Thomas A. sur Rm (1869) 37

Romains 8, 14 à 17: Le don de la gloire, provisoirement différé

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Rm 8,14-16)

SOMMAIRE: L’Apôtre prouve que par le Saint Esprit la vie de la gloire nous est donnée, à nous qui avons reçu l’Esprit des enfants et non celui des esclaves. Nous sommes les héritiers de Dieu, bien qu’il ne meure pas. Pourquoi cette vie de la gloire est-elle différée?

14. Attendu que tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu.
15. Aussi vous n’avez pas reçu l’Esprit de servitude qui inspire la crainte; mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils, dans lequel nous crions Abba (Père).
16. Et c’est cet Esprit qui témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
17. Mais, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ, pourvu cependant que nous souffrions avec lui, afin d’être glorifiés avec lui.


S. Paul, après avoir établi que la vie de la gloire nous sera donnée par l’Esprit Saint, et que cette vie bannira de nos corps toute mortalité, en apporte ici la preuve. Et d’abord il fait voir que l’Esprit Saint donne cette vie de gloire; il allègue, en second lieu, le motif pour lequel cette vie est différée, à ces mots (verset 17): "Si cependant nous souffrons avec lui."

I° Sur sa première proposition il fait ce raisonnement: Tous ceux qui sont les enfants de Dieu obtiennent l’éternité de la vie glorieuse; or tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit Saint sont les enfants de Dieu: donc quiconque est dirigé par l’Esprit de Dieu obtient l’héritage de la vie glorieuse. Il pose donc: I. La mineure de ce raisonnement; II. La majeure, "à ces mots" (verset 17): "Mais si nous sommes enfants."

I. Pour la mineure, il énonce ce qu’il veut établir; il prouve sa proposition, à ces mots (verset 15): "Aussi n’avez-vous pas reçu l’Esprit de servitude..."

Sur l’énoncé de sa proposition il faut observer deux choses:

A) Remarquez d’abord de quelle manière quelques-uns sont conduits par l’Esprit de Dieu. On peut entendre ces paroles (Rm 8,14): "Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu," en ce sens: qui sont dirigés par cet Esprit comme par un guide, par un maître; c’est l’office que l’Esprit Saint remplit à notre égard, en nous éclairant intérieurement pour que nous connaissions ce qu’il faut faire (Ps. CXLII, 9): "Votre Esprit souverainement bon me conduira dans la voie droite." Mais, parce que celui qui est conduit n’agit pas par lui-même, et que l’homme spirituel n’est pas seulement instruit par l’Esprit Saint sur ce qu’il faut faire, mais encore dirigé quant à son coeur, il faut voir dans ce passage plus qu’il n’est exprimé par ces mots: "Ceux qui sont conduits par le Saint Esprit." En effet, par cette expression être conduit on entend être déterminé par une sorte d’impulsion supérieure. C’est de là que nous disons des animaux sans raison non qu’ils agissent, mais qu’ils sont poussés, parce qu’ils sont portés par la nature et non par un mouvement propre leurs actions. Or, de même, l’homme spirituel est poussé à agir non principalement par le mouvement de sa propre volonté, mais par l’inspiration de l’Esprit Saint, selon ce passage d’Isaïe (Is 59,19): "Lorsqu’il viendra comme un fleuve impétueux que pousse l’Esprit de Dieu." C’est ainsi qu’il est dit encore du Sauveur (Luc, IV, 1): "Qu’il fut poussé par l’Esprit dans le désert." Cependant on ne veut pas dire par là que les hommes spirituels n’agissent pas par leur volonté et par leur libre arbitre, car le mouvement même de la volonté et du libre arbitre est produit en eux par l’Esprit Saint, selon ces paroles (Ph 2,13): "C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire."

B) Il faut considérer, en second lieu, de quelle manière ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu. La chose est évidente en la comparant aux enfants charnels, qui tirent de leur père leur génération selon la chair. C’est ainsi, en effet, que la génération spirituelle, qui procède du Père, a pour auteur l’Esprit Saint, et, par elle, il est donné à quelques-uns d’être engendrés comme enfants de Dieu (I Jean, III, 9): "Quiconque est né de Dieu ne connaît pas le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui."

Quand S. Paul dit (Rm 8,15): "Aussi n’avez-vous pas reçu l’Esprit de servitude," il prouve sa proposition, à savoir, que ceux qui reçoivent l’Esprit de Dieu deviennent les enfants de Dieu. Il le prouve de trois manières: par la distinction des dons de l’Esprit Saint; par notre propre confession, à ces mots (verset 15): "Dans lequel nous crions: Mon Père;" par le témoignage de l’Esprit Saint, à ces autres (verset 16): "C’est cet Esprit qui rend témoignage."

A) A l’égard des dons de l’Esprit Saint, remarquez que l’Esprit Saint produit en nous deux effets: l’un de crainte (Is 11,3): "Il sera rempli de l’Esprit de la crainte du Seigneur;" l’autre d’amour (Rom., V, 5): "L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné." Or la crainte fait les esclaves, mais il n’en est pas de même de l’amour. Pour rendre ceci évident, observons que la crainte a deux objets: le mal que l’on fait par la crainte et ce qui paraît nous menacer dans ce mal. C’est ainsi qu’on dit que l’homme craint et la mort et le roi qui peut la donner. Or quelquefois le mal que l’on redoute est opposé au bien corporel ou temporel, qu’en certaines circonstances on aime, contrairement à l’ordre, et que l’on répugne à subir de la part d’un homme ordinaire. Cette disposition est la crainte humaine ou mondaine; elle ne vient pas de l’Esprit Saint. Le Sauveur la condamne (Matth., X, 28): "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps." Il est une autre crainte qui fuit le mal, parce qu’il est opposé à la nature créée, à savoir le mal de la peine. On craint de le subir de la part d’une cause spirituelle, c’est-à-dire de la main de Dieu. Cette crainte est louable en ce que, au moins, elle craint Dieu (Deut, V, 29): "Qui leur donnera un coeur pour me craindre?" Quand elle est telle, elle vient de l’Esprit Saint; mais lorsque cette crainte ne fuit pas le mal opposé au bien spirituel, à savoir le péché, mais seulement le châtiment du péché, elle n’est pas louable. Ce défaut, elle ne le tient pas de l’Esprit Saint, mais de l’imperfection de l’homme. C’est ainsi que la foi informe, en tant qu’elle appartient à la foi, procède de l’Esprit Saint, mais non en tant qu’elle est informe. Si donc, sous l’inspiration de cette crainte, on fait quelque bonne action, cette action n’est pas bien faite, parce qu’on ne la fait pas spontanément, mais comme contraint par la crainte du châtiment, ce qui est le propre de l’esclave. Voilà pourquoi cette crainte est justement appelée servile, car elle fait agir l’homme servilement. Il est une troisième crainte qui fuit le mal opposé au bien spirituel, c’est-à-dire le péché, ou la séparation de Dieu, qu’elle redoute d’encourir par une juste vengeance. Ainsi, dans ce double objet, elle envisage une chose spirituelle, bien qu’elle ait en même temps l’oeil au châtiment. Or cette crainte est appelée la crainte des commençants, parce que, d’ordinaire, elle se trouve dans les pécheurs au début de leur conversion. Ils craignent le châtiment à cause de leurs péchés passés; mais ils craignent aussi, en vertu de la grâce infuse de la charité, d’être séparés de Dieu par le péché. C’est de cette crainte qu’il est dit dans le Psalmiste (CX, 9): "La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse." Il est enfin une quatrième espèce de crainte, qui, des deux côtés, n’envisage que le bien spirituel, parce qu’elle ne redoute que la séparation de Dieu. Cette crainte est sainte; elle subsiste dans l’éternité, comme le dit aussi le Psalmiste (XVIII, 9). Or, de même que la crainte des commençants est produite par la charité imparfaite, cette dernière crainte est l’oeuvre de la charité parfaite (I Jean, XV, 18): "L’amour parfait chasse la crainte." Voilà pourquoi on ne distingue pas la crainte initiale et la crainte pure, de l’amour de charité, principe de l’une et de l’autre, mais seulement la crainte du châtiment; car, de même que cette dernière fait l’esclave, l’amour de charité fait la liberté des enfants, puisqu’il détermine l’homme à agir volontairement pour l’honneur de Dieu, ce qui est le propre des enfants. Ainsi la Loi ancienne a été donnée dans la crainte, ce qui était marqué par le bruit du tonnerre et les autres prodiges qui eurent lieu à sa promulgation (Exode, XIX, 16-19). Voilà pourquoi l’Apôtre dit aux Hébreux (X, 21): "En effet, ce qui apparaissait était terrible." C’est pour cela aussi que la Loi ancienne, qui portait, par la menace du châtiment, à garder les commandements de Dieu, a été donnée dans l’Esprit de servitude. De là ce mot de S. Paul aux Galates (IV, 24): "La première alliance établie sur le mont Sinaï n’en gendre que des esclaves." C’est pourquoi l’Apôtre dit ici: Il a été avancé avec vérité que "Ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants, etc." Car il n’en va pas dans la Loi nouvelle comme dans la Loi ancienne: "Vous n’avez pas reçu l’Esprit de servitude qui inspire la crainte," à savoir la crainte des châtiments, crainte excitée cependant par l’Esprit Saint; mais "Vous avez reçu l’Esprit," à savoir de charité, qui est l’Esprit "d’adoption des enfants," c’est-à-dire par lequel nous sommes adoptés comme enfants de Dieu (Galates IV, 5): "Afin que nous reçussions l’Esprit d’adoption des enfants." Cependant cette manière de parler n’implique pas deux Esprits différents, mais un même Esprit, qui, dans les uns, produit la crainte servile, c’est-à-dire un amour encore imparfait, et, dans les autres, l’amour, c’est-à-dire un sentiment parfait.

B) En ajoutant (verset 15): "Dans lequel nous crions," l’Apôtre développe ce qui précède par notre témoignage. En effet, nous faisons profession, instruits comme nous sommes par Notre Seigneur Jésus-Christ, d’avoir Dieu pour Père, lorsque nous disons dans la prière "Notre Père, qui êtes aux cieux (Matthieu, VI, 9). Or il convient non seulement aux Juifs, mais aux Gentils de parler ainsi. Aussi S. Paul se sert d’expressions qui ont la même signification, à savoir "Abba," qui est un mot hébreu, et Pater, qui est latin ou grec, afin de montrer que ce titre peut être revendiqué par l’un et l’autre peuple. C’est ainsi que Notre Seigneur a dit (Marc, XIV, 36): "Abba" (mon Père), tout vous est possible;" (Jérémie, III, 19): "Vous m’appellerez votre Père." Or nous parlons ainsi non pas tant par le son de la voix que par le désir du coeur, désir qui, à cause de sa vivacité, est appelé un cri, ainsi qu’il fat dit à Moïse, alors même qu’il se taisait (Exode, XIV, 15): "Pourquoi criez-vous vers moi?" à savoir, par le désir du coeur. Cette vivacité du désir procède du sentiment filial de l’amour que l’Esprit Saint produit en nous. C’est pourquoi S. Paul dit: "Dans lequel, c’est-à-dire dans lequel Esprit Saint, "nous crions: Mon Père." C’est ainsi qu’il est dit en Isaïe (VI, 2): "Les Séraphins," dont le nom signifie ardent et comme embrasé par le feu de l’Esprit Saint, "criaient l’un à l’autre: Saint, Saint, etc."

C) Lorsqu’il dit (verset 16): "En effet, l’Esprit lui-même," S. Paul poursuit son explication en apportant le témoignage de l’Esprit Saint, à moins que l’on ne prétende que, dans notre confession, nous sommes les jouets de l’erreur. Ce qui fait dire à S. Paul que "C’est par l’Esprit Saint que nous crions: Abba (mon Père)," c’est que "L’Esprit Saint lui-même nous rend témoignage que nous sommes les enfants de Dieu." Or il rend ce témoignage non par des sons extérieurs aux oreilles des hommes, comme le Père l’a fait à l’égard de son Fils (Matth., III, 17), mais par l’amour filial qu’il produit en nous. Voilà pourquoi l’Apôtre dit que "l’Esprit Saint rend ce témoignage" non à nos oreilles, mais "à notre esprit" (Actes, V, 32): "Nous sommes témoins de ce que nous disons."

II. En ajoutant (verset 17): "Mais si nous sommes enfants," S. Paul pose sa majeure.

Il montre que l’héritage est dû aux enfants: "Mais si nous sommes enfants" par l’Esprit, il s’ensuit que "nous sommes héritiers," parce que le fils non seulement naturel, mais même adoptif, a droit à l’héritage (I Pierre, I, 3): "Il nous a régénérés dans la vive espérance de cet héritage pur, immortel, etc.;" et (Ps., XV, 6): "J’ai un héritage excellent."

L’Apôtre fait voir quel est cet héritage.

A) D’abord il le décrit, quant à Dieu le Père, en disant (verset 17): "Je dis "héritiers de Dieu." On dit de quelqu’un qu’il est l’héritier d’un autre, lorsqu’il reçoit ou obtient les biens principaux, et non pas seulement quelques médiocres présents. C’est ainsi qu’on lit dans la Genèse (XXV, 5) qu’Abraham " donna à Isaac tout ce qu’il possédait, mais qu’il fit des présents aux enfants de ses autres femmes." Or le bien principal qui fait la richesse de Dieu, c’est lui-même. En effet, Dieu es riche de lui-même, et non pas par quelqu’autre trésor, car il n’a aucunement besoin de biens étrangers, comme il est dit dans le Psalmiste (XV, 2). Les enfants de Dieu obtiennent donc pour héritage Dieu lui-même; ce qui fait dire encore au Psalmiste (XV, 4): "Le Seigneur est la part qui m’est échue en héritage;" et au Prophète (Lament. de Jérémie, III, 24): "Le Seigneur est mon partage, dit mon âme elle-même."

Cependant, comme un fils n’obtient l’héritage qu’après la mort de son père, il semble que l’homme ne puisse pas être l’héritier de Dieu, qui ne meurt jamais. Il faut répondre qu’il en est ainsi quand il s’agit des biens temporels, qui ne peuvent être possédés en même temps par plusieurs personnes; aussi est-il nécessaire que le père meure pour que ses fils lui succèdent. Mais les biens spirituels peuvent être possédés en même temps par plusieurs; voilà pourquoi il n’est pas nécessaire que Dieu le Père meure pour que ses enfants soient héritiers. Toutefois on peut dire que Dieu semble décéder pour nous en tant qu’il est en nous par la foi; mais son héritage nous appartiendra lorsque nous verrons Dieu comme il est.

B) En second lieu, S. Paul dépeint cet héritage par rapport au Christ, lorsqu’il dit (verset 17): "Cohéritiers du Christ; car, comme il est principalement son Fils, et que par lui nous participons à sa filiation divine, il est aussi l’héritier principal auquel nous sommes associés dans l’héritage (Matt/z., I, 15): "Celui-ci est l’héritier; tenons-le, et nous posséderons son héritage;" et (Michée XXII, 38): "Je vous amènerai un nouvel héritier."

II° Lorsqu’il dit (V, 17): "Pourvu que nous souffrions avec lui," l’Apôtre indique le motif du délai de cette vie glorieuse. Il la montre du côté des souffrances; il fait voir la prééminence de la gloire sur les souffrances.

I. Sur le premier de ces points, il faut remarquer que le Christ, qui est l’héritier principal, n’est arrivé à l’héritage de la gloire que p les souffrances (Luc, XXXV, 26): "Ne fallait-il pas que le Christ souffrit et qu’il entrât ainsi dans sa gloire?" Or nous ne devons pas entrer en possession de l’héritage à des conditions plus faciles. Voilà pourquoi il nous faut aussi arriver à cet héritage par les souffrances (Actes, XXV, 21): "C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu." En effet, nous ne recevons pas dès cette vie un corps immortel et impassible, afin que nous puissions souffrir avec le Christ. C’est pourquoi S. Paul dit (verset 17): "Pourvu cependant que nous souffrions avec lui," c’est-à-dire si nous supportons patiemment avec Jésus-Christ les épreuves de ce monde, "afin d’être glorifiés avec lui " (II Timoth., II, 2): "Si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui."





Romains 8, 18 à 22: La gloire future

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Rm 8,18-22)



SOMMAIRE: Combien la gloire future, que toute la création attend en gémissant, est au-dessus de toutes les épreuves de ce siècle.

18. Or j'estime que les souffrances du temps présent n'ont pas de proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous.

49. Aussi la créature attend avec grand désir la manifestation des fils de Dieu.

20. Car elle est assujettie à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui l’y a assujettie dans l'espérance,

21. Qu'elle-même, créature, sera aussi affranchie de la servitude de la corruption, pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu.

22. Car nous savons que toutes les créatures soupirent et sont dans le travail de l'enfantement jusqu'à cette heure.

Après avoir dit et démontré que nous sommes délivrés par la grâce de Jésus-Christ, l’Apôtre assigne ici la cause du délai de la vie immortelle, qui est l’héritage des enfants de Dieu: c’est qu’il nous faut souffrir avec Jésus-Christ pour devenir les associés de sa gloire. Et comme l’on pouvait dire qu’un tel héritage était onéreux, puisqu’on n’y peut parvenir qu’en passant par les épreuves, il fait voir l'excellence de la gloire future comparativement aux souffrances du temps présent. Il énonce sa proposition; II° il la prouve, à ces mots (verset 19): "Aussi la créature attend, etc."

I° Il dit donc: J’ai avancé qu’il nous faut souffrir pour être glorifiés; or nous ne devons pas reculer devant les épreuves pour obtenir la gloire: "En effet, j’estime," moi qui ai connu l’un et l’autre (Ecclésiastique XXXIV, 9): "L’homme éprouvé en beaucoup de choses pensera beaucoup." S. Paul a passé par de nombreuses épreuves, selon ce qu’il dit (Cor., X, 23): "J’ai essuyé plus de travaux, j’ai enduré plus de prisons." Il a pu aussi contempler la gloire future (II Corinthiens XII, 3): "Ravi dans le paradis, il y entendit des secrets mystérieux." (verset 18): "J’estime" donc, dit-il, "que les souffrances de la vie présente n’ont aucune proportion avec cette gloire future qui sera révélée en nous." Il se sert ici de quatre raisons pour relever l’excellence de cette gloire.

Il désigne premièrement son éternité (verset 18): "La gloire future, à savoir, qu’on obtient après le temps présent; or après la vie présente il n’y a plus que l’éternité. Cette gloire donc, à raison de sa durée, surpasse les épreuves de ce temps, comme ce qui est éternel surpasse ce qui est temporel (II Cor., IV, 17): "Les afflictions si courtes et si légères de la vie présente manifestent en nous le poids éternel d’une sublime et incomparable gloire."

Secondement, sa dignité (verset 18): "La gloire;" ce qui donne à entendre l’éclat de la dignité (Psaume CXLIX, 5): "Les saints triompheront dans la gloire."

Troisièmement, sa manifestation (verset 18): "Qui sera révélée en nous." Car, si dès maintenant les saints possèdent la gloire, elle est cachée dans la conscience (Cor., I, 12): "Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience." Mais alors cette gloire sera manifestée en présence de tous, et des bons et des méchants, dont il est dit (Sag., V, 2): "Ils s’étonneront de ce salut inespéré et soudain."

Quatrièmement, sa vérité (verset 18): "En nous;" car la gloire de ce monde est vaine, parce qu’elle réside dans des choses extérieures à l’homme, par exemple dans le faste des richesses et dans l’opinion des hommes (Psaume XLVIII, 6): "Ils se glorifient dans la grandeur rie leurs richesses." Mais notre gloire consistera dans ce qui est au-dedans de l’homme même, suivant ces paroles de S. Luc (XVII, 21): "Le royaume de Dieu est au-dedans de vous." Donc les épreuves de la vie présente, à les considérer en elles-mêmes, sont au-dessous de toute comparaison avec la grandeur de la gloire future (Isaïe LIV, 7): "Je t’ai délaissée pour un moment; mais, dans ma grande miséricorde, je te rappellerai." Si l’on considère ces épreuves en tant qu’on s’y soumet volontairement pour Dieu, par un effet de l’amour que l’Esprit Saint produit en nous, l’homme peut, par ces épreuves, mériter la vie éternelle d’un mérite de condignité (1), car cet Esprit est la source dont "les eaux," comme il est dit en S. Jean (XIV, 14), "jaillissent jusque dans la vie éternelle."

(1) L’action méritoire est celle qui est digne de récompense. Or on distingue deux sortes de mérites. Le mérite proprement di qu’on appelle mérite de condignité, de condigno et le mérite improprement dit, autrement le mérite de convenance, de congruo.Pour le premier genre de mérite, de la part de Dieu la récompense est comme un acte de justice, Dieu s’étant rendu notre débiteur par sa promesse; pour le second, la récompense, si on peut lui donner ce nom, n’est qu’un acte de bonté, de miséricorde, un don gratuit à tout égard".

II° En disant (verset 19): "Aussi la créature attend," S. Paul prouve sa proposition par l’excellence de cette gloire, d’abord par l’attente de la créature, ensuite par l’attente des apôtres, à ces mots (verset 23): "Et non seulement les créatures, mais nous-mêmes." Sur le premier de ces points, I. Il indique l’attente de la créature; II. Il s’explique, à ces mots (verset 20): "Car elle est assujettie."

I. Il dit donc: "J’ai dit que la gloire future surpasse les épreuves présentes:" or ceci est manifeste. En effet, "l’attente de la créature," c’est-à-dire toutes les créatures elles-mêmes qui attendent, attend la manifestation des enfants de Dieu, parce que, comme il est dit (I Jean, III, 2): "Nous sommes maintenant les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore." Car la dignité de la divine filiation est cachée dans les saints, à cause des épreuves extérieures; mais dans la suite cette dignité sera révélée, quand les justes recevront la vie immortelle et glorieuse, en sorte que le Sage fait dire aux impies (Sag., V, 5): "Les voilà donc comptés parmi les enfants de Dieu." S. Paul dit: "L’attente attend, pour faire comprendre par cette répétition l’ardeur de l’attente," comme a fait le Psalmiste (XXX, 1): "J’attends, j’attends le Seigneur."

Toutefois il faut remarquer que cette expression: "Créature," peut être prise ici dans un triple sens:

Pour les hommes justes, qui sont appelés spécialement créatures de Dieu, ou parce qu’ils persévèrent dans le bien dans lequel ils ont été créés, ou, en raison de leur excellence, parce que toutes les créatures, dans un certain sens, leur sont soumises (Jacques I, 18): "C’est volontairement qu’il nous a engendrés par la parole de la vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures. Or "cette créature," c’est-à-dire l’homme juste," attend la manifestation de la gloire des enfants de Dieu, comme une récompense qui lui a été promise (Tite, II, 13): "Attendant toujours la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ."

On peut entendre par créature la nature humaine elle-même, qui est dépendante des biens de la grâce, nature qui, dans les pécheurs, n'est pas encore justifiée mais informe, et, dans les hommes justifiés, est en partie restaurée par la grâce, et toutefois encore imparfaite, par comparaison avec un autre état plus parfait qu’elle doit recevoir dans la gloire. Ainsi donc "la créature," c’est-à-dire nous-mêmes, en tant qu’on nous considère relativement aux biens de la nature, "attend la manifestation de la gloire des enfants de Dieu;" et cela, pour nous aussi, se fait par la grâce: comme quand nous disons que la matière attend la forme, ou que les couleurs attendent l’image pour se compléter, ainsi que l’explique la Glose (Job XIV, 14): "Durant les jours durant lesquels maintenant je combats, j’attends que mon changement vienne."

On peut encore appliquer ce mot à la créature sensible elle-même, par exemple aux éléments de ce monde (Sagesse XIII, 5): "Par la grandeur, par la beauté de la créature, le Créateur peut être connu et devenir visible." Or "cette créature," ainsi considérée, "attend" de deux manières; car l’attente de la créature sensible, en tant qu’elle est l’oeuvre de Dieu, est ordonnée pour une fin, et cela de deux manières.

Premièrement, en tant que Dieu lui imprime certaine forme et comme une vertu naturelle, par laquelle elle est dirigée vers une fin naturelle: comme si l’on disait, par exemple, que l’arbre attend sa fructification et le feu son centre vers lequel il s’élève.

Secondement, en tant que Dieu la dirige vers une fin qui excède sa forme naturelle; car de même que le corps humain sera revêtu d’une forme surnaturelle et glorieuse, ainsi, dans cette gloire des enfants de Dieu, toute créature sensible recevra comme une gloire nouvelle, selon ce passage de l’Apocalypse (XXI, 1): "Je vis un ciel nouveau et une nouvelle terre." Dans ce sens, la créature sensible "attend la manifestation de la gloire des enfants de Dieu."

II. Lorsque l'Apôtre dit (verset 20): "Car elle est assujettie à. la vanité...," il explique l’attente dont il vient de parler. Il établit la nécessité de cette attente; son terme, à ces mots (verset 21): "Dans l’espérance qu’elles seront elles-mêmes affranchies;" la preuve de cette attente, à ces autres (verset 22): "Car nous savons que jusqu’à présent."

La nécessité de l’attente vient de l’imperfection à laquelle est soumise la créature; car celui à qui rien ne manque n’est pas dans la nécessité d’attendre. Or l’Apôtre fait voir l’imperfection de la créature, lorsqu’il dit (verset 20): "Car la créature est assujettie à la vanité..." Si par créature on entend l’homme juste, il faut expliquer ainsi ces mots: "Assujettie à la vanité," c’est-à-dire à. ces choses corporelles qui sont sujettes aux changements et sont périssables. De 1à cette expression: "Vaine" (Ecclésiastique I, 2): "Vanité des vanités, et tout est vanité." Or le juste y est assujetti à raison des nécessités de la vie présente, se trouvant forcé de s’en occuper, sans cependant le vouloir, parce qu’il n’aime pas ces choses temporelles, à la différence de ceux contre lesquels il est dit au Psalmiste (IV, 4): "Pourquoi courez-vous après les vanités et embrassez-vous le mensonge?" Cependant, si cette créature est assujettie à cette vanité, c’est en vertu de l’ordre établi par Dieu, qui a soumis l’homme juste à ces créatures sensibles, toutefois "dans l’espérance" qu’un jour l’homme sera délivré de cette préoccupation, au moment de la résurrection, c’est-à-dire lorsque les hommes (Matth., XXII, 30): "N’auront plus de femmes et les femmes plus de maris, mais que tous seront comme les anges de Dieu dans le ciel." Que si l’on entend par créature la nature humaine, le sens est celui-ci: "la nature humaine est assujettie à. la vanité, c’est-à-dire à la passibilité comme le dit le Psalmiste (XXXVIII, 6): "Oui, tout homme vivant n’est que vanité;" - "Contre son gré," cependant, parce que cette vanité est infligée comme un châtiment à la nature humaine. Or la peine est contre la volonté, comme la faute est par la volonté. Toutefois la nature humaine est soumise à ces agitations "à cause de Celui," c’est-à-dire à cause de l’arrêt de Dieu, qui a assujetti la nature humaine à l’imperfection, mais "avec l’espérance" d’échapper quelque jour à cette épreuve (Is 28,28): "Celui qui brise le blé ne le brisera pas toujours." Si, au contraire, on l’applique à la créature sensible, cette créature est assujettie à la vanité, c’est-à-dire à la mutabilité, "ne le voulant pas." Car ces imperfections, qui sont la conséquence de la mutabilité, comme la corruption, la vieillesse et autres misères semblables, sont contraires à la nature de tel ou tel être en particulier que ses désirs portent à sa conservation, bien qu’elles soient selon les lois de la nature en général. Néanmoins la créature sensible est assujettie à cette vanité "à cause de Celui," c’est-à-dire par l’ordre de Dieu, "qui l’a assujettie" ainsi, "dans l’espérance," c’est-à-dire dans l’attente, d’un renouvellement glorieux, comme il a été expliqué plus haut.

Lorsqu’il ajoute (verset 21): "Dans l’espérance qu’elle sera elle-même affranchie," S. Paul désigne le terme de l’attente dont il vient de parler; car cette attente ou cette espérance n'est pas vaine, puisque la créature elle-même sera affranchie de l’asservissement à la corruption, pour entrer dans la liberté et dans la gloire des enfants de Dieu. Que si par "la créature" on désigne l’homme juste, il faut entendre, par l’asservissement la corruption, le soin de se procurer le vivre, le vêtir et autres nécessités semblables, qui nous rendent dépendants de notre mortalité, espèce de servitude dont seront délivrés les saints, qui aspirent à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu; car, bien qu’ils aient dès maintenant la liberté de la justice, qui affranchit de la servitude du péché, ils n’ont pas encore la liberté de la gloire, qui affranchit de la servitude des misères (Job, XXXIX, 5): "Qui a laissé aller libre l’âne sauvage?" Si par "créature" on comprend la nature humaine elle-même, "elle sera délivrée de la servitude de la corruption," c’est-à-dire, selon la lettre, de la passibilité et de la corruption, et cela en aspirant à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu, liberté et gloire qui nous délivreront non seulement de la coulpe, mais encore de la mort, comme le dit S. Paul (I Cor., XV, 54): "La mort a été absorbée dans la victoire. Si l’on entend ce passage de la créature sensible, cette créature elle-même sera délivrée de la servitude de la corruption," c’est-à-dire de la mutabilité, parce que dans tout changement il y a corruption, comme l’a remarqué S. Augustin et même Aristote (VIII° Phys., ch. XIII), et cela pour concourir à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu; car il convient à cette liberté que, de même qu’ils sont renouvelés, leur habitation devienne également nouvelle (Is 65,17): "Je vais créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre; et le passé," c’est-à-dire la première mutabilité de la créature, "ne sera plus dans ma mémoire." L’Apôtre ajoute: "Parce qu’elle-même, etc."

Selon le premier sens, c’est comme s’il disait: non seulement nous autres apôtres, mais encore les autres justes;

Dans le second sens: non seulement les justes, mais la nature humaine elle-même, qui dans quelques-uns n’est pas renouvelée par la grâce;

Dans le troisième sens, c’est comme si l’Apôtre disait: non seulement les hommes, mais le reste des créatures.

En disant (verset 29): "Car nous savons, etc.," S. Paul donne la preuve de l’attente, en ces termes (verset 29): "Car nous savons, nous autres apôtres," instruits par l’Esprit Saint et aussi par l’expérience, "que toutes les créatures gémissent et sont dans les douleurs de l’enfantement." Si l’on entend ce passage de la nature sensible, il présente quelque difficulté. D’abord ces expressions: "elles gémissent et sont dans l’enfantement," ne paraissent convenir qu’à la créature raisonnable. Cependant on peut ne voir dans ces mots: "Elles gémissent," que ce que l’Apôtre a dit auparavant: "Ne le voulant pas;" car nous gémissons de subir des choses qui répugnent à notre volonté. Ainsi donc, en tant que les imperfections de la créature sensible sont contraires au désir naturel de la nature particulière, on dit de la créature sensible elle-même qu’elle gémit. Quant à cette autre expression: "Elles sont dans l’enfantement," elle a le même sens que les mots cités plus haut: "Elles attendent;" car l’enfantement est le moyen de la reproduction. La seconde difficulté se trouve dans ces paroles: Toutes les créatures, qui comprendraient aussi les corps célestes. Aussi la Glose dit-elle que le soleil et la lune ne par courent pas sans fatigue les espaces qui leur sont assignés. Mais il faut expliquer ce passage en prenant le travail pour mouvement, comme le repos est pris quelquefois pour la cessation du travail, ainsi qu’il est dit (Gen., II, 2): "Dieu se reposa le septième jour." Dans ce sens, par "gémissement", il faut entendre la corruption qui se mêle au mouvement local, à savoir, en tant qu’il cesse d’exister dans un lieu pour se reproduire dans un autre; et par "enfantement", il faut comprendre l’ordre des corps célestes relativement à leur révolution. Si l’on applique ce passage aux hommes, on peut appeler la nature humaine "toute créature," parce qu’elle a avec toutes les créatures quelques points communs: elle participe de la spirituelle par l’intelligence; de l’animale, par l’animation des corps; de la corporelle, par le corps lui-même. Cette créature donc, c’est-à-dire l'homme "gémit," tant à cause des maux qu’il endure qu’à cause des biens qu’il espère et qui sont différés (Lament. de Jér., I, 22): "Mes gémissements sont nombreux." Elle est dans l’enfantement, parce qu’elle supporte avec une certaine affliction d’esprit le délai de la gloire qu’elle attend (Proverbes XIII, 12): "L’espérance qu’on traîne après soi afflige l’âme;" (Jean, XVI, 21): "Une femme, lorsqu’elle enfante, est dans la tristesse;" et (Psaume XLVII, 7): "Les douleurs de l’enfantement pèsent sur eux."

L’Apôtre ajoute (verset 22): "Jusqu’à cette heure," parce que ce gémissement ne cesse pas par notre justification, mais il demeure "jusqu’à cette heure," c’est-à-dire jusqu’à la mort; ou "jusqu’à cette heure," parce que, si quelques-uns déjà délivrés sont dans la gloire, nous cependant nous restons; ou "jusqu’à cette heure," parce que non seulement les patriarches qui vécurent avant Jésus-Christ, mais nous dans le temps même de la grâce, nous passons par les mêmes épreuves. Aussi S. Pierre (II Ep., III, 4) dit en faisant parler les impies: Qu’est devenue la promesse de son avènement? Depuis que nos pères sont morts, toutes choses sont comme elles étaient au commencement du monde." Il faut dire encore que, de ce qu’on peut appeler créature de Dieu tout ce qui est soumis à Dieu, on a voulu appliquer ce passage à toutes les créatures, même aux saints anges. Mais on ne saurait soutenir que ces nobles Esprits sont soumis à la vanité, qu’ils sont dans les gémissements ou dans la douleur, puisqu’ils possèdent déjà la gloire et Celui de qui nous attendons une gloire semblable, suivant ces paroles de S. Matthieu (XXII, 30): "Ils seront comme les anges de Dieu dans les cieux." Ce passage s’explique donc plus convenablement comme nous l’avons fait.




Thomas A. sur Rm (1869) 37