Thomas A. sur Rm (1999) 26

Leçon 6 [versets 20 et 21]

26
075 (
Rm 5,20-21)


[n° 448] 20 Or la Loi est intervenue pour que la faute abondât. [n° 464] Mais où la faute a abondé, la grâce a surabondé,

[n° 467] 21 afin que, comme le péché a régné pour la mort, de même la grâce régnât aussi par la justice pour la vie éternelle, par Jésus-Christ Notre Seigneur.

448. Après avoir montré que par le don de la grâce le péché, qui avait été introduit dans ce monde par Adam, est ôté [n° 430], l’Apôtre montre ici que par la grâce du Christ le péché, qui avait abondé après l’avènement de la Loi, est détruit. Sur ce point, il expose deux choses

I) Il expose d’abord l’abondance du péché par la Loi.

II) Puis, la destruction du péché par la grâce du Christ [n° 464] Mais où la faute a abondé, etc.

449. — I. On a dit précédemment que par l’obéissance d’un seul homme beaucoup sont constitués justes mais la Loi n’a pu accomplir cette justification, au contraire 20 la Loi est plutôt intervenue pour que la faute abondât.

450. À propos de la parole de l’Apôtre, un double doute se présente à l’esprit:

A. D’abord, en ce qu’il dit que la loi est intervenue, c’est-à-dire est entrée secrètement, après le péché originel et actuel, ou bien après la loi naturelle, comme le dit la Glose 1. Car la Loi n’est pas entrée en secret, mais elle fut donnée publi quement 2 selon cette parole de Jean: "J’ai parlé publiquement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s’assem blent, et en secret je n’ai rien dit 3."

Il faut donc répondre que, bien que la législation elle-même ait été donnée clai rement, cependant les mystères de la Loi étaient voilés, en particulier l’intention de Dieu à l’égard de la promulgation de cette Loi, qui était destinée à révéler le péché, non à le guérir, selon ce qui est dit dans cette même épître: "Qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller ? 4." On peut encore dire que la Loi est intervenue, c’est-à-dire est entrée comme intermédiaire entre le péché de l’homme et le don de la grâce du Christ, dont <l’Apôtre> avait dit plus haut que l’un et l’autre ont passé par un seul à plusieurs.

1. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, col. 1398 B; GOS, <Glosa interlin. >, t. IV, p. 285 b).

2. "La Loi est intervenue." Le texte latin porte " lex subi ntravit", ce qui signifie "la loi entra furtivement" (le grec admet aussi une telle nuance); d’où l’idée de secret qu’y dénote saint Thomas. Or il y a là une difficulté, car il est de l’essence de la Loi d’être promulguée (Somme Théologique 1a-2ae, Q. 90, a. 4); comment obéir (volontai rement) à une loi qu’on ne peut connaître ? Au demeurant le Christ, qui est lui-même le législateur éternel, affirme qu’il n’a rien enseigné en secret. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit la loi naturelle, inscrite dans le coeur humain, peut être connue par la raison (ibid., sol. 1), et la Loi de Moïse fut explicitement révélée. Comment parler d’une "entrée furtive s? La réponse est que, si claire qu’elle soit, l’ancienne révélation demeure sous un voile.

3. Jn 18, 20.

4. Rm 11, 34.



451. — B. Le second doute porte sur le fait que <l’Apôtre> dit que la Loi est intervenue pour que la faute abondât. Car il apparaît ainsi que l’abondance de la faute est la fin de la Loi, et conséquemment que la Loi est mauvaise; puisque sa fin est mauvaise, elle est elle-même mauvaise, <conclusion qui> contredit ces mots de l’Apôtre dans sa première épître à Timothée "Nous savons que la Loi est bonne si l’on en use légitimement 1."

452. Une triple réponse est donnée dans la Glose " a propos de ces doutes [n° 459, 460].

1. D’abord, en disant que cette conjonction "que" ne désigne pas la causalité, mais la conséquence. Car la Loi ne fut pas donnée dans le but de faire abonder le péché, au contraire, autant qu’il était en elle, la Loi a interdit le péché, selon ce verset du psaume: "Dans mon coeur j’ai caché tes jugements, afin de ne pas pécher contre toi 3." Mais, la Loi ayant été donnée, il s’en est suivi l’abondance des fautes de deux manières [n° 458].

1. 1 Tm 1, 8.

2. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, col. 1398 D).

3. Ps 118, 11.

453. a. Quant à sa multiplicité. La Loi, en effet, tout en révélant le péché, ne supprimait cependant pas la convoitise du péché. Or, quand on défend à quelqu’un ce qui fait l’objet de sa convoitise, sa convoitise s’enflamme avec plus de véhémence, semblable à un fleuve qui, rencon trant un obstacle, coule avec plus d’impétuosité et brise son obstacle.

454. Il peut y avoir à cela trois raisons:

La première, c’est que l’homme ne tient pas pour important ce qui est soumis à son pouvoir, tandis que ce qui est au-delà de lui il le conçoit comme important. Or l’interdiction de ce qui fait l’objet de la convoitise met, en quelque sorte, ce qui est interdit hors de la portée de l’homme, et c’est pourquoi la convoitise s’enflamme davantage à l’égard de l’objet désiré par le fait même qu’il est interdit.

La deuxième raison, c’est que les affections intérieures, lorsqu’elles sont inté rieurement retenues de manière à ne pas dériver extérieurement, s’enflamment par là même intérieurement, comme on le voit dans la douleur et la colère qui, comprimées intérieurement, augmentent davantage; mais si elles s’extériorisent, leur puissance en est diminuée. D’autre part, l’interdiction, à raison de la crainte du châtiment, force l’homme à ne pas extérioriser sa convoitise, et c’est pourquoi cette convoitise intérieurement comprimée s’enflamme davantage.

La troisième raison, c’est que nous concevons ce qui ne nous est pas interdit comme possible à réaliser selon notre gré, et à cause de cela, souvent, lorsque l’oppor tunité se présente, nous l’évitons; au contraire lorsqu’une chose est interdite, nous la concevons comme n’étant pas toujours possible à obtenir, et à cause de cela, l’opportunité survenant en vue de l’obtenir sans crainte de châtiment, nous nous y portons avec d’autant plus de promptitude.

455. Et de là vient que, la Loi ayant été donnée pour défendre de céder à la convoitise et ne pouvant cependant la tempérer, la convoitise elle-même portait les hommes avec plus d’ardeur au péché. Aussi est-il dit dans <le livre d’> Ezéchiel "C’est là Jérusalem je l’ai placée au milieu des nations et j’ai mis autour d’elle des pays. Et elle a méprisé mes ordonnances jusqu’à se rendre plus impie que les nations, et mes préceptes, plus que les nations qui sont autour d’elle; car ils ont rejeté mes ordonnances et ils n’ont pas marché d’après mes préceptes 1."

456. Mais 2 d’après ce qui vient d’être dit, il semble que toute loi humaine, qui ne confère pas la grâce pour diminuer la convoitise, fasse abonder les péchés. Ce qui s’oppose à l’intention des législateurs, parce qu’ils visent à rendre bons les citoyens, comme on le voit chez le Philosophe 3.

Mais il faut répondre qu’autre est l’intention de la loi humaine, autre celle de la Loi divine. La loi humaine, en effet, se réfère au jugement humain, qui a pour objet les actes extérieurs; mais la Loi divine se réfère au jugement divin, qui a pour objet l<’examen d>es mouvements intérieurs du coeur, selon ce passage du premier livre des Rois: "L’homme voit ce qui paraît, mais Dieu regarde le coeur 4." Ainsi donc la loi humaine atteint sa fin quand, par sa défense et la menace du châtiment, elle empêche la multiplication des actes extérieurs du péché, bien que la convoitise intérieure augmente davantage. Mais sous le régime de la Loi divine les mauvaises convoitises, même intérieures, sont imputées à péché, et elles abondent à cause de la Loi qui les interdit sans les détruire.

457. Il faut savoir cependant que, comme le dit le Philosophe 5, la prohi bition de la Loi, bien qu’elle empêche, par la seule crainte du châtiment, ceux qui sont mal disposés à commettre des péchés exté rieurs, entraîne au bien, par l’amour de la vertu, ceux qui sont mieux disposés. Mais cette bonne disposition peut jusqu’à un certain point être due â la nature, tandis que sa perfection vient de la grâce seulement; et il en résulte que, même après que la Loi ancienne a été donnée, le péché n’abonde pas dans tous <les hommes>, mais dans un grand nombre. Certains cependant, sous la prohibition de la Loi et avec le secours ultérieur de la grâce, sont enfin parvenus à la perfection des vertus, selon ces paroles de l’Ecclésiastique: "Louons des hommes glorieux dans leur génération, et <qui sont> nos pères 6." Et plus loin encore: "Ces hommes grands en vertu 7."

458. b. Ensuite [n° 453] la faute a abondé, après l’avènement de la Loi, quant à la gravité de la culpabilité. Car le péché fut plus grave dès lors qu’il y eut prévarication 8 non seulement de la loi naturelle mais aussi de la Loi écrite. Voilà pourquoi il a été dit plus haut que "là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas non plus de prévarication 9."

459. — 2. Puis [n° 452] on peut aussi répondre que cette conjonction "pour que" a un sens causal 10 de telle manière cependant que l’Apôtre parle de l’abondance de la faute en tant qu’elle est dans notre connaissance. En voici le sens: la Loi est intervenue pour que la faute abondât, c’est-à-dire pour que la faute fût connue plus largement, selon cette manière de parler par laquelle on dit d’une chose qu’elle arrive lorsqu’on la connaît. C’est ainsi qu’il a été dit plus haut: "par la Loi <vient> la connaissance du péché 11."

1. Ez 5, 5-6.

2. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2ae, Q. 92, a. 1 2 Contra Gentiles c. 116; Ethic. X, lect. 14, éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, p. 600, col. 1 et 2 [ 14-1180a 221.

3. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque II, 1 [1103 b] AL XXVI, fasc. 3, P. 164. Lieu parallèle: Ethic. II, lect. 1, éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. I, p. 78, I. 135-138.

4. 1 R (1") 16, 7. Deus selon la Vetus latina, Dominus selon la Vulgate. Voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. II, (Textus et norae ad verssonem antiquam), p. 498.

5. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque X, 9 [1180 a] AL XXVI, fasc. 3, p. 366. — Lieu parallèle: Ethic. X, lect. 14, éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, P. 599-600 [1180 a l-1180 a 22].

6. Ecci (Si) 44, 1.

7. Eccli (Si) 44, 3.

8. Lieu parallèle: Somme Théologique 2 Q. 68, a. 3.

9. Rm 4, 15.

10. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, col. 1399 B).

11. Rm 3, 20.



460. 3. On peut encore expliquer ce passage d’une troisième manière, en donnant à la conjonction "pour que" un sens causal 2, de telle sorte toutefois que l’abondance de la faute ne soit pas comprise comme la fin de l’intervention de la Loi, mais comme ce qui résulte de l’abondance de la faute, à savoir l’humi liation de l’homme. Car, lorque la Loi est intervenue, la faute a abondé, comme on l’a dit dans la première explication. De cette abondance de la faute il est résulté que l’homme, reconnaissant son infirmité, a été humilié. Car l’homme orgueilleux disait en présumant de ses forces: "ce qui fait défaut ce n’est pas celui qui exécute, mais bien celui qui commande", selon ce verset de l’Exode: "Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons, et nous lui obéirons 3." Mais, la Loi ayant été donnée, il s’en est suivi une multitude de fautes, et l’homme a connu sa faiblesse pour observer la Loi, selon ce passage de la Sagesse: "Je suis un homme infirme et de peu de temps, et peu capable de comprendre les jugements et les lois 4." Donc l’intention de Dieu, en donnant la Loi, n’a pas pour but de faire abonder les péchés, mais d’humilier l’homme; c’est pour cela qu’il a permis que le péché abondât. Ainsi donc, parce que cela était voilé, <l’Apôtre> dit expres sément à ce propos que la Loi est intervenue.

461. Mais puisqu’il s’agit ici de la Loi et de la fin de la Loi, il y a en l’occurrence deux choses à considérer:

a) D’abord, de combien de manières on entend le mot "Loi."

b) Puis, quelle est la fin de la Loi [n° 463].

462. a. Selon une première manière, il faut savoir que le mot "Loi" désigne toutes les Ecritures de l’Ancien Testament, selon ce passage de Jean: "C’est afin que s’accomplisse la parole qui est écrite dans leur Loi: Ils m’ont haï gratuitement 6." Cette citation est cependant extraite d’un psaume 7.

Quelquefois le mot "Loi" désigne les cinq livres de Moïse, selon ce verset du Deutéronome: "Moïse nous a prescrit une loi, héritage de la multitude de Jacob 8." On appelle encore "Loi" le décalogue des préceptes, selon ces paroles de l’Exode: "Je te donnerai les tables de pierre, et la Loi et les commandements que j’ai écrits, afin que tu les enseignes 9." On appelle aussi "Loi" tout le contenu des préceptes céré moniels, selon ce verset <de l’épître aux> Hébreux: "La Loi n’ayant que l’ombre des biens futurs 10." Enfin, on appelle "Loi" quelque précepte cérémoniel particulier 11, selon ce verset du Lévitique: "Voici la loi de l’offrande des sacrifices pacifiques qui est offerte au Seigneur 12."

Or le mot "Loi" est pris ici par l’Apôtre dans un sens général pour toute la doctrine de la Loi de Moïse, c’est-à-dire quant aux préceptes moraux et cérémoniels, parce que les préceptes cérémoniels de la Loi ne conféraient pas la grâce, par laquelle l’homme était aidé en vue d’accomplir les préceptes moraux, la convoitise ayant été affaiblie.

1. Lieu parallèle: Somme Théologique 1a-2a", Q. 106, a. 3.

2. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, coi. 1398 C).

3. Ex 24, 7.

4. Sg 9, 5.

5. Lieux parallèles: Super Ioan. 10, 34, lect. 6 (in principio); 15, 25, lect. 5 (in medio) Ad Rom. 3, 19, lect. 2 (éd. Marietti, n° 292).

6. Jn 15, 25.

7. Ps 24, 19.

8. Dt 33, 4.

9. Ex 24, 12.

10. He 10, 1.

11. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, col. 1399 D).

12. Lv 7, 11.



463. b. Sur la fin de la Loi, il faut savoir qu’il y avait parmi i. e peuple juif, comme chez tous les peuples, trois caté gories d’hommes: les endurcis, c’est-à-dire les pécheurs et les révoltés, ceux qui progressent et les parfaits 1.

Aux endurcis la Loi fut donnée comme un fouet, car ils étaient contraints d’observer les préceptes moraux par la menace du châtiment, comme on le voit dans le Lévitique 2, et les préceptes céré moniels, qui furent multipliés au point qu’il ne leur était pas possible d’ajouter un autre culte pour les dieux étrangers: "A bras étendu et dans ma fureur épanchée je régnerai sur vous 3."

Mais à ceux qui progressent, aux moyens, la Loi fut comme un pédagogue, selon ce verset <de l’épître aux> Galates "La Loi fut notre pédagogue dans le Christ 4." Les préceptes cérémoniels les maintenaient dans le culte divin et les préceptes moraux les faisaient avancer vers la justice.

Quant aux parfaits, la Loi, dans ses préceptes cérémoniels, fut pour eux comme un signe, selon cette parole: "Je leur ai donné mes sabbats, afin qu’ils soient un signe entre moi et eux, et qu’ils sachent que je suis le Seigneur qui les sanctifie 5." Dans ses préceptes moraux, <elle leur a été donnée> comme une consolation, selon ce que <l’Apôtre> écrit plus loin: "Je me complais dans la Loi de Dieu selon l’homme intérieur 6."

464. II. Lorsque <l’Apôtre> dit: Mais où la faute a abondé, etc., il montre comment l’abondance des fautes est détruite par la grâce.

A) Et il expose en premier lieu l’abon dance de la grâce.

B) Puis, l’effet de cette grâce abondante [n° 467] 21 afin que, comme le péché a régné, etc.

465. — A. On a dit qu’après l’inter vention de la Loi la faute a abondé, sans que néanmoins le propos divin touchant le salut des Juifs et du genre humain tout entier ait été entravé, parce que où la faute a abondé, à savoir dans le genre humain et en parti culier chez les Juifs, la grâce a surabondé, à savoir celle du Christ qui accorde le pardon des péchés: "Dieu est puissant pour faire abonder toute grâce en vous 7."

466. — Deux raisons 8 peuvent être données à cette abondance de la grâce.

1. Une première raison vient de son effet. Car de même qu’on ne guérit pas d’une maladie grave sans une médecine énergique et efficace, ainsi une grâce abon dante était-elle requise pour guérir l’abon dance des fautes: "Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé 9."

2. L’autre raison peut se fonder sur la disposition du pécheur qui, lorsqu’il reconnaît la grandeur de ses péchés, tantôt désespère et montre du mépris, selon ce verset des Proverbes: "L’impie, lorsqu’il est venu au fond des péchés, montre du mépris; mais l’ignominie le suit ainsi que l’opprobre 10" tantôt cependant par le secours divin le pécheur est davantage humilié par la considération de ses péchés, et il obtient une plus grande grâce, selon ce verset du psaume 15: "Leurs infirmités se sont multipliées; alors ils se sont hâtés 11."

467. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit: 21 afin que, comme le péché a régné pour la mort, etc., il montre l’effet de cette grâce abondante, qui correspond à l’effet du péché par opposition.

1. Voir Glosa in Rom. V, 20 (GPL, col. 1400 C).

2. Voir Lv 2.

3. Ez 20, 34.

4. Ga 3, 24.

5. Ez 20, 12.

6. Rm 7, 22.

7. 2 Co 9, 8,

8. Lieu parallèle: Somme Théologique 3 Q. 89, a. 2, sol. 3.

9. Le 7, 47.

10. Pr 18, 3.

11. Ps 15, 4. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 15, 4.



Afin que, comme le péché, introduit par le premier homme et devenu abondant par la Loi, a régné, c’est-à-dire a étendu sa domination complète sur les hommes, au point de les mener jusqu’à la mort temporelle et éternelle: "la solde du péché est la mort 1." — Que de même la grâce de Dieu régnât, c’est-à-dire domine en nous complè tement, par la justice, qu’elle produit en nous. Ainsi est-il écrit plus haut: "étant justifiés gratuitement par sa grâce 2", et cela jusqu’à ce qu’elle nous conduise à la vie éternelle 3, <car> selon ce que <l’Apôtre> dit plus loin: "la grâce de Dieu est la vie éternelle." Et tout cela par Jésus-Christ Notre Seigneur, qui est le donateur de la grâce "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 5", et même la justice "Vous êtes dans le Christ Jésus, que Dieu a fait pour nous notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption 5." Il est aussi le donateur de la vie éternelle: "Moi je leur donne la vie éternelle 6."

1. Rm 6, 23.

2. Rm 3, 24.

3. Rm 6, 23.

4. Jn 1, 17.

5. 1 Co 1, 30.

6. Jn 10, 28.



CHAPITRE 6


Leçon 1 [versets 1 à 5]

27
075 (
Rm 6,1-5)


[n° 468] 1 Que dirons-nous donc? Demeu rerons-nous dans le péché afin que la grâce abonde?

[n° 470] 2 Loin de là! Car nous qui sommes morts au péché) comment vivrions-nous encore en lui?

[n° 472] 3 Ou ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés?

[n° 474] 4 Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en <sa> mort) afin que, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie.

[n° 477] 5 Car si nous avons été faits une même plante avec lui par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résur rection semblable,

468. Après avoir montré que par la grâce du Christ nous sommes libérés du péché passé [n° 406], aussi bien de celui qui a été introduit par le premier homme que de celui qui a abondé par la Loi, l’Apôtre montre à présent que par la grâce du Christ nous est donné le pouvoir de résister aux péchés futurs.

Et sur ce point il fait deux choses:

I) Il pose d’abord une question qui naît de ce qui précède.

II) Puis, il la résout [n° 470] 2 Loin de là! Car nous qui, etc.

469. — I. <L’Apôtre> avait dit plus haut que là où la faute a abondé la grâce a surabondé. Ce qu’on pourrait mal comprendre, en ce sens que l’abondance de la faute aurait été la cause de la surabon dance des grâces. Et c’est pourquoi il pose une question en disant: Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché afin que la grâce abonde? Il faudrait assurément le dire si l’abondance de la faute avait été la cause de l’abondance de la grâce, et non pas seulement l’occasion, comme on l’a dit plus haut. Et d’où ce que l’Apôtre écrivait aussi plus haut, au chapitre 3: "Et pour quoi, comme certains blasphémateurs nous le font dire, ne ferions-nous pas le mal pour qu’en vienne le bien 1?" — "Le bonheur est-il pour tous ceux qui prévariquent et qui agissent iniquement 2 ?"

470. — II. En disant ensuite: 2 Loin de là ! Car nous qui sommes morts, etc., <l’Apôtre> résout la question posée.

1. Rm 3, 8.

2. Jr 12, 1.

Et il commence par donner la raison pour laquelle nous ne devons pas demeurer sous le péché.

Puis, il conclut l’exhortation qu’il s’était proposée [n° 492]: 12 Que le péché ne règne donc point, etc.

Sur le premier point:

Il donne en premier lieu la raison pour laquelle il ne faut pas demeurer dans le péché.

Ensuite, il nous montre que nous avons le pouvoir de ne pas y demeurer [n° 478]: 6 sachant bien que, etc.

Pour établir qu’on ne doit pas demeurer dans le péché, il fait ce raisonnement: Si nous sommes morts au péché, nous ne devons pas vivre en lui; mais nous sommes morts au péché, donc nous ne devons pas vivre dans le péché.

Pour appuyer ce raisonnement il fait alors quatre choses:

A) Il expose premièrement une proposition conditionnelle.

B) Il prouve ensuite un fait antécédent [n° 472]: 3 Ou ignorez-vous, etc.

C) Puis, en conclusion, il en tire cette conséquence [n° 476]: afin que, comme le Christ, etc.

D) Enfin il prouve la nécessité de cette conséquence [n° 477]: 5 Car si nous avons été faits une même plante, etc.

471. — A. Il dit donc d’abord: Loin de là!, à savoir, qu’on doive demeurer dans le péché avec l’intention que la grâce abonde, parce que, ainsi qu’il est écrit dans l’Ecclé siastique: "A personne <le Seigneur> n’a commandé d’agir d’une manière injuste, et à personne il n’a donné la permission de pécher 1. Et en voici la raison: Car si nous sommes morts au péché, c’est-à-dire si le péché a été mis à mort en nous, comment vivrions-nous encore en lui? Car l’ordre naturel des choses n’admet pas qu’on revienne de la mort à la vie: "Que les morts ne revivent point 2." — "J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je 3 ?"

472. — B. En disant ensuite: Ou ignorez-vous, etc., <l’Apôtre> prouve un fait antécédent, à savoir, que les fidèles sont morts au péché.

1) Et pour montrer sa proposition il expose d’abord un moyen terme.

2) Puis il développe l’introduction de ce moyen terme [n° 474]: Car nous avons été ensevelis, etc. 4

473. 1. Il dit donc d’abord: Ou ignorez-vous, etc. — autrement dit, ce qui doit être exposé pour vous est tellement manifeste, qu’il ne vous est pas permis de l’ignorer "Si quelqu’un l’ignore, il sera ignoré 5." — que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ. Ce passage se comprend de trois manières:

a. Premièrement, suivant l’institution de Jésus-Christ: "Enseignez toutes les nations les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit"

1. Eccli (Si) 15, 21.

2. Is 26, 14a.

3. Ct 5, 3.

4. L’interprétation syllogistique de l’argumentation paulinienne peut surprendre saint Paul se conformerait-il délibérément aux règles d’Aristote? Telle n’est pas la pensée de saint Thomas. Mais la possibilité d’une telle interprétation prouve à ses yeux la parfaite rigueur de cette argumentation et permet de la comprendre dans toute sa précision. Tout syllogisme consiste â montrer qu’une certaine propriété (qu’énonce ce qu’on appelle le grand terme) doit être attribuée à un sujet (qu’énonce le petit terme) au moyen d’une raison qu’énonce un troisième terme appelé précisément pour cela moyen terme. Par exemple, "homme" est le moyen terme grâce auquel " mortel" (grand terme) peut être attribué à Socrate (petit terme). Le syllogisme se développe en trois propositions deux prémisses (la majeure ainsi nommée parce qu’elle contient le grand terme, la mineure parce qu’elle contient le petit terme, l’une et l’autre contenant le moyen terme) et une conclusion qui ne contient que le grand et le petit terme. Le noeud de la démonstration, c’est le moyen terme ayant joué son rôle de lien entre la majeure et la mineure, il disparait de la conclusion. Maintenant chaque proposition peut être la source d’un nouveau syllogisme (polysyllogisme progressif) ou considérée comme la conclusion d’un syllogisme implicite que l’on peut être amené à expliciter (polysyllogisme régressif). C’est le cas ici. Au paragraphe 470, saint Thomas énonce un premier syllogisme à qui est mort au péché (moyen terme) ne peut être attribuée (copule) la vie dans le péché (grand terme); or nous (petit terme) sommes (copule) morts au péché (moyen terme) donc à nous (petit terme) ne peut être attribuée (copule) la vie dans le péché. Mais la force de ce syllogisme dépend de la vérité de son moyen terme que nous sommes morts au péché. Il faut donc établir cette vérité par un nouveau syllogisme dans lequel le baptême dans la mort du Christ va jouer le rôle de moyen terme, ou encore d’inter médiaire (n° 472-476) qui est baptisé dans le Christ est baptisé dans sa mort; et qui est baptisé dans sa mort est enseveli avec lui; et qui est enseveli avec lui ressuscite avec lui et meurt au péché.

5. 1 Co 14, 38.

6. Mt 28, 19.

b. Deuxièmement, par l’invocation de Jésus-Christ: "Ils étaient baptisés, hommes et femmes, au nom de Jésus-Christ 1."

c. Troisièmement, en Jésus-Christ, c’est-à-dire par une sorte de conformité avec le Christ Jésus: "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ 2, vous avez revêtus le Christ" Mais il ajoute: c’est en sa mort que nous avons été baptisés, c’est-à-dire en la ressemblance de sa mort et comme représentant en nous la mort même du Christ: "Portant toujours et partout dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre corps 4." — "Je porte dans mon corps les stigmates de Jésus 5." — Ou bien: en sa mort, c’est-à-dire par la vertu de sa mort" Il nous a lavés de nos péchés dans son sang 6." C’est pourquoi du côté du Christ suspendu à la croix il coula après la mort du sang et de l’eau, comme on le rapporte dans <l’évangile de> Jean 7. Donc de même que nous lui sommes conformés dans la mort, en tant que nous sommes morts au péché, ainsi est-il mort lui-même à la vie mortelle, dans laquelle se trouvait la simi litude du péché, bien qu’il fût sans péché. Donc nous tous qui avons été baptisés, nous sommes morts au péché.

474. — 2. 8 En disant: 4 "Car nous avons été ensevelis, etc., il prouve sa proposition intermédiaire, à savoir que tous nous sommes baptisés en conformité avec la mort du Christ, en disant: Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en <sa> mort. Autrement dit, la sépulture ne se doit qu’aux morts: "Laissez les morts ensevelir leurs morts 9." Or par le baptême les hommes sont ensevelis avec le Christ, c’est-à-dire sont conformés à sa sépulture. Car de même que celui qui est enseveli est déposé sous terre, ainsi celui qui est baptisé est immergé sous l’eau. De là dans le baptême une triple immersion, non seulement à cause de la foi en la Trinité, mais aussi pour représenter les trois jours de la sépulture du Christ. Et de même que les trois jours de la sépulture ne sont qu’une seule sépulture, la triple immersion ne fait qu’un seul baptême. Et de là encore vient <la coutume> dans l’Eglise de célébrer le baptême solennel le samedi saint, où l’on fait mémoire de la sépulture du Christ, et à la vigile de la Pentecôte, où l’on célèbre la solennité du Saint-Esprit, dont la vertu communique à l’eau du baptême sa puissance de purifier, selon ce verset de Jean: "Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit-Saint, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu 10."

475. Il faut cependant remarquer que l’on meurt d’abord corporellement, et qu’on est ensuite enseveli, tandis que la sépulture du baptême cause la mort du péché, parce que le sacrement de la Loi nouvelle rend efficace ce qu’il signifie Aussi, puisque la sépulture qui se fait par le baptême est le signe de la mort du péché, ce sacrement produit cette mort dans le baptisé. Et ainsi <l’Apôtre> dit-il que nous avons été ensevelis [...] en <sa> mort, pour qu’en recevant en nous le signe de la sépulture du Christ nous obtenions la mort du péché.

1. Ac 8, 12.

2. Ga 3, 27.

3. Voir Rm 6, 5; Ph 3, 10.

4. 2 Co 4, 10.

5. Ga 6, 17.

6. Ap 1, 5.

7. "Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. " (Jn 19, 34).

8. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 51, a. 1; Q. 66, a. 8; 4 Sentences dist. 3, Q. 1, a. 4, Q. 2, 3; dist. 23, Q. 1, a. 1, Q. 2.

9. Mt 8, 22. La Vulgate lit: "Dimitte mortuos sepelire mortuos suos. Le mot sinite utilisé par saint Thomas figure notamment dans le commentaire du psaume 67, 8 de saint Hilaire (CSEL 22, 283). Voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. III (Notae ad versionem antiquam), p. 47.

10. Jn 3, 5.

11. Lieux parallèles Somme Théologique Ia-2 Q. 112, a. 1, sol. 2; 3 Q. 62, a. 1; a. 6; 4 Sentences dist. 1, Q. 1, a. 4, Q. 1; dist. 18, Q. 1, a. 3, Q. I, sol. 1; Ad Gai. 2, 16, lect. 4 (éd. Marietti, n° 94); 4 Contra Gentiles c. 57; De veritate, Q. 27, a. 4.



476. — C. Lorsque <l’Apôtre> dit afin que, comme le Christ, il en déduit cette conséquence, à savoir que nous ne devons pas vivre dans le péché. Pour cela, il emploie la similitude de la résurrection du Christ, en disant: afin que, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, c’est-à-dire par la puissance du Père, par laquelle le Père lui-même est glorifié, selon ce verset du psaume: Lève-toi, ô ma gloire 1", de même nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie, c’est-à-dire nous avancions par la pratique des bonnes oeuvres de la vie. Car la vie du péché a sa vieillesse, puisqu’elle nous mène à la corruption: "Ce qui est vieilli et vétuste est près de disparaître 2" Et encore: "D’où vient, Israël, que tu es dans la terre de tes ennemis? Tu as vieilli dans une terre étrangère, tu t’es souillé avec les morts; tu es devenu semblable à ceux qui descendent dans l’enfer 3." Aussi appelle-t-on nouveauté de vie le retour à l’inté grité <originelle>, c’est-à-dire <à la vie> sans péché: "Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle 4." — "Renou velez-vous par l’esprit de votre esprit 5."

477. — D. En ajoutant: 5 Car si nous avons été faits, etc., <l’Apôtre> prouve la nécessité de cette conséquence. Car le Christ après sa mort ressuscita de là il convient que ceux qui sont conformés au Christ quant à la mort dans le baptême, soient aussi conformés à sa résurrection par l’innocence de leur vie. Voilà pourquoi il dit: Car si nous avons été faits une même plante avec lui par une mort semblable à la sienne, c’est-à-dire si nous assumons en nous la ressemblance de sa mort, de manière à lui être incorporés comme une branche qui est greffée à une plante, et entés pour ainsi dire dans la passion même du Christ, nous le serons aussi par une résur rection semblable, c’est-à-dire que nous avons été faits une même plante à sa ressemblance, pour que nous vivions innocents dans la vie présente et que nous parvenions à une gloire semblable <à la sienne> dans la vie future: "Lui qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps de gloire 6." "Si nous mourons avec lui, nous vivrons avec lui 7." Ainsi donc, comme l’Apôtre a prouvé par la similitude de la mort du Christ que nous sommes morts au péché — ce qu’il avait établi comme proposition antécédente —, ainsi par la similitude de la résurrection il a prouvé aussi que nous ne devions pas vivre dans le péché — ce qu’il a introduit plus haut comme proposition conséquente.

1. Ps 56, 8.

2. He 8, 13.

3. Ba 3, 10.

4. Ps 102, 5.

5. Ep 4, 23, Traduction selon l’interprétation préférentielle de saint Thomas dans son Commentaire de l’épître aux Ephésiens 4, 23, lect. 7 (éd. Marietti, n° 243).

6. Ph 3, 21.

7. 2 Tm2, 11.



Thomas A. sur Rm (1999) 26