Thomas A. sur Rm (1869) 56

Romains 12, 4 à 13: Le corps naturel et le corps mystique

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Rm 12,4-13)



SOMMAIRE: Comparaison entre le corps naturel et le corps mystique, afin de faire comprendre l’usage de la grâce et les règles des moeurs.



4. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et comme tous ces membres n’ont pas la même fonction,

5. Ainsi, quoique nombreux, nous sommes un seul corps en Jésus-Christ, tous réciproquement les membres les uns des autres,

6. Ayant aussi des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, donc que celui qui a reçu le don de prophétie s’en serve selon l’analogie de la foi;

7. Que celui qui a reçu un ministère s’y attache; que celui qui a reçu la mission d’enseigner, enseigne;

8. Que celui qui a reçu le don d’exhorter, exhorte; que celui qui fait l’aumône la fasse avec simplicité; que celui qui préside soit vigilant; que celui qui exerce les oeuvres de miséricorde le fasse avec joie.

9. Que la charité soit sans déguisement; ait le mal en horreur, attachez-vous au bien,

10. Vous aimant mutuellement avec une tendresse fraternelle, vous prévenant mutuellement avec honneur;

11. Sans paresse pour le devoir, fervents d’esprit, servant le Seigneur;

12. Vous réjouissant dans l’espérance, patients dans la tribulation, persévérants dans la prière;

13. Partageant avec les saints dans leurs nécessités; empressés à exercer l’hospitalité.

I° Après avoir donné son avertissement, l’Apôtre en expose ici la raison au moyen d’une comparaison entre le corps mystique et le corps naturel.

I. Sur ce qui concerne le corps naturel, S. Paul remarque: l’unité du corps, lorsqu’il dit (verset 4): "Car, comme dans un seul corps;" la diversité des membres, à ces mots (verset 4): "Nous avons plusieurs membres:" le corps humain organisé est constitué par la diversité des membres; la diversité des offices, lorsqu’il dit (verset 4): "Et tous ces membres n’ont pas la même fonction." En effet, la diversité des membres serait sans but s’ils n’étaient destinés à des actes divers.

II. L’Apôtre applique ces trois caractères au corps mystique du Christ, c’est-à-dire à l’Église (Ephés., I, 22 et 23): "Il l’a donné pour chef à toute l’Église, qui est son corps." Pour faire ce rapprochement, il indique encore trois choses:

La multitude des fidèles, qui sont comme les membres de ce corps, lorsqu’il dit (verset 5): "Ainsi, quoique nombreux... (Luc, XIV, 16): "Un homme prépara un grand festin, et invita beaucoup de convives;" et (Is 54,1): "L’épouse abandonnée a des enfants nombreux." Car, bien qu’ils soient en petit nombre par comparaison avec la multitude stérile des réprouvés, selon cette parole de S. Matthieu (VII, 14): "Qu’elle est étroite la voie qui conduit à la vie, et combien peu la trouvent !" cependant, absolument parlant, ils sont en grand nombre (Apoc., VII, 9): "Après cela, je vis une grande multitude que personne ne pouvait compter."

S. Paul indique l’unité du corps mystique, lorsqu’il dit (verset 5): "Nous ne sommes tous qu’un seul corps" (Ephés., II, 14): "C’est lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un." Or l’unité de ce corps mystique est spirituelle; en elle nous sommes unis à Dieu, et les uns aux autres, par la foi et l’affection de la charité, selon ce passage de l’épître aux Éphésiens (IV, 4): "Nous ne faisons qu’un même corps et un même esprit." Et parce que cet esprit d’unité dérive de Jésus-Christ sur nous, comme il a été dit plus haut (VIII, 9): "Celui qui n'a pas l’Esprit du Christ n'est pas à lui," l’Apôtre ajoute (verset 5): "En Jésus-Christ, qui, en nous communiquant son Esprit, nous unit à Dieu et entre nous (Jean, XVII, 22): "Qu’ils ne soient qu’un avec nous, comme nous ne sommes qu’un, Vous et moi."

Il indique la diversité des offices pour l’utilité commune, en disant (verset 5): "Et les membres les uns des autres." Car chaque membre a sa fonction propre et sa propre vertu; et par là, en tant que par sa vertu et sa fonction il est utile à un autre membre, on dit qu’il en est le membre: ainsi le pied est appelé le membre de l’oeil, en tant qu’il porte l’oeil, et l’oeil le membre du pied, en tant qu’il dirige le pied (I Cor., XII, 21): "L’oeil ne peut pas dire à la main: je n’ai pas besoin de toi." De même, dans le corps mystique, celui qui a reçu le don de prophétie a besoin de celui qui a reçu le don des guérisons; ainsi de tous les autres. Donc, chaque fidèle, en servant son frère selon la grâce qui lui a été donnée, devient membre de cet autre frère (Gal., VI, 2): "Portez les fardeaux les uns des autres; et (I Pierre, IV, 10): "Que chacun de vous, selon le don qu’il a reçu, rende service aux autres."

II° Lorsque l’Apôtre dit (verset 6): "C’est pourquoi, ayant tous reçu des dons différents," il développe par parties l’enseignement donné plus haut sur l’usage sobre et modéré qu’on doit faire de la grâce.

I. Il expose la diversité de la grâce, en disant: "Nous sommes," ai-je dit, "les membres les uns des autres," non selon la même grâce, mais comme "ayant reçu des dons différents," non à raison de la diversité de nos mérites, mais s selon la grâce qui nous a été donnée " (I Cor., VII, 7): "Chacun a son don particulier, selon qu’il le reçoit de Dieu, l’un d’une manière, l’autre d’une autre;" (Matth., XXV, 14): "Il appela ses serviteurs, et, leur confiant ses biens, il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième."

II. Il enseigne l’usage des différents dons:

A l’égard des choses divines, quant à leur connaissance, en disant: "Soit la prophétie," dont il faut user, si nous en avons reçu le don, "suivant l’analogie de la foi." Or on appelle prophétie une sorte d’apparition, par révélation divine, de choses qui sont éloignées. C’est de là qu’il est dit (I Rois, IX, 18) que: "Celui qui est appelé aujourd'hui prophète était autrefois appelé voyant." Loin de notre pensée, à raison de leur nature même, sont les futurs contingents qui, par leur défaut d’existence, ne tombent pas sous la connaissance mais les choses divines sont aussi loin de notre connaissance, non à la vérité par leur nature, car elles peuvent être connues parfaitement (I Jean, I, 5): "Dieu est lumière, et il n’y a pas en lui de ténèbres," mais à raison de l’imperfection de notre esprit, qui se trouve, par rapport aux mystères, très clairs en eux-mêmes, comme l’oeil du hibou en face du soleil. Mais, comme chaque chose est qualifiée avec plus de justesse par son essence que par ses rapports avec d’autres, on parle avec plus d’exactitude en disant que les futurs contingents sont loin de notre connaissance; sous ce rapport ils sont, dans le sens propre, l’objet de la prophétie (Amos, III, 7): "Le Seigneur ne fait rien qu’il n’en ait révélé le secret à ses prophètes." Cependant la prophétie est appelée aussi communément la révélation de ce qui est caché. Or ce don de prophétie a existé non seulement dans l’Ancien Testament, mais aussi dans le Nouveau (Joël, II, 28): "Je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils prophétiseront." On donne aussi, dans le Nouveau Testament, le nom de prophètes à ceux qui expliquent les paroles prophétiques, attendu que l’Ecriture sainte est interprétée par le même Esprit sous l’inspiration duquel elle a été écrite (Ecclésiastique XXIV, 46): "Je répandrai encore une doctrine comme une prophétie." Or le don de prophétie, comme les autres grâces gratuitement données, a pour fin l’établissement de la foi (I Corinthiens XII, 7): "Les dons du Saint Esprit qui se manifestent au dehors sont donnés à chacun pour l’utilité de l’Eglise;" et (Hébr., II, 4): "La doctrine de la foi a été confirmée, Dieu attes tant leur témoignage par les miracles, par les prodiges, par les différents effets de sa puissance et par la distribution des dons du Saint Esprit." Voilà pourquoi il faut user de la prophétie "Selon l’analogie de la foi," c’est-à-dire non sans but, mais pour confirmer la foi, et jamais contre elle. Aussi lit-on dans le Deutéronome (XIII, 1): "S’il s’élève parmi vous un prophète, et qu’il vous dise: allons et suivons des dieux étrangers, vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète," à savoir, parce qu’il prophétise contre la règle de la foi. Quant à l’administration des sacrements, l’Apôtre ajoute (verset 7): "Que celui qui est appelé au ministère s’applique à ce ministère," c’est-à-dire: si quelqu’un a reçu la grâce ou l’office d’un ministère, par exemple s’il est évêque ou prêtre, qu’on appelle ministres de Dieu (Is 61,6): "Mais vous, vous serez appelés prêtres du Seigneur, vous serez nommés ministres de notre Dieu," qu’il y réponde en s’acquittant diligemment de ce ministère (II Tim., IV, 5): "Accomplissez votre ministère."

S. Paul traite de ce qui a rapport aux choses humaines par les quelles on peut venir en aide aux autres.

A) D’abord la connaissance ou spéculative ou pratique. Quant à la première, il dit d’abord (verset 7): "Que celui qui enseigne," c’est-à-dire celui qui a reçu l’office ou la grâce d’enseigner, "enseigne la doctrine," c’est-à-dire enseigne avec zèle et fidélité (Job, IV, 3): "Vous en avez instruit plusieurs;" et (Matth., XXVIII, 19): "Allez, enseignez toutes les nations." Quant à la seconde, il ajoute (verset 8): "Que celui qui a reçu le don d’exhorter," c’est-à-dire qui a reçu l’office ou la grâce d’exhorter les hommes au bien, "exhorte" (I Thess., II, 3): "Nous ne vous avons pas prêché une doctrine d’erreur ni d’impureté, et nous n’avons pas voulu vous tromper;" et dans l’épître à Tite (II, 15): "Enseignez ces vérités et exhortez."

B) S. Paul place ensuite ce qui appartient aux oeuvres extérieures, par lesquelles, à l’occasion, on secourt son prochain. Quant à ces oeuvres, il dit: "Que celui qui fait l’aumône," c’est-à-dire qui a reçu la faculté et la grâce de donner (verset 8), "la fasse avec simplicité," c’est-à-dire qu’il ne s’y propose rien de mauvais, comme d’attirer au mal par ses aumônes, ou encore comme si à raison d’un don modique on se proposait d’obtenir quelque chose de beaucoup plus considérable (Ecclésiastique XX, 14): "Le don de l’insensé ne vous sera d’aucune utilité, car il a sept yeux tournés sur vous; il donnera peu et il le reprochera souvent;" et (Proverbes XI, 3): "L’innocence des justes les conduira." Quelquefois aussi l’on peut secourir le prochain en prenant soin de lui, et, quant à cette oeuvre, S. Paul dit (verset 8): "Que celui qui préside," c’est-à-dire celui qui est constitué dans l’office de supérieur, "s’en acquitte avec, vigilance" (Hébr., XIII, 17): "Obéissez à vos guides, et soyez-leur soumis, car ils veillent comme devant rendre compte de vos âmes;" et (II Cor., XI, 28): "Ma sollicitude pour toutes les églises." D’autres fois on peut aider le prochain en soulageant sa misère. Quant à cette oeuvre, l’Apôtre dit (verset 8): "Que celui qui fait les oeuvres de miséricorde," c’est-à-dire celui qui a la faculté et la bonne volonté de faire ces oeuvres, "les fasse avec joie," en s’y portant volontiers (II Corinthiens IX, 7): "Non avec tristesse et par nécessité, car Dieu aime celui qui Gonne avec joie;" (Ecclésiastique XXXV, 11): "Faites tous vos dons avec un visage gai."

Lorsqu’il ajoute (verset 9): "Que votre charité soit sans déguisement, il enseigne l’usage d’un don gratuit qui est commun à tous," c’est-à-dire de la charité. Et d’abord il expose ce qui convient à la charité en général, ensuite ce qui convient spécialement à la charité envers quelques personnes en particulier, à ces mots (verset 13): "Charitables pour soulager les nécessités des saints."

A) Sur le premier de ces points, l’Apôtre montre: a) quelle doit être l’étendue de la charité du côté de celui qui aime; b) ce qu'elle doit être à l’égard du prochain, à ces mots (verset 10): "Aimez-vous d’une charité fraternelle;" c) ce qu’elle doit être à l’égard de Dieu, ces autres (verset 11): "Ne soyez pas paresseux dans l’accomplissement de votre devoir."

a) Sur les qualités de la charité, i) il fait voir d’abord que l’affection doit être vraie, ce qui lui fait dire: "Que votre charité soit ans déguisement," en sorte qu’elle ne soit pas seulement en paroles, "extérieure," mais produite par une véritable affection du coeur ointe à l’efficacité de l’oeuvre (I Jean, III, 48): "N’aimons pas seulement en parole ou de langue, mais par les oeuvres et en vérité;" et (Ecclésiastique VI, 15): "Rien n’égale un ami fidèle." ii) Il déclare que l’affection doit être pure lorsqu’il dit (verset 9): "Ayez horreur du mal," car l’affection est pure quand on ne l’accorde pas à Ion ami pour le mal, mais lorsqu’on aime le prochain de telle sorte qu’on ait en aversion ses vices. De là (I Corinthiens XIII, 6): "La charité ne se réjouit pas de l’injustice, mais de la vérité;" et (Psaume CXVIII, 113): "J’ai haï les méchants." iii) Enfin l’affection doit être irréprochable (verset 9): "Attachez-vous au bien, c’est-à-dire aimez le prochain pour le bien de la vertu (Gal., IV, 18): "Attachez-vous aux bons, pour le bien, en tout temps." Voilà cet amour plein de beauté, dont il est dit (Ecclésiastique XXIV, 4): "Je suis la mère du pur amour."

b) En second lieu, lorsque l’Apôtre dit (verset 40): "Aimez-vous les uns les autres avec une charité fraternelle," il montre quelle doit être la charité fraternelle à l’égard du prochain, i) Et d’abord, quant à l’affection intérieure (verset 10): "Aimez-vous les uns les autres avec une charité fraternelle," c’est-à-dire aimons nos frères non seulement par la charité, mais aimons même la charité qui nous les fait aimer et nous fait aimer d’eux. Car si la charité nous est chère à ce point, nous ne la laisserons pas facilement se briser (Hébr., XIII, 4): "Conservez toujours la charité envers vos frères;" et (Cant, VI, 7): "L’homme donnera tout ce qu’il possède pour la charité, et croira n’avoir rien donné." ii) Ensuite, quant à son effet extérieur (verset 10): "Prévenez-vous mutuellement par des témoignages d’honneur." Sur quoi il faut remarquer premièrement que l’on doit environner le prochain de respect, ce qui constitue l’honneur; car on ne peut aimer véritablement celui que l’on méprise (Ph 2,3): "Que chacun par humilité croie les autres au-dessus de soi." C’est ce qui arrive lorsque chacun considère ses propres imperfections et les qua lités du prochain. Or, sous la dénomination d’honneur, on comprend non seulement le respect, mais encore la subvention du nécessaire. Ainsi ce précepte (Exode, XX, 13): "Honore ton père et ta mère," ordonne de subvenir à leurs nécessités, comme on le voit (Matth., XV, 5) par le reproche que le Sauveur faisait aux Pharisiens d’empêcher, au mépris du précepte, les enfants de secourir leurs parents. Secondement remarquons que l’effet de la charité doit être réciproque, en sorte que non seulement on veuille recevoir des bienfaits, mais encore en accorder (Ecclésiastique XV, 36): "Que votre main ne soit pas ouverte pour recevoir et fermée pour donner;" et (même livre, XIV, 8): "Dans les partages donnez et recevez." S. Paul le donne à entendre, en disant: "Mutuellement." Troisièmement, enfin cet effet doit être prompt et rapide: "Vous prévenant," c’est-à-dire devançant son ami par ses bienfaits (Ecclésiastique XXXVII, 1): "Tout ami dira, et moi aussi: j’ai fait amitié avec cet homme."

c) En ajoutant, en troisième lieu (verset 41): "Sans paresse pour le voir," S. Paul montre quelle doit être la charité envers Dieu. a) Et, d'abord, quant à l’activité même de la charité, en disant: "Sans paresse pour le devoir," à savoir pour le service de Dieu (Michée, VI, 8): "Homme! Je vous montrerai ce qui est bon, ce que le Seigneur demande de vous." Le Prophète ajoute: "Marcher avec crainte en présence du Seigneur " (II Tim., II, 15): "Mettez-vous en état paraître devant Dieu comme un ministre digne de son approbation." b) Quant à l’effet de la charité envers Dieu, l’Apôtre dit (verset 11): "Soyez fervents d’esprit," à savoir dans l’amour de Dieu. Or la ferveur procède de l’abondance de la chaleur; on appelle donc ferveur de l’esprit l’abondance du divin amour qui porte l’homme à se donner tout entier à Dieu. Il est dit en ce sens (Actes, XVIII, 25) qu’Apollon prêchait avec un zèle ardent; (I Thess., V, 19): "N’éteignez pas l’esprit." c) Quant au culte extérieur dû à Dieu, L'Apôtre ajoute (verset 14): "Et servant le Seigneur," à savoir, par le culte de latrie, qui est dû à Dieu seul (Deut., VI, 13): "Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui seul;" (Ps., II, 11): "Servez le Seigneur dans la crainte." Ou, suivant une autre version, "servez-le dans le temps," c’est-à-dire de telle sorte que vous rendiez à Dieu vos devoirs dans le temps convenable (Ecclésiastique III, 6): "Chaque chose a son temps et son moment favorable." d) Quant à la récompense de ce service (verset 12): "Vous réjouissant par l’espérance," à savoir l’espérance de la récompense, laquelle consiste dans la possession même de Dieu (Gen., XV, 1): "Moi, le Seigneur, je serai votre récompense infiniment grande;" et (ci-dessus, V, 2): "Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu." Or l’espérance rend l’homme joyeux à raison de la certitude, mais elle l’afflige à raison du délai, e) Quant à la difficulté que l’homme trouve dans le service de Dieu, S. Paul ajoute (verset 12): "Dans la tribulation," à savoir, que vous souffrez pour Dieu," soyez patients " (ci-dessus, verset 3): "Sachant que la tribulation produit la patience." f) Rassemblant tout ce qu’il vient d’énumérer, l’Apôtre dit (verset 12): "Persévérants dans la prière," parole qui suppose l’assiduité (Luc, XVIII, 1): "Il faut toujours prier et ne pas se lasser;" (I Thess., V, 17): "Priez sans cesse." Car par la prière s’éveille en nous la sollicitude, la ferveur s’enflamme, on prend courage dans le service de Dieu, la joie de l’espérance augmente, et nous recevons secours dans la tribulation (Psaume CXIX, 1): "J’ai crié vers le Seigneur dans ma détresse, et il m’a exaucé."

B) En ajoutant (verset 13): "Partageant avec les saints dans leurs nécessités," S. Paul détermine l’action de la charité à l’égard de certaines personnes en particulier: d’abord, quant à ceux qui sont dans le besoin; ensuite, quant à nos ennemis, à ces mots (verset 14): "Bénissez ceux qui vous persécutent." Sur le premier de ces points, il adresse deux exhortations.

a) D’abord il exhorte à. répandre les bienfaits de la charité sur ceux qui sont dans le besoin: "Partageant avec les saints dans leurs nécessités." Sur quoi il faut remarquer: i) que, d’après le précepte de la charité, on doit faire l’aumône à ceux qui sont dans le besoin ou la nécessité (Ephés., IV, 28): "Qu’il s’occupe, en travaillant de ses mains, à quelque chose d’utile, pour avoir de quoi aider celui qui est dans l’indigence." ii) Remarquez ensuite qu’il faut de préférence secourir les justes et les saints; ce qui fait dire à S. Paul: "Avec les saints dans leurs nécessités " (Ecclésiastique XII, 4.): "Donne au juste et ne reçois pas le pécheur." Toutefois il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que l’on ne doit pas subvenir aux besoins du pécheur nécessiteux, mais qu’il ne faut pas le secourir pour l’aider à pécher. Cependant il est plus utile de secourir les justes, parce que cette aumône est salutaire non seulement du côté de celui qui donne, mais encore à cause des suffrages de celui qui reçoit (Luc, XVI, 9): "Faites-vous des amis au moyen des richesses injustes, afin que, quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels," c’est-à-dire afin que par leurs suffrages vous soyez reçus dans le ciel.

b) En second lieu, S. Paul exhorte spécialement au devoir de l’hospitalité, en disant (verset 13): "Empressés à donner l’hospitalité," à savoir, parce que cette oeuvre de miséricorde renferme les autres oeuvres de miséricorde. Car celui qui pratique l’hospitalité, non seulement donne sa maison à celui qu’il reçoit, mais lui donne de plus tout ce qui est nécessaire (Hébr., XIII, 2): "Ne négligez pas l’hospitalité;" et (Pierre, I, 4): "Exercez entre vous l’hospitalité sans murmure."



Romains 12, 14 à 21: Aimer ses ennemis

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Rm 12,14-21)



SOMMAIRE: Comment il faut conserver la charité à l’égard des ennemis.



14. Bénissez ceux qui vous persécutent; bénissez et ne maudissez pas;

15. Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent;

16. Ayez ensemble les mêmes sentiments;; n'aspirez pas à ce qui est élevé, mais descendez vers ce qui est humble. Ne soyez pas sages à vos propres yeux:

17. Ne rendant à personne le mal pour le mal; procurant le bien non seulement devant Dieu, mais devant tous les hommes.

18. Si cela se peut, et autant qu'il est en vous, ayant la paix avec tous les hommes.

49. Ne prenant pas votre propre défense, mes bien-aimés, mais laissez passer la colère; car il est écrit. A moi appartient la vengeance; c'est moi qui rendrai justice, dit le Seigneur.

20. Au contraire, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire; car, en agissant de la sorte, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête.

21. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais triomphe du mal par le bien.



S. Paul vient d’enseigner comment on doit pratiquer la charité à l’égard de ceux qui sont dans le besoin; il fait voir maintenant comment il faut la pratiquer même avec ses ennemis. Il avertit de l’obligation; II° il prouve ce qu’il a avancé, à ces mots (verset 19): "Car il est écrit."

I° Sur le premier de ces points, il faut remarquer que la charité renferme trois vertus: la bienveillance, qui consiste à vouloir du bien au prochain, sans jamais lui vouloir de mal; la concorde, qui donne aux amis la même volonté et les mêmes répulsions; la bienfaisance, par laquelle on fait du bien à celui que l’on aime, sans jamais le blesser. L’Apôtre établit donc ce qui appartient: I. à la bienveillance; II. à la concorde, à ces mots (verset 15): "Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent;" III. à la bienfaisance, à ces autres (verset 17): "Ne rendez à personne le mal pour le mal."

I. Sur la bienveillance, S. Paul donne ces deux caractères:

Il dit qu’elle doit être large, de telle sorte qu’elle s’étende même aux ennemis (verset 14): "Bénissez ceux qui vous persécutent." Sur ceci, il faut remarquer que bénir c’est dire du bien. Or on peut dire du bien de trois manières: d’abord en l’exprimant, par exemple en louant le bien qui est dans un autre (Ecclésiastique XXXI, 28): "Celui qui pratiquera magnifiquement l’aumône, les lèvres de la multitude le béniront, et le témoignage rendu en faveur de cette vérité sera fidèle." On peut encore dire du bien en le commandant. Bénir ainsi par autorité est le propre de Dieu, dont le commandement fait dériver le bien sur ses créatures. Or ce ministère appartient aux prêtres qui invoquent sur le peuple le nom du Seigneur (Nombres, VI, 23): "Vous bénirez ainsi les enfants d’Israël, et vous leur direz: que le Seigneur te bénisse et veille sur toi; que le Seigneur te montre son visage et qu’il ait pitié de toi; que le Seigneur tourne son visage vers toi et qu’il te donne la paix;" et à la suite: "Ils invoqueront mon nom sur les enfants d’Israël, et je les bénirai." Enfin on bénit en faisant des souhaits (Psaume CXXVIII, 7): "Et ceux qui passaient n’ont pas dit: la bénédiction de Dieu soit sur vous." Dans ce sens, bénir c’est vouloir du bien à quelqu’un, et pour ainsi dire demander du bien pour lui. C’est dans ce sens qu’on l’entend dans ce passage. Ainsi, dans ces paroles (verset 14): "Bénissez ceux qui vous persécutent," S. Paul donne à entendre que nous devons être bienveillants même à l’égard des ennemis et des persécuteurs, en leur souhaitant du bien et en priant pour eux (Matth., V, 44): "Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient." Or ce que dit S. Paul est, sous un rapport, un précepte; sous un autre, un pur conseil. Car, en général, on doit avoir l’affection de la charité pour ses ennemis, en ne les excluant point de la charité commune due au prochain, ni de la prière commune en faveur des fidèles: tel est le précepte obligatoire. Semblablement que, dans le cas de nécessité, on pratique en particulier, à l’égard d’un ennemi, l’acte de la charité, c’est encore de nécessité de précepte. C’est de là qu’il est dit (Exode, XXIII, 4): "Si vous rencontrez le boeuf de votre ennemi ou son âne égaré, ramenez-le." Mais que, dans un cas particulier, on accorde à son ennemi l’affection de la charité, le suffrage de la prière ou le bienfait d’un secours, quelquefois même hors le cas d’extrême nécessité, cela est de la perfection des conseils, parce que cette conduite montre que la charité de l’homme envers Dieu est poussée à un tel degré qu’elle triomphe de toute haine humaine. Quant à celui qui se repent et demande miséricorde, il ne doit plus être compté parmi les ennemis et les persécuteurs; il faut donc lui accorder sans hésitation les marques de la charité (Ecclésiastique XXVIII, 2): "Pardonnez à votre prochain qui vous nuit, et, lorsque vous prierez, vos péchés vous seront remis."

L’Apôtre enseigne que la bienveillance ou la bénédiction doit être pure, c’est-à-dire exempte d’affection étrangère, ce qui fait dire à S. Paul (verset 14): "Bénissez et ne maudissez pas," c'est-à-dire bénissez de telle sorte que jamais vous ne maudissiez. Ceci s’adresse à quelques-uns qui bénissent des lèvres et maudissent de coeur, selon ce passage du psaume XXVII, 4: "Ils parlent de paix à leur frère, et ils cachent le mal dans leur coeur;" et aussi à ceux qui tantôt bénissent, tantôt maudissent, ou bénissent les uns et maudissent les autres (Jacques II, 10): "La bénédiction et la malédiction partent de la même bouche; il n’est pas bien, mes frères, qu’il en soit ainsi; " et (I Pierre, III, 9): "Ne rendez pas l’outrage pour l’outrage."

Contre cette doctrine, on allègue qu’on trouve dans l’Écriture plu sieurs malédictions. Car on lit au Deutéronome (XXVII, 30): "Maudit qui ne demeure pas dans les préceptes de cette loi et qui ne les accomplit pas dans ses oeuvres!" Il faut répondre que maudire, c’est dire du mal; or, ainsi que pour bénir, on peut maudire de trois manières, c’est-à-dire en énonçant, en commandant et en souhaitant; et chacune de ces manières peut être bonne ou mauvaise. Car, si on donne le nom de mal à ce qui est matériellement mauvais, chacune de ces manières, dès qu’elle revêt le caractère du bien, n’est plus illicite, puisque c’est plutôt bénir que maudire. En effet, on juge chaque chose plutôt selon sa forme que selon sa matière: or dire du mal pour le mal, c’est maudire formellement, ce qui est de tout point illicite. Ces deux cas peuvent se présenter quand, en énonçant, on profère le mal. Car il peut arriver quelquefois qu’on dise du mal de quelqu’un pour faire connaître une vérité indispensable: alors on dit le mal, mais avec le caractère du vrai indispensable, ce qui est bien, et par conséquent licite. C’est de cette manière qu’au livre de Job (III, 1) on lit que: "Le saint patriarche maudit le jour de sa naissance," énonçant ainsi la méchanceté de la vie présente, comme l’Apôtre le dit aux Éphésiens (verset 14): "Rachetant le temps, parce que les jours sont mauvais. D’autres fois on énonce le mal du prochain avec le caractère du mal, c’est-à-dire avec l'intention de médire: cette manière d’agir est illicite; car il est dit (I Corinthiens VI, 10): "Ni les médisants ni les ravisseurs du bien d’autrui ne seront héritiers du royaume de Dieu." De même pour celui qui dit le mal en le commandant; il arrive quelquefois qu’on profère, par un bon motif, ce qui est matériellement mal, par exemple quand on donne l’ordre d’infliger le mal de la peine pour satisfaire la justice: cela est licite. C’est dans ce sens que les transgresseurs de la Loi sont maudits, c’est-à-dire sont dévoués au châtiment selon la justice. Quelquefois aussi, sous forme impérative, on profère du mal du prochain injustement, par exemple par haine ou par vengeance: cette malédiction est illicite (Exode, XXI, 17): "Celui qui maudira son père ou sa mère mourra de mort." Il en est de même du mal proféré sous forme de souhait. Car si l’on fait de tels souhaits par le motif du bien, c’est-à-dire pour que l’adversité serve à obtenir un avantage spirituel, cela est licite (Job, V, verset 3): "J’ai vu l’impie affermi dans ses racines, aussitôt; j’ai maudit son éclat. Mais si on le fait par un motif de haine ou de vengeance, cela est absolument illicite (I Rois, XVII, 43): "Le Philistin maudit David par tous ses dieux."

II. Quand S. Paul ajoute (verset 45): "Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent," il expose ce qui a rapport à la concorde; et d’abord il dit ce qui la constitue, ensuite il écarte ce qui peut lui faire obstacle, à ces mots (verset 16): "N’aspirez pas à ce qu’il y a de plus élevé."

Or la concorde peut être considérée de deux manières.

A) D’abord, quant à ses effets dans les maux et dans les biens. a) Dans les biens, on doit se réjouir du bien des autres; ce qui fait dire à S. Paul (verset 15): "Se réjouir," tel est votre devoir, "avec ceux qui se ré jouissent" (Ph 2,17): "J’ai de la joie et je me félicite avec vous." Mais il faut entendre ces paroles de la joie du bien. Or il en est; qui se réjouissent du mal, selon ce passage des Proverbes (II, 14): "Ils se réjouissent lorsqu’ils ont mal fait, et triomphent dans les choses les plus mauvaises." Mais ce n'est pas dans ces choses qu’il faut se réjouir. Il est dit de la charité (I Corinthiens XIII, 6): "qu’elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais qu’elle se réjouit de la vérité." b) Dans les maux, lorsqu’on s’attriste des maux d’autrui, ce qui fait ajouter à S. Paul (verset 15): "Pleurez avec ceux qui pleurent " (Job, XXX, 23): "Je pleurais autrefois sur l"affligé;" et (Ecclésiastique V, 38): "Ne tardez pas à consoler ceux qui pleurent, et marchez avec ceux qui sont dans le deuil." En effet, la compassion d’un ami qui s’afflige avec nous apporte de la consolation dans la tristesse, de deux manières: premièrement, parce qu’on y trouve une preuve efficace d’amitié (Ecclésiastique XII, 7): "Durant la tribulation," c’est-à-dire dans l’infortune," l’ami se fait connaître." Or il n’est pas sans douceur de voir qu’on a un véritable ami. Secondement, par cela même qu’un ami s’afflige avec nous, il paraît s’offrir à porter sa part du fardeau de l’adversité qui cause la tristesse. On trouve moins pesant ce qu’on porte à plusieurs que lorsqu’on est seul.

B) La concorde suppose l’unité des sentiments. Sur ce point l’Apôtre dit (verset 16): "Soyez unis dans le même esprit," c’est-à-dire soyez unanimes, réunissez-vous dans le même sentiment (I Cor., I, 10): "Soyez unis tous ensemble dans un même esprit et dans les mêmes sentiments;" (Ph 2,2): "N’ayez tous qu’un même amour, une même âme et les mêmes sentiments." Il faut cependant remarquer qu’il y a deux sortes de sentiment: l’un qui appartient au jugement de l’intelligence dans ce qui est spéculatif, par exemple sur les matières géométriques ou naturelles. Le dissentiment sur de tels sujets n'est pas opposé à la charité ou à l’amitié, parce que la charité est dans la volonté. Or les jugements de cette nature ne procèdent pas de cette volonté, mais d’une nécessité de logique. L’autre appartient au jugement de la raison sur]es choses pratiques. Sur ces points, le dissentiment est opposé à l’amitié, parce que ce sentiment met les volontés en opposition. Et comme la foi n’est pas seulement spéculative, mais encore pratique, en tant qu’elle " opère par la charité," comme il est dit (Gal., V, 6), pour cette raison, s’écarter de la vraie foi, c’est agir contre la charité.

Lorsqu’il dit (verset 16): "N’aspirez pas à ce qui est élevé," l’Apôtre renverse les obstacles que rencontre la concorde. Ces obstacles sont au nombre de deux.

A) Le premier est l’orgueil, qui fait qu’en recherchant d’une manière immodérée sa propre excellence et en fuyant la subjection, on veut par là se soumettre les autres et abaisser leur propre excellence: de là naît la discorde (Proverbes XI, 10): "Entre les orgueilleux, il y a toujours des querelles." Dans le des sein de prévenir cet orgueil, l’Apôtre dit: "N’aspirez pas à ce qui est élevé," c’est-à-dire ne cherchez pas avec trop d’ardeur votre propre excellence (ci-dessus, XI, 20): "Ne t’élève pas, mais crains;" et (Ecclésiastique I, 22): "Ne cherche pas ce qui est trop au-dessus de toi;" - "mais descendez vers ce qui est humble," c’est-à-dire, à l’occasion, ne repoussez pas ce qui paraît abject (Ps., LXXXIII, 11): "J’ai choisi la dernière place dans la maison de mon Dieu;" (I S. Pierre, VI, 6): "Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu."

B) Le second obstacle à la concorde, c’est la prétention d’être sage ou prudent; ce qui fait qu’on ne croit pas; au sentiment des autres. Pour écarter cet obstacle, S. Paul dit (verset 16): "Ne soyez pas sages à vos propres yeux," à savoir, de telle sorte que vous jugiez qu’il n’y a de prudent que ce qui vous paraît tel (Is 5,21): "Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux et qui êtes prudents à votre jugement!" (ci-dessus, XI, 25): "Afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux."

III. En ajoutant (verset 17): "Ne rendez à personne le mal pour le mal," S. Paul montre ce qui appartient à la bienveillance, en condamnant ce qui lui est opposé. Il déclare qu’on ne doit faire du mal à qui que ce soit, ni par un motif de vengeance, ni sous prétexte de défense: "Ne prenant pas votre propre défense."

Sur le premier de ces points, il défend deux choses:

A) D’abord la vengeance, en disant (verset 17): "Ne rendez à personne le mal pour le mal" (Psaume vu, 4): "Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en avaient fait;" et (I Pierre, III, 9): "Ne rendez pas le mal pour le mal." Mais il faut sous-entendre: formellement, comme il a été dit plus haut de la malédiction; car il nous est interdit de rendre, par un sentiment de haine ou de vengeance, le mal pour le mal, en ce sens que nous nous réjouissions du mal du prochain. Que si, pour le châtiment d’une faute dont un individu s’est rendu coupable, le juge, selon la justice, inflige le mal de la peine proportionnellement à la malice de la faute, matériellement ce juge inflige un mal, formellement et en soi il fait le bien. Donc, lorsque le juge fait attacher au gibet un brigand convaincu d’homicide, il ne rend pas le mal pour le mal, mais plutôt il fait le bien pour le mal. C’est ainsi que S. Paul lui-même livra à Satan un chrétien coupable d’inceste, afin que la peine qui frappait son corps sauvât son âme; c’est ce qu’il dit en I Cor., V, 5.

B) En second lieu, l’Apôtre enseigne quels biens il faut faire au prochain, en disant (verset 17): "Procurant le bien non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes," c’est-à-dire faites ce qui leur est agréable (I Cor., X, 32): "Ne donnez pas occasion de scandale ni aux Juifs, ni aux Gentils, ni à l’Église de Dieu, comme moi-même je m’efforce de plaire à tous et en toutes choses;" et encore (II Cor., VIII, 21): "Procurant le bien non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes." Or cela peut se faire ou bien ou mal. En effet, si l’on agit pour obtenir l’estime des hommes, l’acte est répréhensible (Matth., VI, 1): "Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient." Si ou fait le bien pour la gloire de Dieu, c’est un acte louable, selon ce passage de S. Matthieu (verset 16): "Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux."

C) Il assigne, en troisième lieu, la raison de ces deux règles. Nous devons nous abstenir de rendre le mal aux méchants, et procurer le bien devant les hommes, afin d’avoir la paix avec tous; c’est ce que l’Apôtre ajoute (verset 18): "Vivez en paix avec tous les hommes " (Hébr., XII, 14): "Recherchez la paix avec tout le monde." Toutefois S. Paul pose ici deux conditions: a) la première: "Si cela se peut." Car la malice du prochain empêche quelquefois que nous ayons la paix avec lui, à savoir, parce qu’on ne peut avoir la paix sans donner son assentiment à sa malice: or c’est évidemment une concession illicite; aussi le Sauveur dit (Matth., X, 34): "Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive." b) Seconde condition: Autant qu’il est en vous," c’est-à-dire que, si les méchants agissent de leur côté contre la paix, nous devons, autant qu’il est en nous, agir de manière à avoir la paix avec eux (Psaume CXIX, 6): "Avec ceux qui haïssaient la paix, j’étais pacifique;" et encore (Psaume XXXIII, 15): "Cherchez la paix, poursuivez-la."

En ajoutant (verset 19): "Ne prenant pas votre propre défense, l’Apôtre montre qu’il ne faut pas faire du mal au prochain sous pré texte de se défendre.

A) Et d’abord il pose la règle, en disant: "Ne vous défendez pas vous-mêmes, mes chers frères;" car il est écrit de Jésus-Christ (Isaïe L, 6): "J’ai donné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui me souffletaient;" et (Is 53,7): "Il est resté muet comme l’agneau devant celui qui le tond." De là cette parole du Sauveur (Matth., V, 39): "Si l’on vous frappe sur la joue droite, présentez l’autre." Mais, comme l’a remarqué S. Augustin (Traité contre le mensonge, XV), ce que les saints ont pratiqué dans le Nouveau Testament st pour l’intelligence des Écritures, qui nous donnent les préceptes. Or le Sauveur, ayant reçu un soufflet, n'a pas dit: voici l’autre joue, mais: "Si j’ai mal parlé, dites en quoi j’ai mal dit; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous?" Il montre par là que cet acte d’offrir l’autre joue doit être en disposition dans le coeur. Car le Sauveur était disposé non pas seulement à recevoir un soufflet sur l’autre joue pour le salut des hommes, mais encore à être crucifié dans tout son corps. Et, comme S. Augustin le remarque encore dans sa lettre à Marcellin (ép. V), on met ce précepte en pratique avec intelligence lorsqu’on croit que son accomplissement sera utile à celui pour lequel on l’accomplit et produira en lui la correction et la concorde, bien qu’on obtienne un résultat différent. Il faut donc toujours retenir ces préceptes sur la patience dans le coeur quant à la disposition; et la bienveillance, qui inspire de ne pas rendre le mal pour le mal, doit toujours se trouver dans la volonté. Mais il faut, également, faire souvent beaucoup de choses contre le gré de certaines personnes qu’on doit frapper avec une sorte de bienveillante sévérité.

B) En second lieu, S. Paul assigne la raison de ce qui précède, lorsqu’il dit (verset 19): "Laissez passer la colère...," c’est-à-dire le jugement divin. Comme s’il disait: confiez-vous à Dieu qui, par son jugement, peut vous défendre et vous venger, suivant ce passage de S. Pierre (I Pierre V, 7): "Reposez dans son sein toutes vos inquiétudes, parce qu’il a lui-même soin de vous." Il faut entendre ces paroles des circonstances où nous ne pouvons faire autrement selon la justice; mais parce que, dit le Deutéronome (X, 47): "Le juge ment appartient à Dieu," lorsque l’on recourt à l’autorité du juge pour demander vengeance contre les méchants, sans agir par un motif de haine, ou encore quand on se met à couvert sous l’autorité du supérieur, c’est là ce qu’on entend par laisser passer la colère, c’est-à-dire les jugements de Dieu, dont les princes sont les ministres, comme il est dit au ch. XI, 4. Ainsi S. Paul lui-même, pour se défendre contre les Juifs, a réclamé la force armée, comme on le voit aux Actes (XXIII, 31).

II° Lorsque S. Paul dit (verset 19): "Car il est écrit," il prouve ce qu’il a avancé: d’abord par voie d’autorité; ensuite par voie de raisonnement, à ces mots (verset 21): "Ne te laisse pas vaincre par le mal."

I. Sur sa première preuve, il fait deux choses:

il prouve ce qu’il a dit sur la défense de la vengeance, en disant: "J’ai avancé qu’il fallait laisser passer la colère," c’est-à-dire le jugement de Dieu. "Car il est écrit " (Deut., XXX: "A moi la vengeance," c’est-à-dire réserve-la-moi, "et je la leur rendrai, dit le Seigneur" (Psaume XCIII, 1): "Le Seigneur est le Dieu des vengeances;" et au prophète Nahum (I, 2): "Le Seigneur est un Dieu jaloux et vengeur."

Il prouve par voie d’autorité ce qu’il a dit de la bienveillance qu’on doit témoigner à ses ennemis. Dans cette citation,

A) il pose d’abord une règle, à savoir qu’il faut secourir ses ennemis dans le cas de nécessité, parce que cela: est de nécessité de précepte, ainsi qu’il a été dit (verset 20): "Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire" (Matth., V, 14): "Faites du bien à ceux qui vous haïssent."

B) Ensuite il en donne la raison, en disant (verset 20): "En agissant ainsi tu amasseras des charbons de feu sur sa tête." Or ceci peut être interprété d’abord comme une malédiction; le sens serait: si vous lui faites du bien, ce bien que vous lui ferez se tournera pour lui en mal, parce que ce bien sera le sujet de sa condamnation aux flammes éternelles, en punition de son ingratitude. Mais cette interprétation répugne à la charité, contre laquelle agirait celui qui soulagerait son frère pour qu’il lui en arrivât du mal. Par con séquent, il faut entendre ce passage dans le sens d’un bien. L’Apôtre veut dire: "En agissant ainsi," c’est-à-dire en subvenant à sa nécessité,"tu amasseras des charbons de feu," c’est-à-dire l’amour de charité, dont il est dit (Cant., VIII, 6): "Ses lampes sont des lampes de feu et de flamme."Tu amasseras," c’est-à-dire tu les entasseras, "sur sa tête," c’est-à-dire sur son coeur. Car, comme S. Augustin l’a remarqué (Traité de Catechizandis Rudibus, IV): "Rien de plus puissant pour nous inviter à aimer que d’aimer le premier. Il faut avoir le coeur étrangement dur pour n’aimer pas au moins après cela, quoiqu’on n’aimât pas auparavant.

II. Quand S. Paul dit (verset 21): "Ne te laisse pas vaincre par le mal," il confirme ce qu’il a dit par un raisonnement. Car il est naturel à l’homme de vouloir vaincre son adversaire et de ne pas se laisser vaincre par lui; or celui-là est vaincu par son adversaire qui est entraîné vers lui, comme l’eau est vaincue quand, par l’action du feu, elle passe à l’état de chaleur. Si donc un homme de bien, à raison du mal qu’un autre lui fait, est entraîné à lui faire du mal à son tour, le bon est vaincu par le méchant; quand, au contraire, à raison du bien que nous fais3ns à notre ennemi, nous le forçons à nous aimer, le bon a vaincu le méchant, S. Paul dit donc (verset 21): "Ne te laisse pas vaincre par le mal," à savoir, que te fait celui qui te persécute, jusqu’à le persécuter toi-même (verset 21); "mais, par le bien, triomphe du mal qui t’a été fait," à savoir de telle sorte qu’en faisant du bien h ton ennemi, tu le fasses sortir du mal (I S. Jean, V, 4): "La victoire qui triomphe du mal, c’est notre foi;" et (Jér., XV, 19): "Ils viendront à toi et tu n’iras pas à eux."




Thomas A. sur Rm (1869) 56