Thomas A. sur Rm (1869) 52

Romains 11, 17 à 24: Les Juifs seront bénis de nouveau

52
075 (
Rm 11,17-24)




SOMMAIRE: L’Apôtre réprime l’orgueil des Gentils à l’égard des Juifs, et entre dans la considération des jugements de Dieu.



17. Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus, et si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté sur eux et fait participant de la sève et de la graisse de l’olivier,

18. Ne te glorifie pas aux dépens des rameaux. Que si tu te glorifies, sache que tu ne portes pas la racine, mais que la racine te porte.

19. Tu diras peut-être: les rameaux ont été rompus afin que je fusse enté

20. Fort bien! C’est à cause de leur incrédulité qu’ils ont été rompus. Pour toi, tu demeures ferme par ta foi; prends garde de t’élever, mais crains.

21. Car, si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels, il pourrait bien ne pas t’épargner toi-même.

22. Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu, sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si toutefois tu demeures ferme dans cette bonté; autrement tu seras aussi retranché.

23. Mais eux-mêmes, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, seront entés; car Dieu est puissant pour les enter de nouveau.

24. En effet, si tu as été coupé de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier.

L’Apôtre, après avoir établi que la chute des Juifs a été utile et qu’elle est réparable, réprime ici la présomption des Gentils à l'égard des Juifs. A cet effet, il prouve aux Gentils convertis qu’ils n’ont pas à se glorifier à l’égard des Juifs; II° il répond à une objection des Gentils, à ces mots (verset 19): "Tu diras peut-être: les rameaux ont été brisés..."

I° Sur le premier de ces points, I. S. Paul défend aux Gentils de se glorifier à l’égard des Juifs; II. Il donne la raison de sa défense, à ces mots (verset 18): "Que si tu te glorifies..."

I. Il semblait qu’il y eût pour les Gentils deux motifs de se glorifier à l’égard des Juifs.

A cause de la chute des Juifs. En effet, il a été dit que si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi; "mais si de ces rameaux," c’est-à-dire des Juifs, "quelques-uns," non pas tous cependant, "ont été rompus," c’est-à-dire séparés de la foi de leurs pères, que l’Apôtre compare à la racine, ne vous laissez pas toutefois aller à la vaine gloire (Job, XV, 30): "La flamme a dévoré ses rejetons;" et (Sag., IV, 5): "Leurs branches seront brisées avant n’avoir pris leur accroissement."

La seconde occasion de se glorifier paraît venir de leur élévation. Or l’élévation porte ordinaire ment d’autant plus à la vaine gloire celui qui en est l’objet, qu’il sort d’un état plus humble, selon ce passage des Proverbes (XXX, 21): "Trois choses troublent la terre, et la quatrième l’ébranle: l’esclave qui règne."

A) Voilà pourquoi S. Paul rappelle d’abord l’état d’abjection d’où les Gentils ont été tirés, en disant (verset 17): "Si toi," Gentil, dans l’état de gentilité, "tu n’étais qu’un olivier sauvage," c’est-à-dire un arbre infructueux (Jér., XVII, 6): "Ils seront comme la bruyère du désert;" et (Matth. III, 10): "Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé."

B) Ensuite il rappelle leur élévation. a) Et d’abord ils ont été élevés à la dignité du peuple juif, ce qui lui fait dire (verset 17): "Tu as été enté sur eux," c’est-à-dire à leur place (Job, XXXIV, 24): "Il en brisera un grand nombre et en établira d’autres à leur place." b) Ensuite ils ont été associés aux patriarches, qu’il avait comparés plus haut à la racine; ce qui lui fait dire (verset 11): "Et fait participant de la racine," c’est-à-dire associé aux patriarches et aux prophètes (Matth., VIII, 11): "Un grand nombre viendront d’Orient et d’Occident, et s’assoiront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux." c) Enfin il compare leur gloire à celle des apôtres, lorsqu’il dit (V, 17): "Et à la graisse de l’olivier. Ce nom d’olivier est donné au peuple juif à cause de l’abondance des fruits spirituels qu’il a portés (Jér., XI, 16): "Olivier beau, fertile, verdoyant, tel était le nom que te donnait le Seigneur!" et (Psaume LI, 10): "Je suis, dans la maison de Dieu, comme un olivier qui porte du fruit." De même donc que les patriarches et les prophètes sont la racine de cet olivier, ainsi sa sève est l’abondance de la grâce du Saint Esprit, que les apôtres ont reçue avant tous les autres, comme le remarque la Glose; c’est de là qu’au livre des Juges (IX, 9) on fait dire à l’olivier: "Puis-je abandonner mon huile?" et (Psaume LXII, 5): "Mon âme sera comme engraissée et rassasiée." Ainsi donc les Gentils ont été élevés à la société de ce peuple, à savoir, des patriarches, des apôtres et des prophètes (Ephés., II, 19): "Vous êtes de la cité des saints et de la maison de Dieu, comme un édifice bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes." Et cependant, ô Gentil, bien que tu paraisses avoir ces motifs de te glorifier, "Ne te glorifie pas aux dépens des rameaux," c’est-à-dire à l’égard des Juifs (I Cor., V, 6): "Il ne convient pas de vous glorifier!"

II. Lorsqu’il dit (verset 18): "Que si tu te glorifies...," S. Paul donne la raison de l’avertissement qui précède, en disant: "Que si," non obstant sa défense, "tu te glorifies," en insultant aux Juifs qui ont été séparés ou qui sont encore debout, sache, "pour réprimer ta présomption," que tu ne portes pas la racine, mais que c’est la racine qui te porte;" c’est-à-dire que la Judée n’a pas reçu de la Gentilité le salut, mais que c’est bien plutôt le contraire (Jean, IV, 22): "Le salut vient des Juifs." C’est de là aussi qu’il a été promis à Abraham (Gen., XXII, 18) qu’en lui seraient bénies toutes les nations de la terre.

II° Lorsque S. Paul dit (verset 19): "Tu diras peut-être..., il répond à une objection des Gentils. Et d’abord il la propose; puis il y ré pond par la considération des jugements divins, à ces mots (verset 20): "Fort bien;" enfin il les porte à réfléchir attentivement sur ces jugements, à ces autres (verset 22): "Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu."

I. Il dit donc (verset 19): "Donc," ô Gentil, toi qui te glorifies à l’égard des Juifs, "tu diras peut-être: les rameaux ont été rompus pour que je fusse enté," c’est-à-dire Dieu a permis que les Juifs fussent déchus de la foi afin que j’y entrasse. Or nul ne supporte une perte si ce n’est pour obtenir un bien et plus précieux et plus aimé. C’est ainsi qu’un médecin se décide à laisser souffrir le pied afin de procurer la guérison de l’oeil. De même la conduite de Dieu montre que la Gentilité lui est plus précieuse, et qu’il l’aime plus que la Judée. Delà ces paroles (Malachie, I, 10): "Mon amour n'est pas en vous, dit le Seigneur des armées, et je ne recevrai pas de présents de vos mains. Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est grand parmi les nations;" et (Isaïe XLIX, 6): "C’est peu que tu me serves pour réparer les restes de Jacob. Je t’ai établi pour être la lumière des nations."

II. Lorsqu’il ajoute (verset 20): "Fort bien," il réfute l’objection.

Il indique la cause de la chute des Juifs et de l’élévation des Gentils, en disant (verset 20): "Fort bien. Il est vrai, Dieu a permis que les rameaux fussent rompus pour que vous soyez entés;" mais voyez ce qui a fait rompre ces rameaux: "Ils ont été rompus," je le répète, "à cause de leur incrédulité," c’est-à-dire parce qu’ils n’ont pas voulu croire à Jésus-Christ (Ezéchiel, II, 6): "Ceux qui sont avec vous sont incrédules et rebelles;" et (Jean, VIII, 45): "Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?" – "Pour toi, ô Gentil, tu demeures ferme par ta foi," c’est-à-dire en croyant en Jésus-Christ, en qui tu as reçu la grâce (II Cor., I, 23): "Vous demeurerez fermes par la foi;" et (I Cor., XV, 4): "Je vous rappelle le souvenir de l’Evangile, que je vous ai prêché, que vous avec reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés."

S. Paul donne un avertissement, en disant (verset 20): "Ne cherche pas à t’élever," c’est-à-dire ne te laisse pas aller à présumer de toi au delà des bornes (ci-après, XII, 16): "Ne vous élevez pas à des pensées trop hautes, mais consentez à ce qu’il y a de plus humble; (Psaume CXXX, 1): "Seigneur, mon coeur ne s’est pas enorgueilli, et mes yeux ne se sont pas élevés;" - "mais crains" (verset 20), à savoir, que tu ne sois également brisé pour ton incrédulité; et ceci appartient à la crainte véritable (Proverbes XXVIII, 24): "Heureux l’homme qui craint toujours! mais celui qui endurcit son coeur se précipitera dans le mal;" (Ecclésiastique I, 27): "La crainte du Seigneur dissipe le péché."

Il donne la raison de son avertissement, en disant (verset 21): "Car si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels," c’est-à-dire les Juifs, qui, par leur origine selon la chair, étaient descendus des patriarches, s’il les a laissés se briser, "crains aussi qu’il ne t’épargne pas non plus," c’est-à-dire qu’il ne permette que tu tombes par ton incrédulité (Proverbes VI, 34): "La jalousie et la fureur de l’époux ne pardonneront pas au jour de la vengeance;" (Jér., XII, 14): "Je ne leur pardonnerai pas, je ne les épargnerai pas, mais je les perdrai sans ressource." La solution donnée par S. Paul consiste donc en ceci, qu’un chrétien qui reconnaît avoir reçu la grâce ne doit pas, en voyant un de ses frères tomber, s’élever au-dessus de celui qui tombe, mais bien plutôt craindre pour lui-même, parce que l’orgueil est le principe de la chute, et la crainte un principe de prudence et de conservation.

III. Lorsque l’Apôtre dit (verset 22): "Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu," il porte les Gentils à considérer avec attention les jugements divins. D’abord il les amène à cette considération; ensuite il les instruit, comme si d’eux-mêmes ils n’étaient pas aptes à le faire, à ces mots (verset 25): "Je ne veux pas, mes frères, vous laisser ignorer;" enfin, comme si lui-même ne pouvait pas parfaitement approfondir ces jugements, il s’écrie, en admirant la divine sagesse (verset 23): "O profondeur des trésors de la science de Dieu!" Sur le premier point il fait trois choses

Il montre ce qu’il faut voir dans les jugements de Dieu, en disant (verset 22): "Vois donc," c’est-à-dire considère diligemment, "la bonté de Dieu," qui fait miséricorde (Psaume LXXII, 1): "Que Dieu est bon à Israël, à ceux qui ont le coeur pur!" (ci-dessus, II, 4): "Est-ce que vous méprisez les trésors de sa bonté et la sévérité de ses châtiments?" (Psaume XCI, 1): "Le Seigneur est le Dieu des vengeances; et au prophète Nahum (I, 2): "Jéhovah est le Dieu jaloux et vengeur." De ces considérations, la première produit l’espérance; la seconde, la crainte, qui fait éviter le danger de la présomption.

Il fait entendre sur qui il faut faire ces considérations, quant à ce qui précède, en disant (verset 22): "Envers ceux qui sont tombés," c’est-à-dire les Juifs, "la sévérité " (Lament., II, 17): "Le Seigneur a détruit, et il n'a pas épargné; il a renversé tout ce qu’il y avait de beau dans Jacob;" - "et envers toi," à savoir toi Gentil, qui as été enté, "sa bonté" (Psaume CXVI, 65): "Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur."

Il rappelle dans quelle mesure on doit considérer ce qu’il vient de dire, à savoir, non comme quelque chose d’immuable, mais comme pouvant se modifier dans l’avenir.

A) Et d’abord, quant aux Gentils, il dit: "Vois envers toi la bonté de Dieu, si toutefois tu persévères dans cette bonté" (Jean, XV, 9): "Demeurez dans mon amour;" - "autrement," si tu ne prends soin d’y demeurer par la crainte et l’humilité, toi aussi tu seras retranché." (Matth., III, 10): "Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé."

B) Ensuite il fait la même observation quant aux Juifs. a) Et d’abord il énonce ce qu’il veut établir (verset 3): "Mais eux-mêmes" à savoir les Juifs, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, seront entés, c’est-à-dire seront rétablis dans leur état (Jér., III, 4): "Vous vous êtes corrompue avec ceux qui vous aimaient, cependant revenez à moi, dit le Seigneur." b) Ensuite il prouve ce qu’il avait avancé, en premier lieu par la puissance divine, en disant; (verset 23): "Car Dieu est puissant pour les enter de nouveau:" par conséquent il n’y a pas à désespérer de leur salut (Is 59,1): "Le bras du Seigneur n’est pas raccourci et peut encore sauver." En second lieu, il donne la même preuve par un argument a minori, en disant (verset 24): "En effet, si toi, ô Gentil, tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle," c’est-à-dire de la Gentilité, qui de sa nature était stérile, non pas sans doute en tant que Dieu est auteur de la nature, mais en tant qu’elle est corrompue par le péché (Sag., XII, 40): "Leur nation est méchante et leur malice naturelle;" et (Ephés., II, 3): "Par nature enfants de colère;" - "pour être enté sur l’olivier franc," c’est-à-dire en la foi des Juifs, "contre nature," c’est-à-dire contre le cours ordinaire et naturel des choses. En effet, ce n’est pas l’habitude naturelle que le rameau de l’arbre mauvais soit enté sur l’arbre qui est bon, on fait plutôt le contraire. Or ce que Dieu fait n’est pas contre nature, mais plutôt conforme à la nature. Car nous appelons naturel ce qui est produit par un agent, auquel est naturellement soumis celui qui revoit l’action, quoique cette action ne soit pas selon la nature propre de ce dernier. C’est ainsi que le flux et le reflux de la mer sont naturels, par la raison qu’ils ont pour cause le mouvement de la lune, à laquelle l’eau est naturellement soumise, bien qu’ils ne soient pas naturels par rapport à la forme de l’eau. De même, toute créature étant naturellement soumise à Dieu, tout ce que Dieu fait dans la créature est naturel dans le sens absolu, bien que peut-être il ne soit pas tel eu égard à la valeur propre et particulière de l’être sur lequel cette action s’exerce: par exemple un aveugle qui recouvre la lumière, un mort qui ressuscite. Si, dis-je, cela s’est fait contre nature, "à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels," c’est-à-dire ceux qui, à raison de leur origine selon la chair, appartiennent au peuple juif, " seront-ils entés sur leur propre olivier," c’est-à-dire seront-ils ramenés à la dignité de leurs aïeux (Malachie, IV, 6): "Il ramènera le coeur des pères à leurs enfants, et le coeur des enfants à leurs pères."




Romains 11, 25 à 32: Les juifs signes de la fin des temps

53
075 (
Rm 11,25-32)



SOMMAIRE: L’Apôtre explique comment, par le jugement de Dieu, les Juifs se convertiront à la fin des temps, quand la plénitude des nations sera entrée dans l’Eglise. Les dons de Dieu et sa vocation sont sans repentance.



25. Car je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère (afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux), qu'une partie d'Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des Gentils soit entrée,

26. Et qu’ainsi tout Israël soit sauvé, selon qu est écrit: Il viendra de Sion, Celui qui délivrera et qui bannira l’impiété de Jacob;

27. Et ce sera là mon alliance avec eux, quand j'aurai effacé leurs péchés.

28. Il est vrai que, selon l'Evangile ils sont ennemis à cause de vous; mais, selon l’élection, ils sont très aimés à cause de leurs pères,

29. Car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir.

30. Comme donc autrefois vous-mêmes n’avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde à cause de leur incrédulité,

31. Ainsi eux maintenant n'ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite, et qu’à leur tour ils obtiennent miséricorde;

32. Car Dieu a renfermé tout dans l’incrédulité, pour faire miséricorde à tous.

S. Paul, après avoir fait entrer les Gentils dans la connaissance des divins jugements, qui manifestent la bonté et la sévérité de Dieu, craignant que les Gentils ne soient pas encore assez capables d’approfondir ce qu’il a dit, expose ici ce qu’il en pense lui-même. Il énonce un fait; II° il le prouve, à ces mots (verset 26): "Comme il est écrit;" III° il en indique la raison, à ces autres (verset 30): "Comme donc autrefois, etc."

I° Sur le premier de ces points il fait trois choses:

I. Il indique son intention, en disant: Voici pourquoi je vous ai engagés à considérer la bonté et la sévérité de Dieu, c’est que (verset 25): "Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère;" car vous ne pouvez porter encore tous les mystères. C’est le privilège des parfaits, auxquels le Seigneur dit (Luc, VIII, 10): "Il vous est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu;" et (Sag., VI, 29): "Je ne vous cèlerai pas les secrets de Dieu." Mais l’ignorance de celui-ci vous serait pernicieuse (I Cor., XIV, 18): "Si quelqu’un veut ignorer, il sera ignoré lui-même."

II. L’Apôtre rend raison de cette intention (verset 25): "Afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux," c’est-à-dire pour que vous ne présumiez pas de votre propre sens et que vous ne veniez à juger les autres d’après ce sens, en sorte que vous vous préfériez à eux (ci-après, XII, 16): "Ne soyez pas sages à vos propres yeux " (Is 5,21): "Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux! Malheur à ceux qui croient à leur prudence "

III. L’Apôtre énonce ce qu’il veut établir,

quant à la chute particulière des Juifs, lorsqu’il dit (verset 25): "Israël est tombé dans l’aveuglement, non pas en entier, mais en partie," comme il a été expliqué plus haut (Is 6,10): "Aveuglez le coeur de ce peuple."

Il marque le terme de cet aveuglement, en disant (verset 25): "jusqu'à ce que soit entrée," à savoir dans la foi, "la plénitude des gentils," c’est-à-dire non seulement quelques Gentils en particulier, qui se convertissaient alors, mais que dans la totalité, ou au moins dans la plus grande partie des Gentils, l’Eglise fut fondée (Psaume XXIII, 1): "La terre et tout ce qu’elle contient est au Seigneur." Or on dit des Gentils qu’ils entrent dans la foi quand ils se convertissent, comme si des choses extérieures et visibles, qui étaient l’objet de leur vénération, ils venaient au sens spirituel et sous la volonté divine (Psaume XCIX, 2): "Entrez devant le Seigneur dans l’allégresse." Remarquez que cet adverbe: "jusqu’à ce que," peut désigner la cause de l’aveuglement des Juifs, car Dieu a permis qu’ils fussent aveuglés pour que la plénitude des Gentils entrât, comme on le voit par ce qui précède. Il peut encore désigner le terme, à savoir, que l’aveuglement des Juifs doit durer jusqu’à ce que la plénitude des Gentils soit entrée dans la foi. Cette interprétation s’accorde avec ce que S. Paul ajoute ensuite du rétablissement futur des Juifs, quand il dit (verset 26): "Et qu’ainsi, c’est-à-dire lorsque la plénitude des Gentils sera entrée, "tout Israël soit sauvé," non pas quelques individus ou une partie, comme précédemment, mais la totalité complète (Osée, I, 7): "Je les sauverai, moi le Seigneur leur Dieu;" et (Michée, VII, 19): "Il reviendra et aura pitié de nous."

II° Lorsqu’il ajoute (verset 26): "Selon qu’il est écrit," S. Paul prouve ce qu’il a dit du salut futur des Juifs, I. par voie d’autorité; II. Par un raisonnement, à ces mots (verset 28): "Il est vrai que, selon l’Evangile..."

I. Je dis que tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit (Isaïe LIX, 20), où notre Vulgate porte: "Alors sortira de Sion le Rédempteur, et en faveur des enfants de Jacob qui abandonnent l’iniquité, moi-même j’établirai mon alliance avec eux, dit le Seigneur." Mais S. Paul cite ce passage selon les Septante, et s’appuie sur trois expressions qui en sont tirées:

L’avènement du Sauveur (verset 26): "Il viendra," à savoir un Dieu fait homme pour nous sauver, "de Sion," c’est-à-dire du peuple Juif indiqué par le nom de Sion, montagne de Jérusalem, la métro pole de la Judée; ce qui fait dire au prophète Zacharie (IX, 9): "Tressaillez d’allégresse, fille de Sion; poussez des cris de joie, fille de Jérusalem: voici votre Roi qui vient à vous;" et à S. Jean (IV, 22): "Le salut vient des Juifs." Ou encore: "Il vient de Sion," non pas qu’il y soit né, mais parce que c’est de là que sa doctrine s’est répandue dans tout l'univers, après que les apôtres eurent reçu l’Esprit Saint dans le cénacle de Sion (Is 2,3): "La Loi sortira de Sion."

Il rappelle le salut offert aux Juifs par Jésus-Christ, en disant (verset 26): "Celui qui doit arracher et bannir l’impiété de Jacob." Cette expression: "arracher," peut s’entendre de la remise du châtiment (Ps., CXIV, 8): "Il a délivré mon âme de la mort;" et "bannir l’impiété de Jacob," de la rémission de la coulpe (Psaume LII, 8): "Le Seigneur ramènera son peuple de la captivité." Ou bien l’une et l’autre expression se rapportent à la remise de la peine; mais S. Paul se sert du terme "arracher" à cause du petit nombre qui maintenant sont convertis, avec difficulté et comme avec une sorte de violence (Amos, III, 12): "Comme le berger n’arrache de la gueule du lion que des membres à demi rongés, ainsi seront sauvés les enfants d'Israël." Il dit: "Il bannira l’impiété de Jacob," pour montrer la facilité de la conversion des Juifs à la fin du monde (Michée, VII, 18): "Qui est semblable à vous, ô Dieu, qui ôtez l’iniquité et oubliez les péchés du reste de votre héritage?"

Enfin l’Apôtre montre le mode du salut, lorsqu’il dit (verset 27): "Et cette alliance," à savoir, nouvelle, "je la ferai avec eux, quand j’aurai effacé leurs péchés." Car l’Ancien Testament ne détruisait pas le péché, parce que, comme il est dit (Hébr., X, 4): "Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs efface les péchés. Voilà pourquoi, à cause de l’imperfection de l’ancienne alliance, Dieu leur en promet une nouvelle (Jér., XXXI, 31): "J’établirai une alliance nouvelle avec la maison d’Israël et la maison de Juda." Cette alliance nouvelle sera efficace pour remettre les péchés par le sang de Jésus-Christ (Matth., XXVI, 28): "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés; (Michée, Vu, 19): "Il déposera nos iniquités, et jettera tous nos péchés au fond de l’abîme."

II. En disant (verset 28): "Il est vrai que, selon mon Evangile," S. Paul prouve sa proposition par un raisonnement. Il expose sa preuve; il répond à une objection, à ces mots (verset 29): "Les dons de Dieu sont sans repentir."

Il dit donc que leurs péchés sont effacés, et que s’ils pèchent de nouveau, il est manifeste qu’ils sont pour Jésus-Christ un objet de haine: "Ennemis à la vérité, selon l’Evangile," c’est-à-dire en tant qu’ils attaquent la doctrine de l’Evangile, "à cause de vous," c’est-à-dire que leur haine de l’Evangile tourne à votre avantage, comme il a été expliqué plus haut. De là il est dit (Luc, XIX, 27): "Quant à mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir en ma présence;" (Jean, XV, 24): "Et maintenant ils ont vu mes oeuvres, et ils nous ont haïs, mon Père et moi." Ou: "Selon l’Evangile," parce que cette haine est avantageuse à l’Evangile, dont la prédication, en raison de cette opposition, se répand de tous côtés (Colos., I, 5): "Par la parole véritable de l’Evangile, qui vous est parvenue, comme par toute la terre, où il croit et fructifie." Mais "A cause de leurs pères, ils sont très aimés de Dieu," et cela "selon l’élection;" c’est-à-dire: à cause de la grâce faite à leurs pères, Dieu a choisi leur race (Deut., IV, 37): "Il a aimé vos pères et il a choisi leur race après eux." Il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que les mérites reconnus dans les pères furent la cause de l’élection éternelle des enfants, mais en ce sens que Dieu, de toute éternité, a choisi gratuitement les pères et les enfants, toutefois en suivant cet ordre, que les enfants obtiendraient le salut à cause de leurs pères: non pas que les mérites des pères aient suffi à sauver les enfants, mais à cause d’une sorte de surabondance de la grâce et de la miséricorde divine, qui a été si grande à l’égard des pères, à raison des promesses qui leur ont été faites, leurs fils sont aussi sauvés. On peut encore entendre: "Selon l’élection," par: quant aux élus de ce peuple, ainsi qu’il a été expliqué plus haut (verset 7): "Ceux qui ont été choisis l’ont trouvée." Que s’ils sont "Très aimés de Dieu," il est conforme à la raison qu’ils soient sauvés par Dieu, selon ce passage d’Isaïe (LXIV, 4): "Aucun oeil n’a vu, excepté vous," Seigneur, ce que vous avez préparé pour ceux qui vous aiment."

Lorsque S. Paul ajoute (verset 29): "Car les dons de Dieu… sont sans repentir," il répond à une objection. En effet, on aurait pu lui opposer, par forme d’objection, que les Juifs, très aimés de Dieu autrefois à cause de leurs pères, ne pouvaient plus néanmoins, à raison de la malice dont ils faisaient preuve contre l’Evangile, être sauvés dans l’avenir. Or S. Paul affirme que cette allégation est fausse, en disant (verset 29): "Car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir." Comme s’il disait: que Dieu donne aux uns ou qu’il appelle les autres, c’est sans repentir, parce que Dieu ne se repent pas de tels actes, selon ce passage du premier livre des Rois (XV, 29): "Celui qui triomphe en Israël ne pardonnera pas, il ne se repentira pas;" (Psaume CIX, 5): "L’Eternel l’a juré; il ne révoquera pas son serment." Mais cette doctrine ne paraît pas fondée en vérité; car le Seigneur dit (Gen., VI, 7): "Je me repens d’avoir fait les hommes;" et (Jér., XVIII, 9): "Et soudain je parlerai d’un peuple et d’un royaume pour l’édifier et l’affermir. S’il fait le mal à mes yeux, je me repentirai du bien que j’avais résolu de lui faire."

Il faut répondre que, comme l’on dit que le Seigneur s’est mis en colère, non qu’il y ait en lui l’émotion de cette passion, mais parce qu’il agit comme le fait un homme irrité, quant au résultat de la punition, ainsi l’on dit quelquefois que Dieu se repent, non qu’il y ait en lui quelque changement opéré parle repentir, mais parce qu’il se conduit à la manière de celui qui se repent, alors qu’il change ce qu’il avait fait.

Cependant ne semblerait-il pas que les dons et la vocation de Dieu ne sont pas sans repentir? Puisque les dons divinement accordés se perdent fréquemment, selon cette parole de S. Matthieu (XXV, 28): "Otez-lui le talent qu’il a, et donnez-le à celui qui a dix talents." La vocation de Dieu est aussi quelquefois, ce semble, susceptible de changement, puisqu’il est écrit (Matth., XXII, 14): "Beaucoup sont appelés, peu sont élus."

Il faut dire que le mot don est pris ici pour la promesse, qui se fait selon la prescience de Dieu ou la prédestination; et l’expression: vocation, pour l’élection, attendu qu’à raison de la certitude de l’une et de l’autre, Dieu donne en quelque sorte ce qu’il a déjà promis et appelle ceux qu’il a déjà choisis. Toutefois le don de Dieu, même temporel, et sa vocation temporelle, ne sont pas anéantis par le changement de Dieu, qui se repentirait, mais par le changement de l’homme, qui rejette la grâce de Dieu, suivant ce passage de l’épître aux Hébreux (XII, 15): "Prenez garde que quelqu’un ne manque à la grâce de Dieu."

On pourrait encore donner un autre sens à ce verset, à savoir, que les dons de Dieu accordés dans le Baptême, et la vocation par laquelle le baptisé est appelé à la grâce, sont sans repentir du côté de l’homme baptisé. L’Apôtre parlerait ainsi pour qu’on ne désespérât pas du futur salut des Juifs, quoiqu’ils ne paraissent pas se repentir de leur péché. Mais cette explication semble contredite par ces paroles de S. Pierre (Actes, II, 38): "Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé."

Il faut répondre qu’il y a deux sortes de pénitence: l’une intérieure, l’autre extérieure. La première consiste dans la contrition du coeur, par laquelle on se repent de ses péchés passés; cette pénitence est requise dans le baptisé, car, comme dit S. Augustin dans le livre de la Pénitence, aucun pécheur, du moment qu’il est établi arbitre de sa volonté, ne peut commencer une vie nouvelle s’il ne se repent de sa vie passée; autrement il s’approche du baptême sans sincérité. La seconde consiste dans la satisfaction extérieure; elle n'est pas exigée du baptisé, parce que la grâce baptismale délivre l’homme non seulement de la coulpe, mais encore de toute la peine, en vertu des souffrances de Jésus-Christ, qui a satisfait pour les péchés de tous, comme il a été dit plus haut (VI, 3): "Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, nous l’avons été en sa mort." Aussi est-il dit (Tite, III, 5): "Nous faisant renaître et nous renouvelant par l’Esprit Saint, qu’il a répandu abondamment sur nous."

Cependant, comme les clefs de l’Eglise et tous les autres sacrements opèrent aussi par la vertu des souffrances de Jésus-Christ, ne semble-t-il pas que, par analogie, tous les autres sacrements délivrent l’homme de la coulpe et de toute la peine?

Il faut répondre que les souffrances de Jésus-Christ opèrent dans le Baptême par forme de régénération, ce qui exige que l’homme meure totalement à la première vie pour en recevoir une nouvelle: c’est la raison pour laquelle, dans le Baptême, toute la peine des fautes passées est remise. Mais, dans les autres sacrements, la vertu des souffrances de Jésus-Christ opère par mode de guérison, comme dans la Pénitence. Or la guérison n’exige pas que tout à coup tous les restes de l’infirmité disparaissent. La même raison vaut pour les autres sacrements.

Toutefois, comme la confession des péchés appartient à la pénitence extérieure, on peut demander si la confession est nécessaire dans le Baptême. Il semble qu’elle est obligatoire, car il est dit en S. Matthieu (III, 6) qu’on était baptisé par Jean-Baptiste en confessant ses péchés.

Il faut répondre que le baptême de Jean-Baptiste était un baptême de pénitence, par cette raison qu’en le recevant on s’engageait en quelque sorte à faire pénitence de ses péchés. Il était donc convenable qu’on y fit l’aveu de ces péchés, afin de recevoir une pénitence proportionnée à la mesure des péchés accusés. Mais le Baptême de Jésus-Christ est le baptême de la rémission de tous les péchés, en sorte qu’il ne reste à acquitter par le baptisé aucune satisfaction pour les péchés passés. Voilà pourquoi la confession vocale n’est nulle ment nécessaire. Si cette confession est obligatoire pour le sacre ment de Pénitence, c’est afin que le prêtre, par la puissance des clefs, lie ou délie le pécheur selon ses dispositions.

III° Lorsque S. Paul dit (verset 30): "Comme donc autrefois vous n’avez pas cru à Dieu," il assigne la raison du futur salut des Juifs après leur incrédulité. I. Il établit une similitude entre le salut de l’un et l’autre peuple; II. Il indique la raison de cette similitude, à ces mots (verset 32): "Car Dieu a renfermé tout dans l’incrédulité."

I. Il dit donc: "Je dis que tout Israël sera sauvé, bien que maintenant il soit un objet de haine. Car, de même que vous-mêmes, Ô Gentils, autrefois vous n’avez pas cru à Dieu" (Ephés., II, 12): "Vous étiez alors sans Dieu en ce monde;" - "mais maintenant vous avez obtenu miséricorde." (ci-après, XV, 9): "Les Gentils doivent glorifier Dieu à cause de sa miséricorde;" (Osée, II, 23): "J’aurai pitié de celle qui fut nommée: sans miséricorde;" et cela "à cause de leur incrédulité," qui fut la cause occasionnelle de votre salut, comme il a été expliqué plus haut. "Ainsi eux," c’est-à-dire les Juifs, "maintenant," c’est-à-dire "au temps de la grâce, n’ont pas cru," à savoir en Jésus Christ (Jean, VIII, 46): "Pourquoi ne me croyez-vous pas?" C’est pourquoi S. Paul ajoute (verset 31): "Pour que miséricorde vous fût faite " à cause de la grâce de Jésus-Christ, par laquelle vous avez obtenu miséricorde (Tite, III, 5): "Il nous a sauvés par sa miséricorde." Ou encore: "Eux n’ont pas cru," afin d’arriver ainsi à votre miséricorde; ou: "Eux n’ont pas cru," ce qui est tourné occasionnellement à votre miséricorde, afin qu’eux-mêmes aussi obtiennent un jour miséricorde (Is 14,1): "Le Seigneur aura pitié de Jacob."

II. En ajoutant (verset 32): "Dieu a renfermé tout dans l’incrédulité," S. Paul donne la raison de cette similitude: c’est parce que Dieu veut trouver dans tout l’occasion d’exercer sa miséricorde. C’est ce que dit l’Apôtre: "Dieu a renfermé," c’est-à-dire a permis que tout le genre humain, soit Juifs soit Gentils, fût renfermé dans l’incrédulité, comme sous une chaîne d'erreur (Sag., XVII, 17): "Tous étaient enchaînés par les mêmes liens de ténèbres;" - "pour faire miséricorde à tous," c’est-à-dire afin que sa miséricorde eût lieu à l’égard de tous (Sag., XI, 24): "Seigneur, vous aurez pitié de tous;" paroles qu’il ne faut pourtant pas étendre jusqu’aux démons, suivant l’erreur d’Origène, ni même à tous les hommes en particulier, mais à toutes les classes d’hommes. Car la division se fait ici selon les genres qui renferment les individus, et non selon les individus renfermés dans les genres. Dieu donc veut que tous les hommes soient sauvés par sa miséricorde, afin qu’ils trouvent en cela un sujet de s’humilier, et qu'ils attribuent leur salut non à eux-mêmes, mais à Dieu (Osée, XIII, 9): "Votre perte vient de vous-même, ô Israël, et de moi vous n’avez que le secours;" et (plus haut, III, 19): "Afin que toute bouche soit fermée et que tout le monde se reconnaisse soumis à Dieu."




Thomas A. sur Rm (1869) 52