Thomas A. sur Rm (1869) 7

Romains 1, 16-20: La bonne nouvelle

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Rm 1,17-20)





ANALYSE DE LA LEÇON. -I° Vertu de la grâce de l’Evangile. -L’Evangile sauve ceux qui à croient. - Digression théologique sur la foi. -En quoi consiste t elle? -Est-ce une vertu? –Qu'est-ce que l’habitude de la foi?- La foi doit-elle être accompagnée de la charité? -II° Nécessité de la grâce de pour les Gentils.- Leur sagesse a été insuffisante pour les sauver- Elle a pu cependant leur donner une certaine connaissance de Dieu. - Comment peut-on avec les seules lumières de la raison, s’élever jusqu’à la connaissance de Dieu?

16. Car (Evangile est la vertu de Dieu pour sauver tout croyant, le Juifs d'abord, et puis le Grec.

17. La justice de Dieu, en effet, y est révélée par la foi et pour la foi, ainsi qu'il est écrit. Le juste vit de la foi,

18. Puisqu'on y découvre la justice de Dieu éclatant du ciel contre toute l'impiété et l'injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice;

19. Car ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux Dieu le leur a manifesté.

20. En effet, ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité.



L'Apôtre, après s’être concilié la bienveillance des fidèles de Rome, auxquels il écrivait, en leur témoignant son affection, commence à les instruire de ce qui a rapport à la doctrine de l’Évangile, pour lequel il s’est dit "séparé." Et d’abord il leur montre la vertu de cette grâce de l’Évangile; ensuite il les exhorte à faire les oeuvres de cette grâce (au ch. XII): "Je vous conjure donc, etc."

Sur le premier point, premièrement il énonce ce qu’il veut établir;

Secondement il développe sa proposition, à partir de ces mots: "Car dans cet Évangile nous est révélée la justice, etc."

Reprenant le premier point, I. il indique la vertu de la grâce de l’Évangile; II. Il explique ce qu’il a dit: "Car la justice;" III. Il donne la preuve de son explication: "Comme il est écrit."

I. Il dit donc d’abord: "Je ne rougis pas de l’Évangile;" car, bien que, comme il est dit (I Cor., V, 18): "La prédication de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, pour nous cependant elle est la vertu de Dieu." Or ce mot: la vertu de Dieu, peut s’entendre de deux manières: d’abord en ce sens que la puissance de Dieu est révélée dans cet Evangile (Psaume Cx, 6): "Il fera connaître à son peuple la puissance de ses oeuvres." Ensuite en ce sens que l’Évangile lui-même contient la vertu de Dieu, suivant cette autre parole du Psaume (LXVII, 34): "Il fera de sa voix la voix de la puissance."

Sur cette puissance, il faut considérer:

quel en est l’objet. Il est indiqué par ce qui suit: "Pour sauver ceux qui croient " (Jacques I, 21): "Recevez avec docilité la parole qui a été entée en vous, et qui peut sauver vos âmes." Or, ce salut peut s’opérer de trois manières: 1. en tant par la parole même de l’Évangile les péchés sont remis (Jean, XV, 3): "Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. 2. En tant que l’homme reçoit, par l’Évangile, la grâce sanctifiante (Jean, XVII, 17): "Sanctifiez-les dans la vérité." 3. En tant que l’Évangile conduit a la vie éternelle (Jean, VI, 69): "Vous avez les paroles de la vie éternelle".

Il faut considérer par quel moyen l’Évangile opère le salut. C'est par la foi, qui est désignée par ces mots: "Pour tous ceux qui croient." Ce qui se fait d’abord par la prédication (Marc, XVI, 15): "Prêchez l’Évangile à toute créature: celui qui croira et sera baptisé sera sauvé;" ensuite par la confession de la foi (Rom., X, 10): "Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut;" enfin par l’Écriture même. De là les paroles de l’Évangile écrit avaient elles-mêmes la vertu d’opérer les guérisons. C’est ainsi que le bienheureux apôtre Barnabé rendait la santé aux malades en imposant sur eux l’Évangile. Il faut pourtant se garder de crédulité à l’égard des caractères écrits, car c'est de la superstition (Ezech, IX, 3) Ceux-là furent sauvés sur le front desquels était écrit Thau, qui est le signe de la croix.

II faut remarquer pour qui l’Évangile devient un moyen de salut: pour les Juifs et les Gentils; car il est dit ci-après (ch. III, 29): "Il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, il est aussi le Dieu des Gentils". Aussi l’Apôtre ajoute-t-il: "Pour le Juif d’abord, et puis aussi pour le Grec." Par Grec saint Paul entend quiconque est Gentil, parce que c’est des Grecs qu’est venue la sagesse de la gentilité.

Mais l’Apôtre dit (ch. X, 2): "Il n’y a pas de distinction entre le Juif et le Gentil;" pourquoi met-il ici le Juif au premier rang? Il faut dire que, quant à la fin du salut à obtenir, il n’y a aucune distinction entre eux: les uns et les autres obtiendront une récompense égale, de même qu’à raison du travail de la vigne les premiers, les derniers venus reçurent le même denier, comme il est rapporté au ch. XX, 10, de saint Matthieu. Mais, dans l’ordre du salut, les Juifs les premiers, parce que c’est à eux que les promesses ont été comme il sera dit au ch. XV. Et c’est à cause d’eux que les Gentils ont été choisis, "ainsi que le rameau d’olivier sauvage est enté sur l’olivier franc," comme il est dit au ch. XI, 17, de cette épître. C’est même d’eux que notre Sauveur est né (Jean, IV, 22): "Le salut vient des Juifs."

II. Saint Paul expose comment; l’Évangile sert pour le salut, lorsqu’il dit: "C’est en lui qu’est révélée la justice de Dieu, qui naît de la foi et s’augmente par elle." Ce passage peut être entendu d’abord de la justice par laquelle Dieu est juste, selon ce verset du Ps. (X, 8): "Le Seigneur est juste, il aime les justices." Alors le sens est; que la justice de Dieu, à savoir celle par laquelle il se montre juste en tenant ses promesses, est révélée dans l’Évangile, c’est-à-dire dans l’homme qui croit à l’Évangile; parce qu’il croit que Dieu a accompli ce qu’il avait promis, c’est-à-dire d’envoyer son Fils, et cela d’après la fidélité de Dieu même qui a promis (Psaume CXLIV, 13): "Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles," c’est-à-dire à la foi de celui qui croit. On peut encore l’entendre de la justice de Dieu, par laquelle il justifie les hommes; car la justice des hommes est celle au moyen de laquelle les hommes prétendent se justifier par leurs propres forces (ci-après, ch. X, 3): "Ne reconnaissant pas la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à celle de Dieu." Or cette justice de Dieu est révélée dans l’Evangile en tant que par la foi même de l’Évangile les hommes reçoivent la justification dans un temps donné. Ce qui fait que l’Apôtre ajoute: "De la foi et par la foi," c’est-à-dire passant de la foi de l’Ancien Testament à la foi du Testament Nouveau; car dans l’un comme dans l’autre les hommes sont justifiés et sauvés par la foi du Christ, parce qu’ils ont cru au Christ devant venir, avec la même foi que nous croyons au Christ qui est venu. Voilà pourquoi il est dit (II Cor., IV, 13): "Ayant la même espèce de foi, nous croyons, et c’est pour cela que nous parlons." On peut en outre l’entendre de la foi des prédicateurs opérant la foi des auditeurs (ci-après, V, 14): "Comment croiront-ils à Celui dont ils n’ont pas entendu parler?" ou de la foi d’un article produisant la foi d’un autre, parce que la foi de tous les articles est nécessaire à la justification (Apoc., I, 3): "Bienheureux celui qui lit et écoute les paroles de cette prophétie," c’est-à-dire toutes les vérités, et non un point seulement. Enfin on peut l’entendre de la foi présente à la foi à venir, c’est-à-dire à la pleine vision de Dieu, qui est appelée foi, à cause de la connaissance ferme et certaine qu’elle donne; et cela comme conséquence de la connaissance évangélique (I Cor XIII, 12): "Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous verrons face à face."

III. L’Apôtre prouve son exposition lorsqu’il dit: "Selon qu’il est écrit: Mon juste vit de la foi," d’après la version des Septante. Car dans notre version, qui suit le texte hébreu, on lit: "Le juste vit de sa foi." Mon juste, c’est-à-dire celui qui a été justifié par moi, qui est regardé comme tel devant moi (ci-après IV, 2): "Si Abraham a été justifié par les oeuvres de la loi, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu; car, que dit l’Ecriture? Abraham crut à la parole de Dieu, et ce lui fut imputé à justice." Aussi est-il dit: "Vit de la foi," c'est-à-dire de la vie de la grâce (Gal., II, 20): "Si maintenant je vis dans un corps mortel, je vis de la foi du Fils de Dieu."

Or, sur la foi, nous avons quatre choses à considérer: premièrement en quoi elle consiste; car elle suppose un certain assentiment, avec certitude, à ce que l’on ne voit pas, et cela par un acte de la volonté, parce que nul ne croit qu’il ne le veuille, dit saint Augustin. Et c’est en cela que celui qui croit diffère de celui qui suspend son assentiment. Le fidèle diffère de celui qui n’a qu’une opinion, parce que celui-ci, en donnant son assentiment d’un côté, ne le fait pas avec certitude, mais avec la crainte que la vérité ne soit de l’autre côté. Il diffère de celui qui sait, parce que celui-ci adhère avec certitude, mais comme par une sorte de nécessité de la part de la raison. D’après ces distinctions, la foi est le moyen terme entre la science et l’opinion.

II faut considérer secondement si la foi est une vertu. Il est manifeste qu’elle n'est pas telle si on la prend pour l’objet de la foi, comme dans ce passage: "La foi catholique consiste à croire un seul Dieu dans la Trinité des personnes." Que si on la prend pour la disposition habituelle par laquelle nous croyons, elle est quelquefois vertu, quelquefois non. Car la vertu est le principe d’un acte parfait; Or un acte qui dépend de deux principes ne peut pas être parfait si l’un des deux principes n’a pas lui-même son entière perfection. C’est ainsi que l’art de l’équitation ne peut être parfait si le cheval ne marche pas bien ou si le cavalier ne sait pas le conduire. Or l’acte de la foi, qui consiste à croire, dépend de l’intelligence et de la volonté, qui détermine l’intelligence à donner son assentiment. Cet acte sera donc parfait si la volonté est perfectionnée par l’habitude de la charité, et l’intelligence par l’habitude de la foi; il ne le sera pas si la charité habituelle vient à manquer. Voilà pourquoi la foi formée par la charité est une vertu, mais non la foi informe.

Il faut remarquer troisièmement que l’habitude de la foi, qui est numériquement la même, tout informe qu’elle soit sans la charité, devient vertu quand cette charité s’y ajoute, parce que la charité étant en dehors de l'essence de la foi, sa présence ou son absence ne change pas la substance de la foi.

Remarquez quatrièmement que, comme le corps vit par l’âme d’une vie ainsi l’âme vit de Dieu par la vie de la grâce. Car Dieu habite d’abord dans l’âme par la foi (Ephésiens III, 19: "Que le Christ habite vos coeurs par la foi;" mais il n’y demeure parfaitement qu'à la condition que la foi soit formée par la charité, laquelle nous unit à Dieu par "le lien de la perfection," comme il est dit aux Colossiens III, 14. Conséquemment, ce que dit l’Apôtre: "Il vit de la foi" doit être entendu de la foi formée.

II° L'Apôtre en disant: "Dans cet Évangile est révélée la justice de Dieu", prouve ce qu’il avait avancé, à savoir, que la vertu de la grâce évangélique opère pour tous les hommes le salut. En premier lieu, il montre que cette grâce est nécessaire; en second lieu, qu’elle est efficace, suffisante (ch. V): "Justifiés donc par la foi." Sur la nécessité de la grâce, il prouve: que la vertu de la grâce évangélique a été nécessaire aux Gentils, parce que la sagesse, en laquelle ils mettaient leur confiance, a été impuissante à les sauver; qu’elle a été nécessaire aux Juifs, parce que la circoncision, la Loi et les autres pratiques dans lesquelles ils se confièrent également ne leur ont pas procuré le salut (au ch. II): "C’est pourquoi vous êtes inexcusables."

Quant à la nécessité de la grâce pour les Gentils, d’abord il expose ce qu’il veut établir, puis il le développe à partir de ces mots: "Car ce que l’on peut connaître de Dieu."

I. Or il énonce:

la peine par ces mots: "Je dis avec vérité que la justice de Dieu y est révélée," c’est-à-dire sa vengeance, qui est appelée la colère de Dieu, par une sorte de similitude prise des hommes irascibles, qui cherchent la vengeance, bien qu’en Dieu la vengeance ne porte pas atteinte à la tranquillité d’esprit (Sagesse XII, 18): "Pour vous, dominateur souverain, vous êtes tranquille dans vos jugements." De cette colère de Dieu il est dit (Jean, III, 36): "Celui qui est incrédule au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui." L’Apôtre établit cette vérité parce que certains philosophes avançaient que Dieu ne punissait pas les prévarications. Le Ps. (XCIII, 10) dit le contraire: "Celui qui punit les nations ne vous châtiera pas ?" Ce qui fait ajouter à saint Pau: "Du ciel," parce que ces philosophes croyaient que la Providence divine est tellement occupée des choses célestes, qu’elle ne s’étend pas à celle de la terre (Job, XXII, 44): "Il se promène d’un pôle à l’autre des cieux, et ne considère pas ce qui se passe parmi nous." Mais comme il est dit au Ps. (CI, 20): "Des hauteurs des cieux le Seigneur a jeté un regard sur la terre." ou encore: "Du ciel" se manifeste leur iniquité, parce que c’est surtout par la grandeur des cieux qu’ils durent comprendre la puissance du Créateur (Job, XX, 29): "Les cieux révéleront son iniquité " ou bien "Du ciel" d'où Notre Seigneur descendra pour le jugement (Act., I, 11): "Comme vous l’avez vu monter au ciel, ainsi viendra-t-il."

saint Paul énonce la faute pour laquelle la peine est infligée. Et d'abord celle commise contre Dieu, quand il dit: "Contre toute impiété" Car de même qu’on appelle piété le culte qu’on rend à Dieu comme au Père de tous, ainsi l’on nomme impiété le péché commis contre le culte de Dieu (Ezéch., XVIII, 20): "L’impiété de l'impie demeurera sur lui." Il indique ensuite la faute commise contre l'homme lorsqu’il dit: "Et l’injustice." Car la justice est une vertu par laquelle les hommes s’accordent et communiquent entre eux par la raison (Job, XXXV, 8): "Votre justice peut servir au Fils de l’homme."

Enfin l’Apôtre marque qu’ils eurent connaissance de Dieu qu’il ajoute: "De ces hommes qui retiennent la vérité de Dieu captive dans l’injustice," c’est-à-dire qui retiennent en quelque sorte liée dans l’injustice la véritable connaissance de Dieu; car cette connaissance, autant qu’il est en elle, porte les hommes au bien, mais elle est liée et comme détenue en captivité par l'injustice, qui fait, dit le Ps (XI, 1), que les vérités ont été altérées par les enfants des hommes.

II. Lorsque l’Apôtre dit: "Ce qui peut être connu de Dieu," il développe sa proposition, mais dans un ordre rétrograde. Car, d’abord, il reconnaît que les sages de la Gentilité ont connu la vérité sur Dieu; ensuite, il montre qu il y a eu en eux impiété et injustice, à partir de ces mots "En sorte qu ils sont inexcusables," enfin qu'ils ont encouru la colère de Dieu (verset 32), "Connaissant la justice de Dieu."

En premier lieu, sur la connaissance de Dieu par les sages de la Gentilité, il montre d’abord ce qu’ils ont connu de Dieu; puisqu’ils ont reçu cette connaissance, à ces mots: "Dieu le leur a manifesté" et le mode de cette manifestation: "En effet, ce qui est Dieu est invisible."

II est dit donc: "Je dis avec vérité qu’ils ont retenu la vérité de Dieu, car il y a en eux, sur quelque point, une connaissance véritable de Dieu. En effet, ce qui peut être connu de lui," c’est-à-dire ce que l’homme, par la raison, en peut connaître, "est manifeste en eux," c’est-à-dire est manifeste pour eux par ce qui est en eux, à savoir, par la lumière intérieure. Il faut donc reconnaître qu’à l’égard de Dieu, certaine connaissance demeure entièrement inaccessible à l’homme pendant cette vie: c’est l’essence divine. Voilà pourquoi saint Paul lui-même trouva à Athènes un autel qui avait pour inscription: "Au Dieu inconnu" (Actes XV, 23), et la raison en est que, pour l’homme, la connaissance commence par ce qui a une similitude avec sa nature, c’est-à-dire par les créatures sensibles, qui n’ont aucune proportion pour représenter la divine essence.

Cependant l’homme peut arriver, par cette sorte de créatures, à la connaissance de Dieu de trois manières, comme l’enseigne saint Denis au livre des Noms divins: premièrement, par voie de causalité, parce que, ces créatures étant sujettes à la défection et aux changements, il est nécessaire de les faire remonter à un principe immuable et parfait: ainsi connaît-on de Dieu qu’il est. Secondement, par voie de sur éminence, car on ne peut ramener chaque créature à un premier principe, comme à sa cause propre et particulière, ainsi que l’homme engendre l’homme, mais à une cause commune et supérieure; et par là. On connaît que Dieu est au-dessus de tout. Troisièmement, par voie de négation, car, en admettant une cause supérieure, rien de ce qui constitue les créatures ne peut lui convenir; ainsi on ne peut dire avec exactitude d’un corps céleste qu’il est pesant ou léger, chaud ou froid: pour cette raison on dit de Dieu qu’il est immuable et infini, et autre qualification semblable. Or les Gentils ont eu cette connaissance par la lumière de la raison qui leur a été donnée (Psaume IV, 6): "Plusieurs disent: qui nous fera voir les biens promis? La lumière de votre visage est gravée sur nous, Seigneur! "

En ajoutant: "Dieu le leur a manifesté," l’Apôtre indique Celui qui leur a manifesté cette connaissance; c’est Dieu, dit-il, selon ce passage de Job (XXXV, II): "Il nous donne plus de sagesse qu’aux animaux des champs." Il faut ici remarquer que l’homme se manifeste à son semblable en expliquant sa pensée par quelques signes extérieurs, par exemple par la parole et par l’écriture. Mais Dieu manifeste sa pensée à l’homme de deux manières: d’abord, en lui donnant la lumière intérieure par laquelle il connaît (Psaume XLII, 3): "Envoyez votre lumière et votre vérité;" ensuite, en mettant sous ses yeux les signes extérieurs de sa sagesse, c’est-à-dire les créatures (Ecclésiastique I, 10): "Il l’a répandue," à savoir, sa sagesse, "dans toutes ses oeuvres." Dieu a donc manifesté cette connaissance aux Gentils soit en leur versant intérieurement la lumière, soit en mettant extérieurement sous leurs regards les créatures visibles, dans lesquelles, comme dans une sorte de livre, on peut lire la connaissance de Dieu.

Lorsque Paul dit: "Ses perfections invisibles, depuis la création du monde, etc.," il désigne le mode de manifestation.

1. Il faut d'abord considérer ce que les Gentils ont connu de Dieu. 1. C’est, en premier lieu, ce qu’il y a en lui d’invisible, et on entend par là l’essence divine qui ne peut être vue de nous, ainsi qu’il a été dit (I Jean, IV, 12): "Nul," c’est-à-dire nul vivant de la vie mortelle, "ne vit jamais Dieu." Nul ne l’a vu quant à son essence (1 Timothée I, 17): "Au Roi des siècles, immortel, invisible." L’Apôtre dit au pluriel: "Les choses invisibles," parce que l’essence de Dieu ne nous est pas connue en ce qu’elle est, c’est-à-dire dans sa simplicité. Elle, nous sera connue de cette manière dans la patrie: "Il sera alors le Dieu unique, et il n’y aura plus que son nom." (Zach., XIV, 9). Cependant elle nous est manifestée par quelques similitudes prises des créatures, qui participent en plusieurs manières à ce qui est unité en Dieu; c’est ainsi que notre intelligence considère l’unité de la divine essence sous le rapport de bonté, de sagesse, de vertu, et autres distinctions qui n’existent pas en Dieu. L’Apôtre a donc dit: "Les choses invisibles de Dieu," parce que l’unité qui répond en Dieu à ces noms ou à ces rapports ne nous est pas accessible (Hébr., X, 3): "Afin que ce qui était invisible auparavant devienne visible." 2. En second lieu, ce qui est connu de Dieu, c’est sa puissance, qui fait que toutes choses procèdent de lui, comme de leur principe (Psaume CXLVI, 5): "Le Seigneur est grand, sa force est infinie." Or, les philosophes ont connu que la puissance divine est éternelle; d’où: "Son éternelle puissance." 3. En troisième lieu: "Et sa divinité," dit l’Apôtre. "A ceci" se rapporte la connaissance que les Païens ont eue de Dieu, comme fin dernière, vers laquelle tendent toutes choses. On appelle, en effet, bien divin le bien commun auquel tous participent; c’est pourquoi l’Apôtre a dit: "Divinité," ce qui indique la participation, plutôt que Déité, qui signifie l’essence de Dieu (Col 2,9): "La plénitude de la Divinité habite en lui." Or, ces trois modes de connaissance se rapportent aux trois moyens de connaître que nous avons indiqués; car les perfections invisibles de Dieu sont connues par voie de négation, sa puissance éternelle par voie de causalité, et sa divinité par voie de suréminence.

2. Il faut considérer par quel moyen les Gentils arrivèrent à cette connaissance. L’Apôtre l’indique par ces paroles: "Par tout ce qui a été fait," car, ainsi que les oeuvres manifestent l'ouvrier, de même les créatures manifestent la sagesse de Dieu (Sagesse XIII, 5): "Par la grandeur et la beauté de la créature, leur Créateur peut devenir visible et être connu."

3. S Paul montre comment Dieu est reconnu par les créatures, lorsqu’il dit: "Ce qu’il y a d’invisible est visible," car Dieu peut être connu par l’intelligence, et non par les sens ou l’imagination, "dont la portée ne dépasse pas les choses corporelles" Or "Dieu est esprit" ainsi qu il est dit (Jean, IV, 24, Isaïe, LII, 13): "Mon serviteur sera rempli d’intelligence."

4. Cette expression: "Depuis la création du monde," peut désigner celui par qui Dieu est ainsi connu, et s'entendre d'abord de l'homme (Marc, XVI, 15): "Prêchez l’Evangile à toute créature," soit à cause de l’excellence de l’homme qui, dans l’ordre de la nature, est au-dessous des anges, mais au premier rang parmi les créatures inférieures, ainsi qu’il est dit (Psaume VIII, 6): "Vous l’avez mis un peu au-dessous des anges; vous avez tout mis sous ses pieds, les brebis et les boeufs, etc.;" soit parce qu’il a des points communs avec toute créature: l’être avec les pierres, la vie avec les arbres, la sensibilité avec l’intelligence avec les anges, comme parle saint Grégoire.

On peut l’entendre encore de l’universalité de la création, car aucune créature ne peut, par ses forces naturelles, voir l’essence divine en elle-même; c’est ainsi qu’il est dit des Séraphins (Is 6,3): "que de deux ailes ils se voilaient la tête." Mais, de même que l’homme connaît Dieu par les créatures visibles, de même l’ange, par son intelligence, connaît l’essence propre de la Divinité. On peut encore, "Par la créature du monde," entendre non la chose même créée, mais la création des choses, comme si l’on disait: "Par la création du monde." on peut expliquer ceci de deux manières: d’abord, en ce sens, que les perfections invisibles de Dieu sont comprises par ce qui a été fait depuis la création du monde, et non pas seulement par ce qui a été fait au temps de la grâce; ou encore: que, depuis la création du monde, les hommes ont commencé à connaître Dieu par ce qui a été fait (Job, XXXVI, 25): "Tous les hommes le voient." La Glose dit, sur ce passage, que par les choses invisibles il faut entendre la personne du Père (I Timothée IV, 46): "Que nul d’entre les hommes n’a vu, etc.;" par la puissance éternelle, la personne du Fils, selon ce passage de la I Cor. (I, 24): "Le Christ, la force de Dieu;" par la Divinité, la personne du Saint-Esprit, à qui l’on attribue la bonté. Non pas toutefois que les philosophes, par les lumières de la raison, aient pu s’élever, de ce qui a été fait, à la connaissance des Personnes divines, quant à ce qui leur est propre, et ne suppose pas la relation de la cause à la créature; mais ils ont pu s’élever jusqu’aux attributs divins. On reconnaît cependant qu’ils n’ont pu atteindre jusqu’au troisième signe, c’est a dire à ce qui concerne l'Esprit-Saint, parce qu’ils n’ont rien indiqué qui pût y correspondre, comme ils ont fait pour la personne du Père, en désignant un premier principe et, pour celle du Fils, en admettant une première intelligence qu’ils appelaient l’intelligence du Père, comme l’a remarqué le songe de Scipion.



Romains 1, 20 à 25: La culpabilité des idolâtres

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075 (
Rm 1,21-25)





ANALYSE DE LA LEÇON. 1° Culpabilité des Gentils. -L’ignorance ne le excuse pas. -Elle est la cause de leur impiété -Leur impiété consiste à s'élever contre la gloire et la nature de Dieu. Ils n’ont respecté ni la ni l’incorruptibilité, ni la sublimité de Dieu en se fabriquant des idoles. - Châtiment de leur idolâtrie. -Comment un péché est cause d'un autre péché. -II° Ils n’ont pas respecté la nature de Dieu en l’attribuant à de idoles mensongères. -Châtiment de ce péché.



20. De sorte qu sont inexcusables:

21. Parce que, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ou ne lui ont pas rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci.

22. Ainsi, en disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous.

23. Ils ont changé la gloire de Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles.

2.4. Aussi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l’impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes;

25. Eux qui ont transformé la vérité en mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni dans les siècles. Amen.



L’Apôtre, après avoir démontré que la vérité de Dieu a connue par les Gentils, établit qu’ils se sont rendus coupables de la faute d impiété et d'injustice. Et d abord il le prouve quant à la faute d'impiété, quant à la faute d injustice, en disant (verset 28): "Et comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance", on aurait pu croire que, chez ces philosophes, la faute d’impiété pouvait trouver son excuse dans l’ignorance, comme l’Apôtre le dit de lui-même (I Timothée I, 13): "Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance." Il montre donc d’abord que les Gentils sont inexcusables; puis il fait voir leur faute, à ces paroles (verset 23): "Ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible."

Sur la culpabilité des Gentils, il faut remarquer premièrement que l’ignorance excuse la faute quand elle en est le principe et la cause, si toutefois elle n’a pas elle-même une faute pour principe: par exemple si, après la diligence requise, quelqu’un croyant frapper un ennemi frappait son père. Mais si l’ignorance est la suite d'une faute, elle ne peut excuser la faute subséquente. Ainsi celui qui a commis un homicide dans l’ivresse ne saurait être excusé par la faute qu’il a commise en s’enivrant. Aussi, remarque Aristote, mérite-t-on un double châtiment. Saint Paul propose donc d’abord ce qu’il veut établir en disant: "Ainsi ils ont connu de Dieu ce que l’on peut en connaître, en sorte qu’ils sont inexcusables," c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être excusés par l’ignorance (Jacques IV, 17): "Celui qui sait et ne fait pas est coupable de péché," et (ch. II, 1 de cette épître): "Vous êtes donc inexcusables." Secondement saint Paul prouve ce qu'il avait avancé, et montre: I. que la faute des Gentils ne provient pas de l’ignorance; II. Que c’est de cette faute même que l’ignorance est venue, à ces mot: "Ils se sont évanouis dans leurs pensées."

I. Or, que leur première faute n’ait pas été la suite de leur ignorance, on en a la preuve en ce que, ayant la connaissance de Dieu, ils n’en ont pas fait usage pour le bien. Ils ont, en effet, connu Dieu de deux manières: d’abord comme principe supérieur à toutes choses, et, à ce titre, ils lui devaient la gloire et l’honneur qui appartiennent à quiconque est au premier rang. C’est donc avec raison que l’Apôtre dit d’eux qu’ils sont inexcusables, parce que, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu; ou parce qu’ils ne lui ont pas rendu le culte qui lui était dû; ou parce qu’ils ont assigné des bornes à sa puissance et à sa science en amoindrissant cette puissance et cette science, contre ce qui est dit (Ecclésiastique XLIII, 32): "Glorifiez le Seigneur autant que vous le pourrez." Ils ont, de plus, connu Dieu comme source de tous les biens aussi devaient-ils lui rendre en toutes choses des actions de grâce que cependant ils ne lui rendaient pas, attribuant plutôt à leur propre esprit et à leur propre puissance ce qu’ils avaient de bien. C’est pourquoi l’Apôtre ajoute: Ils n’ont pas rendu grâces," à savoir au Seigneur (1 Thess., V, 48): "Rendez grâces en toutes choses,".

II. Ensuite, lorsqu’il dit: "Mais ils se sont évanouis dans leurs pensées," il montre qu’en eux l’ignorance a été la suite de leur faute. Et d’abord il énonce cette proposition; puis il la développe à ces mots: "Se disant sages."

Il indique donc d’abord la faute qui est la cause de l’ignorance, lorsqu’il dit: "ils se sont évanouis." on donne le nom de vain à ce qui n'a pas de stabilité et de consistance; Or Dieu seul est de soi immuable (Malach., III, 6): "Car moi, je suis le Seigneur, et je ne change pas." C'est pour cette raison que l'âme de l'homme n’est délivrée de la vanité que lorsqu'elle s'appuie sur Dieu, mis lorsque, laissant Dieu, elle s'appuie sur une créature quelconque, elle tombe dans la vanité (Sagesse XIII, 1): "Ils sont vains tous les hommes en qui n’est pas la science de Dieu," et (Ps, XCIII, 11): "Le Seigneur connaît les pensées des hommes; il sait qu’elles ne sont que vanité. Ils se sont évanouis dans leurs pensées, en tant qu’ils attribuaient à eux-mêmes, et non à Dieu, ce qu’ils avaient de bien; comme il est dit au Ps. (XI, 4): "Nos lèvres sont indépendantes, etc."

S Paul montre ensuite l'ignorance produite par cette faute, lorsqu'il ajoute: "Et leur coeur insensé" été "obscurci," c’est-à-dire que leur coeur a été obscurci, il est devenu insensé, en d’autres termes privé de la lumière de la sagesse, par laquelle l’homme connaît véritablement Dieu. Car, de même que celui qui détourne du soleil matériel les yeux du corps tombe dans l’obscurité corporelle, ainsi celui qui, par présomption, se détourne de Dieu tombe dans l'obscurité spirituelle (Prov., XI, 2): "où est l’humilité," par laquelle l’homme se soumet à Dieu, "là est la sagesse; où sera l’orgueil, là est la confusion;" (Matthieu XI, 25): "Vous avez caché ces choses aux sages," c’est-à-dire à ceux qui se croyaient tels, "et vous les avez révélées aux petits," c’est-à-dire aux humbles. C’est de ces prétendus sages dont il est dit (Ephésiens IV, 17): "Ils s’avancent dans la vanité de leurs pensées; ils ont l’esprit obscurci et plein ténèbres."

En ajoutant: "Se disant sages," l’Apôtre développe ce qu’il avait dit, et, d’abord, comment les Païens se sont évanouis dans leurs pensées, à partir de ces mots: "Disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus insensés, c’est-à-dire en s’attribuant la sagesse comme venant d'eux-mêmes (Isaïe V, 21): "Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux! Et (XIX, 11): "Comment oserez-vous dire à Pharaon: Je suis le fils des sages, descendu des rois antiques, etc.?" Saint Paul explique ensuite ces autres paroles: Leur coeur obscurci est devenu insensé," lorsqu’il dit: "Ils sont devenus insensés," en agissant contre la divine sagesse (Jérémie, X, 14): "La science de tous ces hommes les a rendus insensés," c’est-à-dire la science dans laquelle ils mettent trop de confiance.

II° En ajoutant: Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible," l’Apôtre expose le péché d’impiété commis par les Gentils: I. en ce qu’ils ont péché contre la gloire de Dieu; II. Contre la vérité de sa nature, à ces mots: "Ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge."

I. Sur le péché contre la gloire de Dieu, il montre d’abord la faute de l’impiété, et ensuite sa punition, à ces mots: "C’est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs." Le crime des Gentils a été de transformer, autant qu’il était en eux, l’honneur divin, selon cette parole (Jérémie., II, 11): "Mon peuple a changé sa gloire en idole." L’Apôtre rappelle donc d’abord ce que les Gentils ont changé, et ensuite ce en quoi ils l’ont changé, à ces mots: "En l’image de l’homme corruptible."

Or, du côté de Dieu, il y a trois choses à remarquer:

1. sa gloire, qu’indique saint Paul, en disant: "Et ils ont changé la gloire." Ce que l’on peut entendre de deux manières: premièrement de la gloire par laquelle l’homme glorifie Dieu lorsqu’il lui rend le culte de latrie (I Timothée I, 17): "Au Dieu unique l’honneur." Les païens ont donc changé cette gloire en rendant à d’autres le culte dû à Dieu. Secondement, de la gloire intrinsèque qui appartient à Dieu, laquelle est incompréhensible et infinie (Prov., XXV, 27): "Celui qui veut sonder la majesté de Dieu sera accablé par sa gloire. Or cette gloire n’est pas autre chose que la splendeur même de la nature divine; car Dieu, est-il dit (I Timothée IV, 16), "habite une lumière inaccessible." En attribuant cette gloire à d’autres, ils l'ont donc changée (Sagesse XIV, 21): "Ils donnèrent aux pierres et au bois le nom incommunicable."

2. Son incorruptibilité, "Incorruptible; car Dieu seul est te: il est parfaitement incorruptible, parce qu’il est entièrement immuable, toute mutation étant une sorte de corruption (I Timothée VI, 16): "Lui seul possède l’immortalité."

3. La sublimité de sa nature: De Dieu, ainsi qu’il est dit au Ps. (XLVII, 2): "Dieu le Seigneur est grand."

Du côté de l’objet à qui ils ont transféré l’honneur divin, saint Paul indique trois degrés correspondants. D’abord il dit, comme faisant opposition à la gloire: "En la ressemblance de l’image," c’est-à-dire en la ressemblance d’un objet représenté par quelqu’un sous forme d’image. Car il est manifeste que la ressemblance de l’image ne vient qu’après l’objet dont elle est l'image; Or la gloire ou la splendeur de Dieu est le principe de toute forme et de toute beauté, et ainsi, en changeant la gloire de Dieu en la ressemblance d’une image, les Gentils ont mis à la première place ce qui devait être à la dernière (Sagesse X, 15): "Le père, gémissant dans sa douleur profonde, fit l’image de son fils, ravi prématurément." Par antithèse à "Incorruptible," l’Apôtre dit: "Corruptible" (Psaume XXIX, II): "Que vous servira mon sang lorsque je descendrai dans la pourriture?" C’est-à-dire ce qui est déjà mort et corrompu (Sagesse XV, 17): "Mortel, avec ses mains iniques, il forme un ouvrage de mort." Par opposition à ce qu’il a dit: "De Dieu," saint Paul dit: "De l’homme " (Job, XXXII, 21): "Je n’aurai aucun égard à la personne d’un homme, et je n’égalerai pas l’homme Dieu." Et ce qui est plus abominable, l’homme a transporté la gloire de Dieu non seulement à l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, mais aux créatures mêmes, qui sont au-dessous de l’homme. Aussi saint Paul ajoute: "En l’image d’oiseaux," pour les volatiles; "De quadrupèdes," pour les animaux qui marchent sur la terre, et "De serpents," pour ceux qui rampent. Il passe sous silence les poissons, parce qu’ils sont éloignés davantage du commerce des hommes. Or, d’après l’ordre de Dieu, tous ces êtres sont soumis à l’homme (Psaume VIII, 8): "Vous avez tout mis à ses pieds;" (Ezéch., VIII, 9): "Entre, et vois les abominations horribles que font ceux-ci; et j’entrai, et je vis des images de toutes sortes de reptiles et d’animaux, etc."

Il faut remarquer, dit la Glose, qu’à l’arrivée d’Énée, la coutume s’était introduite en Italie d’honorer des simulacres d’hommes, par exemple de Jupiter, d’Hercule et d’autres encore. Mais au temps de César Auguste, les Romains, ayant soumis l’Égypte, adoptèrent son culte et honorèrent des simulacres d’animaux, à cause des figures d’animaux que l’on voit dans les cieux, et auxquels les Égyptiens, adonnés à l’astrologie, rendaient les honneurs divins. Aussi le Seigneur détournait d’un culte semblable les enfants d’Israël élevés en Égypte (Deut., IV, 19): "De peur que, levant les yeux au ciel, et voyant le soleil, la lune et tous les astres du ciel, vous ne tombiez, etc."

III° L’Apôtre ajoute: "Voilà pourquoi Dieu les a livrés," exprimant le châtiment correspondant à une faute de cette nature.

I. Sur ces paroles, il faut considérer que l’homme tient le milieu entre Dieu et les animaux sans raison, et qu’il est en rapport avec l’un et l’autre de ces deux extrêmes: avec Dieu, par sa nature intellectuelle; avec les animaux dépourvus de raison, par les sens. Ainsi, de même que l’homme a fait descendre ce qui appartient à Dieu jusqu’à la brute, Dieu a soumis ce qui dans l’homme est divin, par la raison, à ce qui, en lui, est privé de raison, c’est-à-dire aux désirs des sens, selon ce passage du Ps. (XLVIII, 42): "L’homme, au milieu de sa grandeur, n’a pas compris sa destinée," c’est-à-dire sa ressemblance avec la divine image par la raison, "et il s’est fait semblable aux animaux, sans raison." C’est pourquoi l’Apôtre ajoute: "A cause de cela, Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur," afin que la raison fût soumise et assujettie aux désirs du coeur, c’est-à-dire de l’affection sensuelle, dont il est dit plus loin (ch. X, 14): "Ne cherchez pas contenter les désirs de la chair, etc.," crime qui, chez l’homme, est opposé a l'ordre d'après lequel la raison domine l'appétit sensible (Gen., IV, 17): "La concupiscence sera sous toi, et tu la domineras." Dieu abandonne donc les hommes aux désirs de leur coeur, comme aux mains de maîtres cruels (Isaïe XIX, 4): "Je livrerai l'Égypte entre les mains de maîtres sans pitié." Cependant, en ce qui est des appétits sensibles, certain désordre bestial appartient surtout aux péchés de la chair; car les délectations du tact, parmi lesquelles on range la gourmandise et la luxure, nous sont communes avec les brutes, et voilà pourquoi elles sont en nous plus blâmables, parce qu’elles nous rapprochent davantage des animaux. Aristote le remarque, et l’Apôtre l’indique lorsqu’il ajoute "à l’impureté," qui appartient aux péchés de la chair, selon ce mot (Ephésiens V, 5): "Nul fornicateur, nul impudique;" parce que les péchés de cette espèce détournent et entraînent l’homme à ce qui est au-dessous de lui. On appelle, en effet, impur ou immonde ce qui est altéré par l’alliage d’une chose vile, comme l’argent par le mélange du plomb. De là l’Apôtre, développant sa pensée, ajoute: En sorte que par l’ignominie, en d’autres termes, par des actes honteux et immondes, "ils atteignent," c’est-à-dire ils déshonorent, "leurs propres corps, eux-mêmes," non parce qu’ils souffrent violence de la part de quelqu’un, par exemple des barbares, mais d’eux-mêmes et de leur propre volonté (ci-après, IX, 21): "Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur ou un vase d’ignominie?" c’est-à-dire destiné à des usages honteux.

Cependant, cette sorte d’impureté étant un péché, ne semble-t-il pas que Dieu n’y livre pas les hommes, d’après ce mot (Jacques I, 13): "Dieu ne porte pas au mal." Il faut répondre qu’on ne dit pas que Dieu porte les hommes à l’impudicité directement, en inclinant leur affection au mal, parce que Dieu fait tout pour lui-même: (Prov., XVI, 4): "Le Seigneur a fait tout pour sa gloire." Or le péché, c’est l’éloignement de Dieu; mais Dieu porte les hommes au mal indirectement, en ce sens que, selon les règles, de sa justice, il retire la grâce qui contenait les hommes et les préservait du péché. On dit de même de celui qui enlèverait à quelqu’un son appui, qu’il est la cause de la chute de son frère. Dans ce sens, le premier péché est la cause du péché qui suit, et le second la punition du premier. Pour plus de clarté, il faut remarquer qu’un péché peut être la cause d’un autre directement et indirectement. Directement, en tant qu’on est porté à passer d’un péché à un autre. Cela peut arriver de trois manières. D’abord comme cause finale: ainsi lorsque, par avarice ou par envie, on est excité à commettre un homicide; ensuite comme cause matérielle: ainsi la gourmandise conduit à l’impureté, en lui fournissant un aliment; enfin, comme cause déterminante, quand, par exemple, à la suite d’un grand nombre d’actes d’un péché, on contracte l’habitude qui conduit à un péché semblable. Indirectement, en tant qu’un premier péché mérite la soustraction de la grâce; celle-ci s’étant retirée, l’homme se précipite dans un second péché, etc. Ainsi le premier péché est la cause du second, indirectement ou par accident, qu’il écarte ce qui empêchait la chute.

Toutefois il faut remarquer que le péché, expliqué comme il vient l’être, n'est pas une punition, parce que nous supportons la punition contre notre volonté; Or le péché est volontaire, ainsi que l'enseigne., Augustin. Mais parce que le péché entraîne avec lui certaines suites qui sont contre la volonté du pécheur, à raison de ces suites le péché est regardé comme la punition du péché qui précède. Or, parmi ces suites, il en est d'abord qui sont antécédentes au péché, comme la soustraction de la grâce, ce qui fait que l’homme pèche; d’autres qui l’accompagnent, ou intérieurement, comme le trouble de l'âme, ce qui fait dire à saint Augustin (I° livre des Confessions.): "Vous l’avez donné, Seigneur, et il en est ainsi: toute âme qui s’égare est à elle-même son propre châtiment;" ou quant aux actes extérieurs, auxquelles viennent s’adjoindre des difficultés et des labeurs, comme le disent les impies (Sagesse V, 7): "Nous avons marché par des chemins difficiles." D’autres enfin qui le suivent, par exemple les remords de la conscience, le déshonneur, et d’autres encore.

II. Lorsque l’Apôtre dit: "ils ont changé, etc.," il exprime le crime d’impiété que les Gentils ont commis contre la vérité de la nature divine; et d’abord il énonce la faute; ensuite le châtiment, par ces mots: "C’est pourquoi Dieu les a livrés."

On peut considérer la nature divine sous deux aspects: d’abord en tant qu’elle est la source des connaissances, comme vérité première. Sous ce rapport, il dit: "Ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge;" ce qui peut aussi être entendu de deux manières: d’abord, parce qu’en abusant de la raison, ils ont détourné à de faux dogmes la connaissance de Dieu qu’ils ont reçue: par exemple, lorsqu’ils ont dit que les idoles étaient des dieux, ou que Dieu n’était pas tout-puissant, ou qu’il ne savait pas toutes choses (Jérémie IX, 5): "Ils ont formé leur langue au mensonge." Ensuite ils ont changé la vérité de Dieu eu mensonge, parce que la nature divine, qui est la vérité même, ils l’ont attribuée à l’idole, qui est mensonge, en tant qu’elle n'est pas Dieu, ainsi qu’il est dit (Jérémie XVI, 19): "Vraiment nos pères ont possédé le mensonge et la vanité, qui leur ont été inutiles. Est-ce que l’homme se fera des dieux? Certainement ce ne sont pas des dieux." La nature divine peut encore être considérée en tant qu’elle est, pour toutes choses, le principe de l’être par la création. Sous ce rapport, l’homme doit à Dieu, intérieurement, un culte fondé sur le sentiment de la reconnaissance (Jean, IX, 31): "Si quelqu’un est serviteur, de Dieu, etc.;" extérieurement, le culte de latrie, selon ce passage du Deut. (VI, 13): "Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul." C’est pourquoi saint Paul ajoute contre les païens: "Ils ont adoré et servi la créature, de préférence au Créateur." Car ils honoraient les corps célestes, et l’air, et l’eau, et d’autres éléments semblables, selon cette parole (Sagesse XIII, 2): "Le feu, le vent, l’air subtil, étaient leurs dieux." En cela l’Apôtre condamne les sages de la Gentilité, qui, sans jamais croire qu’il y eût dans leurs simulacres quelque chose de divin, comme le croyaient les sectateurs d’Hermès 1, sans regarder comme véritable ce que les poètes dans leurs fables, disaient des dieux, rendirent pourtant les honneurs divins à quelques créatures. Quelques uns de ces sages rendaient raison de ces fables: Varron, par exemple, enseigna que tout l’univers est Dieu, à cause de son âme, et avança qu’on peut rendre à cet univers et à toutes ses parties le culte divin, à savoir: à l’air, qu’on appelait Junon et à l’eau, qu’on appelait Lioeus et ainsi du reste. Les Platoniciens enseignèrent même que le culte divin est dû à toutes les substances douées de raison qui sont au-dessus de nous, par exemple aux démons, aux âmes des corps célestes, aux intelligences, c’est-à-dire aux substances séparées. Or, bien que nous devions quelque respect aux êtres qui sont au-dessus de nous, cependant nous ne leur devons pas le culte de latrie, qui consiste principalement dans les sacrifices et l’oblation, par laquelle l’homme reconnaît que Dieu est l’auteur de tous les biens, comme dans tout royaume on doit au maître suprême un honneur qu’il n'est pas permis de transférer à d’autres. Aussi saint Paul ajoute: "Qui est béni," c’est-à-dire dont la bonté est manifeste. L’on dit de même que nous bénissons Dieu, en tant que nous reconnaissons de coeur et publions de bouche sa bonté (Ecclésiastique XLIII, 32): "Portez la gloire du Seigneur aussi haut que vous le pourrez." L’Apôtre ajoute: "Dans les siècles," parce que la bonté de Dieu est éternelle et ne dépend de qui que ce soit; mais elle est le principe de tout bien, et c’est pour cette raison que le culte de latrie lui est dû tout entier. Il ajoute aussi: Amen (qu’il soit ainsi), afin d’exprimer la plus grande certitude (Isaïe LXV, 16): "Celui qui sera béni en ce nom sur la terre sera béni de Dieu, amen," parole qui signifie: il est vrai, ou: qu’il en soit ainsi.

L’Apôtre semble ici faire allusion à la triple théologie des païens: à leur théologie civile, observée par les pontifes pour l’adoration des idoles dans les temples: "Ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible;" à celle de la fable, que les poètes exposaient sur le théâtre: "Ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge;" à la théologie naturelle, que les philosophes observaient dans le monde, en honorant les parties du monde: "Ils ont adoré et servi la créature, de préférence au Créateur."



1 Hermès, philosophe égyptien, vers l’an 1900 avant l’ère chrétienne. Personnage réel ou fabuleux, il est regardé comme le père des chimistes, alchimistes, chercheurs de pierre philosophale, magnétiseurs, et autres partisans de la philosophie occulte.




Thomas A. sur Rm (1869) 7