Thomas sur Jean 50

50 Jn 7,16-24




Il leur répondit, et dit: "Mon enseignement n’est pas le mien, mais il est de celui qui m’a envoyé. 17 Si quel qu’un veut faire sa volonté, il connaîtra, de cet enseigne ment, s’il est de Dieu ou si moi je parle de moi-même. 18 Celui qui parle de lui-même cherche sa gloire propre; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est véridique, et d’injustice, il n’en est pas en lui. ' Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et personne d’entre vous n’ac complit la Loi. Pourquoi cherchez-vous à me tuer?" 21 La foule lui répondit, et dit: "Tu as un démon; qui cherche à te tuer?"Jésus répondit et leur dit: "J’ai fait une seule oeuvre, et tous, vous vous étonnez. 22 C’est pour cela que Moïse vous a donné la circoncision, non qu’elle vienne de Moïse, mais des Pères. Et vous donnez la circoncision à un homme le jour du sabbat. 23 Alors qu’un homme reçoit la circoncision lejour du sabbat pour que ne soit pas violée la Loi de Moïse, vous vous indignez contre moi parce uej’ai rendu sain un homme tout entier le jour du sabbat? Ne jugez pas selon l’aspect, mais jugez selon un juste jugement. "

1036. Après qu’aient été montrés le lieu et les occasions où a été manifestée l’origine de l’enseignement spirituel, le Christ montre ici l’origine de son enseignement, avant d’in viter à le recevoir [n° 10831.



A. L’ORIGINE DIVINE DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST



Il montre d’abord que son enseignement spirituel tire son origine de Dieu. Pour cela, il montre l’origine de l’ensei gnement [n° 1037], et il en donne une preuve [n° 1038]; ensuite il repousse une objection [n° 1041]. Et plus loin, il montrera l’origine de celui qui enseigne [n° 1051].


I

JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT: "MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN,

MAIS IL EST DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLON TÉ, IL CONNAÎTRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MÊME. CELUI QUI PARLE DE LUI-MÊME CHERCHE SA GLOIRE PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUIL’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET D’INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI. "

1037. JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT; cela veut dire: vous vous demandez avec admiration d’où je tiens la science; mais moi je vous dis que MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN

S’il avait dit: "L’enseignement que je donne n’est pas le mien", aucune question n’aurait surgi; mais qu’il dise MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, cela semble impliquer une contradiction. Le problème est résolu par le fait qu’on peut dire cela de multiples manières. D’une certaine façon on peut dire que son enseignement est le sien, et d’une autre qu’il ne l’est pas.

Si on comprend cela du Christ Fils de Dieu: l’enseigne ment de quelqu’un n’est rien d’autre que son verbe (verbum); or le Fils de Dieu, c’est son Verbe; il s’ensuit donc que l’enseignement du Père, c’est le Fils lui-même. Or ce Verbe est de soi-même par identité de substance — qu’y a-t-il en effet de plus tien que toi-même? Mais il n’est pas sien du point de vue de l’origine — qu’y a-t-il de moins tien que toi si ce que tu es, tu l’es d’un autre? comme le dit Augustin 1. Il semble donc avoir dit cela brièvement: MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, comme s’il avait dit: Moi, je ne suis pas de moi-même. En cela, l’hérésie de Sabellius est confondue, lui qui a osé dire que c’est le Fils lui-même qui est Père.

On peut encore comprendre cette parole ainsi: MON ENSEIGNEMENT, que moi je prononce par une parole créée, N'EST PAS LE MIEN, MAIS IL EST DE CELUI QUI M’A ENVOYE, du Père; c’est-à-dire: il n’est pas à moi à par tir de moi-même, mais à partir du Père, parce que le Fils possède même la connaissance à partir du Père, par la génération éternelle — Tout m’a été transmis par mon Père 2.

Mais si cette parole est comprise du Christ fils de l’homme, alors, il dit MON ENSEIGNEMENT, que moi je possède par mon âme créée et queje profère par la bouche de mon corps, N’EST PAS LE MIEN, c’est-à-dire n’est pas mien de moi-même, mais est de Dieu, "parce que toute vérité, quel que soit celui qui la dit, est de l’Esprit Saint 3".

Ainsi donc, selon Augustin, en un sens il a dit que son enseignement est le sien, en un autre qu’il n’est pas le sien: le sien selon sa forme de Dieu, pas le sien selon sa forme [n° 161 d’esclave 4. En cela, nous avons un exemple: il nous faut reconnaître en rendant grâces que toute notre connaissance vient de Dieu — Qu’as-tu que tu n'aies reçu? Et situ as tout reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu? 5
1. Tract. in Ioann., XXIX, 3, p. 601.
2. Mt 11, 27.
3. Cf. vol. I, n° 103 et note 17.


1038. Ensuite, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu; il le fait de deux façons. D’abord en se référant au jugement de ceux qui voient juste [n° 1039]; puis par sa propre intention [n° 1040].


SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, IL CONNAÎTRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S'IL EST DE DIEU OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MÊME.

1039. Pour déterminer si quelqu’un exerce bien un art, on doit le discerner par le jugement de celui qui est expert en cet art; ainsi, pour savoir si quelqu’un parle bien français, on doit l’établir par le jugement de celui qui est rompu à l’usage de cette langue. C’est donc selon ce principe que le Seigneur dit: si mon enseignement est de Dieu, oi doit le déterminer par le jugement de celui qui est expert dans les choses divines; un tel homme en effet peut en juger — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu; c’est folie pour lui et il ne peut le comprendre, parce que c’est spirituellement qu'on en juge. Mais l’homme spirituel juge toutes choses 6. Pour cela il dit: vous êtes étrangers à Dieu, et c’est pourquoi vous ne savez pas, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Mais SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, c’est-à-dire celle de Dieu, celui-là pourra connaître si cet enseignement vient de Dieu OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MEME. Et certes, il parle de lui-même celui qui dit le faux, parce que, comme on le lit plus loin: Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds

Selon Chrysostome, on peut interpréter autrement ce passage. En effet, la volonté de Dieu est notre paix, notre charité et notre humilité; c’est pourquoi il est dit: Bienheureux les pacifiques? car ils seront appelés fils de Dieu 8. Or le goût passionné de la contention 9 pervertit souvent l’esprit de l’homme, dans la mesure où il estime vrai ce qui est faux. C’est pourquoi, ayant laissé de côté l’esprit de contention, on possède plus justement la certitude de la vérité — Répondez, je vous en prie, sans aucune contention, et jugez en disant ce qui est juste 10. C’est pourquoi le Seigneur dit: si quelqu’un veut juger avec droiture de mon enseignement, qu’il fasse la volonté de Dieu; c’est-à-dire, qu’il laisse de côté la colère, l’envie et la haine qu’il a envers moi sans raison. Et il n’y a rien qui l’empêche de connaître S’IL EST DE DIEU OUSIJE PARLE DE MOI-MEME, puisque ce sont les paroles de Dieu que je prononce 11.

Ou bien encore, selon Augustin, la volonté de Dieu est que nous fassions ses oeuvres, comme la volonté du père de famille est que les ouvriers fassent son oeuvre. Or l’oeuvre de Dieu, c’est que nous croyions en celui que lui-même a envoyé — Telle est l’oeuvre de Dieu que vous croyiez en celui qu'il a envoyé 12. C’est pourquoi il dit SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, celle de Dieu, c’est-à-dire croire en moi, celui-là CONNAITRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Une version d’Isaie dit: Si vous n’avez pas cru, vous ne comprendrez pas 13.
4. Cf. Phi 2, 6-7. De Trinitate, I, XII, 27, BA 15, p. 163.
5. 1 Corinthiens 4, 7.
6. 1 Corinthiens 2, 14-15 "L’Apôtre dit ici que/'homme spirituel juge toutes choses, c’est-à-dire que l’homme qui a l’intelligence illuminée et la volonté aimante ordonnée par l’Esprit Saint possède un jugement droit sur toute réalité, prise en particulier, qui concerne le salut" (Ad I Cor. lect., II, leç. 3, n" 118).
7. Jean 8, 44.
8. Mt 5, 9.
9. Nous avons traduit ainsi studium contentionis, préférant laisser le sens littéral de contentio, expliqué par saint Thomas dans son commen taire du livre de Job que nous citons dans la note suivante.
10. Jb 6, 29; saint Thomas explique, en commentant les versets 28 et 29, que le premier obstacle à la découverte de la vérité se manifeste quand "quelqu’un ne veut pas écouter ce qui est dit par l’adversaire. Le second obstacle, c’est lorsqu’il répond à ce qu’il a entendu en criant et avec des injures; pour écarter cet obstacle, Job dit: Répondez, je vous en prie, sans contention; la contention est en effet, comme le dit Ambroise, 'l’assaut contre la vérité avec l’assurance effrontée que l’on a en criant*. Le troisième obstacle, c’est quand quelqu’un n’est pas tendu vers la vérité, mais vers la victoire et la gloire, comme cela arrive dans les disputes de procès et les disputes sophistiques: et jugez en disant ce qui est juste, c’est-à-dire de manière à concéder ce qui vous semble vrai, et à nier ce qui vous semble faux" (Expositio superJob, 6, 29; Opera omnia, XXVI, p. 45, 11. 309-320). Cf. aussi Somme théol., II-II, q. 38, a. 1. L’article suivant montre que la contentio est fruit de l’orgueil et de la vaine gloire. On peut s’y reporter pour ce que saint Thomas dit au n° 1040.
11. In loannem hom., 49, ch. 1, col. 274-275.





CELUI QUI PARLE DE LUI-MÊME CHERCHE SA GLOIRE PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET D’INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI.

1040. Ici, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu par sa propre intention. Et il expose deux intentions, qui font comprendre deux origines.

Il a été dit que certains parlent d’eux-mêmes, mais que d’autres ne le font pas. Or, ne parle pas de lui-même quiconque s’attache à dire la vérité. Toute connaissance de la vérité vient d’un autre: par mode d’enseignement, à partir du maître; ou par mode de révélation, à partir de Dieu; ou par mode de découverte, à partir des réalités existantes elles-mêmes, parce que, comme il est dit, les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir à l’intelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 14. Par conséquent, quel que soit le mode par lequel on possède une connaissance, l’homme ne la tient pas de, lui-même.

Mais il parle de lui-même, celui qui ne reçoit ce qu’il dit ni des réalités existantes, ni d’une révélation, ni d’un enseignement humain, mais de son propre coeur — ils disent la vision de leur coeur 15— Malheur aux prophètes insensés qui prophétisent de leur propre coeur 16. Ainsi donc, élaborer quelque chose de soi-même est en vue de la gloire humaine, parce que, comme le dit Chrysostome 17, celui qui veut enseigner sa propre doctrine ne veut rien d’autre qu’acquérir la gloire. Et c’est ce que le Seigneur dit, prouvant que son enseigne ment est de Dieu. CELUI QUI PARLE DE LUI-MEME, alors qu’il s’agit de la connaissance certaine de la vérité qui vient d’un autre, celui-là CHERCHE SA GLOIRE PROPRE, à cause de laquelle — et à cause aussi de l’orgueil — s’introduisent des hérésies et des opinions erronées. Et cela se rapporte à l'Antichrist, celui qui s’oppose et se dresse contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est objet de culte, de telle sorte qu’il siège dans le Temple de Dieu, se présentant lui-même comme Dieu 18.

Mais CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L'A ENVOYE, comme moi je la recherche — Moi je ne cherche pas ma gloire 19; CELUI-LA EST VERIDIQUE, ET D’INJUSTIGE, IL N’EN EST PAS EN LUI. Autrement dit: je suis véridique, parce que mon enseignement a même mesure que la vérité; d’injustice, il n’en est pas en moi, parce que je n’usurpe pas la gloire d’un autre. Et comme le dit Augustin, "il nous a donné un grand exemple d’humilité (...) quand, ayant été estimé comme un homme 20, il cherche la gloire du Père et non la sienne, ce que toi, homme, tu dois faire. Quand tu fais quelque chose de bien, tu cherches ta propre gloire; et quand tu fais quelque chose de mal, tu médites je ne sais quelle calomnie envers Dieu" 21. Or il est manifeste qu’il ne cherchait pas sa gloire, parce que s’il avait flatté les princes des prêtres, ils ne l’auraient pas persécuté.

Ainsi donc le Christ, et quiconque cherche la gloire de Dieu, possède bien une connaissance dans son intelligence — Maître, nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité, et que tu ne te soucies [de l’opinion] de qui que ce soit 22,- et c’est pourquoi il dit CELUI-LA EST VERJDIQUE, ayant une intention droite dans son coeur, ET D'INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI. L’injustice en effet consiste en ce que l’homme usurpe quelque chose qui ne lui appartient pas; or la gloire est propre à Dieu seul: donc, celui qui cherche la gloire pour lui-même est injuste.
12. Jean 6, 29.
13. Isaïe 7, 9 (voir n 995, note 175). Tract. in Ioann., XXIX, 6, pp. 605-609.
14. Ro 1, 20.
15. Jr 23,16.
16. Ez 13, 3.
17. Op. cit., 49, ch. 2, col. 275.
18. 2 Th 2, 4. Cf. lJn 4, 3.
19. Jean 8, 50.
20. Phi 2, 7.
21. Op. cit., XXIX, 6, pp. 611-613.
22. Mt 22, 16.




MOÏSE NE VOUS A-T-IL PAS DONNÉ LA LOI? ET PERSONNE D’ENTRE VOUS N’ACCOMPLIT LA LOI. POURQUOI CHERCHEZ-VOUS À ME TUER?" LA FOULE LUI RÉPONDIT, ET DIT: "TU AS UN DÉMON; QUI CHERCHE À TE TUER?" JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "J’AI FAIT UNE SEULE OEUVRE, ET TOUS, VOUS VOUS ÉTONNEZ. C’EST POUR CELA QUE MOÏSE VOUS A DONNÉ LA CIRCONCISION, NON QU’ELLE VIENNE DE MOÏSE, MAIS DES PÈRES. ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION LE JOUR DU SABBA POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE lA LOI DE MOÏSE, VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LEJO UR DU SABBAT? NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE JUGEMENT"

1041. Le Seigneur repousse ici une objection. En effet, quelqu’un aurait pu dire au Christ que son enseignement n’était pas de Dieu parce qu’il violait le sabbat — Ce n’est pas un homme qui vient de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat 23. Et il a l’intention de réfuter cela: c’est pourquoi il fait trois choses. D’abord il se justifie en attaquant ses accusateurs [n° 1042]; puis l’Evangéliste nous expose leur réponse inique [n° 1043]; enfin, le Christ se justifie par un raisonnement [n° 1044].

1042. Il dit donc: à supposer, comme vous vous le dites, que mon enseignement ne soit pas de Dieu parce qu’en violant le sabbat je n’observe pas la Loi, vous n’avez cependant aucune qualité pour m’accuser, puisque vous êtes dans le même délit. C’est pourquoi il dit: MOISENE VOUS A-T-IL PAS DONNE LA LOI, à vous, c’est-à-dire à votre peuple? Et cependant, PERSONNE D’ENTRE VOUS N’ACCOMPLIT, c’est-à-dire n’observe, LA LOI — Vous avez reçu la Loi par le ministère des anges, et vous ne l'avez pas gardée 24. C’est pourquoi Pierre disait aussi: C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’ont pu porter 25. Si donc vous, vous n’observez pas la Loi, pourquoi voulez-vous me tuer parce que je l’ai transgressée? Ce n’est pas pour cela que vous le faites, mais par haine; autrement, si vous le faisiez par zèle pour la Loi, vous-mêmes l’observeriez — Cernons le juste puisqu'il nous est inutile, qu'il s'oppose à nos oeuvres et nous reproche nos péchés contre la Loi 26; et plus loin: Condamnons-le à la mort la plus infâme 27.

Ou bien il faut dire que vous n’observez pas la Loi que Moïse vous a donnée: cela est évident du fait que vous vou lez me tuer, ce qui est contre la Loi: Tu ne tueras pas 28.

Ou bien encore, selon Augustin 29: vous n’observez pas la Loi, parce que moi-même je suis contenu dans la Loi — Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez peut-être aussi en moi, car c’est de moi qu'il a écrit 30. Mais vous voulez me tuer.
23. Jean 9, 16.
24. Ac 7, 53. Cf Ga 3, 19 et He 2, 2.





LA FOULE LUI RÉPONDIT ET DIT: "TU AS UN DÉMON: QUI CHERCHE À TE TUER?"

1043. L’Évangéliste expose ici la réponse inique de la foule. Cette foule en désordre donne une réponse qui ne relève pas de l’ordre, mais de l’agitation, comme le dit Augustin 31; ces gens affirment en effet qu’il a un démon, lui qui expulsait les démons — Celui-là ne chasse les démons que par Béelzéboul, le chef des démons 32.

1044. Après cela, le Seigneur, "paisible dans sa vérité" les confond en se justifiant par un raisonnement.

Il leur rappelle d’abord le fait pour lequel ils étaient troublés [n° 1045]; puis il leur montre qu’ils ne doivent pas être troublés [n° 1046]; enfin, il les incite à juger d’une manière juste [n° 1050].
25. Ac 15. 10.
26. Sg 2,12.
27. Sg 2,20.
28. Ex 20, 13. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom., 49, ch. 2, col. 276.
29. op. cit., XXX, 2, p. 617.
30. Jean 5, 46.
31. Ibid.
32. Mt 12, 24.
33. Cf. op. cit., XXX, 3, p. 619.





JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: J’AI FAIT UNE SEULE OEUVRE, ET TOUS, VOUS VOUS ETONNEZ.

1045. Il ne rend pas injure pour injure, et ne les rejette pas, parce que alors qu'il était maudit, il ne maudissait pas 34; mais il leur rappelle l’oeuvre de la guérison du paralytique, au sujet de laquelle tous avaient été dans l’étonnement, non pas un étonnement admiratif, celui dont parle Isaïe: Tu verras, tu seras radieuse, ton coeur s'étonnera et se dilatera 35, mais un étonnement troublé, celui dont parle le livre de la Sagesse: En le voyant, ils seront troublés d’une crainte horrible, et seront étonnés de l’apparition soudaine d'un salut auquel ils ne s'attendaient pas 36. Si donc vous vous étonnez, c’est-à-dire que vous êtes agités et troublés, à cause d’une oeuvre, si vous voyiez toutes mes oeuvres, que feriez-vous? Car, comme le dit Augustin 37, "ses oeuvres, c’était ce qu’ils voyaient dans le monde": il allait jusqu’à guérir tous les infirmes — lia envoyé sa parole (verbum) et il les a guéris 38— Ce n’est ni une herbe ni un onguent qui les a guéris; mais ta parole, Seigneur, guérit tout 39. Ainsi donc, vous vous étonnez pour n’avoir vu qu’une oeuvre, et non pas toutes.
34. 1 Pc 2, 23.
35. Isaïe 60, 5.
36. Sg 5,2.
37. Tract. in Ioann., XXX, 3, pp. 619-62 1.
38. Ps 106, 20.
39. Sg 16,12.



C’EST POUR CELA QUE MOÏSE VOUS A DONNÉ LA CIRCONCISION,

NON QU’ELLE VIENNE DE MOÏSE, MAIS DES PÈRES. ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION LE JOUR DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE LA LOI DE MOÏSE, VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT?

1046. Le Seigneur les convainc ici de s’être troublés de manière injustifiée. Il rapporte d’abord le commandement qui leur a été donné par Moïse [n° 1047]; puis il montre leur oeuvre [n° 1048]; enfin, il argumente à partir de l’un et de l’autre [n° 1049].

1047. Le commandement de Moïse est à propos de la circoncision; c’est pourquoi il dit POUR CELA, c’est-à-dire pour signifier mes oeuvres, MOÏSE VOUS A DONNE LA CIRCONCISION Car la circoncision a été donnée comme un signe, ainsi qu’on le lit dans la Genèse: Cela sera pour vous le signe de l’alliance entre moi et vous 40. Elle signifiait en effet le Christ; et c’est pourquoi elle a été opérée d’une manière significative dans le membre de la génération, parce que c’est d’Abraham que le Christ devait descendre selon la chair, lui qui réalise la circoncision spirituelle, c’est-à-dire celle de l’esprit et du corps. Ou bien elle est faite dans ce membre parce qu’elle a été donnée contre le péché originel 41.

Que Moïse ait donné la circoncision, l’Écriture ne le rapporte pas expressément, si ce n’est dans l’Exode: Tout esclave acheté sera circoncis 42. Mais si Moïse a donné la circoncision, ce n’est cependant pas comme étant chargé de l’instituer, parce qu’il n’est pas le premier à avoir reçu le commandement de la circoncision, mais c’est Abraham, comme le dit la Genèse 43.

1048. Quant aux Juifs, ils donnaient la circoncision le jour du sabbat; ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. Cela, parce qu’il a été commandé à Abraham de circoncire son fils le huitième jour — Il le circoncit le huitième jour, comme Dieu le lui avait prescrit 44. Mais par Moïse, il leur avait été prescrit de ne faire aucune oeuvre le jour du sabbat; or il arrivait parfois que le huitième jour après la naissance soit celui du sabbat; et ainsi, en donnant la circoncision à l’enfant ce jour-là, ils transgressaient les commandements de Moïse au nom de celui des Pères 45.

1049. Le Seigneur en tire donc un argument: ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION LE JOUR DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE LA LOI DE MOÏSE, VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT?

Notons ici que cet argument tire son efficacité de trois considérations dont deux sont explicites et la troisième sous-entendue.

En effet, nous voyons d’abord ceci: de fait, le commandement d’Abraham a existé le premier; cependant, le commandement de Moïse au sujet de l’observation du sabbat ne porte pas préjudice au premier, qui concerne la circoncision — Or je dis ceci: la loi qui a été donnée quatre cent trente ans après n’annule pas l’alliance conclue par Dieu, de manière à éliminer la promesse 46. C’est pourquoi le Christ en tire argument: bien que dans les lois humaines les dernières aient force sur celles qui existaient auparavant, cependant, dans les lois divines, les premières sont d’une plus grande autorité. Voilà pourquoi le précepte de Moïse au sujet de l’observation du sabbat n’a pas force sur le précepte donné à Abraham au sujet de la circoncision. Il me concerne donc beaucoup moins, moi qui réalise ce qui a été disposé par Dieu avant la constitution du monde 47, en ce qui regarde le salut des hommes figuré dans le sabbat.

La deuxième considération est que les Juifs avaient reçu le commandement de n’accomplir aucune oeuvre pendant le sabbat: cependant, ils accomplissaient ce qui avait trait au salut particulier. Le Christ dit donc: si vous, à qui il a été commandé de ne rien accomplir pendant le sabbat, vous recevez ce jour-là la circoncision qui est un salut particulier — c’est pourquoi elle est réalisée dans un membre particulier —, et si vous faites cela POUR QUE NE SOIT PAS VIOLEE LA LOI DE MOISE — d’où il est évident que ce qui appartient au salut ne doit pas être omis le jour du sabbat 48,- combien plus l’homme doit-il donc faire en ce jour ce qui a trait au salut universel. Vous ne devez donc pas vous indigner contre moi, PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT.

La troisième considération est que l’un et l’autre de ces commandements étaient des figures — Tout arrivait aux Juifs en figures 49. Si donc une préfiguration, le commandement de l’observation du sabbat, ne fait pas autorité sur une autre préfiguration, à plus forte raison le commandement de la circoncision ne fait-il pas autorité sur la réalité elle-même. Car la circoncision signifiait le Seigneur lui-même, comme le dit Augustin 50. Et il dit UN HOMME TOUT ENTIER parce que, les oeuvres de Dieu étant parfaites 51, il a été guéri de telle sorte qu’il est devenu sain dans son corps, et il a cru de telle sorte qu’il est devenu sain dans son âme.
40. Gn 17, 2.
41. Pour cette interprétation ainsi que pour l’identification, selon le sens allégorique, de la circoncision et du Christ, voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXX, 5, pp. 623-627. La circoncision, selon saint Augustin, signifie le Christ pour trois raisons: premièrement, elle s’applique sur le membre par lequel est transmis le péché originel (vitium propaginis) dont le Christ nous libérera; deuxièmement, elle est effectuée par un couteau de pierre, et saint Paul verra dans le rocher de Mériba une figure du Christ (1 Corinthiens 10, 4); enfin, elle est effectuée le huïtième jour, de même que le Christ ressuscitera le lendemain du sabbat, qui est le septième jour de la semaine.
42. Ex 12, 44; il faut ajouter, en fait, Lev 12, 3: Au huitième jour, on circoncira le prépuce de l’enfant.
43. Cf. Gn 17, 10.
44. Gn 21, 4.
45. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXX, 4, p. 623.
46. Ga 3, 17.
47. Cf. Jean 17, 24; Eph 1, 4; 1 Pe 1, 20.
48. "Vous manifestez donc par là que les oeuvres du salut ne doivent pas être omises le jour du sabbat" (SAINT AUGUSTIN, op. cil., XXX, 6, p. 629).
49. 1Go 10, 11.
50. Voir note 41.
51. Deut 32, 4.





NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE JUGEMENT

1050. Le Christ les ramène ici à une juste appréciation à son égard; qu’ils ne jugent pas selon l’apparence mais selon un jugement juste. Or juger selon l’apparence se dit en deux sens.

L’homme qui juge le fait selon les allégations [d'autres] — Les hommes voient ce qui paraît 52 Mais en cela il peut être abusé, et c’est pourquoi il dit NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, c’est-à-dire selon ce qui apparaît tout de suite, mais recherchez avec grande attention — J’examinais avec grande attention la cause que j’ignorais 53.— Il ne jugera pas selon la vision de ses yeux 54.

Dans un autre sens, NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT signifie: Ne faites pas acception de la personne dans le jugement, car cela est défendu à tous ceux qui jugent: Tu ne jugeras pas injustement, tu ne tiendras pas compte de la personne du pauvre 55 dans le jugement. — Vous acception des personnes dans le jugement 56. Faire acception des personnes dans la Loi, c’est ne pas avoir une juste appréciation des choses, pour des raisons diverses: l’amour, le respect, la crainte, ou la condition de la personne, toutes considérations qui n’ont rien à voir avec la question. Il dit donc NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, comme pour dire: ne portez pas, parce que Moïse a auprès de vous une plus grande gloire que moi, un jugement d’après la dignité des personnes, mais d’après la nature des choses, parce que ce que moi je fais est plus grand que ce que Moïse a fait. 57

Mais il faut remarquer, selon Augustin, qu’"il ne juge pas selon les personnes, celui qui aime d’une manière égale (...). En effet, lorsque nous honorons diversement les hommes selon leur rang, il ne faut pas craindre de faire acception des personnes." 58
52. 1 Sam 16, 7.
53. Jb 29, 16.
54. Isaïe 11, 3.
55. Lev 19, 15. Cf. Ex 23, 3.
56. Mal 2, 9.
57. Voir CHRYSOSTOME, In loannem hom., 49, ch. 3, col. 277.
58. Op. cit., XXX, 8, p. 633.



II - Jean 7, 25-32: LE DOUTE DES FOULES SUR L’ORIGINE DU CHRIST

51 Jn 7,25-32

1051. Après avoir exposé l’origine de l’enseignement [n° 1036], l’Évangéliste traite ici de l’origine de celui qui enseigne.

D’abord, le Christ révèle son principe, d’où il procède, puis sa fin, vers laquelle il s’en va [n° 1072].

Ici, l’Evangéliste nous expose le doute des foules à propos de l’origine du Christ; puis il rapporte l’enseignement du Christ au sujet de sa propre origine [n° 1057]; enfin, l’effet de cet enseignement [n° 1066].


25 Des gens de Jérusalem disaient donc: "N’est-ce pas celui-ci que les Juifs cherchent à tuer? Voici qu’il parle ouvertement, et ils ne lui disent rien. Les princes des prêtres ont-ils donc vraiment reconnu que celui-ci est le Christ? 27 Mais nous, nous savons d’où il est; or le Christ, quand il sera venu, personne ne saura d’où il est. " 28 s’écriait donc, enseignant dans le Temple et disant: "Et vous me connais sez, et vous savez d’où je suis! Et ce n’est pas de moi-même que je suis venu; mais il est véridique, celui qui m’a envoyé, lui que vous ne connaissez pas. 29 Moi, je le connais: Et sije dis que je ne le connais pas, je serai semblable à vous, un menteur. Mais je le connais, parce que je suis de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. " 1 cherchaient donc à se saisir de lui; et personne ne porta la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue. Mais parmi la foule, beaucoup crurent en lui; et ils disaient: " Le Christ, quand il sera venu, fera-t-il plus de signes que n’en fait celui-ci?" 32 Les Pharisiens entendirent la foule murmurer cela à son sujet; et les princes des prêtres et les Pharisiens envoyèrent des serviteurs, pour qu’ils se saisissent de Jésus.


DES GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC: "N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT À TUER?

VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT, ET ILS NE LUI DISENT RIEN. LES PRINCES DES PRÊTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST? MAIS NOUS, NOUS SAVONS D’OÙ IL EST; OR LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE NE SAURA D’OÙ IL EST. "

L’Évangéliste expose d’abord l’étonnement des foules, puis une conjecture émise par elles [n° 1054], enfin leur objection contre ce qu’ils avaient supposé [n° 1055].

L’étonnement des foules apparaît à cause d’un dessein inique des princes des prêtres [n° 1052], et à cause de l’enseignement public du Christ [n° 1053].

DES GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC: "N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT À TUER?

1052. On a dit plus haut que le Christ, pour montrer la fragilité de la nature humaine, monta à la fête en se cachant; mais pour montrer la puissance de sa divinité, il enseigne publiquement dans le Temple et ne peut être saisi par ses persécuteurs. Et ainsi, comme le dit Augustin: "Ce qu’on prenait pour timidité s’est manifesté comme puissance 59. Et c’est pourquoi DES GENS DE JERUSALEM DISAIENT: N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENTA TUER? comme avec un sentiment d’admiration, car eux-mêmes savaient bien avec quelle fureur il était recherché par les princes des prêtres, parce qu’ils étaient leurs familiers et habitaient Jérusalem. C’est pourquoi Chrysostome dit: "Ils étaient plus misérables que tous, ceux qui voyant un très grand signe de sa divinité, et remettant tout au juge ment des princes corrompus, en avaient moins de vénération pour le Christ, 60 — Tel le gouverneur de la cité, tels ses habitants 61.

Cependant, ils s’étonnaient avec admiration de la puissance qui empêchait qu’on le saisisse; voilà pourquoi ils disaient: N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT A TUER? Les Juifs, c’est-à-dire les princes des prêtres, selon cette parole: Les Juifs le persécutaient parce qu'il faisait cela un jour de sabbat 62— L'iniquité est sortie des anciens du peuple qui semblaient le gouverner 63.

Ainsi apparaissent la vérité des paroles du Christ, et la fausseté des princes des prêtres. Plus haut en effet, alors que le Seigneur leur disait: Pourquoi cherchez-vous à nu’ tuer. ils ont nié en disant: Tu as un démon, qui cherche à te tuer? 64 Mais voici que ce que les chefs niaient, ceux-là le proclament en disant QUE LESJUIFS CHERCHENT A TUER. Ainsi donc, ils étaient dans l’étonnement à cause du dessein inique des princes des prêtres 65.
59. Op. cit., XXXI, 1, p. 637.
60. In loannem ho, n., 50, ch. 1, col. 277-278.
61. Sir 10, 2.
62. Jean 5, 16.
63. Dan 13, 5.
64. Jean 7, 20-21.
65. Interprétation ironique reprise à saint Augustin (toc. cit.).



VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT, ET ILS NE LUI DISENT RIEN LES PRINCES DES PRÊTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?

1053. Ils s’étonnaient aussi que le Christ enseignât en public; c’est pourquoi ils disent VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT, en enseignant, ce qui est l’indice d’une vérité qui n’a rien à craindre — Moi j’ai parlé ouvertement Et cependant, ILS NE LUI DISENT RIEN, comme refoulés par sa puissance divine. C’est en effet le propre de la puissance de Dieu d’empêcher que se développe dans le coeur des méchants la violence de leur malice — Quand les chemins d’un homme auront plu au Seigneur, il convertira aussi à la paix ses ennemis 67— Le coeur du roi est dans la main de Dieu; partout où il le veut, il l’inclinera 68.



 Il LES PRINCES DES PRÊTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?

1054. L’Évangéliste expose ici la conjecture de la foule. C’est comme si elle disait: Auparavant, ils cherchaient à le tuer; maintenant ils l’ont trouvé, et cependant ILS NE LUI DISENT RIEN. Ce n’est pas qu’ils aient modifié leur propre jugement, car s’ils l’avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire 69, mais ils sont retenus par la puissance divine 70.

1055. L’Évangéliste ajoute leur objection à cette conjecture: MAIS NOUS, NOUS SAVONS D’OÙ IL EST Ils rai sonnaient pour ainsi dire de cette manière: le Christ doit avoir une origine cachée; mais celui-là a une origine manifeste, donc il n’est pas le Christ. Ici apparaît leur démence, parce qu’ayant supposé que même les princes croyaient au Christ, ils ne suivent cependant pas ce jugement, mais en avancent un autre, qui est faux — C’est là cette Jérusalem, que j’ai pourtant placée au milieu des nations Ils savaient en effet que le Christ venait de Marie, mais ils ignoraient le mode de cette origine — Il était, croyait-on, fils de Joseph. — Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie? 72
66. Jean 18, 20.
67. Pros 16, 7.
68. Prov 21, 1.
69. 1 Corinthiens 2, 8.
70. Saint Thomas répond à saint Jean Chrysostome qui se demandait pourquoi le Christ n’était pas encore arrêté par les princes des prêtres; ce n’est pas parce qu’ils auraient changé d’opinion à son sujet, mais par un effet de la Providence (op. cil., col. 278).


1056. Mais puisqu’il est écrit: Et toi Bethléem Ephrata (...), de toi sortira un chef qui doit régner sur mon peuple Israël 73, pourquoi disent-ils: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE NE SAURA D'OU IL EST?

Il faut répondre qu’ils croient cela à cause de la parole d’Isaïe: Qui racontera sa génération? 74 Ainsi donc, des Prophètes leur vient qu’à la fois ils savent d’où il est selon son origine humaine et l’ignorent selon sa génération divine 75.
71. Ez 5, 5.
72. Luc 3, 23; Mt 13, 55.
73. Mic 5, 2.
74. Isaïe 53, 8.
75. A la différence de saint Jean Chrysostome, qui voit dans le recours des Juifs à l’impossibilité de connaître l’origine du Messie une invention de leur fourberie (interprétation reprise en passant par saint Thomas au milieu du n° 1055; cf. In loannem hom., col. 279), saint Augustin préfère donner raison aux Juifs en affirmant que l'Ecriture à la fois nous révèle l’origine du Messie (quant à son humanité) et nous la voile (quant à sa divinité) par la prophétie d’Isaïe 53, 8 (op. cit., XXXI, 2, pp. 639-64 1). Saint Thomas reprend ici cette interprétation.



L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST SUR SA PROPRE ORIGINE JÉSUS S’ÉCRIAIT DONC, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT:

"ET VOUS ME CONNAISSEZ, ET VOUS SAVEZ D’OÙJE SUIS. ET CE N’EST PAS DE MOI-MÊME QUE. JE SUIS VENU; MAIS IL EST VÉRIDIQUE, CELUI QUI M’A ENVOYÉ, L UI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS. MOI, JELE CONNAIS: ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, PARCE QUE JE SUIS DE LUI, ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYÉ. "

1057. Le Christ manifeste ici son origine: d’abord, il montre sous quel rapport son origine est connue, et sous quel autre elle est inconnue; pour cela il montre ce que les Juifs savaient de son origine [n° 1058], et ce qu’ils ignoraient de lui-même [n° 1059], puis il enseigne comment nous pou vons parvenir à la connaissance de son origine [n° 1061].

JÉSUS S’ÉCRIAIT DONC, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT: "ET VOUS ME CONNAISSEZ, ET VOUS SAVEZ D’OÙ JE SUIS.

1058. Ils avaient appris l’origine humaine de Jésus. C’est pourquoi l'Evangéliste dit JESUS S’ECRIAIT Or le cri procède de l’intensité de ce que l’on éprouve. Et c’est pour quoi, parfois, le cri traduit au dehors l’agitation intérieure de l’âme; cela ne concerne pas le Christ, dont il est écrit: Il ne criera pas, ne fera pas acception de personne, sa voix ne sera pas entendue sur la place 76 — Les paroles des sages se font entendre dans le silence 77. Parfois aussi, le cri traduit l’intensité de la dévotion 78. Dans ma détresse j’ai crié vers le Seigneur 79. Parfois encore, on crie à cause de la grandeur des choses que l’on doit dire — Les séraphins criaient l’un à l’autre et disaient: Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu des armées 80— La Sagesse ne crie-t elle pas sur la place, et la prudence ne donne-t-elle pas de la voix? 81 C’est ainsi que les prédicateurs sont exhortés à crier: Crie, ne t'arrête pas, fais retentir ta voix comme une trompette 82. Et c’est ainsi que le Seigneur crie ici, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT: VOUS ME CONNAISSEZ, c’est-à-dire vous connaissez mon visage, ET VOUS SAVEZ D’OÙ JE SUIS, c’est-à-dire selon mon origine terrestre — lia été vu sur la terre et il a vécu chez les hommes 83. Ils savaient en effet qu’il était né de Marie à Bethléem, et qu’il avait été élevé à Nazareth; mais ils ignoraient l’enfantement de la Vierge 84, et qu’il avait été conçu par l’Esprit Saint, comme le dit Augustin 85. Mis à part l’enfantement de la Vierge 84, ils connaissaient de Jésus tout ce qui appartient à un homme.
76. Isaïe 42, 2.
77. Qo 9, 17.
78. Cf. n" 843, note 16.
79. Ps 119, 1.
80. Isaïe 6, 3.
81. Prov 8, 1.
82. Isaïe 58, 1.
83. Bar 3, 38.


1059. Mais ils ignoraient son origine cachée; c’est pourquoi il dit: ET CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU. D’abord le Christ donne à entendre quelle est son origine, puis il montre qu’elle avait été annoncée: enfin il dit qu’elle leur est cachée.

Il tient son origine du Père, de toute éternité: CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, autrement dit: je fus selon la divinité avant de venir dans le monde par l’humanité — Avant qu’Abraham fût, moi Je Suis 86. D’ailleurs, il ne conviendrait pas que le Fils vienne, s’il n’avait pas été auparavant. Et cependant, du fait même que je suis venu, CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, parce que le Fils n’est pas de lui-même, mais du Père — Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde 87.

Son origine fut annoncée par le Père, qui promit de l’envoyer — De grâce Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer 88— Je leur enverrai un Sauveur et un défenseur qui les libérera 89. Et c’est pourquoi il dit MAIS IL EST VERIDIQUE, CELUI QUI M’A ENVOYE; autrement dit: ce n’est pas d’ail leurs que je suis venu, mais de celui qui a promis, et qui a accompli sa promesse parce qu’il est VERIDIQUE — Dieu est véridique 90 et c’est pourquoi il convient que je dise la vérité, parce que j’ai été envoyé par le Véridique 91.

Et son origine leur est cachée, parce qu’ils ignorent CELUI QUI M’A ENVOYE: LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.
84. On peut voir là une allusion au fameux texte de saint Ignace d’Antioche (Lettre aux Ephésiens, XIX, 1-2): "Le prince de ce monde a ignoré la virginité de Marie et son enfantement, de même que la mort du Seigneur, trois mystères retentissants qui furent accomplis dans le silence de Dieu" (IGNACE D’ANTIOCHE, Lettres, SC 10, p. 89).
85. Op., cil., XXXI, 3, p. 641.
86. Jean 8, 58.
87. Jean 16, 28. Dans tout ce passage, saint Thomas souligne que tout envoi du Père présuppose un lien avec le Père; l’envoi du Fils par le Père implique que le Fils procède du Père. La mission divine (l’envoi) se fonde immédiatement sur la procession divine et, par là, la mani feste; voir Somme théol., I, q. 43.
88. Ex 4, 13.
89. Isaïe 19, 20.


1060. Mais puisque tout homme, bien que né dans la chair, est de Dieu, il semble qu’il pourrait dire: Moije suis de Dieu, et par conséquent, VOUS SAVEZ D’OÙ JE SUIS.

Pour répondre à cela il faut dire, selon Hilaire 92 que le Fils est de Dieu autrement que les autres hommes ne le sont, parce qu’il est de Dieu de telle manière qu’il est aussi Dieu; c’est pourquoi Dieu est son principe consubstantiel. Les autres réalités sont de Dieu de telle manière que cependant elles existent à partir de rien. Ainsi donc, on ignore d’où est le Fils, parce que la nature à partir de laquelle il est n’est pas connue; mais les hommes, on n’ignore pas d’où ils sont, parce que de tout ce qui subsiste à partir de rien, on ne peut ignorer l’origine.


MOI, JE LE CONNAIS

1061. Ici, le Christ enseigne comment on peut parvenir à la connaissance de celui de qui il est. En effet, c’est de celui qui la connaît qu’il nous faut apprendre une chose; or seul le Fils connaît le Père 93, et c’est pourquoi il dit: si vous voulez aussi la connaissance de celui qui m’a envoyé, il faut que vous la teniez de moi, parce que MOI, seul, JE LE CONNAIS. Il manifeste donc d’abord sa science [n° 1062], puis la perfection [n° 1063] et la raison de sa science [n° 1065].

1062. Le Christ manifeste sa science en disant MOI, JE LE CONNAIS. Il est vrai que tous les hommes le voient 94; cependant c’est d’une manière différente, parce que les hommes en cette pauvre vie le voient par le moyen des créatures — Les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir à l’intelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 95. C’est pourquoi il est dit: Nous voyons maintenant comme dans un miroir, en énigme 96. Mais les anges et les bienheureux qui sont dans la patrie le voient immédiatement par son essence — Leurs anges dans les cieux voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux. — Nous le verrons tel qu'il est 97. Mais le Fils de Dieu le voit plus excellemment que tous, c’est-à-dire par une vision de compréhension 98— Dieu, personne ne l’a jamais vu, c’est-à-dire en le comprenant; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître 99.— Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils 100. Et c’est de cette vision qu’il parle ici en disant: MOI, JE LE CONNAIS, c’est-à-dire d’une connaissance de compréhension.
90. Ro 3, 4.
91. Cf. CHRY5OSTOM In Ioannem hom., 50, ch. 1, col. 279.
92. De Trinitate, VI, 29, CCL LXII, pp. 230-231 (PL 10, coI. 180 D-181 A).
93. Cf. Mt 11, 27.
94. Jb 36, 25.


1063. Il montre la perfection de sa science en disant: SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Il avance cette affirmation pour deux raisons.

Les créatures spirituelles le connaissent, mais de loin, et imparfaitement, parce que chacun le regarde de loin 101. En effet, la vérité divine excède toute notre connaissance — Dieu est plus grand que notre coeur 102. Donc, quiconque con naît Dieu peut dire sans aucun mensonge: JE NE LE CONNAIS PAS, parce qu’il ne le connaît pas autant qu’il peut être connu. Mais le Fils de Dieu le Père le connaît d’une manière absolument parfaite, comme lui-même se connaît parfaite ment: c’est pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.

De même, la connaissance de Dieu, et par-dessus tout celle que nous avons par la grâce, peut être perdue — Ils ont oublié Dieu qui les a rachetés 103. C’est pourquoi je puis dire que JE NE LE CONNAIS PAS, aussi longtemps que je suis en cette vie, parce que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine 104. Mais le Fils possède une connaissance inamissible du Père, et c’est pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.

Et dans ces paroles: JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR, on doit voir une similitude [qui provient de deux choses] contraires 105. En effet, ils ne seraient pas menteurs s’ils disaient qu’ils ne connaissent pas Dieu, mais plu tôt s’ils disaient qu’ils connaissent Dieu alors qu’ils l’ignorent. Mais si le Christ disait qu’il ne le connaît pas, alors qu’il le connaît, il serait un menteur. Tel est donc le sens de cette parole: SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAIS EMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR, vous qui dites que vous le connaissez alors même que vous l’ignorez.
95. Ro 1, 20.
96. 1 Corinthiens 13, 12. Saint Thomas commente: "En cette vie, nous connais sons Dieu en tant que nous connaissons les réalités invisibles de Dieu par les créatures, comme il dit dans l’épître aux Romains (1, 20). Et ainsi, toute la création est pour nous comme un miroir, parce qu’à partir de l’ordre, de la bonté et de la grandeur qui sont causés dans les réalités par Dieu, nous venons à la connaissance de la sagesse, de la bonté et de l’éminence divines. Et cette connaissance est dite vision dans un miroir" (Ad 1 Cor. lect., XIII, leç. 4, n° 800).
97. Mt 18, 10; lJn 3, 2.
98. Voir n° 868, note 83; et n’"’ 947-948.
99. Jean 1, 18.
100. Mt 11, 27.
101. Jb 36, 25.
102. 1 Jean 3, 20.


1064. Mais le Christ ne pouvait-il pas dire JE NE LE CONNAIS PAS? Il semble que oui, puisqu’il pouvait remuer les lèvres et prononcer de telles paroles. Donc il peut être menteur.

Il faut dire que le Christ a prononcé des paroles de ce genre, et n’a cependant pas été menteur, parce qu’il faut comprendre ainsi cette parole: SI JE DIS avec assentiment QUE JE NE LE CONNAIS PAS; avec assentiment, c’est-à-dire de telle manière qu’il croie dans son coeur ce qu’il prononce de sa bouche. Or affirmer le faux à la place du vrai provient de deux défauts: d’un défaut de connaissance dans l’intelligence — qui ne pouvait se trouver dans le Christ, puisqu’il est la sagesse de Dieu 106— ; ou d’un défaut de volonté droite dans la puissance affective, ce qui, de la même façon, ne pouvait se trouver dans le Christ puisqu’il est la puissance de Dieu 107.

C’est pourquoi il ne pouvait dire avec assentiment JE NE LE CONNAIS PAS. Cependant la supposition n’est pas fausse, bien que son antécédent soit impossible, et de même son conséquent.
103. Ps 105, 21.
104. Cf. Qo 9, 1 (Vulgate).
105. Cf. Jean 8, 55 et n° 1285.


1065. L’Évangéliste expose la raison de la science uni- que et parfaite du Christ par ces paroles: MAIS JE LE CONNAIS PARCE QUE JE SUIS DE LUI, ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYÉ.

En effet, toute connaissance se fait par une similitude, puisque rien n’est connu que dans la mesure où une similitude du connu est dans le connaissant; mais tout ce qui pro cède d’un autre possède une similitude de ce dont il procède; c’est pourquoi tous ceux qui connaissent vraiment possèdent la connaissance de Dieu de diverses manières, selon le degré divers de leur procession à partir de Dieu. L’âme spirituelle possède la connaissance de Dieu selon qu’elle participe à la similitude de Dieu, d’une manière certes plus imparfaite que les autres créatures spirituelles. L’ange, parce qu’il possède une similitude plus fidèle de Dieu, étant le sceau de sa ressemblance 108, connaît Dieu d’une manière plus manifeste. Mais le Fils possède la similitude la plus parfaite du Père, puisqu’il est de la même essence et la même puissance que lui; et c’est pourquoi il le connaît très parfaitement, comme on l’a dit. Voilà pourquoi il dit: MAIS JE LE CONNAIS, c’est-à-dire autant qu’il peut être connu. Et la raison en est que JE SUIS DE LUI, ayant la même essence que lui par connaturalité. C’est pourquoi, de même que le Père se connaît parfaitement par son essence, de même aussi par la même essence JE LE CONNAIS, parfaitement. Mais pour que l’on ne rapporte pas cette parole à la mission par laquelle il est venu dans le monde, il ajoute aussitôt ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYE, pour qu’ainsi cette parole: JE SUIS DE LUI soit rapportée à la génération éternelle, par laquelle il est consubstantiel au Père. Ainsi, la propriété de la connaissance lui vient de la propriété de la génération 109.


C’EST LUI QUI M’A ENVOYÉ

Par cette parole, il donne à entendre que le Père est l’auteur de l’Incarnation — Dieu a envoyé son Fils né d'une femme, né sous la Loi 110. Or, de même que le Fils, étant du Père, possède une parfaite connaissance du Père, de même, l’âme du Christ, étant unie au Verbe d’une manière unique, possède une connaissance de Dieu unique et plus excellente que toutes les autres créatures, bien qu’elle ne le comprenne pas. Et c’est pourquoi le Christ peut dire en parlant de son âme: Je le connais plus excellemment que toutes les autres créatures, sans cependant le comprendre 111.
106. 1 Corinthiens 1, 24.
107. Ibid.
108. Saint Thomas cite ici Ez 28, 12: Voici ce que le Seigneur dit: Toi, le sceau de sa ressemblance, plein de sagesse et parfait en beauté, tu fus dans les délices du paradis de Dieu; la Tradition applique cette parole à Lucifer, l’ange déchu.
109. Cf. HILAIRE, De Trinitate, VI, 28, CCL LXII, p. 230 (PL 10, col. 180 A).
110. Ga 4, 4.
111. Cf. n° 1062 et note 98.




L’EFFET DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST



1066. L’Évangéliste traite ensuite de l’effet de l’enseignement, d’abord sur les foules, puis sur les Pharisiens [n° 1071].

En ce qui concerne les foules, l’Évangéliste expose d’abord l’effet de l’enseignement du Christ sur les foules malveillantes, puis sur celles qui lui étaient acquises [n° 1070].


ILS GHERCHAIENT DONC À SE SAISIR DE L UI; ET PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI, PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT PAS ENCORE VENUE.

L’Évangéliste fait d’abord comprendre le dessein inique [n° des foules [n° 10671, puis l’obstacle surgi dans la réalisation de ce dessein [n° 1068], enfin la raison de cet obstacle [n° 1069].



ILS CHERCHAIENT DONC À SE SAISIR DE LUI

1067. L’iniquité de leur dessein est mise ici en pleine lumière. En effet, parce que le Seigneur avait dit: LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, les Juifs étaient irrités, eux qui faisaient semblant de le connaître; et c’est pourquoi ils pro jetaient quelque chose d’inique, à savoir se saisir de lui pour le crucifier et le tuer, selon cette parole: Poursuivez-le et saisissez-le 112.

Mais il en est qui, ayant le Christ en eux, cherchent cependant à s’emparer de lui avec piété 113 — Je monterai au palmier et je m’emparerai de son fruit 114. C’est pourquoi aussi l’Apôtre disait: Je poursuis ma course pour tâcher de le saisir, ayant moi-même été saisi par le Christ Jésus 115.




ET PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI

1068. L’Évangéliste expose ici l’obstacle surgi dans la réalisation de leur dessein. En effet, leur fureur fut réfrénée et contenue d’une manière invisible. Par là, il est évident que la volonté de nuire appartient à chacun de lui-même, mais que la puissance d’accomplir le mal vient de Dieu 116; c’est ce que montrent les chapitres 1 et 2 du livre de Job, où Satan ne put frapper Job que dans la mesure où Dieu le lui permit 117.
112. Ps 70, 11.
113. Sunt autem aliqui qui Christum in se habentes, quaerunt tamen pie apprehendere. Il s’agit ici de l’action du don de piété; voir Somme théoL, II-II, q. 121. Saint Thomas dit dans le corps de l’article 1: "Entre autres choses, le Saint-Esprit nous meut à avoir une certaine affection filiale envers Dieu: Vous avez reçu l'Esprit d’adoption des fils en qui nous crions: Abba ! Père ! (Rm 8,15). Et parce qu’à la piété convient proprement de rendre à notre père l’honneur et le culte*, la piété selon laquelle nous rendons l’honneur et le culte à Dieu comme Père par l’instinct de l’Esprit Saint est un don de l’Esprit Saint. " Saint Thomas ajoute, dans la réponse à la 3 objection: "Le don de piété rend non seulement honneur et culte à Dieu, mais à tous les hommes en tant qu’ils ont un lien avec Dieu. C’est pourquoi il appartient au don de piété d’hono rer les saints. " Le don de piété s’attache donc d’une manière émi nente à l’humanité sainte du Christ, doux et humble de coeur (Mt 11,29).
114. Cant 7, 8.
115. Phi 3, 12.





PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT PAS ENCORE VENUE.

1069. L’Évangéliste signale ici la raison de l’obstacle. Il faut savoir qu’il y a un temps et un moment favorable pour toute affaire 118. Or le temps de n’importe quelle chose est déterminé par sa cause. Donc, parce que les causes des effets matériels sont les corps célestes, dans les choses qui se déroulent d’une manière matérielle l’heure est déterminée à partir des corps célestes. Mais l’âme, puisqu’elle est de l’ordre de l’intelligence et de la raison, n’est soumise à aucun des corps célestes; et puisque, selon ce principe, elle transcende les causes temporelles, elle n’a pas d’heures déterminées par les corps célestes, mais par sa cause, c’est-à-dire Dieu, qui règle ce qu’il faut faire, à quel moment. — Pourquoi un jour en surpasse-t-il un autre, une lumière une autre lumière, une année une autre année, un soleil un autre soleil? Les choses ont été distinguées par la science du Seigneur, le soleil ayant été créé et gardant le commandement du Seigneur 119. Pour le Christ donc, l’heure est d’autant moins déterminée par ces corps célestes.

Ainsi donc, il ne faut pas comprendre SON HEURE comme étant fixée par une nécessité du destin, mais déterminée d’avance par toute la Trinité; car, comme le dit Augustin 120, il ne faut pas même le croire de toi, à plus forte raison de celui par qui tu as été fait. Si ton heure c’est sa volonté — à savoir celle de Dieu —, quelle est son heure à lui sinon sa volonté? L’heure dont il a parlé n’est donc pas celle à laquelle il serait contraint de mourir, mais celle où il daignerait être mis à mort. "Mon heure n'est pas encore venue 121. — Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père... 122
116. Citations de SAINT AUGUSTIN, La Genèse au sens littéral, XI, XII, 16;
XXVII, 34; BA 49, pp. 255 et 289.
117. Voir le très long et beau commentaire de saintThomas sur ces chapi tres: Exp ositio super Job, pp. 10 ss.
118. Qo 8, 6.
119. Sir 33, 7.
120. Tract. in Ioann., XXXI, 5, p. 645.





MAIS PARMI LA FOULE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI; ET ILS DISAIENT: "LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI?"

1070. L’Évangéliste expose ici l’effet de l’enseignement du Christ sur les foules qui lui étaient acquises.

Il montre d’abord leur foi: PARMI LA FOULE, BEAUCOUP CRURENT EN LUL Il ne le dit pas des princes des prêtres, parce que plus ils étaient pénétrés de leur importance, plus ils étaient éloignés [de lui]; et ainsi la sagesse n’avait pas sa place en eux, parce que, comme il est dit, là où est l’humilité, là est la sagesse 123. Mais la foule, qui s’aperçut rapidement de sa propre maladie, connut sans retard le remède 124 du Seigneur — Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux tout-petits 125. Et à cause de cela, les humbles et les pauvres furent les premiers à se convertir au Christ — Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans naissance et méprisé, et ce qui n'est rien, pour détruire ce qui est quelque chose 126.

Ensuite, il montre le motif qui les a poussés à croire: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI? Les prophètes en effet avaient annoncé que le Christ, à son avènement, ferait de nombreux miracles: Dieu lui-même viendra et vous sauvera; alors les yeux des aveugles s'ouvriront et les oreilles des sourds entendront 127. C’est pourquoi, voyant les miracles que le Christ accomplissait, ils étaient amenés à croire en lui. Mais leur foi n’était pas encore ferme 128, parce qu’ils étaient poussés à croire en lui non pas par l’enseignement, mais par les signes, alors que, étant déjà croyants et instruits par la Loi, ils auraient dû être poussés beaucoup plus par l’enseignement; car, comme il est dit, les signes sont donnés aux non-croyants; quant aux prophéties, elles sont données non aux non-croyants, mais à ceux qui croient 129. En deuxième lieu, leur foi était faible parce qu’ils semblent attendre encore un autre Christ; c’est pourquoi ils disent: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI? Ainsi, il est évident qu’ils ne croyaient pas au Christ comme en Dieu, mais comme en un homme juste, ou un prophète. Ou bien, selon Augustin 130, ils raisonnent ainsi: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI? , comme pour dire: on nous a promis que le Christ doit venir; mais il ne fera pas plus de signes que n’en fait celui-ci; donc, ou bien celui-ci est le Christ, ou bien il y aura plusieurs Christs.
121. Jean 2, 4.
122. Jean 13, 1.
123. Prov 11, 2.
124. Medicina est un mot qui signifie en premier lieu l’art de la médecine et de la chirurgie, puis le remède, et aussi l’art de tailler la vigne... On ne peut s’empêcher de penser ici àJn 15, 1-6, bien que le mot n’y soit pas employé.
125. Mt 11, 25.
126. 1 Corinthiens 1, 28. L’identification de la foule des croyants aux humbles et à ceux qui ressentent la nécessité du recours au médecin divin provient de saint Augustin (op. ci XXXI, 7. p. 651).





LES PHARISIENS ENTENDIRENT LA FOULE MURMU RER CELA À SON SUJET; ET LES PRINCES DES PRÊ TRES ET LES PHARISIENS ENVOYÈRENT DES SERVITEURS, POUR QU’ILS SE SAISISSENT DE JÉSUS.

1071. L’Évangéliste expose ici quel fut l’effet de l’enseignement du Christ sur les Pharisiens. Et comme le dit Chrysostome 131: Le Christ a dit beaucoup de choses sans toutefois que cela suscite en eux une opposition à son égard. Mais voyant la foule avoir foi en lui, ils s’excitent aussitôt contre lui et, perdant la tête, ils cherchent à le tuer. Par là, on voit avec évidence que la violation du sabbat n’était pas la véritable cause de leur haine, mais que ce qui les piquait au vif par-dessus tout, c’était que les foules rendaient gloire au Christ. C’est ce que l’on voit plus loin: Vous voyez que vous n gagnez rien: voici que tout le monde s’en va après lui ! 132 Mais parce qu’eux-mêmes, craignant le danger, n’osaient pas se saisir du Christ, ils envoient des serviteurs qui, eux, peuvent bien être exposés au danger.
127. Isaïe 35. 4.
128. Saint Thomas reprend ici d’une manière plus nette deux explications de saint Jean Chrysostome (In loannem hom., 50, ch. 2, col. 280).
129. Voir 1 Corinthiens 14, 22; cf. vol. II, n° 685, note 26.
130. Dans son commentaire, saint Augustin développe ainsi ce verset: "Evidemment, s’il ne doit pas y avoir deux Christs, c’est lui qui est le Christ" (toc. cit.).
131. in loannem hom., 50, ch. 2, col. 280.


1072. Après avoir exposé le principe de son origine [n° 1051], le Seigneur laisse entendre ici quelle est sa fin, c’est-à-dire là où il doit aller par la mort.

L’Evangéliste fait d’abord allusion au terme du chemin du Christ, puis il expose l’étonnement des foules à propos de ses paroles [n° 1079].

Jean 7, 33-36: LE TERME DU CHEMIN



33 Jésus leur dit donc: "Je suis encore avec vous pour un peu de temps. Et je m’en vais vers celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas. Et là où moi je suis, vous, vous ne pouvez venir. " Les Juifs se dirent donc les uns aux autres: "Où doit-il aller, celui-là, que nous ne puissions pas le trouver? Va-t-il se rendre chez ceux qui sont dispersés parmi les nations et enseigner les nations? 36 Qu’est cette parole qu’il a dite: 'Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas. Et là où moi je suis, vous, vous ne pouvez venir?"


JÉSUS LEUR DIT DONC: "JE SUIS ENCORE AVEC VOUS

POUR UN PEU DE TEMPS ET JE M’EN VAIS VERS CELUI QUI M’A ENVOYÉ. VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS. ET LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR. "

Ici, le Christ fait allusion au terme de son chemin, avant d’annoncer le désir qu’éprouveront les foules [n° 1076] et d’ajouter quelle sera leur ruine [n° 1078].

A propos du premier point, il annonce le retard qui va être apporté à sa mort [n° 1073] et fait comprendre le lieu où il doit aller par la mort [n° 1075]; et ainsi, il montre en premier lieu sa puissance, puis sa volonté de souffrir.

JÉSUS LEUR DIT DONC: JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.

1073. C’est bien sa puissance qu’il montre dans le retard qu’il apporte à sa mort, parce que les Juifs cherchant à se saisir de lui ne peuvent cependant le faire que si le Christ le veut — Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose 133. Et c’est pourquoi JESUS LEUR DIT: JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS, comme pour dire: vous voulez me tuer; or cela ne relève pas de votre volonté, mais de la mienne; et moi je détermine que JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS; attendez donc un peu de temps. Ce que vous voulez faire tout de suite, vous le ferez plus tard’ car JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.

En cela, le Seigneur donne d’abord satisfaction à la foule qui le vénérait, la rendant plus avide d’écouter en ménageant un petit moment supplémentaire pendant lequel les gens pourraient jouir de cet enseignement (c’est ce que dit Chrysostome 135) Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière 136.

Mais il donne en même temps satisfaction à la foule qui le persécutait, comme s’il disait: votre désir de ma mort n’est pas insatisfait pour longtemps; aussi, supportez avec patience, parce que JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS. Je dois en effet accomplir ma mission d’annoncer la bonne nouvelle, en prêchant et en accomplissant des miracles, et ainsi parvenir à ma Passion — Allez dire à ce renard que je travaille aujourd’hui et demain, et le troisième jour je suis consommé ! Mais aujourd’hui, demain, et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu'un prophète périsse hors de Jérusalem. 137.

1074. Si le Seigneur voulut prêcher pendant un peu de temps encore, c’est pour trois raisons.

Il le fit d’abord pour bien faire voir sa puissance, c’est-à-dire pour montrer qu’il pourrait changer le monde entier en un tout petit espace de temps — Un seul jour dans tes parvis est meilleur que mille autres 138.

Ensuite, pour exciter le désir de ses disciples, c’est-à-dire pour qu’ils désirent davantage celui dont ils ne devaient plus posséder que pour un peu de temps la présence corporelle — Viendront des jours où vous désirerez voir un seul jour du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas 139.

Enfin, pour augmenter le progrès spirituel de ses disciples. En effet, puisque l’humanité du Christ est pour nous le chemin qui nous fait tendre vers Dieu — comme il est dit plus loin: Moi je suis le chemin, la vérité et la vie 140 —, nous ne devons pas nous reposer en elle comme dans un terme, mais nous devons par elle tendre vers Dieu. Donc, pour que le coeur des disciples, en lui étant attaché d’une manière sensible, ne se repose pas en lui comme dans un homme, le Christ leur a retiré rapidement sa présence corporelle: voilà pourquoi il disait: Il est bon pour vous que moi je m en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous 141. Et si nous avons connu le Christ selon la chair, c’est-à-dire quand il était avec nous, présent physiquement, maintenant, ce n’est plus ainsi que nous le connaissons. 142
133. Jean 10, 18
134. Cette phrase est une citation littérale de SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XXXI, 8, p. 653.
135. In loannem hom., 50, eh. 2, col. 281. L’explication suivante provient aussi de la suite de ce passage.
136. Jean 12, 36.
137. Luc 13, 32-33.
138. Ps 83, 2.
139. Luc 17, 22.
l40. Jean 14, 6.
141. Jean 16, 7.
142. 2 Co 5, 16; s’inspirant de saint Augustin, saint Thomas dit en com mentant ce verset "que les disciples, aimant le Christ d’une manière sensible, étaient ( attachés] à lui comme un homme de chair à son ami de chair, et qu’ainsi ils ne pouvaient être élevés à une dilection spirituelle, qui fait beaucoup pâtir, même si celui qu’on aime est absent. Et donc, pour que l’affection spirituelle qui vient de l’Espnt Saint soit enracinée en eux, le Seigneur leur a dit: Paix à vous (Jn 20,2 Jn 1-26). L’Apôtre donc, rappelant cela, a dit au nom de tous les disci pies: et si nous l’avons connu, c’est-à-dire si autrefois nous avons adhéré au Christ quand il était avec nous par sa présence corporelle, selon la chair, c’est-à-dire selon un amour sensible, maintenant ce n'est plus ainsi que nous le connaissons, c’est-à-dire: désormais cette affec tion sensible a cessé en nous, par [de] l’Espnt Saint qui nous a été donné" (Ad 2 Cor. lect., V, leç. 4, n° 191).





ET JE M’EN VAIS VERS CELUI QUI M’A ENVOYÉ

1075. Le Christ montre ici sa volonté de souffrir sa Passion. Je vais vers le Père 143 spontanément, c’est-à-dire par la Passion — lia été offert parce que lui-même l’a voulu 144 — Il s’est offert lui-même à Dieu en hostie d’agréable odeur 145. JE M’EN VAIS, dis-je, VERS CELUI, le Père, QUI M’A ENVOYE. Et cela convient, car toute chose revient naturellement à son principe — Les fleuves retournent au lieu d’où ils sont sortis 146.— Sachant qu’il est sorti de Dieu et qu'ii s'en va vers Dieu... 147 — Je m’en vais vers celui qui m’a envoyé 148.



VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS.

1076. En disant cela, le Christ annonce le désir que les Juifs éprouveront. C’est comme s’il disait: c’est pour peu de temps que vous pouvez profiter de mon enseignement; mais ce peu de temps que vous rejetez maintenant avec dédain, un jour ou l’autre VOUS le CHERCHEREZ, ET VOUS NE TROUVEREZ PAS — Cherchez le Seigneur pendant qu’il peut être trouvé 149; et Cherchez le Seigneur, c’est-à-dire au moment présent, et votre âme vivra 150.

1077. On peut entendre cette parole: VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, de la recherche sensible du Christ, ou bien de la recherche spirituelle.

Si on l’entend de la recherche sensible: d’après Chrysostome 151, c’est ainsi qu’ils l’ont cherché quand les filles de Jérusalem, les femmes, se lamentaient sur lui — selon ce que dit saint Luc 152 — ; et on peut penser que beaucoup d’autres alors partagèrent cette douleur. Il n’est pas non plus invraisemblable que les Juifs, se rappelant le Christ et ses miracles, lorsqu’ils se trouvaient dans un péril imminent et spéciale ment quand leur ville risquait d’être prise, aient désiré sa présence, qui les aurait libérés. Selon cette interprétation, il faut dire: VOUS ME CHERCHEREZ, c’est-à-dire vous chercherez ma présence physique, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS.

Mais si on l’entend de la recherche spirituelle, il faut dire, selon Augustin 153 que celui qu’ils ne voulurent pas apprendre à connaître lorsqu’il était présent, ils le cherchèrent par la suite en voyant la multitude des croyants; ayant le coeur transpercé au sujet du crime de la mort du Christ, ils dirent à Pierre: Frères, que devons-nous faire? 154 Ainsi donc, ils cherchèrent le Christ quand ils crurent en celui qui par donne leurs crimes, lui qu’ils virent mourant de leur propre crime.
143. Jean 20, 17.
144. Isaïe 53, 7 (Vulgate).
145. Eph 5, 2.
146. Qo 1, 7.
147. Jean 13, 3.
148. Jean 16, 5.
149. Isaïe 55, 6.
150. Ps 68, 33.
151. In Ioannem hom. 50, ch. 2, col. 281.





ET LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.

1078. Le Christ poursuit en montrant quelle sera leur ruine. Il ne dit pas: "Où je m’en vais ", ce qui aurait été une conséquence plus logique de ce qui précède, à savoir JE M’EN VAIS VERS le Père, QUI M’A ENVOYE; mais il dit LA OU MOI JE SUIS, pour montrer qu’il est à la fois Dieu et homme.

Il est homme en tant qu’il s’en va — Je m’en vais vers celui qui m’a envoyé 155. Mais en tant que le Christ était toujours là où il devait retourner, il montre qu’il est Dieu — Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel 156. Ainsi donc, selon Augustin 157, de même que le Christ est retourné sans pour autant nous abandonner, de même il est descendu vers nous en assumant une chair visible tout en étant aussi dans le ciel selon son invisible majesté.

Il ne dit pas: "Vous ne viendrez pas", parce que certains devaient y aller, mais il dit VOUS NEPOUVEZ VENIR, c’est-à-dire aussi longtemps que vous êtes ainsi mal disposés 158. En effet, personne ne peut parvenir à l’héritage céleste s’il n’est héritier de Dieu. Mais c’est par la foi dans le Christ qu’on est fait héritier de Dieu — II leur a donné le pouvoir d’être faits fils de Dieu, à ceux qui croient en son nom 159; or les Juifs ne croyaient pas encore en lui; c’est pourquoi il dit: VOUS NE POUVEZ VENIR. Le psalmiste demande aussi: Qui gravira la montagne du Seigneur? Et il répond: L’homme aux mains innocentes, au coeur pur 160. Les Juifs n’avaient pas le coeur pur, ni les mains innocentes, parce qu’ils voulaient tuer le Christ. Voilà pourquoi il dit: Vous ne pouvez gravir la montagne du Seigneur.
152. Cf. Luc 23, 27.
153. Tract, in Ioann., XXXI, 9, p. 653.
154. Ac 2, 37.
l55. Jean 16, 5.
l56. Jean 3, 13.
157. Ibid., pp. 656-657.




L’ÉTONNEMENT DES JUIFS.




LES JUIFS SE DIRENT DONC LES UNS AUX AUTRES: "OÙ DOIT-IL ALLER, CELUI-LÀ, QUE NOUS NE PUIS SIONS PAS LE TROUVER?

VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSÉS PARMI LES NATIONS ET ENSEIGNER LES NATIONS? QU’EST CETTE PAROLE QU'L A DITE: VOUS ME CHERCHEREZ ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, ET LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR’?"

1079. L’Évangéliste expose ici l’étonnement des Juifs, qui tout en ayant du Christ une connaissance sensible, avaient une certaine foi en lui.

Les Juifs commencent par s’étonner [n° 1080]; puis ils émettent des conjectures [n° 10811, avant d’argumenter contre elles [n° 1082].

1080. Ils s’étonnent en se disant les uns aux autres: OÙ DOIT-IL ALLER, CELUI-LA, QUE NOUS NE PUISSIONS PAS LE TROUVER? Comme on l’a dit en effet, ils comprenaient cette parole d’une manière matérielle — L'homme naturel n'accueille pas ce qui est de l'Esprit de Dieu. C'est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c’est spirituellement qu'on en juge".
158. Saint Thomas emprunte cette remarque à saint Augustin (ibid., p.
159. Jean 1, 12.
160. Ps 23, 3-4.


1081. Et parce qu’ils pensaient qu’il devait s’en aller d’une manière physique, et non par la mort, dans un autre lieu où il ne leur serait pas permis de se rendre, ils émettent des conjectures en disant: VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS ET ENSEIGNER LES NATIONS? 162 En effet les nations étaient tenues à l’écart de la vie propre des Juifs — Etrangers à l’alliance, vous étiez tenus à l’écart de la vie propre d'Israël n'ayant pas l’espérance de la promesse, et sans Dieu dans ce monde 163. Et c’est pourquoi, comme s’ils leur imputaient un crime, ils disent: CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS, parce que celles-ci étaient disséminées partout, et unies entre elles d’une manière imparfaite — Telles sont les familles de Noé selon leurs peuples et leurs nations; c'est à partir d’elles que les nations furent séparées sur la terre après le déluge 164. Mais le peuple des Juifs était rassemblé par le lieu 165, dans le culte du Dieu unique, et l’observation de la Loi — Le Seigneur édifiant Jérusalem rassemblera les dispersés d'Israël 166.

Ils ne disent pas qu’il doit aller vers les nations de manière à devenir un païen, mais en tant qu’il doit les ramener à lui; c’est pourquoi ils ajoutent: ET ENSEIGNER LES NATIONS. Ce qu’ils pensèrent peut-être à cause de ces paroles: C’est peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, et faire se convertir le résidu d’Israël t’ai donné comme lu des nations, pour que tu sois mon salut jusqu'aux extrémités de la terre 167 — bien qu’ils n’aient pas compris ce qu’ils disent, comme Caïphe n’eut pas l’intelligence de ses propres paroles lorsqu’il dit: Il vaut mieux pour vous qu’un seul homme meure et que toute la nation ne périsse pas 168. Ils disent cependant quelque chose de vrai, et ils ont prédit le salut des nations, comme le dit Augustin 169, c’est-à-dire ils ont prédit qu’il devait aller vers les nations, non par sa présence physique, mais "par ses pieds", c’est-à-dire par les Apôtres. Il a en effet envoyé ses membres vers nous, et il a fait de nous ses membres — J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, et il me faut les ramener (...) et il y aura un seul troupeau, et un seul pasteur 170. C’est pourquoi il est dit, au nom des nations: II nous enseignera ses voies 171.
161. 1 Corinthiens 2, 14.
162. "Nations" traduit le latin gentes (la Néo-Vulgate porte graecos). Sur le mot gentes et sa traduction, voir vol. II, p. 127, note 1.
163. Eph 2, 12.
164. Gn 10, 32.
165. G’est ainsi que saint Jean Chrysostome montre comment cette réflexion est méprisante de la part des Juifs fiers de leur terre (In Ioannem hom. 50, ch. 3, col. 28 1-282).
166. Ps 146, 2.


1082. Ils apportent ensuite une objection à ce qu’ils avaient conjecturé, en disant: QU’EST CETTE PAROLE QU’IL A DITE: VOUS ME CHERCHEREZ... Autrement dit, s’il avait simplement dit: VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, on pourrait bien comprendre qu’il doit s’en aller vers les nations; mais qu’il ait ajouté LA OU MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, semble exclure une telle compréhension, car il ne nous est pas impossible d’aller vers les nations 172.
167. Isaïe 49, 6.
168. Jean 11, 50.
169. Op. cit., 10, pp. 657-659; 11, p. 661.
170. Jean 10, 16.
171. Isaïe 2, 3.
172. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 282.




Jean 7, 37-53: LE CHRIST INVITE À RECEVOIR SON ENSEIGNEMENT





37a Le tout dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus se tenait debout et criait, disant: 37b "Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi. Comme dit l’Ecriture, de son sein couleront des fleuves d’eau vive. " Or il disait cela de l’Esprit, que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, l’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. 40 à partir de cette heure-là, les foules, comme elles avaient entendu ces paroles [Jésus], disaient: "Celui-ci est vraiment le Prophète. " D’autres disaient: "Celui-ci est le Christ. " Mais certains disaient: "Est-ce de Galilée que vient le Christ? L’Ecriture ne dit-elle pas que c’est de la race de David, et de la citadelle de Bethléem où était David, que vient le Christ?" C’est pourquoi il se fit une dissension dans la foule à cause de lui. Et certains d’entre eux voulaient se saisir de lui; mais personne ne porta la main sur lui. Les serviteurs vinrent donc vers les grands prêtres et les Pharisiens, et ceux-ci leur dirent: " Pourquoi ne l’avez-vous pas amené?" Les serviteurs répondirent: "Jamais un homme n’a parlé ainsi, comme parle cet homme. " Les Pharisiens leur répondirent donc: "Avez-vous été séduits vous aussi? 48 Y a-t-il quelqu’un parmi les princes des prêtres qui ait cru en lui, ou parmi les Pharisiens? 50 Mais cette foule qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits. " 51 Nicodème leur dit, celui qui était venu à lui de nuit — il était l’un d’entre eux — : " Notre Loi juge un homme si on ne l’a pas d’abord entendu, et connu ce qu’il fait?" Ils répondirent et lui dirent: "Toi aussi, es-tu Galiléen? Scrute les Ecritures, et vois que de la Galilée il ne surgit pas de prophète." 53 Et ils retournèrent chacun chez soi.

1083. Après avoir traité de l’origine de son enseigne ment [n° 10361 — puis de l’origine de celui qui enseigne [n° 1051] (ainsi que de son terme [n° 1072]) —, le Seigneur poursuit ici en conviant à recevoir son enseignement.

L’Evangéliste nous expose l’invitation du Christ, avant de nous montrer la dissension des foules [n° 1097].



L’INVITATION DU CHRIST



LE TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND JOUR DELA FÊTE, JÉSUS SE TENAIT DEBOUT ET CRIAIT, DISANT: QUELQU’UN A SOIF, QU'IL VIENNE À MOI, ET QU'IL BOIVE, CELUI QUI CROIT EN MOI. COMME DIT L'ECRI TURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. "OR IL DISAIT CELA DE L'ESPRIT, QUE DEVAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI. EN EFFET, L'ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ PARCE QUE JÉSUS N’A VAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.

L’Évangéliste donne d’abord le mode de l’invitation du Christ, quant au moment [n° 1084], quant à la position du Christ qui nous convie [n° 1085], et quant à l’effort qu’il fait en nous appelant [n° 1086]. Puis l'Evangéliste nous expose l’invitation elle-même [n° 1087], avant d’y ajouter un commentaire [n° 1091].




LE TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND JOUR DE LA FÊTE

1084. L’Évangéliste nous donne ici le moment de cette Invitation du Christ; comme on l’a dit en effet, cette fête était célébrée pendant sept jours; le premier et le dernier jour étaient les plus solennels, de même que pour nous le premier jour de la fête et celui de l’octave sont plus solennels.

Donc, ce qui nous est raconté ici, le Seigneur ne le fit pas le premier jour, parce qu’il n’était pas encore monté à Jérusalem, ni pendant les jours intermédiaires, mais bien le tout dernier jour; et cela, parce qu’il y a peu de gens qui célèbrent les fêtes d’une manière spirituelle. C’est pourquoi le Christ ne les convie pas à son enseignement dès le commencement, de peur que celui-ci ne soit effacé de leur coeur par les vanités des jours de fête qui suivent, parce que, comme il est dit dans saint Luc, la parole du Seigneur est étouffée par les épines 1 mais il les convie le dernier jour, pour que son enseignement soit gravé d’une manière plus tenace dans leurs coeurs 2.



JÉSUS SE TENAIT DEBOUT

1085. Il faut savoir à ce propos que le Christ a enseigné tantôt assis, tantôt debout. Assis, il a enseigné les disciples comme on le voit au chapitre 5 de saint Matthieu 3: mais debout, il a enseigné les foules, comme ici. C’est pourquoi l’habitude s’est développée dans l’Eglise de prêcher aux fou les en se tenant debout, et aux clercs et aux religieux en siégeant. La raison en est que la prédication aux foules, qui a pour fin de les convertir, se fait par mode d’exhortation; mais comme la prédication aux clercs s’adresse à eux comme à ceux qui habitent déjà dans la maison de Dieu, elle est comme un mémorial 4.




ET CRIAIT

1086. L’Évangéliste nous fait connaître ici l’effort du Christ: IL CRIAIT pour manifester son assurance — Elève avec force ta voix, toi qui apportes la bonne nouvelle à Jérusalem! Élève-là, ne crains pas pour être entendu de tous — Crie, ne t'arrête pas, élève ta voix comme une trompette et pour montrer la grandeur de ses paroles — Ecoutez-moi, parce que je vais parier de grandes choses*.
1. Cf. Luc 8, 7.
2. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannem hom., 51, ch. 1, coI. 283.
3. Mt 5, 1: Voyant les foules, il monta dans la montagne, et quand il se fut assis, ses disciples s'avancèrent vers lui...
4. Saint Thornas emploie ici le mot commemoratio, pour montrer que la prédication réalise une certaine présence de Jésus Sauveur, comme la célébration de l’Eucharistie est une commemoratio de la Cène (voir Somme théologique, III, q. 22, a. 3, ad 2; q. 73, a. 4).



"SI QUELQU’UN A SOIF, QU’IL VIENNE À MOI, ET QU’IL BOIVE, CEL UI QUI CROIT EN MOI. COMME DIT L'ECRITURE, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. "

1087. L’Évangéliste expose ici l’invitation du Christ. Il commence par montrer quels sont ceux qui sont invités et à quoi ils sont conviés [n° 1088], puis quel est le fruit de cette invitation [n° 1089].

1088. Ceux qui sont invités, ce sont ceux qui ont soif: SI QUELQU’UN A SOIF, QU7L VIENNE A MOI -Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux 8.Il les appelle "ceux qui ont soif", parce que c’est l’état de ceux qui désirent servir Dieu. Mais Dieu n’accepte pas qu’on le serve par contrainte — Dieu aime celui qui donne joyeusement 9. Et c’est pour cela que le Psalmiste disait: Je t'offrirai volontairement un sacrifice. 10 De ceux-là, il est dit: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 11. Ceux-là, le Seigneur ne les appelle pas en faisant des distinctions, mais il les appelle tous; c’est pourquoi il dit: SI QUELQU’UN A SOIF, comme pour dire: quel qu’il soit. — Venez à moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits 12.- Il veut que tous les hommes soient sauvés 13.

Il les invite à se désaltérer: ET QU’IL BOIVE. Cette bois son est une réfection spirituelle, dans la connaissance de la sagesse et de la vérité divines, et aussi dans la satisfaction complète des désirs — Mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif 14. — Venez et dévorez mon pain, et buvez le vin que j’ai mêlé pour vous 15 — Elle l’abreuve de l’eau de la sagesse qui sauve 16.
5. Isaïe 40, 9.
6. Isaïe 58, 1.
7. Prov 8, 6; cf. n° 1058. Saint Thomas reprend, en la précisant, l’explication de Chrysostome: " D’une part, pour montrer sa confiance et sa liberté de parole; d’autre part, pour signifier à une si grande multitude qu’il va parler de la nourriture spirituelle" (loc. cit.).
8. Isaïe 55, 1.
9. 2 Go 9, 7.
10. Ps 53, 8.
11. Mt 5, 6.


1089. Le fruit de cette invitation, c’est le rejaillissement de ces biens dans les autres: CELUI QUI CROIT EN MOI, COMME DIT L’ECRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE.

Selon Chrysostome 17, cette parole doit être lue ainsi: CELUI QUI CROITENMOI, COMME DIT L’ECRITURE, en coupant la phrase ici; et il enchaîne ensuite: DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, car si on dit: CELUI QUI CROIT EN MOI et qu’on enchaîne ensuite: COMME DIT L’ECRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, cela ne semble pas convenir parce qu’on ne trouve nulle part dans un livre de l’Ancien Testament cette parole: DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. Donc, il faut dire de cette manière: CELUI QUI CROIT EN MOI, COMME DIT L’ÉCRITURE, c’est-à-dire selon les enseignements de l’Ecriture — Scrutez les Ecritures (...) ce sont elles-mêmes qui me rendent témoignage 18-, alors DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE. Et il dit CELUI QUI CROIT EN MOI comme il avait dit plus haut: celui qui vient à moi 19, parce que c’est la même chose de croire et de venir — Venez à lui, et vous êtes illuminés 20.

Mais selon Jérôme 21, le texte est ponctué ainsi: SI QUELQU’UN A SOIF, QU’IL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE CELUI QUI CROIT EN MOI. COMME DIT L’ECRITURE, DE SON SÈIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, ce qui, comme lui-même le dit, est tiré du livre des Proverbes: Bois l’eau de ta citerne, et l’eau jaillissante de ton puits: que tes sources se répandent au dehors 22.
12. Sir 24, 26.
13. 1 Tm 2, 4.
14. Isaïe 65, 13.
15. Prov 9, 5.
16. Sir 15, 3.
17. In loannem hom., 51, ch. 1, col. 283.
18. Jean 5, 39.
19. Jean 6, 35. 37.
20. Ps 33, 6. Saint Thomas commente "Venez à lui, par la foi et la charité — Approchez-vous de Dieu et lui s’approchera de vous (Ja 4, 8). Et voici pourquoi il ajoute et vous êtes illuminés: Dieu est lumière, et celui qui s’approche de la lumière est illuminé — Lève-toi, par l’amour, et sois, lluminé (Isaïe 60, 1). — Celui qui s’approche de ses pieds, qu’il reçoive son enseignement (Dt 33,3)" (Expos. in Ps 33, n° 6). L’identification de venir et de croire, empruntée à saint Augustin (cf. n 915 et note 6 et déjà rencontrée plusieurs fois (nos 292, 915, 921, 935), sera reprise plus loin (n° 1114). Selon le commentaire de la réponse de jésus aux deux premiers disciples (" Venez et voyez ", Jn 1,39), venzr désigne la foi "accompagnée des oeuvres ", donc parfaite et capable de s’achever dans la vision (n°’ 292-294, vol. I, pp. 293-294). Saint Thomas reprend ainsi un thème sur lequel saint Augustin a beaucoup insisté dans sa réflexion sur le mystère de la foi, disant par exemple, dans son explication de l’attraction qu’opère Dieu sur l’âme (Jn 6,44): "Ce n’est pas avec nos pieds que nous courons au Christ, mais en croyant, ce n’est pas par un mouvement de notre corps que nous nous approchons de lui, mais par la volonté de notre coeur" (Tract. in Ioann., XXVI, 3, p. 489; voir les notes 27 et 28 du traducteur). Cf. encore, chez saint Thomas, De perfectione vitae spiritualis, ch. 3, 29; Opera omnia, t. XLI, p. B 70, Il. 29-30. Sur le lien entre la foi et les oeuvres, voir ci-dessous, n° 1221 ss.
21. Praefatio in Pentateuchum, PL 28, col. 149. En fait, saintjérôme cite Prov 18, 4: Eau profonde, les paroles de la bouche d’un homme! Torrent bou la source de la sagesse!
22. Prov 5, 15.
23. Tract, in Ioann., XXXII, 4, p. 671.
24. Cf. vol. II, ch. 4, n° 577.
25. Conscientia exprime ici ce qu’il y a de plus radical dans l’esprit de l’homme transformé par la grâce que donne l’Esprit Saint, comme du point de vue humain la conscience de notre vie intellectuelle exprime cette auto-lucidité que nous avons de nos propres opérations vitales. Cf. ch. VI, n°921.


1090. Selon Augustin 23, il faut savoir que les fleuves procèdent des sources comme d’un principe (a principio). Et celui qui boit d’une eau matérielle ne possède en lui ni la source 24, ni le fleuve, parce qu’il n’en goûte qu’une petite partie; mais celui qui boit en croyant au Christ puise la source; et lors même qu’il a puisé, sa conscience 25 — qui est le sein de l’homme intérieur — commence à vivre et sera elle-même une source. C’est pourquoi il est dit: Celui qui boira de cette eau (...), elle deviendra en lui une source d’eau jaillissante (Jn 4,13-14). Et cette source qu’on puise, c’est l’Esprit Saint, dont il est dit: Auprès de toi est la source de vie (Ps 35,10). Celui donc qui boit de telle manière que cela profite à lui seul, l’eau vive ne coule pas de son sein en dons de la grâce, symbolisés par les fleuves; mais celui qui se hâte de prendre soin du prochain, et de communiquer aux autres les divers dons de la grâce de Dieu qu’il a reçus, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. C’est à cause de cela que Pierre dit: Chacun selon la grâce qu'il a reçue, en la mettant mutuellement au service des autres... (1P 4,10).

Il parle de FLEUVES, pour signifier l’abondance des dons spirituels promise en retour aux fidèles — Le fleuve de Dieu a été comblé d’eau 29-; de même, leur impétuosité — Ceux qui marchent avec impétuosité vers Jacob: Israël fleurira et germera, et ils rempliront de leur fruit la face de la terre (Is 27,6) — L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu Et parce qu’il était mû par l’instinct et la ferveur de l’Esprit Saint, l’Apôtre disait: La charité du Christ nous presse (2Co 5,14) et Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu Rm 8,14). Les FLEUVES symbolisent encore la répartition des dons de l’Esprit Saint, parce que A l’un la diversité des langues, à l’autre le don de guérison, etc. (1Co 12,10)

Mais ces FLEUVES sont des eaux vives, parce qu’elles sont unies à leur source, c’est-à-dire à l’Esprit Saint habitant en nous.

29. Ps 64, 10. À la suite de Chrysostome (op. cit., col. 284), saint Thomas remarque les trois principaux éléments contenus dans cette image du fleuve jaillissant: abondance, intensité et pouvoir de vivifier, manifestés d’une manière très particulière dans la vie et l’oeuvre des premiers Apôtres.
31. Ps 45, 5. En commentant ce verset, saint Thomas note que "le fleuve signifie la grâce à cause de l’abondance des eaux, parce qu’il y a dans la grâce une abondance de dons — Le fleuve de Dieu a été comblé d’eau (Ps 64,10) —, et aussi parce que le fleuve est dérivé de son principe, c’est-à-dire de sa source; ce n’est pas la source qui provient du fleuve, parce que la source est dans son principe; or l’Esprit Saint vient du Père et du Fils — Il me montra un fleuve d’eau vive resplendissant comme du cristal, procédant du trône de Dieu et de l'Agneau (Ap 22,1); de même encore [fleuve signifie la grâce] parce qu’un fleuve charrie du sable et des pierres; ainsi l’Esprit Saint meut le coeur à agir — De son sein couleront des fleuves d’eau vive Un comme un fleuve violent... (Isaïe 59, 19). — Ceux qui sont mus par Dieu, ceux-là sont fils de Dieu (Rm 8,14). — La source des jardins, puits d’eaux vives dévalant du Liban en un ruissellement impétueux... (Ct 4,15)" (Expos. in Ps 45, n 3).
Il y a des fleuves qui ont un courant lent; ce n’est pas le cas de celui-ci, qui est rapide: c’est pourquoi il parle de l’impétuosité du fleuve. Et cela pour deux raisons: d’abord parce que l’Esprit Saint remplit subitement le coeur de grâce — Il y eut soudain, venant du ciel, comme le bruit d’un violent coup de vent (Ac 2,2) — ; et aussi parce que l’Esprit Saint meut le coeur avec une impétuosité d’amour — Quand il sera venu



OR IL DISAIT CELA DE L'ESPRIT, QUE DEVAIENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI. EN EFFET, L'ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ, PARCE QUE JÉSUS N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.

1091. L’Évangéliste poursuit en commentant ce que le Christ a dit. Il donne d’abord son commentaire [n° 1092], puis la raison de ce commentaire [n° 1093].

1092. Le Christ dit donc que DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE. Mais l’Evangéliste dit que l’on doit comprendre cela DE L’ESPRIT, QUE DE VAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI, parce que l’Esprit Saint est la source et le fleuve. La source, dont il est dit: Auprès de toi est la source de vie (Ps 35,10). Mais le fleuve, parce qu’il procède du Père et du Fils — L'ange me montra un fleuve d'eau vive resplendissant comme du cristal, procédant du trône de Dieu et de l’Agneau (Ap 22,1) — Il a donné l’Esprit à ceux qui lui obéissent (Ac 5,32).


EN EFFET, L’ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNE PARCE QUE JÉSUS N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.

1093. Saint Jean donne ici la raison de ce commentaire; il dit en fait deux choses: que L’ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, et que le Christ N’AVAIT PAS ENCORE ETE GLORIFIE 38.

A propos de la première parole, il y a deux opinions: Chrysostome 39 dit que l’Esprit Saint ne fut pas donné aux Apôtres avant la Résurrection du Christ, pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Ainsi cette grâce, qui était donnée aux Prophètes, avait manqué à la terre jusqu’à l’avènement du Christ 40, et par la suite elle ne fut donnée à personne avant le moment que l’on a dit. Et s’il est dit que les Apôtres expulsaient les démons avant la Résurrection, il faut comprendre qu’ils ne les expulsaient pas par l’Esprit, mais par la puissance qui venait du Christ. En effet, quand il les envoyait, on ne nous dit pas: "Il leur donna l’Esprit Saint", mais: Il leur donna la puissance (Mt 10,1).

Mais cette opinion semble aller à l’encontre de ce que dit le Seigneur: Si moi je chasse les démons au nom de Béelzéboul, vos fils, au nom de qui les chassent-ils? (Lc 11,19) Or il est certain que c’est dans l’Esprit Saint que lui-même expulsait les démons, ainsi que le fils, c’est-à-dire les Apôtres: il est donc manifeste qu’eux aussi avaient reçu l’Esprit Saint.

Voilà pourquoi il faut dire, selon Augustin 43, que les Apôtres possédèrent l’Esprit Saint avant la Résurrection, même pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Et ce qui est dit ici, à savoir que L’ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, doit être compris de l’abondance du don dans des signes visibles; elle leur fut donnée après la Résurrection et l’Ascension en des langues de feu 44.

38. Sur cette parole de saint Jean, voir Somme théol., I, q. 43, a. 6, ad 1. L’objectant se servait de cette parole pour montrer que la mission invisible des personnes divines n’avait pas été faite aux Pères de l’Ancien Testament. Il en tirait argument pour conclure: "La mission invisible n’est pas faite à tous ceux qui sont participants de la grâce. " Saint Thomas répond ainsi: "La mission invisible a été faite aux Pères de l’Ancien Testament. C’est pourquoi saint Augustin dit (De Trin., IV) que selon que le Fils est envoyé invisiblement, 'il est dans les hommes, ou avec les hommes; or cela a été autrefois, dans les Pères et les Prophètes*. Cette parole l’Esprit n'avait pas encore été donné s’en tend de cette donation accompagnée d’un signe visible, qui fut faite le jour de la Pentecôte. " Voir aussi vol. II, p. 133, note 17.
39. in Ioannem hom., 51, ch. 1-2, col. 284-285.
40. Cf. Ps 73, 9: Désormais il n’y a plus de prophètes, et nul d’entre nous ne sait jusques Û quand. Voir aussi Lam 2, 9 et Dan 3, 38.


1094. Mais puisque l’Esprit Saint sanctifie l’Église, et qu’il est aussi reçu maintenant par les fidèles, pourquoi n’y a-t-il personne qui parle les langues de toutes les nations comme à ce moment-là?

Il faut répondre que cela n’est pas nécessaire, selon ce que dit Augustin. L’Eglise envoyée en mission 45, parle dans les langues des nations, parce que la charité est donnée par l’Esprit Saint — La charité de Dieu a été d usée dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné 46. Et la charité, rendant toutes choses communes, fait que tout homme parle à tout homme. Voilà pourquoi Augustin dit: "Situ aimes l’unité, quiconque possède quelque chose en elle [c'est-à-dire dans l’Eglise] le possède aussi pour toi. Chasse l’envie, et ce que j’ai est tien. (...) La jalousie sépare, la charité unit (...). Aie la charité et tu auras toutes choses" 47. Mais au commencement, avant que l’Eglise se soit étendue à travers le monde, comme ils étaient peu nombreux, il fallait qu’ils parlent les langues de tous, pour fonder ainsi l’Eglise en tous.
43. De Trinitate, IV, xx, 29; BA 15, pp. 415-417. Saint Augustin ne pré cise pas le nouveau mode de ce don autrement que par la largesse avec laquelle le don des langues fut accordé aux premiers Apôtres et par le but de ce charisme: l’universalité de l’évangélisation.
44. Cf. Ac 2, 3.
45. Nous adoptons ici une correction encore incertaine de l’édition léonine, qui remplace "Ecclesia universalis" de l’édition Marietti par "Ecclesia missa". Le texte de saint Augustin auquel saint Thomas se réfère porte "Ecclesia ipsa", l’Eglise elle-même.
46. Ro 5, 5.
47. Tract, in Ioann., XXXII, 8, pp. 683-685.




PARCE QUE JÉSUS N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.

1095. Selon Augustin 48, il faut comprendre cette parole de la gloire de la Résurrection; autrement dit: il n’était pas encore ressuscité des morts, il n’était pas encore monté aux cieux. De cette gloire il est dit: Glorifie-moi, Père, auprès de toi 49. Et la cause de ce qu’il voulut être glorifié avant de donner l’Esprit Saint, est que l’Esprit Saint nous est donné pour élever nos coeurs de l’amour du monde à une résurrection spirituelle et les faire courir totalement en Dieu. Parce que donc il a promis la vie éternelle à ceux qui brûlent ardemment de la charité de l’Esprit Saint, là où nous ne mourrons pas, où nous n’aurons rien à craindre, il n’a pas voulu donner l’Esprit Saint lui-même sans avoir été glorifié, pour nous montrer dans son corps la vie que nous espérons dans la résurrection.

1096. Selon Chrysostome 50, il ne faut pas comprendre cela de la gloire de la Résurrection mais de la glorification de la Passion, dont le Seigneur dit plus loin, alors que l’heure de la Passion était imminente: Maintenant a été glorifié le Fils de l’homme 51. Et selon cette interprétation, l’Esprit Saint est donné en premier lieu quand il dit aux Apôtres après la Passion: Recevez l’Esprit Saint 52. Et l’Esprit Saint ne fut pas donné avant la Passion, parce que, comme il est un don il ne devait pas être donné à des ennemis, mais à des amis. Or nous, nous étions des ennemis 54. Il fallait donc d’abord que l’hostie soit offerte sur l’autel de la croix 55 et que l’inimitié soit détruite en sa chair 56, afin qu'ainsi par la mort de son Fils nous soyons réconciliés avec Dieu 57 et qu’alors, devenus des amis, nous recevions le don de l’Esprit Saint.
48. Op. cit., XXXII, 9, pp. 687-691.
49. Jean 17, 5.
50. In Ioannem hom., 51, ch. 2, col. 284-285.
51. Jean 13, 31.
52. Jean 20, 22.
53. Quand Simonie magicien vit que l’Esprit Saint était donné par l’2mpos ilion des mains des Apôtres, il leur offrit de l’argent. "Donnez-moi, dit-il, ce pou voir à moi aussi: que celui à qui j’imposerai les mains reçoive l’Esprit Saint. "Mais Pierre lui répliqua: ' ton argent, et toi avec lui, puis que tu as cru acheter le don de Dieu à prix d’argent!" (Ac 8,18-20). Dans la Somme théologique, saint Thomas considère successivement la troi sième personne de la Trinité comme Esprit Saint, Amour et Don: "L’Esprit Saint n’est pas seulement dit Esprit Saint, mais Amour et Don" (I, q. 36, prol.). En cela, il assume la grande tradition venue de saint Augustin. La question 38 étudie le Don: s’agit-il d’un nom de personne? Est-il propre à l’Esprit Saint? A cette dernière question, saint Thomas répond: "Le don implique une donation gratuite. Or la raison d’une donation gratuite est l’amour: nous donnons gratuitement à quelqu’un pal-ce que nous lui voulons du bien. Donc, la première chose que nous lui donnons, c’est l’amour par lequel nous lui voulons du bien. Il est donc manifeste que l’amour considéré comme tel est le don premier, par lequel tous les dons gratuits sont donnés. Dès lors, puisque le Saint Esprit procède comme Amour, il procède comme don premier (in ratione primi dom)" (loc. cil., a. 2).




LA DISSENSION DES FOULES



1097. Ayant exposé l’invitation du Christ à nous désaltérer spirituellement, l’Evangéliste poursuit en nous montrant la dissension des foules: d’abord celle des foules entre elles, puis la dissension surgie chez les princes des prêtres [n° 1106].



I

À PARTIR DE CETTE HEURE-LÀ DONC, LES FOULES, COMME ELLES AVAlENT ENTENDU CES PAROLES DE [DE JÉSUS], DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHÈTE." D’AUTRES DISAIENT: "CELUI-CI EST LE CHRIST" MAIS CERTAINS DISAIENT: "EST-CE DE GALILÉE QUE VIENT LE CHRIST? L'ÉCRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE C’EST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OÙ ÉTAIT DAVID, QUE VIENT LE CHRIST?" C’EST POURQUOI IL SE FIT UNE DIS SENSION DANS LA FOULE À CAUSE DE LUI ET CERTAINS D’ENTRE EUX VOULAIENT SE SAISIR DE LUI; MAIS PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI.

L’Évangéliste nous donne d’abord différentes paroles de ceux qui s’opposent entre eux, avant de nous exposer en quoi consiste la dissension [n° 1102].

Or la diversité des paroles de la foule provenait de la diversité des opinions au sujet du Christ, et c’est pourquoi l’Evangéliste nous expose trois opinions de la foule: celles — il y en a deux — de ceux qui s’approchent déjà de la boisson spirituelle, et celle de ceux qui s’en écartent.

1098. Les premiers estimaient que le Christ était un prophète; c’est pourquoi l’Evangéliste dit: A PARTIR DE CETTE HEURE-LA DONC, c’est-à-dire à partir du où il avait parlé ainsi, le grand jour de la fête, LES FOULES, COMME ELLES AVAIENT ENTENDU CES PAROLES [DE JÉSUS], DISAIENT — il s’agit de ceux qui avaient déjà commencé à puiser spirituellement de cette eau — : CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Ils le disent, non seulement prophète, mais surtout le vrai Prophète, comme par antonomase 57a, pensant qu’il est celui dont Moïse avait parlé par avance: Dieu suscitera pour vous d’entre vos frères un Prophète: c’est lui que vous écouterez comme moi 58.
54. Cf. Ro 5, 10.
55. Off en hostiam in ara crucis; saint Thomas cite ici cette très belle hymne du temps pascal: Adcenam Agni providi, stolis salutis candidis, posi tran silum maris rubri, Christo canamusprincipi, cuius corpus sanctissimum in ara crucis torridum; sed et cruorem gustando, Deo vivimus etc.; "Conviés au festin de l’Agneau, revêtus de la robe éblouissante du salut, après avoir passé la mer Rouge, chantons au Christ notre prince, dont le corps a été brûlé sur l’autel de la Croix; et en buvant son sang ver meil, nous vivons par Dieu... " (in Liber hymnarius, Antiphon romanum, Solesmes 1983).
56. Eph 2, 14.
57. Ro 5, 10.


1099. D'AUTRES DISAIENT: CELUI-CI EST LE CHRIST; ceux-là s’étaient approchés plus encore, et avaient davantage quitté la soif de ceux qui ne croient pas. Et cela, Pierre aussi l’a confessé — Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant 59.

1100. La troisième opinion, contraire à la précédente, est celle de ceux qui s’écartent [n° la boisson spirituelle]. Ils s’opposent d’abord à l’opinion de ceux qui disent qu’il est le Christ, avant de confirmer leur objection par [le recours à] une autorité [n° 1101].

L’Evangéliste dit donc: MAIS CERTAINS, demeurant dans l’aridité de leur incroyance, DISAIENT: EST-CE DE GALILEE QUE VIENT LE CHRIST? Ils savaient en effet que les Prophètes n’avaient pas dit que le Christ viendrait de la Galilée; et croyant qu’il était né à Nazareth (car ils ignoraient que le lieu de sa nativité était Bethléem), ils prononcent ces paroles. Il était en effet manifeste qu’il avait été élevé à Nazareth, mais le lieu de sa nativité n’était connu que de peu de gens. Cependant, bien que l’Ecriture ne dise pas qu’il devait naître en Galilée, elle a pourtant annoncé qu’il devait d’abord se tourner vers elle: Au premier temps, la terre de Zabulon et la terre de Nephtali ont été délaissées; et au tout dernier temps, la route de la mer qui passe au-delà du Jourdain, la Galilée des nations, a été surchargée. Le peuple des nations qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, et pour les habitants de la région de l’ombre de la nuit une lumière s’est levée 60. L’Ecriture avait aussi annoncé qu’il viendrait de Nazareth, selon cette prophétie d’Isaïe: Une fleur montera de la racine de fessé, ce qui se lit en hébreu: Le Nazaréen montera de sa racine 61.

1101. Ils confirment leur objection par l’autorité de l’Ecriture en disant: L’ECRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE C'EST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OÙ ÉTAIT DAVID, QUE VIENT LE CHRIST?

C’est Jérémie qui dit que Jésus devait venir de la race de David: Je susciterai à David un germe juste Et il est dit de David: Parole de l’homme établi pour être le Christ de Dieu... Et de ce que le Christ viendrait de Bethléem, il est écrit: Et toi Bethléem, terre de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit être le dominateur en Israël 64.
57a. "Figure de langage qui consiste à désigner un personnage par un nom commun ou une périphrase qui en résume le caractère, ou inversement, à désigner un individu par le personnage dont il rap pelle le caractère" (P. ROBERT, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, P. U. F. 1953).
58. Deut 18, 15.
59. Mt 16, 16.
60. Isaïe 9, 1.
61. Isaïe 11, 1. Cette identification a été faite par saint Jérôme, en particulier dans son commentaire de ce verset d’Isaïe, plus explicite que dans celui de Mt 2, 23 (Commentarium in Esaiam, IV, ch. 11, CCL vol. LXIII, p. 147; Commentarium in Matthaeum, I, CCL vol. LXVII, p. 16).



C'EST POURQUOI IL SE FIT UNE DISSENSION DANS LA FOULE À CAUSE DE LUI

1102. L’Évangéliste expose d’abord la dissension de la foule, puis la tentative de certains d’entre eux contre le Christ [n° 1104]; enfin, la répression de cette tentative [n° 1105].

1103. IL SE FIT UNE DISSENSION DANS LA FOULE À CAUSE DE LUI, c’est-à-dire à cause du Christ. En effet, il arrive fréquemment que trouble et dissension soient causés dans le coeur des méchants par la manifestation de la vérité 65. Et c’est pourquoi Jérémie dit, en tant que figure du Christ: Malheur à moi, ma mère, pourquoi m’as-tu enfanté homme de querelle, homme de discorde sur toute la terre? 66 Et c’est à cause de cela que le Seigneur disait: Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive 67.

1104. La tentative, celle de certains, était de se saisir de lui; ET CERTAINS D’ENTRE EUX (à savoir ceux qui avaient dit: EST-CE DE GALILEE QUE VIENT LE CHRIST? VOULAIENT SE SAISIR DE LUI pour le tuer, à cause de leur inimitié: Poursuivez-le et saisissez-le 68— L’ennemi a dit: "Je poursuivrai et je saisirai "69. Cependant, les bons, et ceux qui ont la foi, veulent se saisir du Christ pour jouir de sa présence — Je monterai au palmier, et je m’emparerai de son fruit 70.
62. Jr 23,5.
63. 2 Sam 23, 11.
64. Mic 5, 1.
65. Nous préférons ici le texte de l’édition Marietti, manifestatio veritatis, à la correction proposée, mais comme incertaine, par l’édition léonine: manifestatio virtutis.
66. Jr 15,10.
67. Mt 10, 34.
68. Ps 70, 2.


1105. La répression de leur tentative vient de la puissance du Christ: MAIS PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI, parce que le Christ ne le voulait pas; cela était en son pouvoir — Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose de moi-même 71. C’est pourquoi, quand il voulut souffrir, il ne les attendit pas, mais lui-même s’offrit à eux: Il sortit et leur dit: Qui cherchez-vous? 72

II

1106. L’Évangéliste expose ensuite la division des princes des prêtres: d’abord leur division d’avec les serviteurs, puis ce qui les divise entre eux [n° 1113].

LES SERVITEURS VINRENT DONC VERS LES PRÊTRES ET LES PHARISIENS,

ET CEUX-CI LEUR DIRENT: "POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENÉ?" SES SERVITEURS RÉPONDIRENT: "JAMAIS UN HOMME N’A PARLÉ AINSI, COMME PARLE CET HOMME. LES PHARISIENS LEUR RÉPONDIRENT DONC: "AVEZ-VOUS ÉTÉ SÉDUITS VOUSAUSSI? Y A-T IL QUELQU’UN PARMI LES PRINCES DES PRÊ TRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES PHARISIENS? MAIS CETTE F0ULE QUI NE CONNAÎT PASLA LOI, CE SONT DES MAUDITS. "

On voit d’abord le reproche que les princes des prêtres font aux serviteurs [n° 1107], puis le témoignage que les serviteurs rendent au Christ [n° 1108], enfin ce que tentent les princes des prêtres pour rabrouer les serviteurs [n° 1109].
69. Ex 15, 9.
70. Cant 7, 8. Cf. n° 1067.


1107. Il faut d’abord remarquer l’iniquité des princes des prêtres quand ils disent — LES GRANDS PRETRES ET LES PHARISIENS — POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENE? En effet, ils étaient tellement mauvais que les serviteurs ne pouvaient les satisfaire sans porter préjudice au Christ — Le sommeil est ravi de leurs yeux s'ils n'ont pas supplanté quelqu'un 73.

Mais ici surgit une question concernant le sens littéral: on a dit plus haut que les serviteurs furent envoyés pour se saisir de Jésus au milieu de la fête, c’est-à-dire le quatrième jour; or leur retour est situé après le septième jour, quand l’Evangéliste a dit: LE TOUT DERNIER JOUR LE GRAND JOUR DE LA FETE; il semble donc que les serviteurs furent désoeuvrés durant les jours intermédiaires.

Il y a à cela une double réponse: l’une consiste à dire que l’Evangéliste a anticipé le murmure des foules. Ou bien il faut répondre que les serviteurs revinrent peut-être à ce moment-là; mais l’Evangéliste en fait mention maintenant, pour montrer la cause de la dissension entre les princes des prêtres.

1108. Il faut remarquer ensuite la bonté des serviteurs dans le témoignage favorable qu’ils rendirent au Christ en disant: JAMAIS UN HOMME N’A PARLE AINSI, COMME PARLE CET HOMME. Ils se rendent par là dignes de louange pour trois raisons.

D’abord pour la cause de leur admiration, parce qu’ils admiraient le Christ non pas à cause des miracles, mais à cause de son enseignement 74; ce qui les rend plus proches de la vérité et les éloigne de l’habitude des Juifs, qui cherchent des signes, comme on le lit dans la première épître aux Corinthiens 75. Ensuite pour la facilité de leur conversion, parce que quelques paroles du Christ ont suffi à les saisir et à les attacher à son amour. Enfin pour l’assurance de leur esprit, parce qu’aux Pharisiens qui luttaient contre le Christ, ils disent de lui: JAMAIS UN HOMME N’A PARLE AINSI.

Et ils disent tout cela avec raison, parce que le Christ était non seulement un homme, mais aussi le Verbe de Dieu; et c’est pourquoi ses paroles avaient la puissance de mouvoir [les coeurs] — Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu, dit le Seigneur, et comme un marteau qui brise la pierre? 76 C’est pourquoi aussi il est dit qu’il enseignait comme quelqu'un ayant la puissance 77. Ses paroles avaient aussi une saveur propre à adoucir: Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce 78. — Que tes paroles sont douces à mon palais 79. Il était encore bon de les retenir, parce qu’elles promettaient les biens éternels — Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 80. — Moi le Seigneur, qui t'enseigne ce qui est bon... 81

En troisième lieu, il faut remarquer la détestable perfidie des Juifs, par laquelle ils s’efforcent de détacher les serviteurs du Christ. ILS LEUR REPONDIRENT, c’est-à-dire aux serviteurs: AVEZ-VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI?

Ils commencent par blâmer l’erreur qu’ils attribuaient aux serviteurs [n° 1110]. Ils exposent ensuite l’exemple des princes des prêtres [n° 1111], enfin celui des foules [n° 1112].
73. Prov 4, 16.
74. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannem hom., 52, ch. 1, col. 287.
75. 1 Corinthiens 1, 22.


1110. Ils provoquent les serviteurs en disant: AVEZ VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI? Autrement dit: nous voyons que vous vous êtes réjouis dans la parole de cet homme. "Effectivement, ils avaient été séduits d’une manière louable parce qu’ayant rejeté le mal de l’incroyance, ils furent conduits à la vérité de la foi", dont il est dit: Tu m’as séduit Seigneur, et j’ai été séduit 82.
77. Mt 7, 29.
78. Cant 2, 14.
79. Ps 118, 103.
80. Jean 6, 69.
81. Isaïe 48, 17.
82. Jr 20,7. Cf. WALAFRID STRABON, Glossa ordinaria, Evangelium Ioannis, PL 114, col. 388-389.





Y A-T-IL QUELQU’UN PARMI LES PRINCES DES PRÊTRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES PHARISIENS?

1111. Ils exposent ici l’exemple des princes des prêtres pour détourner encore plus les serviteurs. Ils disent cela parce qu’on est rendu digne de foi pour deux raisons: l’autorité et la religion. Ils se servent donc de ces deux arguments contre le Christ pour affirmer: si le Christ devait être reçu, les princes des prêtres l’auraient accueilli sans aucun doute, eux en qui réside l’autorité; et de même les Pharisiens, en qui la religion était manifeste; mais aucun de ceux-là n’a cru en lui; donc, vous non plus vous ne devez pas croire en lui. Là s’accomplit ce qui est écrit: La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est-à-dire les princes des prêtres et les Pharisiens, celle-là est devenue la tête d’angle, c’est-à-dire dans le coeur des peuples. Mais cela a été fait par le Seigneur (Ps 117,22) parce que sa bonté l’emporte sur la malice des hommes.


MAIS CETTE FOULE QUI NE CONNAÎT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS.

1112. Ils repoussent ensuite le témoignage de la foule, parce qu’elle confond leur malice. MAIS CETTE FOULE QUI NE CONNAIT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS, et c’est pourquoi il ne faut pas tenir la même position qu’eux. Car il est écrit: Maudit soit celui qui ne sera pas demeuré dans la Loi et ne l’aura pas mise en pratique (Dt 27,27). Mais ils comprenaient mal cette parole, parce que ceux-là même qui n’ont pas la science de la Loi et qui cependant pratiquent ses oeuvres demeurent plus dans la Loi que ceux qui, ayant la science de la Loi, ne l’observent cependant pas 85; c’est de ceux-là qu’il est dit: Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi (Mt 15,8) — Soyez de ceux qui accomplissent la Loi, et non seulement de ceux qui l’écoutent 87.

85. Saint Augustin a voulu ainsi marquer la gravité de la situation: "Ceux qui ne connaissaient pas la Loi croyaient en celui qui avait donné la Loi; et celui qui avait donné la Loi, ceux qui enseignaient la Loi le méprisaient" (Tract. in Io., XXXIII, 1P 695).
87 1, 22.





NICODÈME LEUR DIT, CELUI QUI ÉTAIT VENU À LUI DE NUIT -IL ÉTAITL'UN D'ENTRE EUX: "NOTRE LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE L'A PAS D'ABORD ENTENDU, ET CONNU CE QU'IL FAIT?"

1113. L’Évangéliste poursuit en montrant la dissension des chefs entre eux. Il expose l’intervention de Nicodème [n° 1115], après avoir cité quelques traits à son propos [n° 1114]; puis il montre l’opposition des princes des prêtres [n° 1116], et enfin l’aboutissement de la dispute [n° 1117].

1114. L’Évangéliste évoque trois choses à propos de Nicodème: deux d’entre elles montrent l’intention de celui qui va parler, et la troisième, la fourberie des princes des prêtres.

La première de ces choses concerne la foi de Nicodème: CELUI QUI ETAIT VENU A LUI, c’est-à-dire celui qui avait cru, car c’est la même chose de venir au Christ et de croire en lui 88.

La seconde concerne l’imperfection de sa foi, parce qu’IL VINT DE NUIT. Car s’il avait cru d’une manière par faite, il n’aurait pas craint — Beaucoup parmi les chefs crurent en lui, mais à cause des Pharisiens il ne se déclaraient pas, pour ne pas être exclus de la synagogue 89. Nicodème était l’un de ceux-là.

La troisième chose évoquée par l’Évangéliste est le mensonge des princes des prêtres. En effet, ils avaient dit: aucun parmi les princes et les Pharisiens n’a c au Christ; et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL ETAIT L’UN D'ENTRE EUX; autrement dit: si Nicodème, qui est l’un des princes, a cru en lui, il est manifeste que ce que les princes et les Pharisiens disent — à savoir qu’aucun des princes n’a cru en lui — est faux — Il a vraiment dit un mensonge (Cf. Jr 16,19).

88. Voir n° 1089, note 20.



"NOTRE LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE L’A PAS D’ABORD ENTENDU, ET CONNU CE QU’IL FAIT?"

1115. L’Évangéliste expose ici comment Nicodème les rappelle à l’ordre. Selon les lois civiles en effet, une enquête diligente doit précéder la sentence — Ce n'est pas l’habitude des Romains de condamner un homme avant que l’accusé n'ait ses accusateurs en sa présence, et qu'on lui ait donné lien de se défendre pour se laver des crimes [dont on l’accuse] (Ac 25,16). Aussi Job disait-il: Je m’instruisais avec un soin extrême de la cause que j’ignorais (Jb 29,16).

C’est pourquoi il est dit dans la Loi de Moïse: Tu ne con damneras pas l’innocent et le juste, parce que j’abhorre l’impie (Ex 23,7).

Mais Nicodème dit ces paroles parce qu’ayant la foi il voulait les convertir au Christ. Cependant, parce qu’il était timide, il faisait cela d’une manière voilée. Il croyait en effet que si seulement ils voulaient écouter le Christ, sa parole serait d’une telle efficacité que peut-être ils deviendraient semblables à ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de Jésus, et qui s’étaient convertis à ses paroles en faisant ce pour quoi ils avaient été envoyés 94.

94. Cette interprétation se trouve chez saint Augustin (op. cit., XXXIII, 2 p 695).


ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT: "TOI AUSSI, ES-TU GALILÉEN? SCRUTE LES ÉCRITURES, ET VOIS QUE DE LA GAULÉE IL NE SURGIT PAS DE PROPHÈTE. "

1116. L’Évangéliste expose ici l’opposition des princes des prêtres. En disant cela, ils regardent Nicodème comme un homme séduit, puis comme quelqu’un qui ignore la Loi.

Ils disent d’abord TOI AUSSI, ES-TU GALILEEN 95?, c’est-à-dire, es-tu séduit par le Galiléen Ils décrétaient en effet que le Christ était Galiléen, parce qu’il avait vécu en Galilée: et c’est pourquoi tous ceux qui reconnaissaient le Christ étaient appelés Galiléens, comme par mode d’injure — La servante dit à Pierre: Es-tu Galiléen, toi aussi? (Mt 26,69) — Vous aussi, voulez-vous devenir ses disciples? 97

Puis ils disent: SCRUTE LES ECRITURES, ET VOIS. Mais puisqu’il était docteur de la Loi, il n’avait nul besoin de la scruter de nouveau; c’est comme s’ils disaient: bien que tu sois docteur, tu ignores cela! — Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses? 98 Mais quoique dans l’Ancien Testament il ne soit pas dit qu’un prophète surgirait de Galilée, on y lit cependant que de là devait sortir le Seigneur des prophètes 99 — Une fleur, c’est-à-dire le Nazaréen, naîtra de la racine de fessé, et l'Esprit du Seigneur reposera sur lui (Is 11,1) 100.

95. Cf. SAINT AUGUS loc. cit., p. 697.
99. Expression chère à saint Augustin, déjà reprise de son commentaire de Jn 6,14 par saint Thomas (n° 867 ).
100. Cf. ci-dessus note 61.




ET ILS RETOURNÈRENT CHACUN CHEZ SOI.

1117. L’Evangéliste nous montre que l’aboutissement de la dispute est infructueux. ET ILS RETOURNERENT, n’ayant pas réalisé leur dessein, CHACUN CHEZ SOI, c’est-à-dire chez les siens, vides de foi et frustrés dans leur mauvais désir — Le Seigneur dissipe le conseil des pervers 101 — Le Seigneur dissipe le conseil des princes et les pensées des peuples 102. Ou bien, CHACUN CHEZ SOI signifie: dans la malice de son refus de la foi et de son impiété — Je sais où tu habites, là où est le trône de Satan 103.

10l. Jb 5, 13.
102. Ps 32, 10.
103. Ap 2, 13.




CHAPITRE VIII: La puissance illuminative de l'enseignement du Christ montrée par la parole

53
Thomas sur Jean 50