumière l’origine de son enseignement, en exposant d’abord comment on a incité le Christ à s’y rendre, puis le refus du Seigneur [n° 1018], et enfin comment le Christ y est parvenu [n° 1024].

Puis l’Evangéliste montrera les occasions de manifester l’origine de l’enseignement du Christ [n° 1028], avant de nous donner cette manifestation elle-même [n° 1036].



Jean 7, 1-11: LE LIEU OÙ LE CHRIST A MANIFESTÉ L’ORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT

Jn 7,1-11


Or, après cela, Jésus parcourait la Galilée; en effet, il ne voulait pas parcourir la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer. Or on était tout proche de la fête des Juifs, la Scénopégie. Ses frères lui dirent: "Traverse d’ici, et va en Judée, pour que tes disciples aussi voient tes oeuvres, celles que tu fais. Personne certes ne fait quelque chose dans le secret s’il cherche à être lui-même au grand jour: si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde. " En effet, ses frères non plus ne croyaient pas en lui. 6 leur dit donc: "Mon temps n’est pas encore advenu; mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne peut pas vous haïr; mais il me hait, parce que moi je rends témoignage à son sujet que ses oeuvres sont mauvaises. Vous, montez à cette fête; mais moi je ne monterai pas à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli. " 9 avoir dit cela, lui-même demeura en Galilée. Et quand ses frères furent montés, alors lui aussi monta à la fête, non pas manifestement, mais comme en secret.




LES FRÈRES DU CHRIST L’INCITENT À SE RENDRE EN JUDÉE. OR, APRÈS CELA, JÉSUS PARCOURAIT LA GALILÉE;

EN EFFET, IL NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT À LE TUER. OR ON ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA FÊTE DES JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE. ET SES FRÈRES LUI DIRENT: "TRAVERSE D’ICI, ET VA EN JUDÉE, POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRETS. IL CHERCHE À ÊTRE LUI-MÊME AU GRAND JOUR: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "EN EFFET, SES FRÈRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI.

L’Évangéliste, pour montrer comment on a incité le Christ à se rendre dans le lieu où il amis en lumière l’origine de son enseignement, commence par montrer les occasions qui ont provoqué [ce fait], puis il nous expose le fait lui-même [n° 1014].

Trois raisons poussaient [les frères du Seigneur] à l’inciter à se rendre en Judée: son séjour prolongé [n° 1011], son intention [n° 1012], l’opportunité du moment [n° 1013].

OR, APRÈS CELA, JÉSUS PARCOURAIT LA GALILÉE.

1011. Par son séjour en Galilée, le Christ manifestait son intention de s’attarder, et c’est pourquoi l’Evangéliste affirme: APRÈS CELA, c’est-à-dire après les paroles qu’il avait dites à Capharnaüm, JESUS PARCOURAIT LA GALILEE. Il était en effet reparti de Capharnaüm, métropole de la Galilée, afin de parcourir cette région.

Si le Seigneur séjourne souvent en Galilée, c’est pour nous montrer que nous devons passer des vices aux vertus: Toi donc, fils d’homme, fais-toi un bagage d’émigré; tu émigreras devant eux en plein jour 1.




EN EFFET, IL NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT À LE TUER.

1012. Les frères du Seigneur étaient poussés par une deuxième raison: l’intention du Christ; intention qu’il leur avait peut-être fait connaître par ses paroles, et c’est pour quoi l'Evangéliste dit: Jésus, EN EFFET, NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDEE. La raison en est que LES JUIFS CHERCHAIENT A LE TUER. Et ces derniers cherchaient à le tuer parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu 2.

Mais ne pouvait-il pas s’y rendre et circuler parmi les Juifs sans être mis à mort par eux, comme il le fit plus tard? 3 On peut, en réponse à cette question, donner trois raisons. La première vient d’Augustin 4: il arriverait dans l’avenir que certains, à cause de leur foi au Christ, devraient se cacher pour ne pas être découverts par leurs persécuteurs. Afin qu’on ne leur reprochât pas leur fuite comme un crime, le Seigneur, pour notre consolation, voulut montrer qu’en cela il les avait précédés — ce qu’il enseigne du reste par la parole: Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 5.

La seconde raison est que le Christ était Dieu et homme; c’est pourquoi, en vertu de sa divinité, il pouvait ne pas être blessé par ses persécuteurs; mais il ne voulut pas toujours agir ainsi, parce que sa divinité aurait été manifestée de telle sorte qu’on en serait venu à douter de son humanité. Et c’est pourquoi, fuyant parfois ses persécuteurs comme un homme, il affirme son humanité, afin de con fondre tous ceux d’après qui il n’a pas été véritablement homme; et parfois, passant sans dommage au milieu d’eux 6, il manifeste sa divinité, confondant ainsi tous ceux aux yeux de qui il n’est qu’un homme. Cela explique pourquoi Chrysostome a sous les yeux une autre version: "Il n’avait pas le pouvoir [s'il le voulait] de se rendre en Judée", si l’on considère le mode humain des actions du Christ 7 autrement dit: on peut vouloir se rendre en un lieu et en être empêché par des embûches.

La troisième raison est que le temps de sa Passion n’était pas encore venu, car c’est au moment de la Pâque qu’il aurait à souffrir, lorsque l’agneau serait immolé, pour qu’ainsi la Victime se substituât à la victime: Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père... 8
1. Ez 12, 3. Saint Thomas reprend ici l’étymologie de Galilée qu’il avait donnée à l’occasion du miracle de Cana (cf vol. 1P 326, n° 338 et note 12): "passage", en latin transmigratio.
2. Jean 5, 18.
3. Cf. Jean 8, 59.
4. Tract, in Ioann., XXVIII, 2, pp. 569-57 1.
5. Mt 10, 23.



OR ON ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA FÊTE DES JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE.

1013. L’opportunité du moment était une raison de plus, pour ses frères, de l’inciter à partir: il convenait alors de se rendre à Jérusalem; et c’est ce que l’Evangéliste dit: OR ON ETAIT TOUT PROCHE DE LA FETE DES JUIFS, LA SCENOPEGIE. Scenopegia est un mot grec composé de scenos qui signifie "tente" et de phagim qui veut dire "manger"; autrement dit: c’était le temps où les Juifs prenaient leurs repas sous des tentes 9. Car le Seigneur avait prescrit aux fils d’Israël que le septième mois ils habiteraient pendant sept jours dans des tentes 10 en mémoire des quarante années où ils avaient habité sous des tentes au désert. Et les juifs célébraient alors cette fête.

L’Evangéliste rappelle ce fait pour montrer qu’entre le moment où furent accomplies les oeuvres concernant la nourriture spirituelle et le moment présent, beaucoup de temps s’était écoulé. En effet, quand le Christ fit le miracle des pains, la fête de la Pâque était proche; or la fête des Tentes a lieu bien après la Pâque. Ainsi l’Evangéliste ne mentionne ici aucun des actes accomplis par le Seigneur pendant cet intervalle de cinq mois, pour nous faire com prendre ceci: bien qu’il ne cessât d’accomplir des signes [comme saint Jean le dit] à la fin de cet Evangile 11, les Evangélistes s’appliquèrent surtout à relater ceux qui furent occasion de dispute ou d’opposition de la part des Juifs 12.
6. Cf. Luc 4, 30.
7. In loannem hom., 48, ch. 1, col. 269.
8. Jean 13, 1.
9. L’étymologie exacte de scenopegia est la composition de, tente, et ti, planter, ainsi que le note saint Isidore (Etymologzarurn sive originum libri, VI, XVIII, 9). Celle que donne saint Thomas n’a pas d’antécédent mentionné dans les Onornastica Sacra, ni de Wutz, ni de Lagarde.





ET SES FRÈRES LUI DIRENT: "TRAVERSE D'ICI, ET VA EN JUDÉE, POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS.

PERSONNE CER TES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET S’IL CHERCHE À ÊTRE LUI-MÊME AU GRAND JOUR: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "EN EFFET, SES FRÈRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI.

1014. L’Évangéliste expose ici l’incitation des frères du Seigneur: d’abord leur exhortation, ensuite le but de cette exhortation [n° 1016]; enfin, l’Evangéliste montre pour quoi ils l’exhortent ainsi [n° 1017].

ET SES FRÈRES LUI DIRENT: "TRAVERSE D’ICI, ET VA ENJUDÉE

1015. L’Évangéliste commence donc par faire con naître ceux qui s’adressent au Christ: SES FRERES, non des frères selon la chair, du même sein que lui, blasphème que proféra Elvidius, car la foi catholique nie que ce sein virginal très saint qui enfanta Dieu homme ait ensuite conçu un autre homme mortel. Ils étaient donc ses frères par un lien de parenté parce qu’ils étaient du même sang que la bien heureuse Vierge Marie. C’est en effet la coutume de l’Ecriture d’appeler frères ceux qui sont liés par le sang — Abraham dit à Lot: "Qu'il n'y ait pas, je te prie, de dispute entre toi et moi (...) car nous sommes frères 13; alors que Lot était le neveu d’Abraham. Et comme le dit Augustin, de même que dans le sépulcre où on déposa le corps du Seigneur ne reposa ni avant ni après un autre corps, ainsi le sein de Marie, ni avant ni après la conception, ne conçut aucun mortel 14. Mais parmi les parents de la bienheureuse Vierge il y avait des Apôtres, tels les fils de Zébédée, et Jacques fils d’Alphée, et d’autres encore; aussi ne faut-il pas croire qu’ils furent de ceux qui incitèrent le Christ à se rendre en Judée; ce furent d’autres parents, qui n’aimaient pas le Christ.

L’Évangéliste expose ensuite leur exhortation: TRAVERSE D'ICI, c’est-à-dire de la Galilée, ET VA EN JUDEE, là où se trouve jérusalem, ce lieu où normalement se trouvent les docteurs: Toi qui vois, va, fuis dans la terre de Juda et mange là ton pain, et là tu prophétiseras 15.
10. Lev 23, 41.
11. Jean 20, 30.
12. Voir CHRYSOSTOME, op. cil., col. 270.





POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS.

PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET S’IL CHERCHE A ÊTRE LUI-MÊME AU GRAND JOUR: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "

1016. Ils donnent aussi le but de cette exhortation en disant: POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. Par ces paroles ils mon trent qu’ils sont avides de vaine gloire, soupçonneux et incrédules 16.

Ils se montrent avides de vaine gloire quand ils disent: POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. Ils éprouvaient en effet des sentiments purement humains à l’égard du Christ et voulaient capter la gloire de l’honneur humain que les foules rendaient au Christ; et c’est pourquoi ils l’amenaient à accomplir ses oeuvres en public. Car c’est le propre de l’assoiffé de vaine gloire que de manifester en public tout ce qu’il y a de glorieux en lui ou chez les siens: Ils aiment prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin de se faire voir des hommes 17, eux dont il est dit: Ils préférèrent la gloire des hommes à la gloire de Dieu 18.

Ils se montrent ensuite soupçonneux et accusent d’abord le Christ d’avoir peur; c’est pourquoi ils lui disent: PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET, autrement dit: toi, tu dis que tu accomplis des miracles, mais tu les fais en secret, et cela par crainte, sinon tu irais à Jérusalem et là tu les ferais devant la multitude. Cependant le Seigneur dit: C’est ouvertement que j’ai parlé au monde et je n’ai rien dit en secret 19. Puis ils l’accusent d’aimer la gloire; aussi disent-ils: S’IL CHERCHE A ETRE LUI MEME A U GRAND JOUR, autrement dit: toi, tu cherches à tirer gloire de ce que tu accomplis, et cependant par crainte tu te caches. C’est le propre des méchants de croire que les autres ont des passions semblables aux leurs. Voyez avec quelle insolence la prudence de la chair attaquait le Verbe fait chair; c’est contre eux qu’il est dit: Tu reprends celui qui n’est pas égal à toi 20.

Enfin, ils se montrent incrédules quand ils ajoutent: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE, comme mettant en doute le fait qu’il accomplisse lui-même des miracles — Celui qui est incrédule agit d’une manière infidèle 21.
13. Gn 13, 8.
14. Tract, in Ioann., XXVIII, 3, p. 573.
15. Am 7, 12.
16. On peut retrouver ces trois raisons dans le commentaire de Chrysos tome (op. cit., col. 270-27 1).
17. Mt 6, 5.
18. Jean 12, 43.
19. Jean 18, 20.
20. Jb 15, 3.
21. Isaïe 21, 2.





EN EFFET, SES FRÈRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI.

1017. L’Évangéliste ajoute la raison pour laquelle ils parlaient ainsi, lorsqu’il dit: EN EFFET, SES FRERES NON PLUS NE CROYAIENTPASENLUI. Il arrive en effet que les hommes charnels soient les pires ennemis de ceux qui leur sont unis par le sang et qu’ils envient leurs biens spirituels; et ainsi ils les méprisent. Aussi Augustin dit-il: "Ils ont bien pu avoir le même sang que le Christ; mais à cause même de leur proximité il leur répugnait de croire en lui 22" — L'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison 23— lia éloigné mes frères de moi, et mes amis, comme des étrangers, se sont retirés de moi. Mes proches m'ont abandonné, et ceux qui me connaissaient m’ont oublié 24.



LE REFUS DU CHRIST





JÉSUS LEUR DIT DONC: "MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ADVENU;

MAIS VOTRE TEMPS EST TOU JOURS PRÊT LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAÏR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TÉMOI GNAGE À SONSUJET QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES. VOUS, MONTEZ A CETTE FÊTE; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS À CETTE FÊTE, PARCE QUE MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI"

1018. Il s’agit ici de la réponse du Christ; il indique d’abord que le temps n’est pas opportun pour partir et il en donne ensuite la raison [n° 1020]; puis il dit son refus de monter [n° la fête] [n° 1022].
22. op. cil., XXVIII, 4, p. 575.
23. Mic 7, 6.
24. Jb 19, 13-14.



JÉSUS LEUR DIT DONC: "MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ADVENU; MAIS VOTRE TEMPS EST TOUJOURS PRÊT

1019. Il faut savoir que tout ce verset est interprété différemment par Augustin et par Chrysostome [n° 1023].

Selon Augustin 25, les frères du Seigneur l’invitaient à une gloire humaine. Mais le temps où les saints parviennent à la gloire, c’est le temps à venir; ils y parviennent par de grandes souffrances et des tribulations — Comme l’or dans la fournaise, Dieu les a éprouvés, comme une victime d’holocauste il les a agréés, et quand leur temps sera venu il les regardera favorablement 26. Mais le temps où ceux qui appartiennent au monde obtiennent leur gloire, c’est le temps présent — Ne laissons pas passer la fleur de ce temps, couronnons-nous de roses avant qu’elles ne flétrissent 27. Le Seigneur voulut donc montrer qu’il ne cherchait pas la gloire de ce temps, mais qu’il voulait parvenir par sa Passion et son humilité à l’élévation de la gloire céleste — Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses pour entrer dans sa gloire? 28 Et c’est pourquoi il leur dit — à ses frères — MON TEMPS — le temps de ma gloire — N’EST PAS ENCORE ADVENU, car il faut que la tristesse soit changée en joie 29. Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire future qui doit se révéler en nous 30. Mais VOTRE TEMPS, c’est-à-dire la gloire du monde, EST TOUJOURS PRET



LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAÏR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOIJE RENDS TÉMOIGNAGE À SON SUJET QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES.

1020. Par ces mots, le Christ indique la raison de cette différence de temps. En effet, pour ceux qui appartiennent au monde, le temps de la gloire est là, parce qu’ils aiment ce que le monde aime, et ils sont en accord avec le monde. Mais pour les saints, qui cherchent la gloire spirituelle, le temps de la gloire n’est pas venu, parce qu’ils cherchent ce qui déplaît au monde: la pauvreté, les larmes, la faim et autres choses semblables 31. Ils blâment aussi ce que le monde aime; bien plus, ils méprisent le monde lui-même: Le monde est à jamais cruc et moi pour le monde 32. C’est pour quoi le Christ dit: LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAIR; autrement dit: le temps de votre gloire est là, parce que le monde ne vous hait pas, vous qui vous accordez avec lui, et parce que tout être vivant aime son semblable 33. MAIS IL ME HAIT; et donc mon temps n’est pas toujours prêt. Et la rai son de cette haine, c’est que MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET — au sujet du monde — QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES: je ne manque pas de reprendre les hommes qui appartiennent au monde, même si je sais qu’ainsi je suscite la haine et m’expose à la mort — Ils (ceux qui aiment la méchanceté) ont haï celui qui les reprenait à la Porte 34.— Ne reprends pas le railleur, de peur qu’il ne te haïsse 35.
25. Op. cit., XXVIII, 5, pp. 575-577.
26. Sg 3,6.
27. Sg 2,7-8.
28. Luc 24, 26.
29. Cf. Jean 16, 20.
30. Ro 8, 18.


1021. Mais n’y a-t-il pas des hommes qui, tout en étant du monde, sont haïs par le monde, c’est-à-dire par un de leurs semblables? Il faut répondre qu’un de ceux-là peut être objet de haine de la part d’un autre pour des motifs par ticuliers, parce que celui-là possède ce que celui-ci voudrait posséder, ou lui est un obstacle dans ce qui se rapporte à la gloire du monde; mais en tant que tel, aucun homme appartenant au monde n’est l’objet de la haine du monde. Les saints, par contre, sont universellement haïs du monde, parce qu’ils le contredisent. Et si quelqu’un du monde les aime, ce n’est pas en tant qu’il est du monde, mais en tant qu’il y a en lui quelque chose de spirituel.
31. Cf. Mt 5, 3-39.
32. Ga 6, 14.
33. Sir 13, 15 (Vulgate Si 13,19).
34. Am 5, 10. Cf. la note que donne le Chanoine Osty: "Lajustice se ren dait sur la place publique, qui se trouvait près de la Porte des villes et des villages (Ru 4, 1-2; Ps 127, 5, etc.). "
35. Prov 9, 8.



VOUS, MONTEZ À CETTE FÊTE; MAIS MOIJE NE MON TERAI PAS À CETTE FÊTE, PARCE QUE MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI. "

1022. Le Seigneur refuse ici de monter à la fête. En effet, de même qu’il y a deux espèces de gloire, il y a deux espèces de fête. Les gens du monde ont dés fêtes temporel les, qui consistent à se réjouir, à faire bonne chère et à s’adonner à des jouissances extérieures du même genre — Le Seigneur appela aux pleurs, aux gémissements, à se raser les cheveux et à se ceindre d'un sac; et voici la joie et l’allégresse: on tue des veaux, on égorge des béliers, on mange des viandes et on boit du vin 36. Mon âme hait vos solennités 37. Quant aux saints, ils ont des fêtes spirituelles, qui consistent dans les joies de l’esprit — Contemple Sion, la ville de nos fêtes 38. Et c’est pourquoi il dit: VOUS, qui cherchez la gloire du monde, MONTEZ A CETTE FETE, fête de joie éphémère; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, mais à la fête de la solennité éternelle; et cela PARCE QUE MON TEMPS, celui de ma gloire, qui demeurera sans fin dans une joie éternelle, éternité sans labeur, sérénité sans nuage, N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI. 39

1023. Chrysostome 40, tout en gardant la même division, interprète ce verset de la manière suivante: Les frères du Seigneur avaient tramé avec les Juifs de faire mourir le Christ; c’est pourquoi ils l’incitaient à partir, voulant le faire paraître en public et le livrer aux Juifs. Aussi dit-il: MON TEMPS, c’est-à-dire le temps de la croix et de la mort, N’EST PAS ENCORE ADVENU, pour que j’aille en Judée et sois mis à mort; MAIS VOTRE TEMPS EST TOUJOURS PRET, parce que vous, vous pourrez demeurer avec eux sans danger. La raison en est qu’ils ne peuvent vous haïr, vous qui êtes animés du même zèle qu’eux et qui aimez ce qu’ils aiment. MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES, ce qui montre que les Juifs me haïssent non pas parce que je relativise le sabbat, mais parce que je les contredis publiquement. VOUS donc, MONTEZ A CETTE FETE, c’est-à-dire pour le début de la fête (car elle se célé brait pendant sept jours, comme nous l’avons dit [n° 1013]); quant à MOI, JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, c’est-à-dire avec vous, ou bien au début de la fête, PARCE QUE MON TEMPS, celui oùje dois souffrir, N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI; en effet, c’est au cours d’une Pâque à venir qu’il devait être crucifié. Et c’est pourquoi il ne monta pas avec eux, pour pouvoir mieux se cacher.
36. Isaïe 22, 12-13.
37. Isaïe 1, 14.
38. Isaïe 33, 20.
39. Ce sont les termes mêmes de saint Augustin (op. cit., XXVIII, 8, p.
40. lis loannem hom., 48, ch. 2, col. 271. Chrysostome veut dire, en des ter mes non rapportés par saint Thomas, que Jésus suggère à ses frères qu’ils n’ont pas besoin de s’inquiéter du moment de sa montée à Jérusalem, car il leur sera toujours possible de réaliser leur dessein meurtrier.




COMMENT LE CHRIST EST MONTÉ EN JUDÉE






APRÈS A VOIR DIT CELA, LUI-MÊME DEMEURA EN GALILÉE. MAIS QUAND SES FRÈRES FURENT MONTÉS, ALORS LUI AUSSI MONTA À LA FÊTE, NON PAS MANIFESTEMENT, MAIS COMME EN SECRET

1024. L’Évangéliste traite ici de la montée du Christ en Judée; il en montre d’abord l’ajournement [n° 1025], puis l’ordre [n° 1026], enfin le mode [n° 1027].

1025. Il montre l’ajournement de la montée du Christ lorsqu’il dit: APRES AVIR DIT CELA, c’est-à-dire ayant fait cette réponse, LUI-MEME DEMEURA EN GALILEE, ne montant pas à la fête avec les gens de sa parenté, pour que fût vérifiée la parole qu’il avait dite: MOI, JE NE MONTE RAI PAS A CETTE FETE — Dieu n’est pas semblable à un homme pour mentir, ni fils d’homme pour changer 41.

1026. L’Évangéliste montre ensuite l’ordre de cette montée lorsqu’il dit: MAIS QUAND SES FRERES, c’est-à-dire les gens de sa parenté, FURENT MONTES, ALORS LUI AUSSI MONTA A LA FETE.

Mais cela semble aller à l’encontre de ce qu’il a dit plus haut: MOI, JE NE MONTERAI PAS À CETTE FETE; l’Apôtre dit pourtant: En le Christ Jésus que nous avons prêché parmi vous (...), il n'a pas eu de oui et de non; c’est le oui qui s’est trouvé en lui 42.

Il faut répondre en premier lieu, selon le sens littéral, que la fête de la scénopégie durait sept jours, comme nous l’avons dit 43. Le Seigneur a dit plus haut: MOI, JE NE MON TERAI PAS A CETTE FETE, c’est-à-dire au début de la fête. Ce qui est dit ici — A LA FETE — doit être compris des jours intermédiaires; d’où ce qu’on lit plus loin: alors qu’on était déjà au milieu de la fête 44. Et ainsi, il est évident que ce que le Christ a fait n’a pas été en contradiction avec ce qu’il a dit.

Selon Augustin 45, on peut répondre ceci: ses frères vou laient que le Christ montât en Judée pour y chercher une gloire éphémère; ainsi, il leur dit: JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, de cette manière, comme vous le voulez. Mais LUI AUSSI MONTA A LA FETE, pour y enseigner les foules et les instruire de la gloire éternelle.

On peut répondre enfin, selon Chrysostome, qu’il a dit plus haut: JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE pour souffrir et mourir, comme eux le voulaient; cependant LUI AUSSI MONTA A LA FETE, non pas pour y souffrir, mais pour y instruire les autres 46.


NON PAS MANIFESTEMENT, MAIS COMME EN SECRET.

1027. Ici, l’Évangéliste montre la manière dont le Christ est monté en Judée; la raison de cette manière d’agir est triple.

Selon Chrysostome, il fit cela de peur que, sa divinité étant davantage découverte, son Incarnation soit moins certaine, comme on l’a dit plus haut, et pour supprimer la honte qu’éprouvent les hommes justes à devoir se cacher, quand ils ne peuvent pas résister à leurs persécuteurs à la face de tous. Et l’Evangéliste dit expressément COMME EN SECRET, pour montrer que cela a été fait par mode d’arrangement — Vraiment tu es un Dieu caché 47.

Selon Augustin 48, c’est pour donner à entendre que le Christ est caché dans les figures de l’Ancien Testament — J’ai attendu le Seigneur qui a caché sa face, c’est-à-dire la connaissance manifeste [que nous pouvons avoir de lui], loin de la maison de Jacob 49 et c’est pourquoi ils ont jusqu’à aujourd’hui un voile posé sur leur coeur 50. Toutes les choses qui ont été dites au peuple ancien, Israël, furent des ombres des biens futurs, comme le dit l’épître aux Hébreux 51. Donc, pour montrer que cette fête elle-même était une figure, le Christ y monta en secret. La scénopégie, comme nous l’avons dit, était la célébration des tentes. Célèbre donc cette fête celui qui comprend qu’il est en ce monde un pèlerin 52.

Enfin, et c’est encore une autre raison, il fit cela pour nous montrer que nous devons cacher ce que nous faisons de bien, ne cherchant pas la faveur des hommes, ni ne désirant les acclamations de foules empressées — Gardez-vous d’accomplir votre justice en face des hommes de façon à être vus d’eux 53.
41. Nomb 23, 19.
42. 2 Co 1, 19.
43. Cf. n° 1013.
44. Jean 7, 14.
45. Tract, in Ioann., XXVIII, 8, pp. 585-587.
46. Op. cit., 48, ch. 2, col. 27 1-272.




Jean 7, 11-15: LES OCCASIONS DE MANIFESTER L’ORIGINE DE L’ENSEIGNEMENT

49 Jn 7,11-15


Les Juifs le cherchaient donc pendant la fête, et disaient: "Où est-il, celui-là?" 12 Et il y avait un grand mur mure dans la foule à son sujet. Certains en effet disaient qu’il est bon; mais d’autres disaient: "Non, mais il séduit la foule. " 13 Nul pourtant ne parlait ouvertement à son sujet, par peur des Juifs. 14 Alors qu’on était déjà au milieu de la fête, Jésus monta au Temple; et il enseignait. ' les Juifs s’étonnaient, disant: "Comment celui-ci est-il savant alors qu’il n’a pas étudié?"

LES JUIFS LE CHERCHAIENT DONC PENDANT LA FÊTE, ET DISAIENT: "OÙ EST-IL, CELUI-LÀ?"ET IL Y AVAIT UN GRAND MURMURE DANS LA FOULE À SON SUJET CERTAINS EN EFFET DISAIENT QU’IL EST BON; MAIS D’AUTRES DISAIENT: "NON, MAIS IL SÉDUIT LA FOULE. " NUL POURTANT NE PARLAIT OUVERTE MENT À SON SUJET, PAR PEUR DES JUiFS. ALORS QU’ON ÉTAIT DEJÀ AU MILIEU DE LA FÊTE JÉSUS MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT ET LES JUIFS S'ÉTONNAIENT, DISANT: "COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QU’IL N’A PAS ÉTUDIÉ?"

1028. L’Evangéliste expose ici quelle a été l’occasion de manifester l’origine de l’enseignement spirituel. Il montre en fait deux occasions. L’une est la division des foules; l’autre est leur admiration pour jésus [n° 1033].

Ce qui divisait les foules, c’était une divergence d’opi nions au sujet du Christ. Aussi l'Evangéliste commence-t-il par montrer ce en quoi tous étaient d’accord; puis il montre en quoi leurs opinions différaient [n° 1030]; et enfin, laquelle de ces opinions prévalait [n° 1032].

1029. Tous s’accordaient pour le chercher; et la raison [n° 11] pour laquelle l’Evangéliste dit cela, c’est que le Christ ne vint pas au début, ni ouvertement. LES JUIFS LE CHERCHAIENT DONC PENDANT LA FÊTE, ET DISAlENT: "OÙ EST-IL, CELUI-LÀ?"Il est évident que s’ils ne voulaient pas l’appeler par son nom 1, c’était à cause de leur grande haine et de leur hostilité — Ils l’avaient pris en haine, et ne pouvaient pas lui dire quoi que ce soit avec paix 2.
47. Isaïe 45, 15. Op. cit., 48, 1, col. 269. Voir ci-dessous, n° 1012.
48. Tract, in Ioann., XXVIII, 9, pp. 587-591.
49. Isaïe 8, 17.
50. 2 Co 3, 15. Saint Thomas commente ainsi ce verset "On peut dire de deux manières qu’un voile est imposé à quelqu’un: ou bien ce voile est placé sur la réalité vue pour qu’on ne puisse pas la voir, ou bien il est placé sur celui qui voit, pour qu’il ne puisse pas voir. Mais sous l’Ancienne Loi, un voile était imposé aux Juifs de l’une et l’autre manière. En effet, leur coeur était aveuglé, de telle sorte qu’ils ne con naissaient pas la vérité, à cause de leur dureté; et l’Ancien Testament n’était pas encore achevé, parce que la vérité n’était pas encore venue. En signe de cela, il y avait un voile sur le visage de Moïse, et non sur le leur; mais le Christ venant, le voile a été enlevé du visage de Moïse, c’est-à-dire de l’Ancien Testament, qui est désormais achevé; cependant, il n’a pas été enlevé de leur coeur" (Ad 2 Cor. lect., III, leç. 3, n° 108).
51. He 10, 1.
52. Cf. 2 Co 5, 6.
53. Mt 6, 1.


1030. Mais il y avait entre eux une divergence, parce que certains le cherchaient par désir d’être enseignés — Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 3— ; d’autres avec une intention mauvaise — Ils cherchent mon âme pour me l’arracher 4. Et c’est pourquoi IL Y AVAIT UN GRAND MURMURE DANS LA FOULE, à cause du conflit qu’il y avait A SON SUJET

Bien que le mot murmure soit du genre neutre, Jérôme le prend comme un mot masculin, ou bien parce qu’il en était ainsi dans l’ancienne grammaire, ou bien pour mon trer que la divine Ecriture n’est pas soumise aux règles de Priscien 5.

Il y avait une division, parce que CERTAINS parmi la foule, ceux qui avaient un coeur droit, DISAIENT du Christ QU’IL EST BON — Comme le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui sont droits de coeur !6 — Le Seigneur est bon pour ceux qui espèrent en lui, pour l’âme qui le cherche 7. D’AUTRES, ceux qui étaient mal disposés, DISAIENT: NON, c’est-à-dire, il n’est pas bon. Par là, il est donné à entendre que la multitude l’estimait bon, mais que les princes des prêtres l’estimaient mauvais, et c’est pourquoi ils disent MAIS IL SEDUIT LA FOULE — Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation 8— Nous nous sommes souvenus que ce séducteur a dit... 9
2. Gn 37, 4.
3. Ps 68, 33.
4. Ps 39, 14.
5. Rappelons que saint Jérôme est l’auteur de la version de la Bible utilisée par saint Thomas. Priscien est un célèbre grammairien latin mort au début du VIe siècle, dont les Institutiones grammaticae restèrent jus qu’au Moyen Age la principale référence en matière de grammaire latine. Selon cet ouvrage, murmur était à l’origine aussi bien masculin que neutre, comme on le trouve dans les plus anciennes éditions de la Bible latine, jusque dans l’édition critique de la Vulgate par R. Weber (comparer Ex 16,8 et Ac 6,1 Cf. Thesaurus linguae latinae, vol. Ac 8, col. Ac 1675, art. murmur, Ac 11 Ac 27-31).
6. Ps 72, 1.
7. Lam 3, 25.
8. Luc 23, 2.
9. Mt 27, 63.


1031. Il faut savoir que séduire veut dire "conduire en dehors" 10. Mais l’homme peut être conduit ou bien hors de la vérité ou bien hors de l’erreur; ainsi, quelqu’un peut être dit séducteur de l’une ou de l’autre manière: ou bien en tant qu’il conduit quelqu’un hors de la vérité, et cela ne concerne pas le Christ, qui est lui-même la Vérité 11, ou bien en tant qu’il le conduit hors de l’erreur; et de cette manière on peut dire que le Christ est séducteur — Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit: tu as été plus fort que moi 12. Et comme le dit Augustin plaise à Dieu que tous nous soyons appelés, et soyons en réalité, des séducteurs de ce genre-là. Cependant, on appelle plus séducteur celui qui détourne de la vérité et trompe, parce que l’on dit "qu’il est conduit en dehors ", celui qui est traîné hors de la voie normale. Or la vérité, c’est la voie normale; mais l’hérésie et la voie des méchants sont des chemins détournés.




NUL POURTANT NE PARLAIT OUVERTEMENT À SON SUJET, PAR PEUR DES JUIFS.

1032. C’est l’opinion des méchants qui prévaut, c’est-à-dire celle des princes des prêtres, et c’est pourquoi l’Evangéliste ajoute que NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT. Et cela, parce que les foules étaient pétrifiées par la peur des chefs; en effet, comme on le lit plus loin, si quelqu'un reconnaissait que [Jésus] était le Christ, il était exclu de la synagogue 14.

Ainsi apparaît clairement la malice de ceux qui dominent; elle leur fait tendre des pièges au Christ; de même la malice de ceux qui leur sont soumis, à savoir le peuple, parce qu’ils n’avaient pas l’audace d’exprimer leur pensée 15.
10. Saint Thomas explique seducere par ducere précédé du préfixe se dont l’adverbe correspondant, dans la langue du Moyen Age, est seorsum; étymologie traditionnelle confirmée par le Dictionnaire élymologi que de la langue latine, de A. Ernout et A. Meillet. Seorsum ducere veut dire littéralement: "conduire à part, séparément".
11. Voir Jn 14, 6.
12. Jr 20,7.
13. Tract. in Ioann., XXIX, 1, p. 597.
14. Jean 9, 22.
15. Cf. CHRYSOSTOME, In boannem hom., 49, ch. 1, col. 274.





ALORS QU’ON ÉTAIT DEJÀ AU MILIEU DE LA FÊTE, JÉSUS MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT ET LES JUIFS S'ÉTONNAIENT, DISANT: "COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QU'IL N’A PAS ÉTUDIÉ?"

1033. Ici, l’Évangéliste expose la seconde occasion pour le Christ de manifester son enseignement: l’admiration des foules. Il montre d’abord la matière [n° 1034] de l’admiration, puis l’admiration [n° 1035] elle-même, enfin sa raison [n° 1035].

1034. La matière de l’admiration est l’enseignement du Christ; l’Evangéliste en situe le temps et le lieu.

Le temps, quand il dit ALORS QU’ON ETAIT DEJA AU MILIEU DE LA FETE, c’est-à-dire qu’il restait autant de jours qu’il en était déjà passé. Comme cette fête durait sept jours, on nous dit ainsi que cela eut lieu le quatrième jour. Le fait que le Christ se soit caché est un indice de son humanité, et un exemple pour notre vertu, comme nous l’avons dit. Le fait qu’il se soit montré au grand jour sans qu’on puisse le saisir est significatif de sa divinité. Il monta AU MILIEU de la période DE LA FETE, parce qu’au début tous sont plus attentifs à ce qui concerne la fête: les bons au culte de Dieu, les autres aux vanités et aux profits. Mais vers le milieu de la période, ce qui concerne la fête ayant été réglé, ils sont plus disposés à l’enseignement. Donc, il ne monta pas pendant les premiers jours 16, pour les trouver plus attentifs et plus disposés à son enseignement.

Il le fit aussi parce que cela convient à l’ordre de son enseignement; en effet, le Christ ne vint pas instruire les hommes du Royaume de Dieu à la fin du monde, ni au commencement, mais au milieu du temps, selon cette parole: Au milieu des années tu feras connaître [ton oeuvre] 17.

L’Evangéliste montre le lieu de l’enseignement en disant AU TEMPLE, où le Christ enseignait, pour deux rai sons: pour montrer qu’il enseignait la vérité qui ne pouvait être critiquée et qui était nécessaire à tous — Moi, je n’ai rien dit en cachette 18 et ensuite parce que le Temple, étant un lieu sacré, convient à l’enseignement très saint du Christ — Venez, montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob; et il nous enseignera ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers 19.

L’Évangéliste omet de dire ce que le Christ a dû enseigner, parce que, comme nous l’avons dit [n° 1013], les Evangélistes ne rapportent pas tous les faits et paroles du Seigneur, mais seulement ceux qui provoquaient une émotion ou une opposition dans le peuple. Et ici, l’Évangéliste rapporte l’émotion que l’enseignement du Christ a provoquée dans le peuple, parce que ceux qui auparavant avaient dit: IL SEDUIT LES FOULES avaient ensuite été amenés à l’admirer, précisément à cause de son enseignement.
16. Cf. CHYSOSTOME, ibid.
17. Hab 3, 2.



ET LES JUIFS S’ÉTONNAIENT

1035. Ici, on montre leur admiration. Cela n’est pas sur prenant, parce qu’il est écrit: Admirable est ton témoignage 20. Les paroles du Christ sont en effet des paroles de sagesse divine.

L’Évangéliste ajoute enfin la raison de leur admiration: COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QU’IL N’A PAS ÉTUDIÉ?

Ils savaient en effet que Jésus était le fils d’une femme pauvre; et on pensait qu’il était le fils du charpentier 21, qui vivait de son travail. C’est pourquoi il semblait probable que Jésus, vivant aussi de son travail, n’avait pas dû s’adonner à l’étude, mais plutôt à un travail manuel, selon cette parole du psaume: Moi je suis un pauvre, dans les labeurs depuis ma jeunesse 22. Voilà pourquoi, lorsqu’ils l’entendent enseigner et disputer 23, ils s’étonnent en disant: COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT? Dans l’Evangile de Matthieu, ils disent: D'où lui viennent cette sagesse et cette puissance? N’est-il pas le fils du charpentier? 24
18. Jean 18, 20.
19. Isaïe 2, 5.
20. Ps 118, 129.
21. Cf. Mt 13, 55.
22. Ps 87, 16.
23. Disputare: ce terme revêt pour saint Thomas une signification bien précise, puisque le maître en théologie avait officiellement, à son époque, une triple fonction: legere, c’est-à-dire commenter l’Ecriture, disputare et praedicare. La disputatio, qui voyait s’affronter les maîtres sous la responsabilité de l’un d’eux, avait pour but de préciser telle ou telle question théologique. Le maître qui "disputait", après la séance proprement dite, devait présenter la doctrine qu’il fallait tenir sur cette question pour être dans la vérité. On comprend bien par là l’autorité et la responsabilité du maître qui dirigeait la dispute: il s’agis sait d’enseigner la vérité. L’emploi de ce mot par saint Thomas à pro pos du Christ le désigne bien comme le Maître, la Vérité.
Au-delà du contexte historique, saint Thomas nous dit lui-même que "comme il appartient au sage de méditer la vérité, surtout au sujet du Premier Principe, et de l’exposer aux autres, de même il lui appartient de combattre la fausseté qui s’y oppose" (Contra Gentiles, 1Ch 1). La disputatio sera proprement le raisonnement dont on use dans un dialogue avec quelqu’un, pour enseigner la vérité ou com battre l’erreur: "Le raisonnement qui s’adresse à un autre ne s’appelle pas seulement syllogisme ou argumentation, mais aussi dispute (disputatio); il se passe en effet entre deux personnes, c’est-à-dire entre quelqu’un qui expose et quelqu’un qui lui répond (...). La dis pute doctrinale ou démonstration est celle qui est ordonnée à la science; elle procède de choses vraies, connues par soi et propres à la science à propos de laquelle on dispute; et elle s’occupe d’enseigner et d’augmenter la science" (SAINT THOMAS, Defallaciis, Prol. et ch. 1). Voir aussi ci-dessous, n° 1118. Sur l’aspect historique, voir M. -D. CHENU, Introd. à l’étude de saint Thomas d’Aquin.
24. Mt 13, 54-55.




Jean 7, 16-24: LE CHRIST MANIFESTE L’ORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT

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Thomas sur Jean 48