Thomas A. sur Rm (1869) 49

Romains 10, 18 à 21: La chute des Juifs

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Rm 10,18-21)


SOMMAIRE: Que la chute des Juifs est inexcusable, en ce que leur ignorance fut volontaire, car ils ont entendu par la Loi, par les prophètes et enfin par les apôtres eux-mêmes tout ce qu’il y avait à entendre sur la personne de Jésus-Christ.



18. Cependant, je le demande: est-ce donc qu’ils n’ont pas entendu? Certes, leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde.

19. Je demande en outre: est-ce qu ne l’a pas connu? Moi le premier a dit: Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée.

20. De plus, Isaïe ne craint pas de dire: J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis manifesté ceux qui ne me demandaient pas.

21. Et à Israël il dit: Tout le jour j’ai tendu les bras à ce peuple incrédule et contredisant.



Après avoir montré que la chute des Juifs est digne de compassion, parce qu’ils ont péché par ignorance, l’Apôtre fait voir ici qu’une telle chute n’est pas de tout point excusable, parce que leur ignorance ne fut pas invincible ou amenée par la nécessité, mais en quelque sorte volontaire; il en donne deux raisons: ils entendirent la doctrine des apôtres II° ils connurent l’enseignement de la Loi et des prophètes, à ces mots (verset 19): "Je demande encore: est-ce qu’Israël ne l’a pas connu?"

I° Sur le premier point, S. Paul fait deux choses: I. Il pose la question, en disant: Il a été avancé que la foi vient par l’audition, et qu’on ne peut croire à celui dont on n’a rien entendu; "Je dis donc: est-ce qu’ils n’ont pas entendu?" c’est-à-dire sont-ils par là totalement excusés de leur incrédulité? Suivant ce passage de S. Jean (XV, 22): "Si je n’étais pas venu, et sue ne leur eusse pas parlé, ils ne seraient pas coupables.

I. L’Apôtre répond à. la question qu’il a posée, en citant un passage du Psalmiste, qui dit (XVIII, 4): "Leur voix a retenti jusqu’aux extrémités de la terre," c’est-à-dire la voix des apôtres, à savoir, le bruit de leur prédication s’est fait entendre par toute la terre, non seulement des Juifs, mais de toutes les nations (Job, XXVIII, 22): "L’enfer et la mort ont dit: nous en avons ouï parler," c’est-à-dire de cette Sagesse prêchée par les apôtres. D’ailleurs le Sauveur leur en avait fait un commandement (Marc, XVI, 15): "Allez dans tout l’univers, prêchez l’Evangile à toute créature." - "Et leurs paroles," c’est-à-dire la doctrine nettement exprimée, sont allées "jusqu’aux confins de l’univers," à la lettre jusqu'aux extrémités du monde (Isaïe XXIV, 16): "Des extrémités de la terre, nous avons entendu les louanges et la gloire des justes;" et encore (Isaïe XLIX, 6): "Je t’ai préparé comme la lumière des nations, et le salut des extrémités de la terre." Il faut remarquer que, suivant la pensée de S. Augustin, ces paroles n’avaient pas reçu encore leur accomplissement lorsque l’Apôtre parlait ainsi; mais il prévoyait qu’elles le recevraient. Voilà pourquoi il emploie le passé au lieu du futur, à cause de la certitude du décret divin. David aussi, dont l’Apôtre cite les paroles, se servait, évidemment pour la même raison, du passé au lieu du futur. Si S. Augustin fait cette remarque (épître LXXX I), c’est que, même de son temps, il y avait encore quelques nations, sur certains points de l’Afrique, auxquelles n’avait pas été annoncée la foi de Jésus-Christ. Cependant S. Chrysostome (homélie LXXVI, 2) n’est pas de ce sentiment; il prétend que ce qui est dit ici était accompli déjà du temps des apôtres, rappelant qu’on lit au ch. XXIV, 14, de S. Matthieu: "Et cet Evangile du royaume sera prêché dans tout l’univers, et alors la fin arrivera, " c'est-à-dire la destruction de Jérusalem. L’une et l’autre de ces explications sont vraies dans un sens; car, au temps des apôtres, toutes les nations, même jusqu’aux extrémités du monde, avaient entendu parler de la prédication apostolique, par les apôtres eux-mêmes ou par leurs disciples: S. Matthieu prêcha en Ethiopie; S. Thomas, dans l’Inde; S. Pierre et S. Paul, en Occident. C’est ce que S. Chrysostome veut donner à entendre. Mais la prédication ne fut pas, du temps des apôtres, si universelle que l’Eglise ait pu s’établir chez toutes les nations; ce qui doit avoir lieu avant la fin du monde, comme le dit S. Augustin dans sa lettre à Hésitius. Toutefois l’explication de S. Chrysostome s’accorde mieux que celle de S. Augustin avec le but que l’Apôtre se propose dans ce verset, car ce ne serait pas une raison à donner comme excuse aux infidèles que de leur dire qu’ils entendront par la suite la prédication de la foi. On ne peut pourtant pas conclure de là que la voix de la prédication apostolique soit parvenue à chaque individu, bien qu’elle ait retenti dans toutes les nations.

Ceux-là à qui elle n'est pas arrivée, par exemple les sauvages habitant les forêts, pourront-ils trouver là une excuse?

Il faut répondre que, selon la parole du Sauveur (Jean, XV, 22), ceux qui n’ont pas entendu le Seigneur, par lui-même ou par ses disciples, ont une excuse de leur infidélité; cependant ils n’obtiendront pas le bienfait de Dieu, à savoir, d’être justifiés de leurs autres péchés, qu’ils les aient contractés en naissant ou qu’ils les aient commis en vivant mal: ces fautes sont un juste sujet de leur condamnation. Mais si quelques-uns d’entre eux avaient fait ce qui est en leur pouvoir, le Seigneur eût pourvu à leur salut, en leur envoyant un prédicateur de la foi, comme il envoya S. Pierre à Corneille (Actes X), et S. Paul aux Macédoniens (Actes XVI, 9). Et encore, s’il en est qui fassent ce qu’ils peuvent, à savoir, se tournent vers Dieu, ce bon mouvement vient de Dieu même; car c’est lui qui porte leur coeur au bien (Lament., V, 21): "Seigneur, convertissez-nous à vous, et nous serons convertis."

II° Quand l’Apôtre dit (verset 19): "Je demande encore: est-ce qu’Israël ne l’a pas connu?" il montre que les Juifs sont inexcusables, à raison de la connaissance qu’ils ont eue par la Loi et les prophètes.

I. Il pose la question, en disant: "Mais je demande, allant plus loin: "est-ce qu’Israël" c’est-à-dire le peuple juif; "n’a pas connu" ce qui concerne les mystères de Jésus-Christ, et la vocation des Gentils et leur propre chute? Il les a connus parfaitement (ci-dessus, II, 18): "Instruit par la Loi;" et (Psaume CXLVII, 9): "Dieu n’a pas agi ainsi pour toutes les nations;" et encore (Baruch, IV, 4): "Nous sommes heureux, ô Israël, parce que Dieu nous a manifesté ce qui lui plaît."

II.Lorsqu’il dit (verset 19): "Moïse le premier a dit...," l’Apôtre résout la question, et montre que les Juifs ont eu cette connaissance.

Par la doctrine de la Loi, en disant (verset 19): "Moïse le premier," fut leur législateur. Il ne faut pas entendre par ce mot qu’il y a eu deux Moïse, dont le premier aurait parlé ainsi, mais que Moïse est le premier, c’est-à-dire le principal docteur des Juifs (Deut., XXXIV, 10): "Il ne s’éleva plus aucun prophète en Israël semblable à Moïse." Ou bien encore, Moïse a été le premier par ordre, à parler ainsi, parce qu’il a dit le premier de tous les autres (Deut., XXXII, 21): "Je vous piquerai jusqu’à la jalousie, avec un peuple qui n’est pas un peuple, une nation insensée...; je vous provoquerai jus qu’à la colère." Notre Vulgate porte en cet endroit: "Je les piquerai jusqu’à la jalousie à l’égard de ceux qui n’étaient pas mon peuple; je les irriterai pour une nation insensée." Il faut, dans ce passage, remarquer deux choses distinctes: la première, c’est que Moïse appelle la Gentilité un peuple qui n’est pas un peuple, comme si elle n’était pas digne de porter le nom de peuple, parce qu’elle n’était pas unie au culte d’un seul Dieu (Ecclésiastique L, 27): "Le deuxième peuple que je hais n’est pas un peuple." Il appelle ensuite cette nation du nom d’insensée, car elle pouvait, dans un certain sens, prendre encore le nom de nation, parce qu’elle formait un corps gouverné par des lois humaines; elle est toutefois insensée parce qu’elle était privée de la sagesse véritable, laquelle consiste dans la connaissance et le culte du vrai Dieu (Ephés., XV, 17): "Comme les Gentils qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, ayant l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la vie de Dieu." Ces deux caractères se rapportent à la Gentilité, telle qu’elle était avant sa conversion; mais on peut aussi lui appliquer ces expressions, même après sa con version; car elle n’est plus alors une nation, c’est-à-dire elle ne vit plus à la manière des nations, comme l’Apôtre le dit au même endroit (Ephés., IV, 17): "Ne marchez plus désormais comme les Gentils." La Gentilité convertie est encore appelée nation insensée, selon l’opinion des infidèles (I Cor., III, 18): "S’il y a quelqu’un parmi vous qui passe pour sage dans le siècle, qu’il devienne fou pour de venir sage." La seconde chose à remarquer est que d’abord Moïse nomme la jalousie, c’est-à-dire l’envie que les Juifs portaient aux Gentils convertis (Gal., IV, 17): "Ils s’attachent à vous, mais non par une bonne affection;" ensuite, la colère dont ils sont animés contre eux (Psaume XXXVI, 12): "Le pécheur observe le juste et grince les dents contre lui." L’Apôtre réunit avec raison ces deux passions, car de l’envie naît la colère. Aussi est-il dit au livre de Job (verset 2): "La colère tue l’insensé, et l’envie met à mort le faible." Or, si l’on dit que Dieu porte à la jalousie et inspire la colère, ce n'est pas qu’il le fasse réellement en excitant la malice dans le pécheur, mais c’est qu’il lui retire sa grâce; ou plutôt il provoque la conversion des Gentils, d’où les Juifs prennent occasion de se livrer à la colère et à l’envie.

L’Apôtre montre ensuite qu’ils ont eu cette connaissance par la doctrine des prophètes, et il cite Isaïe annonçant

A) d’abord la conversion des Gentils (verset 20): "Isaïe ne craint pas de dire," c’est-à-dire annonce avec courage la vérité aux Juifs, bien qu’il soit menacé de mort (Job, XXXIX, 21): "Il court avec audace au-devant des armes." Il dit (verset 20): "J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas; je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas." Notre Vulgate porte (Is XLV, 20): "Ils adorent un Dieu qui ne peut les sauver."

B) En second lieu, l’Apôtre montre qu’Isaïe a prédit l’incrédulité des Juifs, en disant (verset 21): "Et à Israël," c’est-à-dire contre Israël (Is 65,2): "J’ai tendu les mains tout le jour à ce peuple in crédule et contredisant." Notre Vulgate porte: "J’ai tendu les bras tout le jour vers un peuple incrédule, qui marche dans une voie mauvaise, à la suite de ses pensées; vers un peuple qui me provoque à la colère." Or ces paroles: "J’ai tendu les mains tout le jour," peuvent: a) d’abord être entendues des mains de Jésus-Christ étendues sur la croix, position que le Sauveur garda tout le jour, c’est-à-dire pendant la principale partie du jour, depuis la sixième heure jusqu’au soir (Matth., XXVII, 46). Et, bien que, durant le temps où le divin Crucifié tenait les mains ainsi étendues, les Juifs eussent vu le soleil s’obscurcir, les pierres se fendre, les tombeaux s’ouvrir, cependant ils s’obstinèrent dans leur incrédulité, "Blasphémant contre Lui," dit S. Matthieu (XXVII, 39). C’est pourquoi S. Paul ajoute: "A un peuple incrédule et contredisant " (Hébr., XII, 3): "Pensez à celui qui a souffert de si grandes contradictions de la part des pécheurs soulevés contre lui." b) Ces paroles peuvent encore se rapporter aux mains de Dieu étendues pour opérer des miracles (Actes IV, 30): "Etendant votre main pour que des guérisons, et des miracles, et des prodiges se fassent au nom de votre saint Fils Jésus." D’après cette interprétation, le sens serait: "tout le jour, c’est-à-dire tout le temps de ma prédication, "j’ai tendu les mains," en faisant des miracles, "à un peuple qui ne croit pas même après avoir vu mes miracles" (Jean, XV, 26): "Si je n’ai pas fait au milieu d’eux des oeuvres qu’aucun autre n’a faites ils ne seraient pas coupables." – "Et contredisant," c’est-à-dire attaquant mes miracles (Matth., XII, 24): "Celui-ci ne chasse s démons que par Beelzébuth, prince des démons;" et (Osée, IV, 4): "Votre peuple est comme ceux qui contredisent les prêtres." c) Enfin on peut entendre ces paroles des mains de Dieu étendues pour combler le peuple juif de bienfaits, selon ce passage des Proverbe (I, 24): "J’ai étendu les mains, et personne n’y a fait attention." Le sens serait: "tout le jour," c’est-à-dire pendant tout le temps de la Loi et des prophètes, "j’ai tendu les mains pour combler de bienfaits un peuple qui ne croyait pas et qui était en révolte contre moi" (Deut., XXXI, 27): "Vous avez toujours disputé et murmuré contre le Seigneur."



CHAPITRE XI: ISRAËL RESTE SIGNE DES TEMPS





Romains 11, 1 à 10: Tous les Juifs n'ont pas trébuché

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Rm 11,1-10)



SOMMAIRE: L’Apôtre montre que tous les Juifs n’ont pu être exclus de la grâce de l’Evangile; il le prouve par ce qui s’est passé pour lui-même.



1. Je dis donc: est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Non, sans doute; car moi-même je suis Israélite, de la race d'Abraham de la tribu de Benjamin.

2. Dieu n'a pas rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience. Ne savez-vous pas ce que l’Ecriture dit d'Elie et comment il interpelle Dieu contre Israël? Disant:

3. Seigneur, ils ont tué vos prophètes, démoli vos autels; et moi, je suis resté seul, et ils cherchent mon âme.

4. Mais que lui dit la réponse divine? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal.

5. De même donc, en ce temps également, les restes ont été sauvés, selon l’élection de la grâce de Dieu.

6. Mais si c'est par la grâce, ce n'est donc pas par les oeuvres; autrement la grâce ne serait plus grâce.

7. Quoi donc? Ce que cherchait Israël, il ne l'a pas trouvé; mais les élus l'ont trouvé, les autres ont été aveuglés;

8. Selon qu'il est écrit: Dieu leur a donné jusqu'à ce jour un esprit de componction des yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour ne pas entendre.

9. David dit encore Que leur table devienne pour eux un piége, un lacet, un scandale et un châtiment;

10. Que leurs yeux s’obscurcissent pour qu'ils ne voient pas; et courbe; leur dos pour toujours.



Après avoir établi que la chute des Juifs est digne de compassion, et cependant qu’elle n'est pas totalement excusable, l’Apôtre montre ici que cette chute n'est pas universelle. Il pose la question; II° il la résout, à ces mots (verset 1): "Non, sans doute..."; III° il déduit la conséquence, à ces autres (verset 7): "Qu’est-il donc arrivé?"

I° Il dit donc: Je réponds à cette question: Est-ce que Dieu "rejeté" totalement "son peuple," c’est-à-dire les Juifs, parce qu’il les appelle "un peuple incrédule et contredisant?" Le Psalmiste fait aussi une question semblable, en disant (LXXIII, 1): "Seigneur, est-ce que vous nous avez rejetés pour toujours?" (Lament., II, 7): "Le Seigneur a rejeté son autel."

II° Quand il ajoute (verset 1): "Non, sans doute..., " S. Paul résout la question, en montrant que Dieu n'a pas rejeté tout le peuple juif. C’est ce qu’indiquent ces mots: "Non, sans doute," il s’en faut que le peuple juif soit rejeté en entier.

I. L’Apôtre le prouve par sa propre personne, en disant (verset 1): "Car moi-même," c’est-à-dire moi qui vis maintenant dans la foi du Christ, "je suis Israélite," à savoir, de nation (II Corinthiens XI, 22): "Sont-ils Israélites? Je le suis également..." Mais, comme dans le peuple d’Israël il y avait quelques prosélytes qui ne descendaient pas des patriarches, selon la chair, il montre, en second lieu, qu’on ne peut pas le ranger dans cette catégorie, et ajoute (verset 1): "De la race d’Abraham" (II Corinthiens XI, 22): "Sont-ils fils de la race d’Abraham ? J’en suis aussi." Or, dans le peuple juif, on distinguait les tribus par les noms des fils de Jacob; les uns étaient enfants de servantes, les autres d’épouses légitimes; Joseph et Benjamin étaient fils de Rachel, l’épouse chérie. Aussi, en troisième lieu, montrant l’excellence de sa race dans le peuple juif, S. Paul ajoute (verset 1): "De la tribu de Benjamin" (Ph 3,5): "Etant de la race d’Israël et de la tribu de Benjamin." C’est de là que quelques interprètes ont appliqué au grand Apôtre ce qu’on lit au ch. XLIX, 27, de la Genèse: "Benjamin est un loup ravissant; le matin il dévorera sa proie, et le soir il partagera les dépouilles."

II.Il prouve, à ces mots (verset 2): "Dieu n'a pas rejeté son peuple," que le peuple juif n'a pas été rejeté par Dieu, par cela même qu’un grand nombre d’élus ont été pris dans son sein. D’abord il propose ce qu’il veut établir; ensuite il emploie une comparaison, à ces mots (verset 2): "Ne savez-vous pas, etc.?" enfin il en fait l’application, à ces autres (verset 5): "De même donc, en ce temps aussi..."

Il dit: Non seulement moi-même je n’ai pas été rejeté, mais Dieu "n'a pas non plus rejeté son peuple," qu’il a tout entier "connu dans sa prescience," c’est-à-dire qu’il a prédestiné (ci-dessus, VIII, 29): "Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés (Psaume XCI, 14): "Dieu ne rejettera pas son peuple." L’Apôtre parle ici des prédestinés.

Lorsqu’il dit (verset 2): "Ne savez-vous pas...?" il emploie une similitude tirée de ce qui arriva au temps d’Elie, alors que tout le peuple paraissait aussi s’être écarté du culte du Dieu unique. D’abord il rappelle l’interpellation d’Elie; ensuite la réponse du Seigneur, à ces mots (verset 4): "Mais que lui dit la réponse divine...?"

A) Il dit donc d’abord: "Ne savez-vous pas ce que dit 1’Ecriture d’Elie?" c’est-à-dire sur Elie (Rois, XIX, 10), ou en Elie, c’est-à-dire dans le livre écrit par Elie (car tout le livre des Rois est écrit principalement pour faire connaître les paroles et les actions des prophètes; c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on le compte parmi les livres prophétiques, comme le remarque S. Jérôme dans le prologue du livre des Rois); "Ne savez-vous pas," dis-je, comment Elie interpelle Dieu contre Israël?"

Cette interpellation d’Elie paraît opposée à ce mot de Samuel (I Rois, XII, 23): "Dieu me garde de ce péché de cesser jamais de prier Dieu pour vous!" A plus forte raison donc ne doit-on pas demander justice contre ce peuple. Il faut dire que les prophètes supplient contre le peuple de trois manières: premièrement, en conformant leur volonté à la volonté divine, qui leur est révélée (Psaume LVII, 10): "Le juste se réjouira quand il verra la vengeance." Secondement, en interpellant contre le règne du péché, afin d’obtenir la destruction non des hommes, mais du péché. Troisièmement ils interpellent Dieu, en ce sens que leur interpellation, ou leur prière, est un acte d’avertissement, selon ce passage de Jérémie (XVII, 18): "Qu’ils soient confondus, ceux qui me persécutent," c’est-à-dire ils seront confondus. Or, dans cette interpellation, Elie allègue contre Israël: a) l’impiété dont les Israélites s’étaient rendus coupables à l’égard du culte de Dieu d’abord, en persécutant ses ministres, ce que l’Apôtre indique en disant (verset 3): "Seigneur, ils ont tué vos prophètes" (III Rois, XVIII, 13): "Ne vous a-t-on pas dit à vous, mon Seigneur, ce que je fis lorsque Jézabel tuait les prophètes du Seigneur? (Actes VII, 52): "Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté?" b) Ensuite, quant aux lieux consacrés à Dieu, selon ce passage (Psaume LXXIII, 8): "Ils ont porté la flamme dans votre sanctuaire." Sur ce crime S. Paul dit (verset 3): "Ils ont démoli vos autels." Sur quoi il faut remarquer qu’au Deutéronome (XII, 5 et 6): "le Seigneur avait fait ce commandement: Vous viendrez au lieu que le Seigneur votre Dieu aura choisi entre toutes vos tribus pour y établir son nom et pour y habiter, et vous offrirez en ce lieu vos holocaustes et vos victimes." Cependant, avant la construction du temple, il était permis au peuple de construire des autels en divers lieux pour le culte divin; et, comme la Loi l’interdisait depuis que le temple était terminé, Ezéchias, ce prince très religieux, fit détruire tous les autels qu’on avait élevés ainsi. On lit, en effet, au 4 des Rois (XVIII, 22): "N’est-ce pas ce Dieu dont Ezéchias a détruit les autels et les hauts lieux, ayant fait ce commandement à Juda et à Jérusalem: Vous n’adorerez plus que dans Jérusalem?" Mais ce qu’Ezéchias avait fait par piété, Achab et Jézabel le firent par impiété, "pour détruire entièrement le culte de Dieu." Il allègue contre eux l’impiété dont ils voulaient se rendre coupables à l’égard du culte du vrai Dieu, en disant (verset 3): "Je suis resté seul," à savoir, seul attaché au culte d’un seul Dieu. Eue parlait ainsi parce que les autres Juifs ne mon traient pas assez ouvertement qu’ils étaient les serviteurs de Dieu; car il est dit de lui (Ecclésiastique XLVIII, 1): "Elie le prophète se leva comme un feu, et ses paroles brillaient comme un flambeau." - "Et ils recherchent mon âme," à savoir, pour m’arracher la vie. En effet, Jézabel avait envoyé un homme à Elie, en disant (III Rois, XIX, 2): "Que mes dieux m’accablent de tous les maux si demain, à cette heure même, je ne vous arrache pas la vie, comme vous l’avez fait à chacun d’eux !" c’est-à-dire aux prophètes de Baal, qu’Elie avait fait mourir.

B) En ajoutant (verset 4): "Mais que lui dit la divine réponse?" S. Paul rapporte cette réponse de Dieu, en disant: Que fut-il répondu, c’est-à-dire à Elie par Dieu lui-même? Ceci, dis-je, qui suit: "Je me suis réservé," comme pratiquant mon culte, "en ne permettant pas qu’ils tombent dans le péché, sept mille hommes" (on indique ici un nombre déterminé pour un nombre indéterminé, à cause de la perfection des nombres sept et mille) qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal," c’est-à-dire qui n’ont pas abandonné le culte de Dieu (Is 43,7): "N’ai-je pas créé pour ma gloire tous ceux qui invoquent mon nom?)"

Lorsqu’il dit (verset 5): "De même donc, en ce temps aussi...," l’Apôtre adapte à sa proposition ce qu’il a dit.

A) D’abord il fait ressortir le point de similitude, en disant (verset 5): "De même dans ce temps aussi," où la multitude du peuple parait s’être écartée de Dieu, "des restes," c’est-à-dire un grand nombre, qui sont restés au milieu d cette ruine, "seront sauvés." ou se sont sauvés "par l’élection de la grâce de Dieu," c’est-à-dire par la gratuite élection de Dieu (Jean, XIV, 16): "Vous ne m’avez pas choisi, c’est moi qui vous ai choisis."

B) Il déduit ensuite de ce qui précède une conclusion, en disant (verset 6): "Mais si c’est par grâce" qu’ils ont été sauvés, ce n’est donc pas par les oeuvres, " c’est-à-dire par leurs oeuvres propres (Tite III, 5): "Il nous a sauvés non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde."

C) Il montre que la conclusion se déduit des prémisses, en disant (verset 6): "Autrement, c’est-à-dire si la grâce vient des oeuvres, "la grâce ne serait plus grâce;" car la grâce n’est ainsi appelée que parce qu’elle est gratuitement donnée (ci-dessus, V, 1): "Justifiés donc gratuitement par la foi."

III° En disant (verset 7): "Qu’est-il donc arrivé?" S. Paul déduit la conclusion proposée.

I. Il l’énonce, en disant: Que dirons-nous donc d’après les prémisses? Nous dirons ceci: "Qu’Israël," quant à la plus grande partie de ce peuple, "n'a pas trouvé ce qu’il cherchait," c’est-à-dire la justice. C’est ainsi qu’il faut entendre ce qui précède (Rom., IX, 31): "Les Israélites, en recherchant la loi de la justice, ne sont pas parvenus à la loi de la justice" (Jean, VII, 34): "Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas." Cependant "L’élection," c’est-à-dire ceux qui furent choisis parmi les Israélites "ont obtenu la justice" (Ephés., I, 4): "Il nous a élus en lui avant la création du monde, afin que par la charité nous fussions saints;" - "Mais les autres," c’est-à-dire l’autre partie du peuple, "ont été frappés d’aveuglement à cause de leur malice" (Sag., XI, 21): "Leur malice les a aveuglés."

II. A ces mots (verset 8): "Selon qu’il est écrit," l’Apôtre développe sa conclusion quant à sa dernière partie: d’abord, par l’autorité d’Isaïe; ensuite, par l’autorité de David, à ces mots (verset 9): "David dit encore d’eux."

Sur la première de ces autorités, il faut remarquer que l’Apôtre compose sa citation avec deux passages. On lit, en effet, au ch. XXIX, 10, d’Isaïe: "Il a répandu sur vous un esprit d’assoupissement.

Quant à ce point, S. Paul dit: "Dieu leur a donné un esprit de componction," ce qui indique la perversité de l’affection; car la componction suppose un déchirement, une douleur de coeur. Il y a, il est vrai, une bonne componction, celle par laquelle on a douleur de ses propres fautes, selon ce passage du psaume LIX, 5: "Vous nous avez abreuvés du vin de componction." Mais il y a aussi une mauvaise componction, par laquelle on a douleur du bien des autres. C’est donc cet esprit de componction, c’est-à-dire d’envie, que Dieu leur a donné, non en leur envoyant la malice, mais en leur retirant la grâce, comme il a été expliqué plus haut, au ch. X, 49: "Je vous piquerai jusqu’à la jalousie pour un peuple qui n’est pas un peuple." On lit encore dans Isaïe (VI, 40): "Aveuglez le coeur de ce peuple, bouchez-lui les oreilles et fermez-lui les yeux, de peur qu’il ne voie de ses yeux et n’entende de ses oreilles. Cette disposition, qui marque le manque d’intelligence, l’Apôtre l’indique en ajoutant (verset 8): "Des yeux pour ne pas voir," c’est-à-dire pour ne pas voir par eux-mêmes les miracles que Jésus-Christ a opérés sous leurs yeux;" et des oreilles pour qu’ils n’entendent pas," à savoir, avec fruit la doctrine de Jésus-Christ et des apôtres (Is 42,20): "Vous qui voyez tant de merveilles, votre coeur n’en est-il pas ébranlé? Vous qui avez les oreilles ouvertes, vous n’entendez donc pas?" S. Paul ajoute ce mot qui vient de lui: "Jusqu’à ce jour, parce qu’à la fin du monde ils verront et entendront," Alors que Dieu ramènera aux pères les coeurs de leurs enfants," ainsi qu’il est dit au prophète Malachie (IV, 6).

Lorsque S. Paul dit (verset 9): "Et David dit encore d’eux," il cite dans le même but un passage du Roi-Prophète.

A) Et d’abord il indique la cause de la chute des Juifs, en disant (verset 9): "Que leur table," c’est-à-dire la malice qui rassasie le pécheur, soit pour eux "un piège, etc." (Job, XX, 12): "Le mal a été un fruit doux à sa bouche, et il le cachera sous sa langue." Or cette table est devant eux "quand ils pèchent avec une malice réfléchie," et elle devient un piège en l’employant pour en faire une amorce au péché (Isaïe XXIV, 48): "Celui qui se sera sauvé de la fosse sera pris au piège;" - "et un lacet," en succombant à la délectation par le consentement (Isaïe VIII, 15): "Ils s’embarrasseront et resteront captifs;" – "et un scandale," c’est-à-dire un pacte avec le péché, en roulant de chute en chute (Psaume CXVIII, 165): "Paix abondante à ceux qui aiment votre Loi: nul scandale ne les fera tomber;" - "enfin une rétribution pour eux," à savoir, lorsqu’ils sont punis pour leurs péchés; ou encore, parce qu’en rétribution de leurs péchés, Dieu a permis qu’ils fissent ces chutes (Psaume XCIII, 2): "Rendez aux superbes ce qui leur est dû." - "La table," c’est encore, si l’on veut, la sainte Ecriture placée devant les Juifs (Proverbes IX, 2): "La Sa gesse a dressé sa table." Cette table devient "un piège" quand il s’y présente quelque ambiguïté; "un lacet," quand elle est mal interprétée; "un scandale," quand on y trouve de quoi s’affermir dans l’erreur, "et une rétribution," comme il vient d’être dit.

B) S. Paul fait ressortir la chute, quant à l’intelligence, lorsqu’il dit (verset 10): "Que leurs yeux soient tellement obscurcis qu’ils ne voient pas," parole qui de sa part est plutôt une prédiction qu’un désir (Ephés., IV, 18): "Ayant l’intelligence pleine de ténèbres." Et quant à l’effet, en ajoutant (verset 10): "Et courbez toujours leur dos," c’est-à-dire permettez qu’en eux le libre arbitre, qui porte au bien et au mal, s’incline des choses éternelles vers les temporelles, de la rectitude de la justice à l’iniquité (Isaïe LI, 23): "Courbez-vous pour que nous passions."



Romains 11, 11 à 16: La future conversion des Juifs

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075 (
Rm 11,11-16)


SOMMAIRE: La chute des Juifs n'est pas inutile, ni irréparable; l’Apôtre le prouve par les avantages qui résultent de cette chute, par l’intention avec laquelle il agit et par la condition même du peuple juif.



11. Je dis donc: ont-ils trébuché jusqu'à tomber? Pas du tout. Mais par leur chute le salut est venu aux Gentils, qui excitaient leur émulation.

12. Que si leur chute fait la richesse du monde, et leur diminution la richesse des Gentils, combien plus encore leur plénitude!

43. Car je le dis à vous, Gentils: tant que je serai l’apôtre des Gentils, j’honorerai mon ministère,

14. M’efforçant d’exciter l’émulation de ceux de ma race, et d’en sauver quelques-uns;

15. Car, si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon une résurrection?

16. Que si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi; et si la racine est sainte, les rameaux aussi.

Après avoir établi que la chute des Juifs n’est pas universelle, S. Paul fait voir ici que cette chute n’est ni inutile ni irréparable. A cet effet, d’abord il montre que cette chute est utile et réparable; ensuite il réprime la présomption des Gentils, qui insultaient aux Juifs, à ces mots (verset 17): "Si donc quelques-uns des rameaux, etc." Sur le premier de ces points, il pose la question; II° il la résout à ces mots (verset 11): "Pas du tout."

I° Il dit: J’ai dit et prouvé que, les élus exceptés, le reste des Juifs a été frappé d’aveuglement; je soulève maintenant cette question: "Les Juifs ont-ils trébuché jusqu’à tomber?" Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières:

d’abord, ainsi: Dieu a-t-il permis leur chute uniquement pour leur chute même? C’est-à-dire sans autre avantage que de satisfaire sa volonté qui voulait leur chute? Un tel but serait opposé à la bonté divine, qui est si grande, remarque S. Augustin dans son Enchiridion (ch. II), que jamais elle ne permettra le mal, si ce n’est en raison du bien qu’elle peut en tirer. C’est de là qu’il est dit au livre de Job (X, 24): "Il en brise une multitude, et il en élève d’autres à leur place; et au livre de l’Apocalypse (III, 11): "Gardez bien ce que vous avez, de peur que quelqu’autre ne reçoive votre couronne," à savoir, parce que Dieu permet la chute de quelques-uns, afin que cette chute devienne pour d’autres une occasion de salut.

On peut, en second lieu, entendre ainsi: "Les Juifs ont-ils heurté jusqu’à tomber?" c’est-à-dire sont-ils tombés pour demeurer tels à toujours? (Psaume XL, 10): "Celui qui dort ne pourra-t-il pas ressusciter?

II° Lorsqu'il dit (verset 11): "Non, sans doute," l’Apôtre résout la question: d’abord, d’après la première explication, en faisant voir que la chute des Juifs a été utile; ensuite, d’après la seconde, en montrant que cette chute est réparable, à ces mots (verset 12): "Que si leur chute, etc."

I. Il dit donc: "Non, sans doute," à savoir, qu’ils soient tombés sans utilité, "mais" plutôt "leur péché," c’est-à-dire celui des Juifs, est devenu occasionnellement le salut des Gentils. De là le Sauveur a dit (Jean, XV, 22): "Le salut vient des Juifs." On peut entendre ce verset de trois manières:

en ce sens que la faute qu’ils ont commise en mettant à mort Jésus-Christ a eu pour conséquence le salut des Gentils par la rédemption du sang du Christ (I Pierre I, 18): "Sachant que ce n'est pas par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanités que vous suiviez, à l’exemple de vos pères, mais par le précieux sang de l’Agneau immaculé."

On peut l’entendre de la faute dont ils se rendirent coupables en repoussant la doctrine des apôtres, ce qui obligea les apôtres de prêcher aux Gentils, suivant cette parole des Actes (XIII, 46): "C’était à vous qu’il fallait annoncer premièrement la parole de Dieu; mais, puisque vous l’avez rejetée, voilà que nous allons vers les Gentils."

Enfin on peut l'entendre en ce sens qu’en punition de leur impénitence, Dieu les a dispersés parmi toutes les nations de la Gentilité. De la sorte Jésus-Christ et son Eglise reçurent en tout lieu des livres des Juifs la preuve de la foi chrétienne, et l’on vit se convertir les Gentils, qui auraient pu soupçonner que les prophéties sur le Christ, invoquées par les prédicateurs de la foi, étaient supposées, si elles n’eussent été avérées par le témoignage même des Juifs; c’est ce qui fait dire au Psalmiste (LVIII, 10): "Il m’a montré le sort de mes ennemis," à savoir des Juifs; "Seigneur, ne les exterminez pas, de peur que mon peuple ne perde le souvenir; mais dispersez-les par une merveille de votre puissance."

L’Apôtre ajoute (verset 11): "Afin qu’ils soient excités par l’émulation." Comme S. Paul ne dit pas qui ou contre qui ils auront de l’émulation, et de plus qu’il y a une double émulation ou jalousie, à savoir: l’une de dépit, l’autre d’imitation, on peut expliquer ce passage de quatre manières.

A) Premièrement le sens serait: que les Gentils "soient leurs émules," à savoir des Juifs, c’est-à-dire qu'ils les imitent en n’adorant qu’un seul Dieu (Ephés., II, 1 et 2): "Vous étiez alors sans Christ, entièrement séparés de la société d’Israël;" et à la suite: "Mais maintenant, vous qui étiez autrefois éloignés, vous êtes rapprochés par le sang du Christ;" (I Thess., II, 14): "Vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée."

B) Un second sens serait: que les Gentils soient remplis d’indignation à l'égard des Juifs, c’est-à-dire soient indignés contre eux à cause de leur incrédulité (Psaume CXVIII, 158): "J’ai vu les prévaricateurs, et j’ai séché dans l’angoisse, parce qu’ils n’ont pas gardé vos commandements."

C) Une troisième interprétation donne ce sens: que les Juifs soient les émules des Gentils, c’est-à-dire les imitent; car de toutes parts, aujourd’hui, il est des Juifs qui se convertissent particulièrement à la foi, à l'exemple des Gentils; et qu’ainsi finalement tout Israël soit sauvé, lorsque la plénitude des Gentils sera entrée, en sorte qu’on voie s’accomplir ce qui est écrit au Deutéronome (XXVIII, 13): "Vous serez la tête des peuples, et non après eux."

D) Enfin on peut dire: que les Juifs soient les émules des Gentils, c’est-à-dire qu’ils soient à leur égard piqués par la jalousie, en voyant que leur propre gloire est transférée à ces peuples (Deut., XXX, 21): "Je les piquerai de jalousie pour un peuple qui n’est pas un peuple."

II. Lorsque l’Apôtre dit (verset 12): "Que si leur faute, etc.," il résout la question, d’après le second sens de l’explication, en établissant que la chute des Juifs est réparable. Il l’établit de trois manières: à raison de l’utilité; à raison même de sa propre intention, à ces mots (verset 13): "Je vous le dis;" à raison de la condition même de ce peuple, à ces autres (verset 16): "Que si les prémices..."

Sur le premier de ces points, S. Paul raisonne ainsi: pour produire quelque chose d’utile, le bien est plus puissant que le mal; or le péché des Juifs a procuré un grand avantage aux Gentils: donc leur bien en procure un beaucoup plus grand au monde. C’est là le raisonnement de S. Paul: "Il a été dit que leur chute est devenue le salut des Gentils;" que si (c’est-à-dire mais si) la chute, à savoir des Juifs, "a été la richesse du monde," c’est-à-dire des Gentils, en ce sens que la chute des Juifs est devenue la richesse spirituelle des Gentils, dont il est dit (Is 33,6): "La sagesse et la science sont vos trésors et votre salut," ce qu’il rapporte à la chute des Juifs; "et si leur diminution," à savoir la faute qui les a fait descendre du haut degré de gloire dont ils jouissaient, expression qui indique leur châtiment (Dan., III, V, 37): "Nous sommes diminués plus que toutes les nations, et nous sommes humiliés aujourd’hui par toute la terre à cause de nos péchés," est devenue la richesse des nations, occasionnellement, comme il a été expliqué; ou encore: "Si leur diminution," c’est-à-dire si quelques individus des plus petits, méprisés parmi les Juifs, "ont enrichi spirituellement les Gentils," à savoir les apôtres, dont il est dit (I Cor., I, 27): "Dieu a choisi ce qu’il y avait de plus faible selon le monde pour confondre ce qu’il y a de plus fort;" - "combien plus leur plénitude," leur abondance spirituelle, ou leur multitude convertie à Dieu, procurera-t-elle la richesse des Gentils (Ecclésiastique XXIV, 16): "Ma demeure est dans la plénitude des saints." Ainsi, si Dieu, pour l’utilité du genre humain, a permis que les Juifs tombassent et que leur nombre fût réduit, avec combien plus de soin restaurera-t-il leurs ruines, pour l’avantage du monde entier.

Lorsqu’il ajoute (verset 13): "Car je le dis à vous, Gentils," il tire la même induction de l’intention qu’il s’est proposée. Il l’indique d’abord; ensuite il en assigne la raison, à ces mots (verset 15): "Car si leur perte, etc."

A) Sur le premier de ces points, il faut considérer que, comme dans les parties précédentes de cette épître, S. Paul avait parlé à tous les fidèles de Rome, qu’ils fussent sortis de la Gentilité ou du Judaïsme; maintenant il s’adresse directement aux Gentils convertis. Il dit donc: "J’ai dit (verset 12) que leur plénitude a fait la richesse du monde;" et, en preuve, "Je vous dis, à vous Gentils," c’est-à-dire aux Gentils convertis à la foi (Is LVIII, 7): "Ne méprisez pas votre chair." Il s’agit ici d’une émulation louable, selon ces paroles (I Cor., XII, 30): "Entre ces dons, désirez les plus parfaits." Ainsi, Je pourrai sauver quelques-uns d’entre eux," c’est-à-dire quelques Juifs (I Cor., X, 33): "Ne cherchant pas ce qui m’est avantageux en particulier, mais ce qui l’est à. plusieurs, afin qu’ils soient sauvés."

Mais ce passage paraît opposé à ce que l’Apôtre dit lui-même (II Cor., X, 13): "Quant à nous, nous ne nous glorifions pas avec excès; mais, selon les bornes que Dieu nous a prescrites, nous nous glorifions d’être allés jusqu’à vous." La mesure de son ministère ne s’étendait, en effet, qu’aux Gentils; il ne devait donc pas se mêler de ce qui regardait les Juifs.

Quelques auteurs disent que les Juifs qui habitaient en Judée n’appartenaient pas à l’apostolat de S. Paul, mais à celui de S. Pierre, de S. Jacques et de S. Jean, comme il est dit dans l’épître aux Galates, ch. II; mais les Juifs qui habitaient parmi les nations appartenaient à son apostolat, et leur salut était l’objet de son zèle. Toutefois cette explication parait contraire à l’esprit de la lettre; car si ces Juifs appartenaient à son apostolat, en s’occupant de leur salut il n’aurait pas honoré son ministère. Il faut donc dire que la prédication des Gentils lui était tellement confiée qu’il y était obligé par nécessité, comme il le dit lui-même (I Cor., IX, 16): "Malheur à moi si je ne prêche pas l’Evangile! Car c’est pour moi une obligation de le faire." Cependant il ne lui était pas interdit de prêcher aux Juifs, quoiqu’il n’y fût pas tenu. Dans ce sens, en s’occupant de leur salut, il honorait son ministère. Il ne se fût pas occupé d’eux s’il eût regardé leur perte comme irréparable. Donc le zèle apostolique avec lequel il travaillait à la conversion des Juifs est indiqué par lui comme une marque que la chute des Juifs est réparable.

B) Lorsqu’il dit (verset 15): "Car Si leur perte est la réconciliation, etc.," il indique le motif de son intention, à savoir, qu’il voyait que la conversion des Juifs était avantageuse au salut des Gentils; ce qui lui fait dire (verset 15): "Car si leur perte," c’est-à-dire leur incrédulité et leur désobéissance, ainsi qu’on dit qu’un esclave est perdu quand il se soustrait aux soins et à l’obéissance de son maître (Jér., L, 6): "Mon peuple a été comme un troupeau perdu;" si, dis-je, "cette perte des Juifs" est devenue occasionnellement "la réconciliation du monde," en tant que par la mort du Christ nous sommes réconciliés à Dieu, "que sera leur retour, sinon une résurrection à la vie?" En d’autres termes, les Juifs seront de nouveau choisis par Dieu, selon ce passage de Zacharie (XI, 7): "J’ai pris les deux houlettes." Que sera, dis-je, l’effet de ce retour, sinon de rappeler les Gentils à la vie? Car les fidèles qui sont engourdis dans la tiédeur sont semblables aux Gentils (Matth., XXIV, 12): "Comme l’iniquité est montée à son comble, la charité de plusieurs se refroidira." Ou encore, parce que ceux qui tomberont entièrement, trompés par l’Antéchrist, seront, après le retour des Juifs, rétablis dans leur première ferveur. Et encore, de même qu’après la chute des Juifs, les Gentils sont réconciliés de leurs anciennes inimitiés, de même, après la conversion des Juifs, la fin du monde approchant déjà, la résurrection générale aura lieu, et par elle les hommes, de morts qu’ils étaient, reviendront à la vie immortelle.

Lorsqu’il dit (verset 16): "Que si les prémices sont saintes," S. Paul continue sa preuve en alléguant la condition de la nation juive. Il le fait de deux manières.

A) Premièrement, du côté des apôtres, lors qu’il dit (verset 16): "Que si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi." Or on donne le nom de prémices à ce qu’on prend d’une masse de pâte comme pour l’essayer. De même les apôtres, choisis par Dieu au milieu de la nation juive, sont comme une portion de la masse; par conséquent, si les apôtres sont saints, c’est que la nation juive elle-même est également sainte (I Pierre, II, 2): "Vous êtes la nation sainte, le peuple conquis."

B) Secondement, du côté des patriarches, qui sont aux Juifs ce qu’est la racine aux rameaux. D’où Isaïe dit (XX, 1): "Il sortira un rejeton de la tige de Jessé." Si donc les patriarches, qui sont la racine, sont saints, les Juifs, qui comme autant de rameaux sont sortis d’eux, sont également saints (Osée, XIV, 6): "Sa racine poussera avec force, comme les plantes du Liban; ses branches s’étendront..."

Mais ceci ne s’accorde pas avec ce passage d’Ezéchiel (XVIII, 5): "Si un homme est juste, il vivra de la vie." Il ne s’ensuit donc pas que si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. D’ailleurs le Prophète ajoute au même endroit que si cet homme a un fils, lequel, voyant les crimes de son père, craigne de les imiter, il ne mourra pas, mais vivra de la vie; il paraît donc encore que si les prémices sont saintes, la conséquence n’est pas que la masse l’est également.

Il faut répondre que l’Apôtre ne parle pas ici de la sainteté actuelle. Car il ne prétend pas montrer que les Juifs incrédules sont sauvés, mais peuvent devenir saints. Rien ne s’oppose, en effet, à ce que ceux-là soient rétablis dans la sainteté dont les pères et les fils sont saints. On pourrait dire encore que ceux-là sont spécialement les rameaux sortis des patriarches, qui les imitent, selon ce passage de S. Jean (VIII, 39): "Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham."




Thomas A. sur Rm (1869) 49