Thomas A. sur Rm (1999)






Traduction du père Jean-Eric Stroobant de Saint-Eloy o.s.b., 1999



COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS


Saint Thomas d'Aquin

(édition du Cerf, 1999)



PROLOGUE GÉNÉRAL AUX ÉPÎTRES DE PAUL

1
Va, car cet homme m’est un vase d’élection, pour porter mon nom devant les nations païennes, les rois et les fils d’Israël

1. Il se trouve dans la sainte Écriture que les hommes sont comparés à un vase pour quatre raisons: à cause de leur formation, de leur capacité, de leur usage, et de leur fruit.

D’abord par leur formation. Car un vase dépend de la volonté de l’artisan: "Le vase d’argile qu’il faisait se brisa dans ses mains; et revenant, il en fit un autre vase, comme il avait plu à ses yeux de le faire 2" Ainsi la formation des hommes dépend-elle de la volonté de Dieu: "Sachez que le Seigneur est Dieu: c’est lui-même qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. D’où ces paroles d’Isaïe: "Est-ce que l’argile dira à son potier: Que fais-tu, et ton ouvrage est-il sans mains Et de Paul aux Romains "Le vase d’argile dit-il à celui qui l’a façonné: Pourquoi m’as-tu fait ainsi ?" Voilà pourquoi les vases, selon la volonté divine créatrice, sont diversement formés "Au reste, dans une grande maison il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et d’argile 6"

Ainsi, puisque le bienheureux Paul est appelé vase d’élection dans les paroles précitées, ce verset de l’Ecclésiastique montre quel vase il a été: "Comme un vase d’or massif orné de toutes sortes de pierres précieuses."

Paul fut un vase d’or à cause de l’éclat de cette sagesse, à laquelle on peut appliquer ces paroles de la Genèse: "Et l’or de cette terre est excellent 8"; car, selon ces paroles des Proverbes: "La sagesse est plus précieuse que toutes les richesses 9." Aussi le bienheureux Pierre lui rend-il témoignage en disant: "Comme notre très cher frère Paul vous l’a écrit selon la sagesse qui lui a été donnée 10"

Il fut un vase massif par la vertu de charité, dont il est dit: "L’amour est fort comme la mort" Voilà pourquoi Paul lui-même dit aussi: "Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni princi pautés, ni puissances, ni le présent, ni l’avenir, ni force, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus 12"

1. Ac 9, 15.
2. Jr 18, 4.
3. Ps 99, 3.
4. Is 45, 9.
5. Rm 9, 20.
6. 2 Tm 2, 20.
7. Eccli (Si) 50, 10.
8. Gn 2, 12.
9. Pr 3, 15.
10. 2 P 3, 15.
11. Ct 8, 6.
12. Rm 8, 38-39.


Et il fut un vase orné de toutes sortes de pierres précieuses, c’est-à-dire de toutes les vertus, dont il est dit: "Que si on élève sur ce fondement <qu’est le Christ> un édifice d’or, d’argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de chaume, l’ouvrage de chacun sera manifesté." Et c’est pourquoi <Paul> dit lui-même "Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience: nous nous sommes conduits dans ce monde, et plus particulièrement envers vous, avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, et non point selon la sagesse charnelle, mais selon la grâce de Dieu"

2. D’autre part, il montre quel vase <Paul> a été à partir du breuvage qu’il offrira: car il a enseigné de la manière la plus excellente les mystères de la divinité, qui sont l’objet de la sagesse, comme on le voit dans la première épître aux Corinthiens: "Nous prêchons la sagesse parmi les parfaits 3" Il a de plus très excellemment loué la charité 4", et il a donné aux hommes un enseignement sur les différentes vertus: "Revêtez-vous, comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, d’entrai de miséricorde, de bonté, d’humilité, de modestie, de patience; vous supportant mutuellement, vous pardonnant les torts que l’un pourrait avoir envers l’autre; comme le Seigneur a pardonné, pardonnez aussi de même. 5"

3. Il est en deuxième lieu de la nature des vases d’être remplis de quelque liquide, selon ce qui est dit: "Ses fils lui présentaient les vases, et elle y versait l’huile 6" Il y a en outre de la diversité parmi les vases, en ce qui concerne leur contenance. Car dans quelques-uns on met du vin, dans d’autres de l’huile, et divers sont les vases de genre différent. C’est ainsi également que les hommes sont divinement remplis de grâces diverses, à la manière de liquides différents: "Car à l’un est donnée par l’Esprit la parole de sagesse; à un autre la parole de science, selon le même Esprit; à un autre la foi, par le même Esprit; à un autre la grâce de guérir, par le même Esprit; à un autre, la vertu d’opérer des miracles; à un autre, la prophétie; à un autre, le discernement des esprits; à un autre, le don des langues diverses; à un autre, l’interprétation des discours."

Or <Paul>, ce vase dont nous parlons maintenant, a été rempli d’un liquide précieux, c’est-à-dire du nom du Christ dont il est dit: "C’est une huile répandue que ton nom" D’où ces paroles <relatives à l’Apôtre>: Pour porter mon nom ° Il parut en effet tout rempli de ce nom, selon cette parole de l’Apocalypse "J’écrirai sur lui mon nom" Il eut en effet ce nom dans la connaissance de l’intelligence, d’après ses propres paroles: "Car je n’ai pas jugé savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ 12" Il eut aussi ce nom dans l’affection du coeur, selon ce verset des Romains: "Qui nous séparera de la charité du Christ 13?" et "Si quelqu’un n’aime point Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème 14" Il l’a également gardé tout au long de sa vie. C’est pourquoi il disait: "Mais je vis, non plus moi, mais le

1. 1 Corinthiens 3, 12-13a.
2. 2 Corinthiens 1, 12.
3. 1 Corinthiens 2, 6.
4. Voir I Corinthiens 13.
5. Colossiens 3. 12-13.
6. 4 R (2 R) 4, 5 b.
7. 1 Corinthiens 12, 8-10.
8. Saint Thomas esquisse ici une théologie spintuelle du nom de Jésus-Christ, situant le Nom divin dans la connaissance, puis dans le coeur, enfin dans la vie. Selon la perspective biblique, le Nom divin est rempli de la présence de Celui qu’il désigne; d’où son caractére sacré. De ce point de vue, sanctifier le Nom, c’est comprendre que le Nom de Dieu est saint, et cela, de trois manières le comprendre avec son intelligence (le Nom révèle et fait connaître), le comprendre avec son coeur (le Nom est un appel d’amour), le comprendre par toute sa vie (le Nom, comme une huile consacrée, imprègne notre vie et la sanctifie). Cette théologie spirituelle est illustrée plus loin par l’exemple de saint Paul, qui est "porteur du Nom" dans sa vie (il imite la Passion du Christ), dans son coeur et donc sur ses lèvres (la bouche parle de l’abondance du coeur), enfin dans son intelligence et son ministère doctrinal (il a exposé le sens de l’Ecriture).
9. Cantique 1, 2.
10. Ac 9, 15.
11. Nomen meum, (mon nom) au lieu de, nomen Det mei (le nom de mon Dieu) (Ap 3, 12, probablement cité de mémoire).
12. 1 Corinthiens 2, 2.
13. Rm 8, 35.
14. 1 Corinthiens 16, 22.

Christ vit en moi. Car si je vis maintenant dans la chair, j’y vis en la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et s’est lui-même livré pour moi 1."

4. Enfin, en ce qui concerne leur usage, on observera que chaque vase est destiné à un usage particulier, mais certains à un usage plus honorable, d’autres à un usage plus vil, selon ce verset des Romains: "Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur, et un autre d’ignominie 2 ?" Ainsi de même les hommes, suivant l’ordonnance divine, sont destinés à des services particuliers, d’après ce qu’on lit dans l’Ecclésiastique: "Tous les hommes <ont été tirés> du limon et de la terre, dont Adam a été formé.Dans la grandeur de sa sagesse, Dieu a établi des différences entre eux, et il a diversifié leurs voies. Parmi eux il en a béni et exalté; et parmi eux il en a sanctifié et attaché à lui; et parmi eux il en a maudit et humilié, et il les a chassés du pays où ils s’étaient retirés."

Mais ce vase, <en la personne de Paul>, a été destiné pour un noble usage, car il est un vase porteur du Nom divin. Il est écrit en effet: pour porter mon nom 4. En vérité, il était nécessaire que ce nom fût porté, parce qu’il était loin des hommes, selon ce verset d’Isaïe: "Voici que le Nom du Seigneur vient de loin."

En effet, le Nom du Seigneur est loin de nous à cause du péché, selon ces paroles du psalmiste: "Loin des pécheurs est le salut" — Il est aussi loin de nous à cause de l’obscurité de l’intelligence, aussi est-il dit de quelques-uns qu’"ils voyaient de loin"; et il est écrit au livre des Nombres: "Je le verrai, mais non maintenant; je le contemplerai, mais non de près 8" Et c’est pourquoi, de même que les anges portent les illuminations divines jusqu’à nous qui sommes à distance de Dieu, ainsi les Apôtres nous ont apporté la doctrine évan gélique depuis le Christ jusqu’à nous. Et de même que dans l’Ancien Testament, après la Loi de Moïse on lit les prophètes qui transmettaient la doctrine de la Loi au peuple, suivant ces paroles de Malachie "Souviens-toi <de la Loi> de Moïse, mon serviteur, <Loi> que je lui ai prescrite à l’Horeb pour tout Israêl, des préceptes et des ordonnances"; ainsi dans le Nouveau Testament, après l’Evangile, on lit la doctrine des Apôtres qui ont transmis aux fidèles ce qu’ils ont appris du Seigneur, suivant cette parole: "J’ai reçu moi-même du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis."

5. Or le bienheureux Paul a porté le nom du Christ: d’abord dans son corps, en imitant sa vie et sa passion, comme il le dit lui-même dans <l’épître aux> Galates "Car je porte dans mon corps les stigmates du Seigneur Jésus >

6. Ensuite <il l’a porté> sur ses lèvres, car il est manifeste qu’il nomme très souvent le Christ dans ses épîtres 12

"C’est, en effet, de l’abondance du coeur que la bouche parle 13", est-il dit dans <l’évangile de> Matthieu.

On peut signifier ce qui vient d’être dit par la colombe, dont il est dit dans la Genèse "qu’elle revint dans l’arche, en portant dans, son bec un rameau d’olivier 14." Etant donné que l’olivier

1. Ga 2, 20.
2. Rm 9, 21.
3. Eccli (Si) 33, 10-12.
4. Ac 9, 15.
5. Is 30, 27.
h Ps 118, 155.
7. He 11, 13.
8. Nb 24, 17.
9. Ml 4, 4.
10. 1 Corinthiens 11, 23.
11. Ga6, 17.
12. D’après la concordance de la Vulgate par F-P. Dutripon, le nom du Christ (Chrssius, Christus-Jesus, Jesus-Christus, Jesus) est mentionné 464 fois dans l’ensemble des épîtres de saint Paul.
13. Mt 12, 34.
14. Gn 8, 11.



signifie la miséricorde 1, il sied que par le rameau de l’olivier nous entendions le nom de Jésus-Christ, qui signifie aussi la miséri corde, ainsi que le dit Matthieu: "Elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés 2"

Et ce rameau au feuillage verdoyant, <Paul> l’a apporté à l’arche, c’est-à-dire à l’Eglise 3, lorsque de multiples manières il en a exprimé la vertu et la signification, en montrant la grâce et la miséricorde du Christ. Aussi dit-il lui-même: "J’ai obtenu miséricorde, afin qu’en moi, le premier, le Christ Jésus montrât toute sa patience 4."

Et de là vient que, si parmi les écrits de l’Ancien Testament on, a fréquemment et surtout recours dans l’Eglise aux Psaumes de David 5, qui après avoir péché a obtenu le pardon, cependant dans le Nouveau Testament on a fréquemment recours aux épîtres de Paul, qui obtint miséricorde, afin que par cet exemple les pécheurs soient excités à l’espérance. Bien qu’il puisse y avoir aussi une autre raison, dans le fait que la quasi-totalité de la doctrine théologique soit contenue dans l’une comme dans l’autre <partie de l’>Écriture.

7. Enfin, <Paul> a porté <le nom du Christ> non seulement à ceux qui étaient présents, mais aussi aux absents et à ceux qui devaient venir, en exposant le sens de l’Ecnture, selon ce verset d’Isaïe: "Prends un grand livre et écris dessus avec un stylet d’homme 6"

8. Or, dans cet office de porter le Nom de Dieu l’excellence de <Paul nous> est montrée sous trois aspects.

D’abord, par rapport à la grâce de son élection, qui le fait appeler vase d’élection.

"Il nous a élus en <Jésus-Christ> avant la fondation du monde. 7"

Ensuite, par rapport à sa fidélité, car en rien il n’a cherché son propre avantage, mais celui du Christ, selon cette parole: "Car nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ notre Seigneur. 8" C’est pourquoi il dit: Il m’est un vase d’élection.

Enfin, par rapport à son excellence singulière. Aussi dit-il lui-même "C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce n’a pas été stérile en moi, mais plus qu’eux tous, j’ai travaillé, non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi" Voilà pourquoi <le Seigneur> dit expressément: Il m’est un vase d’élection, comme s’il le préférait aux autres.

9. En ce qui concerne leur fruit, on observera que certains sont comme des vases inutiles, soit à cause du péché, soit à cause de l’erreur, selon cette parole de Jérémie: "Il m’a rendue comme un vase vide 10" Mais le bienheureux Paul fut pur à l’égard du péché et de l’erreur, aussi fut-il un vase d’élection utile, suivant cette parole <qu’il adresse>

1. Le rapprochement entre les termes grecs élaa, signifiant "olive", et éleos, signifiant "miséricorde", a donné lieu à cette exégèse spirituelle que saint Thomas reprend dans ses écnts (voir notamment dans Somme Théologique 1a-2ae, Q. 102, a. 3, 13a; 3 Q. 72, a. 2; 4 Sentences dist. 7, Q. 1, a. 2; Super loannem 8, 1, lect. 1, n° 1119) à la suite d’Alcuin (Commentas in S. Ioannis Evangelium [glossa] III, 19 (PL 100, 853 B-C]).
2. Mt 1, 21.
3. Voir prologue au Commentaire de saint Thomas d’Aquin sur la première épître de saint Paul aux Thessaloniciens, éd. Marietti, 1953, vol. II, p. 163, n° 1: "Les eaux s’accrurent et élevèrent l’arche de la terre dans les airs (Gn 7, 17). Ces paroles conviennent à la matière de cette épître. Car l’Eglise est figurée par l’arche, comme le dit la première épître de saint Pierre (3, 20); car de même que dans l’arche, les autres étant morts, peu d’âmes furent sauvées, ainsi dans l’Eglise un petit nombre, c’est-à-dire seuls les élus seront sauvés."
4. 1 Tm 1, 16.
5. Voir prologue au Commentaire sur les Psaumes: "La raison pour laquelle le Psautier est le livre le plus utilisé dans l’Eghse, c’est qu’il renferme toute I’Ecriture. Ou bien, selon la Glose, pour nous donner l’espérance de la miséricorde divine: car bien que David eût péché, il répara cependant par la pénitence." (trad. par Jean-Eric Stroobant de Saint-Eloy, p. 34).
6. Is 8, 1.
7. Ep 1, 4.
8. 2 Co 4, 5.
9. 1 Co 15, 10.
10. Jr 51, 34.



à Timothée: "Si quelqu’un se tient pur de ces choses", c’est-à-dire des erreurs et des péchés, "il sera un vase d’honneur sanctifié et utile au Seigneur, préparé pour toutes les bonnes oeuvres 1."

L’utilité ou le fruit de ce vase est exprimé dans ces paroles devant les nations païennes dont il fut le docteur, selon ce qu’il dit "C’est pourquoi j’ai été établi moi-même, prédicateur et apôtre (je dis la vérité, je ne mens point), docteur des nations dans la foi et la vérité 3"; et les rois, auxquels il annonça la foi du Christ, par exemple à Agrippa, comme le rapportent les Actes 4, mais aussi à Néron et à ses princes; d’où ses paroles aux Philippiens "Je veux que vous sachiez, mes frères, que ce qui m’est arrivé a servi à un plus grand progrès de l’Evangile, en sorte que mes liens sont devenus célèbres par le Christ dans tout le prétoire et partout ailleurs 5"; <et il est écrit dans> Isaïe: "Les rois verront et les princes se lèveront 6"; et devant les fils d’Israêl, contre lesquels il disputait au sujet du Christ: "Cependant Saul se fortifiait de plus en plus, et confondait les Juifs qui demeuraient à Damas, affirmant que <Jésus> est le Christ 7"

10. Ainsi donc, sur la base des paroles précitées, nous pouvons discerner les quatre causes 8 de cette oeuvre, à savoir les épîtres de Paul, que nous avons dans les mains:

Dans le vase <lui-même>, l’auteur.

Dans le nom du Christ, qui est le contenu du vase, la matière, car cette doctrine se rapporte tout entière à la doctrine du Christ.

Dans l’usage de le porter, le mode cette doctrine, en effet, est transmise par mode épistolaire. On a coutume de faire porter ces épîtres par des messagers, selon cette parole du second livre des Parali pomènes: "Les messagers partirent avec les lettres par le commandement du roi et des princes, <et ils passèrent> dans tout Israël, et Juda, publiant suivant ce que le roi avait commandé. 9"

Dans son utilité, mentionnée précé demment, la distinction <des parties> de l’oeuvre.

11. <L’Apôtre Paul>, en effet, a écrit quatorze épîtres: neuf pour instruire l’Eglise des nations païennes, quatre pour instruire les dignitaires et les princes de l’Eglise, y compris les rois, et une pour instruire le peuple d’Israël, à savoir celle qui est adressée aux Hébreux 10.

1. 2 Tm 2, 21.
2. En latin gentes. Ce terme s’entend, dans le langage biblique, " des "nations" autres que celle d’Israël, c’est-à-dire " étrangères " au
peuple juif, et en conséquence " païennes " ou "d’origine païenne." Le mot gens sera donc traduit par " nation " ou "nation païenne", et le mot gentiles par Gentils" (voir par exemple n° 94) pour laisser la différence entre les termes. Le mot gentilitas, désignant la totalité des nations (païennes), sera traduit par "gentilité " (voir par exemple n° 101).
3. 1 Tm 2, 7.
4. Voir Ac 26.
5. Ph 1, 12-13.
6. Is 49, 7.
7. Ac 9, 22.
8. On reconnait ici la doctrine aristotélicienne des quatre causes (Physique II, 3; AL VII, 1. 2, p. 56-63). La première (l’auteur) nous renvoie à la cause efficiente celle qui effectue l’opération; la deuxième (le nom du Christ contenu dans ce vase qu’est l’auteur) nous renvoie à la cause matérielle: la "matière", le contenu, ce sur quoi porte l’opération; la troisième (le mode) renvoie à la cause formelle: l’opération — communiquer la doctrine du Christ — revêt la forme de lettres (et non, par exemple, de prédication orale); la quatrième (la distinction des parties en fonction des fruits à produire) renvoie à la cause finale ce en vue de quoi l’opération est effectuée. La doctrine des quatre causes fonctionne le plus souvent chez saint Thomas comme une "grille d’interprétation", un moyen pour mettre en lumière et ordonner les divers aspects d’une question, et perd donc sa signification purement physique.
9. 2 Par (2 Ch) 30, 6.
10. " Tous [les exégètes] s’accordent aujourd’hui pour dire que l’épître aux Hébreux n’est pas de la main de Paul, mais recon naissent cependant son emprise sur la pensée qui s’y exprime" (André-Marie GE1 Dictionnaire de la Bible, p. 503).



Or, cette doctrine se rapporte tout entière à la grâce du Christ et peut faire l’objet d’une triple considération

I.Selon qu’on la considère d’abord dans la Tête elle-même, c’est-à-dire le Christ, et c’est le point de vue de l’épître aux Hébreux.

II. Puis, dans les membres principaux du Corps mystique, et c’est le point de vue des épîtres qui s’adressent aux dignitaires.

III. Enfin, dans le Corps mystique lui-même, qui est l’Eglise, et c’est le point de vue des épîtres adressées aux Gentils. <Cette dernière considération> fait encore l’objet d’une distinction, car la grâce du Christ peut être considérée de trois manières

A. Soit en elle-même, c’est le point de vue de l’épître aux Romains.

B. Soit en tant que contenue dans les sa de la grâce, c’est le point de vue des déux épîtres aux Corinthiens; la première traitant des sacrements eux-mêmes, la seconde de la dignité de leurs ministres; c’est aussi le point de vue de l’épître aux Galates qui traite de l’abro gation des sacrements superflus, à l’encontre de ceux qui voulaient ajouter les sacrements anciens aux nouveaux.

C. Soit enfin, que la grâce du Christ soit considérée selon l’effet d’unité qu’elle produit dans l’Eglise. Donc, <dans cette perspective>, l’Apôtre traite

1. En premier lieu, du fondement de l’unité ecclésiastique, dans l’épître aux Ephésiens.
2. En deuxième lieu, de son affermis sement et de son progrès, dans l’épître aux Philippiens.

1. Voir, dans le traité du Verbe incarné de Somme Théologique V, les questions 7 et 8 consacrées à la grâce personnelle et capitale du Christ.

3. En troisième lieu, de sa défense contre les erreurs, dans l’épître aux Colossiens; de sa défense contre les persé cutions présentes, dans la première épître aux Thessaloniciens, contre les futures, en particulier au temps de l’Antichrist, dans la seconde.

Quant aux dignitaires des Eglises il instruit les spirituels comme les temporels. Aux spirituels, il parle du fondement, de la construction et du gouvernement de l’unité ecclésiale dans la première <épître> à Timothée; de la fermeté contre les persé cuteurs dans la seconde; enfin de la défense contre les hérétiques dans l’épître à Tite. Quant aux seigneurs temporels, il les instruit dans l’épître à Philémon.

Telle est manifestement la raison de la distinction et de l’ordre de toutes les épîtres.

12. Cependant il semblerait que l’épître aux Romains ne soit pas la première <à avoir été rédigée> 2 En effet, <Paul> aurait d’abord écrit aux Corinthiens, suivant ces paroles du dernier chapitre de l’épître aux Romains "Je vous recommande Phoebé, notre soeur, attachée au service de l’Eglise qui est à Cenchrées", où est situé le port de Corinthe.

Il faut dire que l’épître aux Corinthiens est antérieure dans l’ordre de la réda mais que l’épître aux Romains la precède, soit en raison de la dignité des Romains, qui étendaient leur domination sur toutes les autres nations, et dont < l’orgueil commencement de tout péché ‘I" est confondu par l’Apôtre; soit aussi parce que l’ordre de la doctrine exige que l’on considère la grâce en elle-même, avant de la considérer dans les sacrements.

2. La première épître aux Corinthiens daterait de l’année 54 et l’épître aux Romains, écrite de Corinthe, daterait de l’hiver 57—58.
3. Rm 16, 1. Cenchrées, port de Corinthe sur le golfe d’Egine et la mer Egée.
4. Eccli (Si) 10, 15.



13. On se demande aussi en quel endroit l’Apôtre écrivit cette lettre. Augustin affirme que c’est à Athènes I Jérôme, que c’est à Corinthe Il n’y a en cela aucune contradiction, parce qu’il l’a peut-être commencée à Athènes et achevée à Corinthe.

14. On objecte encore ce que rapporte la Glose à savoir que quelques fidèles prêchèrent aux Romains avant Pierre. Or, dans l’Histoire ecclésiastique 5, on rapporte que Pierre leur prêcha le premier.

Mais il faut comprendre <le mot "premier" dans le sens où il fut> le premier parmi les Apôtres, et <que sa prédication> produisit un grand fruit. Car en réalité, Barnabé avait prêché avant lui à Rome, d’après le témoignage de l’Itinéraire de Clément

1. Voir SAINT AUGUSTIN, Expositio quarundam propositionum ex epistula ad Romanos I, 18, prop. III (PL 35, 2063; CSEL 84, 4); voir aussi De Civitate Dei VIII, X, 1 (BA 34, 264-265).
2. Voir SAINT JEROMS, Prologus in Epistulis Pauli Apostoli, dans Biblia sacra iuxta vulgatam versionem, éd. Robert Weber et Roger Gryson, p. 1748.
3. Voir Glosa in Rom., praefatio (GPL, col. 1300G; GOS, t. IV, p. 273a).
4. Voir Glosa in Rom., praefatio (GPL, col. 1300G; GOS, t. IV, p. 273a). — Dans le grec classique le mot glôssa signifie " langue" (au sens d’organe de la parole) et "langage" parlé au peuple. Les grammairiens et scholiastes grecs qualifiaient de glôssa, les mots qui étaient tombés en désuétude, dont la signification avait changé, ou encore qui avaient revêtu un sens technique, d’usage local et limité.

Le nom de glôssai fut donné aux termes dont on expliquait la signification, et le nom de glôsséma et aussi de glôssa à l’explication proprement dite; c’est donc dans cette demière acception qu’est utilisé le mot "glossa," "glose." Ces explications furent par la suite rassemblées dans des recueils appelés glossaires. Des écrits de tout genre ont été glosés, mais plus particulièrement les textes juridiques et les livres saints. —. — Autour des années 1100, sous l’impulsion et la direction d’Anselme de Laon (1050-l 117), la célèbre école d’exégése biblique laonnoise se lance dans la composition de la Glose. Il s’agissait de rassembler les principaux commentaires patristiques des textes scripturaires. Cet énorme travail entrepris, pour suivi à Paris, aboutira peu à peu à l’établissement de la Glose consinue qui recevra par la suite (vraisemblablement vers 1250) le nom de Glossa ordinarsa (Glose ordinaire). Dans le demier quart du xir siècle, les maîtres parisiens introduisirent dans leur enseignement des gloses qu’ils qualifiaient de "marginale" ou d’"interlinéaire." La glose marginale consistait à entourer d’explications le centre de la page occupé par le texte biblique écrit en lettres plus grosses. Elle définissait le sens des termes à l’aide d’emprunts faits aux Pères de l’Eglise, habituellement aux Pères latins, moins fréquemment aux Pères grecs. Les noms de ces auteurs étaient indiqués ou omis par les copistes. La glose interlinéaire consistait à donner entre les lignes du texte biblique une brève explication d’un mot difficile.

Nombreuses furent les éditions de la Glose, mais la seule qui soit vraiment et actuellement utilisable est l’édition princeps d’Adolph Rusch, Biblia latina cum Glossa ordinaria, Strasbourg, vers 1480-1481, réimprimée par Brepols en 1992. Cette réédition contient une excellente introduction de Karlfried Froehlich et de Margaret T. Gibson, dont nous reprenons dans notre bibliographie (voir au mot "Gloses" quelques ouvrages et articles cités.

— Lorsque saint Thomas cite la Glose dans ses commentaires de saint Paul, et en l’occurrence dans son Commentaire de l’épître aux Romains, c’est à la magna glossatura, à la Grande Glose de Pierre Lombard qu’il se réfère surtout. Outre ses Sentences qui connaîtront un succès inattendu vers le second quart du x siècle, Pierre Lombard (vers 1095-l 160) a commenté deux livres de la Bible (commentaires qui n’ont pas encore bénéficié d’une édition critique) le livre des Psaumes (PL 191, 55-1296) — auquel saint Thomas se réfère implicitement dans son Super Psalmos — et les épîtres de saint Paul (PL 191, 1297-1696, et PL 192, 9-520). Dans son exposition des épîtres de saint Paul, Pierre Lombard " cite toujours les écrits des Péres, mais en rédigeant son ouvrage, il avait également sous les yeux les commentaires de l’Ambrosiaster et d’Haymon d’Auxerre, des gloses abrégées d’Anselme de Laon, certains écrits d’Hugues de Saint-Victor, et aussi les commentaires de Gilbert de La Porrée dont il se sert sans jamais en nommer l’auteur" Uean CHATILLON, art, " La Bible dans les écoles du xii’ siècle u, dans Le Moyen Age ei la Bible, p. 192; et aussi Marcia L. COUSH, art." Peter Lombard as an Exegete of St. Paul u, dans Ad litteram. Authoritative Texts and Their Medieval Readers, p. 71-92. — S’il est encore trop tôt pour pouvoir dégager toute l’originalité propre de saint Thomas dans son utilisation des gloses, et en particulier de celle de Pierre Lombard — l’étude approfondie du vaste domaine de la glose biblique n’en est qu’à ses débuts —, une comparaison entre la Glosa in Romanos de Pierre Lombard (PL 191, 1301 CD-1 534A) et la Lectura super epistolam ad Romanos de saint Thomas permet déjà d’en souligner quelques particularités intéressantes. Sur les quarante-cinq références à la Glose, quarante-quatre figurent explicitement dans la Grande Glose de Pierre Lombard, dont plus de la moitié sont littérales ou quasi littérales. Par ailleurs, nous en avons repéré plus d’une centaine qui sont implicites. Pour saint Thomas, la Glose à laquelle il recourt fréquemment, de manière explicite ou implicite —. est un instrument de travail. Lorsqu’il la cite de manière littérale, il mentionne expres sément la plupart du temps les sources qu’il intègre à son commen taire. Quand il ne la cite pas comme telle, cela peut signifier que, l’ayant constamment devant ses yeux, il s’en sert au moment opportun, mais qu’il ne la considère pas comme une autorité. En somme, saint Thomas recourt à la Glose soit pour une contribution technique, par exemple pour signaler une erreur textuelle, soit pour donner une explication philologique ou grammaticale d’un mot, soit pour trouver des textes patristiques appropriés au verset. Par le support de la Glose il s’efforce de découvrir la structure logique de l’épître et de saisir, selon l’expression qu’il utilise souvent dans son commentaire, quelle est la véritable "intention de l’Apôtre."

5. Voir EUSÈBE DE GÉ5ARÉE, Histoire ecclésiastique, livre II, 14 (SC 31, 68-70); III, 1 (SC 31, 97).
6. Voir Itinerari’um Clementis seu Recognitiones Clementinae inter apocryphos S. Clementis, I, 7 (PG 1, 1210G). Voir sur ce sujet F. NAU, art. "Clémentines", DTG, t. III, col. 201-223; G. BARDY, art." Glémentins (Apocryphes)", Catholicisme, t. II, col, 1207-1208; J. QUASTEN, Initiation aux Pères de l’Eglise, t. I, chap. II; u Les Pères apostoliques", III, "Les Pseudo-Glémentines", p. 70-73. — Voir ici n) 1174 et 1181.



COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS





CHAPITRE 1


Leçon 1 [verset 1]

2
075 (
Rm 1,1)



[n° 15-24] 1: "Paul, esclave de Jésus-Christ, appelé apôtre, séparé du troupeau en vue de I’Evangile de Dieu",

15. Cette épître <aux Romains> se divise en deux parties: la salutation et l’exposé proprement dit, qui commence <par ces mots>: "Et d’abord je rends grâce à mon Dieu, etc."

Dans la première partie <l’Apôtre> fait trois choses:

Il décrit d’abord la personne qui salue.

Puis, les personnes saluées [n° 66] "A vous tous qui êtes à Rome."

Enfin, il exprime le salut souhaité [n° 70]: "A vous grâce et paix, etc."

En décrivant la personne qui salue il fait deux choses:

Il décrit d’abord la personne de l’auteur.

Ensuite il fait valoir son ministère "qu’auparavant il avait promis, etc."

16. La personne qui écrit est décrite de quatre manières [n° 16, 20, 22, 23]

I. Par le nom, lorsqu’il dit: Paul.A cet égard trois choses sont à considérer [n° 16-19]

A. D’abord son appartenance. Car ce nom, tel qu’il est écrit dans ces épîtres, ne peut être hébreu, puisque cette langue ne possède pas la lettre p, mais il peut être grec ou latin. Cependant par un certain rapprochement cette lettre p pourrait être hébraïque 2.

17. — B. Puis, il faut considérer sa signification. Car si on prend <ce nom de Paul> dans la langue hébraïque, il aurait le même sens que <le mot> "admirable" ou "choisi 3" mais dans la langue grecque il a le même sens que "en repos 4" et dans la langue latine il a le même sens que "petit 5." Or ces significations lui conviennent. Car selon la grâce il a été choisi, comme le rapportent les Actes "Cet homme m’est un vase d’élection 6." Il fut admirable en oeuvres: "Vase admirable, oeuvre du Très-Haut 7." Il fut en repos dans la contemplation "Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 8" Il fut petit par l’humilité: "Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté IaEglise de Dieu. 9"

1. Voir Glosa in Rom. I, 1 (GPL, col. 1301 D).
2. La lettre p existe en hébreu, sous deux formes l’une spirante p (ph) et l’autre explosive p, souvent au début d’un mot, par exemple pèsah (Pâque). Voir P. AUvRAr, Initiation à l’hébreu biblique, p. 10, 7.
3. Par analogie avec Saulos (Saul), de l’hébreu Shatfl signifiant "désiré", " réclamé." Voir SAINT JÉROME, Liber de nominibus hebrazczs (PL 23, 852).
4. Du substantif paula signifiant <cessation", " repos."
5. Du substantif ou de l’adjectif paul signifiant "petit."
6. Ac 9, 15.
7. Eccli (Si) 43, 2.
8. Sg8, 16.
9. 1 Corinthiens 15, 9.



18. 1— C. Enfin, il faut considérer à quel moment ce nom a été imposé à l’Apôtre, puisque auparavant il s’appelait Saul, comme le rapportent les Actes 2. Sur ce point il y a trois opinions:

Jérôme dit que l’Apôtre, alors qu’il s’appelait auparavant Saul, voulut par la suite s’appeler Paul, en raison d’une oeuvre remarquable qu’il avait accomplie, à savoir qu’il avait converti le proconsul Sergius Paulus, comme nous l’apprennent les Actes 4." C’est ainsi que Scipion fut appelé l’Africain, parce qu’il s’était soumis l’Afrique.

Mais d’autres disent que ce nom lui a été imposé à cause de son progrès dans les vertus, ce que son nom signifie comme on vient de le dire. En effet, des noms ont été divinement imposés à certains personnages au premier instant de leur naissance, pour désigner la grâce qu’ils reçoivent dès le commencement; ainsi en fut-il pour Jean-Baptiste. En revanche pour d’autres, selon Jean Chrysostome 6 leurs noms ont été changés pour désigner leur progrès dans la vertu, comme on le voit chez Abraham et chez Pierre

D’autres disent enfin, et <cette opinion est> meilleure, que Paul eut deux noms dès le commencement. C’était en effet une coutume chez les Juifs de prendre en même temps que leurs noms hébraïques des noms des nations auxquelles ils étaient assujettis;

ainsi ceux qui étaient asservis aux Grecs prenaient-ils des noms grecs, comme on le voit chez Jason et Ménélas <dans le second livre des Maccabées 9>.

19. Or ce nom de Paul fut depuis longtemps célèbre chez les Romains, et c’est pourquoi, tandis que <l’Apôtre> était appelé Saul par les Hébreux, il fut aussi appelé Paul par les Romains, bien qu’il ne semble pas faire usage de ce nom avant d’avoir entrepris sa prédication aux nations païennes 10 Aussi lit-on dans les Actes "Saul qui est le même que Paul 11." Et Augustin donne sa préférence à cette opinion 12.

20. II. Ensuite la personne est décrite par sa condition, lorsqu’il dit: esclave de Jésus-Christ.

Il semble en effet que la condition d’esclavage soit abjecte si on la considère

1. Sur les différentes interprétations de l’imposition du nom de l’Apôtre, voir dans Glosa in Rom. I, 1 (GPL, col. 1303).
2. Voir Ac 9.
3. Voir SAINT JÉRÔME, Commentarii in epsstulam ad Phslemonem (PL 26, 604 AB); De vins illustribus, c. V (PL 23, 615 AB).
4. Voir Ac 13, 7.
5. Voir Lc 1, 13.
6. L’opinion attribuée à saint Jean Chrysostome figure dans le commentaire des Romains du Pseudo-Jérôme (PL 30, 615). Selon saint Jean Chrysostome, dans sa première homélie sur l’épître de saint Paul aux Romains (PG 60, 395), Dieu a transformé le nom de cet apôtre afin que sous ce rapport même, l’Apôtre des Gentils n’eût pas moins de prérogative que les autres membres du sacré collège; qu’il jouît des mêmes privilèges que le chef des apôtres et que ce changement fût comme une raison de le compter au nombre des leurs."
7. Voir Gn 17, 5.
8. Mt 16, 18.
9. Voir Jason, forme grecque de Jésus ou Josué; Ménélas, de Menealos, frère de Simon. Voir notamment 2 M 4, 15 Comptant pour rien ce qui faisait honneur à leur patrie, ils regardaient comme parfaites les gloires des Grecs."
10. La spéculation sur la signification symbolique des noms propres est traditionnelle aussi bien dans le judaïsme que dans le christianisme. Elle se fonde sur une certitude métaphysique (le vrai nom est une expression de l’essence de la personne) que confirment maintes données scripturaires, soit que le nom ait été révélé (Jésus, Jean le Baptiste), soit que le nouveau nom résulte d’une modifi cation de l’ancien (Abraham, Sarah), ou qu’il s’y substitue (Pierre). Le nom de Paul pose cependant un problème particulier dans la mesure où les Actes (13, 9) ne nous disent pas pourquoi il " remplacé celui de Saul. Les solutions qu’envisage tour â tour saint Thomas se retrouvent dans la plupart des ouvrages d’exégèse (voir COP. NELIUS A LIPIDE, Commentaria in Scripturam sacra"n. In epistulam ad Romanos I, 1, t. XVIII, p. 37-38, qui résume l’exégèse ancienne). L’exégèse moderne va dans le sens de la dernière hypothèse de saint Thomas (voir à ce propos Simon LÉGASSE, Paul apôtre, Ed. Fides, p. 31).
11. Ac 13, 9.
12. Ce paragr. 19 résume la Glose de Pierre Lombard (voir GPL, col. 1302D-l303A), mais demande à être éclairé par le texte qui suit — après la mention d’Augustin — et dont nous donnons la traduction (voir GPL, col. 1 303A) "Quant à moi, il me semble que Paul n’a choisi ce nom que pour montrer qu’il est petit, <qu’il est> comme le moindre des apôtres * (S. AUGUSTIN, De spiritu es lirtera VII, 12 [n° 44, 207). "Lui-même s’appela d’abord Saul et fut par la suite appelé Paul. Ce ne fut point par une sorte de jactance que l’Apôtre changea son nom, mais de Saul il devint Paul, c’est-â-dire d’orgueilleux il devint modeste, c’est-à-dire humble; car Paul (Paulum) veut dire modeste" (S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps. LXXII, I, n° 4 [n° 39, 988-989." La quasi-totalité des textes de saint Augustin relatifs à la signification du changement de nom de l’Apôtre (voir en particulier dans ses Sermons) souligne sa vertu d’humilité. Cette opinion se rattache donc en somme à la seconde des trois opinions rapportées par saint Thomas au paragr. 18.



absolument parlant. Aussi est-elle infligée comme malédiction à cause du péché "Maudit Chanaan Il sera l’esclave des esclaves de ses frères 1." Mais <l’Apôtre> la rend recommandable en ajoutant: de Jésus-Christ.

Et "Jésus" signifie "sauveur": "Elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés 2" — "Christ" signifie "oint", selon ce verset du psaume 44: "Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tes compagnons 3." Par cette expression est désignée la dignité du Christ, et quant à la sainteté, car les prêtres étaient oints, comme le rapporte le livre de l’Exode 4 et quant au pouvoir, car les rois étaient aussi oints, comme on le voit pour David 5 et pour Salomon 6; et quant à la connaissance, car les prophètes étaient également oints, comme on le voit pour Elisée 7.

Or, le fait qu’on se soumet au salut et à l’onction spirituelle de la grâce, c’est chose louable, parce qu’on est d’autant plus parfait, qu’on se soumet davantage à la perfection, comme il en est du corps par rapport à l’âme ou de l’air par rapport à la lumière 8: "O Seigneur, parce que moi je suis ton serviteur, je suis ton serviteur, et fils de ta servante 9."

21. Mais en sens contraire il est dit: "Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Mais je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître 10."

On répondra qu’il y a deux sortes de servitudes 11.L’une de crainte, qui ne convient pas aux saints: "Vous n’avez pas reçu de nouveau un esprit de servitude selon la crainte, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des fils, en qui nous nous écrions: Abba, Père 12"; l’autre d’humilité et d’amour, qui convient aux saints, selon cette parole: "Dites: Nous sommes des serviteurs inutiles; ce que nous avons fait, c’est ce que nous avons dû faire 13 " Car de même qu’est libre celui qui agit de son propre chef, et qu’est esclave celui qui dépend d’un autre 14, comme il en est du mouvement par rapport au moteur; de même si quelqu’un agit sous la dépen dance d’un autre, comme le mouvement par rapport au moteur, il est alors esclave de la crainte, qui contraint l’homme à agir contre sa volonté; mais si l’on agit sous la dépendance d’un autre, en vue de la fin 15, alors on est esclave de l’amour, parce que le propre des amis est de faire le bien et de rendre service à son ami pour lui-même,

1. Gn 9, 25.
2. Mt 1, 21.
3. Ps 44, 8. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 44, 8.
4. Voir Ex 29, 7.
5. Voir 1 R(l") 16, 13.
6. Voir 3 R (1 R) 1, 39.
7. Voir 3 R (1 R) 19, 16.
8. L’air se Soumet la lumière en tant qu’il se laisse entièrement et instantanément remplir par elle. Il lui est également soumis en tant que, l’agent se retirant, l’air perd instantanément sa luminosité. La perfection lumineuse de l’air est donc entièrement dépendante de la présence active de la cause lumineuse, elle ne devient jamais une propriété de l’être même de l’air. Cet exemple sert souvent chez saint Thomas à illustrer la dépendance ontologique permanente de l’être créé à l’égard de l’Etre incréé (voir Somme Théologique 1 Q. 104, a. 10).
9. Ps 115, 16.
10. Jn 15, 15.
11. Sur la bonne et la mauvaise servitude de Dieu, voir notamment dans 3 Sentences dist. 9, Q. 1, a. 1; Super Psalmos, in Ps. 18, 10 et 21, 24; Super Ioan. 15, 14, lect. 3 (éd. Marietti, n° 2014-2015); Ad Gal. 5, 13, lect. 3 (éd. Marietti, n° 299-302) Ad Tu. 1, 1, lect. 1 (éd. Marietti, n° 3).
12. En, 8, 15.
13. Lc 17, 10.
14. Voir ARISTOTE, Métaphysique A 2, 982 b 25-27. — Lieu parallèle Super Metaphys. I, lect. 3.
15. Aristote distingue (Physique VIl, 4; AL VII, 1. 2, p. 291-296) le mouvement naturel dont la cause motrice réside à l’intérieur de ce qui est mû (la pierre tombe parce que sa nature exige qu’elle soit en bas) et le mouvement e forcé" dont la cause est à l’extérieur (la pierre lancée en l’air). L’un et l’autre mouvement ne durent qu’aussi longtemps que la cause efficiente motrice exerce son action (ignorant le principe d’inertie, Aristote ne sait pas expliquer le mouvement du projectile après son lancement). Dieu, premier Moteur, ne peut mouvoir à la façon d’un agent physique exteme (il est incorporel), ni à la façon d’un principe naturel interne (il est extérieur au monde). Il ne peut mouvoir qu’à titre de cause finale, en tant qu’objet de désir et d’amour: d’où la rotation circulaire des astres dont le mouvement éternel imite, autant que possible, la perfection de la vie divine. En régime chrétien, Dieu est amour. Il y " donc réciprocité: à l’amour-désir s’ajoute l’amitié ou amour de bienveillance (Somme Théologique 1a Q. 65, a. 5). Saint Thomas porte à son plus haut point la célèbre doctrine aristotélicienne de l’amitié.



comme le dit le Philosophe au livre IX de l’Ethique 1.

22. — III. Puis, <la personne qui écrit> est recommandée par sa dignité lorsqu’il est dit: appelé apôtre.

La dignité d’apôtre est éminente dans l’Eglise, ainsi qu’il est écrit: "Ainsi Dieu a établi dans l’Eglise, premièrement des Apôtres, secondement des prophètes; troisièmement des docteurs, ensuite des miracles, puis la grâce de guérir, l’assis tance, le don de gouverner, les langues diverses, et l’interprétation des discours 2." Car <le mot> "apôtre" signifie la même chose qu’"envoyé", selon cette parole de Jean "Comme mon Père m’a envoyé, ainsi moi je vous envoie 3", c’est-à-dire avec le même amour de charité et la même autorité.

Et il dit: appelé apôtre, pour désigner la grâce, c’est-à-dire appelé à être apôtre "Personne ne s’attribue à lui-même cet honneur, sinon celui qui est appelé de Dieu, comme Aaron 4"; — ou bien pour désigner l’excellence <de sa vocation>, afin que, comme on dit par antonomase 5 la Ville pour désigner Rome elle-même, on appelle également Paul Ia"Apôtre", selon cette parole: "Plus qu’eux tous, j’ai travaillé 6"; — ou bien pour désigner l’humilité, de telle sorte que le sens est Je n’ose pas m’appeler apôtre, mais les hommes m’appellent ainsi. Aussi dit-il "Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu 7."

23. — IV. Enfin, la personne qui écrit est décrite par son ministère, lorsqu’il dit: séparé du troupeau en vue de l’Evangile de Dieu.

Séparé 8, dis-je, soit des infidèles par sa conversion, selon cette parole aux Galates "Lorsqu’il plut à celui qui m’a séparé dès le sein de ma mère 9", c’est-à-dire de la synagogue; — ou bien séparé des autres disciples par l’élection, selon ce passage des Actes: "Séparez-moi Saul et Barnabé pour l’oeuvre à laquelle je les ai appelés 10"

Quant <au mot> "Evangile", il signifie la même chose que "bonne annonce." Car on y annonce l’union de l’homme à Dieu, qui est le bien de l’homme, selon cette parole du Psalmiste: "Pour moi, mon bien est d’adhérer à Dieu 11."

24. Or dans l’Évangile on annonce une triple union de l’homme à Dieu

La première <se fait> par la grâce de l’union 12, selon cette parole de Jean: "Le Verbe s’est fait chair 13" — La deuxième <se fait> par la grâce de l’adoption, comme <on peut> l’induire de ce psaume: "Moi j’ai dit: Vous êtes des dieux, et fils du Très-Haut tous 14" —

1. Voir ARISTOTE, Éthique à Nicomaque IX, 4 [n° 166a]; AL XXVI, fasc. 3, P. 328. Lieu parallèle 9 Ethic., 4, éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, p. 512, 1. 13-18.
2. 1 Corinthiens 12, 28.
3. Jn 20, 22.
4. He 5, 4.
5 L’antonomase est une figure de rhétorique qui consiste à prendre un nom commun pour un nom propre, ou vice et versa.
6. 1 Corinthiens 15, 10.
7. 1 Corinthiens 15, 9.
8. Segregatus vient de se-grex (gregis) et signifie "séparé du troupeau." Cette traduction littérale a l’avantage de mettre en parallèle les vocations de David — (1 " 16, 11): "Samuel dit à Jessé "En est—ce fini avec tes garçons ?"Il dit: "Il reste encore le plus jeune, qui fait paître le troupeau. "" — (Ps 77, 70-7 1): "Il choisit David, son serviteur, il le tira des troupeaux de brebis; il le prit derrière les brebis mères, etc. e; et d’Amos (7, 14-15) je ne suis pas un prophète; je suis bouvier et je cultive les sycomores. Et le Seigneur m’a pris derrière le troupeau, etc. e — qui tous deux furent appelés par Dieu et séparés de leur troupeau.
9. Ga 1, 15.
10. Ac 13, 2.
11. Ps72, 28.
12. L’union hypostatique, définie au concile de Ghalcédoine (453), désigne l’union des natures divine et humaine dans l’unique hypostase (ou personne) du Verbe éternel. La personne (Ou hypostase) étant ce qui porte la nature dans l’étre, il S’ensuit qu’en jésus-Ghrist il n’y a pas de personne humaine sa nature humaine est ontologiquement "subjectivée" dans la deuxième personne de la Trinité. L’union hypostatique est oeuvre de la grâce, non de la nature, et cette grâce qu’est l’union hypostatique est elle-méme source de toute grâce (Somme Théologique 3a, Q. 2, a. 10); cet enseignement est traditionnel en théologie. — Autres lieux parallèles: Q. 6, a. 6 3Sentences dist. 2, Q. 2, a. 2; dist. 13, Q. 3, a. l; Deveritate Q. 29, a. 2; De quodlibet 9, Q. 2, a. 1, sol. 3; Gompend. theol., c. 214.
13m 1, 14.
14. Ps 81, 6.



La troisième <se fait> par la gloire de la fruition: "La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ." "Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce et qui prêche la paix; qui annonce le bonheur, qui prêche le salut, qui dit à Sion Il régnera, ton Dieu 2!"

Or cette annonce n’a pas été faite de manière humaine, mais par Dieu: "Ce que j’ai entendu du Seigneur des armées, Dieu d’Israël je vous l’ai annoncé."

Voilà pourquoi <l’apôtre Paul> dit: en vue de l’Evangile de Dieu.

1 Jn 17, 3.
2. Is 52, 7.
3. Is 21, 10.



Thomas A. sur Rm (1999)