Thomas sur Jean 47

47 Jn 6,60-71




61 Mais beaucoup de ses disciples, l’ayant entendu, dirent: "Cette parole est dure; qui peut l’entendre?" 62 Or Jésus, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit: "Cela vous scandalise? 63 Si donc vous voyiez le Fils de l’homme montant où il était auparavant! C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. 65a Mais il en est quelques-uns parmi vous qui ne croient pas. "65b Jésus en effet connaissait dès le commencement ceux qui croyaient, et qui devait le trahir. 66 Et il disait: "C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne veut venir à moi si cela ne lui a été donné par mon Père. " Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent et ils n’allaient plus avec lui. 68 Jésus donc dit aux Douze: "Et vous, voulez-vous aussi vous en aller?" Simon-Pierre lui répondit: "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle; nous, nous croyons et nous connaissons que tu es le Christ, le Fils de Dieu. " Jésus répondit: "N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze? Cependant, l’un de vous est un diable. " Il par lait de Judas Iscariote, fils de Simon; car c’était lui qui devait le trahir, bien qu’il fût l’un des Douze.

983. Après avoir mis fin au litige des Juifs et à leur mur mure [n° 929], le Seigneur apaise le scandale des disciples. L’Evangéliste expose le scandale des disciples qui se retirèrent [n° 983], puis il porte son attention sur l’attachement sans réserve des disciples qui demeurent [n° 999].


I

MAIS BEAUCOUP DE SES DISCIPLES, L’AYANT ENTENDU, DIRENT: "CETTE PAROLE EST DURE;

QUI PEUT L’ENTENDRE?" OR JÉSUS, SACHANT EN LUI-MÊME QUE SES DISCIPLES MURMURAIENT À CE SUJET, LEUR DIT: "CELA VO US SCANDALISE? SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTANT OÙ IL ÉTAITAUPARAVANT? C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES SONT ESPRIT ET VIE. MAIS IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS. "JÉSUS EN EFFET CONNAISSAIT DÈS LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAIT LE TRAHIR ET IL DISAIT: "C’EST POURQUOIJE VOUS AIDIT QUE NUL NE PEUT VENIR À MOI SI CELA NE LUI A ÉTE DONNÉ PAR MON PÈRE. "DÈS LORS, BEA UCOUP DE SES DISCI PLES SE RETIRÈRENT ET ILS N’ALLAIENT PLUS AVEC LUI

A propos de ceux qui se retirent, l’Évangéliste expose leur scandale [n° 984], puis la bienveillance avec laquelle le Christ le fait cesser [n° 985], enfin leur obstination dans l’incrédulité [n° 998].

MAIS BEAUCOUP DE SES DISCIPLES, L’AYANT ENTENDU, DIRENT: "CETTE PAROLE EST DURE; QUI PEUT L’ENTENDRE?"

984. A propos du scandale des disciples, il faut savoir que nombreux étaient ceux qui, dans le peuple juif, adhéraient au Christ en croyant à lui et le suivaient, sans avoir cependant tout quitté comme les Douze, et tous étaient appelés disciples. C’est d’eux que l’Evangéliste dit: BEAUCOUP [de ceux] qui, dans le peuple, croyaient à lui, L’AYANT ENTENDU sur ce qu’il avait dit plus haut, DIRENT: "CETTE PAROLE EST DURE. "C’est d’eux qu’il est dit: Ils croient pour un temps, mais au temps de la tentation ils se retirent 145 et il dit BEAUCOUP parce que le nombre des insensés est infini, et que beaucoup sont appelés, mais peu sont élus 146.

Ils dirent donc: CETTE PAROLE EST DURE. On appelle dur ce qui ne se divise pas facilement et qui oppose une résistance. Une parole est donc dure parce qu’elle résiste soit à l’intelligence, soit à la volonté, lorsque nous n’arrivons pas à la saisir par l’intelligence ou qu’elle ne plaît pas à la volonté. Et de ces deux manières, cette parole leur était dure. D’une part pour l’intelligence, parce qu’elle excédait de beaucoup la faiblesse de leur intelligence 147. Comme ils étaient soumis à la chair, ils ne pouvaient saisir ce que le Christ avait affirmé: qu’il leur donnerait sa chair à manger. Dure d’autre part pour la volonté parce qu’il a dit beaucoup sur la puissance de sa divinité. Et même si dans leur foi ils le tenaient pour un prophète, ils ne le croyaient pas Dieu. Et c’est pourquoi il leur semblait qu’il parlait de lui-même avec exagération: Les lettres sont sévères et fortes, dit-on à propos des épîtres de saint Paul 148; et la sagesse est extrêmement amère aux hommes ignorants 149. D’où leur réaction: QUI PEUT L'ENTENDRE? Ils disent cela pour s’excuser. En effet, du fait qu’ils s’étaient donnés à lui, ils devaient l’écouter; mais parce qu’il ne leur enseignait pas des choses qui leur plaisaient, ils voulaient susciter une occasion de partir: Le sot ne recevra pas les paroles de prudence, à moins que tu ne lui dises celles qui suivent la pente de son coeur 150.
145. Luc 8, 13. Sur l’expression "croyaient à lui" (credentes ei), voir n° 901 et note 28.
I Qo 1, 5etMt2O, 16;22, 14.
147. Saint Thomas reprend cette explication, ainsi que le développement de ce paragraphe, à saint Jean Chrysostome: In Ioannem hom., 47, ch. 2, col. 264.


985. L’Évangéliste expose ensuite la bienveillance avec laquelle le Christ apaise le scandale, qu’il dénonce et manifeste [n° 986] et dont il écarte ensuite la cause invoquée [n° 988] pour en indiquer la véritable cause [n° 994].


OR JÉSUS, SACHANT EN LUI-MÊME QUE SES DISCIPLES MURMURAIENT À CE SUJET, LEUR DIT: "CELA VOUS SCANDALISE?

986. Il dénonce le scandale parce qu’ils avaient dit CETTE PAROLE EST DURE à voix basse pour ne pas être entendus de lui. Mais lui qui, par la puissance de sa divinité, connaissait ce qu’ils disaient, le dévoile: JESUS, SACHANT EN LUI-MEME ce qu’ils disaient en eux-mêmes 151, à savoir QUE SES DISCIPLES MURMURAIENT A CE SUJET n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage au sujet de l’homme: il savait, lui, ce qu'il y a dans l’homme 152. Dieu scrute les coeurs et les reins 153: Il LEUR DIT: "CELA VOUS SCANDALISE? comme s’il disait: vous ne devez pas en être scandalisés. Ou bien on peut lire dans ces paroles un désir d’apaiser, comme s’il disait: Je sais que vous êtes scandalisés — Il sera pour nous, ceux qui croient au Christ, une cause de sanction, mais une pierre où l’on achoppe, un rocher où l’on trébuche (petra scandali), pour les deux maisons d’Israël 154, c’est-à-dire pour les disciples qui murmurent et pour les foules.
148. 2 Co 10, 10.
149. Sir 6, 21.
150. Prov 18, 2.
151. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in la., XXVII, 3, p. 537.
152. Jean 2, 25.
153. Ps 7, 10.


987. Mais puisque les docteurs doivent éviter le scandale de ceux qui les écoutent, pourquoi le Seigneur leur propose-t-il des vérités de foi telles qu’ils soient scandalisés et se retirent?

Je réponds en disant que la nécessité de la doctrine exigeait que le Seigneur leur proposât de telles choses. Ils le pressaient vivement, en effet, de leur procurer une nourriture corporelle alors qu’il était venu pour conduire au désir de la nourriture spirituelle. Voilà pourquoi il était nécessaire qu’il leur proposât l’enseignement sur la nourriture spirituelle. Leur scandale n’était cependant pas causé par une faille de l’enseignement du Christ, mais par leur incrédulité. Si, en effet, étant soumis à la chair, ils ne comprenaient pas les paroles du Seigneur, ils pouvaient l’interroger comme les Apôtres le firent ailleurs. C’est à dessein, selon Augustin, que le Seigneur permit cela, pour donner à ceux qui enseignent bien une cause de patience et de consolation face aux détracteurs de leurs paroles, puisque même les disciples ont osé dénigrer les paroles du Christ 155.

988. Le scandale avait été occasionné par la personne qui avait parlé et par les paroles qu’elle avait dites, comme le dit Chrysostome 156. C’est pourquoi le Christ écarte l’occasion du scandale d’abord quant à sa personne [n° 989], puis quant à ses paroles [n° 992].
154. Isaïe 8, 14.
155. Nous n’avons pas trouvé de texte plus proche de cette allusion que le commentaire que saint Augustin fait sur lev. 67 "Peut-être cela est-il advenu pour notre consolation... [Christ] n’était pas troublé parce qu il savait dès le commencement ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas. Pour nous, en pareil cas, nous sommes tout bouleverses. Trouvons notre consolation dans le Seigneur" (Tract. mb., XXVII, 8, p. 553).
156. hi Ioannem hoin., 47, ch. 2, col. 265.



SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L'HOMME MON TANT OÙ IL ÉTAIT AUPARAVANT?

989. L’occasion du scandale fut qu’ils avaient entendu le Seigneur s’attribuer ce qui appartient à Dieu. Donc, parce qu’ils le tenaient pour le fils de Joseph, ils étaient scandalisés par ses propos. Afin d’écarter cette occasion de scandale, le Seigneur leur montre plus ouvertement sa divinité. Il dit en ce sens: "Vous êtes troublés par ce que j’ai dit de moi: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTANT OÙ IL ÉTAIT AUPARA VANT?" (ajoutons: "que diriez-vous?") comme s’il disait: Pourriez-vous nier que je suis descendu du ciel et que c’est moi qui donne la vie éternelle? 157 Il avait fait de même avec Nathanaël; en effet, lorsque celui-ci lui eut dit: Tu es le roi d'Israël 158; il voulut l’élever à une connaissance plus parfaite en lui disant en ce sens: Tu verras des choses plus grandes que celles-ci 159. Ici aussi, il annonce quelque chose de plus grand à son sujet en disant: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L'HOMME MON TANT OÙ IL ÉTAIT AUPARAVANT? Or il est monté au ciel à la vue de ses disciples, ainsi que le rapporte les Actes 160. Si donc il est monté là où il était auparavant, c’est qu’auparavant il était au ciel: Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel 161.

990. Mais soyons attentifs: même si dans le Christ la personne du Fils de Dieu et du Fils de l’homme est la même, la nature est cependant autre. C’est pourquoi quelque chose lui convient en raison de l’humanité — monter — qui ne lui convient pas en raison de la divinité, selon laquelle il n’est pas de lieu où il puisse monter puisqu’il est éternellement au sommet le plus élevé de toutes choses — dans le Père. Mais selon la nature humaine, il lui convient de monter là OÙIL ÉTAIT AUPARAVANT — au ciel où il n’était pas selon cette nature. Ceci est contraire à l’erreur de Valentin 162, disant que le Christ avait pris un corps céleste. Ainsi donc, là où il était selon la divinité, il est monté, à la vue des Apôtres et par sa propre puissance, selon l’humanité: Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde; je quitte de nouveau le monde et je vais au Père 163.
157. Saint Thomas reprend à saint Jean Chrysostome ce principe important de la prédication du Christ en l’exprimant plus clairement.
158. Jean 1, 49.
159. Jean 1, 50.
160. Ac 1, 9: Et à ces mots, sous leurs regards, il fut élevé.
161. Jean 3, 13.
162. Cf. vol. I, p. 123, note 20.


991. Mais selon Augustin 164, ces paroles sont dites pour une autre raison. Il dit en effet que ceux-ci ont été scandalisés de ce que le Seigneur avait dit qu’il leur donnerait sa chair à manger: à l’éventualité, due à leur compréhension charnelle, de devoir la manger au sens littéral comme une chair d’animal, ils ont été scandalisés. Et c’est pourquoi, écartant cette interprétation, il dit: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTER avec son corps intact OU IL ETAIT AUPARAVANT, ajoutons: diriez-vous que je voulais vous donner ma chair à manger comme celle des animaux?


C'EST L'ESPRIT QUI VIVIFIE, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES SONT ESPRIT ET VIE.

992. Il écarte ici l’occasion de scandale venant des paroles dites; et, selon Chrysostome 165, il distingue en premier lieu deux sens en ces paroles; il montre ensuite lequel leur convient.

Les paroles du Christ peuvent être comprises selon deux sens: selon le sens spirituel et selon le sens charnel. Et c’est pour cela qu’il dit: C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE, c’est-à-dire, si vous comprenez selon l’esprit les paroles que j’ai dites, autrement dit si vous en saisissez le sens spirituel, elles vous vivifieront. LA CHAIR NE SERT DE RIEN, c’est-à-dire, si vous les comprenez selon le sens charnel, elles ne vous servent à rien; au contraire, elles vous nuisent parce que, ainsi que le dit l’épître aux Romains, Si vous vivez selon la chair, vous mourrez 166. Et les paroles du Seigneur concernant sa chair donnée en nourriture sont comprises selon un sens charnel dès lors qu’elles sont prises dans leur consonance extérieure et en fonction de la nature de la chair. Et c’est de cette manière qu’ils les comprenaient, comme nous l’avons dit. Mais le Seigneur disait qu’il se donnerait à eux comme une nourriture spirituelle, non que dans le sacrement de l’autel ne soit pas la chair véritable du Christ, mais parce qu’on s’en nourrit selon un mode spirituel et divin. Ainsi, le sens convenable de ces paroles n’est pas charnel mais spirituel.

Voilà pourquoi il ajoute: LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES au sujet de ma chair donnée en nourriture SONT ESPRIT ET VIE, c’est-à-dire ont un sens spirituel, et ainsi comprises donnent la vie. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’el les aient un sens spirituel puisqu’elles sont de l’Esprit Saint: C’est l’Esprit qui dit les mystères 167. Et les mystères du Christ vivifient: Pour l’éternité je n’oublierai pas tes justifications, parce qu’en elles tu m’as fait vivre 168.
163. Jean 16, 28.
164. Tract, in Ioann., XXVII, 3, pp. 535-537.
165. Loc. cit. Chrysostome ne donne pas explicitement cette distinction, mais saint Thomas la tire de son commentaire.
166. Ro 8, 13.


993. C’est aussi, selon Augustin 169, en un autre sens que ces paroles ont été dites. C’est que ces paroles LA CHAIR NE SERT DE RIEN s’entendent de la chair du Christ. Il est manifeste en effet que la chair du Christ, en tant que con jointe au Verbe et à l’Esprit, sert beaucoup et de toutes manières: autrement, c’est en vain que le Verbe se serait fait chair, en vain que le Père lui-même l’aurait manifesté dans la chair 170. Et c’est pourquoi il faut dire que la chair du Christ, considérée en elle-même, NE SERT DE RIEN, c’est-à-dire n’est d’aucun profit, si ce n’est comme une autre chair. Si en effet, par une vue de l’esprit, on la sépare de la divinité et de l’Esprit Saint, elle n’a pas plus de vertu qu’une autre chair; mais si adviennent l’Esprit et la divinité, elle sert beaucoup parce qu’elle fait demeurer dans le Christ celui qui la prend: c’est en effet par l’Esprit de charité que l’homme demeure en Dieu: En cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous: à ce qu'il nous a donné de son Esprit 171. C’est pourquoi le Seigneur dit: cet effet — la vie éternelle — que je vous ai promis, vous ne devez pas l’attribuer à la chair prise en elle-même, car ainsi, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; mais si vous l’attribuez à l’Esprit et à la divinité conjointe à la chair, de cette manière elle communique la vie éternelle: Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi selon l'Esprit 172. Et c’est pourquoi il ajoute: LES PAROLES QUEJE VOUS AIDITES SONTESPRITET VIE, c’est-à-dire doivent être rapportées à l’Esprit conjoint à la chair, et ainsi comprises elles sont vie pour l’âme. Car de même que le corps vit de la vie corporelle par l’esprit corporel 173, ainsi l’âme vit de la vie spirituelle par l’Esprit Saint: Envoie ton Esprit et ils seront créés 174.
167. 1 Corinthiens 14, 2.
168. Ps 118, 93.
169. Op. cit., XXVII, 5, pp. 54 1-545.
170. Cf. 1 Tm 3, 16.


994. Le Seigneur met ensuite en lumière la cause du scandale, qui était leur incrédulité. C’est comme s’il disait: la cause de votre scandale n’est pas la dureté de la parole que je vous ai dite, mais votre incrédulité. C’est ainsi qu’il commence par révéler leur incrédulité, au sujet de laquelle l’Evangéliste exclut ensuite une fausse opinion [n° 996]; le Seigneur manifeste enfin la cause de cette incrédulité [n° 997].


MAIS IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS.

995. Le Seigneur révèle ici l’incrédulité des Juifs. Et il dit QUI NE CROIENT PAS et non pas "qui ne comprennent pas". Il fait plus, il donne connaissance de la cause pour laquelle ils ne comprennent pas: en effet, s’ils ne comprenaient pas c’est qu’ils ne croyaient pas. Une variante d’Isaïe dit: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 175. Et Jésus dit QUELQUES-UNS pour exclure les disciples: Tous n’ont pas la foi 176 — Tous n’obéissent pas à l'Evangile 177 — Ils n’ont pas cru à ses paroles 178.
171. 1 Jn 4, 13.
172. Ga 5, 25.
173. Cf. Ps 103, 29: Tu leur ôtes l’esprit, ils expirent.
174. Ps 103, 30.
175. Isaïe 7, 9 (LXX). Voir n° 600, note 65 (vol. 1P 168) et SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXVII, 7, pp. 54 7-549. Voir aussi JEAN SCOT ÉRIGÈNE, Comm. sur l’Evangile de Jean, p. 96, note 3.





JÉSUS EN EFFET CONNAISSAIT DÈS LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAIT LE TRAHIR.

996. L’Évangéliste écarte ici une fausse conjecture. Jésus n’a pas dit: IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS, au sens où il l’aurait appris depuis peu, mais parce qu’il CONNAISSAIT DES LE COMMENCEMENT du monde CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAITLE TRAHIR: Toutes choses sont nues et découvertes à ses yeux 179. — Avant qu’elles n’adviennent, toutes choses sont connues du Seigneur notre Dieu 180.



ET IL DISAIT: "C’EST POURQUOI JE VOUS AI DIT QUE NUL NE PEUT VENIR À MOI SI CELA NE LUI A ETÉ DONNÉ PAR MON PÈRE.

997. Le Seigneur donne ensuite la raison de leur incrédulité. Elle vient de ce qu’on s’éloigne de la grâce qui attire 181. En ce sens il disait: C’EST POURQUOI JE VOUS AI DIT, comme pour dire: S’il a été nécessaire que je vous dise ce qui a été dit jusqu’ici, c’est que NUL NE PEUT VENIR A MOI, par la foi, SI CELA NE LUI A ETE DONNE PAR MON PERE. Il en découle, selon Augustin, que l’acte même de croire nous est donné par Dieu 182. Quant au motif pour lequel ce n’est pas donné à tous, on l’a mentionné plus haut 183, où le Seigneur avait prononcé pratiquement les mêmes paroles. Il les répète cependant ici pour deux rai sons: d’abord pour montrer qu’il était plus bénéfique et utile pour eux de les recevoir dans la foi qu’au Christ de les prononcer: Il vous a été donné de croire en lui 184, comme s’il disait: c’est votre bien que vous croyiez. Et c’est pourquoi saint Augustin dit: "C’est une grande chose de croire: réjouis-toi parce que tu as cru 185. Ensuite pour montrer qu’il n’est pas le fils de Joseph, comme ils le pensaient, mais de Dieu: c’est en effet Dieu le Père qui attire les hommes au Fils, comme il ressort de ce qui précède.
176. 2 Th 3, 2.
177. Ro 10, 16.
178. Ps 105, 24.
179. He 4, 13. Cf. THEOPHYLACTUS, Enarratio in Evangelium S. bannis, ch. 6, PG 123, coI. 1315 A.
180. Sir 23, 20.
181. Cf. n° 937.
182. Op. cit., XXVII, 7, pp. 549-551. Ce mystère est cher à saint Augustin qui y revient souvent, et saint Thomas à sa suite (voir entre autres Somme théologique, I, q. 111, a. 1, ad 1; I-II, q. 63, a. 3; AdEph. lect., II, Ieç. 3, n° 95).



DÈS LORS, BEAUCOUP DE SES DISCIPLES SE RETIRÈRENT ET ILS N’ALLAIENT PLUS AVEC LUI.

998. L’Évangéliste expose ici l’entêtement des disciples. En effet, bien que le Seigneur les eût repris et qu’il eût écarté la cause du scandale, pour autant qu’il pouvait le faire, ils n’en persévèrent pas moins dans l’incrédulité, et c’est pourquoi il dit: BEAUCOUP DE SES DISCIPLES SE RETIRERENT Il n’a pas dit: ils reculèrent, mais: ils SE RETIRERENT de la foi dont ils avaient la vertu, et étant retranchés du Corps, ils perdirent la vie, à moins peut-être qu’ils n’en aient jamais fait partie, comme le dit Augustin 186. Il en est en effet qui s’en vont purement et simplement: ceux qui suivent le diable, Satan, à qui il est dit: Va-t-en 187; et de certaines femmes il est dit: Certaines se sont détournées, à la suite de Satan 188. Ce n’est pas ainsi que Pierre — Va derrière moi, Satan 189— passe derrière le Christ, car lui va à la suite du Christ. Quant aux Juifs, ils s’en allèrent à la suite de Satan.

Voilà pourquoi il continue: ET ILS N’ALLAIENT PLUS AVEC LUI, bien qu’il nous soit demandé de marcher avec Jésus: Je t’indiquerai, homme, ce qui est bon: (...) Mettre toute ton application à marcher avec ton Dieu 190.
183. Cf. n" 917.
184. Phi 1, 29.
185. SAINT AUGUSTIN, loc. cit.
186. op. cit., XXVII, 8, p. Les deux exemples suivants sont repris aussi à saint Augustin (). Chrysostome faisait ainsi la distinction entre recesserunt et abierunt retro:" Il n’a pas dit: ils se retirèrent, mais retournèrent en arrière, [savoir J de l’attitude de celui qui écoute avec vertu, et perdirent ce qu’ils avaient jusque-là" (In Ioannem hom., 47, ch. 3, col. 266; trad. Jeannin, p. 329 b).
187. Mt 4, 10.
188. 1 Tm 5, 15.




II

JÉSUS DONC DIT AUX DOUZE: "ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?"

SIMON-PIERRE LUI RÉPONDIT: "SEIGNEUR, À QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES DE LA VIE ÉTERNELLE; POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DE DIEU "JÉSUS RÉPONDIT: "N’EST-CE PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN DIABLE. "IL PAR LAIT DE JUDAS ISCARIOTE, FILS DE SIMON: CAR C’ÉTAIT LUI QUI DE VAIT LE TRAHIR, BIEN QU’IL FÛT L’UN DES DOUZE.

999. Ici, le Seigneur porte son attention sur les disciples qui demeurent, ce qui est souligné par son interrogation [n° 1000]. En réponse, Pierre exprime leur attachement total [n° 1001]; cependant le Christ corrige sa réponse [n° 1005].

JÉSUS DONC DIT AUX DOUZE: "ET VOUS, VOULEZ VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?"

1000. Le Seigneur sonde donc les Douze qui étaient là pour savoir s’ils voulaient persister; c’est pourquoi il dit AUX DOUZE, c’est-à-dire aux Apôtres: ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER? Et ceci pour deux raisons 191. Afin que, du fait que ceux-ci étaient restés alors que les autres étaient partis, ils ne s’enorgueillissent pas en attribuant cela à leur propre justice, estimant faire au Christ une grâce en ne l’abandonnant pas. C’est pourquoi, en leur montrant qu’il n’avait pas besoin d’être suivi par eux, ils les retient et les affermit plus profondément: De plus, situ agis avec justice, que lui donneras-tu ou que recevra-t-il de ta main? 192

Ensuite, parce qu’il arrive parfois qu’on ait la volonté de s’éloigner de quelqu’un et qu’une gêne nous retienne, le Christ, ne voulant pas qu’ils soient contraints par la gêne de rester avec lui (car servir malgré soi revient à ne pas servir du tout), les libère de la gêne et donc de l’obligation de rester, remettant à leur libre arbitre le choix de rester ou de s’en aller, parce que le Seigneur aime celui qui donne avec joie. 193
189. Mt 16, 23.
190. Mic 6, 8.
191. Saint Thomas reprend en d’autres termes deux explications très jus tes de Chrysostome (loc. cil.).


1001. L’attachement total (devotio) de ceux qui restent est exprimé par la réponse de Pierre. Lui qui aime ses frères, qui est fidèle à ses amis et qui porte au Christ une affection spéciale, répond pour tout le collège 194. Il exalte d’abord l’excellence de la doctrine du Christ [n° 1002], puis il témoigne de l’autorité de cette doctrine [n° 1003] et con fesse sa foi [n° 1004].




SIMON-PIERRE LUI RÉPONDIT: "SEIGNEUR, À QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES DE LA VIE ÉTERNELLE. "

1002. Pierre exalte l’excellence de la doctrine du Christ en disant: SEIGNEUR, A QUI IRONS-NOUS? , comme s’il disait: "Tu nous rejettes loin de toi; donne-nous quelqu’un de meilleur que toi à qui aller." Mais assurément, nul n’est semblable à toi parmi les forts, Seigneur 195; et dans le psaume: Qui est comme Dieu 196. Et c’est pourquoi nous ne te quitterons pas — Où irai-je, loin de ton esprit? 197 Et, selon Chrysostome 198, la parole de Pierre est révélatrice d’une grande amitié: déjà, en effet, le Christ était pour lui plus honorable que père et mère.
193. 2 Go 9, 7 d’après Prov 22, 8 (Lxx).
194. C’est ainsi que Chrysostome présente Pierre (op. cil., 47, 3, coI. 267).
195. Ex 15, 11.
196. Ps 88, 7.
197. Ps 138, 7.


1003. Il témoigne de l’autorité de la doctrine du Christ en disant: TU AS LES PAROLES DE LA VIE ETERNELLE. Moïse, lui, avait les paroles de Dieu, les prophètes aussi, mais rarement les paroles de la vie éternelle. Toi seul pro mets la vie éternelle: que chercher de plus? — Qui croit en moi a la vie éternelle199. — Celui qui croit en le Fils a la vie éternelle 200.




POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DE DIEU

1004. Pierre confesse ici sa foi. Notre foi, en effet, porte principalement sur deux points: le mystère de la Trinité et celui de l’Incarnation, que Pierre confesse ici tous les deux. D’une part le mystère de la Trinité lorsqu’il dit: TU ES (...) LE FILS DE DIEU Dans le fait de le dire FILS DE DIEU, il fait mention de la personne du Père et de celle du Fils, en même temps que de celle de l’Esprit Saint, qui est l’Amour du Père et du Fils, et le lien de l’un et l’autre 201.

D’autre part le mystère de l’Incarnation, lorsqu’il dit: TU ES LE CHRIST, en latin l’Oint, à savoir par l’huile invisible de l’Esprit Saint. Il n’est pas oint selon la nature divine, car ce qui est oint par l’Esprit Saint est rendu meilleur par cette onction; or, en tant qu’il est Dieu, le Christ n’est pas rendu meilleur. Il est donc oint dans son humanité.

Il dit aussi: NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS, parce qu’il faut croire avant de connaître. Et c’est pourquoi, si nous voulions d’abord connaître et croire ensuite, nous ne connaîtrions pas ni n’aurions la force de croire, comme le dit Augustin 202. Isaïe dit, selon une version: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 203.
198. CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 266.
199. Jean 6, 47.
200. Jean 3, 36.
201. "On dit que l’Esprit Saint est le noeud du Père et du Fils en tant qu’il est Amour; en effet, puisque le Père s’aime et aime le Fils d’une dilection unique, et réciproquement, est impliqué dans l’Esprit Saint, en tant qu’il est Amour, un rapport (habitudo) du Père au Fils, et réciproquement, comme de l’aimant à i’aimé. Mais du fait même que le Père et le Fils s’aiment mutuellement, il faut que l’Amour mutuel qui est l’Esprit Saint procède des deux. Donc, selon l’origine, l’Esprit Saint n’est pas un intermédiaire, mais la troisième personne de la Trinité. Mais selon le rapport que l’on vient de dire, il est le noeud intermédiaire (medius nexus) des deux, procédant de l’un et de l’autre" (Somme théol., I, q. 37, a. 1, ad 3). Saint Bernard disait: "Si on comprend bien le baiser donné par le Père et reçu par le Fils, on ne comprendra pas sans raison que le baiser est le Saint-Esprit, puisqu’il est la paix inaltérable, le lien indissoluble, et l’unité indivisible du Père et du Fils" (Huitième sermon sur le Cantique des cantiques; Oeuvres complètes de saint Bernard, tome IV, p. 158); voir aussi vol. I, n° 357.


1005. Le Seigneur corrige ensuite la réponse de Pierre. La réponse du Seigneur est d’abord exposée [n° 1006], et elle est suivie de la précision donnée par l’Evangéliste [n° 1009].


JÉSUS RÉPONDIT: "N’EST-CE PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN DIABLE. "

1006. Généreux dans sa réponse, Pierre y a inclus tous ceux qui restaient — POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS —, ce qui laissait supposer que tous parviendraient à la vie éternelle. C’est pourquoi le Seigneur soustrait Judas de l’assemblée des croyants. De la part de Pierre, la confiance était louable: à cause d’elle, il ne soupçonnait ses compagnons d’aucun mal; mais dans le Seigneur il faut admirer la sagesse, lui qui voyait les choses cachées: N’EST-CE PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L’UN DE VOUS EST UN DIABLE, non par nature, mais par imitation de la malice diabolique: C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde; et ils l’imitent, ceux qui lui appartiennent 204. — Or après la bouchée, Satan entra en lui 205 précisément parce qu’il était devenu conforme à sa malice.
202. Tract. in Ioann., XXVII, 9, p. 555.
203. Isaïe 7, 9 (LXX). Cf. ci-dessus, note 175.
204. Sg 2,24.


1007. Mais si le Christ a choisi Judas, et que celui-ci est devenu mauvais, il a visiblement commis une erreur dans son choix?

A cela une première réponse peut être donnée: selon Chrysostome 206, CHOISI n’exprime pas le choix de prédestination, mais un choix en vue d’une certaine fonction, et relativement au statut de la justice présente d’après laquelle on est parfois choisi non pas en vue du futur, mais pour ce qu’on est, à ce moment-là: car par ce choix, le Christ ne supprime pas notre libre arbitre, ni la possibilité de pécher — Que celui qui se croit debout prenne garde de tomber 207. Si donc le Seigneur a choisi Judas, il ne l’a pas choisi comme mauvais à ce moment-là, mais la possibilité de pécher ne lui a pour autant pas été retirée par ce choix.

Seconde réponse possible: selon Augustin, le Seigneur a choisi un Judas mauvais. Et parce qu’à celui qui est bon, il appartient de se servir du mal pour le bien, tout en le sachant mauvais, le Seigneur a fait bon usage du mal de Judas, lorsqu’il accepta d’être trahi pour nous racheter 208.

Ou bien il faut dire que le choix des douze Apôtres ne se rapporte pas ici aux personnes mais au nombre. Comme s’il disait: Moi, j’ai choisi en vous le nombre douze. Ce nombre en effet leur est consacré avec justesse, eux qui devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité à travers les quatre parties du monde. Et ce nombre n’a pas changé, parce qu’en choisissant Matthias on pourvut à la place du traître qui se supprima 209.

Ou bien, selon Ambroise 210, il a choisi Judas mauvais pour consoler notre faiblesse, au cas où il nous arriverait un jour d’être trahis par nos amis, puisque nous lisons que le Seigneur et Maître a été trahi par un disciple.
205. Jean 13, 27.
206. Nos recherches sur l’origine de cette référence n’ont pas abouti.
207. 1 Corinthiens 10, 12.
208. Op. cit. XXVII, 10, pp. 555-559.
209. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit, p. 559.
210. Traité sur l’Évangile de saint Luc, IV, 45, SC 45, pp. 199-200. Saint Thomas cite ce passage très librement en écartant le style oratoire.


1008. On peut se demander pourquoi, lorsque le Seigneur dit ici L’UN DE VOUS EST UN DIABLE, les disciples ne disent rien, alors que plus tard, quand il leur dira: L'un d’entre vous me livrera 212, ils diront: Est-ce moi, Seigneur? 213

La raison en est que, ici, le Seigneur a parlé en général, en disant que l’un d’eux était un diable, ce qui peut se rapporter à n’importe quelle malice, et c’est pourquoi ils ne sont pas émus. Mais plus tard, à l’annonce d’un tel crime — la trahison du Maître — ils ne peuvent se contenir.

Ou bien il faut dire qu’au moment où le Seigneur a dit ces paroles, chacun d’eux mettait sa confiance en sa propre valeur, et c’est pour cela qu’ils ne concevaient aucune crainte que cela les concernât. Mais quand Pierre entendit: Va derrière moi, Satan 214, ils furent terrifiés et touchèrent du doigt à quel point ils étaient faibles. Et c’est pourquoi ils disaient en tremblant: Est-ce moi, Seigneur? 215
211. Jean 13, 14.
212. Jean 13, 21.
213. Mt 26, 22.
214. Mt 16, 23.
215. Mt 26, 22. Ces deux explications se retrouvent, d’une manière assez confuse, dans le commentaire de Chrysostome (In loannem hom., 47, ch. 4, col. 267).





IL PARLAIT DE JUDAS ISCARIOTE, FILS DE SIMON: CAR C’ÉTAIT LUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, BIEN QU’IL FÛT L’UN DES DOUZE.

1009. La réponse que le Seigneur avait faite de manière voilée, l’Evangéliste la précise en disant: IL PARLAIT DE JUDAS, comme l’ont prouvé les événements.





CHAPITRE VII: L’origine de l’enseignement du Christ

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Thomas sur Jean 47