Thomas A. sur Rm (1869) 9

Romains 1, 26 à 32: Le châtiment issu du péché

9
075 (
Rm 1,26-32)



ANALYSE DE LA LEÇON. –I° Châtiment infligé aux Gentils pour leur impiété. Péchés contre nature. -Dégradation de l’homme chez les païens. -II° Justice de ce châtiment. -Il est mérité par une foule de péchés de transgression et d’omission: fornication, avarice, envie, homicides, querelles, fraude, délation, orgueil, dissolution, etc., crimes qui blessent Dieu, le prochain, la société, l'individu.

26. C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions d’ignominie, car leurs femmes ont changé l’usage naturel en l’usage contre la nature.

27. Et pareillement les hommes, l’usage naturel de la femme abandonné, ont brûlé de désirs l’un pour l’autre, l’homme commettant l’infamie avec l'homme, et recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement.

28. Et comme ils n’ont pas montré qu’ils avaient la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à un sens réprouvé, de sorte qu’ils ont fait les choses qui ne conviennent pas,

29. Remplis de toute iniquité, malice, fornication, avarice, méchanceté; pleins d’envie, de meurtres, de l’esprit de contention, de fraude, de malignité: délateurs,

30. Détracteurs, haïs de Dieu, violents, orgueilleux, arrogants, inventeurs de toute sorte de mal, désobéissants à leurs parents,

31. insensés, dissolus, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde;

32. Qui, ayant connu la justice de Dieu, n’ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort; et non seulement ceux qui les font, mais quiconque aussi approuve ceux qui les font.

Après avoir exposé le crime de l’impiété dont les Gentils s’étaient rendus coupables à l’égard de la nature divine, saint Paul montre le châtiment qui les a réduits à pécher contre leur propre nature.

Il indique ce châtiment; II° il l’explique, à ces mots: "Car les femmes parmi eux;" III° il en montre la convenance, à ces autres; "Recevant la récompense."

II dit donc d’abord: "C’est pourquoi," "c’est-à-dire" parce ont changé la vérité de Dieu en mensonge, Dieu les a livrés, non pas en les poussant au mal, mais en les abandonnant eux-mêmes "à des passions d’ignominie," c’est-à-dire à des péchés contre nature, qui sont appelés passions. Dans le sens rigoureux, l’on appelle de ce nom ce qui est forcé de sortir de l’ordre de sa nature par exemple l’eau à l’état d’ébullition, ou l’homme en état de maladie. L’homme donc, par ces sortes de péchés, s’écartant de l’ordre naturel, on a dit avec exactitude que c’étaient des passions; ainsi, au ch. VII, 5: "Les passions qui portent au péché." Elles sont appelées des passions "d’ignominie," parce qu’elles ne méritent pas d’avoir un nom, selon ce passage de l’Ép. Aux Éphésiens (V, 12): "Ce que ces hommes font dans le secret est honteux à dire." Si en effet les péchés de la chair sont ordinairement dignes de honte, parce que par eux l’homme est ravalé à ce qui en lui est animal, combien plus le péché contre nature, par lequel l’homme descend encore au-dessous de la nature des brutes (Osée, IV, 7): "Je changerai leur gloire en ignominie."

II° Quand l’Apôtre dit: "Car les femmes parmi eux," il développe ce qu’il avait énoncé. Et d’abord quant aux femmes, ensuite aux hommes: "De même, etc."

I. Il dit donc: "Je dis qu’ils ont été livrés à des passions d’ignominie; Car les femmes, parmi eux, ont changé l’usage naturel en autre contre nature," (I Cor., XI, 14): "La nature elle-même vous apprend-elle pas?" (Is 24,5): "Ils ont renversé le droit, détruit l’alliance éternelle," c’est-à-dire le droit naturel.

Il faut remarquer qu’une chose peut être contre la nature de l'homme de deux manières. Premièrement sous le rapport de sa différence constitutive, qui est d’être raisonnable. On dit ainsi que tout péché est contre la nature de l’homme, en tant que le péché est contre la droite raison. C’est ce qui a fait dire à Saint Jean Damascène, liv. 2, que l’ange, par son péché, s’est tourné de ce qui est selon sa nature à ce qui est contre elle. Secondement sous le rapport de sa différence générique, qui est d’être animal. Or il est manifeste que, selon l’intention de la nature, l’union des sexes chez les animaux se rapporte à l’acte de la génération; d’où il suit que tout mode d’union qui ne peut concourir à la génération est contre la nature de l’homme, en tant qu’il est animal. C’est dans le même sens qu’il est dit dans la Glose: L’usage naturel est que l’homme et la femme s’unissent par un même acte générateur; l’union des individus du même sexe est contre nature. Il en est de même de tout acte qui ne peut avoir pour résultat la génération.

II. En ajoutant: "Les hommes de même," l’Apôtre en vient aux hommes qui, "renonçant à l’union naturelle, se sont enflammés," embrasés au delà des bornes de la nature (Psaume CXVII, 12): "Ils se sont embrasés comme un feu qui a pris à des épines." Et cela "par leurs désirs," c’est-à-dire par les désirs de la chair, "les uns pour les autres, l’homme s’abandonnant avec l’homme des turpitudes" (Ezéchiel XVI, 37): "Je mettrai à nu ta honte devant eux."

III° En disant: "Et leur récompense, saint Paul montre que leur châtiment a été proportionné au crime; car il ajoute: "Ils l’ont reçue en eux mêmes," c’est-à-dire par la dégradation de leur nature, "la récompense de leur égarement," par lequel ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge. "Leur récompense," c’est-à-dire le salaire qu’ils devaient recevoir, selon l’ordre de la justice, exige que ceux qui ont traité injurieusement la nature de Dieu, attribuant aux créatures ce qui appartient à cette nature, traitent ignominieusement leur propre nature. Et quoique cette expression "Récompense," semble proprement indiquer un bien, ici néanmoins elle est prise, dans un sens général, pour toute rétribution, même l’égard du mal; c’est dans le même sens qu’il sera dit ci-après, au ch. IV, 23: "La solde du péché, c’est la mort;" (Mich., I, 7): "Tout ce qu’elle a gagné (Samarie) sera consumé par le feu." Il faut remarquer que l’Apôtre indique avec raison les vices contre nature, qui sont les plus graves parmi les péchés de la chair, comme le châtiment de l’idolâtrie; car c’est avec elle qu’ils semblent avoir pris naissance, au temps d’Abraham, époque communément assignée au commencement du culte des idoles. Aussi lit-on que ce fut alors pour la première fois que ces péchés furent punis chez les habitants de Sodome comme il est rapporté au ch. XIX de la Genèse. Ces sortes de vice suivirent aussi le progrès de l’idolâtrie. Il est dit, en effet, au 2° livre des Maccabées (IV, 12), que Jason osa, sous la citadelle même (près du temple), exposer dans des lieux infâmes les enfants des meilleures familles; et ce n’était pas un commencement, mais une sorte d’accroissement et un progrès de la vie des Gentils et des moeurs étrangères.

IV° Quand saint Paul ajoute: "Et comme ils n’ont pas voulu reconnaître," il montre qu’ils ont été punis avec justice. Et d’abord il indique la faute antécédente qui a été le point de départ de ces crimes; ensuite, il énumère les différences spécifiques qui existent entre ces péchés: "Remplis de toute sorte d’injustices," dit-il.

I. Il expose la faute précédente, lorsqu’il dit: "Comme ils n’ont pas voulu faire aucun usage de la connaissance qu’ils avaient de Dieu." Or ceci peut être entendu de deux manières: d’abord en ce sens qu'ayant pu, par la lumière de la raison et par les créatures visibles, avoir une connaissance véritable de Dieu, néanmoins, afin de pécher plus librement, ils ne l’ont pas admise, c’est-à-dire ils ne se sont pas prêtés à mettre Dieu dans leur connaissance (Job, XXI, 14): "Ils ont dit à Dieu: éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas de la science de tes voies." Ensuite en ce sens qu’ils n’ont pas voulu reconnaître que Dieu avait en sa connaissance les actions des hommes (Psaume XCIII, 7): "Et ils ont dit: le Seigneur ne le verra pas, Dieu n’en aura pas connaissance." En ce sens, le châtiment répond convenablement à la faute; aussi l’Apôtre ajoute: "Dieu les a abandonnés à un sens dépravé." Or ce sens dépravé, ce n'est pas dans l’homme un sens extérieur par lequel on discerne les choses sensibles, mais un sens intérieur par lequel on juge de ce qu’il faut faire (Sagesse, VI, 16): "Occuper sa pensée de la sagesse, c’est le sens parfait." On appelle donc sens dépravé celui par lequel l’homme porte sur ses actions un jugement faux, ainsi qu’il est dit (II Timothée III, 8): "Ce sont des hommes corrompus dans leur esprit, pervertis quant à la foi." (Jérémie VI, 30): "Appelez-les un argent réprouvé." Voilà pourquoi l’Apôtre continue: "En sorte qu’ils ont fait des actions criminelles," c’est-à-dire qui s’écartent de la droite raison (Sag., XIV, 11): "Leurs oeuvres sont inutiles." Or il est convenable que celui qui a péché contre la connaissance de Dieu, ou en ne voulant pas le connaître, ou en s’imaginant que Dieu lui-même ne connaît pas tout, soit abandonné à la perversité de son propre sens (Sagesse XIV, 30): "La peine du pécheur marche toujours contre la prévarication hommes injustes."

II. En disant: "Remplis," saint Paul énumère ces actions criminelles. Il les nomme d’abord d’une manière générale par ces paroles: "Remplis de toute sorte d’iniquité," parce que, est-il dit (I Jean, III, 4): "Tout péché est iniquité." De même, en effet, que toute vertu, en tant qu’elle est l’accomplissement du précepte de la loi, participe à la justice, ainsi tout péché, en tant qu’il s’écarte de règle de la loi divine, revêt le caractère d’iniquité. Et c’est sous ce rapport que la sainte Écriture s’élève surtout contre les péchés. Or, saint Paul montre la grandeur de leur faute:

parce qu’elle est en elle-même, en disant: "Remplis," car on regarde comme rempli d’iniquité celui dont l’affection tout entière est tournée vers le péché (Psaume XIII, 2): "Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume;"

par sa multiplicité, parce qu’ils n’ont pas prévariqué en un point seulement, mais en tous (Sagesse XIV, 27): "Le culte des infâmes idoles est la cause de tous les maux."

Puis il les rapporte en détail, lorsqu’il dit: "De méchanceté."

Les péchés de transgression, opposés aux préceptes négatifs;

ceux d’omission, opposés aux préceptes affirmatifs, à ces mots: "Orgueilleux, etc., etc." A l'égard des péchés de transgression, il nomme d’abord les péchés par lesquels on s’avilit soi-même, ensuite ceux par lesquels on nuit au prochain, en disant: "De malice."

A l'égard des premiers, saint Paul expose d’abord ce qui est général. Il dit: "De méchanceté," mot qui indique l’habitude vicieuse, opposée à la vertu. C’est ainsi qu’on dit que ceux qui pèchent par d’une habitude le font par méchanceté (Psaume LI, 1): "Pourquoi te fais-tu gloire de ta méchanceté?" L’Apôtre désigne ensuite spécialement le péché par lequel on s’écarte de l’ordre en suivant l’appétit des délectations corporelles, en ajoutant: "De fornication." Car bien que ce crime se commît spécialement avec des femmes débauchées, qui se livraient au désordre près des voûtes, c'est-à-dire des arcs de triomphe, il est pris ici pour toute union illicite (Tob., IV, 13): "Gardez-vous, mon fils, de toute fornication."

Secondement saint Paul nomme le péché par lequel on se détourne l’ordre, en obéissant à la convoitise des choses extérieures, quand il dit: "L’avarice, qui est le désir immodéré de posséder" (Héb., XI, 5): "Que votre vie soit exempte d’avarice; soyez contents de ce que vous avez."

Il détaille, en continuant son énumération, les péchés qui tendent à causer quelque dommage au prochain. Tout d’abord il nomme ce qui est général, lorsqu’il dit: "De méchanceté," ce qui a lieu quand on entreprend ce qu’on ne peut réaliser, surtout dans les choses nuisibles au prochain, à qui le méchant ne peut pas toujours nuire comme il le désire (Psaume VII, 10): "Que la méchanceté des pécheurs ait un terme." L’Apôtre indique ensuite la racine de ces désordres, lorsqu’il dit: "Plein d’envie." L’envie est un chagrin causé par le bien du prochain, chagrin qui aiguillonne l'envieux et l’excite à nuire à son frère (Sag. II, 24): "Par l’envie de Satan, la mort est entrée dans le monde."

Viennent alors les différents dommages causés par ces vices, et d’abord ceux qui sont extérieurs et de fait: "D’homicides," qui est le dommage principal (Osée, IV, 2): "La malédiction, le mensonge et l’homicide, le vol et l’adultère, ont inondé la terre." Il dit au pluriel: "D’homicides," parce que l’homicide ne s’accomplit pas seulement de fait, mais aussi dans la volonté (I Jean, III, 15). "Quiconque hait son frère est homicide," c’est-à-dire celui qui le hait jusqu’à la mort. Les dommages en paroles: "De querelle" La querelle, c’est l’attaque de la vérité avec des clameurs sans retenue (Prov., XX, 3): "Il est glorieux pour l’homme de se séparer des querelles."

Ensuite il rappelle les dommages secrets, d’abord en général, quand il dit: "De tromperie," c’est-à-dire quand on feint une chose, tandis qu’on en fait une autre (Jérémie., IX, 8): "Leur langue est un flèche qui perce; elle ne parle que pour tromper: en parlant à leurs amis, ils ont la paix dans la bouche; en secret ils lui tendent des embûches. L’Apôtre indique ensuite la racine intérieure de ce mal, il ajoute: "La malignité," qui suppose un feu mauvais, c’est-à-dire une mauvaise affection dans le coeur (Psaume XXV, 4): "Ils parlent de paix à leurs frères, et ils cachent le mal dans leur coeur;" (Psaume V, 5): "Le pécheur n’habitera pas près de vous". Puis il désigne ces dommages secrets, qui se font surtout par paroles, en disant: "Semeurs de faux rapports," c’est-à-dire ceux qui en cachette parlent bas à l’oreille des hommes pour semer entre eux les discordes (Ecclésiastique XXVIII, 15): "Celui qui médit en secret, et l'homme à deux langues, sera maudit au milieu du peuple, parce qu'il jette le trouble au milieu d’une multitude qui vivait en paix." – "Détracteurs," c’est-à-dire ceux qui détachent une partie de la réputation du prochain, en secret ou à son insu, en disant du mal de lui (Ecclésiastique X, 11): "Celui qui médit en secret est comme le serpent qui mord sans faire de bruit." Et pour qu’on ne croie pas ces péchés légers parce que la langue seule suffit pour les commettre, l'Apôtre ajoute: "Ennemis de Dieu," car ils attaquent surtout ce que Dieu aime parmi les hommes, l’amour mutuel (Jean, V, 22): "C’est mon commandement que vous vous aimiez les uns les autres." Voilà pourquoi on lit (Prov., VI, 18): "Il y a six choses que Dieu hait, et il a la septième en abomination: celui qui sème la discorde entre ses frères." Il ajoute: "Injurieux," qui jettent à la face l’injure (I Tim., I, 13): "Moi qui étais autrefois un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi insolent " Ainsi ces trois vices ont une matière commune, parce que ceux qui les commettent disent également du mal du prochain. Saint Paul les unit au point de vue: de leur but, parce que le médisant se propose la discorde, le détracteur l’infamie, et l’insolent l’injure.

Viennent ensuite les péchés qui appartiennent à l’omission.

L écrivain sacré indique leur racine, quand il dit: "Superbes." Ils sont appelés ainsi, comme s’ils s’élevaient au-dessus d’eux-mêmes: par le désir immodéré de leur propre excellence; ils veulent être sur et non sous la règle d’une autre volonté, et par là ils n’accomplissent pas les préceptes (Eccl, X, 4): "Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil." Ce qui est vrai quant à la défection à l’égard de Dieu, et non quant à la conversion vers le bien, qu’on prend en échange; car il est dit (1 Timothée IV, 10): "Le désir des richesses est la racine de tous les maux." Secondement l’Apôtre montre comment procède l’orgueil, d’où naît dans le coeur la présomption par laquelle l’homme s’élève au-dessus des autres (Luc, XVIII, 11): "Je ne suis pas comme le reste des hommes." Aussi est-il dit contre ceux qui s’élèvent ainsi (Psaume CXXX, 1): "Mes yeux ne se sont pas élevés."

De l’orgueil naît dans les oeuvres l’amour de la nouveauté. L’Apôtre dit, en effet: "Inventeurs de crimes," parce que, le bien étant déjà établi et par Dieu et par les hommes, conséquemment les esprits dépravés ne trouvent rien de nouveau que le mal (Isaïe III, 8): "Leurs inventions s’élèvent contre Dieu." Paul énumère ensuite les omissions elles-mêmes. Et d’abord

1. À l’égard des supérieurs, des parents, il dit: "Rebelles à leurs père et mère, contrairement à cette parole" (Ephésiens VI, 4): "Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur;" à l’égard de Dieu: "Insensés," c’est-à-dire agissant contre ce qui est dû à Dieu (Job, XXVI, 28): "La crainte du Seigneur, voilà sagesse, et fuir le mal, voilà l’intelligence."

2. A l’égard de soi-même: "Déréglés," dans l’extérieur et la démarche (Eccles., XIX, 27): "Le vêtement du corps, le rire des dents et la démarche de l'homme font connaître quel il est." Toutefois quelques-uns ont été repris (Isaïe III, 16) de ce qu’ils marchaient en mesurant leurs pas, parce que cette affectation allait au delà des manières usitées parmi ceux avec lesquels ils vivaient.

3. À l’égard des égaux, à qui nous devons d’abord l’affection du coeur. Contre ce manquement l’Apôtre dit: "Sans affection" (Prov., XII, 10): "Les entrailles du méchant sont cruelles;" (II Timothée III, 2): "Il y aura des hommes amateurs d’eux-mêmes, et non des autres." Sous le rapport des devoirs de société: "Sans foi," ce qui fait qu’on ne vit pas avec ses frères d’une manière sociable (Juges., XVIII, 27): "Ils les frappèrent du tranchant du glaive, parce qu ils n'avaient aucune société, ni aucun commerce avec qui que ce soit;" (Ecclésiastique IV, 10): "Malheur à l'homme seul: lorsqu’il sera tombé, il n’est personne..."

4. A l’égard des inférieurs, saint Paul ajoute: "Sans miséricorde," sentiment que nous devons témoigner aux malheureux (Jacques II, 13): "celui qui n’aura pas fait miséricorde sera jugé sans miséricorde."

Quand l'Apôtre ajoute: "Ayant connu la justice, il montre qu’ils ont encouru la colère ou la vengeance divine; et ici il y a trois choses à remarquer:

1. leur affection naturelle; parce que, connaissant un Dieu juste, orné de toutes les autres perfections, ils n’ont pas cru qu’il tirerait vengeance du péché (Soph., I, 40): "Ils ont dit dans leur coeur: Dieu ne nous fera pas de mal." C’est pourquoi saint Paul ajoute: "Ayant connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris."

2. Le châtiment dû à leurs péchés, lorsqu’il dit: "que ceux agissent ainsi sont dignes de mort." (ci-après, V verset 23): "La rançon du péché, c’est la mort., Il est juste, en effet, que l’âme qui abandonne Dieu soit à on tour abandonnée de son corps par la mort corporelle, et finalement de Dieu par la mort éternelle, dont il est dit au Ps. (XXXII, 22): "La mort des pécheurs est très mauvaise;" et (Apoc., XX, 6): "Sur ceux-ci la seconde mort n’aura pas de pouvoir."

3. Quels sont ceux à qui ce châtiment est dû? D’abord ceux "qui agissent ainsi," c’est-à-dire qui commettent les péchés dont il a été parlé, selon ce mot du Ps. (V, 7): "Vous haïssez les ouvriers d’iniquité; vous punirez tous ceux qui profèrent le mensonge." Seront châtiés non seulement ceux qui agissent ainsi, mais ceux qui participent à leurs fautes, soit directement, en louant le péché, selon ce qui est dit au Ps. (X, 3): "Le pécheur est loué dans tous les désirs de son coeur;" ou en leur donnant conseil et approbation, comme il est dit (Chroniques XIX, 2): "Vous donnez secours à un impie;" soit indirectement, quand on ne reprend pas ou que l’on n’empêche pas le péché, de quelque manière que ce soit, quand on le peut, surtout si l’on y est obligé par devoir, comme Élie, à qui furent imputés les péchés de ses fils (I Rois, III, 13). L'Apôtre parle ici spécialement pour quelques sages d’entre les Gentils qui ne vénéraient pas les idoles, et toutefois ne s’opposaient pas à ceux qui les honoraient.



CHAPITRE II: LA LOI ANCIENNE





Romains II, 1-5: Ne pas juger

10
075 (
Rm 2,1-5)




SOMMAIRE: Saint Paul reproche aux Juifs et aux Gentils de se juger réciproquement, tout en s’abandonnant et les uns et les autres aux mêmes péchés. On examine en passant si celui qui juge son frère sur un péché qu’il a commis lui-même pèche mortellement.

1. C'est pourquoi, Ô homme, qui que tu sois, tu es inexcusable de juger. Car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque tu fais ce que tu condamnes.

2. Nous savons en effet que Dieu juge selon la vérité ceux qui font ces choses.

3. Penses-tu donc, Ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fait les même, que tu échapperas au jugement de Dieu?

4. Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité? Ignores-tu que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence?

5. Cependant, par ta dureté et par ton coeur impénitent, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu.



Après avoir établi que les Gentils n’ont pas été justifiés par la connaissance qu’ils ont eue de la vérité, l’Apôtre montre que les Juifs ne l’ont pas été non plus par les avantages dont ils se glorifiaient, et qu’ainsi aux uns comme aux autres la vertu de la grâce évangélique est nécessaire pour le salut. Il dit donc: que les Juifs n’ont pas été justifiés par la Loi; qu’ils ne l’ont pas été par leur race, dont ils tiraient vanité (III, 1): "Quel est donc l’avantage des Juifs?" ni par la circoncision (IV, 1): "A quel avantage reconnaîtrons-nous donc, etc.?"

Sur la première de ces propositions, il faut remarquer que les Juifs et les Gentils, convertis à la foi, s’attaquaient réciproquement sur leur vie passée. Les Juifs reprochaient aux Gentils que, vivant sans la loi de Dieu, ils sacrifiaient aux idoles. Les Gentils, à leur tour, reprochaient aux Juifs qu’après avoir reçu la loi de Dieu, ils ne l’observaient pas. L’Apôtre convainc les uns et les autres de porter un jugement sans règle; il montre spécialement que les Juifs n’étaient pas dignes de récompense, parce que les avantages dont ils se prévalaient ne suffisaient pas pour le salut (au verset 13): "Ce ne sont pas ceux qui écoutent la Loi, etc."

Quant à leur jugement, l’Apôtre réduit à sa valeur le jugement des hommes; il établit ensuite et exalte le jugement de Dieu (verset 2): "Car nous savons, etc."

A l’égard du jugement humain, il avance que ceux qui se sont mutuellement sont inexcusables; II. Il en donne la raison (verset 1): "Car en les condamnant, etc."

I. Posant donc d’abord la conclusion de ce qu’il a établi au chapitre précédent, il dit: Puisque les Gentils ont retenu dans l’injustice la vérité de Dieu qui leur était connue, "qui que tu sois, ô homme, tu es inexcusable en condamnant les autres," comme il a été dit au ch. I, 20: "En sorte qu’ils sont inexcusables", il ajoute: "Tout homme," comme s’il disait: Qui que vous soyez, Gentil ou Juif; parce que le Gentil lui-même, dont il paraissait s’agir surtout, ne pet pas être excusé à raison de son ignorance, ainsi qu’il vient d’être démontré (I Corinth., IV, 5): "Ne jugez donc pas avant le temps."

II. Par ces paroles: Car en condamnant les autres, tu te condamnes toi-même., saint Paul en donne la raison, en détruisant tout motif d'excuse: d’abord l’ignorance, ensuite l’innocence, à ces mots: "puisque tu fais ce que tu blâmes."

Le jugement, en effet, exclut l'ignorance; car quiconque juge quelqu’un comme faisant une action mauvaise donne la preuve qu’il sait que cela est mal, et montre par là qu’il est condamnable. Voilà pourquoi l’Apôtre dit: "C’est pour cela, dis-je, que vous êtes inexcusable, car, en ce que vous jugez votre frère comme faisant mal, vous vous condamnez vous-même, c'est-à-dire vous montrez que vous êtes condamnable" (Matthieu VII, 1); "Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés."

Toutefois, il ne faut pas croire que tout jugement soit condamnable. Il y a en effet trois sortes de jugement. Le premier est juste, il se fait selon la règle de la justice (Sagesse, X, 1): "Aimez la justice, vous qui jugez la terre. Le second est injuste et se fait contre cette règle de la justice (Sagesse, VI, 5): "Vous qui êtes établis ministres de son royaume, vous n’avez pas jugé selon la justice." Le troisième est appelé téméraire; il est opposé à ce qui est écrit (Ecclésiastique V, 1): "Ne parlez pas au hasard." Or on juge témérairement de deux manières: d’abord, quand celui à qui un jugement a été confié procède sans connaissance suffisante de la vérité, malgré ce qui est dit (Job, XX, 16): "Sa cause que je ne savais pas, je l’examinais avec un soin extrême." Ensuite quand on s’arroge le droit de juger des choses secrètes, dont le jugement appartient à Dieu seul, à l’encontre de ce qui est encore écrit (II Corinth., IV, 5): "Gardez-vous de juger avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché."

Or il est des choses cachées non seulement à nos regards, mais encore par leur nature même, dont Dieu seul s’est réservé la connaissance:

1. la pensée du coeur (Jérémie, XVII, 9): "Le coeur de l’homme est corrompu et impénétrable; qui le connaîtra? Moi le Seigneur, qui sonde les coeurs et qui éprouve les reins;"

2. Les futurs contingents (Is 41,23): "Dites-nous l’avenir, et nous dirons que vous êtes des dieux!" Et voilà pourquoi, ainsi que l’a dit saint Augustin, il y a deux points sur lesquels nous devons nous garder de juger témérairement: c’est lorsqu’il y a incertitude, soit sur l’intention avec laquelle une chose a été faite, soit sur ce que sera un jour tel qui maintenant paraît bon ou méchant. Le premier jugement, donc, n’est pas condamnable; mais le second et le troisième le sont.

Quand l’Apôtre dit (verset 1): "Tu fais ce que tu blâmes, il écarte une autre mauvaise excuse, l’innocence." C’est comme s’il disait: La raison pour laquelle, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, c’est que "tu fais ce que tu juges," c’est-à-dire l’action pour laquelle tu condamnes ton frère: et l’on voit par là que tu agis contre la conscience (Matth., VII, 3): "Mais pourquoi vois-tu une paille dans l’oeil de ton frère, etc.?" Il faut cependant reconnaître qu’en jugeant un autre pour une faute que l’on commet soi-même, on n’assume pas toujours par là sur soi-même sa propre condamnation, parce qu’en jugeant on ne pèche pas toujours mortellement; néanmoins toujours on manifeste qu’on est condamnable. Car, si l'on est reconnu publiquement coupable du péché sur lequel on juge le prochain, on scandalise en jugeant, à moins qu’on ne se blâme humblement soi-même avec celui que l’on juge, et qu’on ne gémisse sur son péché. Que si l’on n’est coupable que secrètement, on ne pèche pas en jugeant son frère sur le même péché, surtout si on le fait avec humilité et en s’efforçant de revenir à résipiscence, comme dit saint Augustin: "Voyons donc, lorsque la nécessité nous oblige à reprendre quelqu’un, si jamais nous n’avons été coupables de sa faute, et alors même pensons que nous eussions pu le devenir. Si au contraire nous en avons été souillés, quoique nous ne le soyons plus actuellement, rappelons-nous la fragilité commune, afin que notre correction procède non de la haine, mais de la miséricorde. Que si nous nous sentons encore coupables, ne faisons pas de reproches, mais gémissons avec le pécheur, et invitons-le à s’affliger avec nous."

II° Quand l’Apôtre dit (verset 2): "Car nous savons," il indique et exalte le jugement de Dieu. Dans ce but: I. il établit la vérité de ce jugement; II. Il renverse l’objection opposée, à ces mots (verset 3): "Pensez-vous? III. Il expose la vérité (verset 6): "Qui rendra à chacun."

I. Il dit donc d’abord: "Je déclare que vous vous condamnez vous-mêmes, parce que vous faites ce que vous blâmez; Car nous savons," c'est-à-dire nous tenons pour certain, "que le jugement de Dieu s’exerce sur ceux qui se conduisent ainsi;" en d’autres termes, ce jugement les menace (Job, XIX, 29): "Il y a un glaive vengeur des iniquités, et sachez qu'il y a un jugement;" (Ecclésiastique XII, 14): "Tout ce qui se fait, Dieu l'appellera en jugement." Nous savons aussi que ce jugement est selon la vérité (Psaume XCV, 15): "Il juge l’univers avec équité." Mais le jugement de l’homme, alors même qu’il juge avec justice, n'est pas toujours basé sur la réalité, mais sur les dépositions des témoins, qui quelquefois s'écartent de la vérité. Rien de semblable dans les jugements de Dieu, car le Seigneur dit lui-même (Jérémie, XXIX, 23): "Je suis juge et témoin." Dieu n’est pas non plus trompé par de fausses allégations (Job, XLI, 31): "Je ne l'épargnerai ni par égard pour la force de ses paroles, ni à cause de leur touchante supplication."

II. Saint Paul détruit ensuite, à ces paroles: "Pensez-vous?" l’opinion contraire. Et d’abord il l’expose; ensuite il en énonce le prétexte, à ces mots (verset 4); " Méprisez-vous les richesses?" enfin il les condamne (verset 4): "Ignorez-vous, etc.?"

Il dit donc d’abord: "J’ai avancé que le jugement de Dieu s’exerce selon la vérité à l’égard de ceux qui se conduisent ainsi; mais, ô homme, qui que vous soyez, qui jugez ceux qui commettent ces crimes, et les commettez vous-mêmes, est-ce que vous ne craignez pas le jugement d’un Être supérieur? Pensez-vous que vous éviterez le jugement de Dieu?" Comme s’il disait: Si vous le pensez, votre espérance est vaine; car (Psaume XXXVIII, 6): "Où irai-je pour me dérober à votre Esprit? Et ou fuir pour me cacher de votre face?" (Job, XI, 20): "Tout moyen d'échapper sera perdu pour eux."

En ajoutant: Est-ce que vous méprisez les richesses? Il dévoile le prétexte de ce faux jugement: parce que l’homme n’est pas puni de Dieu aussitôt après le péché, il s’imagine qu’il ne sera pas puni. Il est dit cependant (Ecclésiastique V, 4): "Ne dites pas dans votre coeur: J’ai péché, et que m’est-il arrivé de funeste? Car le Très-Haut est patient à rétribuer;" et encore (Ecclésiastique VI, 11): "Parce que la sentence n’est pas portée soudain contre les méchants, les enfants des hommes font le mal sans crainte aucune." Cependant le pécheur, parce que cent fois il a fait le mal et a été supporté avec patience, loin de se laisser aller au mépris de Dieu, doit remarquer que le bien arrive à ceux qui craignent le Seigneur. Voilà pourquoi l’Apôtre dit ici: "Est-ce que vous méprisez?" (Prov., XVIII, 3): "Quand l'impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise." - "Les richesses," c’est-à-dire l’abondance (Ephésiens II, 4): "Dieu est riche en miséricorde." - "De sa bonté." Par elle il verse sur nous ses dons, comme dit le Psalmiste (CXLIV, 17): "Vous ouvrez votre main, et vous remplissez tout des effets de votre bonté." Car le bien, suivant saint Denys, suppose la communication (Jérémie III, 25): "Le Seigneur est bon pour ceux qui espèrent en lui." - "Et de sa patience, avec laquelle il supporte ceux qui pèchent grièvement et par malice (Psaume VII, 12): "Dieu est un juge juste, fort et patient, est-ce qu'il s'irrite tous les jours?" - "Et de sa longanimité," par laquelle il attend longtemps ceux qui, péchant par faiblesse, demeurent toutefois longtemps dans le péché (II Pierre, III, 15): "Croyez que la longue patience de Notre Seigneur Jésus-Christ est votre salut."

En disant: "Ignorez-vous?" l’Apôtre réprouve le prétexte allégué, c’est-à-dire le mépris de la patience divine. 1. Et d’abord il fait voir les fruits de cette patience, 2. ensuite le danger de la mépriser, à ces mots: "Par votre dureté."

1. Il dit donc: Ce que vous méprisez est admirable. Ignorez-vous que c’est la bonté de Dieu diffère le châtiment? (II Pierre, III, 9): "Dieu n'a pas retardé l’accomplissement de ce qu’il a promis; mais il attend avec patience à cause de vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais que tous aient recours à la pénitence;" (Is 30,18): "Le Seigneur attend pour vous faire miséricorde." L’Apôtre semble ici, comme le remarque la Glose, indiquer trois degrés parmi les pécheurs: 1 ceux qui se promettent l'impunité, 2 ceux qui méprisent la bonté de Dieu, 3 ceux qui pèchent par ignorance. C’est pour cette raison que la Glose dit: "En vous promettant l’impunité, ô homme, vous péchez; en méprisant vous péchez plus grièvement, et très grièvement parce que vous ignorez...

Cependant cette assertion ne parait pas exacte, car l’ignorance diminue le péché plutôt qu’elle ne l’aggrave. Il faut donc, avec quelques-uns, prendre très grièvement pour très dangereusement, parce que celui qui ignore son péché n’en cherche pas le remède; ou très grièvement, à cause de la nature de l’ignorance, qui se rapproche de l’infidélité, péché très grave. C’est ainsi qu’il est dit (II Cor., XIV, 38): "Si quelqu’un veut ignorer, il sera lui-même ignoré." Ou encore, très grièvement, en raison du degré d’ingratitude, car celui-là, dit saint Augustin, qui ne veut pas connaître le bienfait, est plus ingrat que celui qui l’amoindrit, ce qui est le propre du mépris.

2. A ces mots: "Par la dureté," l’Apôtre montre le danger de ce mépris; en disant: Par votre dureté, c’est-à-dire parce que votre coeur n'est pas touché par les bienfaits de la divine bonté (Ecclésiastique III, 27): "Le coeur dur sera malheureux au dernier jour." -"Et votre coeur impénitent," c’est-à-dire qui n'est pas gagné à la pénitence par la patience et la longanimité de Dieu (Jérémie, VI, 6): "Pas seul qui fasse pénitence de son péché." – "Vous vous amassez un trésor de colère," c’est-à-dire vous multipliez contre vous des griefs pour le châtiment (Jacques, V, 3): "Vous vous amassez des trésors de colère pour vos derniers jours." Voilà pourquoi l’Apôtre continue: "Pour le jour de la colère," c’est-à-dire pour le jour du jugement, dont il est dit (Sophonie, I, 15): "Jour de colère, ce jour-là," parce que Dieu n’inflige pas maintenant le châtiment qu’il infligera alors, comme dit le Psalmiste (LXXIV, 3): "Quand le temps sera venu, je jugerai les justices." -" Et de la manifestation du juste jugement de Dieu", parce qu’alors sera révélée la justice du jugement divin, à l’existence duquel on ne veut pas croire maintenant, ou dont on conteste la justice (Is 56,1): "Le salut qui viendra de moi est proche, ma justice sera bientôt révélée." Et parce que la Glose (de saint Jérôme sur saint Matthieu) dit, sur ce passage, que la dureté et le coeur impénitent signifient "le péché contre l’Esprit-Saint, qui est irrémissible," il faut examiner ce que c’est que ce péché et comment il est irrémissible.

Il faut donc savoir que les plus anciens docteurs de l’Église qui ont vécu avant saint Augustin, comme saint Athanase, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Chrysostome, ont appelé le péché contre l’Esprit-Saint du nom de blasphème, crime qui attribue les oeuvres de ce divin Esprit à l’esprit immonde, comme on le voit en saint Matthieu (XII, 24). Ce péché est dit irrémissible et dans le siècle présent et dans le siècle à venir, puisque c’est par ce péché que les Juifs ont été punis même dans la vie présente par les Romains, et qu’ils le sont dans la vie future par les démons. Ou encore, parce qu’il n'a aucun prétexte d’excuse, comme pouvait en avoir le blasphème que les Juifs proféraient contre le Christ, en tant que Fils de l’homme dans ce passage (Matth., XI, 19): "C’est un homme insatiable et porté au vin," blasphème auquel ils pouvaient être portés devant l’infirmité de la chair. C’est ainsi que dans l’Ancien Testament, les enfants d’Israël murmurèrent contre la disette de pain et d’eau, d’après ce qui est rapporté au XVIe chapitre de l’Exode. Ces murmures furent alors, en quelque sorte, une suite de la faiblesse humaine, une faute facilement rémissible; mais ce que les Hébreux firent ensuite devant l’idole (Exode, XXII, 4): "Voilà vos dieux, ô Israël, qui vous ont tiré de la terre d’Égypte," ce fut un péché contre l’Esprit-Saint, car ils attribuaient aux démons l’oeuvre de Dieu. Leur péché est appelé irrémissible, car le Seigneur ajoute (XXII, 34): "Et moi, au jour de ma vengeance, je les punirai de leur crimes. Mais saint Augustin (Commentaire épître aux Romains, in finem) dit que le péché contre l’Esprit-Saint, c'est la parole ou le blasphème que l’on profère contre l’Esprit-Saint, par qui s’opère la rémission des péchés, d’après ces paroles (Jean, XX, 22): "Recevez le Saint-Esprit; ceux à qui vous remettrez les péchés, etc." Ce crime se commet par le coeur, c’est-à-dire en paroles et en oeuvres, alors que le pécheur persévère dans son péché jusqu'au terme suprême. Et dans ce sens, l’impénitence finale est le blasphème contre l’Esprit-Saint, puisqu’elle est évidemment irrémissible.

Mais les docteurs qui sont venus après saint Augustin disent que le péché contre l’Esprit-Saint est celui qu’on commet par une sorte de malice, en opposition avec l’attribut personnel du Saint-Esprit, c’est-à-dire la bonté; comme le péché contre le Fils de Dieu est celui qui procède de l’ignorance, opposée à la sagesse, attribut spécial du Fils; de même on peut appeler péché contre le Père celui qu’on commet faiblesse, opposée à la puissance, qui est l’attribut particulier du Père. Ainsi donc le péché qui est contre le Père ou le Fils est appelé rémissible, parce que de sa nature ce péché semble admettre quelque excuse, puisqu’il provient ou de l’ignorance ou de la faiblesse; mais celui qu’on commet avec une malice déterminée n’a en soi aucune ombre d’excuse, et voilà pourquoi on l’appelle irrémissible, parce qu’il n’a en soi rien qui puisse le faire remettre, bien que quelquefois Dieu le remette par un effet de sa propre bonté, comme quelquefois sa puissance guérit une maladie qui de soi n’est pas guéris pas. Selon ce sentiment, on distingue six espèces de péché contre l'Esprit-Saint, en faisant abstraction de ce qui fait remettre le péché: les deux premières se prennent du côté de Dieu, c’est-à-dire l’espérance de la divine miséricorde et la crainte de la divine justice, aux quelles sont opposés à la première, le désespoir; à la seconde, la présomption. Deux du côté de l’homme: l’obstination, appelée ici dureté, par laquelle on endurcit son coeur dans le péché; elle est en opposition avec le mépris des biens qui passent, et en opposition avec la détestation que le pécheur doit éprouver de s’être éloigné de Dieu. Deux, enfin, du côté des dons de Dieu, dont l’un est la fois selon ce passage des Proverbes (XV, 27): "Les péchés se purifient par la foi," et dont l’opposé est l’attaque de la vérité connue; et l’autre, la charité, selon cet autre passage du même livre (Prov., X, 12): "La charité couvre toutes les fautes, laquelle a pour opposé la jalousie des grâces accordées au prochain."




Thomas A. sur Rm (1869) 9