Thomas sur Jean 72

72 Jn 11,6-10

1480. L’Évangéliste montre ici la résurrection du mort, en exposant d’abord le dessein de le ressusciter, puis l’ordre de la résurrection [n° 1505].



A. L’INTENTION DU CHRIST DE RESSUSCITER LAZARE



Le Seigneur d’abord donne lieu à la mort [n° 1481], puis annonce son intention d’aller vers le lieu où Lazare était mort [n° 1482], enfin son intention de le ressusciter [n° 1492].

Le Christ donne lieu à la mort.

1481. Le Seigneur donne lieu à la mort en s’attardant au-delà du Jourdain; et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: QUAND DONC IL APPRIT QUE [CELUI-CI] ÉTAIT MALADE, ALORS IL DEMEURA DEUX JOURS DANS LE MÊME LIEU. Par là il signale que le jour même où le Christ reçut le message des soeurs de Lazare, Lazare mourut; car quand le Christ vint là, au lieu où il mourut, c’était déjà le quatrième jour. Or le Christ, après avoir reçu le message, demeura deux jours dans le même lieu, et le jour suivant se rendit en Judée.

1. 1 Jn 5, 20.
2. Jn 9, 3.
3. Tract. in Ioann., XLIX, 5 et 7, BA 73l p. 208-2 13.
4. Dt 33, 3.


S’il donna lieu à la mort [en tardant] tant de jours, c’est pour deux raisons. D’abord certes pour que la mort de Lazare ne fût pas empêchée par sa présence: car là où la vie est présente, la mort n’a pas lieu. Ensuite, pour que le miracle soit rendu plus crédible et que personne ne puisse dire qu’il l’a ressuscité alors qu’il n’était pas encore mort mais plutôt plongé dans la torpeur 2.



Le Christ manifeste son dessein de se rendre au lieu de la mort de Lazare.




PUIS, APRÈS CELA, IL DIT À SES DISCIPLES: "ALLONS DE NOUVEAU EN JUDEE."

LES DISCIPLES LUI DISENT: "RABBI, TOUT RÉCEMMENT LES JUIFS CHERCHAIENT À TE LAPIDER, ET DE NOUVEAU, TU T’EN VAS LÀ-BAS !" JÉSUS RÉPOND: "N’Y A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? SI QUELQU’UN MARCHE PENDANT LE JOUR IL NE BUTE PAS, PARCE QU’IL VOIT LA LUMIÈRE DE CE MONDE. MAIS SI QUELQU’UN MARCHE LA NUIT, IL BUTE, PARCE QUE LA LUMIÈRE N’EST PAS EN LUI. "

1482. Le Seigneur manifeste ici le dessein qu’il a de se rendre au lieu [où Lazare était mort]; d’abord il annonce son dessein; puis, à la suite de cela, est notée la crainte des disciples [n° 1484]; enfin, le Seigneur chasse leur crainte [n° 1485].



PUIS, APRÈS CELA, IL DIT À SES DISCIPLES: "ALLONS DE NOUVEAU EN JUDÉE."

1483. Là on se demande pourquoi ici seulement il a annoncé aux Apôtres qu’il lui fallait se rendre à nouveau en Judée, alors qu’il ne l’a pas fait ailleurs.

La raison en est que les Juifs avaient récemment persécuté le Christ en Judée, de sorte qu’ils l’avaient presque lapidé. Aussi, à cause de cela, il s’était éloigné de là. C’est pourquoi on doit croire que, le Christ voulant se rendre là-bas une seconde fois, la crainte envahissait le coeur des disciples. Et parce que "les javelots que l’on voit arriver portent moins et que les maux qui sont prévus sont plus facilement supportés", comme le dit Grégoire, le Seigneur, pour enlever leur crainte, leur révèle quel dessein il a en se déplaçant.

Le fait qu’il retourne de nouveau en Judée donne à entendre, au sens mystique, que le Seigneur, à la fin du monde, doit revenir de nouveau vers les Juifs pour qu’ils se tournent vers le Christ La cécité a frappé en Israël [au moins en partie,] jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des nations 4.

1. Rappelons ici ce qu’Aristote dit du lieu dans la Physique " Que donc le lieu existe, cela semble être évident à partir du remplacement. Là où maintenant il y a de l’eau, alors qu’elle en est partie comme d’un vase, â son tour de l’air s’y trouve. Et à tel moment, un autre corps occupe le même lieu " (Phys., IV, 1, 208 b 1-4). Et notons que saint Thomas utilise la philosophie du lieu pour, en théologien, contempler le mystère de l’omniprésence de Dieu créateur. Se demandant si Dieu est partout, il affirme: "Dieu remplit tout lieu, mais pas comme un corps. En effet, on dit qu’un corps remplit un lieu en tant qu’il ne souffre pas qu’un autre corps soit avec lui. Mais par le fait qu’il est dans un lieu, Dieu n’exclut pas que d’autres [n° soient là... s (Somme théol., I, q. 8, a. 2). Voir aussi ibid., a. 3 et 4; Contra Gentiles, III, 68; I Sent., d. 37, q. 2.
2. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXII, PG 59, col. 343.
3. XL homiliae in Evangelia, PL 76, col. 1259.
4. Rm 11, 25. Saint Thomas commente " La cécité est arrivée en Israël, non pas d’une manière universelle, mais pour une certaine partie du peuple d’Israël, comme on l’a montré plus haut — Aveugle le coeur de ce peuple (Is 6,10) " (Ad Rom. lect., XI, n° 915). Cf. n’ 1700 s. (vol. II, à paraître).



LES DISCIPLES LUI DISENT: "RABBI, TOUT RÉCEMMENT LES JUIFS CHERCHAIENT À TE LAPIDER, ET DE NOUVEAU, TU T’EN VAS LA-BAS! "

1484. L’Évangéliste montre la crainte des disciples. C’est comme si ceux-ci disaient: il semble que de toi-même tu ailles à la mort. Mais cette crainte est irraisonnable, parce que les disciples avaient avec eux Dieu comme protecteur, et celui qui est avec lui ne doit pas craindre — Présentons-nous ensemble: qui est mon adversaire Is 50,8? — Le Seigneur est ma lumière et mon salut: qui craindrai-je Ps 26,1?

1485. Le Seigneur chasse cette crainte en confortant ses disciples. L’Evangéliste expose d’abord le conditionnement du temps, puis il montre quel temps est propice pour la marche [n° 1488] et quel temps ne l’est pas [n° 1489].



JÉSUS RÉPOND: "N’Y A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR?"

1486. Pour l’intelligence de ce passage, il faut savoir qu’il y a trois interprétations. L’une est de Chrysostome. N’Y A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? comme si on disait vous hésitez à monter en Judée parce que récemment les Juifs ont voulu me lapider; mais le jour a douze heures et ce qui arrive dans une, n’arrive pas dans l’autre. C’est pourquoi, bien qu’alors ils aient voulu me lapider, à une autre heure ils ne le veulent pas — il y a un moment pour tout Qo 3,1 — Pour toute affaire il y a un temps et un moment favorable Qo 8,6.

1487. Mais ici se présente une question littérale, parce qu’on parle soit du jour naturel, soit du jour artificiel 6 Si on parle du jour naturel, alors ce qu’il dit est faux, puisqu’il n’a pas douze mais vingt-quatre heures. Semblablement, si on parle du jour artificiel 6, ce qu’il dit est faux, parce que cela n’est vrai qu’au moment de l’équinoxe, seulement quand les jours sont égaux aux nuits.

Mais on répondra à cela qu’il faut l’entendre du jour artificiel, parce que chaque jour artificiel a douze heures. On divise en effet les heures des jours artificiels de deux manières: certaines sont égales, d’autres sont inégales. On divise celles qui sont égales selon le cercle de l’équinoxe, et selon cette [manière de faire] tous les jours n’ont pas douze heures, mais les uns plus, les autres moins, sauf seulement à l’équinoxe. On distingue les heures inégales selon les ascensions [des constellations] du zodiaque, à cause de son obliquité, parce que le zodiaque ne monte pas d’une manière égale dans toutes ses parties — c’est à l’équinoxe que c’est égal. Et chaque jour artificiel possède douze de ces heures inégales. Parce que, chaque jour, six constellations montent durant le jour, et six durant la nuit; mais celles qui montent en été sont d’une ascension plus lente que celles qui montent en hiver. L’ascension de chaque constellation fait deux heures 7.

3. Nous n’avons pas, à ce jour, trouvé cette référence.
6. Saint Thomas fait allusion â plusieurs reprises â ces différentes manières de diviser le temps, notamment à propos du mystère de la création et du mystère de la résurrection du Christ. Voir Somme théol., I, q. 74, a. 3, ad 6; III, q. 53, s. 2, ad 3. Sur l’aspect historique de la division du temps, voir entre autres F. VIGOUROUX, Dictionnaire de la Bible, t. III, article Heure s, col. 683 — 686 Ch. DAREMBERG et E. SAGUO, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. III, article s Horologium s, p. 256 s.
7. Cf. III Sent., d. 21, q. 2., a. 2, ad 5.
8. Rm 13, 13.





SI QUELQU’UN MARCHE PENDANT LE JOUR IL NE BUTE PAS, PARCE QU’IL VOIT LA LUMIÈRE DE CE MONDE.

1488. SI QUELQU’UN MARCHE PEN DANT LE JOUR, c’est-à-dire d’une manière droite et sans la conscience d’aucun mal — Marchons dans la droiture comme durant le jour —, IL NE BUTE PAS, il ne rencontre rien qui lui nuise. Et cela PARCE QU’IL VOIT LA LUMIÈRE DE CE MONDE, c’est-à-dire que la lumière de la justice est en lui — La lumière s’est levée pour le juste, et pour les coeurs droits une joie Ps 96,11. C’est comme si le Seigneur disait: nous pouvons aller en sécurité puisque nous marchons pendant le jour 2.

2. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, in loannem hom., LXII, 1, PG 59, col. 343.


MAIS SI QUELQU’UN MARCHE LA NUIT, IL BUTE PARCE QUE LA LUMIÈRE N’EST PAS EN LUI.

1489. SI QUELQU’UN MARCHE LA NUIT, celle des iniquités, il rencontrera facilement de nombreux dangers. De cette nuit, il est dit Ceux qui dorment, dorment la nuit 1Th 5,7. Et un tel homme BUTE, c’est-à-dire trébuche, PARCE QUE LA LUMIÈRE, celle de la justice, N’EST PAS EN LUI.

1490. Un certain Grec, Théophylacte 4, explicite ce passage d’une autre manière à partir de: SI QUELQU’UN MARCHE PENDANT LE JOUR, en disant que le jour est la présence du Christ dans le monde, et la nuit le temps qui suit sa Passion. De sorte que le sens est celui-ci: il ne faut pas craindre de la part des Juifs, parce que tant que moi je suis dans le monde, le danger n’est pas menaçant pour vous, mais pour moi. C’est pourquoi, quand les Juifs voulurent le prendre, le Seigneur dit aux foules: "Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux — là s'en aller." Afin que s'accomplît la parole qu’il avait dite: Ceux que tu m ‘as donnés, je n'en ai pas perdu un Jn 18,8-9. Mais pendant la nuit, c’est-à-dire durant le temps qui suit la Passion, vous devez craindre d’aller en Judée parce que vous souffrirez la persécution des Juifs — Frappe le pasteur, et alors, après que le pasteur aura été frappé, les brebis seront dispersées Za 13,7.

4. Enarr. in Ev. S. bannis, chap. 11, PG 124, col. 90 C.


1491. Augustin 7 explicite ce passage d’une autre manière. Par le jour, on entend le Christ 8: Tant qu’il fait jour, il me faut oeuvrer aux oeuvres de celui qui m’a envoyé […]. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde 9. Donc les douze heures de ce jour sont les douze Apôtres — Ne vous ai-je pas choisis, vous les Douze 10? Mais il faut craindre beaucoup ce qui suit Et l’un de vous est un démon. Judas donc n’était pas une heure de ce jour, parce qu’il ne brillait pas. Mais il faut comprendre que quand le Seigneur a parlé [des douze heures] il n’avait pas en vue Judas mais son successeur Matthias.

Le sens de cette parole: N’Y A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? revient donc à dire: vous êtes les heures, moi je suis le jour. Si donc les heures suivent le jour, ainsi vous devez me suivre. C’est pourquoi, si moi je veux aller en Judée, vous ne devez pas me précéder ni changer ma volonté, mais vous devez me suivre. Semblablement il dit à Pierre: Va derrière moi, Satan 11, c’est-à-dire: ne me précède pas, mais suis-moi en imitant ma volonté.

SI QUELQU’UN MARCHE PENDANT LE JOUR, autrement dit: vous ne devez pas craindre le danger, parce que vous marchez avec moi qui suis le Jour l2. C’est pourquoi, comme celui qui marche dans le jour ne trébuche pas, c’est-à-dire NE BUTE PAS, ainsi vous non plus qui marchez avec moi — Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 1? Et ceci PARCE QU’IL VOIT LA LUMIÈRE DE CE MONDE, c’est-à-dire qu’il me voit. S’IL MARCHE LA NUIT, dans les ténèbres de l’ignorance et du péché, alors IL BUTE. Et ceci PARCE QUE LA LUMIÈRE, c’est-à-dire la lumière spirituelle, N’EST PAS EN LUI non certes à cause d’un manque de lumière, mais à cause de la rébellion [de l’ignorance et du péché] — Ceux-ci furent rebelles à la lumière 2.

7. Tract, in Ioann., XUX, 8, BA 7311, p. 214-219.
8. Cf. n° 1303-1306.
9. Jn 9,4 et 5.
10. Jn 6,71.
11. Mt 16, 23.
12. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIV, 5, BA ‘73", p. 21 Lui-même est le Jour. Que l’aveugle lave ses yeux dans le Jour pour voir le Jour. " Cf. 6, p. 23; 16, p, 39. Voir aussi n° 1470. On pense également à l’hymne de saint Ambroise: "Splendeur de la gloire du Père, de la Lumière produisant la lumière, Lumière de la Lumière et source de lumière, Jour illuminant le jour... "




Le Christ manifeste son dessein de ressusciter Lazare.

73 Jn 11,11-16



IL DIT CELA, ET ENSUITE IL LEUR DIT: LAZARE, NOTRE AMI, DORT; MAIS JE M’EN VAIS LE TIRER DU SOMMEIL.

" SES DISCIPLES DIRENT: "SEIGNEUR, S’IL DORT, IL SERA SAUVÉ. " JÉSUS AVAIT PARLÉ DE SA MORT, MAIS EUX PENSÈRENT QU’IL PARLAIT DU REPOS DU SOMMEIL. ALORS JÉSUS LEUR DIT OUVERTEMENT: "LAZARE EST MORT, ET JE ME RÉJOUIS POUR VOUS DE N’AVOIR PAS ÉTÉ LÀ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ; MAIS ALLONS VERS LUI." THOMAS, APPELÉ DIDYME, DIT DONC AUX AUTRES DISCIPLES: "ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI. "

1492. Plus haut, le Seigneur a annoncé l’intention qu’il avait de se rendre dans le lieu de celui qui était mort; ici, il dévoile son intention de le relever.

D’abord il annonce l’intention elle-même, en quelque sorte d’une manière implicite et obscure. Ensuite, l’Evangéliste montre la lenteur d’intelligence des disciples [n° 1497]. Puis le Seigneur révèle son intention elle-même d’une manière plus manifeste [n° 1500].
1. Rm 8, 31. Saint Thomas commente ainsi ce passage: s Si Dieu est pour nous, c’est-à-dire en nous prédestinant, en nous appelant, en nous justifiant et en nous magnifiant, qui sera contre nous? c’est-à-dire qui pourra l’être d’une manière efficace — Présentons-nous ensemble qui sera mon adversaire? (Is 50,8) Délivre-moi, place-moi prés de toi, et que la main de n’importe qui combatte contre moi! (Joë, 17, 3) (Ad Rom. lect., VIII, n’ 711). Job, note saint Thomas en commentant ce verset, ne demande pas à être délivré de l’adversité et établi dans une prospérité terrestre; il demande à Dieu s de le conduire aux plus hauts sommets spirituels, et c’est pourquoi il ajoute et place-moi tout prés de toi. En effet, parce que Dieu est l’essence même de la Bonté, nécessairement celui qui est placé près de Dieu est délivré du mal. Or l’homme est placé près de Dieu dans la mesure où il s’approche de lui par son esprit, dans la connaissance et l’amour. Cela, certes, ne lui arrive qu’imparfaitement dans [n° état de pèlerin [in statu viae] où l’homme souffre bien des assauts, et où il n’est cependant pas vaincu parce qu’il est placé près de Dieu; mais l’homme est parfaitement placé près de Dieu par son esprit dans l’état du bonheur ultime [n° statu ultimae felicitatis], où il ne peut plus souffrir d’assauts. C’est cela dont [n° exprime le désir en disant: et que le nom de n’importe qui combatte contre moi, parce que, si forts que soient les assauts que certains veuillent mener contre moi, l’assaut d’aucun d’eux ne m’affectera si je suis parfaitement établi auprès de toi. Voilà donc en quoi Job, au milieu des amertumes, trouvait consolation dans l’espérance d’être placé tout près de Dieu, où il ne pourrait plus craindre les assauts. " (Exp. super Job, 17, 3, p. 106-107, 1. 51-71).
2. Jb 24, 13.


I

IL DIT CELA, ET ENSUITE IL LEUR DIT: "LAZARE, NOTRE AMI, DORT; MAIS JE M’EN VAIS LE TIRER DU SOMMEIL."

1493. IL DIT CELA, ET ENSUITE IL LEUR DIT, autrement dit: une fois dit ce qui a été exposé plus haut, il dit à ses disciples: LAZARE, NOTRE AMI, DORT. Cela certes, selon Chrysostome, semble constituer une seconde raison chassant la crainte des disciples; car la première procédait de l’innocence des disciples, parce que celui qui marche pendant le jour ne bute pas. Celle-ci est prise à partir d’une nécessité imminente; en quelque sorte il est nécessaire de partir.

1494. C’est pourquoi, à ce sujet, le Seigneur fait trois choses. D’abord il rappelle l’amitié ancienne de celui qui est mort, en disant: LAZARE, NOTRE AMI, ami à cause des nombreux bienfaits et de la faveur qu’il nous a montrés. Et c’est pourquoi nous ne devons pas lui manquer dans la nécessité — Celui qui ne fait pas cas d’un dommage à cause de l’ami, est juste
3. In Ioannem hom., LXII, 1, PG 59, col. 343.


1495. Puis il montre l’imminence de la nécessité il DORT. C’est pourquoi il faut lui venir en aide — C’est dans la détresse qu’on reconnaît vraiment un frère Il dort, comme le dit Augustin, pour le Seigneur; mais il était mort pour les hommes qui ne pouvaient le relever.

Il faut savoir en effet que le sommeil est pris en de nombreux sens. Parfois pour le sommeil naturel: Samuel dormit jusqu’au matin 3 et: Tu dormiras tranquille 4; parfois pour le sommeil de la mort — Nous ne voulons pas que vous soyez ignorants au sujet de ceux qui sont endormis, de sorte que vous ne soyez pas attristés comme tous les autres qui n’ont pas l’espérance 5; parfois pour la négligence — Voici qu’il ne sommeillera pas, qu’il ne dormira pas, celui qui garde Israël 6. Mais parfois aussi pour le sommeil de la faute — Eveille-toi, toi qui dors, et relève-toi d’entre les morts parfois pour le repos de la contemplation — Je dors, et mon coeur veille 8; parfois pour le repos de la gloire future — En paix tout à la fois je m’endors et me repose 9.

On parle de la mort comme d’un sommeil à cause de l’espérance de la résurrection 10. C’est pourquoi on a l’habitude d’appeler la mort une dormition, depuis le moment où le Christ est mort et est ressuscité — Et moi, j’ai dormi, je me suis endormi, et je me suis relevé parce que le Seigneur m’a soutenu 11.
1. Pr 12, 26.
2. Pr 17, 17.
3. 1 s 3, 15.
4. Jb 11, 18. En fait, il s’agit ici du sommeil de la mort Et enterré, tu dormiras tranquille. Saint Thomas commente: "Personne ne violera ton sépulcre, et tu n’auras pas non plus à craindre que quelqu’un attaque, et c’est pourquoi il ajoute: tu te reposeras et il n’y aura personne pour t’effrayer s (Exp. super Job, 11, 18, p. 78, 1. 267-270).
5. 1 Th 4, 12.
6. Ps 120, 4.
7. Ep 5, 14.
8. Ct 5, 2.
9. Ps 4, 9.
10. Tracs, in Ioann., XLIX, 9, BA 735, p. 220-221.


1496. Enfin il montre le pouvoir qu’il a de ressusciter, lorsqu’il dit: MAIS JE M’EN VAIS LE TIRER DU SOMMEIL. En cela il donne à entendre qu’il le ferait sortir du sépulcre avec autant de facilité que toi, tu réveilles celui qui dort dans son lit 12. Ce n’est pas étonnant, car il est lui-même celui qui relève les morts et les vivifie 13. C’est pourquoi lui-même dit Elle vient, l’heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu 14.



II

1497. L’Évangéliste montre ensuite la lenteur d’intelligence des disciples.

Il expose d’abord le signe de leur lenteur, à savoir qu’ils ne répondirent pas selon l’intention du Seigneur; puis leur lenteur est montrée d’une façon manifeste [n° 1499].



LES DISCIPLES DIRENT: "SEIGNEUR, S’IL DORT, IL SERA SAUVE."

1498. Il faut savoir que ce que le Seigneur avait dit du sommeil de la mort, ceux-ci le comprirent du sommeil naturel. Et parce que le sommeil des malades est d’ordinaire l’indice de la guérison 15, les disciples lui dirent SEIGNEUR, S’IL DORT, IL SERA SAUVÉ, comme s’ils disaient: ceci est manifestement un signe de guérison. De telle sorte qu’ensuite, ils concluraient Seigneur, s’il dort, il ne semble donc pas utile que toi, tu ailles le réveiller.
11. Ps 3, 6.
12. Cf. SAINT AUGIJSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 9, BA 735, p. 220-221.
13. Cf. Jn 5, 21.
14. Jn 5, 28.
15. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 11, BA 7311, p. 224-225.





JÉSUS AVAIT PARLÉ DE SA MORT, MAIS EUX PENSÈRENT QU’IL PARLAIT DU REPOS DU SOMMEIL.

1499. Il montre ici la lenteur elle-même. Jusqu’alors en effet, ils étaient sans intelligence — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 1. C’est pourquoi aussi le Seigneur leur dit: Et vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence 2? Il est dit du sage: Il sera attentif à la parabole et à son interprétation, aux paroles des sages et à leurs énigmes 3.

III

ALORS JÉSUS LEUR DIT OUVERTEMENT: " LAZARE EST MORT, ET JE ME RÉJOUIS POUR VOUS DE N’AVOIR PAS ÉTÉ LÀ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ MAIS ALLONS VERS LUI. "

1500. Le Seigneur manifeste ensuite explicitement son intention de le relever. D’abord il leur annonce la mort de Lazare, ce qui relève de sa science. Ensuite, il laisse entendre l’affection 4 qu’il éprouve au sujet de sa mort, ce qui relève de sa providence [n° 1502]. Puis il leur fait comprendre son dessein d’aller auprès du mort, ce qui relève de sa clémence [n° 1503].

1501. Il annonce la mort en disant clairement: LAZARE EST MORT, il a subi la loi commune de la mort qu’aucun homme ne peut esquiver — Quel est l’homme qui vivra et ne verra pas la mort 5?

1502. Il montre son affection au sujet de sa mort, en disant: JE ME RÉJOUIS À CAUSE DE VOUS DE N’AVOIR PAS ÉTÉ LÀ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ, ce qui peut être expliqué de deux manières.

D’une première manière, ainsi: nous, nous avons appris la maladie de Lazare; mais moi, alors que je suis absent, j’annonce sa mort, ET JE ME RÉJOUIS À CAUSE DE VOUS, c’est-à-dire pour votre intérêt, pour qu’à partir de là vous tiriez l’expérience de ma divinité, parce que, dans l’absence [de la réalité], je vois — Tout est nu et découvert à ses yeux 6. Ce n’est pas étonnant, parce qu’il est lui-même présent à toutes choses 7 — Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas 8? AFIN QUE VOUS CROYIEZ: non afin qu’ils commencent à croire à nouveau, mais pour qu’ils croient davantage et d’une manière plus, vigoureuse 9 — Je crois Seigneur, viens en aide à mon incrédulité 10.

D’une autre manière, ainsi: JE ME RÉJOUIS qu’il soit mort et ceci, À CAUSE DE VOUS, pour votre intérêt, AFIN QUE VOUS CROYIEZ. Car si j’avais été là, il ne serait pas mort. Mais parce qu’il est mort, le miracle apparaîtra plus grand lorsque je ressusciterai un mort déjà livré à la corruption; et à cause de cela, vous serez davantage fortifiés dans la foi 11. En effet, c’est plus grand de relever un mort que de préserver un vivant de la mort. Par là est donné à entendre que parfois les maux sont source de joie, en tant qu’ils sont ordonnés au bien — Pour ceux qui aiment Dieu, toutes choses coopèrent au bien.
1 Corinthiens 2, 14. " L’homme naturel": animalis homo. Cf. n° 138, note 6.
2. Mt 15, 16.
3. Pr 1, 6.
4. Affectus, que nous retrouvons plusieurs fois dans le commen taire du chap. li, exprime ici la vulnérabilité affective à l’égard de quelqu’un.
5. Ps 88, 49.
6. He 4, 13. s Aucune créature n’est invisible à son regard. [n° l’Apôtre] montre que ce qui est invisible selon la nature n’est pas caché à Dieu. Que quelque chose ne soit pas vu par nous, cela vient de ce que c’est trop simple et trop subtil pour notre oeil, celui du corps ou celui de l’intelligence; ainsi en est-il des substances séparées que nous ne pouvons pas voir en cette vie. Mais rien n’est trop simple et trop subtil pour l’intelligence divine; donc, aucune créature n’est invisible à son regard * (Ad Haebr. lect., IV, n° 228).
7. Il s’agit ici de la présence d’immensité, car saint Thomas fait allusion à la toute-puissance créatrice de Dieu. Saint Thomas parle ici du Verbe en tant qu’il est un avec le Père et l’Esprit Saint, dans sa toute-puissance créatrice, tout en étant cependant présent d’une manière personnelle (cf. Somme théol., I, q. 8, a. 3; q. 45, a. 6 et s. 7). Cette présence d’immensité se distingue de la présence dite s objectives, dont saint Thomas parle par rapport à la grâce (cf. ibid., q. 43, s. 3).
8. Jr 23, 24.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in 10., XLIX, 11, BA 73*, p. 224-227.
10. Mc 9, 23.
11. Cf. THÉOPHYLACT8, Enarr. in ev. S. Ioannis, chap. 11, PG 124, col. 91 D.




1503. Puis il leur fait comprendre son dessein de partir en disant: MAIS ALLONS VERS LUI. En cela, il montre la clémence de Dieu en tant qu’il attire, en les devançant miséricordieusement, les hommes qui se trouvent dans le péché et qui sont comme morts, n’étant pas capables par eux-mêmes d’aller vers lui, selon cette parole. D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré, en ayant pitié de toi 2.




THOMAS, APPELÉ DIDYME, DIT DONC AUX AUTRES DISCIPLES: "ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI. "

1504. Ici est notée l’affection des disciples, qui peut être expliquée de deux manières, soit comme celle de celui qui doute, soit comme celle de celui qui aime. Elle est expliquée par Chrysostome de la première manière. Car, comme on l’a dit plus haut, tous les disciples craignaient les Juifs, et plus que les autres, Thomas. Car avant la Passion, il était plus faible que les autres et plus infidèle, lui qui cependant, plus tard, a été rendu plus fort et irréprochable, qui seul a parcouru toute la terre. C’est pourquoi, à cause de ce doute, il dit aux autres disciples: ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI, comme s’il disait lui il ne craint pas la mort, il veut y aller tout entier, voulant se livrer à la mort, et nous avec lui.

Augustin explique [cette parole] de la seconde manière. En effet, Thomas et les autres disciples aimaient tellement le Christ qu’ils voulaient, soit vivre avec lui présent, soit mourir avec lui, pour ne pas rester abandonnés et donc inconsolés après sa mort. C’est pourquoi, à cause de cet amour, Thomas dit aux autres disciples: ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI; autrement dit il veut s’en aller, le danger de la mort le menace. Et nous, resterons-nous afin de vivre? Loin de là! Allons plutôt, POUR MOURIR AVEC LUI — Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons 4. — Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts 5.



B. L’ORDRE DE LA RÉSURRECTION

74 Jn 11,17-27




1505. Après avoir annoncé le relèvement de celui qui est mort [n° 1480], l’Evangéliste décrit ici l’ordre de la résurrection. Il commence par montrer ce qui se rapporte aux autres: d’abord la condition de celui qui est mort [n° 1506]; ensuite la consolation des foules à l’égard des deux soeurs [n° 1508]; enfin la dévotion de ces dernières [n° 1509].

Puis il met en avant ce qui convient à l’affection du Christ [n° 1531], et en dernier lieu il présente l’accomplissement du relèvement [n° 1540].
1. Rm 8, 28 (cf. Ad Rom. lect., VIII, n’ 695 s.
2. Jr 31,3.
3. In loannem hom., LXII, 2, PG 59, col. 344.
4. 2 Tm 2, 12.
5. 2 Co 5, 14.




La condition de celui qui est mort, la consolation des deux soeurs et leur dévotion.

I

JÉSUS VINT DONC ET TROUVA LAZARE DANS LE TOMBEAU DEPUIS QUATRE JOURS DÉJÀ.

1506. La condition de celui qui est mort est décrite quant au moment de la mort; elle datait de quatre jours JÉSUS VINT ET LE TROUVA MORT DEPUIS QUATRE JOURS DÉJÀ; et quant au lieu: DANS LE TOMBEAU. A partir de cela il apparaît, selon le sens littéral, comme on l’a dit plus haut, qu’il mourut le jour où la maladie fut annoncée [au Seigneur].

1507. Selon Augustin 1, par ces quatre jours on signifie quatre morts différentes 2. Le premier jour est celui du péché originel que l’homme tire de la lignée de la mort 3 — Par un seul homme, le péché est entré dans le monde 4. Les trois autres jours se rapportent à la mort du péché actuel. Car tout péché mortel est appelé mort, selon cette parole du psaume: La mort des pécheurs est très mauvaise 5. Et ces trois jours se divisent selon la transgression de trois lois. D’abord celle de la loi naturelle que les hommes ont transgressée; et c’est le second jour de la mort — Ils ont transgressé la Loi et le pacte éternel 6, c’est-à-dire la loi naturelle. Ensuite celle de la Loi écrite, que les hommes ont aussi transgressée; et ainsi c’est le troisième jour — Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et aucun d’entre vous n’accomplit la Loi 7. Enfin celle de la loi de l’Evangile et de la grâce, que les hommes ont transgressée. Et c’est le quatrième jour, plus grave que tous les autres — Celui qui rejette la Loi de Moïse est mis à mort sans aucune pitié, sur la parole de deux ou trois témoins. D’un châtiment combien plus grave pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance par lequel il a été sanctifié, et aura outragé l’Esprit de la grâce 8?
1. Tract, in Ioann., XLIX, 12, BA 735, p. 226-231.
2. A la suite de saint Augustin, de nombreux Pères de l’Eglise ont commenté le symbolisme des quatre jours dans le tombeau. Citons SAINT BERNARD " Mais qu’en est-il de cette phrase: Seigneur, il sent déjà, car c’est le quatrième jour Un 11, 39)? Peut-être ne comprendra-t-on pas immédiatement le sens de cette mauvaise odeur et de ces quatre jours. Pour ma part, j’interprète le premier jour comme celui de la crainte le jour où, à la vue du péché qui jette tous ses feux dans notre coeur, nous mourons (Rm 6,2) et sommes en quelque sorte ensevelis dans notre conscience. Le deuxième jour consiste, si je ne me trompe, dans l’effort du combat. Car il est fréquent que, dans les débuts de la conversion, la tentation de l’habitude dépravée resurgisse plus violemment et qu’il soit à peine possible d’éteindre les traits enflammés du diable (Ep 6,16). Le troisième jour semble bien être celui de la douleur, quand on repasse ses années dans l’amertume de son âme (Is 38,15) on est alors plus enclin à regretter amèrement les péchés du passé qu’à éviter soigneusement de les commettre dans l’avenir. Tu t’étonnes que J’interprète cela comme des jours? Pourtant tels doivent bien se présenter les jours de la sépulture jours de brouillard et de ténèbres (So 1,15), jours de deuil et d’amertume. Vient alors le jour de la honte, qui n’est pas différent des trois précédents l’âme, dans son état pitoyable, est couverte désormais d’une horrible confusion; elle considère en effet avec précision la gravité et la quantité du mal qu’elle a commis, et elle fait défiler sous les yeux de son coeur les sombres images de ses péchés. Un esprit de ce genre ne se dissimule rien, il se juge rigoureusement et accentue même la gravité de tout ce qu’il a fait. En juge sévère pour lui-même, il ne s’épargne pas. Utile est cette rigueur poussée à bout, digne de miséricorde est cette dureté: elle se concilie facilement la grâce de Dieu, puisque, dans sa réflexion, l’esprit prend le parti de Dieu contre lui-même. " (Sermons pour l’année, Brepols & Taizé, p. 664-665, Sermon sur l’Assomption, IV, 3).
3. Quem homo trahit de mortis propagine. Saint Thomas reprend
cette expression à saint Augustin (cf. Tract, in Ioann., XLIX, 12, Ba 735, p. 229). Dans la Somme théologique, saint Thomas rappelle comment saint Augustin a combattu l’hérésie de Pélage et résume les diverses tentatives qui ont été faites pour expliciter le mystère du péché originel. Mais ces recherches restant insuffisantes, il montre la nécessité de préciser théologiquement ce que la foi nous enseigne s Il faut s’avancer par un autre chemin, en disant que tous les hommes qui naissent à partir d’Adam peuvent être considérés comme un seul homme, en tant qu’ils sont unis dans la nature qu’ils reçoivent des premiers parents [n° Ainsi donc, les nombreux hommes provenant d’Adam sont comme les nombreux membres d’un seul corps " (Somme théol., I-II, q. 81, s. I). Adam s été établi par Dieu comme s chefs (princeps) de toute la race humaine. Si donc Adam, comme tête, désobéit par orgueil, il perd la plénitude de grâce, mais il demeure responsable de toute l’humanité, selon la chair et le sang. Le Christ est s Nouvel Adam s comme source capitale de la grâce sanctifiante pour tous les sauvés, en laissant à Adam sa responsabilité naturelle — la grâce ne détruit pas la nature, elle ne détruit pas l’ordre de sagesse voulu par Dieu créateur. Notons encore que le regard de saint Thomas, qui considère tous les hommes comme s un seul homme s, est celui du théologien qui, à partir de la foi, considère toutes choses avec le regard de la sagesse de Dieu. Une telle affirmation ne peut se comprendre au niveau philosophique.
4. Rm 5, 12. Voir le commentaire de saint Thomaa sur ce paisage (Ad Rom. lect., V, n’ 406 s. ).
5. Ps 33, 22. Cf. n’ 1169, note 8.
6. Ii 24, 5. Saïnt Thomas ne cite pas ici en entier le verset 5, qui est le suivant Ils ont transgressé les lois, ils ont changé le droit, ils ont détruit l’alliance éternelle.
7. Jn 7, 19.
8. He 10, 29.




Mais, d’une autre manière 2, le premier jour est le péché du coeur — Enlevez le mal de vos pensées 3. Le second jour est le péché de la bouche 4 — Qu’aucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche". Le troisième jour est le péché des oeuvres, dont il est dit: Cessez d’agir d’une manière perverse 5. Le quatrième jour est le péché des habitudes mauvaises au sujet duquel il est dit: Ainsi vous aussi, vous auriez pu faire le bien, alors que vous avez appris le mal 6.

Cependant, de quelque manière que l’on interprète, le Seigneur guérit parfois ceux qui sont morts depuis quatre jours, c’est-à-dire ceux qui ont transgressé la loi de l’Évangile et sont retenus dans l’habitude du péché.
2. Peut-être Alcuin.
3. Is 1, 16. Saint Thomas commente ainsi le verset 16 du chapitre 1 d’Isaïe: On fuit le mal de deux manières. Par l’expiation du passé, et à ce propos il dit Lavez-vous — Lave ton coeur de la méchanceté, Jérusalem, afin d’être sauvée; jusques à quand demeureront en toi des pensées nuisibles? (Jr 4,14). En second lieu, parla vigilance à l’égard du futur, et cela de trois façons. [n° veillant] à ne pas concevoir dans son coeur de mauvaises pensées, Soyez purs — Celui qui aime la pureté du coeur, à cause de la grâce de ses lèvres, aura le roi pour ami (Pr 22,11). A ne pas réaliser ces pensées dans une oeuvre, Chassez le mal, à savoir l’oeuvre — Malheur à vous qui nourrissez des pensées vaines et faites le mal sur votre couche: dès que paraît la lumière du matin, ils l’exécutent (Mi 2,1). A ne pas achever l’oeuvre commencée; Cessez d’agir d’une manière perverse — Préserve ton pied de la nudité et ta gorge de la soif (Jr 2,25). " (Exp. super Isaïam, 1, 16, p. 16, I. 617-631).
4. Ep 4, 29. Saint Thomas commente " La parole qui sort de la bouche fait voir et annonce les choses qui sont dans l’âme, parce que les paroles sont ce qui est connu des passions qui sont dans l’âme. La parole bonne est celle qui indique une bonne disposition intérieure, et la mauvaise est [n° qui en indique] une mauvaise. Or l’homme est ordonné intérieurement de trois manières par rapport à lui-même, de telle sorte que toutes choses soient soumises à sa raison; par rapport à Dieu, de telle sorte que la raison lui soit soumise; et par rapport au prochain, quand il l’aime comme lui-même. Il y a donc parfois une mauvaise parole, quand elle manifeste un homme qui n’est pas ordonné en lui-même; et c’est la parole fausse de celui qui dit une chose et a en vue une autre — elle est semblable à une parole inutile et vaine. De même, il y s une parole mauvaise qui manifeste un homme qui n’est pas ordonné vers Dieu comme les parjures, les blasphèmes et autres choses du même genre. Enfin, il y a aussi une parole mauvaise quand elle va contre le prochain comme les injures, les paroles fourbes et fallacieuses s (Ad Eph. lect., IV, n° 259).
SIs 1, 16.
6. Jr 13, 23.


II

OR BÉTHANIE ÉTAIT PROCHE DE JÉRU SALEM, À ENVIRON QUINZE STADES. BEAUCOUP DE JUIFS ÉTAIENT VENUS VERS MARTHE ET MARIE POUR LES CONSOLER AU SUJET DE LEUR FRÈRE.

1508. On décrit ensuite la condition de ceux qui viennent visiter [les deux soeurs], quant à l’opportunité de la visite, et quant à leur nombre.

Quant à l’opportunité, certes, parce que le lieu du mort était proche de ‘Jérusalem; c’est pourquoi 1’Evangéliste dit: BÉTHANIE ÉTAIT PROCHE DE JÉRUSALEM, À ENVIRON QUINZE STADES, ce qui faisait presque deux milles; car un mille a huit stades. Et ainsi, pour de nombreux Juifs de Jérusalem, venir en ce lieu était manifestement facile.

Au sens mystique, par Béthanie qui a le sens de "maison de l’obéissance 7", et par Jérusalem qui a le sens de "vision de paix", il est donné à entendre que ceux qui sont dans l’état 8 d’obéissance sont proches de la paix de la vie éternelle — Mes brebis écoutent ma voix et moi, je leur donne la vie éternelle 9. Et on dit "quinze stades", parce que celui qui veut, de Béthanie, c’est-à-dire de l’état d’obéissance, aller dans la Jérusalem céleste, doit franchir quinze stades. D’abord sept, qui se rapportent à l’observance de l’ancienne Loi, car le nombre sept se rapporte à l’ancienne Loi qui sanctifie le
7. Cf. n° 1473, note 3.
8. Le status désigne pour saint Thomas une manière d’être spéciale pour l’homme, qui se trsduit dans la manière d’agir. s L’état d’obéissance " appartient aux religieux; en effet, " il appartient aux religieux d’être dans l’état de perfection. Or, pour l’état de perfection, l’obligation de ce qui appartient à la perfection est requise, ce qui se réalise envers Dieu par un voeu. Or il est manifeste que la pauvreté, la continence et l’obéissance sont requises pour la perfection de la vie chrétienne. Et c’est pourquoi l’état religieux requiert qu’on y soit obligé par voeu... " (Somme théol., q. 186, s. 6); voir q. 184, s. 5; q. 186, s. 1; s. 3-5.
9. Jn 10, 27-28.


septième jour. Ensuite huit, pour l’accomplissement du Nouveau Testament auquel se rapporte le nombre huit, à cause de l’octave de la Résurrection.

La condition de ceux qui viennent visiter les deux soeurs est décrite quant au nombre, parce qu’ils sont nombreux. C’est pourquoi l’Evangéliste dit BEAUCOUP DE JUIFS ÉTAIENT VENUS VERS MARTHE ET MARIE, POUR LES CONSOLER. C’était certes de la piété — Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent. — Ne manque pas de consoler ceux qui pleurent



III


1509. Puis l’Évangéliste décrit les [deux] soeurs, d’abord Marthe, puis Marie [n° 1521].

Il décrit Marthe sous trois aspects. D’abord en tant qu’elle est accourue au-devant du Christ, puis quant à l’amour de dévotion qu’elle a témoigné au Christ [n° 1511], enfin quant au progrès d’instruction auquel le Christ l’éleva [n° 1512].



Jean 11, 20: MARTHE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST




DONC MARTHE, QUAND ELLE ENTEND QUE JÉSUS VIENT, COURT AU-DEVANT DE LUI, TANDIS QUE MARIE RESTAIT ASSISE À LA MAISON.

1510. La venue de Marthe au-devant du Christ est décrite comme rapide, parce que MARTHE, QUAND ELLE ENTEND QUE JÉSUS VIENT, COURT AU-DEVANT DE LUI, aussitôt, sans aucun retard. Il VIENT est au temps présent: peut-être que le Christ étant proche du village, quelqu’un l’avait précédé et annonça la venue du Christ à Marthe qui, dès qu’elle l’entendit, accourut aussitôt.

La raison pour laquelle Marthe entendit cela en premier, et accourut seule, est qu’elle était inquiète; aussi le Seigneur lui dit — il: Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu es troublée pour bien des choses 5. C’est pourquoi, occupée à l’arrangement des affaires domestiques, elle courait de différents côtés à travers la maison, et accourut plus facilement au-devant du messager. MARIE ÉTAIT ASSISE À LA MAISON avec ceux qui étaient venus de Jérusalem: et c’est pourquoi elle ne put être prévenue aussi vite que Marthe.

La raison pour laquelle Marthe n’a pas prévenu aussitôt Marie est donnée par Chrysostome 6: Marie en effet était assise avec les Juifs et Marthe savait que les Juifs poursuivaient le Christ et avaient déjà comploté sa mort. C’est pourquoi elle craignait que si elle lui disait la nouvelle et si Marie allait à la rencontre du Christ, ils aillent avec elle. A cause de cela, elle ne voulut donc pas la lui dire.

Mais si les Juifs avaient tramé un complot contre le Christ, comment visitaient-ils Lazare et ses soeurs qui étaient des familiers du Christ, et presque comme des disciples? Chrysostome 7 répond qu’ils faisaient cela à cause de la nécessité du malheur et à cause de la noblesse de ces femmes qu’ils consolaient, ayant écarté le commandement de leurs chefs. Ou bien parce que ceux qui étaient présents n’étaient pas mauvais, mais se comportaient bien à l’égard du Christ: beaucoup en effet, parmi le peuple, croyaient.
1. Ce passage reprend, en ajoutant l’interprétation allégorique du chiffre 15, une remarque que l’on retrouvera dans la Glose ordinaire rapportée par l’édition de Douai (1617, col. 1191, a), mais qui n’apparaît pas parmi les sources habituelles de saint Thomas, pas même dans la Glose ordinaire de Walafrid Strabon éditée dans la Patrologie de Migne.
2. Sur la piété, cf. n° 1067, note 2.
3. Rm 12, 15.
4. Si 7, 38.
5. Lc 10,41.
6. In loannem hom., LXIII, 1, PG 59, col. 349.
7. Ibid., LXII, 2, col. 345.




Au sens mystique sont signifiées ici la vie active — représentée par Marthe, qui accourut au-devant du Christ pour montrer par [l'usage de] ses membres le bienfait de l’obéissance 1 — et la vie contemplative, représentée par Marie, qui est assise à la maison, vaquant au repos de la contemplation et à la pureté de conscience 2 — Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 3.



Jean 11, 21: L’AMOUR DE DÉVOTION DE MARTHE






MARTHE DIT DONC À JÉSUS: "SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LÀ, MON FRÈRE NE SERAIT PAS MORT. ET MAINTENANT, JE SAIS QUE TOUT CE QUE TU DEMANDERAS À DIEU, DIEU TE LE DONNERA."

1511. L’Évangéliste montre que l’amour de dévotion 4, en Marthe, devance tout. Avec dévotion elle expose ici deux choses au Christ l’une qui regarde le passé, l’autre qui regarde le futur.

Ce qu’elle dit: SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LÀ, MON FRÈRE NE SERAIT PAS MORT, regarde le passé. Elle croyait en effet que, le Christ étant présent, la mort n’aurait pas lieu, puisqu’elle avait vu une femme guérie au seul toucher de la frange [du manteau] de Jésus 5. Et certes elle s’émouvait à bon droit, car la vie s’oppose à la mort. Or le Christ est la vie et l’arbre de la vie — Elle est un arbre de vie pour tous ceux qui la saisissent 6. Si donc l’arbre de la vie pouvait préserver de la mort, combien plus le Christ. Néanmoins elle avait une foi imparfaite, estimant que le Christ pouvait moins absent que présent. C’est pourquoi elle disait: SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LÀ, MON FRÈRE NE SERAIT PAS MORT. Et certes, on peut dire cela d’une puissance limitée et créée; mais de la puissance infinie et incréée qui est Dieu, il ne faut pas le dire, parce qu’elle se rapporte également aux réalités présentes et aux absentes; ou mieux, toutes choses lui sont présentes — Penses-tu que je sois Dieu de près, dit le Seigneur, et non Dieu de loin 7?
1. Présentez vos membres comme esclaves à la justice pour la sainteté. (Rm 6,19); cf. ibid., verset 12-14; 12, 1-8; 1 Corinthiens 6, 15-17; 1 Corinthiens 12.
2. Citons ici ce beau texte de saint Bruno s Ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, ceux-là seuls le savent qui en ont fait l’expérience. Ici, en effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant qu’ils le désirent, demeurer en eux-mêmes, cultiver assidûment les germes des vertus, et se nourrir avec bonheur des fruits du paradis. Ici, on s’efforce d’acquérir cet oeil dont le clair regard blesse l’époux d’un amour pur et limpide qui voit Dieu. Ici, on s’adonne à un loisir bien rempli et l’on s’immobilise dans une action tranquille. Ici, Dieu donne à ses athlètes, pour le labeur du combat, la récompense désirée: une paix que le monde ignore et la joie dans l’Esprit-Saint s (SAINT BRUNO, s Lettre à Raoul Le Verd s, 6; dans Lettres des premiers chartreux, I, SC 88, p. 71). Citons aussi saint Bernard, qui commente ainsi le texte de saint Luc sur Marthe et Marie: "Que Marie examine, elle, ce qu’elle fait de son temps libre et qu’elle reconnaisse combien le Seigneur est bon (Ps 33,9). Ous, dis-je, qu’elle examine avec quel empressement et quelle tranquillité d’esprit elle se tient assise aux pieds de Jésus, les yeux toujours fixés sur lui et l’oreille toujours tendue aux paroles de sa bouche, car sa vue est un plaisir et ses discours nous ravissent (Ct 4,3). La grâce est répandue sur ses lèvres et sa beauté dépasse celle des fils des hommes (Ps 44,3); elle dépasse même toute la gloire des anges... Heureuse es-tu surtout de percevoir dans le silence le secret du murmure divin (Jb 4,12) ce silence dans lequel il est bon pour l’homme d’attendre le Seigneur (Lm 3,26) s (Sermons sur l’Assomption, III, § 7). Sur la division entre la vie active et la vie contemplative signifiées par Marthe et Marie, voir SAINT THOMAS, Somme théol., II-II, q. 179-182. — Sur la pureté de la conscience évoquée ici, relevons deux passages de saint Bernard: s A défaut de pouvoir fixer le regard de ta méditation sur les liens éternels, dont la hauteur dépasse toute intelligence, tourne tes yeux vers les liens de la grâce, qui résident dans l’exercice des vertus. Tu verras de la sorte combien pure est la conscience, et libre le front de celui qui demeure et qui marche dans la chasteté et la charité, dans la patience et l’humilité, et dans toutes les autres vertus (SAINT BERNARD, Sermons divers, Desclée de Brouwer, 1, n° 16, p. 143). s Si la nature du corps réside dans sa santé, celle du coeur, elle, coïncide avec sa pureté. Un oeil troublé ne saurait voir Dieu, or le coeur humain est justement fait pour voir son Créateur. Si donc la santé du corps réclame qu’on s’en préoccupe et qu’on veille sur elle, la pureté du coeur nécessite un soin d’autant plus grand qu’on est plus convaincu de la limpidité du coeur par rapport à celle du corps " (ibid., p. 144-145. )
3. Sg 8, 16.
4. Au sujet du terme latin devotio, voir n° 843, note 5 et n° 1391, note 6.
5. Cf. Mt 9, 20.
6. Pr3, 18.
7. Jr 23, 23.


Ce qu’elle dit ensuite regarde le futur ET MAINTENANT JE SAIS QUE TOUT CE QUE TU DEMANDERAS À DIEU, DIEU TE LE DONNERA. En cela, bien que d’une certaine manière elle ait dit vrai — car au Christ, en tant qu’il est homme, il appartenait de demander à Dieu, c’est pourquoi on lit qu’il a souvent prié, et l’Evangéliste dit plus haut: Si quelqu’un adore Dieu […] celui-là, il l’exauce 1 —, cependant elle dit moins [que la vérité], car par ces paroles on semble estimer le Christ comme un homme saint qui pourrait, en priant, supprimer la mort passée, comme Elisée releva un mort en priant 2.



Jean 11, 23-26: LE CHRIST INSTRUIT MARTHE






JÉSUS LUI DIT: "TON FRÈRE RESSUSCITERA. " MARTHE LUI DIT: "JE SAIS QU’IL RESSUSCITERA A LA RESURRECTION, AU DERNIER JOUR.

" JESUS LUI DIT: "MOI, JE SUIS LA RESURRECTION ET LA VIE. CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA; ET QUICONQUE VIT ET CROIT EN MOI NE MOURRA JAMAIS. CROIS-TU CELA?" ELLE LUI DIT: "OUI, SEIGNEUR, MOI J’AI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE. "

1512. L’Évangéliste montre ensuite le progrès de l’instruction de Marthe. Parce que jusqu’alors elle connaissait imparfaitement, le Seigneur, en l’instruisant, la fait progresser vers des choses plus élevées.

D’abord il annonce la résurrection de son frère: il annonce le miracle futur; puis il montre l’intelligence que Marthe avait de la résurrection [n° 1514]; ensuite il montre son pouvoir de ressusciter [n° 1515].

1513. Le miracle que le Seigneur annonce est la résurrection de Lazare. C’est pourquoi il dit: TON FRÈRE RESSUSCITERA — Tes morts vivront, et ceux qui t’ont été tués ressusciteront 3.

Or il faut savoir que le Christ a ressuscité trois morts: la fille du chef de la synagogue, comme Matthieu le rapporte 4, le fils de la veuve qu’on emportait hors de la porte [de la ville], comme Luc le rapporte 5, et Lazare qui était depuis quatre jours dans le tombeau. La jeune fille dans la maison, le jeune homme hors de la porte, Lazare dans le tombeau. Il ressuscita la jeune fille ayant avec lui un petit nombre de témoins, les parents de la jeune fille et trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean; le jeune homme, une grande foule étant présente; et Lazare, une multitude y assistant, et avec quels gémissements!

Par ces trois ressuscités, on entend trois genres de pécheurs. Certains en effet pèchent par consentement au péché mortel dans leur coeur; et ceux-ci sont désignés par la jeune fille morte dans la maison. D’autres sont ceux qui pèchent par des actes et des signes extérieurs; eux sont désignés par le mort qu’on emporte hors de la porte [de la ville]. Mais quand on est établi dans le péché par l’habitude, alors on est enfermé dans le tombeau. Et cependant le Seigneur les ressuscite tous. Mais ceux qui pèchent par le seul consentement, et meurent ainsi en péchant mortellement, sont plus facilement relevés; et parce qu’un tel péché est secret, il est guéri par une correction secrète. Quand le péché paraît à l’extérieur, alors il réclame un remède public 6.
1. Jn 9, 31.
2. Cf. 2 R 4, 18-37.
3. Is 26, 19. Ceux qui t’ont été tués, c’est-à-dire ceux qui t’appartiennent et qui sont morts pour toi.
4. Cf. Mt 9, 18-26.
5. Cf. Lc 7, 11-17.
6. Ce paragraphe reprend un long développement de saint Augustin cf. Tract, in Ioann., XLIX, 2 et 3, BA 73", p. 200-209.


1514. L’Évangéliste montre l’intelligence qu’avait Marthe de la résurrection promise lorsqu’il dit: MARTHE LUI DIT: "JE SAIS QU’IL RESSUSCITERA À LA RÉSUR RECTION, AU DERNIER JOUR." En effet, on n’a jamais entendu dire 7 que quelqu’un ait ressuscité un mort datant de quatre jours et sentant dans le tombeau. C’est pourquoi il ne pouvait pas venir au coeur de Marthe qu’aussitôt il le relèverait d’entre les morts. Mais elle croyait que ce serait à la résurrection commune. C’est pourquoi elle dit JE SAIS, c’est-à-dire je tiens très certainement QU’IL RESSUSCITERA AU DERNIER JOUR Moi je le ressusciterai au dernier jour 1.

1515. Ensuite le Seigneur, élevant Marthe à des choses plus hautes, montre d’abord sa puissance et son pouvoir de ressusciter puis il ajoute l’effet de son pouvoir [n° 1517]; enfin, il sollicite vivement la foi [de Marthe] [n° 1518].




JÉSUS LUI DIT: "MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA VIE."

1516. Sa puissance est une puissance vivificatrice: c’est pourquoi il dit cela, comme s’il disait: tu crois que ton frère ressuscitera au dernier jour? Que les hommes ressuscitent, ce sera entièrement par ma puissance; et c’est pourquoi, moi, par la puissance de qui tous ressusciteront alors, je peux même relever ton frère à l’instant.

Mais il dit deux choses: qu’il est LA RÉSURRECTION et qu’il est LA VIE. Il faut savoir en effet que quelques-uns réclament de participer à l’effet de la vie. Certains parce qu’ils ont perdu la vie; et certains, non parce qu’ils l’ont perdue mais pour la conserver alors qu’ils l’ont déjà. Ainsi il dit: MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION, par laquelle ceux qui ont perdu la vie par la mort reviennent à la vie, ET LA VIE, par laquelle ceux qui sont vivants sont conservés.

Il faut savoir que ce qu’il dit: MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION, est une locution causale; c’est comme s’il disait: moi je suis cause de la résurrection. Cette manière de parler n’est habituellement employée que pour les réalités qui sont cause d’une autre réalité. Or le Christ est la cause tout entière de notre résurrection, autant des âmes que des corps, et c’est pourquoi ce qu’il dit: MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION est une locution causale, comme s’il disait: qu’ils ressuscitent dans leurs âmes et dans leurs corps sera entièrement par moi — Puisque par un homme est venue la mort, par un homme aussi la résurrection des morts 2.

Et le fait même que JE SUIS LA RÉSURRECTION est mien du fait même que je suis LA VIE 3. Car il appartient à la vie de faire revenir certains à la vie, de même qu’il appartient au feu que quelque chose qui est éteint brûle à nouveau — En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes 4.




CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA; ET QUICONQUE VIT ET CROIT EN MOI NE MOURRA JAMAIS. CROIS-TU CELA?

1517. L’effet correspond à la puissance. D’abord il parle de l’effet qui correspond à la première puissance; puis de l’effet qui correspond à la seconde.

Ce qu’il avait dit d’abord de sa puissance est que lui-même est la Résurrection. Et à cela correspond l’effet, que lui-même vivifie les morts; quant à cela il dit: CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA.

La raison en est que moi je suis cause de la résurrection, et quelqu’un obtient l’effet de cette cause en croyant en moi. C’est pourquoi il dit: CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA, car par le fait qu’il croit, il m’a en lui — Que le Christ habite en vos coeurs par la foi 5.
7. Cf. Jn 9, 32.
1. Jn 6, 40.
2. 1 Corinthiens 15, 21.
3. Voir sMNT AUGIJSTIN " Ideo resurrectio quia vira " (Tract. in Ioann., XLIX, 14, HA 73", p. 230-233).
4. Jn 1, 4.
5. Ep 3, 17.


Celui qui m’a, a la cause de la résurrection. Donc, CELUI QUI CROIT EN MOI, VIVRA. Que quelques-uns ressuscitent par la foi, on le tient de ce qui est dit plus haut: Elle vient l’heure, et c’est maintenant, où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront 1 de la vie spirituelle, ressuscitant de la mort de la faute, et aussi de la vie naturelle, ressuscitant de la mort comme peine 2.

Ce qu’il avait dit ensuite de sa puissance est que lui-même est la Vie. Et à cela correspond l’effet de conservation dans la vie; c’est pourquoi il dit: ET QUICONQUE VIT de la vie de la justice, au sujet de laquelle il est dit: Mon juste vivra par sa foi 3, NE MOURRA JAMAIS, c’est-à-dire de la mort éternelle. Mais il aura la vie éternelle: Telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle 4. Et il ne faut pas l’entendre comme si on ne mourait pas, pour un temps, de la mort de la chair. Mais il faut comprendre qu’un jour on mourra ainsi, de sorte que, ce pendant, ressuscité, on vive pour l’éternité dans son âme, jusqu’à ce que la chair ressuscite, désormais destinée à ne plus jamais mourir. C’est pourquoi il ajoute au même endroit: Et moi je le ressusciterai au dernier jour 5.




"CROIS-TU CELA?" ELLE LUI DIT: "OUI, SEIGNEUR, MOI J’AI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE. "

1518. Le Seigneur sollicite vivement la foi de Marthe, afin de la rendre plus parfaite. C’est pourquoi il lui dit: CROIS-TU CELA?

Et d’abord est exposée l’interrogation du Seigneur. Il n’interroge pas comme s’il ignorait, mais en connaissant sa foi, lui qui certes avait répandu en elle la foi elle-même: croire, en effet, vient de Dieu. Mais il demande que la foi qu’elle avait dans le coeur, elle la confesse de sa bouche 6 — On croit avec le coeur en vue de la justice, et on confesse la foi de sa bouche en vue du salut 7.

1519. L’Évangéliste montre ensuite la réponse de la femme. Cette réponse semble n’avoir pas de rapport avec ce que le Seigneur avait dit. Il a dit en effet: MOI JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA VIE et ensuite il a demandé si elle croyait cela. Or la femme ne répondit pas: je crois que tu es la Résurrection et la Vie, mais: MOI J’AI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE.

Cette parole est explicitée de deux manières. Chrysostome 8 en effet dit que cette femme n’ayant pas l’intelligence des paroles élevées du Seigneur, répondit, comme stupéfaite, en disant: Seigneur, moi je ne comprends pas ce que tu dis, c’est-à-dire que tu es la Résurrection et la Vie, mais J’AI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT.

Mais Augustin 9 dit que la femme répondit cela parce que ce qu’elle dit est la raison de toutes les choses dites auparavant par le Seigneur. Comme si elle disait: tout ce que tu dis de ta puissance et de l’effet du salut, je le crois entièrement, parce que moi je crois ce qui est plus et qui est la racine de tout, c’est-à-dire QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT.
l. Jn 5, 28.
2. Littéralement " de la mort de peine Sur cette distinction, voir n 1301, note 9.
3. Ha 2, 4.
4. Jn 6, 40.
5. Ibid.
6. La Glose interlinéaire note ainsi: "Sciens fidem, quaerit confessionem " (éd. de Douai, in h. loc., 1. 18).
7. Rm 10, 10.
8. In loannem hom., LXII, 3, PG 59, col. 346.
9. Saint Augustin commente ainsi la réponse de Marthe " Quand j’ai cru à cela [n° tu es le Christ], j’ai vu [n° même temps] que tu es la Résurrection, j’ai cru [n° même temps] que tu es la Vie; j’ai cru que celui qui croit en toi, même s’il meurt, vivra s (Trace. in Ioann., XLIX, 15, Ba 73 p. 234-235). Nous n’avons pas trouvé d’autre passage de saint Augustin auquel saint Thomas ferait plus précisément allusion.




Jean 11, 27: LA CONFESSION DE MARTHE





1520. Cette confession de Marthe est parfaite. Elle confesse en effet la dignité du Christ, la nature et le don gratuit [dispensatio] 1 de l’Incarnation.

Elle confesse sa dignité royale et sacerdotale en disant: TU ES LE CHRIST. Le mot grec "Christ" se dit en latin unctus. Or les rois et les prêtres sont oints; le Christ est donc roi et prêtre. C’est pourquoi l’Ange dit: Il nous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur 2. Et il est Christ d’une façon unique, parce que tous les autres sont oints d’une huile visible alors que lui est oint d’une huile invisible, c’est-à-dire de l’Esprit Saint, et plus abondamment que tous les autres — Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile de joie, de préférence à tes compagnons 3. De préférence à tes compagnons parce que, comme l’Evangéliste le dit plus haut: Ce n’est pas avec mesure que Dieu lui donne l’Esprit 4.

Elle confesse la nature, c’est-à-dire la nature divine dans le Christ, égale au Père. C’est pourquoi elle dit FILS DU DIEU VIVANT. Car du fait qu’elle l’appelle d’une manière unique: FILS DU DIEU VIVANT, elle annonce la vérité de la filiation; il n’existe pas de vrai Fils de Dieu, si ce n’est celui qui est connaturel au Père. C’est pourquoi il est dit au sujet du Christ: Nous sommes dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ. Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle 5.

Elle confesse le mystère du don gratuit de l’Incarnation lorsqu’elle dit: CELUI QUI EST VENU DANS CE MONDE, c’est-à-dire en assumant la chair — Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde 6. Pierre confesse pareillement: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant 7.




IV

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Thomas sur Jean 72