Thomas sur Jean 35


I

JESUS REPONDIT DONC ET LEUR DIT: "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE. "

745. A propos de l’origine de la puissance du Christ, il faut avoir présent à l’esprit que les Ariens 1 s’appuient sur ces paroles du Seigneur pour confirmer leur erreur, à savoir que le Fils serait inférieur au Père. En effet, comme l’a dit l'Evangéliste, les Juifs persécutaient le Christ parce qu’Il se faisait l’égal de Dieu 2. D’après les Ariens, le Seigneur, voyant que les Juifs étaient troublés de cela et voulant dissiper ce trouble, aurait ajouté ces paroles afin de leur montrer qu’Il n’était pas égal au Père: "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE" — comme pour dire " Par mes paroles: Mon Père travaille jusqu’à mainte nant, et moi aussi je travaille 3, n’entendez pas que je travaille comme si je Lui étais égal, car de moi-même je ne puis RIEN FAIRE. " Puis donc que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE, Il est assurément, disent les Ariens, inférieur au Père 4.

Mais cette manière de comprendre les paroles du Christ est fausse et conduit à l’erreur; car si le Fils n’était pas égal au Père, alors Il ne serait pas un même être avec Lui, ce qui va à l’encontre de ceci: Moi et le Père nous sommes un 5. En effet, l’inégalité s’entend selon la grandeur; or celle-ci, dans les personnes divines, est l’essence elle-même. C’est pourquoi, si le Fils était inégal au Père, Il différerait de Lui selon l’essence.
1. Cf. ci-dessus, n° 742, note 73.
2. Jean 5, 18 a.
3. Jean 5, 17.
4. Cf. SAINT AtJGUSTIN, Tract. in b. XVIII, 3, BA 72, pp. 125-127.
5. Jean 10, 30.


746. Pour saisir le vrai sens de ces paroles du Christ, il faut savoir que ce qui semble introduire une infériorité dans le Fils pourrait être considéré par certains comme étant dit du Christ selon la nature assumée, comme cette autre parole: Le Père est plus grand que moi 6. Selon cette interprétation, les paroles du Seigneur: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE devraient donc s’entendre du Fils selon la nature assumée. Or cela est insoutenable, car il faudrait alors dire que tout ce que le Fils de Dieu a fait dans la nature assumée, le Père l’aurait fait auparavant; par exemple, Il aurait marché à pied sec sur la mer, comme l’a fait le Christ 7, sinon il ne serait pas dit: SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE.

Si l’on disait, d’autre part, que tout ce que le Christ a fait dans la chair, Dieu le Père l’a fait aussi en tant que le Père opère en Lui — C’est le Père, demeurant en moi, qui accomplit Lui-même les oeuvres 8 —, alors le sens du passage serait: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE agissant en Lui, c’est-à-dire dans le Fils. Mais cela aussi est insoutenable, car alors on ne pourrait plus l’accorder avec ce qui suit: TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT, CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.

Jamais en effet, selon la nature assumée, le Fils n’a créé le monde comme le Père l’a créé. Ce n’est donc pas à la nature assumée qu’il faut rapporter les paroles du Christ.
6. Jean 14, 28.
7. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 5, p 241.
8. Jean 14, 10.
9. Voir op. cit. XVII, 16 et XIX, 13, pp. 113 et 195.


747. Selon Augustin 9, il y a une autre manière de comprendre ces expressions qui semblent introduire une infériorité dans le Fils, bien qu’en réalité elles ne le fassent pas: c’est de les rapporter à l’origine du Fils à partir du Père. Car bien que le Fils soit égal au Père en toutes choses, Il tient cependant tout du Père par la génération éternelle, tandis que le Père ne tient rien [n° 18b-de personne, puisqu’Il est inengendré.

Les paroles du Christ s’enchaînent donc ainsi avec ce qui précède: Pourquoi êtes-vous scandalisés de ce que j’ai appelé Dieu mon Père et me suis fait l’égal de Dieu? AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME; comme s’Il disait: " Voici de quelle manière je suis égal au Père: je suis de Lui, et Lui n’est pas de moi; et tout ce que moi j’ai à faire, je le tiens du Père" 10.

748. Selon cette interprétation, il est donc fait mention dans ces paroles de la puissance du Fils, par le verbe PEUT, et de son opération, par le verbe FAIRE. C’est pourquoi on peut saisir là deux choses: en premier lieu il nous est montré que la puissance du Fils découle du Père [n° 749], et en second lieu que l’opération du Fils est conforme à l’opération du Père 11[n° 751].

749. Le premier point, Hilaire l’explique de la manière suivante 12. Le Seigneur a dit plus haut qu’Il était égal au Père. Mais certains hérétiques, s’appuyant sur l’autorité de l’Ecriture qui affirme l’unité et l’égalité du Fils avec le Père, attribuent au Fils d’être inengendré, comme le font les Sabelliens 13 qui soutiennent que le Fils est identique au Père dans sa personne. Donc, pour que l’on ne comprenne pas cela, le Christ dit: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME. La puissance du Fils, en effet, est identique à sa nature. Le Fils tient donc le pouvoir de Celui dont Il tient l’être; or Il tient l’être du Père — Je suis sorti du Père 14 — de qui Il tient également la nature: Il est Dieu de Dieu 15 tient donc de Lui le pouvoir 16.

Ainsi les paroles: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST QU’IL A VU FAIRE AU PERE ne peuvent avoir que cette signification: le Fils, de même qu’Il n’a l’être que par le Père, ne peut rien faire si ce n’est par le Père. En effet, dans les réalités naturelles, toute chose reçoit le pouvoir d’opérer de ce dont elle reçoit l’être: ainsi le feu reçoit le pouvoir de s’élever de ce dont il reçoit la forme et l’être. Cependant ces paroles LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME ne signifient pas l’inégalité, car elles se rapportent à la relation, tandis que la question de l’égalité et de l’inégalité concerne la quantité.
10. Ce dernier passage est une citation presque littérale op. cit., XX, 4, p. 237.
11. Voir op. cit., XIX, 5, p, 167.
12. Voir De Trin., VII, 17-18 et 21, CCL vol. LXII, pp. 278-279 et 283.
13. Cf. n° 64 (vol. I, 2° éd., p. 111, note 69).


750. De ces paroles SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE pourrait naître chez certains une interprétation fausse conduisant à croire que le Fils fait CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE comme si, ce que le Père a accompli le premier, le Fils, après l’avoir vu, se mettait à le faire — à la manière de deux artisans, maître et disciple, ce dernier fabriquant un coffre de la façon dont il a vu faire son maître. Mais cela n’est pas vrai pour le Verbe, car il est dit plus haut à son sujet: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 17 Il n’y a donc rien que le Père ait fait de telle sorte que le Fils l’ait vu faire et s’en soit instruit 18.

En réalité, ces paroles ont été dites pour indiquer la communication de la puissance au Fils par la génération, communication qui est désignée d’une manière vrai ment convenable par le verbe" voir" (IL A VU), car c’est par la vue et par l’ouïe que la science se transmet d’un autre à nous. C’est en effet par la vue que nous recevons des réalités la science, et par l’ouïe que nous la recevons des paroles. Or le Fils n’est autre que la Sagesse engendrée: Moi, dit la Sagesse, je suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature 19. Ainsi l’émanation du Fils à partir du Père n’est autre que la communication de la Sagesse divine. Donc, puisque la vision désigne la transmission, à partir d’un autre, de la connaissance et de la sagesse, c’est à juste titre que la génération du Fils par le Père est désignée comme" vision", de sorte que pour le Fils, voir le Père FAIRE n’est autre que procéder, selon une procession intelligible, du Père qui FAIT. On peut aussi, selon Hilaire 20, donner cette autre raison les paroles IL A VU ont pour but d’exclure de la génération du Verbe toute imperfection. En effet, dans la génération matérielle, ce qui est engendré est amené peu à peu, selon le déroulement du temps, de l’imparfait au parfait; car une réalité n’est pas encore parfaite lorsqu’elle commence à être engendrée. Mais il n’en est pas ainsi dans la génération éternelle, qui est la génération d’un être parfait à partir d’un être parfait. Aussi le Christ dit-Il: SI CE N’EST CE QUE [LE FILS] A VU FAIRE AU PERE. En effet, puisque voir est l’acte d’un être parfait, il est manifeste que le Fils, qui a immédiatement vu, fut parfait dès qu’Il fut engendré, et ne fut pas amené à la perfection selon le déroulement du temps.
14. Jean 16, 28.
15. Cf. Symbole de Nicée: "Je crois (...) en un seul Seigneur Jésus-Christ (...), Dieu de Dieu, Lumière de la Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu... "
16. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 4, pp. 237-239.
17. Jean 1, 3.
18. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 9, pp 249-251; voir également XVIII, 5, pp. 131-133.
19. Sir 24, 5.
20. Voir De Trin., II, 11; VII, 14 et 17; VIII, 52, CCL vol. LXII et LXII A, pp. 48, 275, 278-279 et 364-365.


751. Chrysostome explique le second point, à savoir la conformité du Fils au Père quant à l’opération, de la manière suivante: Je dis qu’il m’est permis de 19a1 travailler le jour du sabbat, car mon Père aussi ne cesse de travailler, et je ne peux m’opposer à Lui en travaillant; et cela parce que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE. En effet, on fait quelque chose de soi-même quand en le faisant on ne se conforme pas à un autre. Or quiconque est par un autre, s’il se met en désaccord avec lui, pèche: Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire 22. Tout être donc qui, existant par un autre, agit de lui-même, pèche. Or le Fils est par le Père; si donc Il agit de Lui-même, Il pèche — ce qui est impossible. Par conséquent, en disant LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE, le Seigneur n’entend rien dire d’autre sinon que le Fils ne peut pécher. C’est comme s’Il disait: "C’est injustement que vous me persécutez pour avoir violé le sabbat, car je ne puis pécher, puisque je ne fais rien qui s’oppose à mon Père."

Ces deux explications, celle d’Hilaire et celle de Chrysostome, on les trouve aussi chez Augustin en divers lieux 23.
21. In loannem hom., 38, ch. 4, PG 59, col. 216-218.
22. In 7, 18.
23. Nous avons indiqué ci-dessus quelques-uns de ces lieux. Voir aussi De Trin., II, I, 3, BA 15, pp. 189-191.




II

CAR TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT, CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.

752. L’Evangile montre ici la grandeur de la puissance du Christ qui, par ces paroles, exclut de cette puissance la particularité, la diversité et l’imperfection.

D’abord la particularité: puisqu’il y a divers agents dans le monde, et que le premier agent a un pouvoir universel au-dessus de tous les agents, alors que les autres, qui sont par lui, ont un pouvoir d’autant plus particulier qu’ils sont inférieurs dans l’ordre de la causalité, on pourrait croire que le Fils, n’étant pas par Lui-même, a une puissance particulière à l’égard de certains effets seulement, et non pas une puissance universelle à l’égard de tous, comme a le Père. C’est donc pour exclure cela qu’Il dit: CAR TOUT CE QUE CELUI CI, c’est-à-dire le Père, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, c’est-à-dire que tout ce à quoi s’étend la puissance du Père, la puissance du Fils s’y étend aussi: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 24.

En second lieu est exclue de cette puissance la diversité. Il arrive en effet qu’un agent existant par un autre puisse faire tout ce que fait celui par qui il est, sans toutefois que ce qu’il fait soit la même chose que ce que fait celui par qui il est. Ainsi, un feu existant par un autre peut faire tout ce que fait l’autre, par exemple brûler, et cependant celui-ci brûle une chose, celui-là une autre, bien que la combustion de l’un et de l’autre soit la même spécifiquement. Afin donc que l’on ne pense pas que l’opération du Fils est différente de l’opération du Père, de la manière que l’on vient de dire, le Christ souligne CELA, c’est-à-dire non pas des choses différentes, mais les mêmes.

Enfin est exclue l’imperfection. Il arrive parfois qu’une seule et même chose soit faite par deux agents — par l’un comme par l’agent principal et parfait, et par l’autre comme par un instrument et un agent imparfait —, mais non pas de manière semblable, car autre est la manière d’agir de l’agent principal, autre celle de l’instrument. L’instrument, en effet, agit imparfaitement, du fait qu’il agit par la puissance de l’autre. Donc, pour qu’on ne pense pas que c’est ainsi que le Fils fait tout ce que fait le Père, le Christ ajoute PAREILLEMENT, c’est-à-dire avec la même puissance que celle par laquelle le Père agit; car le même pouvoir et la même perfection sont dans le Père et le Fils: J’étais avec Lui, disposant toutes choses 25, dit la Sagesse.
24. In 1, 3.




III



LE PERE EN EFFET AIME LE FILS, ET IL LUI MON TRE TOUT CE QU’IL FAIT.

753. L’Evangéliste donne maintenant la raison de l’origine et de la grandeur de la puissance du Fils. Il rapporte cette raison à l’amour dont le Père aime le Fils: LE PERE EN EFFET AIME LE FILS.

Mais pour savoir de quelle manière l’amour du Père pour le Fils est la raison de l’origine ou de la communication de la puissance du Fils, il faut prêter attention au fait qu’on peut aimer une réalité de deux manières. En effet, le bien seul étant aimable, un bien peut se rapporter à l’amour de deux manières: soit comme cause de l’amour, soit comme causé par lui. Or en nous c’est le bien qui cause l’amour, car la cause de notre amour pour quelqu’un est sa bonté. En effet, il n’est pas bon parce que nous l’aimons, mais c’est parce qu’il est bon que nous l’aimons; ainsi l’amour, en nous, est causé par le bien. Mais en Dieu il en va autrement, puisque c’est l’amour même de Dieu qui est cause de bonté dans les réalités aimées. C’est parce que Dieu nous aime que nous sommes bons. En effet, parce que aimer n’est pas autre chose que vouloir du bien à quelqu’un, et que la volonté de Dieu est cause des réalités — tout ce que [le Seigneur] a voulu, Il l’a fait, au ciel et sur la terre 26 —, il est manifeste que l’amour de Dieu est cause de bonté dans les réalités. Voilà pourquoi Denys dit que l’amour divin n’a pas permis à Dieu de rester sans fécondité 27. Il nous faut donc considérer l’origine du Fils pour voir si l’amour dont le Père aime le Fils est le principe de cette origine ou s’il procède de celle-ci.

L’amour en Dieu, s’entend de deux manières. Ou bien essentiellement, et il s’agit de l’amour dont s’aiment pareillement le Père, le Fils et le Saint Esprit ; ou bien notionnellement ou personnellement, et il s’agit alors de l’Esprit Saint qui procède comme amour. Mais ce n’est entendu d’aucune de ces deux manières que l’amour peut être principe de l’origine du Fils. En effet, pris essentiellement, l’amour implique un acte de volonté; si donc il était principe de l’origine du Fils, il s’ensuivrait que le Père aurait engendré le Fils par volonté et non par nature, ce qui est erroné. Il ne s’agit pas non plus de l’amour pris notionnellement, qui s’entend de l’Esprit Saint, car il s’ensuivrait que l’Esprit Saint serait le principe du Fils, ce qui est erroné; du reste, aucun hérétique n’a dit cela. Car bien que l’amour pris notionnellement soit principe de tous les biens qui nous sont donnés par Dieu, il n’est cependant pas principe du Fils, mais procède plutôt lui-même du Père et du Fils.

La raison de l’origine et de la grandeur de la puissance du Fils ne se prend donc pas de l’amour comme principe, mais comme signe. En effet, puisque la similitude est cause de l’amour (car tout vivant aime son semblable), là où se trouve une similitude parfaite de Dieu, se trouve aussi un amour parfait de Dieu. Or la similitude parfaite du Père est dans le Fils: Il est l’image du Dieu invisible 28, le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance 29. Le Fils est donc parfaitement de bonté dans les réalités. Voilà l’amour divin n’a pas permis fécondité. Il nous faut donc Fils pour voir si l’amour dont le principe de cette origine, ou L’amour, en Dieu, s’entend bien essentiellement, et il s’agit pareillement le Père, le Fils et pourquoi Denys dit que à Dieu de rester sans considérer l’origine du le Père aime le Fils est s’il procède de celle-ci de deux manières. Ou de l’amour dont aiment l’Esprit Saint; ou bien-aimé du Père; et s’Il L’aime parfaitement, c’est donc le signe que le Père Lui a montré toutes choses et qu’Il Lui a communiqué sa puissance et sa nature. C’est de cet amour qu’il est dit plus haut: Le Père aime le Fils, et Il a tout remis dans sa main 30, et: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance 31.
25. Prov. 8, 30.
26. Ps 134, 6.
27. Voir Les Noms divins, ch. 6, § 2-3, PG 3, col. 856 C -857 B (pp. 138-140 in Oeuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite).
28. Col 1, 15.
29. He 1, 3.


754. A propos de ce qui suit: IL LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT, il faut savoir qu’on peut montrer ses oeuvres à quelqu’un de deux manières. Ou bien par la vue, comme un artisan montre à son disciple ce qu’il fait; ou bien par l’ouïe, comme quand il l’instruit par la parole. Toutefois, prendre "montrer" en l’un ou l’autre de ces deux sens peut entraîner un double man que de perfection qui cependant n’existe pas dans l’acte par lequel le Père montre au Fils. En effet, si on dit que le Père montre au Fils par la vue, il s’ensuit ce qui a lieu dans les réalités de ce monde: montrer quelque chose par la vue implique qu’on l’ait réalisé auparavant et qu’on l’ait fait indépendamment de celui à qui on le montre. Mais le Père ne montre pas au Fils ce qu’Il a fait auparavant, puisque le Fils Lui-même [la Sagesse] dit: Le Seigneur m’a possédée au commence ment de ses voies, avant de faire quoi que ce Soit, dès l’origine 32 ; et le Père ne montre pas non plus au Fils ce qu’Il a fait indépendamment de Lui: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 33.

Si maintenant on prend "montrer" au sens de montrer par l’ouïe, deux manques de perfection semblent en découler. En effet, d’une part celui qui enseigne par la parole montre à un ignorant, et d’autre part la parole est intermédiaire entre lui et celui à qui il montre.

Or rien de cela ne peut s’appliquer à l’acte par lequel le Père montre au Fils ce qu’Il fait; en effet Il ne montre pas au Fils comme à un ignorant, puisque le Fils est la Sagesse du Père — Le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 34 —, ni par aucun autre verbe [parole] intermédiaire, puisque le Fils Lui-même est le Verbe du Père: Le Verbe était auprès de Dieu 35.

On dit donc que le Père MONTRE AU FILS TOUT CE QU’IL FAIT en tant qu’Il Lui communique la con naissance de toutes ses oeuvres, comme on dit que le maître montre à son disciple en tant qu’il lui donne la connaissance de ce qu’il fait. C’est pourquoi, selon Augustin, pour le Père, montrer au Fils n’est autre qu’engendrer le Fils, et pour le Fils, voir ce que fait le Père n’est rien d’autre que recevoir du Père son être et sa nature 36.

On peut cependant dire que cet acte de montrer est semblable à l’acte de montrer par la vue, en tant que le Fils Lui-même est la splendeur de la vision du Père, comme le dit l'Epître aux Hébreux 37. En effet le Père, en se voyant et en se connaissant, conçoit le Fils qui est Lui-même le fruit conçu par cette vision. On peut égale ment dire que cet acte est semblable à celui qui montre par l’ouïe, en tant que le Fils procède du Père comme Verbe. Ainsi, dire que le Père MONTRE AU FILS TOUT CE QU’IL FAIT, c’est dire qu’Il Le produit comme sa splendeur et le fruit conçu par sa Sagesse, et comme son Verbe. Donc, quand le Christ dit: IL LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT, les paroles IL LUI MONTRE se rapportent à ce qu’Il a dit plus haut: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE; et TOUT CE QU’IL FAIT se rapporte à ce qu’Il a dit ensuite TOUT CE QUE CELUI-CI, c’est-à-dire le Père, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, LE CHRIST, JUGE ET DONATEUR DE VIE
30. Jean 3, 35.
31. Mt 3, 17.
32. Prov 8, 22.
33. Jean 1, 3.
34. 1 Cor 1, 24.
35. Jean 1, 1.
36. Tract. in b. XX, 8, XXI, 4 et XXIII, 11, pp. 249, 277-279 et 391.
37. Cf. He 1, 3.




Jean 5, 20b-25: LE CHRIST DONATEUR DE VIE

36 Jn 5,20-25




20b" Et Il Lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, de sorte que vous serez vous-mêmes dans l’étonnement. 21 Car, comme le Père relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils fait vivre qui Il veut. Car le Père ne juge personne, mais Il a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui L’a envoyé. 24 amen je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. Amen, amen je vous le dis, l’heure vient, et c’est maintenant, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. "

755. Après avoir montré la puissance du Fils en général [n° 7441, le Seigneur va la montrer maintenant de manière précise: en manifestant d’abord la puissance qu’Il a de donner la vie [n° 755], puis en explicitant quelques paroles qui semblaient obscures [n° 781].Concernant le premier point, le Seigneur montre d’abord que le Fils a la puissance de donner la vie [n° 755], puis II enseigne la manière de recevoir de Lui la vie [n° 770].



I

ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT.

CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. CAR LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE.

La puissance qu’a le Fils de donner la vie, le Seigneur la manifeste en la désignant d’abord d’une façon générale [n° 756], puis de manière plus précise [n° 761]. Il s’explique ensuite [n° 762] et montre enfin l’effet qui provient de cette puissance [n° 764].



ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEME5 DANS L’ETONNEMENT.

CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT.

756. Le Seigneur manifeste la puissance qu’Il a de donner la vie d’une façon générale en disant: IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, comme s’Il disait Vous êtes étonnés et trou blés par la puissance du Fils dans la guérison de l’infirme, mais le Père LUI MONTRERA DES OEUVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans la résurrection des morts, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT.

757. Cependant, ces paroles du Christ soulèvent une double difficulté. En premier lieu à propos du futur IL MONTRERA 1. En effet, ce qu’on a dit plus haut — que le Père MONTRE au Fils TOUT CE QU’IL FAIT — se rapporte à la génération éternelle. Comment dit-Il donc ici IL MONTRERA, puisque le Fils est coéternel au Père et que, dans l’éternité, il n’y a pas de futur? En second lieu à propos de ce qui suit: DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT. En effet, si c’est pour que les Juifs soient étonnés que le Père doit montrer toutes choses au Fils, Il les Lui montrera alors en même temps qu’à eux — autrement, ne voyant pas, ils ne seraient pas dans l’étonnement —, alors que cependant le Fils aura vu toutes choses de toute éternité auprès du Père.

758. Il y a trois manières de résoudre cette double difficulté: la première, indiquée par Augustin 2, est que cette manifestation à venir concerne les disciples. C’est en effet une manière de parler habituelle au Christ de parfois s’attribuer, comme fait à Lui-même, ce qui est fait à ses membres — Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait 3. Il faut alors comprendre ceci: Vous, vous avez vu le Fils accomplir de grandes choses dans la guérison de l’infirme, et vous êtes dans l’étonnement; mais le Père LUI MONTRERA DES OEUVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans ses membres, c’est-à-dire dans ses disciples: Celui qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes 4. Le Christ ajoute donc: DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT: car à cause des miracles des disciples les Juifs furent dans un tel étonnement qu’un très grand nombre d’entre eux se convertit à la foi, ainsi que le rapportent les Actes des Apôtres 5.
1. Cf. SAINT AIJGUSTIN, Tract, in b. XIX, 4, BA 72, pp. 165-167. Voir aussi XXI, 5, pp. 279-281.
2. Op. cit., XXI, 7 et 9, pp. 285-291.


759. Une autre manière de résoudre la difficulté est, toujours selon Augustin 6, de comprendre que la manifestation se rapporte au Christ selon la nature qu’Il assume. Dans le Christ, en effet, il y a la nature divine et la nature humaine, et selon l’une et l’autre Il tient du Père sa puissance de donner la vie, mais de deux manières différentes; car selon la divinité, Il a la puissance de donner la vie aux âmes, mais selon la nature qu’Il assume Il donne la vie aux corps. C’est pour quoi Augustin dit que" le Verbe donne la vie aux âmes, mais le Verbe fait chair donne la vie aux corps" 7.En effet, la Résurrection du Christ et les mystères qu’Il a accomplis dans la chair sont causes de la résurrection future des corps — Dieu (...) nous a vivifiés dans le Christ (...) et nous a ressuscités avec Lui 8. Si le Christ est ressuscité, les morts aussi ressusciteront 9— . Mais la première manière de donner la vie, Il la possède de toute éternité, et c’est ce qu’Il a manifesté lorsqu’Il a dit précédemment: Et Il Lui montre tout ce qu’Il fait 10. Ces choses qu’Il Lui montre, Il les montre certes toutes à la chair, mais [successivement] dans le temps, et c’est à ce sujet qu’Il dit: ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, c’est-à-dire que son pouvoir sera manifesté en ce qu’Il fera des oeuvres plus grandes en ressuscitant des morts: certains dès maintenant, comme Lazare, la petite fille de Jaïre, le fils unique de la veuve 12, et tous enfin au jour du jugement.
3. Mt 25, 40.
4. Jean 14, 12.
5. Voir Ac 5, 14.
6. Op. cit., XXIII, 12, pp. 393-395.
7. Voir op. cit., XIX, 16, p. 209: "C’est maintenant l’heure pour les morts de ressusciter, à la fin du siècle ce sera'l’heure pour les morts de ressusciter; qu’ils ressuscitent maintenant dans l’esprit et alors dans la chair; qu’ils ressuscitent maintenant dans l’esprit par le Verbe de Dieu Fils de Dieu, qu’ils ressuscitent alors dans la chair par le Verbe de Dieu fait chair, le Fils de l’homme. "
8. Eph 2, 4-6.
9. Nous restituons ici, selon une correction de l’édition léonine, une phrase de saint Thomas qui exprime affirmativement ce que dit saint Paul de manière négative en 1 Corinthiens 15, 16 (l’édition Marietti, au lieu de cette phrase, cite 1 Corinthiens 15, 12).
10. in 5, 20.
11. Cf. SAINT AUGU5TIN, op. cit., XXIII, 12, p. 393" Il Lui montrera pour ainsi dire dans le temps, donc comme à un homme fait dans le temps, puisque, si le Verbe Dieu n’a pas été fait, Lui par qui tous les temps ont été faits, le Christ homme, Lui, a été fait dans le temps. "
12. Jean Il, 11-44; Mc 5, 21-43 (Lc 8,40-46 Mt 9,18-26); Luc 7, 12-17.


760. La troisième manière de résoudre la difficulté est de comprendre que cette manifestation se rapporte au Christ selon la nature divine, suivant cette manière de dire, habituelle à l'Ecriture, qu’une chose s’accomplit lorsqu’elle est connue, comme c’est le cas pour cette [n° 20h-parole: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre 13. En effet, bien que le Christ ait eu de toute éternité la plénitude de la puissance, parce que tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement 14, Il dit néanmoins que la puissance Lui a été donnée après la Résurrection, non qu’Il l’ait reçue seulement à ce moment-là, mais parce que, par la gloire de la Résurrection, elle s’est alors fait pleinement connaître. D’après cela, Il dit donc que la puissance Lui a été donnée en ce sens qu’Il l’exerce dans une oeuvre, de telle sorte qu’Il dit: ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES, c’est-à-dire qu’Il manifestera, en l’exerçant, la puissance qui Lui a été donnée, et cela à vous qui serez dans l’étonnement, quand Celui qui vous semble n’être qu’un homme apparaîtra comme étant un homme revêtu de la puissance divine et Dieu Lui-même. Le terme "montrer" doit être pris ici comme un terme exprimant la vision, selon ce que nous avons expliqué plus haut [n° 750].

761. Ensuite par ces paroles: CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, le Seigneur montre de manière plus précise la puissance qu’Il a de donner la vie, en faisant connaître ce que sont ces OEUVRES PLUS GRANDES que le Père montrera au Fils.

Il faut savoir ici que la puissance divine, dans l’Ancien Testament, se révèle principalement dans le fait que Dieu est l’auteur de la vie: C’est le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre  15— C’est moi qui fais mourir et moi qui fais vivre 16. Et cette puissance, le Fils l’a comme le Père et c’est pourquoi Il dit: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT — comme pour dire: Voici quelles sont les oeuvres plus grandes que le Père montrera au Fils: donner la vie aux morts. Il est clair que ce sont là des oeuvres beaucoup plus grandes, car la résurrection d’un mort est plus que la guérison d’un malade Le Fils fait donc VIVRE QUI IL VEUT à la fois en donnant aux vivants la première vie et en ressuscitant les morts. Toutefois ne pensons pas que certains soient ressuscités par le Père, d’autres par le Fils: ceux-là mêmes que le Père ressuscite et fait vivre, le Fils les ressuscite et les fait vivre. Car, de même que le Père opère toutes choses par le Fils qui est sa puissance 18, de même aussi Il fait vivre toutes choses par le Fils qui est la vie 19 — Moi je suis le chemin, la vérité et la vie 20. Cependant, Il ne ressuscite pas les morts ni ne leur donne la vie par le Fils comme par un instrument, car alors le Fils n’au rait pas été établi juge de l’exercice de sa puissance. Aussi, afin d’exclure cela, le Christ dit-Il: LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, c’est-à-dire qu’il appartient au bon plaisir de sa puissance de faire vivre QUI IL VEUT. Car le Fils ne veut rien d’autre que ce que veut le Père en effet, comme Ils n’ont qu’une substance, ainsi n’ont Ils qu’une volonté, et c’est pourquoi le Christ peut dire Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux? 21
13. Mt 28, 18.
14. in 5, 19.
15. 1 Sam 2, 6.
16. Deut 32, 39.



CAR LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE.

762. Le Seigneur explique ici ses paroles en manifestant sa puissance. Mais il faut noter qu’on a donné de ce verset et du suivant deux interprétations: l’une est d’Augustin, l’autre, d’Hilaire et de Chrysostome 22.

Voici celle d’Augustin. Le Seigneur avait dit plus haut que, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... Mais de peur que l’on ne comprenne qu’il s’agit ici de la résurrection des morts par laquelle Il en a ressuscité certains à cette vie pour la manifestation d’un miracle, et non pour la vie éternelle, Il les amène à la considération plus élevée de l’autre résurrection, celle qui aura lieu lors du jugement à venir. C’est pourquoi Il fait spécialement mention du jugement en disant: LE PERE NE JUGE PERSONNE 23.

Dans le même sens, mais d’une autre manière, on peut, toujours d’après Augustin 24, rattacher ce verset au précédent, de sorte que celui-ci: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... se réfère à la résurrection des âmes que le Fils accomplit en tant qu’Il est le Verbe, tandis que le suivant: LE PERE NE JUGE PERSONNE se réfère à la résurrection des corps qu’Il accomplit en tant qu’Il est le Verbe fait chair. En effet, la résurrection des âmes est réalisée par la substance du Père et du Fils, et c’est pourquoi Il nomme le Père et le Fils en disant: COMME LE PERE..., AINSI LE FILS...; tandis que la résurrection des corps s’opère grâce à l’économie de son humanité, qui n’est pas coéternelle au Père, et c’est pourquoi Il attribue le jugement au seul Fils 26.
17. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 5, XXI, 6 et XXIII, 12, pp. 167, 283 et 393-395. Cf. également SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., 38, ch. 4, PG 59, col. 218.
18. Cf. 1 Corinthiens 1, 24.
19. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 5, p. 167.
20. Jean 14, 6.
21. Mt 20, 15.
22. Voir n° 768.
23. Cf. SAINT ATJGUSTIN, op. cit., XXI, 11, p. 295" de peur que nous n’entendions cette parole de la résurrection des morts opérée en vue d’un miracle (ad miraculum) et non pour la vie éternelle, Il poursuit: Car le Père ne juge personne... " En disant ad ostensionem miraculi là où saint Augustin disait simplement ad miraculum, saint Thomas semble vouloir insister sur l’aspect de manifestation inhérent au miracle.
24. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXIII, 12-13, p. 393-397. Voir aussi XIX, 15. 16, p. 207-209.


763. Mais remarquez l’étonnant changement des expressions 27: en effet, l’Evangile nous montre d’abord le Père agissant et le Fils se reposant, lorsqu’il est dit Le Fils ne peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père 28; ici au contraire il nous montre le Fils agissant et le Père se reposant: LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. Par là nous est donné à entendre que le Christ parle ici d’une manière et là d’une autre. Là Il parle de l’opération qui est commune au Père et au Fils, et c’est pourquoi Il dit que le Fils ne peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père; tandis qu’ici Il parle de l’opération par laquelle, en tant qu’homme, le Fils juge, et non le Père, et c’est pourquoi Il dit que le Père A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. En effet, le Père n’apparaîtra pas lors du jugement, parce que, selon la justice, Dieu ne peut apparaître dans sa propre nature à tous ceux qui doivent être jugés: car, la vision de Dieu étant notre béatitude, si les méchants Le voyaient dans sa propre nature, ils seraient de ce fait bienheureux 29. Donc, le Fils seul apparaîtra, Lui qui seul a assumé notre nature. Il jugera seul, Lui qui seul apparaîtra à tous, et cependant par l’autorité du Père. C’est Lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts 30. — Dieu, donne au roi ton jugement, et ta justice au fils du roi 31.

764. En disant ensuite AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE, le Christ montre l’effet qui provient de la puissance du Fils. Pour cela Il dit d’abord quel fruit découle de cette puissance [n° 765], puis Il exclut la contradiction [n° 766].

765. Il dit donc: LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS selon sa nature humaine, parce que dans son Incarnation le Fils s’est anéanti, prenant la condition d’esclave 32 dans laquelle Il a été déshonoré par les hommes: Moi j’honore mon Père et vous, vous me déshonorez 33. Le jugement Lui a donc été remis dans la nature même qu’Il a assumée, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. En effet, ils verront alors le Fils de l’homme venir dans une nuée avec grande puissance et majesté 34. — Tous les anges (...) tombèrent sur la lace devant le trône et adorèrent Dieu en disant: Amen, bénédiction, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu dans les siècles des siècles. Amen 35.
25. Jean 1, 14.
26. Cette dernière phrase est une citation presque textuelle de saint Augustin" La résurrection des âmes est réalisée par la substance éternelle et immuable du Père et du Fils, tandis que la résurrection des corps s’opère grâce à l’économie de l’humanité du Fils, qui est temporelle et non coéternelle au Père... " (op. cit., XXIII, 13, p. 395). " Grâce à l’économie de l’humanité du Fils, [qui est temporelle", traduit: per dispensationem humanitatis Fuji temporalem. Le terme latin dispensatio traduit le terme grec oikonomia (Ep 1,10 Ep 3,2 et Ep 9 Col 1,25). Saint Thomas lui-même définit la dispensatio comme la distribution mesurée, à chacun en particulier, de quelque chose de commun. Ainsi le chef de famille, le maître de maison, qui répartit avec discernement et mesure les tâches et ce qui est nécessaire à la vie, est le" dispensateur" (cf. Somme théol., I-II, q. 97, a. 4, e.). La "dispensation" est donc soit le fruit de l’acte du dispensateur, soit la puissance qu’il a de dispenser, et c’est ce que le terme signifie ici. Le Christ a en effet, dans son humanité, la puissance de juger et de donner la vie éternelle, parce qu’Il est la tête de l’Eglise (cf. Somme théol., III, q. 59, a. 2, e.). La puissance de donner la vie aux corps Lui est attribuée en propre parce qu’Il est la cause immédiate de ce don (cf. III, q. 56, a. 1, c et ad 2; Suppl., q. 76, a. 1, e), alors qu’Il en est la cause ultime en tant que Dieu (cette puissance revient alors tant au Fils qu’au Père). Le Christ a donc la puissance de donner la vie aux corps" par la dispensation de son humanité".
27. Ce numéro reprend partiellement le commentaire de saint Augustin en le précisant: cf. Tract. in la. XXI, 12, pp. 297-301; XIX, 16, pp. 209-213.
28. Jean 5, 19.
29. Voir SAINT AUGUSTIN, Sermones de Scripturis, 127, ch. 7,
10, PL 38, col. 711, et ci-dessous, n° 789.
30. Ac 10, 42.
31. Ps 71, 1-2.


766. Quelqu’un pourrait peut-être dire: "Je veux honorer le Père et ne pas me soucier du Fils. " Mais ce n’est pas possible, car celui QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE. En effet, autre chose est d’honorer Dieu parce qu’Il est Dieu, autre chose d’honorer le Père. Car on peut bien honorer Dieu en tant que Créateur, tout-puissant et immuable, sans honorer le Fils. Mais honorer Dieu comme Père, nul ne le peut sans honorer le Fils, car Il ne peut être appelé Père s’Il n’a pas de Fils. Mais si tu déshonores le Fils en diminuant sa puissance, tu déshonores aussi le Père: en effet, quand tu diminues la puissance du Fils, tu supprimes la puissance du Père 36.
32. Phi 2, 7.
33. Jean 8, 49.
34. Le 21, 27.
35. Ap 7, 11-12.
36. Ce paragraphe continue à exposer l’interprétation de saint Augustin: cf. op. cit., XIX, 6, pp. 171-173.
37. Op. cit., XXIII, 13, p. 397.


767. Saint Augustin donne encore une autre interprétation, qui est la suivante 37. Un double honneur est dû au Christ: l’un Lui est dû en raison de sa divinité, à cause de laquelle on Lui doit un honneur égal à celui qui est dû au Père, et c’est pourquoi Il dit: AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. Un autre Lui est dû en raison de son humanité, mais il n’est pas égal à celui qui est dû au Père; et c’est en parlant de cet honneur que le Christ dit QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE. Voilà pourquoi, dans la première partie du verset, Il dit expressément COMME, de même qu’Il dira: Qui vous rejette me rejette, et qui me rejette, rejette Celui qui m’a envoyé 38 ; tandis qu’ici Il ne dit pas COMME, mais Il dit, purement et simple ment, que le Fils doit être honoré.

768. Hilaire 39 et Chrysostome 40 donnent une explication plus proche de la lettre, qui apporte peu de changement. Le Seigneur a dit plus haut: LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. Quiconque fait quelque chose en vertu du libre arbitre de sa volonté agit par son propre jugement. Or il a été dit plus haut que tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement 41. Le Fils possède donc à l’égard de toutes choses le libre arbitre de la volonté, parce qu’Il procède suivant son propre jugement. C’est pourquoi Il fait aussitôt mention du juge ment en disant: LE PERE NE JUGE PERSONNE, c’est-à-dire indépendamment du Fils. Et cette manière de parler, le Seigneur en a usé plus loin: Je ne le juge pas, moi, c’est-à-dire moi seul, mais la parole que j’ai dite, c’est elle qui le jugera au dernier jour 42. MAIS LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS, de même qu’Il Lui a tout donné. En effet, comme Il Lui a donné la vie et L’a engendré vivant, ainsi Il Lui a donné tout jugement et L’a engendré juge: Comme j’entends, je juge 43. C’est-à-dire, comme je tiens l’être du Père, ainsi je tiens de Lui le jugement. La raison en est que le Fils n’est autre, comme on l’a dit plus haut, que le fruit conçu par la Sagesse du Père 44. Or chacun juge par ce que conçoit sa sagesse. C’est pourquoi, comme le Père fait toutes choses par le Fils, ainsi juge-t-Il toutes choses par Lui; et en voici le fruit: AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, c’est-à-dire qu’ils Lui rendent un culte de latrie 45, comme au Père. Pour le reste, leurs explications ne diffèrent pas de celles d’Augustin.
38. Le 10, 16.
39. Voir De Trin., VII, 20, VIII, 43 et IX, 50, CCL vol. LXII et LXII A, pp. 281-282, 356 et 427.
40. In loannem hom., 38, eh. 4 et 39, eh. 1, col. 218 et 220.
41. Jean 5, 19.
42. Jean 12, 47-48.


769. Mais, selon Hilaire 46, il faut considérer l’admirable enchaînement des paroles afin de réfuter les erreurs concernant la génération éternelle. Deux hérésies, en effet, se sont élevées au sujet de la génération éternelle elle-même. L’une, celle d’Arius 47 disait que le Fils est inférieur au Père, ce qui s’oppose à l’égalité et à l’unité; l’autre, celle de Sabellius 48, soutenait qu’il n’y a pas de distinction des Personnes en Dieu, ce qui s’oppose à l’origine. Et c’est pourquoi, partout où il fait mention de l’unité et de l’égalité des Personnes, l’Evangéliste affirme aussitôt la distinction de celles-ci selon l’origine, et inversement. Ainsi, parce qu’il indique l’origine des Personnes en disant: le Fils ne peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père, pour qu’on ne croie pas à une inégalité, il ajoute aussi tôt: Tout ce que Celui-ci fait, cela le Fils aussi le fait pareillement 49. Et inversement, lorsqu’il indique l’égalité des Personnes en disant: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, afin qu’on ne doute pas de l’origine du Fils et de sa génération, il ajoute: LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A REMIS TOUT JUGE MENT AU FILS. De même, lorsqu’il exprime l’égalité des Personnes en disant: AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, il parle aussitôt après de la mission dans laquelle l’origine est manifestée, en disant: QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE, sans se séparer de Lui. Entendez bien mission, et non pas séparation: Celui qui m’a envoyé est avec moi, et Il ne m’a pas laissé seul 50.
49. Jean 5, 19.
50. Jean 8, 29.




II

AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE A LA VIE ETERNELLE ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT,

MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE. AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.

770. Plus haut, le Seigneur a montré qu’Il a la puissance de donner la vie [n° 755]; ici, Il montre la manière dont on peut participer de Lui la vie. Il expose d’abord la manière dont, par Lui, on participe la vie [n° 771], puis Il annonce à l’avance la réalisation de cette participation [n° 778].
43. Jean 5, 30.
44. Cf. n° 754.
45. Le culte de latrie est celui qui est dû à Dieu seul.
46. Voir De Trin., VII, 17-18 et 20, pp. 278-279 et 281-284.
47. Cf. ci-dessus, n° 742, note 73.
48. Cf. ci-dessus, n° 749, note 13.



AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE A LA VIE ETERNELLE ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT, MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE.

771. Au sujet de la participation de la vie, il faut avoir présent à l’esprit qu’il y a quatre degrés de vie. Le premier se trouve dans les végétaux qui se nourris sent, croissent, sont engendrés et engendrent; le second dans les animaux qui n’ont que la sensation; le troisième dans les animaux qui se meuvent et qui sont les animaux parfaits; le dernier, et c’est vraiment un autre degré de vie, se trouve dans ceux qui sont doués d’intelligence. Parmi tous ces degrés de vie, il est impossible que la vie première soit celle des végétaux, ou même celle qui se caractérise par la sensation ou par le mouvement; la vie première, en effet, doit être vie par elle-même, et non vie participée. Mais aucune vie ne peut être telle si ce n’est la seule vie intellectuelle: d’une part les trois autres sont communes à toutes les créatures corporelles même spirituelles, et d’autre part le corps qui vit n’est pas la vie elle-même, mais participe la vie. La vie intellectuelle est donc la vie première; c’est la vie de l’esprit qui est reçue immédiatement du premier principe de vie, et c’est pourquoi on l’appelle vie de sagesse. Ainsi l’Ecriture attribue la vie à la Sagesse : Celui qui m’aura trouvée trouvera la vie 51. C’est donc du Christ que nous participons la vie, Lui qui est la Sagesse de Dieu 52, dans la mesure où notre âme reçoit de Lui la sagesse.

Cette vie de l’intelligence atteint sa perfection dans la vraie connaissance de la Sagesse divine, qui est la vie éternelle La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Mais l’homme ne peut parvenir à aucune sagesse, si ce n’est par la foi: ainsi, personne n’atteint la sagesse dans les sciences s’il n’a d’abord cru aux dires d’un maître. Si donc nous voulons parvenir à cette vie de la Sagesse, il nous faut croire, par la foi, ce qui nous est révélé d’elle: Il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’Il est, et qu’Il récompense ceux qui Le cherchent 54. Et, d’après une version du texte d’Isaïe: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 55.

772. Aussi est-ce très justement que le Seigneur montre ici que c’est par la foi que l’on parvient à la vie. Il le fait d’abord en affirmant le mérite de la foi [n° 773], puis en montrant quelle est sa récompense [n° 774].

773. Au sujet du mérite de la foi, Il montre d’abord ce qui conduit à la foi, puis ce sur quoi elle s’appuie. Ce qui conduit à la foi, c’est la parole de l’homme: La foi vient de ce qu’on entend, et on entend par une parole du Christ 56. Mais la foi ne s’appuie pas sur la parole de l’homme, elle s’appuie sur Dieu Lui-même — Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 57. — Vous qui craignez le Seigneur, croyez en Lui 58. Ainsi nous sommes amenés par la parole de l’homme à croire, non à l’homme qui parle, mais à Dieu dont il dit les paroles — Ayant reçu la parole de Dieu que vous avez entendue de nous, vous l’avez reçue non comme la parole des hommes, mais (ainsi qu’elle l’est vraiment) comme la parole de Dieu 59. Le Seigneur montre donc d’abord ce qui conduit à la foi, en disant: CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, qui conduit à la foi; puis ce sur quoi elle s’appuie: ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE, c’est-à-dire non à moi, mais à Celui par la puissance de qui je parle.

Ces paroles peuvent convenir au Christ en tant qu’homme, puisque par sa parole humaine des hommes se convertirent à la foi. Elles Lui conviennent aussi en tant que Dieu, puisque le Christ est le Verbe de Dieu. En effet, puisque le Christ est le Verbe de Dieu, il est manifeste que ceux qui L’écoutaient écoutaient le Verbe de Dieu et par conséquent croyaient à Dieu. C’est bien ce qu’Il dit: CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, c’est-à-dire moi qui suis le Verbe de Dieu, ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE, c’est-à-dire au Père dont je suis le Verbe.
51. Prov 8, 35.
52. 1 Corinthiens 1, 24.
53 Jean 17, 3.
54. He 11, 6.
55. Isaïe 7, 9 (cf. ci-dessus, n° 600, note 65).
56. Ro 10, 17.
57. Gn 15, 6.
58. Sir 2, 8.


774. Le Christ indique ensuite quelle est la récompense de la foi, en disant que celui qui croit A LA VIE ETERNELLE. Et Il montre les trois biens que nous posséderons dans la gloire, mais Il les donne dans l’ordre inverse. En effet, nous obtiendrons d’abord la résurrection d’entre les morts, puis nous serons libérés du jugement à venir, et enfin nous entrerons dans la vie éternelle; car, après le jugement, les justes s’en iront à la vie éternelle 60. Ces trois biens, le Seigneur montre qu’ils sont la récompense de la foi, et Il nomme le troisième en premier lieu, comme étant le plus désiré.

775. C’est pourquoi Il dit: CELUI QUI CROIT, c’est-à-dire par la foi, A LA VIE ETERNELLE qui consiste dans la pleine vision de Dieu. Il est juste en effet que celui qui, à cause de Dieu, croit aux réalités qu’il ne voit pas, soit conduit à leur pleine vision — Cela a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom 61.
59. 1 Th 2, 13.
60. Mt 25, 46.


776. Le Seigneur mentionne ensuite le second bien en disant: ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT. Mais à cette parole semble s’opposer celle de l’Apôtre: Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal du Christ 62, jusqu’aux Apôtres eux-mêmes; il semble donc que celui qui croit viendra en jugement.

A cela il faut répondre qu’il y a un double jugement. L’un est de condamnation, et à celui-là ne viendront pas ceux qui croient en Dieu d’une foi formée 63. C’est de ce jugement que parle le psaume: N’entre pas en juge ment avec ton serviteur, car en ta présence nul vivant ne sera justifié 64. — Celui qui croit en Lui [le Fils de Dieu] n’est pas jugé 65. Mais il y a aussi un jugement de discernement 66, pour lequel nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ, comme le dit l’Apôtre; et c’est de ce jugement qu’il est dit: Juge-moi, Seigneur, et discerne ma cause 67.

777. Le Seigneur mentionne enfin le troisième bien quand Il dit: MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE, ou IL PASSERA, selon une autre version. Ce qui peut s’expliquer de deux manières. D’abord en rapportant ces paroles à la résurrection de l’âme; le sens alors en est clair. Cela revient en effet à dire: non seulement par la foi on obtient la vie éternelle et on est libéré du jugement, mais on obtient aussi la rémission des péchés. C’est pourquoi Il dit: IL EST PASSE de l’incroyance à la foi, de l’injustice à la justice — Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie 68. Si maintenant on les rapporte à la résurrection des corps, ces paroles sont alors une explication de cette affirmation: IL A LA VIE ETERNELLE. On pourrait en effet, d’après cette affirmation, se figurer que celui qui croit en Dieu ne mourrait jamais, mais vivrait éternellement; ce qui ne peut être, car il faut que tous les hommes s’acquittent de la dette du premier péché — Quel est l’homme qui vivra et ne verra pas la mort? 69 Il ne faut donc pas comprendre que celui qui croit A LA VIE ETERNELLE comme s’il ne devait jamais mourir, mais que de cette vie IL PASSERA par la mort A LA VIE éternelle, c’est-à-dire que, à travers la mort du corps, il sera renouvelé pour la vie éternelle. Ou bien IL PASSERA, quant à la cause; car lorsque l’homme croit, il a déjà le mérite de la résurrection glorieuse — Tes morts vivront, mes cadavres ressusciteront 70. Et, affranchis alors de la mort du vieil homme, nous recevrons la vie de l’homme nouveau, c’est-à-dire du Christ.
61. Jean 20, 31.
62. 2 Co 5, 10.
63. Cf. ci-dessus, n° 485. note 24.
64. Ps 142, 2.
65. Jean 3, 19.
66. En latin: judicium discretionis. L’édition Marietti ajoute vel discussionis. Cf. ci-dessus, n° 483, n° 488 et note 40.
67. Ps 42, 1.





AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.

778. Parce que certains pourraient douter que l’on puisse passer de la mort à la vie, le Seigneur annonce la réalisation d’un tel passage en disant: Je dis qu’IL PASSERA DE LA MORT A LA VIE, et ceci se réalise déjà par avance. Et c’est ce qu’Il dit ici: AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, L’HEURE VIENT, non pas soumise à une nécessité fatale, mais déterminée à l’avance par Dieu — Voici venue la dernière heure 71. Et pour que nous ne la croyions pas éloignée, Il ajoute ET C’EST MAINTENANT L’heure est venue de nous réveiller de notre sommeil 72—, c’est-à-dire C’EST MAINTENANT l’heure OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.
68. 1 Jean 3, 14.
69. Ps 88, 49.
70. Isaïe 26, 19.


779. Ces paroles peuvent s’expliquer de deux manières. D’une première manière en les rapportant à la résurrection des corps. Elles signifient alors: il est vrai qu’au terme tous ressusciteront, mais il y a plus L’HEURE VIENT ET C’EST MAINTENANT, où certains que le Seigneur allait ressusciter, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Ainsi Lazare l’entendit lorsqu’il lui fut dit: Viens dehors 73 et qu’il revint à la vie; ainsi l’entendirent la fille du chef de la synagogue et le fils de la veuve 74. C’est pourquoi Il dit expressément: ET C’EST MAINTENANT en ce sens que, par moi, les morts commencent à être rendus à la vie.

On peut comprendre d’une autre manière, selon Augustin 75, en rapportant les paroles ET C’EST MAIN TENANT à la résurrection de l’âme. Il y a en effet, comme nous l’avons dit plus haut, une double résurrection celle des corps, qui sera et qui n’est pas encore, mais qui aura lieu lors du jugement à venir; et celle des âmes qui passent de la mort de l’incroyance à la vie de la foi, et de l’injustice à la justice; et celle-là se réalise déjà MAINTENANT. Aussi dit-Il: L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas et les pécheurs, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AU RONT ENTENDUE VIVRONT selon la vraie foi.
71. 1 Jean 2, 18.
72 Ro 13, 11.
73. Jean 11, 43.
74. Cf. ci-dessus, note 12. Voir à ce sujet THEOPHYLACTUS (archevêque de Bulgarie, XP siècle), Enarratio in Evangelium S. bannis, ch. 5, PG 123, col. 1271 D. Voir également ci-dessous, n° 787.
75. Tract, in b. XIX, 8-9 et XXII, 12, pp. 177-179 et 343-345.


780. Mais ces paroles impliquent deux choses étonnantes la première quand le Christ dit que les morts entendent, la seconde lorsqu’Il ajoute que par l’audition ils reviennent à la vie, comme si l’audition précédait la vie, alors que pourtant elle est un acte de la vie 76.

Mais si nous rapportons cela à la résurrection des corps, il est vrai que LES MORTS ENTENDRONT, c’est-à-dire obéiront A LA VOIX DU FILS DE DIEU 77. La voix, en effet, exprime ce que l’on conçoit intérieure ment. Or la nature tout entière obéit radicalement à ce que Dieu veut et conçoit — Il appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont 78. Ainsi ce sont les arbres et les pierres, et non pas seulement les os des séchés et les cendres des morts, qui ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, en ce sens que tous obéiront radicalement à son bon plaisir. Et cela ne convient pas au Christ en tant qu’Il est Fils de l’homme, mais en tant qu’Il est Fils de Dieu, parce que c’est au Verbe de Dieu que toutes choses obéissent. C’est pourquoi Il dit expressément: DU FILS DE DIEU — Quel est celui-ci, disaient-ils, pour que les vents et la mer lui obéissent ? 79

Même si on rapporte ces paroles à la résurrection des âmes, les difficultés s’expliquent en effet, la voix du Fils de Dieu, par laquelle Il meut le coeur des croyants, intérieurement par inspiration, ou extérieure ment par sa propre prédication ou celle des autres, a le pouvoir de donner la vie — Les paroles que je vous ai dites son esprit et vie 80—, et ainsi sa voix donne la vie aux morts lorsqu’elle justifie les impies. Ainsi, par ce que la voie qui mène à la vie est l’audition, qu’elle soit celle de la nature qui, en obéissant, mène à la restauration de la nature, ou celle de la foi qui mène à la restauration de la vie et de la justice, Il dit: ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE, par l’obéissance quant à la résurrection des corps, ou par la foi quant à la résurrection des âmes, VIVRONT dans leurs corps dans la vie éternelle, et dans la justice dans la vie de la grâce.
76. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 10, p. 183.
77. Loc. cit.
78. Ro 4, 17.
79. Mt 8, 27.


80. Jean 6, 64.



Jean 5, 26-30: LE CHRIST, FILS DE L’HOMME ET FILS DE DIEU

37
Thomas sur Jean 35