Thomas A. sur Rm (1869) 57

CHAPITRE XIII: LA CHARITÉ, RÉSUMÉ DE TOUTE LA MORALE





Romains 13, 1 à 7: Le respect des autorités politiques

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Rm 13,1-7)



SOMMAIRE: L’Apôtre enseigne aux inférieurs comment ils doivent, en pratiquant la charité, obéir aux supérieurs, soit en payant le tribut, soit en se soumettant avec joie. Il réfute l’opinion de quelques chrétiens sur la liberté, opinion récemment renouvelée des premiers hérétiques.



1. Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures, car il n'a pas de puissance qui ne vienne de Dieu; celles qui existent ont été établies par Dieu.

2. Donc, celui qui résiste à la puissance résiste à l de Dieu, et ceux qui résistent attirent à eux-mêmes une juste condamnation:

3. Car les princes ne sont pas à craindre pour les bonnes oeuvres, mais pour les mauvaises. Veux-tu donc ne pas craindre la puissance? Fais le bien, et elle te louera.

4. Car le prince est le ministre de Dieu pour le bien. Mais si tu fais mal, crains, parce que ce n'est pas sans raison qu'il porte le glaive. Il est, en effet, le ministre de Dieu, pour exercer sa vengeance contre celui qui fait le mal.

5. Il est donc nécessaire de vous soumettre à lui, non seulement par crainte de sa colère, mais encore par conscience.

6. C'est aussi pour cela que vous payez l’impôt; car les princes sont les ministres de Dieu, le servant en cela même.

7. Rendez donc à tous ce qui leur est dû: le tribut, à qui le tribut; l’impôt, à qui l’impôt; la crainte, à qui la crainte; l'honneur, à qui l'honneur.



Après avoir montré comment l’homme doit se conduire à l’égard de Dieu, en usant des dons de sa grâce, l’Apôtre explique comment nous devons agir à l’égard du prochain: d’abord quant aux supérieurs; ensuite par rapport à tous, à ces mots (verset 8): "Ne demeurez redevables en rien à personne." Sur le premier de ces points, il exhorte les inférieurs à se soumettre à leurs supérieurs; II° à donner des marques de cette soumission, à ces mots (verset 6): "C’est pour cela que vous payez l’impôt."

I° A l'égard de la soumission, I. Il propose la règle; II. Il en donne la raison, à ces mots (verset 1): "Il n’y a pas de puissance;" III. Il tire la conclusion proposée, à ces mots (verset 2): "Celui donc qui résiste à la puissance."

I. Sur la règle de la soumission, il faut remarquer que certains fidèles, dans l’Eglise primitive, prétendaient ne devoir aucune soumission aux puissances temporelles, en vertu de la liberté qu’ils avaient acquise de Jésus-Christ, selon ce passage (Jean, VIII, 36): "Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres." Mais la liberté accordée par Jésus-Christ, c’est la liberté de l’esprit, qui nous délivre du péché et de la mort, comme il a été dit (Rom., VIII, 2): "La loi de l’Esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, m’a affranchi de la loi du péché et de la mort." Toutefois la chair demeure encore soumise à la servitude, ainsi qu’il a dit ci-dessus (VII, 25). Par conséquent, il y aura un temps où l’homme affranchi par Jésus-Christ ne sera plus soumis à aucune loi de servitude, soit pour l’esprit, soit pour la chair. C’est pourquoi il est dit (I Cor., XV, 24): "Lorsque le Christ aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu’il aura anéanti tout empire, toute domination et toute puissance." Cependant, tant que nous portons cette chair corruptible, il nous faut être soumis aux maîtres selon la chair; c’est de là qu’il est dit (Ephés., VI, 5): "Serviteurs, obéissez à ceux qui sont vos maîtres selon la chair." C’est en propres termes ce que dit ici S. Paul (verset 1): "Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures." Or, sous ce nom, on entend ici les hommes revêtus du pouvoir, auxquels, suivant l’ordre de la justice, nous devons être soumis (Pierre, II, 13): "Soyez donc soumis à. toutes sortes de personnes, soit au roi, comme souverain, soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui, etc." S. Paul dit d’une manière indéfinie: "Aux puissances supérieures," afin qu’à raison de l’élévation de leurs fonctions, nous leur soyons soumis, fussent-ils même mauvais. C’est pourquoi l’apôtre S. Pierre ajoute (I Pierre II, 18): "Soyez soumis… non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais encore à ceux qui sont fâcheux." Cette expression: "Toute âme," veut dire, par synecdoque, "tout homme," comme il est dit dans la Genèse (XVII, 14): "Cette âme sera exterminée du milieu de son peuple." Or l’Apôtre se sert de cette expression parce que nous devons aux supérieurs une soumission de coeur, c’est-à-dire d’une volonté sincère, selon ce passage (Ephès., VI, 6 et 7): "Ne les servez pas seulement lorsqu’ils ont l’oeil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes, mais de coeur et avec affection."

II. Lorsqu’il dit (verset 1): "Car il n’y a pas de puissance...," l’Apôtre donne la raison de ce qu’il a recommandé: c’est convenable, c’est nécessaire, à ces mots (verset 2): "Celui donc qui résiste, etc."

A l’égard de la convenance, il pose d’abord deux principes; il en déduit ensuite une conséquence, à ces mots (verset 2): "Celui donc qui résiste, etc."

A) Il rappelle premièrement l’origine du pouvoir, en disant (verset 1): "Car il n’y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu." a) En effet, tout ce qui est attribué en commun à Dieu et aux hommes dérive de Dieu sur les créatures, comme il est évident pour la sagesse (Ecclésiastique I, 1): "Toute sagesse vient de Dieu." Or on attribue la puissance à Dieu et aux hommes (Job, XXXVI, 5): "Dieu ne rejette pas les puissances, étant puissant lui-même." D’où il suit que toute puissance vient de Dieu (Dan., IV, 14): "C’est le Très-Haut qui a la domination sur les royaumes, et il les donne à qui lui plaît;" et (Jean, XIX, 41): "Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi s’il ne vous avait pas été donné d’en haut."

Mais cette doctrine paraît contredite par ce passage du prophète Osée (VIII, 4): "Ils ont régné par eux-mêmes) et non par moi. Ils ont eu des princes, et je ne les ai pas connus." Il faut répondre que la puissance de la royauté, ou de quelque autre dignité, peut être considérée sous trois rapports. D’abord, quant à la puissance elle-même: à ce point de vue elle vient de Dieu, "Par qui règnent les rois," comme il est dit au livre des Proverbes (VIII, 40). Ensuite, quant au mode d’acquérir cette puissance: sous ce rapport, quelquefois elle vient de Dieu, à savoir, quand on arrive à cette puissance selon l’ordre, suivant ce passage de l’épître aux Hébreux (verset 4): "Personne ne peut s’attribuer à lui-même cet honneur, mais il faut y être appelé de Dieu, comme Aaron." Quelquefois aussi elle ne vient pas de Dieu, mais des convoitises perverses de l’homme, qui s’empare du pouvoir par ambition, ou de quelque autre manière illicite (Amos, VI, 14): "N’est-ce pas par notre force que nous nous sommes rendus redoutables?" Enfin, quant à l’usage qu’on en fait sous ce rapport, elle est quelquefois de Dieu, par exemple quand celui qui en est dépositaire en use selon le précepte de la divine justice, selon ce passage des Proverbes (VI, 10): "C’est par moi que les rois règnent, etc." Quelquefois encore elle n’est pas de Dieu, par exemple si l’on abuse de cette puissance pour agir contre la justice, selon cette parole (Psaume, II, 2): "Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur."

On demande encore si le pouvoir de pécher vient de Dieu. Il faut répondre que la puissance même par laquelle on pèche vient de Dieu; car cette puissance de faire le mal et la puissance de faire le bien sont une même puissance; mais, lorsqu’on la dirige vers le bien, elle vient de Dieu; lorsqu’au contraire on la dirige vers le mal, cela vient de l’imperfection de la créature, en tant qu’elle sort du néant.

b) En second lieu, l’Apôtre établit que "Toutes les puissances qui existent sont établies par Dieu:" la raison en est que Dieu a tout fait par sa sagesse, suivant ce passage du psaume CIII, 24: "Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse." Or c’est le propre de la sagesse de disposer tout avec ordre (Sag., VIII, 1): "La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose toutes choses avec douceur." Voilà pourquoi il faut que les effets divins soient selon l’ordre (Job, XXXVIII, 33): "Connaissez-vous l’ordre du ciel, expliquerez-vous la raison de son influence sur la terre?" Mais Dieu, dans les effets qui émanent de lui, a établi deux sortes d’ordre selon le premier, tout est ordonné par rapport à lui-même (Proverbes XVI, 4): "Dieu a tout fait pour sa gloire;" selon l’autre, les effets divins sont ordonnés entre eux, comme il est dit au Deutéronome (IV, 19) du soleil, de la lune et des étoiles: Le Seigneur les a créés pour servir à toutes les nations qui sont sous le ciel."

B) Lorsqu’il ajoute (verset 2): "Celui donc qui résiste à la puissance," S. Paul déduit sa proposition des deux principes posés. Si, en effet, le pouvoir des princes, en tant que pouvoir, vient de Dieu, et si rien de ce qui vient de Dieu n’existe sans ordre, il s’ensuit que l’ordre d’après lequel les inférieurs sont soumis aux puissances supérieures vient également de Dieu. "Celui-là donc" qui, contre cet ordre, "résiste à la puissance," résiste à l’ordre de Dieu (I Rois, V, 7): "Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, mais moi, afin que je ne règne plus sur eux;" et (Luc, X, 16): "Qui vous méprise me méprise." Or résister à l’ordre divin, c’est un acte contraire à la bienséance de la vertu; quiconque donc "résiste à la puissance" agit contre la vertu, en ce qui appartient à l’ordre de la puissance à laquelle il est soumis.

En disant (verset 2): "Mais ceux qui résistent attirent sur eux la condamnation," l’Apôtre montre que cette soumission est non seulement convenable, mais nécessaire. Et d’abord il énonce sa proposition; ensuite il la prouve, à ces mots (verset 3): "Car les princes ne sont pas à craindre."

A) Il dit donc d’abord: J’ai dit que celui qui résiste à la puissance résiste à l’ordre de Dieu. Or il faut éviter cette résistance en soi, parce qu’elle est opposée à la vertu. Cependant un grand nombre, qui n’ont pas l’amour de la vertu, ne détestent pas ce qui lui est opposé. Cette sorte de gens doit donc être contrainte d’éviter le mal au moyen du châtiment; c’est ce qui lui fait ajouter: "Et ceux qui résistent," à savoir à l’ordre de Dieu, en agissant contre l’ordre de la puissance, "attirent sur eux la condamnation." Paroles qui peuvent être entendues d’abord de la damnation éternelle que méritent ceux qui ne veulent pas être soumis aux puissances, comme ils le doivent. Sur ce point, nous avons l’exemple de Dathan et d’Abiron, qui, pour avoir résisté à Moïse et à Aaron, "furent engloutis dans les entrailles de la terre," ainsi qu’il est rapporté au livre des Nombres (XVI, 32). On peut encore entendre ce passage de la condamnation aux châtiments infligés par les princes eux-mêmes (Proverbes XX, 1): "La colère du roi est comme le rugissement du lion; quiconque l’irrite pèche contre son âme..."

Mais ceci n’est-il pas contredit par la résistance que les apôtres et les martyrs ont opposée aux princes et aux puissances? Ils n’ont pas pour cela cependant encouru la condamnation de Dieu, mais ont été récompensés. Il faut répondre que l’Apôtre parle ici de celui qui résiste à la puissance inférieure, en tant qu’elle est ordonnée de Dieu. Or l’ordre divin a ceci de particulier qu’on ne doit pas obéir à la puissance inférieure contre les droits de la puissance supérieure, de même que, dans les choses humaines, on n’obéit pas à l’officier inférieur contre le général, ni au magistrat contre le prince. Mais toute puissance humaine est subordonnée à la puissance de Dieu: donc il ne faut obéir à aucune puissance humaine contre Dieu, suivant ce qu’on lit aux Actes (verset 29): "Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes."

B) En disant (verset 3): "Car les princes ne sont pas à craindre, etc.," S. Paul assigne la raison de ce qui précède. Et d’abord il énonce cette raison; en second lieu, de la raison alléguée il déduit une règle utile, à ces mots (verset 3): "Veux-tu n’avoir pas à craindre la puissance?" enfin il fait voir la nécessité de cette règle, à ces autres (verset 4): "Or, situ fais mal." a) Il dit donc d’abord: J’ai avancé que ceux qui résistent aux puissances attirent sur eux la damnation, "Car les princes," qui sont appelés ici du nom de puissances, "ne sont pas à craindre," c’est-à-dire ne doivent pas inspirer de crainte, "pour les bonnes oeuvres," c’est-à-dire à raison de ces oeuvres, "mais pour les mauvaises," c’est-à-dire à raison de ces oeuvres mauvaises. Il faut, ce semble, entendre ces paroles dans le sens des motifs pour lesquels les princes sont institués. Ils ont été institués pour forcer par la crainte du châtiment ceux que l’amour de la vertu ne détermine pas à éviter le mal et à faire le bien (Proverbes XX, 8): "Un roi assis sur le trône du jugement dissipe l’iniquité par son regard." C’est dans ce sens que l’Apôtre dit que les princes ne sont pas à redouter pour les bonnes oeuvres, mais pour les mauvaises, en raison des fonctions dont le prince est chargé, comme il est dit (Isaïe XXXII, 8): "Ce prince aura des pensées dignes d’un prince." Ce que nous avons dit peut aussi s’entendre des mauvais princes, qui ne sont pas à redouter pour le bien, mais pour le mal, parce que, si parfois ils persécutent injuste ment ceux qui font le bien, ceux-ci cependant n’ont aucun motif de craindre, attendu que cette épreuve, s’ils la supportent avec patience, tournera à leur bien, suivant ce passage (I Pierre, III, 14): "Si vous souffrez pour la justice, vous serez heureux. Ne craignez donc pas les maux que les hommes veulent vous faire craindre, et n’en soyez pas troublés." Par ce qui précède, on peut voir la raison pour laquelle celui qui résiste à la puissance se prépare la condamnation, soit qu’on l’entende de la condamnation aux châtiments infligés par les princes contre ceux qui n’obéissent pas, soit qu’on l’explique de la damnation dont Dieu châtie les pécheurs. En effet, les princes, sont à redouter quand on fait le mal; il s’ensuit que celui qui résiste à la puissance fait le mal, et qu’ainsi l’homme lui-même, en agissant mal, devient la propre cause de sa punition temporelle et éternelle. b) Lorsque S. Paul dit (verset 3): "Veux-tu n’avoir pas à craindre la puissance?" il tire de ce qu’il a dit une règle utile, à savoir, pour n’avoir pas à craindre les princes. Premièrement, par l’interrogation qu’il emploie, il insinue que cela est désirable, en disant (verset 3): "Veux-tu ne pas craindre la puissance?" Comme s’il disait: cela doit plaire à l’homme (Proverbes XX, 2): "Comme est le rugissement du lion, ainsi est la colère du roi." Secondement, il enseigne le moyen d’y parvenir, en disant (verset 3): "Faites le bien," parce que, comme il est dit (Proverbes XVI, 13): "Les lèvres des justes obtiennent la faveur du roi;" et (Psaume C, 6): "Je n’avais pour ministre que celui qui marchait dans la voie de l’innocence." Troisièmement il en montre l’effet, en disant (verset 3): "Et si tu fais le bien," non seulement tu éviteras la crainte, mais "Tu recevras les louanges" de la puissance. Ce passage ne présente pas de difficulté si on l’entend de la fin pour laquelle les puissances ont été constituées; car elles l’ont été non seulement afin d’éloigner du mal par la crainte du châtiment, mais encore pour exciter au bien par l’attrait des récompenses, selon ces paroles (I Pierre, II, 14): "Soit aux gouverneurs, comme à des hommes envoyés par lui pour punir les méchants et récompenser les bons." Cela est vrai encore à l’égard des mauvais princes, dont les persécutions injustes, supportées avec patience, deviennent pour les justes un sujet de louanges (Jacques V, 11): "Nous les appelons bienheureux parce qu’ils ont souffert." Quatrièmement l’Apôtre en donne la raison, en disant (verset 4): "Le prince est le ministre de Dieu pour ton bien;" ce qui est de toute évidence d’après l’ordre légitime des princes. Car ils sont sous le gouvernement de Dieu, comme des ministres constitués par le Maître suprême (Sag., VI, 5): "Car vous, établis les ministres de son royaume..." Or le ministre et son maître tend au même but (Ecclésiastique X, 2): "Tel est le Juge suprême, tels sont ses ministres." De même donc que Dieu opère le bien dans ceux qui le font, ainsi en est-il des princes s’ils remplissent avec rectitude leur ministère. Les mauvais princes eux-mêmes sont également les ministres de Dieu, selon l’ordre divin, bien que ce soit sans intention de leur part, selon ce passage d’Isaïe (X, 5): "L’Assyrie est la verge et le bâton de ma fureur; sa main est l’instrument de ma colère. Mais lui n’aura pas ce sentiment de lui-même;" et (Jér., XXV, 9): "Je prendrai tous les peuples de l’Aquilon, et je les enverrai avec Nabuchodonosor mon serviteur, et je les ferai venir contre cette terre et sur ses habitants, etc." Ces princes sont encore ministres de Dieu quand quelquefois, par la permission divine, ils affligent les bons, parce que leurs persécutions tournent au bien des bons, ainsi qu’il a été expliqué (VIII, 28): "Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu."

c) Quand S. Paul ajoute (verset 4): "Mais si tu fais mal, il montre l’obligation d’accomplir la règle qu’il vient de donner." En effet, il a été dit qu’en faisant bien tu ne craindras pas les puissances; mais (verset 4): "Si tu fais mal, crains," parce que tu as un motif de craindre (Proverbes X, 29): "Tous ceux qui font le mal sont dans la frayeur; et (Sag., XVII, 40): "L’iniquité est timide; elle se condamne par son propre témoignage." En second lieu, il en assigne la raison, en disant (verset 4): "Car ce n’est pas en vain que le prince porte le glaive." L’Apôtre parle ici d’après l’usage qu’avaient les princes de porter, comme insignes de leur puissance, des instruments de punition, par exemple les faisceaux pour frapper, les haches ou les glaives pour donner la mort (Job, XIX, 29): "Fuyez à la présence du glaive, parce qu’il y a un glaive vengeur des iniquités." Troisièmement il développe cette raison, en disant (verset 4): "Il porte, dis-je, "le glaive, car il est le ministre et le vengeur de Dieu," c’est-à-dire l’exécuteur de sa vengeance, "pour sa colère," c’est-à-dire pour exécuter les ordres de la colère de Dieu, en d’autres termes son juste jugement "à l’égard de celui qui fait le mal," c’est-à-dire à l’égard du malfaiteur (Ezéch., XVI, 37 et 38): "J’assemblerai moi-même tous ceux qui vous aimaient, et je vous jugerai comme on juge les femmes adultères, et je vous livrerai entre leurs mains;" et (Proverbes XVI, 12): "Ceux qui agissent injustement sont abominables aux yeux du roi, parce que son trône s’affermit sur la justice." Il est évident par là qu’il est non seulement licite, mais méritoire pour le prince de décerner par zèle de la justice la punition des méchants; c’est de là qu’il est dit (Ezéch., XXIX, 19 et 20): "Tel sera le salaire de son armée et le prix de sa fidélité à exécuter mon ordre contre Tyr."

III. Lorsqu’il dit (verset 5): "Il faut donc être soumis non seulement par crainte," l’Apôtre déduit la conclusion qu’il avait principalement en vue, en disant: Donc, pour les raisons alléguées (verset 5), "soyez soumis aux princes  par nécessité," c’est-à-dire parce que cette soumission est de nécessité de salut; ou encore: soyez soumis volontairement à la nécessité du pouvoir princier qui pèse sur vous; faites de nécessité vertu pour éviter leur ressentiment, c'est-à-dire la punition, ce qui se rapporte à la seconde raison, "mais encore par conscience," ce qui revient à la première raison, que quiconque résiste à la puissance résiste à l’ordre de Dieu (Tite, III, 1): "Avertissez-les d’être soumis aux princes et aux puissances."

II° En ajoutant (verset 6): "C’est aussi pour cela que vous payez l’impôt," S. Paul nous engage à donner aux supérieurs dont nous dépendons une marque de soumission. I. Il indique cette marque; II. Il engage à la donner, à ces mots (verset 7): "Rendez donc à tous ce qui leur est dû."

I. Sur le premier de ces points, il indique deux devoirs:

Il dit quelle est cette marque de soumission que nous devons au prince: "Par cela que vous devez être soumis, vous payez l’impôt," c’est-à-dire vous devez le payer, à savoir, comme marque de votre dépendance. Voilà pourquoi le Prophète dit, en forme de plainte (Lament., I, I): "La reine des provinces a été assujettie au tribut." Or les impôts ou tributs sont ainsi appelés parce qu’ils sont la rétribution des sujets à l’égard de leurs maîtres.

S. Paul en donne la raison, lorsqu’il dit (verset 6): "Parce qu’ils sont les ministres de Dieu pour cela même, c’est-à-dire ils reçoivent l’impôt pour cette raison qu’ils servent Dieu et le peuple. Comme s’il disait: chacun doit vivre de son ministère (I Cor., XX, 7): "Qui fait paître un troupeau, et ne mange pas de son lait?" Par conséquent, comme les princes, dans leur gouvernement, travaillent pour Dieu, ils doivent recevoir du peuple l’impôt, sorte de salaire de leur ministère; non pas pourtant qu’ils doivent le regarder comme leur récompense, car la récompense essentielle des princes, c’est la louange et l’honneur, dit le Philosophe (Ethique, V), et, lorsque cette récompense ne leur suffit pas, ils deviennent tyrans. Cette interprétation ne doit pas s’entendre de la louange et de l’honneur selon le monde, parce qu’alors la récompense serait vaine, mais de la louange et de l’honneur selon Dieu, l1onneur dont jouissent les princes qui gouvernent bien (Sag., VI, 22): "Rois des peuples, aimez la sa gesse, afin que vous régniez à jamais." Or les princes reçoivent le tribut pour leur entretien, car ils travaillent pour le repos de tous; de l’a ces paroles (II Tim., XI, 1): "Je vous conjure donc, avant toutes choses, que l’on fasse des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces..." pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie tranquille et paisible; (Baruch, X, 11): "Priez pour la vie de Nabuchodonosor, roi de Babylone, afin que nous vivions à l’ombre de sa protection." Cependant les clercs, par un privilège des princes, sont exemptés de cette dette, ce qui est d’équité naturelle. Aussi, chez les Gentils eux-mêmes, ceux qui avaient la charge des choses divines, étaient exempts de tribut. On lit, en effet (Gen., XLVII, 22), que Joseph soumit au roi toute la terre d’Égypte, à l’exception de la contrée que les princes avaient donnée aux prêtres, lesquels recevaient des greniers publics des aliments dont la quotité était fixée; et (Gen., XLVII, 26) on lit que, dans toute la terre d’Égypte, on devra payer le cinquième, à l’exception de la terre des prêtres, qui n’était pas soumise à cette redevance. Or cette disposition est équitable, par cette raison que, de même que les princes ont la sollicitude du bien public quant aux choses du temps, ainsi les ministres de Dieu, dans les choses spirituelles, présentent une sorte de réciprocité au roi pour le soin qu’il se donne de leur procurer le repos. Toutefois il faut remarquer que, si l’Apôtre dit que les tributs sont dus aux rois comme le salaire de leur travail, les princes peuvent doublement pécher en recevant le tribut:

A) d’abord, s’ils ne procurent pas le bonheur du peuple et ne s’occupent qu’à s’approprier leurs biens. D’où il est dit (Ezéch., XXXIV, 3): "Vous mangiez le lait, et vous vous couvriez de la laine; vous preniez les brebis les plus grasses pour les tuer, et vous ne paissiez pas mon troupeau."

B) Ensuite, en prenant l’impôt avec violence, au delà de ce qu’accordent les lois, qui sont une sorte de pacte entre le roi et le peuple, ou au delà des facultés du peuple. De là (Michée, III, 1): "Écoutez, princes de Jacob et chefs de la maison d’Israël;" et le Prophète ajoute: "Vous qui arrachez violemment aux pauvres jusqu’à leur peau, et qui leur ôtez la chair de dessus les os."

II. En second lieu, lorsqu’il dit (verset 7): "Rendez donc à tous ce qui leur est dû," l’Apôtre avertit de donner cette marque de dépendance dont il vient de parler

en général, en disant: Du moment que le tribut est dû aux princes, comme ministres de Dieu, "Rendez donc à tous ce qui leur est dû." Par ces paroles, il est manifeste qu’il y a nécessité de justice pour les sujets de rendre aux princes ce qui leur est dû (Matth., XVIII, 24): "On présenta au roi un de ses serviteurs qui lui devait dix mille talents;" et (XXII, 21): "Rendez donc à César ce qui appartient à César."

S. Paul spécifie, en indiquant:

A) d’abord ce qui est extérieur (verset 7): "A qui le tribut," c’est-à-dire à qui vous le devez, "rendez le tribut," à savoir, parce qu’il est attribué au prince pour l’administration générale par laquelle il gouverne la patrie en paix et en tranquillité (Gen., XLIX, 15): "Issachar a vu que le repos était bon... et il s’est assujetti aux tributs." - "A qui l’impôt," c’est-à-dire à qui vous le devez, rendez "l’impôt," c’est-à-dire les droits qu’on paye au prince en certains lieux sur les marchandises transportées, pour la protection et l’entretien des voies de communication. On appelle impôt encore ce qu’on donne au prince quand il voyage dans ses États, comme sont les droits d’intendance et autres semblables.

B) Ensuite les devoirs intérieurs. Il faut remarquer que l’on doit au prince la crainte et l’honneur: la crainte, en tant qu’il est maître, empêchant par sa puissance les méchants de commettre le mal (Malachie, I, 6): "Si je suis votre maître, où est ma crainte?" Voilà pourquoi l’Apôtre dit (verset 7): "A qui la crainte," c’est-à-dire à qui vous la devez, rendez "la crainte" (Proverbes XXIV, 21): "Mon fils, crains Dieu." Mais en tant que, semblable à un père, il procure aux bons ce qui peut servir à leur gloire, il lui est dû l’honneur (Malachie, I, 6): "Si je suis votre père, où sont mes honneurs." Voilà pourquoi S. Paul ajoute (verset 7): "A qui l’honneur," c’est-à-dire à qui vous le devez, rendez " l’honneur" (I Pierre, II, 17): "Honorez le roi."

On objecte ce passage du Lévitique (XIX, 15): "Vous n’honorerez pas la face du puissant." Il faut entendre ce passage dans ce sens qu’on ne doit pas, pour le puissant, s’écarter de la justice; aussi lit-on à la suite: "Vous jugerez justement le prochain."



Romains 13, 8 à 10: La charité embrasse toute la loi

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Rm 13,8-10)



SOMMAIRE: Règles de la charité à l’égard du prochain. La charité embrasse le Décalogue tout entier; elle est la plénitude de la Loi.



8. Ne devez rien à personne que l'amour mutuel; car qui aime le prochain a accompli la Loi.

9. En effet: Tu ne commettras pas l'adultère; tu ne tueras pas; tu ne déroberas pas; tu ne feras pas de faux témoignage; tu ne convoiteras pas; et, s'il est quelqu'autre commandement, il est compris dans cette parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

10. L’amour du prochain ne commet aucun mal. Ainsi donc l'amour est la plénitude de la Loi.



S. Paul, après avoir montré comment les fidèles doivent observer la justice à l’égard des supérieurs, explique ici les devoirs communs à l’égard de tous. A cet effet, il énonce ce qu’il veut établir; II° il en donne la raison, à ces mots (verset 8): "Car qui aime, etc."

I° Il dit donc: Il a été dit: "Rendez à tous ce qui leur est dû," non en partie, mais intégralement; c’est pourquoi il ajoute (verset 8): "Ne devez rien à personne." Comme s’il disait: rendez à tous ce que vous devez, avec une telle plénitude qu’il ne vous reste rien à acquitter. Et cela pour deux raisons

I. En tardant à rendre ce que l’on doit, il y a déjà une faute, puis que l’on retient injustement ce qui appartient au prochain. De là (Lévit., XIX, 13): "Le salaire du mercenaire ne restera pas chez vous jusqu’au matin." La même raison vaut à l’égard de tout ce qu’on doit.

II. Tant que l’on est débiteur, l’on est en quelque sorte serviteur et lié à l’égard de celui à qui l’on doit (Proverbes XXII, 7): "Celui qui emprunte est assujetti à celui qui prête." Toutefois il est certaines dettes dont l’homme ne peut jamais se libérer, et cela arrive de deux manières:

à cause de l’excellence du bienfait dont on ne peut rendre l’équivalent, comme le remarque le Philosophe à l’égard de l’honneur que nous devons à Dieu ou à nos parents, suivant ce pas sage (Psaume CXV, 3): "Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé?"

En raison de la cause de la dette, cause qui demeure toujours; ou encore parce que ce qui est rendu reste inépuisable et croît toujours à mesure qu’on le rend. C’est pour ces motifs que la dette de la charité fraternelle s’acquitte, tout en restant toujours à acquitter. D’abord nous devons au prochain l’amour à cause de Dieu, à l’égard duquel nous ne pouvons user d’une réciprocité suffisante; car il est dit (I S. Jean, IV, 21): "C’est de Dieu même que nous avons reçu ce commandement, que celui qui aime Dieu aime aussi son frère." Ensuite le motif de la charité demeure toujours, puisque ce motif est la similitude de nature et de grâce (Ecclésiastique XII, 19): "Tout animal aime son semblable: ainsi tout homme aime son prochain." Enfin la charité ne s’épuise pas en aimant, mais s’augmente (Ph 1,9): "Ce que je lui demande, c’est que votre charité croisse de plus en plus." Voilà pourquoi S. Paul a dit (verset 8): "Si ce n’est l’amour mutuel," c’est-à-dire que la dette de la charité, une fois payée, l’est de manière qu’elle demeure toujours commandée par le précepte (Jean, XV, 12): "Le commandement que je vous donne, c’est de vous aimer les uns les autres."

II° Quand l’Apôtre dit (verset 8): "Car qui aime," il assigne la raison de ce qu’il vient de dire, que jamais nous ne serons libérés de la dette de la charité, à savoir, parce que c’est dans cette vertu que consiste tout l’accomplissement de la Loi. A cet effet, il énonce d’abord ce qu’il veut établir; il prouve ensuite sa proposition, à ces mots (verset 9): "En effet, tu ne commettras pas l’adultère;" il déduit enfin la conclusion cherchée, à ces autres (verset 10): "L’amour est donc la plénitude de la Loi."

I. Il dit donc d’abord: Il a été dit que nous ne pouvions prétendre à être libérés de la dette de la charité, comme on peut l’être des autres dettes (verset 8): "Car qui aime le prochain a accompli la Loi," c’est-à-dire que tout l’accomplissement de la Loi dépend de l’amour du prochain."

On objecte que cela ne paraît pas conforme à la vérité, car il est dit (I Tim., I, 3): "Que la fin des commandements c’est la charité." En effet, chaque chose est parfaite lorsqu’elle est parvenue à sa fin. II s’ensuit donc que toute la perfection de la Loi consiste dans la charité. Mais la charité a deux actes, à savoir: l’amour de Dieu et l’amour du prochain; ce qui fait dire au Sauveur (Matth., XX, 40): "Que toute la Loi et les prophètes sont renfermés dans les deux préceptes de la charité," dont l’un porte sur l’amour de Dieu, l’autre sur l’amour du prochain. On ne voit donc pas que celui qui aime le prochain accomplisse toute la Loi.

Il faut répondre que cet amour du prochain appartient à la charité et accomplit la Loi, en tant que le prochain est aimé pour Dieu, et qu dans l’amour du prochain est renfermé l’amour de Dieu, comme la cause est renfermée dans l’effet. Car il est dit (I Jean, IV, 1): "C’est de Dieu que nous avons reçu ce commandement, que celui qui aime Dieu aime aussi son frère." D’un autre côté, l’amour du prochain est renfermé dans l’amour de Dieu, comme l’effet dans la cause; aussi est-il dit au même endroit (verset 20): "Si quelqu’un dit: j’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, il dit un mensonge." C’est la raison pour laquelle, dans la sainte Ecriture, on fait quelque fois mention seulement de l’amour de Dieu, comme s’il suffisait au salut, selon ces paroles du Deutéronome (X, 12): "Et maintenant, ô Israël, écoutez! Que demande de vous le Seigneur votre Dieu, sinon que vous craigniez le Seigneur, et que vous marchiez dans ses voies, et que vous l’aimiez?" D’autres fois il n’est parlé que de l’amour du prochain (Jean, XV, 1): "Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres."

II. Lorsqu’il dit (verset 9): "En effet," ces commandements: "Tu ne commettras pas l’adultère," S. Paul prouve sa proposition, d’abord par une induction, ensuite au moyen d’un syllogisme, à ces mots (verset 10): "L’amour du prochain..."

Sur sa première preuve, à la manière de ceux qui raisonnent par induction, il énumère certains préceptes par lesquels on s’acquitte de l’amour du prochain; et, parce que les trois préceptes de la première table s’appliquent plus immédiatement à l’amour de Dieu, l’Apôtre n’en parle pas ici, bien qu’eux-mêmes puissent être accomplis par l’amour du prochain, en tant que dans cet amour est renfermé l’amour de Dieu. Mais il cite les préceptes de la seconde table, omet tant toutefois l’unique précepte affirmatif: celui de l’honneur à rendre aux parents, dans lequel on comprend aussi l’obligation de rendre à chacun ce que nous lui devons. Il énumère les préceptes négatifs, qui défendent de faire aucun mal au prochain, et cela par deux raisons. La première, c’est que les préceptes négatifs sont plus universels, et quant au temps et quant aux personnes. Quant au temps d’abord, parce que les préceptes négatifs obligent toujours et à toujours; car en aucun temps il n’est permis de commettre le vol ou l’adultère. Quant aux préceptes affirmatifs, ils obligent toujours, mais non pas pour toujours, mais seulement selon le lieu et le temps. Ainsi l’homme n’est pas tenu d’honorer en tout temps ses parents, mais selon le lieu et le temps. Quant aux personnes, parce qu’il ne faut nuire à personne; mais il serait impossible qu’un seul homme pût être utile à tous les hommes. L’Apôtre cite les préceptes négatifs pour une seconde raison: c’est qu’on voit mieux qu’on remplit par l’amour du prochain les préceptes négatifs que les préceptes affirmatifs; car celui qui aime le prochain s’abstient plutôt de lui nuire qu’il ne lui accorde des bienfaits, ce qu’il ne peut faire quelquefois par impuissance. Or on peut nuire au prochain de trois manières: de fait d’abord, ensuite par parole, enfin par désir.

A) On peut aussi nuire de fait au prochain en trois manières a) d’abord, quant à sa personne; ce qui est défendu par ce précepte (verset 9): "Tu ne tueras pas," parole qui comprend toute injure faite à la personne du prochain (1 S. Jean, III, 45): "Aucun homicide n’a en lui la vie éternelle." b) Ensuite, quant à la personne à laquelle on est uni, à savoir l’épouse; et cela est défendu par ce précepte (verset 9): "Tu ne commettras pas l’adultère," parole qui comprend toute sorte de fornication et tout usage illicite des organes de la génération (Hébr., XIII, 4): "Dieu condamnera les fornicateurs et les adultères." c) Enfin, quant aux choses extérieures; ce qui est dé fendu par ce commandement (verset 9): "Tu ne déroberas pas," défense qui comprend toute soustraction injuste du bien d’autrui, soit par violence, soit par dol (Zach., V, 3): "Tout voleur sera jugé, est-il écrit dans ce livre."

B) Le dommage que l’on peut causer au prochain par parole est défendu par ce précepte (verset 9): "Tu ne feras pas de faux témoignage," injustice qui est défendue non seulement devant les tribunaux, mais encore en dehors des tribunaux, soit par forme de détraction, soit par forme de contumélie (1) (Proverbes X, 5): "Le faux témoin ne demeurera pas impuni, et celui qui dit des mensonges n’échappera pas au châtiment."

(1) La contumélie consiste à porter à la connaissance des autres, en même temps que de la personne elle-même, ce qui tourne à son déshonneur, dit Billuart. Elle s’attaque à l’honneur et se commet ouvertement, tandis que la détraction s’attaque précisément à la réputation et se fait en secret.

C) Quant au mal que l’on fait au prochain par le désir seul, il est défendu par ce précepte (verset 9): "Tu ne désireras pas le bien de ton prochain." On comprend sous cette défense le désir mauvais de l’épouse d’autrui (ci-dessus, V, 1): "Car je n’aurais pas connu la convoitise," c’est-à-dire qu’elle fût un péché, "si la Loi n’avait dit: Tu ne convoiteras pas." Ces commandements sont écrits au livre de l’Exode (XX, 13).

Après avoir énuméré ces préceptes, l’Apôtre résume tous les autres sous une formule générale, en disant (verset 9): "Et, s’il est quelque autre commandement," affirmatif ou négatif, se rapportant à Dieu ou au prochain de la manière ci-dessus expliquée (verset 9), "il est compris," c’est-à-dire abrégé et complété dans cette parole: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même;" précepte qu’on lit au Lévitique (XIX, 18), où notre Vulgate porte: "Tu aimeras ton ami comme toi-même." Ce mot de S. Paul: "Ton prochain," il le faut étendre à tous les hommes, même aux saints anges, comme S. Augustin le prouve (Traité de la Doctrine chrétienne, liv. I, ch. XXX). Car sous le nom de prochain on entend quiconque fait à autrui miséricorde, suivant ce passage de S. Luc (X, 36): "Lequel des trois vous paraît être le prochain de celui qui est tombé entre les mains des voleurs? Et le docteur de la Loi dit: Celui qui a fait miséricorde." Et, parce que le prochain est celui qui se rapproche d’un autre, il s’ensuit que celui-là qui a été l’objet de la miséricorde d’un autre doit être appelé son prochain. Or les saints anges exercent à notre égard la miséricorde; nous-mêmes nous sommes tenus de l’exercer à l’égard de tous les hommes, et nous pouvons la recevoir d’eux dans un cas de nécessité.

Il est donc évident que les saints anges et tous les hommes sont notre prochain, en ce sens qu’ils possèdent déjà la béatitude vers laquelle nous tendons, ou qu’ils y tendent avec nous. De cette explication il résulte évidemment que les démons ne sont pas notre prochain, et que ce précepte ne nous ordonne pas de les aimer, par cette raison qu’ils sont exclus de l’amour de Dieu; on ne doit plus les mettre au nombre de ceux qui sont notre prochain, mais au nombre de nos ennemis. Quant à ce que l’Apôtre ajoute: "Comme toi-même," on ne doit pas l’entendre de l’égalité de l’amour, c’est-à-dire de telle sorte que l’on soit tenu d’aimer le prochain d’un amour égal à celui qu’on a pour soi-même, car ce serait contre l’ordre de la charité, qui oblige chacun à prendre de son salut un soin plus grand que de celui des autres (Cant., II, 4): "Il a réglé en moi mon amour;" mais il faut l’entendre de la similitude de la charité, c’est-à-dire que nous devons avoir pour le prochain un amour semblable à celui que nous avons pour nous, et cela de trois manières: d’abord, quant à la fin de l’amour, c’est-à-dire que nous devons nous aimer nous-mêmes et aimer le prochain pour Dieu; ensuite, quant à la forme de l’amour, c’est-à-dire que, comme chacun s’aime soi-même en se voulant du bien, nous devons en vouloir de même au prochain si nous l’aimons, car celui qui aime le prochain seulement pour l’utilité ou l’affection qu’il en retire ne veut pas le bien du prochain, mais cherche à tirer du prochain un bien pour lui-même. C’est de la sorte qu’on dit de l’homme qu’il aime les créatures dépourvues de raison, par exemple le vin, l’eau, pour s’en servir. Enfin, quant à l’effet de l’amour, c’est-à-dire qu’on doit subvenir aux nécessités du prochain comme aux siennes propres et ne faire rien d’illicite pour l’amour qu’on lui porte, pas plus que pour l’amour de soi-même.

Lorsque S. Paul dit ensuite (verset 40): "L’amour du prochain, etc.," il prouve sa proposition au moyen d’un syllogisme qu’il construit ainsi: Celui qui aime son prochain ne lui fait aucun mal; or tout précepte de la Loi tend à faire fuir le mal: "Celui donc qui aime le prochain accomplit la Loi." Que l’amour du prochain ne fasse pas de mal, nous l’apprenons de la première épître aux Corinthiens (XX, 4): "La charité ne fait pas de mal." De quelque manière donc qu’on entende ici le mal, que ce soit le mal de transgression ou le mal d’omission, on pourra le rapporter non seulement aux préceptes négatifs, mais aux affirmatifs. Car, en tant que l’amour du prochain renferme l’amour de Dieu, on comprend que cet amour exclut le mal non seulement contre le prochain, mais encore contre Dieu. C’est ainsi que dans l’amour du prochain se trouvent renfermés les préceptes de la première table.

III. Enfin S. Paul déduit la conclusion qu’il avait principalement en vue, en disant (verset 10): "L’amour est donc la plénitude de la Loi," c’est-à-dire c’est par l’amour que la Loi est accomplie en perfection (Ecclésiastique XXIV, 46): "J’ai établi ma demeure dans l’assemblée des saints;" et encore (Colos., III, 14): "Ayez la charité qui est le lien de la perfection."




Thomas A. sur Rm (1869) 57