Thomas sur Jean 66

66 Jn 10,6-10

1378. L’Évangéliste souligne ici la nécessité d’expliquer la similitude exposée plus haut; cette nécessité a pour cause l’ignorance des auditeurs. D’abord, il relève la cause de l’ignorance; puis il manifeste l’ignorance elle-même [n° 1380].

1379. La cause de l’ignorance fut que le Christ s’exprimait sous une forme énigmatique: JÉSUS LEUR DIT CE PROVERBE 1. Au sens propre, il y a "proverbe" quand on met une chose à la place d’une autre, c’est-à-dire quand on donne à entendre une parole à partir d’une similitude avec autre chose; c’est ce qu’on appelle aussi parabole.

Or le Seigneur parlait sous forme de proverbes en premier lieu à cause des méchants, pour leur cacher les mystères du Royaume céleste — A vous, il a été donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu, mais pour tous les autres, c’est en paraboles 2. En second lieu à cause des bons, pour qu’à partir des proverbes ils s’exercent à chercher; voilà pourquoi, lorsque le Christ avait proposé des proverbes ou des paraboles aux foules, ses disciples l’interrogeaient à part, comme on le voit dans les évangiles de Matthieu et de Marc. C’est pourquoi aussi saint Augustin dit: "Le Seigneur fait paître par des paroles manifestes", à savoir les foules qui croyaient en lui, "et exerce par des paroles obscures", à savoir les disciples 4.
I. Hoc proverbium dixit eis Jesus. Nous traduisons ici littéralement le texte de la Vulgate, en fonction du commentaire de saint Thomas qui suit. La Vulgate rend sans confusion les termes grecs XXX (seulement dans le quatrième évangile) et XXX respectivement par proverbium et parabola, de sorte que pour être tout à fait précis il faut maintenir une certaine distinction entre les deux, le premier s su second une nuance plus sapientiale.
2. Lc 8, 10.


1380. L’Évangéliste met en lumière l’ignorance des auditeurs lorsqu’il dit: MAIS EUX NE CONNURENT PAS CE QU’IL LEUR DISAIT. L’ignorance qui provenait des proverbes proposés par le Christ était certes utile, et [en même temps] funeste. Elle est utile aux bons et aux justes pour s’exercer et pour louer Dieu; car, en ne comprenant pas et en croyant, ils glorifient le Seigneur et sa sagesse qui les dépasse — La gloire de Dieu est de cacher la parole 5. Mais cette ignorance est funeste aux méchants parce que, ne comprenant pas, ils blasphèment, selon cette parole de l’épître canonique de Jude: Tout ce qu’ils ignorent, ils le blasphèment 6. En effet, comme le dit Augustin 7, lorsque l’homme pieux et l’impie entendent les paroles de l’Evangile, et que ni l’un ni l’autre ne les comprennent, l’homme pieux dit: Il dit vrai et ce qu’il a dit est bon, mais nous, nous ne comprenons pas. Et là certes, il frappe déjà, lui à qui il est juste que l’on ouvre, si toutefois il persiste 8. Quant à l’impie, il dit: Il n’a rien dit, ce qu’il dit est mauvais.
3. Cf. Mt 13, 10 et Mc 4, 10.
4. Tract, in Ioann., XLV, 6, BA 73", p. 54-55.
5. Pr 25, 2.
6. Jude 10.
7. Tract, in Ioann., XLV, 7, BA 73", p. 56-59.
8. Cf. Mt 7,7; Lc 11,9.




C. L’EXPLICATION DE LA PARABOLE PAR LE CHRIST



1381. Le Seigneur donne maintenant le sens de la parabole.

Si on considère d’une manière droite cette parabole, elle contenait deux affirmations principales dont les autres dé pendent. La première est celle-ci: CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS […] CELUI-LÀ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND. Et la seconde est celle-ci: MAIS CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. C’est la raison pour laquelle cette partie du texte se divise en deux.

En effet, le Christ donne d’abord le sens de la première affirmation [de la parabole], en expliquant ce qu’elle contenait, puis en le prouvant [n° 1386]. Il donnera ensuite le sens de la seconde affirmation [n° 1397].

Première affirmation de la parabole.




JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU: "AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS.

TOUS CEUX QUI SONT VENUS SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS; MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. MOI JE SUIS LA PORTE. SI QUELQU’UN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES. LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, ET POUR METTRE À MORT ET POUR PERDRE. MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE, ET QU’ON L’AIT SURABONDANTE. JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU: "AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. "

I

Dans la première affirmation de la parabole, il est fait mention de la porte, ainsi que du voleur et du brigand. Le Christ donne le sens de ces deux éléments.



1382. JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU, pour les rendre plus attentifs et pour qu’ils comprennent la similitude — Il pénétrera la parabole et son interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes 1 — : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, c’est-à-dire en vérité, QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. En effet, la fonction de la porte est que, par elle, on accède à l’intérieur de la maison; et cela convient au Christ, car c’est par lui que tout homme doit entrer dans les secrets de Dieu — Voici la porte du Seigneur, à savoir le Christ, les justes entreront par elle 2.

Il dit DES BREBIS, parce que ce ne sont pas seulement les pasteurs qui Sont introduits dans l’Eglise présente 3 par le Christ, ou qui s’avancent par le Christ vers la béatitude éternelle; ce sont aussi les brebis, et c’est pourquoi il est dit plus loin: Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle 4.
1. Pr 1,6.
2. Ps 117, 20.
3. s L’Église présente s désigne ici l’Église dans son pèlerinage terrestre.
4. Jn 10, 27-28.





TOUS CEUX QUI SONT VENUS SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS; MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS.

1383. Ici, le Seigneur explique ce qu’il a dit du voleur et du bandit. Il montre d’abord qui est un voleur et un bandit; il en donne ensuite un signe.

1384. Il faut ici prendre garde à l’erreur des manichéens: condamnant l’Ancien Testament, ils affirment à partir de ce qui est dit ici que les pères de l’Ancien Testament, qui furent avant le Christ, furent mauvais et ont été damnés 1.

Il apparaît que cela est faux, pour trois raisons. Première raison: ce qui a été dit dans la parabole. En effet, ce qui est dit ici: TOUS CEUX QUI SONT VENUS, est présenté comme une explication de ce qui précède CELUI QUI N’ENTRE PAS... Donc, TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire non pas par moi, à savoir en n’entrant pas par la porte, SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS. Or il est établi que tous les prophètes et les patriarches sont entrés par la porte, c’est-à-dire le Christ; en effet, le Christ qui devait venir les envoyait en hérauts. Bien qu’il ait pris chair dans le temps et qu’il se soit fait homme, il était cependant de toute éternité le Verbe de Dieu — Jésus — Christ est le même hier et aujourd’hui, et dans les siècles 2. Or les prophètes ont été envoyés par le Verbe de Dieu et la Sagesse — La Sagesse de Dieu se communique à toutes les nations dans des âmes saintes, et elle en fait des prophètes et des amis de Dieu. C’est pourquoi nous lisons clairement dans les Prophètes que la sagesse du Seigneur est advenue à tel ou tel prophète: ils ont prophétisé comme par participation du Verbe de Dieu.

La deuxième raison est que le Seigneur dit: ILS SONT VENUS, comme pour dire de leur propre mouvement, et non pas envoyés par Dieu, mais en s’ingérant. D’eux il est dit: Je ne les envoyais pas, et ils couraient d’eux-mêmes 4. Ces gens-là certes ne sont pas venus du Verbe de Dieu — Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit et ne voient rien Tels ne furent pas les pères de l’Ancien Testament, comme on l’a déjà dit.

La troisième raison est un fait: la conséquence de leurs paroles. En effet, il est dit ici: MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. Ceux donc que les brebis ont écoutés n’ont pas été des voleurs et des bandits. Or le peuple d’Israël a écouté les prophètes. C’est la raison pour laquelle, dans la Sainte Ecriture, ceux qui ne les ont pas écoutés sont blâmés — Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté 6? — Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés 7.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Ioann., XLV, 8, BA 730, p. 58-61.
2. He 13, 8.
3. Sg 7, 27.
4. Jr 23, 21.


1385. Cette erreur étant ainsi évitée, il faut dire: TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire en dehors de moi, en dehors de l’inspiration et de l’autorité divines, et en ayant l’intention non pas de chercher la gloire divine, mais de s’arroger une gloire propre, SONT DES VOLEURS, en tant qu’ils s’attribuent ce qui ne leur appartient pas, à savoir l’autorité pour enseigner — Tes chefs sont infidèles, ils s’associent aux voleurs 8; et ils sont DES BRKANDS, parce qu’ils tuent par une doctrine perverse — Vous, vous en avez fait une caverne de brigands 9 — Conspirant avec les brigands qui tuent sur le chemin de Sichem 10. Mais ceux-là, les voleurs et les brigands, LES BREBIS, qui sont prédestinées, NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS, c’est-à-dire avec persévérance; autrement, elles n’auraient pas fait partie des brebis du Christ, qui NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS S’ENFUIENT LOIN DE LUI, comme il est dit plus haut. Cela était aussi prescrit dans le Deutéronome: Tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète, ou de ce rêveur 1.
5. Ez 13, 3.
6. Ac 7, 52. Le texte de la Vulgate porte persecuti; saint Thomas lit secuti.
7. Me 23, 37.
8. Is 1, 23.
9. Mt 21, 13.
10. Os 6, 9.




II

1386. Le Christ met ensuite en lumière l’explication de la parabole. D’abord le sens qu’il a donné à la porte — pour cela, il résume ce qu’il a l’intention d’expliquer aussitôt —, puis le sens qu’il a donné au voleur.

1387. Il résume ce qu’il a dit par ces mots: MOI JE SUIS LA PORTE — Si c’est une porte, recouvrons-la de planches de cèdre 2, c’est-à-dire attribuons-lui une puissance imputrescible.



SI QUELQU’UN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.

1388. Le Christ donne ici le sens de ce qui précède. Il montre d’abord que l’utilité de la porte, qui est de sauver les brebis, se rapporte à lui, puis il laisse entendre la manière de sauver [n° 1390].




SI QUELQU’UN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ.

1389. La porte sauve en retenant ceux qui sont à l’intérieur, les empêchant de sortir, et en défendant contre ceux qui sont à l’extérieur, les empêchant de pénétrer. Et cela convient au Christ, car c’est par lui que nous sommes sauvés et justifiés. C’est ce qu’il dit SI QUELQU’UN, sans être mensonger, ENTRE dans la société de l’Eglise et de ceux qui ont la foi, PAR MOI, la porte, IL SERA SAUVÉ. Ajoutons: s’il a persévéré — Il n'est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en lequel il nous faille être sauvés 3. — Combien plus serons-nous sauvés en sa vie 4.
1. Dt 13, 3.
2. Ct 8, 9.





ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.

1390. On montre ici le mode du salut; et ces paroles peuvent être expliquées de quatre manières.

D’abord, selon Chrysostome 5, on ne donne ici rien d’autre à entendre que la sécurité et la liberté de ceux qui adhèrent au Christ. Celui qui escalade par ailleurs que par la porte ne peut pas entrer et sortir librement; mais celui qui entre par la porte peut aussi sortir librement. Ces paroles: ET IL ENTRERA ET SORTIRA ont donc pour sens, selon cette similitude, que les Apôtres, en adhérant au Christ, entrèrent avec sécurité, conversant 6 avec les croyants qui sont à l’intérieur de l’Eglise et avec les incroyants qui sont à l’extérieur, quand ils furent devenus seigneurs de toute la terre, et que personne n’eut la puissance de les rejeter — Que le Seigneur, Dieu des esprits de toute chair, pourvoie ce peuple d’un homme qui puisse entrer et sortir: que le peuple du Seigneur ne soit pas comme des brebis sans pasteur 7. [Et les Apôtres ont trouvé] DES PÂTURAGES, c’est-à-dire la douceur de vivre avec les croyants 8, et aussi une joie dans les persécutions qu’il subissent de la part des incroyants pour le nom du Christ, selon cette parole des Actes: Les Apôtres s’en allèrent tout joyeux de devant le grand conseil, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir le mépris pour le nom de Jésus 9.
3. Ac. 4, 12.
4. Rm 5, 10.
5. In loannem hom., LIX, 3, PG 59, col. 325.
6. Conversando. Voir n° 1176, note 3 n° 1374, note 13 et n° 1584, note 2.
7. Nb 27, 16.
8. Delectationem in conversatione fidelium.
9. Ac 5,41.


1391. Ces paroles peuvent aussi être expliquées à la manière d’Augustin dans son commentaire de saint Jean 1. Deux choses incombent à quiconque veut bien agir qu’il se comporte bien à l’égard de ce qui est au-dedans de lui, et à l’égard de ce qui est à l’extérieur. Or, dans l’homme, l’intérieur c’est l’esprit; et l’extérieur c’est le corps — Bien que notre homme qui est à l’extérieur se corrompe, celui qui est à l’intérieur se renouvelle de jour en jour 2. Celui donc qui adhère au Christ accède par la contemplation à la garde de la conscience 3 — Entrant dans ma maison, c’est-à-dire la conscience, je me reposerai auprès d’elle 4, c’est-à-dire la Sagesse. ET IL SORTIRA au dehors, par une action bonne, pour maîtriser son corps — L’homme sortira pour son ouvrage, pour son action jusqu’au soir 5. ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES, à savoir dans une conscience pure et livrée à Dieu 6 — J’entrerai devant ta face, je me rassasierai quand sera apparue ta gloire 7. ET, dans l’action droite, IL TROUVERA DES PÂTURAGES, c’est-à-dire un fruit — Revenant, ils viendront avec exultation, en portant leurs gerbes 8.

1392. La troisième interprétation de ces paroles est encore d’Augustin 9 et aussi de Grégoire dans son commentaire d’Ezéchiel 10: IL ENTRERA, dans l’Eglise, en croyant — J’avancerai vers la tente admirable 11, ce qui est s’avancer vers l’Eglise militante; ET IL SORTIRA, de l’Eglise militante à l’Eglise triomphante — Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles 12. ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES dans l’Eglise militante, ceux de la doctrine et de la grâce — Il m’a mené dans le lieu de son pâturage 13, et dans l’Eglise triomphante, ceux de la gloire — Je les ferai paître dans des pâturages très abondants 14.
1. Tract, in Ioann., XLV, 15, BA 73", p. 82-85.
2. 2 Co 4, 16. Saint Thomas commente longuement ce passage. Citons quelques extraits de ce commentaire s La cause pour laquelle nous ne défaillons pas est celle-ci: bien que noua défaillions selon un aspect, c’est-à-dire quant à l’homme extérieur, cependant nous nous renouvelons toujours sous un autre, c’est-à-dire quant à l’homme intérieur [n° Cet homme qui est à l’intérieur, c’est-à-dire l’esprit, ou bien la raison fortifiée par l’espérance de la récompense future et affermie par le rempart de la foi, se renouvelle. Ce qui doit être compris ainsi la vétusté est en effet le chemin vers la corruption. Ce qui passe et vieillit est proche de sa fin (He 8,13). Or la nature humaine a été créée dans l’intégrité, et si elle était demeurée dans cette intégrité elle aurait été toujours nouvelle. Mais elle a commencé à se corrompre par le péché; et par là il se trouve que tout ce qui s’en est suivi, comme l’ignorance, la difficulté à faire le bien, la propension au mal, les peines et autres choses du même genre, tout appartient à la vétusté. Quand donc la nature humaine abandonne les conséquences du péché, alors on dit qu’elle se renouvelle. Certes, cet abandon commence ici chez les saints, mais il sera parfaitement consommé dans la patrie. Ici-bas en effet la Vétusté de la faute est abandonnée, car l’esprit abandonne la vétusté du péché et se soumet à la nouveauté de la justice. Ici l’intelligence abandonne les erreurs et assume la nouveauté de la vérité; et de cette manière, l’homme qui est à intérieur, c’est-à-dire l’âme, est renouvelé — Renouvelez l’esprit de votre pensée (Ep 4,23). Mais dans la patrie, même la vétusté de la peine sera enlevée. Voilà pourquoi c’est là que sera consommé le renouvellement — Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle (PA 102,5). Mais parce que les saints progressent chaque jour dans la pureté de la conscience et dans la connaissance des réalités divines, il dit de jour en jour; et, comme le dit le psaume Il a résolu dans son coeur de monter... (PA 83,6). Ainsi donc la patience est invincible, parce qu’elle se renouvelle de jour en jours (Ad 2 Cor. lect., IV, n° 146-148).
3. Sur la conscience, voir n° 1090, note 11.
4. Sg. 8, 16.
5. Ps 103, 23.
6. In conscientia munda et devota. Nous avons traduit le terme devota par s livré à Dieu s. Pour saint Thomas, en effet, l’acte de dévotion est l’acte premier de la vertu de religion; c’est l’acte qui nous relie fondamentalement à Dieu on est dévoué à Dieu et donc livré à lui (cf. Somme théol., II-II, q. 81 et 82). Lorsque nous parlons aujourd’hui de dévotion, la signification première en est souvent occultée par quantité de gestes extérieurs qui sont en réalité des conséquences, parfois très lointaines, de la véritable dévotion. L’apparence devient première et voile, cache l’essentiel. Saint Thomas a un langage de théologien très précis, impliquant une analyse scientifique qui cherche à saisir l’élément premier, tout intérieur, de la vertu de religion. Celle-ci implique concrètement des actes plus complexes comme la prière, l’adoration, le sacrifice: ces actes sont plus visibles et il n’est pas étonnant que la véritable dévotion soit comme occultée par eux. Il serait intéressant de comparer la distinction de l’appréhension et du jugement dans l’analyse de l’intelligence humaine et la distinction de la dévotion et de l’adoration ne découvrons-nous pas ici une analogie très éclairante? D’autre part, pour le chrétien, tout acte de la vertu de religion est transformé par la charité, s forme des vertus s (Somme théol., II-II, q. 23, a. 8), qui donne à ces actes une orientation nouvelle, les rattachant aux actes propres du Christ. C’est l’amour divin, fin, qui donne à l’acte de dévotion, à la prière, à l’adoration, une intention théologale; il transforme du dedans les actes de dévotion en leur donnant une dimension nouvelle. Et cette intention sera elle-même parfaite dans son exercice grâce au don de piété.
7. Ps 16, 15.
8. Ps 125, 6.
9. Tract, in Ioann., XLV, 15, BA 7311, p. 84-87.
10. Commentaire d’Ezéchiel, L. II, hom. 1, PL 76, col. 946 B-947 B.
11. Pa 41, 5.
12. Ct 3, 11.
13. Pa 22, 2.
14. Ez 34, 14.




1393. Le quatrième sens est exposé dans le livre De l’esprit et de l’âme, que l’on attribue à saint Augustin, bien qu’il ne soit pas de lui 1. Il y est dit qu’ils entrent, les saints, pour contempler la divinité du Christ, et qu’ils sortent pour considérer son humanité; et dans l’une et l’autre ils trouvent des pâturages, parce qu’ils goûtent dans l’une et l’autre les joies de la contemplation — Ils verront le Roi dans sa splendeur 2.




LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, ET POUR METTRE À MORT ET POUR PERDRE.

1394. Il s’agit ici du voleur. D’abord, le Christ montre la propriété du voleur, puis il s’attribue la propriété contraire [n° 1396].

1395. Il dit donc: ceux qui n’entrent pas par la porte, c’est-à-dire qui sont venus en dehors de moi, ceux-là sont des voleurs et des brigands, dont la condition est mauvaise. Car d’abord, certes, LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, pour s’approprier ce qui n’est pas à lui, c’est-à-dire comme les séditieux et les hérétiques entraînant avec eux ceux qui sont au Christ — Il est à l’affût pour se saisir du pauvre 3. Ensuite, le voleur vient POUR METTRE À MORT, c’est-à-dire pour tuer en introduisant une doctrine perverse, ou même des moeurs dépravées — Elle conspire avec les voleurs qui tuent les passants venant de Sichem 4. En troisième lieu, il vient POUR PERDRE, en envoyant à la perdition éternelle — Mon peuple est devenu un troupeau perdu 5. Et certes, ces conditions ne sont pas en moi.



MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE, ET QU’ON L’AIT SURABONDANTE.

1396. En effet, MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE... Autrement dit, ces gens-là ne sont pas venus par moi, parce qu’autrement ils feraient des choses semblables â celles que moi je fais. Mais eux-mêmes agissent d’une manière contraire, parce qu’ils volent, ils tuent et ils perdent. MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE, c’est-à-dire la vie de la justice en entrant dans l’Eglise militante par la foi — Celui qui est incrédule, son âme en lui ne sera pas droite, mais le juste vivra par sa foi 6. — Mon juste vit par la foi 7. De cette vie il est dit: Nous savons pourquoi nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères 8. ET QU’ON L’AIT SURABONDANTE, c’est-à-dire dans la vie éternelle en sortant du corps; de cette vie, il est dit plus loin: Telle est la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 9.
1. De l’esprit et de l’âme, chap. IX, PL 40, col. 785. Il s’agit d’un ouvrage éclectique attribué aujourd’hui à Aicher, moine cistercien de Clairvaux au x siècle. Voir Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. II, art. " Alcher s, col. 14 — 15.
2. Is 33, 17. Dans son commentaire du livre d’Isaïe, saint Thomas regarde ensemble les versets 16 et 17: Celui — ci habitera dans les hauteurs, une citadelle de rochers pour refuge élevé, le pain lui a été donné et les eaux lui seront fidèles. Ils verront le Roi dans sa splendeur et leurs yeux regarderont la terre de loin, afin de montrer la condition et le bonheur de ceux qui contemplent: "[n° [n° prophète) montre l’utilité de cette habitation sous quatre aspects. D’abord l’altitude sécurisante (ce qui est pourtant contraire à ce qu’elle s coutume d’être) citadelle de rochers — comme il est dit au livre de Job: Il demeure dans les pierres Gb 39, 28). Ensuite, la pleine satiété le pain - Aser, son pain est riche (Gn 49,20). Puis la vision de Dieu Ils verront le Roi, c’est-à-dire Dieu Sortez, filles de Sion, et voyez le Roi (Ct 3,11). Enfin l’affection sainte, c’est-à-dire le mépris des choses terrestres leurs yeux regarderont la terre de loin comme loin en dessous d’eux, loin dans l’estime " (Exp. super Isaïam, 33, 17, p. 147, 1. 113-125).
3. Ps 9, 9.
4. Os 6, 9.
5. Jr 50, 6.
6. Ha 2, 4.
7. Rm 1, 17. Saint Thomas commente toue le verset 17 en reprenant ce qu’est la foi, et il conclut son commentaire de cette manière " De même que le corps vit par l’âme de la vie naturelle, de même l’âme vit par Dieu de la vie de la grâce. Or Dieu habite l’âme en premier lieu par la foi. -Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi (Ep 3,17). Cependant l’habitation n’est parfaite que si la foi est formée par la charité qui nous unit à Dieu par le lien de la perfection, comme le dit l’épître aux Colossiens (3, 14). Et c’est pourquoi ce qu’il dit ici, le juste vit par la foi, doit s’entendre de la foi formées (Ad Rom. lect., I, n° 108). — Sur la foi " formées et la foi " informe s, voir n° 159, note 7 et n° 485, note 2.
8. 1 Jn 3, 14.
9. Jn 17, 3.




Seconde affirmation de la parabole.

67 Jn 10,11-13



MOI, JE SUIS LE BON PASTEUR. LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS.

OR LE MERCENAIRE, LUI QUI N’EST PAS LE PASTEUR, DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT; ET LE LOUP S’EN EMPARE ET DISPERSE LES BREBIS. LE MERCENAIRE S’ENFUIT PARCE QU’IL EST MERCENAIRE; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS.

1397. Le Seigneur donne ici le sens de cette deuxième affirmation de la parabole qui précède: CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Après en avoir donné l’explication, il la met en lumière [n° 1409]. Il explique cette proposition en disant que lui-même est le pasteur. Puis, ayant affirmé qu’il est le pasteur, il montre quel est le service du bon pasteur [n° 1399]; enfin il montre le contraire, à propos du mauvais pasteur [n° 1400].



MOI, JE SUIS LE BON PASTEUR.

1398. Que le Christ soit pasteur, cela lui convient manifestement; car, de même que par le pasteur, le troupeau est gouverné et nourri, de même, par le Christ, les forces de ceux qui croient sont refaites par une nourriture spirituelle, et même par son propre corps et son propre sang — Vous étiez comme des brebis sans berger 1. C’est aussi ce que dit Isaïe: Gomme un berger fait paître son troupeau 2.

Mais pour le différencier du mauvais pasteur et du voleur, il ajoute BON. BON, dis-je, parce qu’il remplit parfaitement le service du pasteur, comme on dit bon soldat celui qui remplit jusqu’au bout son rôle de soldat. Mais, comme le Christ avait dit plus haut que le pasteur entre par la porte, et aussi que lui-même est la porte, et puisqu’ici il dit qu’il est le pasteur, il faut donc que lui-même entre par lui-même. Et certes il entre par lui-même, parce qu’il se manifeste lui-même, et parce qu’il connaît le Père par lui-même. Nous, nous entrons par lui, parce que c’est lui que nous prêchons 3.

1. 1 P 2,25.


2. Is 40, 11.


Mais soyons attentif au fait que personne d’autre que lui n’est la porte, parce que personne d’autre n’est la lumière véritable. Les autres le sont par participation — Celui-là, Jean Baptiste, n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière 4. Mais du Christ, il est dit Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme 5. Et c’est pourquoi personne ne dit de lui-même qu’il est la porte: cela, le Christ se l’est réservé en propre. Par contre, être pasteur, il l’a communiqué à d’autres, et il l’a donné à ses membres. Car Pierre fut pasteur, ainsi que tous les autres Apôtres, et tous les bons évêques — Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur 6. Et bien que les intendants de l’Eglise, qui sont des fils, soient tous des pasteurs, comme le dit Augustin, cependant il dit d’une manière unique: MOI JE SUIS LE BON PASTEUR, pour donner à entendre qu’il s’agit de la vertu de charité. Nul en effet n’est bon pasteur sinon par la charité qui le rend un avec le Christ et le fait membre du pasteur véritable.
3. Saint Thomas reprend ici l’expression "prêcher le Christ", employée plusieurs fois par saint Augustin quand il commente le chapitre 10 de l’évangile de saint Jean. Saint Augustin met en garde contre l’hérétique qui s prêche en effet le Christ tel qu’il se l’imagine, non tel que la Vérité l’enseigne " s A quoi bon passer en revue et énumérer les multiples vanités des hérésies? Tenez que le bercail du Christ est l’Eglise catholique. Que celui qui veut entrer dans le bercail entre par la porte, qu’il prêche le Christ en vérité; non seulement qu’il prêche le vrai Christ, mais qu’il cherche la gloire du Christ, non la sienne... " (Tract. in la., XLV, 5, BA 73", p. 51 et 53. )
 — Plus loin, il montre encore combien le vrai pasteur doit prêcher le Christ: "Cherchant pour ma part à entrer en vous, c’est-à-dire dans votre coeur, je prêche le Christ; si je prêchais autre chose, je m’efforcerais "d’escalader par un autre endroit". Le Christ est donc pour moi la Porte pour arriver jusqu’à vous." (ibid. XLVII, 2, BA 73", p. 119 et 121). s Nous disions que nous avions par le Christ une porte pour entrer jusqu’à vous; pourquoi? Parce que nous prêchions le Christ. Nous prêchons le Christ, et c’est pourquoi nous entrons par la Porte. Mais le Christ prêche le Christ puisqu’il se prêche lui-même, et c’est pourquoi le Pasteur entre par lui-même. " (ibid., XLVII, 3, BA 73", p. 127 et 129).
4. Jn 1,8.
5. Jn 1, 9.
6. Jr3, 15.





LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS.

1399. L’office du bon pasteur est la charité; c’est pourquoi il dit LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS. Il faut en effet savoir qu’il existe une différence entre le bon et le mauvais pasteur le bon pasteur a en vue l’intérêt du troupeau, le mauvais son propre intérêt. Cette différence est soulignée dans un passage d’Ezéchiel, concernant les pasteurs qui se font paître eux-mêmes. N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs doivent faire paître 2? Celui donc qui utilise le troupeau uniquement pour se faire paître lui-même n’est pas un bon pasteur; mais celui qui a l’intention de faire paître le troupeau, celui-là est un bon pasteur.

Il s’ensuit que le mauvais pasteur, même quand il s’agit de celui qui s’occupe d’animaux, ne veut supporter aucun inconvénient en faveur de son troupeau, puisqu’il ne cherche pas l’avantage des brebis mais le sien propre. Mais le bon pasteur, même celui qui s’occupe d’animaux, supporte beaucoup pour son troupeau, dont il a le bien en vue. C’est pourquoi Jacob dit: Jour et nuit, j’étais brûlé par le gel et la chaleur Pour les pasteurs d’animaux, on n’exige pas du bon pasteur qu’il s’expose à la mort pour le salut du troupeau, puisque sa vie l’emporte sur le salut du troupeau. Mais parce que le salut du troupeau spirituel l’emporte sur la vie corporelle du pasteur, lorsqu’un péril imminent menace le salut du troupeau, celui qui est pasteur dans l’ordre spirituel doit supporter la perte de sa vie corporelle pour le salut du troupeau. C’est ce que le Seigneur dit: LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME, c’est-à-dire sa vie corporelle, POUR SES BREBIS. IL LA DONNE, c’est-à-dire par autorité et par charité; en effet, l’une et l’autre sont exigées il faut que les brebis lui appartiennent, et qu’il les aime. La première sans la seconde ne suffit pas.

Le Christ nous a donné l’exemple de cet enseignement Si le Christ a livré son âme pour nous, nous aussi, nous devons livrer notre âme pour nos frères 5.
1. Tract, in le., XLV, 5, BA 73", p. 100-101; XLVII, 3, BA 73", p. 128-129.
2. Ez 34, 2.
3. Gn 31, 40.
4. Saint Thomas dit propret salutem gregis. Cette expression évoque celle du symbole de Nicée propter nostram salutem...
5. 1 Jn 3, 16.





OR LE MERCENAIRE, LUI QUI N’EST PAS LE PASTEUR,

DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT; ET LE LOUP S’EN EMPARE ET DISPERSE LES BREBIS. LE MERCENAIRE S’ENFUIT PARCE QU’IL EST MERCENAIRE; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS.

1400. Le Christ traite ici du mauvais pasteur, en montrant qu’en lui se trouvent les conditions contraires à celles du bon pasteur.

Il expose d’abord quelles sont les conditions du mauvais pasteur — avant d’évoquer le péril imminent qui menace le troupeau du mauvais pasteur [n° 1407] — puis il montre comment ces conditions se rattachent nécessairement les unes aux autres [n° 1408].

1401. Il faut remarquer qu’on peut découvrir, à partir de ce qui a été dit du bon pasteur et de ce qui est dit ici du mauvais, trois différences entre leurs conditions respectives. La première distinction concerne l’intention; la seconde l’amour [n° 1405]; la troisième la sollicitude [n° 1404].




OR LE MERCENAIRE, LUI QUI N’EST PAS LE PASTEUR.

1402. Ils diffèrent donc d’abord dans l’intention; et cela ressort du nom que portent l’un et l’autre. Le premier est appelé PASTEUR, par où on donne à entendre qu’il a l’intention de faire paître le troupeau — N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître’? Mais l’autre, le mauvais, est appelé MERCENAIRE [mercenarius], comme étant celui qui cherche une récompense [merces]. Ainsi donc ils diffèrent en ceci, que le bon pasteur cherche l’avantage du troupeau et que le mercenaire cherche principalement son propre intérêt. Cette différence existe aussi entre le roi et le tyran, comme le dit le Philosophe 2, parce que le roi, dans son gouvernement, cherche l’avantage de ceux qui sont soumis; mais le tyran cherche son propre avantage, c’est pourquoi il est comme le mercenaire — Si cela est bien à vos yeux, apportez-moi ma récompense 3.

1403. Mais les bons pasteurs peuvent-ils aussi chercher une récompense? Il semble que oui — Donne une récompense, Seigneur, à ceux qui t’attendent avec patience". — Voici, sa récompense est avec lui — Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont des pains en abondance 6!

Je réponds: il faut dire que la récompense peut être prise de deux manières, d’une manière commune et au sens propre. D’une manière commune, certes, tout ce qui est donné en réponse à des mérites est appelé récompense; et parce que la vie éternelle elle-même, qui est Dieu — Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle 7 —, est donnée en réponse à des mérites, cette vie même est dite récompense. Et cette récompense-là, tout bon pasteur peut et doit la chercher.
1. Ez 34, 2.
2. ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VIII, 12, 1160 a 36 s.; Poli tique, III, 14-17, 1 284 b 35 s.; IV, 10, 1 295 a 1-24.
3. Za 11, 12.
4. Si 36, 18.
5. Is 40, 10.
6. Lc 15, 17.


Mais, au sens propre, on appelle récompense quelque chose qui ne relève pas d’un héritage. Cela, le fils véritable ne doit en avoir aucun souci, puisqu’il est directement concerné par l’héritage; mais les serviteurs et les mercenaires, eux, y sont intéressés. Ainsi, puisque la vie éternelle est notre héritage, celui qui agit en considération d’elle agit comme fils; mais celui qui a en vue quelque chose en dehors d’elle (par exemple celui qui convoite avidement les avantages terrestres, celui qui se réjouit de l’honneur de la prélature), est un mercenaire.




DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES.

1404. En second lieu, [les bons et les mauvais pasteurs] sont distingués quant à leur sollicitude. Du bon pasteur il est dit que les brebis sont siennes, non seulement parce qu’elles lui sont remises, mais aussi par l’amour et la sollicitude — Du fait que je vous ai dans mon coeur et dans mes liens 8. Mais du mercenaire il est dit: LUI... DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, c’est-à-dire: il n’a pas de sollicitude pour elles — Et les pasteurs n’ont pas cherché mon troupeau, mais ils se faisaient paître eux-mêmes 9.
7. 1 Jn 5, 20.
8. Ph 1, 7.
9. Ez 34, 8.





VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.

1405. En troisième lieu, ils diffèrent quant à l’amour car le bon pasteur, parce qu’il aime son troupeau, donne son âme pour lui, c’est-à-dire s’expose au péril de la vie corporelle. Mais le mauvais pasteur, parce qu’il n’a aucun amour pour le troupeau, fuit quand il voit le loup. C’est pourquoi il dit: VOIT-IL que le danger est imminent, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.

Ce loup peut s’entendre de trois manières. D’abord, certes, c’est le diable en train de tenter Si le loup s’est une fois lié avec l’agneau, ainsi le pécheur avec le juste 1. Mais, en second lieu, c’est l’hérétique qui cause la ruine — Prenez garde aux faux prophètes qui viennent vêtus en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces 2. — Moi je sais qu’après mon départ des loups rapaces entreront parmi vous, n’épargnant pas le troupeau. En troisième lieu, c’est le tyran qui s’acharne avec fureur — Ses princes au milieu de lui sont comme des loups arrachant leur proie 4.

Le bon pasteur doit donc protéger ceux qui [lui] sont soumis contre ces trois loups; [il le fait] lorsque, voyant le loup, c’est-à-dire la tentation du diable, la tromperie de l’hérétique et la fureur du tyran, il s’y oppose. D’où le reproche fait en Ezéchiel Vous ne vous êtes pas élevés contre un adversaire, et vous ne vous êtes pas opposés tel un mur devant la maison d’Israël C’est pourquoi il est dit du mauvais pasteur qu’il LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT: O pasteur, et idole qui abandonne le troupeau Comme s’il disait: tu n’es pas un pasteur mais tu fais paraître une similitude et une idole du pasteur — Ses mercenaires en son milieu comme des veaux engraissés se sont retournés et ont fui tous ensemble, ils n’ont pu tenir 7.

1406. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en saint Matthieu: Si vous êtes persécutés dans une ville, fuyez dans une autre 8. Il semble donc qu’il soit permis au pasteur de fuir.

Je réponds qu’il y a à cela deux solutions. L’une est d’Augustin dans son commentaire de saint Jean 9. Il existe en effet deux fuites: celle de l’âme et celle du corps. Or ce qui est dit ici: IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT s’entend de la fuite de l’âme. Car, craignant pour lui-même le péril qui vient du loup, le mauvais pasteur n’ose pas résister à son injustice, mais il s’enfuit non pas en changeant de lieu, mais en s’octroyant par en dessous un soulagement, c’est-à-dire en fuyant le soin du troupeau.

Cette explication s’impose quand il s’agit du premier loup, car, en face du diable, il ne s’agit pas de fuir physiquement [corporaliter]. Mais parce qu’il arrive aussi qu’un pasteur prenne la fuite physiquement à cause des loups, c’est-à-dire d’un hérétique ayant la puissance et d’un tyran, il faut donner une autre réponse, qu’Augustin propose dans la Lettre à Honoratus 10. Car, comme lui-même le dit, il semble qu’il soit permis de fuir même physiquement les loups: non seulement à cause de l’autorité du Seigneur [mentionnée plus haut], mais aussi à cause de l’exemple de certains saints, comme Athanase et d’autres, fuyant leurs persécuteurs.

Mais la solution est évidente à partir des paroles elles-mêmes du Seigneur. En effet le mercenaire est blâmé non pas parce qu’il s’enfuit, mais parce qu’il laisse les brebis. S’il pouvait s’enfuir en ne laissant pas les brebis, cela ne serait pas blâmable. Il arrive parfois, en effet, qu’on recherche la personne du prélat; parfois, tout le troupeau. Or il est manifeste que si on ne cherche que la seule personne du prélat, d’autres peuvent être députés à sa place à la garde du troupeau, qui le consolent et le gouvernent à sa place. C’est pourquoi, s’il s’enfuit ainsi, on ne dit pas qu’il laisse les brebis et de cette manière, quand cela arrive, il est permis de s’enfuir. Mais si on recherche tout le troupeau, ou bien il faut que tous les pasteurs soient ensemble avec les brebis, ou bien il faut que certains d’entre eux restent et que d’autres s’en aillent. S’ils délaissent totalement le troupeau, alors ce qui est dit ici leur convient: VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.

8. Mt 10, 23.
9. Tract, in Ioann., XLVI, 8, BA 73", p. 110-113.
10. Epistula 228, 2 et 6, CSEL vol. LVII, p. 485 et 489 (PL 33, col. 1014 et 1015-1016).
1. Si 13,21.
2. Mt 7, 15.
3. Ac 20, 29.
4. Ez 22, 27.
5. Ez 13, 5.
6. Za 11, 17.
7. Jr 46, 21.







ET LE LOUP S’EN EMPARE, ET DISPERSE LES BREBIS.

1407. Ici est exposé le péril imminent, qui est double. L’un est le vol des brebis. C’est pourquoi il dit: ET LE LOUP S’EN EMPARE, puisque ce qui est à un autre, il en prend possession pour lui-même. En effet, ceux qui croient dans le Christ sont ses brebis. Ainsi, celui qui est hérésiarque et loup s’empare des brebis quand il attire vers sa fausse doctrine ceux qui croient en le Christ — Mon troupeau a été livré au pillage de toutes les bêtes des champs.

L’autre péril est la dispersion des brebis. C’est pourquoi il dit: ET DISPERSE LES BREBIS, en tant que les unes sont séduites et que d’autres résistent — Mes troupeaux ont été dispersés, et il n’est personne pour les chercher 2.



LE MERCENAIRE S’ENFUIT PARCE QU’IL EST MERCENAIRE; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS.

1408. Ici, il montre comment les conditions qu’on a dites plus haut 3 sont liées les unes aux autres. Car des deux premières s’ensuit la troisième. En effet, de ce qu’il cherche sa propre utilité et qu’il n’est pas attaché au troupeau par l’amour et la sollicitude, il s’ensuit qu’il ne veut pas supporter une difficulté pour lui-même. Et c’est pourquoi il dit: LE MERCENAIRE S’ENFUIT, autrement dit PARCE QU’IL EST MERCENAIRE, c’est-à-dire cherche sa propre commodité — ce qui se rapporte à la première condition; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS, c’est-à-dire qu’il ne les aime pas, ni n’a souci d’elles — cela quant à la seconde condition. C’est pourquoi il est dit à son sujet: Il est dur pour ses fils 4. C’est le contraire quand il s’agit du bon pasteur: il cherche l’intérêt du troupeau, et non le sien propre. L’Apôtre dit: Je ne cherche pas un don, mais un fruit 5. Et il a souci de ce qui concerne les brebis, c’est-à-dire qu’il les aime et qu’il a soin d’elles — Du fait que je vous ai dans mon coeur et dans mes liens 6.
2. Ez 34, 6.
3. Cf. n° 1401 s.
4. Jb 39, 16.
5. Ph 4, 17.
6. Ph 1, 7.
1. Ez 34,8.




Jean 10, 14-18: LA MANIERE DONT LE CHRIST VIVIFIE

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Thomas sur Jean 66