Thomas A. sur Rm (1869) 26

CHAPITRE VI: LA GRÂCE ET LE PÉCHÉ





Romains VI, 1 à 5: Demeurer dans le péché pour faire venir la grâce?

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075 (
Rm 6,1-5)





SOMMAIRE: L’Apôtre demande s’il faut demeurer dans le péché afin de faire abonder la grâce, et, résolvant la question, il dit qu’il ne faut pas demeurer dans le péché. -Il explique comment nous sommes morts par le péché, et comment par le baptême nous représentons en nous Jésus-Christ.



1. Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde?

2. À Dieu ne plaise! Car, étant morts au péché, comment y vivrons-nous encore?

3. Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés en sa mort?

4. Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie.

5. Si, en effet, nous avons été entés pour la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi pour la ressemblance de sa résurrection.



Après avoir établi que par la grâce de Jésus-Christ nous sommes délivrés du péché passé, soit de celui qui a été introduit par le premier homme, soit de celui qui a abondé par la Loi, l’Apôtre fait voir que par la même grâce de Jésus-Christ nous avons désormais reçu le pouvoir de résister au péché. Sur ce point, il pose une question qui naît de ce qui précède; II° il la résout à ces paroles (verset 2): "A Dieu ne plaise! Car si, etc."

I° Il avait dit plus haut que là où le péché a abondé la grâce a surabondé. On aurait pu l’interpréter en ce sens, que l’abondance du péché avait été la cause de la surabondance de la grâce; voilà pour quoi S. Paul fait cette question (verset 1): "Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde?" Assurément il le faudrait dire si l’abondance du péché était la cause et non pas seulement l’occasion, comme il a été expliqué, de l’abondance de la grâce. De là, au ch. III, 8, de cette épître, l’Apôtre a dit: "Pourquoi ne ferions-nous pas le mal afin qu’il en arrive du bien, comme quelques-uns nous le font dire en nous calomniant?" (Jérémie, XII, 2): "Pourquoi tous les biens à ceux qui vivent dans les prévarications et dans l’iniquité?"

II° En disant ensuite (verset 2): "A Dieu ne plaise!" S. Paul répond à la question proposée. Premièrement il donne la raison pour la quelle nous ne devons pas demeurer dans le péché; secondement il tire en conclusion l’exhortation qu’il se proposait, à ces mots (verset 12): "Que le péché ne règne donc pas dans votre corps mortel." Sur la première proposition, d’abord il assigne la raison pour laquelle il ne faut pas demeurer dans le péché; ensuite il montre que nous avons le pouvoir de n’y pas demeurer, à ces mots (verset 6): "Sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui."

Pour établir qu’on ne doit pas demeurer dans le péché, il fait ce raisonnement: Si nous sommes morts au péché, nous ne devons pas vivre dans le péché; or nous sommes morts au péché: donc nous ne devons pas vivre en lui. Pour appuyer son argumentation: il pose une proposition conditionnelle; il prouve l’antécédent, à ces mots (verset 3): "Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés?" il conclut à ces autres (verset 4): "Afin que comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts;" il prouve que la conséquence est rigoureuse, en disant (verset 5): "Si, en effet, nous avons été entés en lui."

Il dit donc (verset 2): "A Dieu ne plaise!" à savoir, qu’on puisse demeurer dans le péché avec l’intention que la grâce abonde, parce que, ainsi qu’il est dit au livre de l’Ecclésiastique (XV, 21): "Dieu n’a commandé à personne de faire le mal." Et la raison en est que si nous sommes morts au péché, c’est-à-dire si le péché est frappé de mort en nous, comment vivrons-nous encore dans le péché? Car l’ordre naturel des choses n’admet pas qu’on revienne de la mort à la vie (Is 26,14): "Ils sont morts, ils ne revivront plus;" et ensuite (Cant., V, 3): "J’ai lavé mes pieds, comment les souiller encore?"

En disant ensuite (verset 3): "Ignorez-vous...?" il prouve l’antécédent, à savoir, que les fidèles sont morts au péché. Et pour cela, d’abord il introduit un moyen terme, afin d’établir sa proposition; puis il le développe à ces mots (verset 4): "Nous avons été ensevelis avec lui."

A) Il dit donc d’abord: "Ignorez-vous...?" comme s’il disait: ce que je veux établir est tellement manifeste, qu’il ne vous est pas permis de l’ignorer (I Cor., XIV, 38): "Si quelqu’un veut l’ignorer, il sera lui-même ignoré;" c’est que " Nous avons été baptisés," tous tant que nous sommes, "en Jésus-Christ," passage qu’on peut entendre de trois manières: premièrement, suivant l’institution de Jésus-Christ (Matth., XXVIII, 19): "Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit." Secondement, par l’invocation de Jésus-Christ (Actes VIII, 12): "Ils furent baptisés, hommes et femmes, au nom de Jésus-Christ." Troisièmement, en Jésus-Christ, c’est-à-dire par une sorte de conformité avec Jésus-Christ (Galates III, 27): "Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ." - "Nous avons été baptisés en sa mort," c’est-à-dire en la ressemblance de sa mort, et comme représentant en nous la mort même de Jésus-Christ ( Cor., IV, 10): "Portant toujours dans notre corps la mort de Jésus-Christ; (Galates VI, 17): "Je porte, imprimées sur mon corps, les marques du Seigneur Jésus," ou "En sa mort," c’est-à-dire par la vertu de sa mort (Apoc., I, 5): "Il nous a lavés de nos péchés." C’est pourquoi, du côté du Christ suspendu à la croix, il coula après sa mort de l’eau et du sang, comme il est rapporté en S. Jean (X, 34). De même donc que nous portons la ressemblance de sa mort en tant que nous mourons au péché, ainsi est-il mort lui-même à la vie mortelle, dans laquelle se trouvait la similitude du péché, quoiqu’il n'eût pas commis de péché. Donc, nous tous qui avons été baptisés, nous sommes morts au péché.

B) En disant (verset 4): "Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême," il prouve sa proposition intermédiaire, à. savoir, que tous nous sommes baptisés dans la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, en disant (verset 4): "Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême, pour mourir;" comme s’il disait: la sépulture ne se doit qu’aux morts (Matth., VIII, 22): "Laissez les morts ensevelir leurs morts." Or, par le baptême, les hommes sont ensevelis avec Jésus-Christ, c’est-à-dire formés à la ressemblance de sa sépulture; car, de même que celui qui est enseveli est déposé sous terre, celui qui est baptisé est plongé dans l’eau. De là, dans le baptême, une triple immersion non seulement en vue de la foi de la sainte Trinité, mais aussi pour représenter les trois jours de la sépulture du Christ; car, de même que les trois jours de la sépulture ne sont qu’une seule sépulture, la triple immersion ne fait qu’un seul baptême. De là encore, dans l’Église, on confère le baptême solennel le samedi saint, où l’on fait mémoire de la sépulture de Jésus-Christ, et la veille de la Pentecôte, où l’on célèbre la solennité de l’Esprit Saint, dont la vertu donne à l’eau du baptême son efficacité pour purifier (Jean III, 5): "Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entier dans le royaume de Dieu." Il faut toutefois remarquer que l’on meurt d’abord corporellement, et qu’on est ensuite enseveli, tandis que la sépulture du baptême produit spirituellement la mort du péché, parce que les sacrements de la loi nouvelle opèrent ce qu’ils signifient. Aussi, comme la sépulture qui se fait par le baptême est le signe de la mort du péché, le sacrement produit cette mort dans le baptême. Voilà pourquoi S. Paul dit: "Nous sommes ensevelis pour mourir;" en sorte que, par cela même que nous recevons en nous le signe de la mort de Jésus-Christ, nous obtenons la mort du péché.

Lorsque S. Paul dit (verset 4): "Afin que comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts," il déduit le conséquent, à savoir, que nous ne devons pas vivre dans le péché. Pour cela, il se sert d’une similitude tirée de la résurrection de Jésus-Christ, en disant: "Afin que, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de son Père," c’est-à-dire en vertu de la puissance du Père, par laquelle il est lui-même glorifié, selon ce passage du Psalmiste (LVI, 11): "Levez-vous, ma gloire!" – "nous marchions, nous aussi, dans une vie nouvelle," c’est-à-dire nous avancions en faisant les bonnes oeuvres de la vie. Car la vie du péché a sa vieillesse, puisqu’elle nous conduit à la corruption (Hébr., VIII, 3): "Ce qui passe et vieillit est bien près de sa fin;" et (Baruch, III, 10): "Pourquoi, Israël, es-tu dans la terre des ennemis? Pourquoi es-tu vieilli dans une terre étrangère?" Voilà pourquoi on donne le nom de vie nouvelle à la vie par laquelle on revient à. la justice, c'est-à-dire à la vie sans péché (Ps., CII, 5): "Il renouvellera votre jeunesse comme celle de l’aigle;" (Ephés., IV, 23): "Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre coeur."

En ajoutant (verset 5): "Si, en effet, nous avons été entés, etc.," S. Paul prouve que la conséquence est rigoureuse. Car Jésus-Christ, après sa mort, est ressuscité: de là il convient que ceux qui portent la ressemblance de Jésus-Christ quant à la mort dans le baptême, portent aussi la ressemblance de sa résurrection par l’innocence de leur vie. Voilà pourquoi l’Apôtre dit: "Si, en effet, nous avons été entés pour la ressemblance de sa mort," c’est-à-dire si nous portons en nous la ressemblance de sa mort, de manière à lui être incorporés comme le rameau inséré dans la tige, et entés, pour ainsi dire, dans la passion même de Jésus-Christ, "nous soyons aussi entés pour la ressemblance de sa résurrection," c’est-à-dire tellement formés à sa ressemblance, que dans la vie présente nous vivions innocents, et, dans la vie future, nous arrivions à une gloire semblable à la sienne (Phil., III, 21): "Il changera notre corps misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux;" (II Tim., II, 11): "Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui." Ainsi donc, comme l’Apôtre a prouvé par la similitude de la mort de Jésus-Christ que nous étions morts au péché, antécédent de son argumentation, par la similitude de sa résurrection il prouve aussi que nous ne devons pas vivre dans le péché, sorte de conséquent qu’il voulait atteindre.



Romains 6, 6 à 11: La grâce peut vaincre le péché

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075 (
Rm 6,6-11)





SOMMAIRE: Le vieil homme ayant été crucifié en nous, nous avons en nous-mêmes le pouvoir de ne pas demeurer dans le péché, et de vivre pour Dieu en Jésus-Christ.



6. Sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit détruit, et que désormais nous ne soyons plus asservis ou péché,

7. Car celui qui est mort est justifié du péché.

8. Si donc nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec le Christ,

9. Sachant que le Christ, étant ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus; la mort ne dominera plus sur lui;

10. Car, s’il est mort pour le péché, il est mort une seule fois, et, s’il vit, il vit pour Dieu.

11. Ainsi pour vous, considérez-vous comme morts au péché, mais vivants à Dieu dans le Christ Jésus Notre Seigneur.



Après avoir démontré que nous ne devons pas demeurer dans le péché, par la raison que nous sommes morts au péché par le baptême, S. Paul, poussant son argumentation, montre que nous avons le pouvoir de faire ce qu’il avance. il énonce sa proposition; II° il la développe, à ces mots (verset 7): "Car celui qui est mort."

I° Pour énoncer sa proposition, I. il rappelle le bienfait que nous avons obtenu; II. L’effet de ce bienfait, à ces paroles (verset 6): "Afin que le corps du péché soit détruit."

I. Il dit donc: J’ai avancé que nous devions marcher dans une vie nouvelle, à savoir, en nous éloignant du péché. Et, pour que nul ne dise que cela est impossible, il ajoute: "Sachant bien que notre vieil homme," c’est-à-dire la vieillesse que le péché a amenée dans l’homme, "a été avec lui," à savoir, avec Jésus-Christ, crucifié; en d’autres termes, a été frappé de mort par la croix de Jésus-Christ. Car, ainsi qu’il a été dit plus haut, la vieillesse de l’homme a été introduite par le péché, en tant que par le péché le bien de la nature est corrompu. Or cette vieillesse domine dans l’homme tant que l’homme est soumis au péché; et, comme ce qui domine dans l’homme est regardé comme l’homme lui-même, dans celui qui est soumis au péché la vieillesse même du péché est appelée le vieil homme. On peut entendre par la vieillesse du péché la culpabilité ou tache des péchés actuels, l’habitude du péché qui amène comme nécessaire ment le péché, ou le foyer même du péché, provenant de la faute du premier homme. S. Paul dit donc que notre vieil homme est crucifié avec Jésus-Christ en tant que cette vieillesse est détruite par la puissance de Jésus-Christ, ou parce qu’elle est totalement enlevée, comme il arrive dans le baptême à l’égard de la culpabilité et de la tache du péché, ou parce que sa puissance est affaiblie, comme il arrive pour la puissance du foyer ou même pour la puissance de l’habitude du péché (Col 2,14): "Il a effacé la cédule de condamnation qui était contre nous, et il l’a entièrement abolie en l’attachant à la croix."

II. Lorsque l’Apôtre dit (verset 6): "Afin que le corps du péché soit détruit," il rapporte un double effet du bienfait qu’il vient de rappeler, dont le premier est la destruction du péché commis. Voilà pourquoi il dit: "Afin que le corps du péché soit détruit." On appelle, en effet, corps du péché la réunion des oeuvres mauvaises, comme l’assemblage des membres forme le corps naturel (Job, XLI, 6): "Son corps est semblable à des boucliers d’airain fondu." Le second effet est de nous préserver désormais du péché. C’est ce qu’ajoute S. Paul en disant: "Afin que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché." Car l’homme est l’esclave du péché quand, par son consentement joint à l’oeuvre du corps, il obéit à la convoitise du péché (Jean, VIII, 34): "Quiconque fait le péché est l’esclave du péché."



II° Lorsqu’il dit (verset 7): "Attendu que celui qui est mort est justifié du péché," l’Apôtre explique ce qu’il avait dit: I. quant au premier effet; II. Quant au second, à ces mots (verset 8): "Si donc nous sommes morts."

I. Sur le premier de ces effets, il faut remarquer que la masse du péché est détruite quand le pécheur reçoit la rémission de ses péchés. S. Paul montre donc la destruction du corps du péché en disant (verset 71): "Attendu que celui qui est mort," à savoir, par le baptême, où nous mourons avec Jésus-Christ, "est justifié du péché," c’est-à-dire passe, après que ses péchés sont remis, à l’état de justice (I Cor., VI, 11): "Vous avez été tels autrefois, mais vous avez été lavés, etc." Ainsi donc, de ce que parla croix de Jésus-Christ l’homme meurt au péché, il s’ensuit qu’il est délivré du péché, et, par conséquent, que le corps du péché est détruit.

II. Quand S. Paul ajoute (verset 8): "Si donc nous sommes morts au péché," il fait voir le second effet, qui est la conformité de la vie de Jésus-Christ. Voici son raisonnement: Celui qui meurt avec Jésus-Christ mourant vit aussi avec Jésus-Christ ressuscité; or Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts comme si désormais il ne devait plus mourir celui qui est délivré du péché revit donc avec Jésus-Christ ressuscité, de telle sorte qu’il peut à l’avenir ne plus retourner au péché. Sur ce point, S. Paul montre: la conformité de l’homme fidèle avec Jésus-Christ ressuscité; il exprime la condition de la vie du ressuscitant, à ces mots (verset 9): "Sachant bien que Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts;" il déduit la conséquence proposée, à ces autres (verset II): "Estimez-vous vous-mêmes..."

Il dit donc: "Si nous sommes morts avec le Christ," c’est-à-dire si par la vertu de sa mort nous sommes morts au péché (verset 8): "Nous croyons que nous vivrons également avec le Christ," à savoir, à la ressemblance de sa vie; nous vivrons, dis-je, sur terre de la vie de la grâce, et, dans le siècle futur, de la vie de la gloire (Ephés., II, 5): "Lorsque nous étions morts par le péché, il nous a rendus tous à la vie en Jésus-Christ."

En ajoutant (verset 9): "Sachant bien que le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus," l’Apôtre exprime la condition de la vie du ressuscité. Et d’abord il l’énonce; secondement il le dé montre, lorsqu’il dit (verset 10): "Car, s’il est mort pour le péché."

A) Il dit donc d’abord: Nous croyons ce qui vient d’être dit, "sachant bien que le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus," mais vit d’une vie éternelle (Apoc., I, 18): "J’ai été mort, mais je suis vivant dans les siècles des siècles." Bien plus, "La mort n’aura plus d’empire sur lui;" la mort, qui a puissance sur l’homme non seule ment lorsqu’il meurt par la séparation de l’âme d’avec le corps, mais avant même qu’elle frappe, quand il souffre la maladie, la faim, la soif et tant d’autres calamités qui nous conduisent à la mort. Mais la vie de Jésus-Christ ressuscité est délivrée de toutes ces misères. Aussi le Christ n’est pas soumis au domaine de la mort, mais plutôt il domine sur la mort (Apoc., I, 18): "Il a les clefs de la mort et de l’enfer."

B) Lorsqu’il dit (verset 10): "S’il est mort pour le péché," il prouve sa proposition, à savoir, que Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus, et cela de deux manières: a) Par une raison prise du côté de la mort qu’il a soufferte (verset 10): "Car, s’il est mort pour le péché, il est mort seulement une fois," paroles qu’il ne faut pas entendre en ce sens qu’il soit mort pour le péché qu’il aurait commis lui-même, ou dont il aurait contracté la souillure, puisque le péché n’a pu en aucune manière se rencontrer en lui (I Pierre, II, 22): "Il n’a commis aucun péché." Mais on le dit mort pour le péché de deux manières: premièrement, parce qu’il est mort pour détruire le péché (II Cor., V, 21): "Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a traité, à cause de nous, comme s’il eût été le péché même," c’est-à-dire l’a fait victime pour le péché. Secondement, parce qu’il est mort dans la ressemblance de la chair du péché, c’est-à-dire dans une vie passible et mortelle. Aussi S. Paul dira-t-il ci-après (Rom., VIII, 3): "Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu d’une chair semblable à la nôtre."

A ces deux points de vue, on peut conclure que le Christ est mort une fois, en ce qu’il est mort au péché. Car, quant à la première raison, il est évident que par une seule mort il a détruit toute espèce de péché, comme il est dit (Hébr., X, 10): "Par son oblation, faite une seule fois, il a consommé pour toujours notre sanctification." Il n’y a donc plus désormais de nécessité pour lui de mourir pour le péché (I Pierre, III, 18): "La chair a souffert une fois la mort pour nos péchés."

Quant à la seconde, on peut en tirer la même conclusion. Si, en effet, Jésus-Christ a souffert la mort afin de détruire en lui la ressemblance de la chair du péché, sa mort a dû avoir de la conformité avec la mort de ceux qui portent la chair du péché, et qui meurent une seule fois. De là cette parole (Hébr., IX, 27): "Comme il est établi que les hommes doivent mourir une fois, de même aussi le Christ a été offert une fois pour effacer les péchés de plusieurs." b) S. Paul tire le même enseignement de la condition de la vie qu’il a obtenue par sa résurrection, en disant (verset 10): "Mais, s’il vit, il vit pour Dieu," c’est-à-dire en conformité de la vie de Dieu. Car il est dit (II Cor., X, 4): "Quoiqu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la puissance de Dieu." Or, l’effet est conforme à la cause. Aussi est-ce de là que la vie acquise par Jésus-Christ dans sa résurrection est conforme à celle de Dieu. De même donc que la vie de Dieu est éternelle et sans corruption, selon cette parole de S. Paul à Timothée (IV, 16): "Dieu seul possède l’immortalité," ainsi la vie de Jésus-Christ est elle-même immortelle.

Enfin, en disant (verset 11): "Ainsi pour vous, estimez que vous...," l’Apôtre déduit la conclusion proposée, c’est-à-dire que nous devons nous conformer à la vie de Jésus ressuscité, en tant qu’il est mort au péché, c’est-à-dire à la vie mortelle qui porte la ressemblance du péché, pour n’y jamais revenir, et en tant qu’il vit en conformité avec la vie de Dieu. Quant au premier devoir, S. Paul dit (verset 11): "Ainsi, pour vous, estimez que vous êtes morts au péché," à savoir, comme ne devant jamais y revenir (Isaïe XXVI, 14): "Ils sont morts, ils ne vivront plus." Quant au second, il dit: "Mais vivant pour Dieu," c’est-à-dire pour la gloire, ou selon la ressemblance de Dieu, en sorte que jamais nous ne mourions par le péché (Galates II, 20): "Car si je vis maintenant dans ce corps mortel, j’y vis en la foi du Fils de Dieu." Voilà pourquoi S. Paul ajoute: "Dans le Christ Jésus Notre Seigneur," c’est-à-dire par Jésus-Christ, par lequel nous mourons au péché et vivons pour Dieu; ou "En Jésus-Christ," c’est-à-dire comme incorporés à Jésus-Christ, afin que par sa mort nous mourions au péché, et que par sa résurrection nous vivions pour Dieu (Ephés., II, 5): "Il nous a rendus tous à la vie en Jésus-Christ, parla grâce duquel et en qui nous avons été sauvés."





Romains 6, 12 à 18: Fuir le péché

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075 (
Rm 6,12-18)



SOMMAIRE: L’Apôtre exhorte les fidèles de l’Église de Rome à ne pas demeurer dans le péché. Il examine si nous devons nous abandonner au péché, parce que nous sommes sous la grâce.



12. Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez ci ses convoitises.

13. Et n'abandonnez pas vos membres au péché comme des instruments d'iniquité mais offrez-vous à Dieu, comme devenus vivants, de morts que vous étiez, et vos membres à Dieu, comme des instruments de justice.

14. Car le péché ne vous dominera plus, parce que vous n'êtes plus sous la Loi, nais sous la grâce.

15. Quoi donc! Pécherons-nous parce que nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce? Dieu nous en garde!

16. Ne savez-vous pas que, lorsque vous vous rendez esclaves de quelqu'un pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la justice?

17. Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu’avant été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du coeur, vous modelant sur la doctrine à laquelle vous vous êtes adonnés.

18. Ainsi affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice.



Après avoir établi que nous ne devons pas demeurer dans le péché, et que nous en avons le pouvoir, l’Apôtre tire en conclusion une exhortation morale. il donne un avertissement; II° il en indique la raison, à ces mots (verset 14): "Car le péché ne dominera plus sur vous;" III° il pose une question et y répond, en disant (verset 15): "Quoi donc! Pécherons-nous?"



I° À l’égard de l’avertissement, I. il l’énonce; II. Il le développe, à ces mots (verset 42): "Pour ne pas obéir à ses désirs déréglés."

I. Il dit donc: J’ai montré que notre vieil homme est crucifié afin que le corps du péché soit détruit. Par là nous pouvons comprendre que la puissance du péché est diminuée de telle sorte qu’elle ne peut plus dominer en nous. Donc, ce qui reste à faire: "C’est que le péché ne règne pas dans votre corps mortel." Toutefois l’Apôtre ne dit pas: que le péché ne soit pas dans votre corps mortel, parce que, tant que ce corps est mortel, c’est-à-dire soumis à la nécessité de mourir, il n’est pas possible que le péché, c’est-à-dire le foyer du péché, ne soit pas en lui. Mais, depuis que Dieu nous a délivrés du règne du péché, nous devons faire nos efforts pour que le péché ne reprenne pas, dans notre corps, la domination qu’il a perdue. Voilà pourquoi l’Apôtre dit: "Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel." Or, il est nécessaire d’y veiller, tant que nous portons un corps mortel, parce qu’il est dit (Sag., IX, 15): "Le corps qui se corrompt appesantit l’âme."

II. En disant (verset 12): "Pour ne plus obéir," l’Apôtre explique l’avertissement qu’il a donné. Sur ce point, il faut remarquer que le péché règne dans l’homme de deux manières: d’abord, par le consentement intérieur de la volonté. Pour le prévenir, S. Paul dit: "En sorte que vous obéissiez à ses convoitises déréglées." Car obéir par le consentement de la volonté aux convoitises du péché, c’est faire régner le péché en nous (Ecclésiastique, XVIII, 30): "Ne vous laissez pas aller à la suite de vos convoitises." En second lieu, le péché règne en nous par l’exécution de l’oeuvre; pour en détourner, S. Paul ajoute (verset 13): "N’abandonnez pas vos membres au péché," c’est-à-dire au foyer du péché, "comme des instruments d’iniquité," à savoir, des instruments qui commettent l’iniquité. Car, lorsque l’homme commet le péché par ses membres, il accomplit l’iniquité, et en cela même il paraît combattre pour relever, en faveur du péché, la domination, qui se fortifie en nous par l’habitude du péché (Ezéchiel, XXXII, 27): "Ils sont descendus dans l’enfer avec leurs armes."

III. Lorsqu’il ajoute: "Mais offrez-vous à Dieu," S. Paul exhorte à faire le contraire, c’est-à-dire à nous offrir à Dieu.

Quant à l’affection intérieure: "Mais offrez-vous," à savoir, de telle sorte que votre volonté lui soit soumise (Deutéronome, X, 42): "Et maintenant, Israël qu’est-ce que le Seigneur votre Dieu demande de vous, sinon que vous craigniez le Seigneur votre Dieu et que vous marchiez dans ses voies?", Vous devez agir ainsi, parce que, de morts que vous étiez, vous êtes vivants, c’est-à-dire parce que de la mort du péché vous êtes passés à la vie de la grâce. C’est pour cela qu’il est juste (II Cor., 15): "Que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort pour eux."

Le péché peut régner par l’acte extérieur. De là S. Paul dit (verset 13): "Offrez à Dieu," c’est-à-dire pour son service, "vos membres comme des instruments de justice," c’est-à-dire des instruments pour pratiquer la justice, au moyen desquels vous combattiez contre les ennemis de Dieu (Ephésiens, V, 11): "Revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir vous défendre contre les embûches du démon."



II° En disant (verset 44): "Car le péché," l’Apôtre assigne la raison de l’avertissement précédent.

I. On pouvait, en effet, s’excuser en alléguant la domination du péché, et en prendre occasion de se dire empêché d’accomplir la recommandation qu’il venait de faire. S. Paul repousse donc ce pré texte en disant: "Car le péché ne dominera plus sur vous, à savoir, si vous commencez à résister au péché et à vous donner à Dieu, selon cette parole de S. Jacques (IV, 7): "Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous; résistez au démon, et il fuira loin de vous." Comme s'il disait: la raison pour laquelle vous pouvez observer ce qui vient d’être dit, c’est que vous ne trouverez pas que le péché domine en vous pour vous faire retourner en arrière. Car nous sommes délivrés par Jésus-Christ, suivant cette parole de S. Jean (VIII, 36): "Si le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres."

II. S. Paul développe ce qu’il vient de dire, en ajoutant (verset 14): "Car vous n’êtes plus sous la Loi, mais sous la grâce." Sur ces paroles, il faut remarquer que l’Apôtre ne parle pas seulement de la Loi quant aux préceptes cérémoniaux, mais aussi quant aux préceptes moraux. Or, on peut être sous la Loi de deux manières: d’abord, en tant que soumis volontairement à son observance. Dans ce sens, Jésus-Christ lui-même fut sous la Loi, selon ce passage de l’épître aux Galates (IV, 4): "Assujetti à la Loi," qu’il observa non seulement quant à sa partie morale, mais aussi quant à sa partie cérémonielle. C’est ainsi que, en ce sens également, les fidèles de Jésus-Christ sont sous la Loi quant aux préceptes moraux, mais non quant aux préceptes cérémoniaux. On dit encore que quelqu’un est sous la Loi lorsqu’il est comme contraint par la Loi. A ce point de vue, celui-là est réputé sous la Loi qui est forcé de l’accomplir non volontairement et par amour, mais par crainte. Or, celui qui est tel n’a pas la grâce, car s’il l’avait, elle inclinerait sa volonté à l’observance de la Loi pour en remplir par amour les préceptes moraux. Ainsi donc, tant que quelqu’un est sous la Loi, de telle sorte qu’il n’en accomplisse pas volontairement les préceptes, le péché règne en lui et incline sa volonté à vouloir ce qui est opposé à la Loi; mais la grâce délivre de cette domination. Avec elle l’homme observe la Loi, sans être comme contraint à la Loi, mais comme libre (Ga 4,3): "Nous ne sommes pas les enfants de l’esclave, mais de la femme libre; et c’est Jésus-Christ qui nous a donné cette liberté. Or cette grâce, qui donne à l’homme d’accomplir librement la Loi, n’était pas conférée par les sacrements de la Loi ancienne, mais elle l’est par les sacrements de Jésus-Christ. Voilà pourquoi ceux qui se soumettaient aux cérémonies de la Loi, considérées comme sacrements efficaces, n’étaient pas sous la grâce, mais sous la Loi, à moins que, en certains cas, ils n’obtinssent par la foi la grâce de Jésus-Christ; mais ceux qui se soumettent aux sacrements de Jésus-Christ obtiennent par l’efficacité de ces sacrements la grâce, et ne sont plus sous la Loi, mais sous la grâce, à moins que, par leur faute, ils ne se soumettent à la servitude du péché.



III° Lorsque S. Paul dit (verset 45): "Quoi donc! Pécherons-nous?" il soulève une difficulté contre ce qui précède. I. Il propose cette difficulté; II. Il la résout en poussant à une contradiction, à ces mots (verset 16): "Ne savez-vous pas?" III. il démontre la contradiction, à ces autres (verset 17): "Grâce à Dieu."

I. Sur la difficulté proposée, il faut observer que cette assertion de l’Apôtre: "Les fidèles de Jésus-Christ ne sont plus sous la Loi," pouvait être mal interprétée par quelques personnes quant à l’obligation d’observer les préceptes moraux: d’où il suivrait qu’il serait licite aux chrétiens de pécher en agissant contre les préceptes moraux. C’est pour cela que, soulevant la question dans ce sens, S. Paul dit (verset.15): "Que dirons-nous donc? Pécherons-nous," à savoir, en agissant contre les préceptes moraux, parce qu’il a été dit: "Que nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce?" Déjà l’Apôtre a repoussé ce sens, lorsqu’il a dit aux Galates (V, 13): "Vous avez été appelés, mes frères, à la liberté; seulement, que cette liberté ne vous soit pas une occasion pour vivre selon la chair!"

II. C’est pourquoi, répondant ici, il ajoute (verset 15): "A Dieu ne plaise," à savoir, que nous péchions parce que nous sommes délivrés de la Loi; car si nous péchions, il s'ensuivrait cette contradiction, que nous serions de nouveau réduits à la servitude du péché. C’est encore ce qu’il dit (verset 16): "Ne savez-vous pas que si," de votre propre volonté,"Vous vous rendez esclaves de quelqu’un pour lui obéir, vous êtes" spontanément "les esclaves de celui à qui vous obéissez?" Car obéir est un devoir que les serviteurs sont tenus de rendre à leurs maîtres (Ephésiens, VI, 5): "Serviteurs, obéissez à ceux qui sont vos maîtres selon la chair." Aussi celui qui obéit à un autre s’avoue son serviteur en lui obéissant. Cependant le salaire de l’obéissance diffère selon les maîtres auxquels on obéit: car celui qui obéit au péché est conduit à la mort par la servitude du péché. C’est ce que dit S. Paul: "Soit du péché, c’est-à-dire vous êtes les es claves du péché en lui obéissant, et cela pour la mort, c’est-à-dire en vous exposant à. être précipités dans la damnation éternelle, dont il est dit (Apocal., XX, 6): "La seconde mort n’aura pas de puissance sur eux." Mais celui qui obéit à Dieu devient le serviteur de cette obéissance, parce que, par l’habitude d’obéir, sa volonté s’incline de plus en plus à l’obéissance, et accomplit ainsi la justice. C’est ce que dit S. Paul: "Soit de l’obéissance," à savoir, aux préceptes divins, dont vous êtes les esclaves " pour accomplir la justice," suivant ce qui est dit plus haut (Rom., II, 43): "Ce sont ceux qui pratiquent la justice qui seront justifiés." Et c’est avec assez de convenance que l’Apôtre oppose au péché l’obéissance, parce que, comme l’a défini S. Ambroise, le péché est la transgression de la loi divine et la désobéissance aux célestes préceptes.

III. Lorsque l’Apôtre dit (verset 17): "Mais grâces soient rendues à Dieu," il montre la contradiction, à savoir, qu’en obéissant au péché nous serons de nouveau réduits à l’esclavage du péché.

Il donne une raison tirée du bienfait que nous avons reçu. Si, en effet, grâce au crédit d’un autre, on est délivré de l’esclavage, il est contre toute convenance que de son propre mouvement on s’y soumette de nouveau; or, par la grâce de Dieu nous sommes délivrés du péché: il est donc contre toute convenance que de nouveau et de notre propre mouvement nous nous replacions nous-mêmes sous l’esclavage du péché.

Il donne une autre raison tirée de la condition dans laquelle nous sommes entrés après avoir été délivrés du péché, à savoir, que nous sommes "devenus les esclaves de la justice." Il n’est pas permis, en effet, au serviteur d’un maître de se mettre sous la dépendance d’un maître étranger. Il ne nous est donc pas permis, depuis que nous sommes devenus les esclaves de la justice, de retourner de nouveau à la servitude du péché. L’Apôtre touche en même temps l’une et l’autre raison en disant (verset 17): "Mais grâces soient rendues à Dieu," et vous devez aussi le louer vous-mêmes, "de ce qu’ayant été esclaves du péché," parce que (Jean, VIII, 34): "Celui qui commet le péché est esclave du péché," - "vous avez obéi," à savoir (Rom., I, 5): "Pour faire obéir à la foi toutes les nations," et cela non par force, "mais du fond du coeur " (Rom., X, 10): "Car il faut croire de coeur pour obtenir injustice," - "à ce modèle de doctrine," à savoir, la doctrine de la foi catholique (II Tim., I, 13): "Proposez-vous pour modèle la sainte doctrine que vous avez apprise de moi," – "sur lequel vous avez été formés," c’est-à-dire auquel vous vous êtes totalement soumis (II Cor., VIII, 5): "Ils se sont donnés eux-mêmes d’abord au Seigneur, puis à nous par la volonté de Dieu.)" - "Affranchis de cette manière du péché," il est donc contre toute convenance que vous retourniez à la servitude du péché; "et devenus les esclaves de la justice," il est contre toute convenance que vous abandonniez la justice (I Cor., VII, 23): "Vous avez été achetés d’un grand prix; vous n’êtes donc plus à vous."




Thomas A. sur Rm (1869) 26