Thomas sur Jean 77

77 Jn 11,45-53


1563. Après avoir montré la mort de Lazare et sa résurrection, l’Evangéliste montre ici l’effet de la résurrection, d’abord sur la foule, puis sur les princes des prêtres [n° 1566].



A. SON EFFET SUR LA FOULE






BEAUCOUP DONC D’ENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRÈS DE MARIE ET DE MARTHE,

ET QUI AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI. MAIS CERTAINS D’ENTRE EUX S’EN ALLÈRENT VERS LES PHARISIENS ET LEUR DIRENT CE QU’AVAIT FAIT JÉSUS.

1564. À propos du premier point, il fait deux choses. D’abord, il en présente certains qui croyaient, en disant: BEAUCOUP DONC D’ENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRÈS DE MARIE ET DE MARTHE, pour les consoler, ET QUI AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI. A cela rien d’étonnant, parce qu’on n’a jamais entendu parler d’un tel miracle, à savoir qu’un mort dans le tombeau depuis quatre jours ait été ressuscité à la vie. Pareillement, le Seigneur dit qu’il devait faire ce miracle à cause du peuple qui se tenait alentour, c’est-à-dire pour qu’ils croient en lui. Et c’est pourquoi cette parole ne fut pas prononcée en vain, mais à partir du miracle vu, beaucoup crurent — Les Juifs demandent des signes 1.



MAIS CERTAINS D’ENTRE EUX S’EN ALLÈRENT VERS LES PHARISIENS ET LEUR DIRENT CE QU’AVAIT FAIT JÉSUS.

1565. En second lieu, il en présente certains qui dénoncent le Christ On peut entendre cela de deux manières 2 Soit qu’ils dirent aux princes des prêtres ce que Jésus avait fait, pour les adoucir vis-à-vis de Jésus et pour les confondre au sujet de ce qu’ils machinaient contre lui, qui faisait des choses si étonnantes.

Soit, et cela est mieux, qu’ils dirent cela pour les exciter contre le Christ. Car ils étaient infidèles, et se scandalisaient du miracle. Et cela ressort avec évidence de la façon même de parler. Car quand il avait dit: BEAUCOUP DONC D’ENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRÈS DE MARIE ET DE MARTHE, ET QUI AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI, il ajoute comme par opposition: MAIS CERTAINS D’ENTRE EUX S’EN ALLÈRENT VERS LES PHARISIENS, eux dont il est dit plus loin: Bien que Jésus eût fait tant de signes devant eux, ils ne crurent pas en lui [...] ils aimèrent en effet la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu 3.
1. 1 Corinthiens 1,22.
2. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in In., XLIX, 25, BA 738, p. 250-253.
3. Jn 12,37 et 43.




B. SON EFFET SUR LES PRINCES DES PRÊTRES



1566. Puis l’Évangéliste montre l’effet du miracle sur les princes des prêtres, d’abord en exposant la malice qu’ils imaginèrent contre le Christ, puis en montrant comment le Christ s’y est dérobé [n° 1582].

La malice qu’ils imaginent contre le Christ.

À propos du premier point, il commence par montrer la réunion du conseil, puis le doute de ceux qui sont rassemblés [n° 1568]; enfin il précise la détermination qui lève ce doute [n° 1573].

I

Jean 11, 47-57: LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL.


1567. L’indignité des grands prêtres ressort de trois choses. D’abord par la condition des personnes, parce qu’ils ne sont pas plébéiens mais GRANDS PRÊTRES et PHARISIENS. Les grands prêtres avaient l’autorité sur le culte, tandis que les pharisiens avaient une apparence de religion, de sorte que soit accompli ce qui est dit dans la Genèse: Siméon et Lévi sont frères, vases d’iniquité qui font la guerre 1. Car les fondateurs de la secte des pharisiens furent de la tribu de Siméon. Et il est manifeste que les grands prêtres furent de la tribu de Lévi — La main des chefs et des magistrats fut la première dans cette transgression.

[Leur indignité ressort aussi] de la délibération de la malice; c’est pourquoi il dit: ils RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL, ce qui fut fait pour délibérer: Que mon âme n'entre pas dans leur conseil — Heureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des impies Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes: Il n'est pas de conseil contre le Seigneur 6.

Enfin, elle ressort de leur intention mauvaise qui est contre Jésus, c’est-à-dire contre le Sauveur: Mes ennemis murmuraient contre moi, contre moi. Ils ruminaient des choses mauvaises pour moi 7 — Venez, ruminons des projets contre Jérémie 8.
1. Gn 49, 5.
2. Saint Thomas se réfère ici à une interprétation suggérée par le commentaire de saint Jérôme sur Gn 49, 5 (Hebraicae quaestiones in Genesis; CCL, vol. LXXII, p. 53).
3. Esd 9, 2.
4. Gn 49, 6.
5. Ps 1,1.
6. Pr 21, 30.
7. Ps 40, 8.
8. Jr 18, 18.


II

ET ILS DISAIENT: "QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES. SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ET LES ROMAINS VIENDRONT, ET ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION. "

1568. Puis l’Évangéliste montre leur doute, d’abord en exposant ce qui a suscité le doute, puis la matière du doute [n° 1570].

1569. Les miracles du Christ les incitaient à douter; c’est pourquoi ils disaient: QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES. Ils sont aveugles, l’appelant encore "homme", lui dont la divinité leur a été démontrée avec tant [d'éclat] 1. Car, comme lui-même le dit plus haut: Les oeuvres que le Père m ‘a données à accomplir, ce sont elles — mêmes qui rendent témoignage à mon sujet 2 Mais ils ne sont pas moins insensés qu’aveugles, parce qu’ils doutent de ce qu’ils doivent faire, alors qu’il ne leur fallait rien faire d’autre que croire 3. Plus haut ils ont dit: Quel signe fais-tu, pour que nous croyions en toi 4? Mais voilà qu’il a fait beaucoup de signes et ils disent encore: PUISQUE CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES — En effet leur malice les a aveuglés 5.

1570. La matière du doute fut qu’ils craignaient les dommages qui suivraient ces signes. A ce propos, l’Evangéliste montre deux choses.

D’abord la perte de la prééminence spirituelle. Et quant à cela il dit: SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ce qui certes était souhaitable pour tous, selon la vérité de la réalité, car la foi qui est en le Christ 6 sauve et conduit à la vie éternelle — Ces [signes] ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom 7.

Mais quant à leur mauvaise intention, cela leur semblait redoutable: ils croyaient en effet qu’aucun de ceux qui croiraient en le Christ ne leur obéirait. Ainsi, à cause de leur ambition, ils se soustraient eux-mêmes au salut, et d’autres [avec eux]. C’est pourquoi il est dit dans la troisième épître canonique de Jean: Mais Diotréphès, lui qui aime à y tenir la première place, ne nous reçoit pas 8.

1571. Puis il montre l’ambition de la possession temporelle, quand il dit: ET LES ROMAINS VIENDRONT ET ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION, ce qui semble être une conséquence de [la foi en le Christ], selon Augustin. Parce que si tous croyaient en le Christ, personne ne resterait pour défendre le Temple de Dieu contre les Romains, car ils abandonneraient le Temple saint et les lois de leurs pères, contre lesquelles ils estimaient qu’allait l’enseignement du Christ 9.

Mais cela ne semble pas beaucoup convenir à leur dessein, puisque jusque-là ils étaient asservis aux Romains et n’avaient pas songé à déclencher une guerre contre eux.

C’est pourquoi il semble meilleur de dire, selon Chrysostome 10, qu’ils disaient cela parce qu’ils voyaient le Christ être honoré par le peuple comme s’il était roi. Et parce que le commandement des Romains était qu’aucun roi ne soit nommé, si ce n’est par eux, [les princes des prêtres] craignaient que si les Romains entendaient cela — à savoir qu’ils avaient le Christ comme roi —, ils penseraient que les Juifs eux-mêmes étaient rebelles et, venant contre eux, ils détruiraient la cité et la nation — Quiconque se fait roi s’oppose à César 11.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, 3, PG 59, col. 358.
2. Jn 5, 36.
3. Cf. ORIGÉNE, Gomm. in ev. Ioannis, XXIII, PG 14, col. 703 C-D.
4. b 6, 30.
5. Sg 2,21.
6. Fides quae est in Ghristum. Dans la Somme théologique, saint Thomas distingue, à propos de l’acte intérieur de la foi credere Deum, credere Deo, credere in Deum (cf. II-II, q. 2, a. 2). Credere in Deum regarde le lien de l’intelligence et de la foi, en tant que l’intelligence est mue à croire par la volonté " Si on considère l’objet de la foi selon que l’intelligence est mue par la volonté, alors on affirme que l’acte de foi, c’est croire en Dieu: en effet, la Vérité première se réfère à la volonté selon qu’elle a raison de fins (). La foi est ainsi une connaissance affective impliquant la coopération de l’intelligence et de la volonté elle nous lie dans l’amour à la personne de Dieu qui se révèle et se donne à nous. Voir n° 901.
7. Jn 20, 31.
8. 3 Jn 9.
9. Tract, in fa., XLIX, 26, BA 73B, p. 252-253.
10. In Ioannem hom., LXIV, 3, PG 59, col. 359.
11. Jn 19, 12.


1572. Mais remarquons leur misère, car, ne pensant pas à la vie éternelle, il n’y a rien qu’ils craignent de perdre si ce n’est des biens temporels. — L’oeil de Jacob est vers la terre 1. Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes: Ce que craint l’impie viendra contre lui 2. C’est pourquoi les Romains, après la Passion du Seigneur et sa glorification, leur arrachèrent et le lieu et la nation, s’emparant de l’un par la force et déportant l’autre 3.

III

OR L’UN D’ENTRE EUX, DU NOM DE CAÏPHE, COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ, LEUR DIT:

"VOUS, VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉ CHISSEZ PAS QU’IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE, ET QUE LA NATION TOUT ENTIÈRE NE PÉRISSE PAS. " OR CELA IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ, IL PROPHÉTISA QUE JÉSUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS. À PARTIR DE CE JOUR-LÀ, DONC, ILS MÉDITÈRENT DE LE TUER.

1573. L’Évangéliste expose ici la détermination qui lève ce doute.

D’abord il montre la détermination, puis son explication [n° 1576], enfin l’acceptation de la sentence par l’assemblée [n° 1581].

A propos du premier point il fait deux choses. D’abord il décrit la personne de celui qui prononce la sentence [n° 1574]. Ensuite il expose les paroles de la sentence [n° 1575].




OR L’UN D’ENTRE EUX, DU NOM DE CAÏPHE, COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNEE-LÀ.

1574. La personne qui juge est décrite par le nom et par la dignité.

Par le nom, parce qu’il s’appelait CAÏPHE; et ce nom convient à sa malice. En effet, il a d’abord le sens de "celui qui scrute", ce qu’il atteste par sa présomption — Celui qui se fait le scrutateur de la majesté sera accablé par la gloire 4. Il a eu en effet de la présomption quand il a dit: Je t’adjure, de par le Dieu vivant, de me dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu 5. En second lieu, le nom de Caïphe a le sens de "sagace", ce qu’il atteste par son astuce, sur laquelle il s’appuie pour obtenir la mort du Christ. Enfin, il a le sens de "vomissant de la bouche", ce qu’il atteste par sa sottise 6. — Comme le chien qui retourne à son vomissement 7.

Et Caïphe est décrit quant à la dignité: COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. A ce propos il faut savoir que, comme il est dit au livre du Lévitique 8, le Seigneur a institué un seul souverain prêtre auquel, à sa mort, succéderait un seul qui exercerait la charge du pontificat pendant toute sa vie. Or par la suite, l’ambition et la rivalité croissant parmi les Juifs, i1 établi que plusieurs seraient grands prêtres, que leur adviendrait à tous, chacun à son tour, une telle dignité, et que par roulement ils serviraient pour un an 9. Et aussi, parfois, ils se procuraient [cette charge] par de l’argent, comme Josèphe le raconte au sujet de celui-ci 10. Et pour montrer cela, l’Evangéliste dit: CETTE ANNÉE-LÀ.
1. Dt 33, 28.
2. Pr 10, 24.
3. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 26, BA 7311, p. 252-253.
4. Pr 25, 27.
5. Mt 26, 63.
6. Cette triple étymologie provient de saint Jérôme (Liber interpr. hebr. nom., Me, 60, 30 [n° CCL, vol. LXXII, p. 135).
7. Pr 26, 11.
8. Cf. Lv 8; 16, 32; Ex 28, 1-29, 35; 40, 12-15; Nb 20, 27-29.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 27, BA 7311, p. 254-255; voir la note 166, BA 7311 p. 254-255, qui résume la manière dont Origène, saint Augustin, saint Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste ont interprété ce verset.
10. Ce témoignage de Josèphe (Ant. Just., XVIII, II, 2 et IV, 3) est rapporté par saint Jérôme (Commentaire sur saint Matthieu, 1V, 26, 57; SC 259, p. 264-265).





LA PUISSANCE VIVIFICATRICE DU CHRIST CONFIRMÉE PAR UN MIRACLE £[CAÏPHE] LEUR DIT:

"VOUS, VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QU’IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE, ET QUE LA NATION TOUT ENTIÈRE NE PÉRISSE PAS."

1575. L’Évangéliste transmet ensuite les paroles de celui qui détermine; et d’abord celui-ci reproche aux autres leur mollesse, en disant: VOUS, VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS, comme s’il disait: vous êtes mous, et jusqu’à présent vous considérez l’affaire très nonchalamment. Et c’est pourquoi il met en avant sa malice, en disant: IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. Ces paroles ont une intelligence autre selon l’intention de Caïphe et selon l’explication de l’Evangéliste [n° 1576].

Pour expliciter d’abord ces paroles selon l’intention mauvaise [de Caïphe], il faut savoir qu’on trouve au livre du Deutéronome, ce commandement du Seigneur S’il existe au milieu de toi un prophète, ou quelqu’un qui dit avoir vu un songe, et veut t’écarter du Seigneur, ce prophète ou ce faiseur de songes sera mis à mort Donc selon cette loi, Caïphe croyait que le Christ détournerait le peuple du culte de Dieu — Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation 2 Et c’est pourquoi il disait: VOUS N’Y ENTENDEZ BIEN, c’est-à-dire à la Loi, ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QU’IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL, c’est-à-dire cet homme, MEURE, pour que tout le peuple ne soit pas séduit; comme s’il disait: il faut mépriser le salut d’un seul homme en faveur de la vie politique commune. C’est pourquoi le livre du Deutéronome ajoute: Et tu arracheras le mal du milieu de ton peuple. — Enlevez le mal du milieu de vous-mêmes".

1576. Mais l’Évangéliste expose cela autrement, en disant: OR CELA IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ, IL PROPHÉTISA QUE JESUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.

Où l’Evangéliste présente d’abord l’auteur de ces paroles, puis leur sens exact [n° 1578]; après quoi il ajoute [une remarque] aux paroles de Caïphe [n° 1580].

1577. À propos du premier point, il faut savoir ceci: parce qu’on pourrait croire que Caïphe avait proféré sous sa propre impulsion [instinctu] les paroles susdites, l’Evangéliste, excluant cela, dit: OR CELA, IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME. Par là est donné à entendre que parfois quelqu’un parle de lui-même 5. L’homme, en effet, est ce qui en lui-même est principal 6, c’est-à-dire l’intelligence et la raison.
1. Dt 13,1 s.
2. Lc 23, 2.
3. Dt 13, 5.
4. 1 Corinthiens 5, 13.
5. Il faut comprendre ici "de lui-même" au sens de "de sa propre mitiative" et non au sens de " au sujet de lui-même".
6. En disant cela, saint Thomas reprend ce qu’Aristote dit en philosophe: l’homme vertueux e veut aussi par lui-même ce qui est bon et ce qui lui semble tel, et il l’accomplit (car c’est le propre de l’homme bon de donner tout son soin au bien), et cela en vue de lui-même (car c’est en vue de la partie intellective, puisque c’est ce que chacun semble être) [...]. Or il semblera que l’esprit [Nous] est chacun, ou du moins chacun d’une manière principale (Ethique à Nicomaque, IX, 4, 1166 a 14-23). " Mais l’homme doit, autant qu’il le peut, s’immortaliser, et tout faire selon Ils partiel la plus excellente qui est en lui; car même si elle est petite par la masse, par la puissance et la valeur elle dépasse de beaucoup tout le reste. On peut même penser que chaque homme s’identifie à cette partie même, puisqu’elle est principale et plus précieuse Il. Pour l’homme, c’est la vie selon le vous (qui est la sienne), puisque c’est cela avant tout l’homme " (ibid., X, 7, 1177 b 33-1178 a 7). Voir aussi 1177 a 12-18; I, 13, 1102 a 5 s. Dans son commentaire de l’Ethique à Nicomaque, saint Thomas souligne ces affirmations d’Aristote. Citons simplement ce très beau passage " Le Philosophe dit […] que l’homme doit tendre à l’immortalité autant qu’il le peut, et faire tout ce qui est en son pouvoir pour vivre selon l’intelligence, qui est la meilleure des choses qui sont dans l’homme, elle qui est immortelle et divine. En effet, bien que cette chose la meilleure soit petite par la masse, parce qu’elle est incorporelle et très simple, et par conséquent manque de la grandeur de la masse, cependant, par la quantité de puissance et son caractère précieux elle dépasse tout ce qui est en l’homme. Elle le dépasse par sa puissance dans les opérations par lesquelles elle est unie aux réalités supérieures et commande aux réalités inférieures et ainsi, d’une certaine manière, elle embrasse toutes choses; et par son caractère précieux quant à ta dignité de sa nature, parce que l’intelligence est immatérielle et simple, incorruptible et impassible " (In decem libr. Ethicorum Aristoteles ad Nicomachum exp., X, n° 2107-2108). Voir aussi Depotentia, q. 3, a. 9, ad 1; De veritate, q. 14, a. 2, c.




C’est pourquoi l’homme est ce qu’il est par la raison. Donc, quand l’homme parle à partir de sa propre raison, alors il parle de lui-même, mais quand il parle de par un instinct supérieur et extérieur à lui, il ne parle pas de lui-même. Cependant cela arrive de deux manières. Quelquefois comme mû par l’Esprit divin, selon ce que dit Matthieu: Car ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous 1. Mais quelquefois, c’est comme mû par un esprit malin — ainsi les possédés. Pour l’un et l’autre, on dit parfois qu’ils prophétisent. Que certes ceux qui sont mûs par l’Esprit divin prophétisent, cela est dit dans la deuxième épître de Pierre En effet ce n'est pas par une volonté humaine qu’a jamais été apportée une prophétie, mais c’est inspirés par l’Esprit-Saint qu’ont parlé les saints hommes de Dieu 2. Mais que ceux qui sont mus par un esprit malin prophétisent, on le trouve au livre de Jérémie: Le Seigneur t’a établi prêtre à la place de Yehoyada, le prêtre, pour que tu sois chef dans la maison du Seigneur sur tout homme possédé et qui prophétise 3.

Il faut savoir aussi que, parfois, un homme parle sous la motion de l’Esprit Saint ou d’un esprit malin en perdant cependant l’usage de la raison et étant possédé; mais que parfois lui demeure le libre usage de la raison, et qu’il n’est pas possédé. Car quand les forces sensibles surabondent à partir d’une impression supérieure, la raison est liée, et on est mû et possédé. Mais parce que le démon a la puissance de faire impression dans l’imagination, puisqu’elle est une puissance attachée à un organe, il peut parfois faire impression sur elle de telle sorte qu’à cause de l’abondance de l’impression, la raison devient comme liée, sans cependant être poussée au consentement; et alors l’homme est possédé par un esprit malin.

1578. Il reste donc une question: Caïphe a-t-il dit ces paroles sous la notion de l’Esprit Saint ou de l’esprit malin? Il semble qu’il n’ait pas dit cela sous la motion de l’Esprit Saint: car l’Esprit Saint est l’Esprit de vérité, comme il est dit plus loin, alors que l’esprit malin est l’esprit de mensonge — Je sortirai, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes Or c’est un fait établi que Caïphe a proféré un mensonge en disant

IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE, puisque cela ne leur fut pas avantageux. Mais il aurait dit vrai s’il avait affirmé: il est avantageux pour le peuple qu’un seul homme meure. Donc il ne parla pas sous la motion de l’Esprit-Saint, semble-t-il, mais il prophétisa sous l’instinct d’un esprit malin, possédé.
1. Mt 10, 20.


2. 2 P 1,21.


3. Jr 29, 26.
4. Instinctu Spiritus Sancti. Saint Thomas emploie souvent cette expression à propos des dons du Saint-Esprit — en se référant, du reste, à Aristote (Ethique à Eudème, VII, 14, 1 248 s 32-36) ceux qui sont mus par un instinct divin sont mus " par un principe meilleur que la raison humaines (I-II, q. 68, s. 1, c). Les dons du Saint-Esprit sont s des qualités [ou dispositions stables] [habitus] qui rendent l’homme capable de suivre promptement l’instinct de l’Esprit-Saint, comme les vertus morales rendent les forces appétitives capables d’obéir à la raison. Et de même que les forces appétitives sont aptes à être mues par le commandement [n° imperium] de la raison, de même toutes les forces humaines sont aptes à être mues par l’instinct de Dieu comme par une puissance supérieure." (a. 4, c). Pourquoi saint Thomas, qui emploie aussi parfois le terme s inspiration " (inspiratio), dit — il le plus souvent s instinct s? Pour signifier qu’il s’agit d’une motion radicale, fondamentale, qui nous permet d’agir, comme le dit Jean de Saint-Thomas, s en vertu d’une certaine connaturalité aux choses divines et d’une certaine expérience de ces choses, mus par l’instinct du Saint-Esprit * (Les dons du Saint-Esprit, 10, trad. Raïssa Maritain, p. 18). Les dons du Saint-Esprit nous permettent " d’agir en vertu d’une certaine connaturalité aux choses divines et au Saint-Esprit, par l’impulsion duquel ils sont mis en mouvement s (ibid). — Parlant de la Vierge Marie, saint Thomas ne dira pas seulement qu’elle agit, comme nous, ex instinctu Spiritus Sancti, mais exfamiliari insnnctu Spiritus Sancti (voir n° 1475, note 5). Cette intimité et connaturalité de la Vierge Marie avec l’Esprit-Saint (signifiée ici par le terme familiari) est exprimée d’une autre manière par saint Jean de la Croix s Etant dès le commencement élevée à ce haut état [n° Dieu seul meut les puissances de l’âme], elle n’eut jamais en son âme de forme imprimée d’aucune créature, et jamais ne se mut par elle, mais toujours sa motion fut du Saint-Esprit " (Montée du Carmel, III, 2).
5. Cf. Jn 15, 26.


6. 1 R 22, 22.



Mais cela ne semble pas être en accord avec les paroles de l’Evangile: car s’il en était ainsi, Jean n’aurait pas ajouté

COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. Il a donc ajouté la dignité de Caïphe, pour suggérer qu’il avait parlé sous la motion de l’Esprit — Saint. Par là nous est donné à entendre que même les méchants établis dans une dignité, l’Esprit-Saint les meut pour dire des choses vraies et à venir, pour l’utilité de ceux-là seulement qui leur sont soumis 1.

Donc, par rapport à ce qui est dit en sens contraire, c’est-à-dire que ces paroles: IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE sont fausses, on peut répondre de deux manières. En un sens on peut dire que la mort du Christ en elle-même fut avantageuse pour tous, même pour ceux qui l’ont tué — Lui qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout de ceux qui ont la foi 2. — Afin que, par la grâce de Dieu, pour tous [les hommes], il ait goûté la mort 3. D’une autre manière, [on peut répondre], que: IL VAUT MIEUX POUR VOUS, signifie pour le peuple. C’est pourquoi l’Evangéliste, là où Caïphe dit QU’UN SEUL HOMME MEURE pour vous, met POUR LA NATION.

1579. Mais d’après les paroles de l’Evangéliste, IL PROPHÉTISA, il semble que Caïphe fut prophète. Si en effet quelqu’un prophétise, il s’ensuit qu’il est prophète. Cependant, selon Origène 4, il ne s’ensuit pas que quiconque prophétise soit prophète mais s’il est prophète, de toutes façons il prophétise. Car parfois est accordé à quelqu’un l’acte d’une chose dont cependant la condition ne lui est pas accordée. De même que n’est pas juste quiconque fait quelque chose de juste, mais celui qui est juste fait des choses justes.

Or il faut noter que deux actes concourent au fait que quelqu’un prophétise d’une manière vraie: à savoir [l'acte] de voir — c’est pourquoi il est dit dans le premier livre de Samuel: Celui qui maintenant est dit prophète était appelé autrefois voyant 5 — ; de même [l'acte] d’annoncer — Le prophète parle aux hommes pour édifier, exhorter, consoler 6. Or il arrive parfois que quelqu’un ait l’un et l’autre, et ne soit cependant pas dit proprement prophète. Car parfois quelqu’un a une vision prophétique, comme Nabuchodonosor 7 et Pharaon 8; et semblablement, ils ont annoncé aux autres la vision elle-même. Ils ne peuvent cependant être dits prophètes, parce qu’il leur a manqué quelque chose, c’est-à-dire l’intelligence de la vision, qui est requise dans la vision, comme il est dit au livre de Daniel 9. Or Caïphe, bien qu’il n’ait pas eu de vision prophétique, eut cependant l’annonce de la réalité prophétisée, en tant qu’il annonça l’utilité de la mort du Christ. Car parfois l’Esprit Saint meut à tout ce qu’implique la prophétie, et parfois à un aspect seulement. Il n’illumina ni l’esprit de Caïphe, ni son imagination, et c’est pourquoi son esprit et son imagination demeurèrent tendus vers le mal. Il mut cependant sa langue pour proférer la manière dont le salut du peuple serait accompli. C’est pourquoi il n’est pas dit prophète, si ce n’est en tant qu’il eut un acte prophétique dans l’annonce, son imagination et sa raison étant tournées vers le contraire. A partir de cela, il est évident qu’il ne peut pas plus être dit prophète que l’ânesse de Balaam 10.
1. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 27, BA 735, p. 252-255.
2. 1 Tm 4, 10. Saint Thomas commente en disant que l’Apôtre montre la vie future qui nous est promise s à partir du rôle [n° de Dieu, à qui il appartient de sauver — Il n’est pas de Sauveur en dehors de moi (Is 43,11). C’est pourquoi Dieu s’est incarné, et a été appelé Jésus — Lui-même en effet sauvera son peuple de ses péchés (Mc 1,21). Et " Jésus s est la même chose que " Sauveurs, parce qu’il sauve... s (Ad 1 Tim. lect., IV, n’ 164).
3. He 2, 9. <Pour tous fies hommes], voilà l’utilité [n° la Passion du Christ]. Mais pour tous peut s’entendre de deux manières. Ou bien de telle sorte que ce soit une distribution appropriée, c’est-à-dire pour tous les prédestinés, pour qui seulement elle a une efficacité. Ou bien absolument pour tous, quant â la suffisance. En effet [n° Passion du Christ] en elle-même est suffisante pour tous — Lui qui est le Sauveur de tous, surtout de ceux qui ont la foi (1Tm 4,10)... " (Ad Haebr. lect., II, n° 125).
4. Comm. in Ioann., XXVIII, chap. 12, col. 707.


5. 1 S 9, 9.


6. 1 Corinthiens 14, 3.
7. Cf. Dn 2 et 4.
8. Cf. Gn 41.
9. Cf. Dn 10, 1.





ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.

1580. L’Évangéliste ajoute ici quelque chose aux paroles du grand prêtre, en disant que Jésus ne devait pas mourir seulement pour la nation, c’est-à-dire le peuple juif, comme le dit Caïphe — Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte 2; mais il ajoute qu’il devait mourir aussi pour le monde entier. C’est pourquoi il poursuit: POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.

Là il faut prendre garde à l’hérésie des manichéens, qui disent que certaines âmes sont de substance divine et sont appelées fils de Dieu; et ils disent que c’est pour les rassembler dans l’unité que Dieu est venu. Mais cela est une erreur, parce que, comme il est dit au livre d’Ezéchiel 3, toutes les âmes sont miennes, c’est-à-dire par la création. Et c’est pourquoi ce qu’il dit: POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS, il ne faut pas le comprendre de ce qu’ils eussent alors déjà reçu l’esprit d’adoption. Parce que, comme le dit Grégoire 4, ils n’étaient de Dieu jusqu’à présent ni les brebis, ni les fils de Dieu 5. Mais il faut le comprendre selon la prédestination, en ce sens POUR QUE LES FILS DE DIEU, c’est-à-dire les prédestinés depuis l’éternité — Ceux qu’il a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils 6 —, QUI ÉTAIENT DISPERSÉS en différents rites et nations, IL LES RASSEMBLE EN UN, c’est-à-dire dans l’unité de la foi — J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura alors un seul troupeau, un seul pasteur 7. — Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les dispersés d’Israël 8.



À PARTIR DE CE JOUR-LÀ, DONC, ILS MÉDITÈRENT DE LE TUER.

1581. L’Évangéliste montre ensuite l’accord des Juifs en vue de la mort du Christ.

Mais n’ont-ils pas auparavant médité de le tuer? Il semble que si: parce qu’il est dit plus haut, en plusieurs endroits, que les Juifs cherchaient à le tuer.

Je réponds. Il faut dire qu’auparavant ils furent, certes, poussés à le tuer; mais qu’à partir de ce jour-là, excités à la colère par les paroles de Caïphe, ils manigancèrent avec le ferme dessein de tuer le Seigneur — Leurs pieds courent au mal et ils se hâtent pour répandre le sang 9.
10. En considérant Caïphe comme instrument de l’Esprit Saint à la manière de l’ânesse de Balaam, saint Thomas s’appuie sur une interprétation traditionnelle remontant au commentaire d’Origène (Comm. in Ioann., XXVIII, chap. 12, coI. 707-718).
2. He 13, 12.
3. Ez 18, 4.
4. Il s’agit plutôt de saint Augustin (Tract. in Ioann., XLIX, 27, Ba 73 p. 256-257).
5. Sur ce lien entre la prédestination, l’adoption filiale et le mystère du Christ, voir Somme théoè, III, q. 23 et q. 24.
6. Rm 8, 29.
7. Jn 10, 16.
8. Ps 146, 2.
9. Pr 1, 16.




Le Christ se dérobe à la malice des Juifs.

78 Jn 11,54-57

1582. Ici l’Évangéliste expose comment le Christ s’est dérobé à la malice des Juifs, d’abord en montrant la manière dont le Christ s’y dérobe, puis en montrant l’étonnement que cela a produit dans le peuple [n° 1585].





I



JÉSUS DONC, DÉSORMAIS, NE CIRCULAIT PLUS OUVERTEMENT PARMI LES JUIFS, MAIS IL PARTIT DANS UNE REGION PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE VILLE APPELÉE ÉPHRAÏM, ET LÀ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES.

1583. La manière dont le Christ se déroba à leur malice fut de se cacher et de s’éloigner des Juifs. Car Jésus, après le conseil, les observant très prudemment, NE CIRCULAIT PLUS OUVERTEMENT PARMI LES JUIFS; il ne s’en alla pas dans une cité peuplée mais DANS UNE RÉGION retirée, PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE VILLE APPELÉE ÉPHRAÏM, ET LÀ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES 1.

1584. Mais sa puissance lui avait-elle manqué, puissance par laquelle, s’il l’avait voulu, il se serait tenu ouvertement parmi les Juifs 2 sans qu’ils lui fassent rien? Loin de là! Il fit cela, non à cause d’un manque de puissance, mais pour donner un exemple aux disciples. En cela il apparaît qu’il n’y a pas de péché si ceux qui croient en lui se dérobent aux yeux de ceux qui les poursuivent, et évitent la fureur des scélérats en se cachant, plutôt que de les enflammer davantage en se montrant 3.
1. Cf. ORIGÈNE, Comm. in ev. Ioannis, 18, col. 730.
2. Inter Judaeos palam conversaretur. Ce conversari évoque ce que Baruch dit de la Sagesse Elle a été vue sur la terre et elle a conversé avec les hommes (3, 38). Saint Thomas emploie le terme conversatio quand il étudie la manière dont le Christ a vécu sur la terre, dans la question De modo conversationis Christi (Somme théol., III, q. 40) où il montre que le Christ ne devait mener, parmi les hommes, ni une vie solitaire, ni une vie d’austère pénitence, mais une vie pauvre et selon la loi commune. Voir le commentaire de cette question dans P. -Th. DEHAU, o. p., L’apostolat de Jésus. Cf. n° 1374, note 13. — On s vu plus haut que, lorsqu’il commente Jn 1, 14b: et il a habité parmi nous, saint Thomas dit qu’il s’agit là de la manière dont le Verbe incarné a vécu avec les hommes (de Verbi incarnati conversatione) et que, en disant: il a habité parmi nous, saint Jean veut dire qu’a il a vécu familièrement au milieu de nous ou a partagé intimement notre vie" (inter nos […] conversatus est famihariter) (voir n° 177; cf. n° 1475, note 5). Par là, l’Evangéliste a voulu montrer s la conformité du Christ aux hommes dans la vie qu’il a menée avec eux [in conversando]. Car on pourrait croire que le Verbe s’était fait chair de telle sorte que le Christ aurait été différent des autres hommes dans sa manière de vivre avec eux [In conversatione] (n° 178). L’édition léonine supprime comme inauthentique la phrase suivante de l’édition Marietti: "Non seulement il a voulu être rendu semblable aux hommes dans la nature, mais encore il a voulu être avec eux dans une vie commune et une intimité exemptes de péché [in convictu et familiari conversatione absque peccaro [...] voluit esse], afin d’attirer à lui les hommes conquis par la douceur de sa présence [suae conversationis dulcedine allectos]" (). On pense ici à ce que disait saint Bernard: "Pour moi, je pense que la principale cause pour laquelle Dieu, qui est invisible, a voulu être vu dans la chair, et vivre [conversari] en homme parmi les hommes, était de faire d’abord revenir à l’amour salutaire de sa chair les affections [n° des [êtres] charnels qui ne pouvaient aimer que charnellement, et de les conduire ainsi par degrés à l’amour spirituel " (Sur le Cantique des cantiques, sermon 20, 6). Cependant, après les avoir ainsi s enlevés à l’amour de toute chair par la seule grâce de la présence de sa propre chair " (), le Christ a fait davantage. Car cet attachement [n° à la présence sensible de Jésus, s’il est bien un don de l’Esprit, est encore charnel en comparaison de l’amour qui ne goûte plus seulement le Verbe en tant que chair mais le Verbe en tant que Sagesse, Vérité, Sainteté... (Ba 20,8). Saint Thomas (se référant à saint Augustin) soulignera cela en commentant Jn 16, 7 (il est bon pour vous que je m’en aille): la joie qu’avaient les disciples de la présence du Christ procédait encore d’une affection chamelle (voir n° 2085); aussi était-il bon pour eux qu’il s’en aille. Et dans le Contra Gentiles, se demandant s’il n’eût pas été nécessaire que le Christ vécût avec les hommes (cum hominibus conversaretur) jusqu’à la fin du monde (Contra Gentiles, IV, chap. 53, 10’ obj. ), saint Thomas répond: non, car cela aurait porté atteinte à la vénération que les hommes devaient manifester au Dieu incarné; le voyant revêtu de la chair, semblable aux autres hommes, ils ne l’auraient en rien estimé plus que les autres hommes. Au contraire, une fois que, après les choses merveilleuses qu’il avait accomplies sur terre, il leur eut retiré sa présence, ils se mirent à le révérer davantage. C’est aussi pour cela qu’il ne donna pas à ses disciples la plénitude du Saint Esprit tant qu’il vivait avec eux, leurs âmes devant être, par son absence, mieux préparées à [recevoir] les dons de l’Esprit s (chap. 55, sd 10). Comme le dit ailleurs saint Thomas, si ale propre de l’amitié est de vivre dans l’intimité de son ami [simul conversari ad amicum]", entre l’homme et Dieu cette intimité ne peut se réaliser que par la contemplation (chap. 22). Il ne s’agit certes pas là de prétendre se passer de l’humanité du Christ, mais de ne pas s nous reposer en elle comme dans un terme s, puisqu’elle est s pour noua le chemin qui nous fait tendre vers Dieu". Voilà pourquoi, afin que le coeur de ses disciples, en lui étant attaché d’une manière sensible, ne se repose pas en lui comme dans un homme, le Christ leur a retiré rapidement sa présence corporelle. […] Et si nous avons connu le Christ selon la chair, [...] maintenant ce n’est plus ainsi que nous le connaissons" (ibid. voir aussi n° 1074, note 6).
3. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XUX, 28, BA 73", p. 256-257.




Selon cette parole de l’évangile de saint Matthieu: Si vous êtes poursuivis dans une ville, fuyez dans une autre 1.

Origène 2, lui, dit que personne ne doit se jeter dans les périls; cependant il est fort louable, quand les dangers sont déjà imminents, de ne pas éviter de confesser Jésus, ni de refuser de subir la mort pour la vérité. Et cela pour deux raisons. En premier lieu parce qu’il est fort présomptueux de se jeter dans les périls à cause de l’inexpérience qu’on a de sa propre force, qui parfois est trouvée fragile, et à cause de l’incertitude qu’on a des événements futurs — Que celui qui croit tenir debout prenne garde de tomber 3. Ensuite afin que, jetés parmi les persécuteurs, nous ne leur donnions pas l’occasion de devenir plus impies et nuisibles — Ne soyez pas une occasion de chute pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Eglise de Dieu 4.

II

LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE, ET BEAUCOUP DE GENS MONTÈRENT DE LA CAMPAGNE À JÉRUSALEM, AVANT LA PÂQUE, POUR SE PURIFIER.

ILS CHER CHAIENT DONC JÉSUS ET SE DISAIENT LES UNS AUX AUTRES, EN SE TENANT DANS LE TEMPLE: "QUE PENSEZ-VOUS? QU’IL NE VIENDRA PAS À CETTE FÊTE?" OR LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES: SI QUELQU’UN CONNAÎT OÙ IL EST, QU’IL L’INDIQUE, POUR QU’ON L’APPRÉHENDE.

1585. L’Évangéliste expose ici l’étonnement que cela a produit dans le peuple, et d’abord l’occasion de s’étonner, ensuite l’étonnement lui-même [n° 1587], enfin la raison de l’étonnement [n° 1588].

1586. L’Évangéliste     montre que l’occasion de chercher et de s’étonner est double.

La première occasion vient certes de la condition du temps, parce que LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE: et dans cette fête est rappelée la mémoire du passage des Hébreux hors d’Egypte — C’est en effet une Pâque, c’est-à-dire un passage du Seigneur 5. S’il ajoute DES JUIFS, c’est parce que la Pâque même, les Juifs la célébraient d’une manière mauvaise et indue. Car quand nous célébrons la Pâque avec dévotion, alors elle est dite Pâque de Dieu — Je ne supporterai pas vos festivités 6.

Mais la seconde vient du concours du peuple, parce que BEAUCOUP DE GENS MONTÈRENT DE LA CAMPAGNE À JÉRUSALEM. Car, comme on le lit au livre de l’Exode 7, à trois moments dans l’année, à trois fêtes, les fils d’Israël devaient se présenter au Seigneur; parmi ces trois fêtes la première était la Pâque, et c’est pourquoi une grande foule montait à Jérusalem, où était le Temple.

Mais parce que ce n’était pas encore le temps de la Pâque, où ils devaient monter, l’Evangéliste précise ensuite la cause de leur montée, en ajoutant POUR SE PURIFIER. Personne en effet ne devait manger l’agneau sans être pur, et c’est pourquoi ils devançaient le temps de la Pâque pour, entre-temps, en se purifiant eux-mêmes, pouvoir manger l’agneau pascal selon le rite. En cela nous est donné l’exemple de nous purifier au temps du Carême par des jeûnes et des bonnes oeuvres, pour prendre à la Pâque le corps de notre Seigneur, selon le rite.
1. Mt 10, 23. Cf. n’ 1012.
2. Comm. in ev. Ioannis, 18, col. 727-730.
3. 1 Corinthiens 10, 12.
4. 1 Corinthiens 10, 32.
5. Ex 12, 11.
6. Cf. Is 1, 13 et 14.
7. Cf. Ex 23, 14-19.


1587. L’étonnement est causé par l’absence du Seigneur; et c’est ce qu’il dit: ILS CHERCHAIENT DONC JÉSUS, non certes pour l’honorer, mais pour le tuer, ET SE DISAIENT LES UNS AUX AUTRES, EN SE TENANT DANS LE TEMPLE: "QUE PENSEZ-VOUS? QU’IL NE VIENDRA PAS À CETTE FÊTE?"

Mais il faut noter que quand une fête se passe d’une manière sainte, le Seigneur est toujours [mutuellement] à ce jour de fête — Partout où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux 1. Et c’est pourquoi nous, réunis dans la maison de Dieu, cherchons Jésus, en nous consolant [mutuellement] et en implorant qu’il vienne à notre jour de fête. Mais quand la fête ne se passe pas d’une manière sainte, alors Jésus ne vient pas: Je ne supporterai pas vos festivités, vos réunions sont iniques. Vos calendes et vos solennités, mon âme les a haïes 2.

1588. La raison de l’étonnement du peuple et de l’absence de Jésus vient ensuite LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES: SI QUELQU’UN CONNAÎT OÙ IL, c’est-à-dire Jésus, EST, QU’IL L’INDIQUE, POUR QU’ON L’APPRÉHENDE, c’est-à-dire pour le tuer. Plus haut il est dit: Vous me chercherez, et dans votre péché vous mourrez 3.

Mais comme le dit Augustin 4, nous qui savons où est le Christ, à la droite du Père, nous l’indiquerons aux Juifs, pour qu’ainsi, si possible, ils l’appréhendent par la foi.
2. Is 1, 13-14.
3. Jn 8,21.
4. Tract, in 10., L, 4, BA 73B, p. 264-267.
1. Mt 18, 20.




























Thomas sur Jean 77