Thomas A. sur Rm (1999) 5

Leçon 4 [versets 5 à 7]

5
075 (
Rm 1,5-7)


[n° 60] par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour <prêcher> l’obéissance à la foi à toutes les nations en son nom,

[n° 65] 6 dont vous êtes vous aussi les appelés de Jésus-Christ

[n° 66] à vous tous qui êtes à Rome, bien-aimés de Dieu, appelés saints. A vous grâce et paix de la part de Dieu Notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ.

60. Après avoir mis en lumière l’origine et la puissance du Christ [n° 28], <l’Apôtre> met ici en lumière sa libéralité qui est manifestée par les dons qu’il a accordés aux fidèles.

I. Et il expose un double don [n° 61].

A. Le premier est commun à tous les fidèles, c’est la grâce par laquelle nous sommes régénérés, <grâce> que nous avons reçue de Dieu par le Christ, aussi <l’Apôtre> dit-il: qui nous, c’est-à-dire tous les fidèles, avons reçu grâce.

<II est écrit dans l’évangile de Jean> "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 1." <Et dans cette même épître aux Romains>: "Par qui aussi nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis 2." Car de même que par le Verbe de Dieu toutes ces choses présentes ont été faites, comme le rapporte Jean: "Toutes choses ont été faites par lui", il convient que par lui aussi, comme par l’art du Dieu tout-puissant, toutes choses soient restaurées; à la manière dont un ouvrier répare un édifice avec le même art qu’il a employé pour le bâtir: "Par lui il a plu à Dieu de se réconcilier toutes choses, pacifiant par le sang de sa croix, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux 4."

61. — B. Le second est un don spirituel conféré aux Apôtres, auquel <Paul> fait allusion en ajoutant: et apostolat. <Ce don> est le premier parmi les degrés ecclésias tiques: "Dieu a établi dans l’Eglise premiè rement des apôtres 5."

Or "apôtre" signifie la même chose qu’"envoyé." Car ils ont été envoyés par le Christ comme investis de son autorité et de sa fonction: "Comme mon Père m’a envoyé, ainsi moi je vous envoie 6", c’est-à-dire avec la plénitude de l’autorité. De là vient que le Christ lui-même est appelé apôtre: "Considérez l’apôtre et le pontife de notre confession, Jésus-Christ" Aussi est-ce par lui, en qualité d’apôtre principal ou d’envoyé, que d’autres ont obtenu, en

1. Jn 1, 17.
2. Rm 5, 2.
3. Jn 1, 3.
4. Col 1, 20. On lit selon la Vulgate sive quae in terra sive quae in caelo sunt." L’ordre des mots in terra et in caelo est ici inversé. Voir Vetus latina, Epistula ad Golossenses, éd. Hermann Josef Frede, vol. XXI VI2, fasc. 5, p. 370-373.
5. 1 Co 12, 28.
6. In 20, 22.
7. He 3, 1. Pour l’addition du mot " Christ", qui ne figure pas dans la Vulgate, voir Vetus latina, Ad Hebraeos 3, 1, éd. Hermann Josef Frede, vol. XXV/2, fasc. 5, p. 1165.



second lieu, l’apostolat: "Et quand le jour fut venu, il appela ses disciples, et il en choisit douze d’entre eux qu’il nomma aussi Apôtres 1."

Et <l’Apôtre> mentionne la grâce avant l’apostolat, d’une part parce que ce n’est point par leurs mérites, mais par la grâce qu’ils ont obtenu l’apostolat: "Moi je suis le moindre des Apôtres, et je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu. Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 2"; d’autre part parce que l’apostolat ne peut être reçu dignement qu’en présupposant la grâce sanctifiante: "A chacun de nous a été donnée la grâce, selon la mesure du don du Christ 3."

62. 1. <L’Apôtre> commence par décrire cet apostolat par son utilité, quand il ajoute: pour <prêcher> l’obéissance à la foi, autrement dit nous sommes envoyés pour faire obéir les hommes à la foi.

L’obéissance a lieu dans tout ce que nous pouvons faire volontairement. Mais dans les choses qui relèvent de la foi nous adhérons par la volonté, non point d’après une nécessité de raison, puisque <ces choses> sont au-dessus de la raison. Car nul ne croit qu’il ne le veuille, comme le dit Augustin 4 et c’est pourquoi <la volonté> a un rôle à l’égard de la foi 5: "Vous avez obéi de coeur à cette règle de la doctrine à laquelle vous avez été livrés 6." Et à propos de ce fruit il est écrit dans <l’évangile de> Jean: "Je vous ai établis, pour que vous alliez et que vous portiez du fruit 7."

63. 2. <L’apostolat> est décrit par son étendue, lorsqu’il dit: à toutes les nations, parce que <les Apôtres> ont été envoyés non point uniquement pour l’instruction de la nation juive seule, mais <pour l’instruction> de toutes les nations "Allez donc, enseignez toutes les nations les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit 8".

Paul avait spécialement reçu l’apostolat sur toutes les nations, en sorte qu’on peut lui appliquer ces paroles d’Isaïe: "C’est peu que tu sois mon serviteur, pour relever les tribus de Jacob et pour convertir les restes d’Israel; je t’ai donné comme lumière des nations afin que tu sois mon salut jusqu’à l’extrémité de la terre 9." Cependant les Juifs, surtout ceux qui habi taient parmi les nations, n’étaient pas exclus de son apostolat: "Dans la mesure où je suis, moi, l’apôtre des nations, j’hono rerai mon ministère, si de quelque manière j’excite à jalousie <ceux de> ma chair, et j’en sauve quelques-uns d’entre eux 10."

64. 3. <Il décrit l’apostolat> par la plénitude de son pouvoir, quand il ajoute en son nom, c’est-à-dire à sa place et par son autorité. Car de même que <dans l’évangile de> Jean 11 le Christ est dit être venu au nom du Père, et comme tel avec la plénitude de son autorité, ainsi est-il dit que les Apôtres sont venus au nom du Christ, et comme dans sa personne: "Si j’ai moi-même usé d’indulgence, j’en ai usé à cause de vous dans la personne du Christ 12"

Ou bien, <en disant: en son nom>, il décrit <l’apostolat> par sa finalité. <Et ces mots> signifient alors: pour étendre son nom, et non pour se procurer un avantage temporel: "Cet homme m’est un vase d’élection, pour porter mon nom devant les nations païennes, les rois et les enfants

1. Lc 6, 13.
2. 1 Corinthiens 15, 9.
3. Ep 4, 7.
4. Voir SAINT AUGUSTIN, In. Ev. Ioan. XXVI, 2 (BA 72, 486-487).
5. Croire est un acte de l’intelligence, qui ne s’accomplit que sous la détermination et sur l’ordre de la volonté. Lieux paralléles Somme Théologique 2 Q. 2, a. 1; Q. 4, a. 2.
6. Rm 6, 17.
7. jn 15, 16.
8. Mt 28, 19.
9. Is 49, 6.
10. Rm 11, 13-14.
11. Voir Jn 20, 22.
12. 2 Corinthiens 2, 10.



d’Israël 1." Voilà pourquoi <l’Apôtre> exhortait les fidèles à <mettre> cela <en pratique>, en disant: "Quoi que vous fassiez en parole ou en oeuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père 2."

65. 4. <L’Apôtre décrit son apos tolat> par son pouvoir sur ceux à qui il écrivait, lesquels étaient soumis à cet apos tolat; aussi ajoute-t-il: 6 dont, c’est-à-dire de ces nations soumises à notre apostolat, vous êtes vous aussi, ô Romains, quelque sublimes que vous soyez: "Il humiliera la cité sublime, le pied la foulera, les pieds du pauvre", c’est-à-dire du Christ, "les pas des indigents", c’est-à-dire des Apôtres, spécialement de Pierre et de Paul "Nous sommes venus jusqu’à vous avec l’Evangile du Christ 4."

Il ajoute: appelés de Jésus-Christ, c’est-à-dire par Jésus-Christ, selon ce verset d’Osée: "J’appellerai celui qui n’était point mon peuple 5"; ou bien, appelés pour être de Jésus-Christ: "Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés 6"; ou encore: appelés de Jésus-Christ, c’est-à-dire dont l’appel lation de chrétiens vient de Jésus-Christ: "Ce fut à Antioche que les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens 7."

66. II. Ensuite sont décrites les personnes saluées, et d’abord quant à leur lieu, quand il dit 7: à vous tous qui êtes à Rome.

Mais il écrit expressément à tous, parce qu’il désirait le salut de tous: "Je voudrais que tous les hommes soient comme moi" <Et dans le livre des> Actes, il lui a été dit: "Il faut aussi que tu me rendes témoignage à Rome 9."

67. Puis, les personnes saluées sont décrites quant au don de la grâce, par ces mots: bien-aimés de Dieu.

A. <En s’exprimant ainsi>, il expose en premier lieu l’origine de la grâce: l’amour de Dieu 10: "Il a aimé des peuples; tous les saints sont dans sa main 11" — "Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu", c’est-à-dire en premier, "mais c’est lui qui nous a aimés le premier 12." Car l’amour de Dieu n’est pas provoqué par le bien de la créature, comme l’amour humain, mais il cause au contraire le bien même de la créature, puisque aimer c’est vouloir du bien à celui que l’on aime 13; or la volonté de Dieu est la cause des choses, selon ce verset d’un psaume: "Tout ce qu’il a voulu, le Seigneur l’a fait dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes 14"

68. — B. En deuxième lieu, il expose leur vocation, lorsqu’il ajoute: appelés.

Or il y a deux sortes de vocations: l’une extérieure, selon laquelle <Jésus> a appelé Pierre et André: "Marchant le long de la mer de Galilée, Jésus vit deux frères, Simon qui est appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer (car ils étaient pêcheurs), et il leur dit: "Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes 15." Mais l’autre est

1. Ac 9, 15.
2. Col 3, 17.
3. Is 26, 5
4. 2 Co 10, 14.
5. Os 1, 9; cité d’après Rm 9, 25.
6. Rm 8, 30.
7. Ac 11, 26.
8. I (:0 7, 7.
9. Ac 23, 11.
10. C’est l’amour de Dieu pour nous qui cause la gréce en nous. — Lieu parallèle Somme Théologique 1a Q. 110, a. 1.
11. Dt 33, 3.
12. 1 Jn 4, 10.
13. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque VIII [1155 b 31] AL XXVI, fasc. 3, P. 300; [ a 9]; AL XXVI, fasc. 3, p. 301 [ b 8-10]; AL XXVI, fasc. 3, p. 302; IX [ a 2-31 AL XXVI, fasc. 3, p. 328, etc. ; Rhétorique II, c. IV, 2 [ h 35] traduction latine par Hermann l’Allemand (1256), ms. Paris BN lat. 16673, f" 28 a. — Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2 Q. 26, a. 6, obi. 3; Q. 27, a. 2, obi. 1; De malo, Q. 8, a. 1, sol. 19; AdGal. 6, 10, lect. 2 (éd. Marietti, n° 364).
14. Ps 134, 6.
15. Mt 4, 18-19.



une vocation intérieure, laquelle se fait selon une inspiration intérieure: "J’ai appelé, et vous résistez."

69. — C. En troisième lieu, il expose la grâce de la justification, lorsqu’il dit: saints, c’est-à-dire sanctifiés par la grâce et par les sacrements de la grâce: "Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanc tifiés 2", pour être les bien-aimés de Dieu, appelés à être saints.

70. — III. Après quoi sont exposés les biens qu’il leur souhaite; ce sont la grâce et la paix. L’un d’entre eux, à savoir la grâce, est le premier des dons de Dieu, parce que c’est par elle que l’impie est justifié: "Etant justifiés gratuitement par sa grâce 3." Tandis que l’autre <bien>, à savoir la paix, est le dernier <des dons divins>, parce qu’il se complète dans la béatitude: "C’est lui qui a établi sur tes confins la paix 4." Car ce sera la paix parfaite, quand la volonté se reposera dans la plénitude de tout bien, en obtenant l’immunité de tout mal: "Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix 5." Et ainsi entre ces deux biens sont compris les autres intermédiaires.

71. <L’Apôtre> montre aussi de qui il faut attendre ces biens, quand il ajoute: de la part de Dieu Notre Père. — "Tout présent excellent, tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières 6." — "Le Seigneur donnera la grâce et la gloire 7."

Et <l’Apôtre> ajoute: et du Seigneur Jésus-Christ, parce que selon Jean "la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 8"; et <dans ce même évangile, le Christ> dit lui-même "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix 9."

72. D’autre part, en disant: de la part de Dieu Notre Père, la Trinité tout entière peut être essentiellement incluse sous le mot "Père", parce que les noms qui impliquent une relation à la créature 10 sont communs à toute la Trinité, comme <ceux> de "Créateur" et de "Seigneur." Mais il ajoute: et du Seigneur Jésus-Christ, non point parce qu’il est une personne distincte des trois <personnes divines>, mais en raison de sa nature humaine, par le mystère de laquelle les dons des grâces nous parviennent: "Par qui <Dieu> nous a donné de si grandes et précieuses promesses 11."

Ou bien on peut dire que par ces mots: de la part de Dieu Notre Père, on comprend la personne du Père, qui est appelé Père du Christ selon sa propriété, mais Notre Père par appropriation 12 "Je monte vers mon Père et votre Père 13."

73. Mais <l’Apôtre> parle de la personne du Fils, lorsqu’il dit: et du Seigneur Jésus-Christ. Quant à la personne du Saint-Esprit elle n’est pas mentionnée, parce qu’on la discerne dans ses dons, qui sont la grâce et la paix 14; ou encore parce qu’elle est comprise dans les deux personnes, <celles> du Père et du Fils, dont elle est l’union et le lien 15.

1. Pr 1, 24.
2. 1 Corinthiens 6, 11.
3. Rm 3, 24.
4. Ps 147, 14.
5. Is 52, 18.
6. Jc 1, 17.
7. Ps 83, 12.
8. Jn 1, 17.
9. Jn 14, 27.
10. La méditation sur les Noms divins revêt chez saint Thomas, dans la ligne de Denys l’Aréopagite, une grande importance, Le Nom le meilleur, le plus approprié, serait celui qui désignerait Dieu dans sa nature propre. Un tel nom n’existe pas. Etant tiré du vocabulaire humain, tout nom comprend quelque chose de créé et ne peut désigner l’Incréé qu’à l’aide d’une analogie nécessairement déficiente. C’est pourquoi saint Thomas déclare dans son Commentaire aux "Noms divins" de Denys (De div. nom., VII, 4) " Dieu, nous le connaissons par notre ignorance, en tant que c’est cela même, connaître Dieu, que de savoir que nous ignorons de Dieu ce qu’il est, Cependant, cet apophatisme radical ne va pas jusqu’à rejeter tous les Noms divins dans l’insignifiance. Parmi ces Noms, il faut distinguer ceux qui désignent Dieu en lui-même (bien que sur la base d’une analogie): ainsi du Nom, Celui qui est et les Noms qui, dans leur signification même, expriment une relation avec les créatures ainsi des Noms " Créateur" ou Seigneurs (voir Somme Théologique P, Q. 13, a. 7 et a. 11). Voir Géry PR0uV0sT, Thomas d’Aquin et les thomismes, p. 164.
11. 2 P 1, 4.
12. Lieu parallèle Somme Théologique Ia, Q. 33, a. 2 et 3.
13. Jn 20, 17.
14. Pour le don de ta grâce, voir Somme Théologique 1a-2ae Q. 109, a. 9, sol. 2. Au sens strict, ta paix est un des douze fruits du Saint-Esprit, voir Somme Théologique I’-2ae, Q. 70, a. 3.
15. Si la théologie qui fait du Saint-Esprit l’unité (uniras), et plus spécialement l’amour (chantas) qui unit le Pére et le Fils, est d’inspi ration augustinienne (voir dens le De Trinriare VI, V, 7 [n° 15, 482-485]; XV, 19, 37 [n° 16, 522-525]), en revanche, le mot lien (nexus) utilisé ici est propre aux théologiens médiévaux (voir notamment chez ALExpNDRE DE HALÈs, Summa theologica Ia, inqui sitio II, tractatus unus, quaestio I, titulus II, articulus III (A n procedere per modum nexus su Spirztus Sancti), éd. Quaracchi, 1924, p. 446-447). — Lieux parallèles Somme Théologique Ia, Q. 37, a. 1, sol. 3; I Sentences dist. 10, a. 1, sol. 4; dist. 27, Q. 2, a. 2.


Leçon 5 [versets 8 à 16a]

6
075 (
Rm 1,8-16)


[n° 74] 8 Et d’abord je rends grâces à mon Dieu, par Jésus-Christ, pour vous tous, de ce que votre foi est annoncée dans le monde entier.

[n° 78] 9 Car Dieu m’en est témoin, lui que je sers en mon esprit dans l’Evangile de son Fils, que sans relâche je fais toujours mémoire de vous.

[n° 85] 10 dans mes prières, demandant avec obsécration, si en quelque manière c’est selon la volonté de Dieu, de m’accorder enfin un heureux voyage pour venir jusqu’à vous.

[n° 87] 11 Car je désire vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle, afin de vous confirmer,

[n° 88] 12 c’est-à-dire de nous consoler mutuellement chez vous, par cette foi qui nous est commune à vous et à moi.

[n° 89] 13 Aussi, je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que je me suis souvent proposé de venir chez vous (mais j’en ai été empêché jusqu’à maintenant), afin de recueillir quelque fruit chez vous, comme chez les autres nations païennes.

[n° 94] 14 me dois aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants;

[n° 95] 15 de là (pour ce qui est de moi) ma promptitude â vous annoncer l’Evangile, à vous aussi qui êtes à Rome.

[n° 96] 16a Car je ne rougis pas de l’Evangile.



74. Après la salutation [n° 15], l’Apôtre commence maintenant à aborder l’épître proprement dite.

Il témoigne en premier lieu son affection envers ceux auxquels il écrit, afin de rendre bienveillants ses auditeurs.

Puis, il les instruit sur la, vérité de la grâce du Christ [n° 97]: "[L'Evangile] est en effet une puissance de Dieu."

Il témoigne son affection envers eux de trois manières

I) Par l’action de grâces pour les biens [qu'ils ont reçus].

II) Par la prière qu’il répand à Dieu pour eux [n° 78]: car Dieu m’en est témoin.

III) Par le désir qu’il a de les visiter [n° 85]: 10 dans mes prières, etc.

75. — I. À propos de l’action de grâces, il faut prendre trois choses en considé ration

A. L’ordre de l’action de grâces, lorsqu’il dit: d’abord je rends grâces à mon Dieu.

Il est en effet nécessaire de faire précéder toutes choses par l’action de grâces, selon ce verset de la première épître aux Thessa loniciens: "Rendez grâces en toutes choses; car c’est la volonté de Dieu dans le Christ Jésus, par rapport â vous tous 1" Car celui qui ne rend pas grâces après avoir reçu des bienfaits n’est pas digne d’en obtenir "L’espérance de l’ingrat, comme la glace de l’hiver, se fondra; et elle périra

1. 1 Th 5, 18.



entièrement comme une eau inutile 1"; et encore: "Vers le lieu d’où ils sortent, les fleuves retournent pour de nouveau couler 2", parce que les bienfaits retournent au principe d’où ils proviennent, c’est-à-dire par les actions de grâces, pour se répandre de nouveau, c’est-à-dire par le don de nouveaux bienfaits 3. Or en tout ce que nous demandons ou faisons, le bien fait divin nous est nécessaire, et c’est pourquoi avant toutes choses nous devons commencer par rendre grâces.

76. B. <L’Apôtre> désigne trois personnes, dont la première est celle à qui s’adresse l’action de grâces. Il la désigne en disant: à mon Dieu, c’est-à-dire celui à qui est due l’action de grâces pour tous les biens, parce qu’ils découlent de lui: "Tout présent excellent et tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières, chez qui n’existe aucun changement, ni l’ombre d’une variation 4." Et bien qu’il soit le Dieu de tous par sa création et son gouvernement, selon ce verset: "C’est le même Seigneur de tous 5", on dit cependant qu’il est d’une manière spéciale le Dieu des justes, pour trois raisons

1. À cause du soin particulier qu’il en prend: "Les yeux du Seigneur sont sur les justes 6", et ailleurs: "Le Seigneur est ma lumière et mon salut".

2. Par le culte spécial <que les justes lui rendent>: "C’est mon Dieu, et je le glorifierai 8."

3. Parce qu’il est leur récompense "Moi, je suis le Seigneur, ta récompense sera extrêmement grande 10."

La deuxième personne <désignée> est le médiateur. Il la mentionne en disant: par Jésus-Christ, car l’action de grâces doit remonter à Dieu dans le même ordre que les grâces descendent de Dieu vers nous, c’est-à-dire par Jésus-Christ: "Par qui nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis 11."

La troisième est la personne de ceux pour qui il rend grâces. Il la désigne en ajoutant: pour vous tous, parce qu’il regarde leurs actions de grâces comme les siennes propres, à cause du lien de la charité autrement dit: je n’ai pas à remercier davantage pour avoir appris <que votre foi est annoncée dans le monde entier>.

Et il dit expressément: pour vous tous, parce qu’il désire plaire à tous: "C’est ainsi que moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, ne cherchant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés 12", et qu’il désire vivement le salut de tous, selon ce verset de la première épître aux Corinthiens: "Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi 13."

77. — C. <L’Apôtre> expose la matière de l’action de grâces, quand il ajoute: de ce que votre foi est annoncée dans le monde entier. Il rend grâces pour la foi,

l. Sg 16, 29.
2. EccI (Qo) 1, 7b.
3. L’eau est traditionnellement un symbole de la grâce divine, qu’il s’agisse de l’eau de pluie (Is 45, 8): "Rorate cadi desuper et nubes pluant justum […] "Cieux, répandez d’en haut votre rosée, et que les nuées fassent pleuvoir le juste s] ou de l’eau des fleuves. Saint Thomas vient de parler de la prière qui se répand (fundiz) évoquant ainsi un mouvement d’effusion. Il fait maintenant allusion au cycle de l’eau: sous la chaleur du soleil, l’eau, transformée en vapeur, remonte au ciel; c’est une image de l’action de grâces, condition d’une nouvelle pluie de grâce de la part de Dieu. Ainsi, d’emblée, est présenté ce qui sera le thème essentiel de l’épître.
4. Jc 1, 17.
5. Rm 10, 12.
6. Ps 33, 16.
7. Ps 26, 1.
8. Ex 15, 2.
9. On retrouve dans ces trois moments les trois phases du cycle de la grâce descente, remontée, redescente gratifiante. Mouvement circulaire où s’avère l’une des tendances profondes de la pensée thomasienne et qui répond au mouvement même de la vie spiri tuelle.
l0. Gn 15, 1.
11. Rm 5, 2.
12. 1 Corinthiens 10, 33.
13. 1 Corinthiens 7, 7.



parce que c’est elle qui est le fondement de tous les biens spirituels: "La foi est la subs tance des réalités qu’on doit espérer 1."

Or les Romains sont loués pour leur foi, parce qu’ils l’avaient accueillie promptement, et qu’ils y persévéraient avec fermeté. Aussi, jusqu’à aujourd’hui, les très nombreux signes de leur foi nous sont-ils manifestés lorsqu’on visite les saints lieux, comme le rapporte Jérôme dans son commentaire de l’épître aux Galates 2. Cependant ils n’avaient pas encore une foi parfaite, parce que certains d’entre eux s’étaient laissé surprendre par de faux apôtres, au point de croire que les céré monies de la Loi <ancienne> devaient être mêlées à l’Evangile 3.

Mais <l’Apôtre> se réjouit et rend grâces pour leur foi non seulement à cause d’eux-mêmes, mais à cause de l’utilité qui en résultait, parce que par l’exemple de ceux qui étaient les maîtres des nations païennes, d’autres nations étaient appelées à la foi; car, selon la Glose, l’inférieur imite promptement ce qu’il voit faire par son supérieur 4. Et voilà pourquoi les prélats sont exhortés à "se faire de coeur le modèle du troupeau 5."

78. — II. Ensuite lorsqu’il dit: 9 car Dieu m’en est témoin, etc., <l’Apôtre> montre son affection à leur égard par la prière qu’il répand pour eux.

Et parce que c’est dans le secret que l’affaire de la prière se traite en présence de Dieu, selon ce verset de Matthieu: "Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre et, la porte fermée, prie ton Père en secret", il prouve par le témoignage de Dieu qu’il prie pour eux.

Il commence donc par invoquer le témoin, puis il manifeste la raison pour laquelle il invoque plus haut son témoignage, <en disant:> que sans relâche [n° 83].

79. — A. <L’Apôtre> invoque le témoin quand il dit: Dieu m’en est témoin, sous le témoignage duquel toutes choses se font: "C’est moi qui suis le juge et le témoin, dit le Seigneur 7."

Et pour montrer qu’il n’invoque pas en vain ce juste témoin, il expose ensuite comment il lui est uni.

1. Par son service, lorsqu’il dit: lui que je sers, c’est-à-dire par le culte de latrie 8: "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul."

2. Par sa manière de servir, lorsqu’il dit: en mon esprit, autrement dit, non seulement d’un culte extérieur corporel, mais principalement intérieur selon l’esprit: "Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité 10." Ou bien: en esprit, c’est-à-dire par des observances spirituelles, non char nelles, à la manière des Juifs "C’est nous qui sommes la circoncision, nous qui servons Dieu en esprit 11."

3. Par le ministère dans lequel il sert, à savoir dans l’Evangile de son Fils, selon ce <qui a été dit> plus, haut: "séparé du troupeau en vue de l’Evangile de Dieu 12."

1. He 11, 1.
2. Voir SAINT JÉRÔME, Commentarii in epistulam ad Galatas H, 3 (PL 26, 355 BC).
3. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2ae, Q. 103, a. 3; 4 Sens., dist. 1, Q. 2, a. 5.
4. Voir AMBROSIASTER, Commentaria in Epistolam ad Romanos I, 8 (CSEL 81/1, 21-22); Glosa in Rom. I, 8 (GPL, col. 1317 C).
5. 1 P 5, 3.
6. Mt 6, 6.
7. Jr 29, 23.
8. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 81, a. 1, sol. 3 et 4; Q. 94, a. 1, sol. 2; 3 Sentences dist. 9, Q. 1, a. 1, Q. 1; AdRom. 1, 23, lect. 7 (éd. Marietti, n° 134); 1, 25, lect. 7 (éd. Marietti, n 142); 12, 11, lect. 2 (éd. Marietti, n° 989).
9. Citation de Dt 6, 13 ou 10, 20 à travers Mt 4, 10 ou Lc 4, 8. Le verset du Deutéronome portant o timebis (tu craindras) o au lieu de o adorabis (tu adoreras)."
10. Jn 4, 24.
11. Ph3, 3.
12. Rm 1, 1.



Car il est <l’Évangile> du Fils de Dieu pour trois raisons. D’abord, parce qu’il en est le sujet: "Je vous annonce l’Evangile d’une grande joie 1"; puis, parce qu’il l’a prêché par lui-même, en vertu de son ministère propre: "Il faut que j’annonce l’Evangile du Royaume de Dieu aux autres villes, car je suis envoyé pour cela 2."; enfin, parce qu’il l’a enjoint lui-même: "Prêchez l’Evangile à toute créature 3."

80. Mais, selon Augustin 4 puisque <cette expression>: Car Dieu m’en est témoin, signifie la même chose que: Je jure par Dieu, l’Apôtre semble agir contre ce que le Seigneur dit: "Moi je vous dis de ne jurer en aucune façon, ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu; ni par la terre, parce que c’est l’escabeau de ses pieds; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi; ne jure pas non plus par ta tête, parce que tu ne peux rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir 5." <Et il est écrit dans l’épître de> Jacques: "Mais avant tout, mes frères, ne jurez ni par le ciel, ni par la terre, et ne faites aucun autre serment que ce soit. Que tout discours soit: Oui, oui; non, non; afin que vous ne tombiez pas sous le jugement 6."

Mais, comme le dit Augustin 7, le sens de l’Ecriture sainte se comprend par les actions des saints. Car ce même Esprit, qui inspire l’Ecriture sainte, selon ce passage de la seconde épître de Pierre: "C’est inspirés par l’Esprit-Saint, qu’ont parlé les saints hommes de Dieu 8" <ce même Esprit> amène ces saints hommes à l’action: "ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu 9."

Ce serment de Paul nous apprend donc à l’évidence que la parole du Seigneur et celle de l’apôtre Jacques ne doivent pas être entendues de telle manière qu’un serment 10 serait, pour ainsi dire, tout à fait illicite, mais que l’homme doit s’efforcer, autant qu’il dépend de lui, de ne pas employer de serment, bien qu’il soit un acte bon et désirable en soi; soit parce que le serment fréquent expose l’homme au danger prochain de verser dans le parjure, à cause de la faiblesse de la langue humaine, selon ce passage de l’Ecclésiastique: < serment ne s’accoutume pas ta bouche; car beaucoup de chutes se font par lui 11." soit aussi parce qu’il semble irrespectueux à l’égard de Dieu de l’invoquer comme témoin sans motif néces saire: "Que le nom de Dieu ne soit pas continuellement dans ta bouche 12." Aussi voit-on que l’Apôtre n’a fait de serment que par écrit quand l’homme parle avec davantage de réflexion et de prudence 13.

81. Cependant le serment est quel quefois nécessaire pour qu’on ajoute foi à la parole de celui qui parle, ce qui est parfois utile même à celui qui écoute. C’est ainsi que l’Apôtre fait un serment pour le bien de ses auditeurs, à qui il était utile de croire qu’il ne cherchait pas son propre avantage, mais celui du plus grand nombre, en vue du salut 14.

1. Lc 2, 10.
2. Lc 4, 43.
3. Mc 16, 15.
4. Voir sAiNT AUGUSTIN, Sermo CLXXX, vi, 6 (PL 38, 975); De sermone Domini in monte, xviI, 51 (CCL 35, 56). Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 89, a. 1.
5. Mt 5, 34.
6. Jc 5, 12.
7. Voir SAINT AUGUSTIN, De mendacio XV, 26 (PL 40, 506) "puissent les actes accomplis par les saints dans le Nouveau Testament, où nous est très clairement recommandée l’imitation de leur conduite, avoir pour nous force d’exemple et nous mettre à même de comprendre dans les Ecriturea les préceptes qui y sont formulés." —. Lieux parallèles: 3 Sentences dist. 38, a. 3, obi. 4 et sol. 4; Super Ioan. 18, 23, lect. 4 (éd. Marietti, n° 2321); Contra doet. retrahent., c. XV.
8. 2 P 1, 21.
9. Rm 8, 14.
10. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 89, a. 2; 3 Sentences dist. 39, a. 2; Col!, in decem praec., c. de secundo praecepto; Super Matth. 5, 34-37 (éd. Marietti n° 526-536) Ad Hebr. 6, 16, lect. 4 (éd. Marietti, n° 318-320).
11. Eccli (Si) 23, 9.
12. Eccli (Si) 23, 10.
13. Voir SAINT AUGUsTIN, De mendacio XV, 28 (PL 40, 507).
14. L’importance accordée au serment ne devrait pas nous surprendre. Elle ressortit au caractère sacro-saint du Nom divin que l’on invoque à témoin (voir le deuxième des dix commandements), en même temps qu’à la valeur d’engagement de la parole humaine. Saint Jean Chrysostome considère le serment comme une faute grave, à l’égal du meurtre et de l’adultère (Trois catéchèses bapsisma!es, cat. II, 2 (SC 366, 173); II, 8 (SC 366, 197). L’attitude de saint Thomas est plus mesurée.



En conséquence cette parole du Seigneur dans <l’évangile de> Matthieu: "Ce qui est de plus", c’est-à-dire plus que la parole franche, "vient du mal 1", ne doit pas être entendue comme étant un mal pour celui qui fait un serment, mais bien pour celui qui exige un serment; <et elle ne doit pas même être entendue> comme étant un mal <ayant le caractère> d’une faute 2 si ce n’est dans le cas où l’on penserait que celui dont on exige un serment ferait un faux serment; car alors, selon Augustin 3, c’est un péché grave. Mais <cette parole> se comprend comme étant un mal <ayant le caractère> d’une peine, c’est-à-dire qu’en raison de l’ignorance nous ne savons pas si ce qu’on nous dit est vrai 4.

82. Or il y a deux manières de jurer 5: l’une par la simple attestation, comme lorsque nous disons: "par Dieu", ou "Dieu m’est témoin", et c’est de cette manière que l’Apôtre jure ici; l’autre par exécration, lorsqu’on invoque le témoi gnage divin, en s’infligeant une peine si l’on ment, suivant cette parole du psaume: "Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, que je tombe avec raison sans défense sous mes ennemis 6." Et l’Apôtre jure aussi de cette manière, <comme on le voit dans sa seconde épître aux Corinthiens> "Pour moi, je prends Dieu à témoin sur mon âme 7."

83. — B. Ensuite <l’Apôtre> expose la raison pour laquelle il invoque le témoin divin, en disant: je fais toujours mémoire de vous dans mes prières, qui sont sans relâche, c’est-à-dire parce que dans ses prières il priait toujours pour eux, à cause de l’utilité commune qui résultait de leur conversion "Loin de moi ce péché contre le Seigneur, que je cesse de prier pour vous 8."

Cette parole: je fais mémoire de vous, peut être comprise de deux manières. D’abord ainsi: je fais mémoire de vous, selon <le sens de> ce psaume: "Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens pas de toi 9." Puis, je fais mémoire de vous, c’est-à-dire une prière à Dieu, qui prend en considération les prières des humbles. Et ainsi, tandis que les saints prient pour leur prochain, ils sont en quelque sorte exposés au regard divin, tout comme il en est pour leurs autres actions. C’est pourquoi "cette femme <la veuve de Sarepta> dit donc à Eue: Qu’importe à moi et à toi, homme de Dieu ? Es-tu entré chez moi pour renouveler la mémoire de mes péché 10?" Comme si ce qui se fait contre les justes demeurait dans la mémoire et sous les yeux de Dieu.

84. Quand <l’Apôtre> dit que ses prières sont sans relâche, il se conforme à ce qu’il dit dans sa première épître aux Thessaloniciens "Priez sans cesse 11" et <à ce qui est écrit> dans <l’évangile de> Luc: "Il faut toujours prier et ne jamais se lasser 12" Ce qui peut s’entendre de trois manières d’abord quant à l’acte même de la prière. Dans ce sens, celui-là prie toujours ou sans cesse, qui prie à des temps

1. Mt 5, 37. — Lieu parallèle Super Matsh. 5, 37 (éd. Marietti, n° 535." ).
2. Lieux parallèles Somme Théologique 1a Q. 48, a. 5; 2 Sentences dist. 35, a. 1 De malo, Q. 1, a. 4.
3. Voir SAINT AUGUSTIN, Senno CLXXX, VIII, 9 (PL 38, 977).
4. La théologie distingue communément deux choses dans le péché d’une part la faute, qu’on appelle aussi la coulpe, qui constitue le péché comme tel, et d’autre part la peine (éternelle quand il s’agit d’un péché mortel) qui en est la conséquence. Non seulement le péché est une offense à Dieu, mats il est aussi un dommage causé à la créature pécheresse. Outre la peine éternelle, le péché peut causer des dommages temporels. Ainsi, dans le cas du serment exigé, il porte atteinte à la nature même de la parole, puisqu’on ne demande de serment qu’à la parole dont on doute, c’est-à-dire à la parole dont on ne sait si elle est conforme à sa nature (qui est de dire ce qui est).
5. Lieu parallèle " Somme Théologique 2-2ae, Q. 89, a. 1, sol. 3.
6. Ps 7, 5.
7. 2 Co 1, 23.
8. 1 R (1") 12, 23.
9. Pi 136, 6.
10. 3 R (1 R) 17, 18.
11. 1 Th 5, 17.
12. Lc 18, 1.



et à des heures fixes "Pierre et Jean montaient au temple pour la prière de la neuvième heure 1." Ensuite quant à la fin de la prière, qui est d’élever notre intelligence vers Dieu et dans ce sens l’homme prie aussi longtemps qu’il ordonne toute sa vie en fonction de Dieu 2. "Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu 3. "Enfin quant à son motif, car lorsqu’on agit dans le but que les autres prient pour soi, on prie en quelque sorte soi-même, comme on le voit chez ceux qui font l’aumône aux pauvres, lesquels <en retour> prient pour eux "Renferme l’aumône dans le sein du pauvre, et cette aumône te purifiera de tout mal 4."

Ce texte doit donc s’enchaîner comme suit: Je rends grâces pour vous, parce que je regarde vos biens comme les miens; la preuve en est que je prie pour vous comme je le fais pour moi-même.

85. — III. Ensuite quand il dit: 10 demandant avec obsécration, etc., il témoigne son affection par le désir qu’il a de visiter <les Romains>.

A) Et il expose d’abord son désir.

B) Puis, sa résolution de l’accomplir 13 je ne veux pas vous laisser ignorer [n° 89].

A. À propos de ce désir, il en donne

1) Le signe.

2) Le motif Car je désire vous voir [n° 87].

86. 1. Le signe de son désir est la prière qu’il faisait pour qu’il fût accompli.

Sa prière manifeste le signe de ce désir, d’abord par son intensité, quand il dit demandant avec obsécration, comme faisant appel aux choses saintes 5, à la manière dont on le fait pour une affaire importante qui excède tout mérite: "C’est avec des obsécrations que parlera le pauvre, mais le riche s’exprimera sévèrement 6." Or ce qu’on désire avec intensité semble grand à celui qui le désire.

Puis <sa prière manifeste le signe de son désir> par son anxiété, lorsqu’il dit: si en quelque manière. Ce qu’on désire avec anxiété, on cherche à l’obtenir par n’importe quelle manière, facilement ou laborieusement: "Mais qu’importe ? Pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle, je m’en réjouis et je continuerai â m’en réjouir 7."

Ensuite <sa prière manifeste le signe de son désir> par sa constance, lorsqu’il dit: enfin, c’est-à-dire après de longs désirs. Car l’affection des justes ne dure pas un moment, mais elle persévère "Il aime en tout temps, celui qui est ami 8."

Enfin <sa prière manifeste le signe de son désir> par sa rectitude, en ce que <ce désir> est conforme à la volonté divine, aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: de m’accorder un heureux voyage, et cela selon la volonté de Dieu, c’est-à-dire selon sa volonté d’après laquelle je considère uniquement ce qui est heureux, comme le dit aussi le Seigneur "Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne 9."

87. 2. Lorsqu’il dit: 11 Car je désire, etc., il montre le motif de son désir, lequel a deux objets:

1. Ac 3, 1.
2. Voir SAINT JEAN DAMASCENE, Defide orthodoxa III, 24 (PG 94, 1089 cd; éd. E. M. Buytaert, p. 267). — Lieux parallèles: Somme Théologique 2°-2 Q. 83, a. 1; a. 13, obj. 2; Y, Q. 21, a. 1, obj. 3; 4 Sentences dist. 15, Q. 4, a. 1, q 2, obj. 2 et sol. 2 ad secundum; Super Psalmos, in Prol. ; in Ps 24, 1; Ps 38, 13; Ps 41, 12; Ps 43, 2. 3. 1 Co 10, 31.
4. Eccli (Si) 29, 15.
5. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 83, a. 17; 4 Sentences d, st. 15, Q. 4, a. 3; AdPhilip. 4, 6, lect. 1 (éd. Martetti, n° 157); 1 Ad Tim. 2, 1, lect. 1 (éd. Marietti, n°56).
6. Pr 18, 23.
7. Ph 1, 18.
8. Pr 17, 17.
9. Lc 22, 42.

a. L’utilité de ceux qu’il devait visiter, aussi dit-il: Car je désire vous voir. — "Je soupire après vous tous dans les entrailles de Jésus-Christ 1", et cela non inuti lement, comme il en est de l’amitié mondaine, mais pour vous faire part, c’est-à-dire vous communiquer, de quelque grâce spirituelle, non en tant qu’auteur de la grâce, mais comme ministre "Que les hommes nous regardent comme ministres du Christ, et dispensateurs des mystères de Dieu 2." Et cela afin de vous confirmer, c’est-à-dire dans la foi que vous avez reçue: "Et toi quand tu seras converti, confirme tes frères 3."

Or un ministre confère la grâce de plusieurs manières soit par l’adminis tration des sacrements de la grâce: "Chacun de vous mettant au service des autres la grâce qu’il a reçue, comme de bons dispensateurs de la grâce multiforme de Dieu 4"; soit par l’exhortation de la parole: "Qu’aucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche, mais quelque bonne parole propre à édifier la foi, quand il le faut, afin de donner une grâce à ceux qui l’entendent 5."

88. b. Le second objet du motif de son désir est la consolation réciproque, en ce qui concerne la relation de l’amitié, c’est pourquoi il ajoute: 12 c’est-à-dire, à savoir, de vous voir et de vous faire part de la grâce, et de nous consoler mutuellement chez vous, par cette foi qui nous est commune à vous et à moi.

Car se rendre unanimes dans la foi équivaut à une mutuelle consolation "Celui qui console les humbles, Dieu, nous a consolés par l’arrivée de Tite; non seulement par son arrivée, mais encore par la consolation qu’il a reçue de vous; nous ayant raconté votre désir, vos pleurs, votre zèle pour moi, de sorte que ma joie en a été plus grande 6."

89. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit ensuite: 13 aussi, je ne veux pas vous laisser ignorer, de crainte que cela ne paraisse qu’un vain désir, il ajoute sa résolution de l’accomplir.

1) Aussi énonce-t-il d’abord sa réso lution.

2) Puis, il montre le motif de sa réso lution afin de recueillir quelque fruit [n° 92].

3) Enfin il conclut <en exprimant> la promptitude de sa résolution de là (pour ce qui est de moi) ma promptitude, etc. [n° 95].

1. Il commence par énoncer sa réso lution, et puis il en indique l’empêchement: mais j’en ai été empêché jusqu’à maintenant.

90. Il dit donc d’abord non seulement je désire vous voir, mais je me suis aussi proposé de mettre ce désir à exécution, et je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que je me suis souvent proposé de venir chez vous, afin de vous témoigner mon amour, "non par la parole et par la langue, mais en acte et en vérité 7."

91. Il traite ensuite de l’obstacle qui l’a empêché d’accomplir cette résolution, en disant: j’en ai été empêché jusqu’à maintenant, etc. et cela soit par le diable, qui s’efforce d’empêcher la prédication, d’où procède le salut des hommes "Le vent d’aquilon dissipe les pluies 8", c’est-à-dire la doctrine des prédicateurs; soit par Dieu lui-même, dont la volonté règle les voyages et les paroles des prédicateurs: "Les

1. Ph 1, 8.
2. 1 Corinthiens 4, 1.
3. Lc 22, 32.
4. 1 P 4, 10.
5. Ep 4, 29.
6. 2 Corinthiens 7, 6-7.
7. 1 Jn 3, 18.
8. Pr 25, 23. le mot pluvia (pluie) est au pluriel dans la Vulgate, mais figure au singulier dans la Bible mazarine, voir Libri Salomonis id est Proverbia Ecclesiastes Ganticum Canticorum, Rome, Typis Poly glottis Vaticanis, 1957, p. 104, en note 0 (Mazarmus) Parisinus, Bibi. mazar. 5, ante 1231.



nuées >, c’est-à-dire les prédicateurs 1, "répandent leur lumière; elles éclairent de toutes parts, partout où les conduit la volonté de celui qui les gouverne 2." D’où ce qui est aussi écrit dans les Actes: "Mais comme ils traversaient la Phrygie et le pays de Galatie, il leur fut défendu par l’Esprit-Saint d’annoncer la Parole de Dieu dans l’Asie. Etant venus en Mysie, ils tentèrent d’aller en Bithynie; mais l’Esprit de Jésus ne leur permit pas 3."

L’Apôtre, pour leur bien, ne veut pas leur laisser ignorer ce double obstacle, afin que, connaissant son affection, les Apôtres accueillent ses paroles avec plus d’empres sement et qu’attribuant l’empêchement de sa visite à leur faute, ils se corrigent. Car il est écrit à propos de la peine d’une faute Je commanderai à mes nuées de ne pas répandre de pluie sur elle 4."

92. 2. Ensuite <l’Apôtre> expose le double motif de sa résolution, dont le premier est l’utilité, aussi dit-il: afin de recueillir quelque fruit chez vous, comme chez les autres nations païennes, c’est-à-dire celles à qui j’ai prêché. On peut entendre ces paroles de deux manières. D’abord, comme s’il disait afin de produire quelque fruit en vous par ma prédication: "Afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom il vous le donne 5." Ensuite, comme si de leur conversion devait croître un fruit pour lui-même, selon cette parole "Celui qui moissonne reçoit un salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, afin que se réjouissent ensemble celui qui sème et celui qui moissonne 6."

93. Mais l’autre motif est le devoir qui s’imposait à lui à la suite du ministère qu’il avait reçu: "Si j’évangélise, il n’y a pas de quoi me glorifier; c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je n’évangélisais pas Car si je faisais cela de mon plein gré, j’aurais un salaire, mais si c’est malgré moi, c’est une charge qui m’est confiée." Et parce qu’il avait reçu l’apos tolat de toutes nations païennes, il se déclare le débiteur de tous, selon cette parole "Lorsque j’étais libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner un plus grand nombre 8."

94. Et c’est pourquoi il expose une double 9 diversité. L’une concerne la diversité des nations, lorsqu’il dit: 14 aux Grecs comme aux barbares.

On dit de quelqu’un qu’il est barbare de deux manières. Ou bien dans un sens restreint, par exemple quand il est étranger relativement à un autre, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens: "Si donc j’ignore la valeur du langage, je serai pour celui qui parle un barbare, et celui qui parle sera pour moi un barbare 10." Ou bien dans un sens absolu, quand il est comme un étranger par rapport à la société humaine, en tant qu’il ne se conduit pas selon la raison. En ce sens à proprement parler, sont appelés barbares ceux qui ne se conduisent pas selon la raison, suivant ce qui est dit: "N’agis pas de manière si sauvage et si barbare 11", c’est-à-dire de manière si inhumaine. Et parce que les Grecs ont les premiers établi des lois, tous les Gentils qui se conduisent selon les lois humaines, il les appelle Grecs. Quant aux Juifs, qui se conduisent selon les lois divines, il n’en fait pas mention, parce qu’il n’avait pas été établi Apôtre des Juifs, mais des nations païennes: "Nous irions, eux aux circoncis, et nous, aux nations païennes 1."

1. Voir Glosa ordinaria in lob XXXVII, I lb (GOS, t. II, p. 441 b).
2. Jb 37, llb-12a.
3. Ac 16, 6-7.
4. Is 5, 6. La variante meis (mes) figure dans la Vetus latzna, voir éd. Roger Gryson, Isaïe 5, 6, t. XIL/l, fasc. 4, p. 155.
5. Jn 15, 16.
6. Jn 4, 36.
7. 1 Co 9, 16-17.
8. 1 Corinthiens 9, 19.
9. La seconde diversité, correspondant à la seconde partie du verset aux savants comme aux ignorants, n’est pas exposée.
10. 1 Corinthiens 14, 11.
11. 2 M 15, 2.



95. 3. À partir de ce double motif il conclut <en exprimant> la promptitude 2 de sa volonté, lorsqu’il ajoute: 15 de là (pour ce qui est de moi), c’est-à-dire en ce qui me concerne, si d’ailleurs je ne suis pas empêché, de là ma promptitude à vous annoncer l’Evangile, à vous aussi qui êtes à Rome. <Il est écrit au livre de l’Exode> "Toute la multitude des enfants d’Israël étant sortie de la présence de Moïse, ils offrirent avec un esprit très prompt et dévoué les prémices au Seigneur, pour faire l’ouvrage du tabernacle du témoignage 3."

96. Et il écarte ce qui empêcherait sa promptitude, à savoir son rougissement de honte, en quoi beaucoup négligent ce qu’ils feraient autrement avec promptitude. Et d’où, ce qu’il ajoute: 16a car je ne rougis pas de l’Evangile; ce qui aux yeux des infidèles, du moins pour certains, paraissait un sujet de honte, à cause ces paroles de l’Apôtre "Et nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les nations païennes 4." Mais il n’y a pas, selon la vérité des choses, matière à rougir de honte, étant donné la suite <du passage précité> "Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs comme Grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu 5." D’où ces paroles <du Seigneur dans l’évangile> de Luc: "Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira 6." Et de là vient que les baptisés sont marqués du signe de la croix avec l’onction du saint chrême sur le front, qui est le siège de la honte, afin qu’ils ne rougissent pas de l’Evangile 7.

1. Ga 2, 9. Citation non littérale.
2. La promptitude est une qualité spéciale de la dévotion, laquelle est un acte immanent à la volonté portant sur le prompt accomplis sement de ce qui regarde le service divin. Voir Somme Théologique 2 Q. 82, a. 1 et 2.
3. Ex 35, 20.
4. 1 Co 1, 23.
5. 1 Co 1, 24.
6. Lc 9, 26.
7. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 72, a. 9; 4 Sentences dist. 7, Q. 3, a. 3, Q. 3, sol. 2; 4 Coni. Gentiles c. 60; De quodlibet 11, Q. 7; Ad Rom. 10, 10, lect. 2 (éd. Marietti, n° 832).



Thomas A. sur Rm (1999) 5