Thomas A. sur Rm (1999) 8

Leçon 7 [versets 20b à 25]

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075 (
Rm 1,21-25)


[n° 123] 20b De sorte qu’ils sont inexcusables. [n° 126] 21 Puisque que ayant connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont pas rendu grâces; au contraire ils sont devenus vains dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci.

[n° 131] 22 Ainsi, en disant: qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous,

[n° 132] 23 Et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible contre la ressemblance d’une image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents.

[n° 137] 24 C’est pourquoi Dieu les a livrés selon les désirs de leur coeur â l’impureté, en sorte qu’ils traitent leurs propres corps avec des manières avilissantes,

[n° 141] 25 eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, honoré et servi la créature de préférence au Créateur, lequel est béni pour les siècles. Amen.

123. L’Apôtre, après avoir montré que la vérité de Dieu a été connue par les nations païennes [n° 113], montre ici que <les hommes> sont coupables d’une faute d’impiété et d’injustice.

Et il montre cela d’abord quant à la faute d’impiété.

Puis, quant à la faute d’injustice [n° 152]: "28 Et de même qu’ils n’ont pas approuvé, etc."

On aurait pu croire que chez les nations païennes la faute d’impiété soit excusée à cause de leur ignorance, comme l’Apôtre le dit de lui-même: "J’ai obtenu miséricorde de Dieu, parce que j’ai agi par ignorance, dans l’incrédulité 1."

I) Il montre donc en premier lieu que les Gentils sont inexcusables.

II) Puis, il expose leur faute [n° 132] 23 Et ils ont échangé la gloire de Dieu.

124. — I. À propos de leur culpabilité, il faut considérer d’abord le fait que l’igno rance excuse la faute dès lors que celle-ci en procède et <que l’ignorance> la cause, à condition toutefois qu’elle ne soit pas causée par une faute. Par exemple si, après avoir été dûment attentif, quelqu’un croyant frapper un ennemi frappe son père. Mais si l’ignorance est causée par une faute, elle ne peut excuser la faute subsé quente. Par conséquent, si quelqu’un commet un homicide à cause de son ébriété, il n’est pas excusé pour sa faute, parce qu’il a péché en s’enivrant; aussi mérite-t-il, selon le Philosophe, une double condamnation.

125. <L’Apôtre> énonce donc d’abord ce qu’il veut établir, en disant: 20b de sorte que, c’est-à-dire étant donné que ce qui est connu de Dieu leur a été manifesté, ils sont inexcusables, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent

1. 1 Tm 1, 13.
2. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2ae Q. 73, a. 6; Q. 76, a. 4; 2 Q. 59, a. 4, sol. i; 2Sentences dist. 22, Q. 2, a. 2; De malo, Q. 3, a. 8; De div. nom., c. 4, lect. 22; 5 Ethic., lect. 13.
3. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque III, 5 [1113 b]; AL XXVI, fasc. 3, p. 188. Lieux parallèles: 3 Ethic., lect. 11; Somme Théologique 1 Q. 76, a. 4, so1. 2et4; Q. 77, a. 7; 2 150, a. 4; 2Sentences dist. 22, Q. 2, a. 2, sol. 2; De malo, Q. 15, a. 2, sol. 9.



être excusés par l’ignorance. <Il est écrit dans l’épître de Jacques>: "Celui qui sait le bien à faire et qui ne le fait pas, est coupable de péché 1." <Et dans dans cette même épître>: "C’est pourquoi tu es inexcusable 2."

126. Puis, en disant: 21 Puisque ayant connu Dieu, etc., il prouve ce qu’il avait dit.

A. Et il montre d’abord que leur première faute n’a pas procédé de l’ignorance.

B. Puis, que c’est de cette faute que découle l’ignorance [n° 128]: au contraire ils sont devenus vains dans leurs pensées.

127. — A. Or, que leur première faute n’ait point résulté de l’ignorance, cela se voit dans le fait qu’ayant la connaissance de Dieu ils n’en ont point fait usage pour le bien. Ils ont, en effet, connu Dieu de deux manières

1. D’abord, en tant que supérieur à toutes choses, et à ce titre ils lui devaient la gloire et l’honneur dus aux supérieurs. Ces derniers sont donc qualifiés d’inexcu sables, puisque ayant connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou parce qu’ils ne lui ont pas rendu le culte qui lui est dû; ou parce qu’ils ont assigné une limite à sa puis sance et à sa science, en les amoindrissant, contrairement à ce qui est dit: "Glorifiez le Seigneur autant que vous le pourrez 3."

2. Puis, ils le connurent comme la cause de tous les biens. Ainsi lui devaient-ils en toutes choses une action de grâces, que cependant ils ne lui rendaient pas, attribuant ses biens plutôt à leur propre savoir-faire et à leur puissance; c’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute: Ils ne lui ont pas rendu grâces, à savoir au Seigneur "Rendez grâces en toutes choses 4."



128. — B. Ensuite, lorsqu’il dit: au contraire ils sont devenus vains, il montre qu’en eux l’ignorance résulte de leur faute.

1) Et il expose d’abord son intention.

2) Puis, il explique son propos [n° 131]: 22 En disant.

129. 1. Il commence donc par exposer la faute qui est la cause de l’igno rance, lorsqu’il dit: ils sont devenus vains.

On donne le nom de vain à ce qui n’a pas de stabilité et de fermeté. Or Dieu seul est de soi immuable 5: "Moi je suis Dieu, et je ne change pas 6." Et c’est pourquoi l’âme humaine n’est alors seulement libérée de la vanité que lorsqu’elle s’appuie sur Dieu. Mais quand, négligeant Dieu, elle s’appuie sur une créature quelconque, elle tombe dans la vanité: "Vains sont tous les hommes en qui n’est pas la science de Dieu, et qui par les biens visibles n’ont pu comprendre Celui qui est, et n’ont pas, en considérant les oeuvres, connu quel était l’ouvrier 7." Et: "Le Seigneur sait que les pensées des hommes sont vaines 8."

Ils sont devenus vains dans leurs pensées, en tant qu’ils mettaient leur confiance en eux-mêmes et non en Dieu, et s’attri buaient ses propres biens, selon ce verset du psaume: "Nos lèvres nous appar tiennent, qui est notre maître 9 ?"

130. <L’Apôtre> expose ensuite l’ignorance résultant <de cette faute>, en disant: et leur coeur insensé a été obscurci, c’est-à-dire parce qu’il a été obscurci, leur coeur est devenu insensé, en d’autres termes privé de la lumière de la sagesse, par laquelle l’homme connaît véritablement Dieu. Car,

1. Jc 4, 17.
2. Rm2, 1.
3. Eccli (Si) 43, 32.
4. 1 Th 5, 18.
5. Lieux parallèles Somme Théologique Ia, Q. 9, a. 1 et 2; Q. 10, a. 3; 1 Sentences dist. 8, Q. 3, a. 1 et 2; dist. 19, Q. 5, a. 3; 1 Contra Gentiles c. 13 et 14; 2, 25; Compend. theol. 4; De malo, Q. 16, a. 2, sol. 6; De quodl., 10, Q. 2; Super lob. 4, 18; 1 Ad Tim. 6, 16, lect. 3 (éd. Marietti, n° 268).
6. Ml 3, 6. Dominas Deus vester dans la Vetus latina, Dominus dans Is Vulgate. Voir DOM SAGATIER, Bibi. sacr., t. II, p. 1010.
7. Sg 13, 1.
8. Ps 93, 11.
9. Ps 11, 5. Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 11, 5.



de même que celui qui détourne ses yeux corporels du soleil matériel tombe dans l’obscurité matérielle, ainsi celui qui se détourne de Dieu, présumant de lui-même et non de Dieu, s’aveugle spirituellement "Où est l’humilité", c’est-à-dire par laquelle l’homme se soumet à Dieu, "là aussi est la sagesse; où sera l’orgueil, là aussi sera l’outrage 1." Et: "Tu as caché ces choses aux sages", c’est-à-dire à ceux qui se croyaient tels, "et tu les as révélées aux petits 2", c’est-à-dire aux humbles. Et <l’Apôtre> dit à leur sujet: "Je vous dis donc, et je vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les nations païennes, qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’intelligence obscurcie de ténèbres, entièrement éloignées de la vie de Dieu, par l’ignorance qui est en elles, à cause de l’aveuglement de leur coeur 3."

131. 2. Ensuite, lorsqu’il précise 22 en disant: il développe ce qu’il avait dit.

Et, d’abord, comment les païens sont devenus vains dans leurs pensées, lorsqu’il dit: en disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. — En disant, c’est-à-dire en s’attribuant la sagesse comme venant d’eux-mêmes: "Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux 4." Et: "Ils sont atteints de folie, les princes de Tanis, les sages conseillers du pharaon ont donné un conseil insensé. Comment direz-vous au pharaon: Je suis fils des sages, fils des anciens rois 5?"

Ensuite il développe ces autres paroles et leur coeur insensé a été obscurci, lorsqu’il dit: ils sont devenus fous, en agissant en quelque sorte contre la sagesse divine "Tout homme est devenu insensé par sa propre science 6", c’est-à-dire celle dont il se présumait 7.

132. — II. Puis, lorsqu’il dit: 23 ils ont échangé la gloire, il expose le péché d’impiété <commis par> les Gentils.

A) Et d’abord en ce qu’ils ont péché contre la gloire de Dieu.

B) Ensuite, comment ils ont péché contre la vérité de sa nature [n° 141]: 25 eux qui ont échangé la vérité.

A. À propos du péché contre la gloire de Dieu il expose deux choses

1) La faute de l’impiété.

2) Leur peine [n° 137] 24: C’est pourquoi Dieu les a livrés.

133. 1. Leur faute fut de trans former, dans la mesure où il était en eux, l’honneur divin, selon cette parole: "Mon peuple a changé sa gloire en une idole"

a) Il expose donc premièrement ce qu’ils ont changé.

b) Ensuite ce en quoi ils l’ont changé [n° 135]: contre la ressemblance.

134. a. Concernant ce qu’ils ont changé, trois choses sont à remarquer du côté de Dieu.

D’abord sa gloire que <l’Apôtre> mentionne en disant: et ils ont échangé la gloire; ce qui peut se comprendre de deux manières premièrement de la gloire par laquelle l’homme glorifie Dieu, en lui rendant le culte de latrie 9: "Au roi des

1. Pr 11, 2.
2. Mt 11, 25.
3. Ep4, 17-18.
4. Is 5, 21.
5. Is 19, 11.
6. Jr 10, 14.
7. L’ignorance serait excusable si elle résultait d’un défaut dans l’intelligence; mais alors, l’intelligence étant viciée en elle-même, plus aucune connaissance de la vérité ne serait possible. C’est pourquoi il faut maintenir qu’elle résulte d’une faute de la volonté, et donc qu’elle est coupable cette faute consiste à s’approprier la lumière intellective et la science qu’elle procure, et à subvertir l’ordre des causes et des effets, c’est-à—dire à obscurcir l’intelligence qui se connaît elle-même dans son acte comme réceptrice d’une lumière participée et non comme sa cause.
8. Jr2, 11.
9. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 81, a. 1, sol. 3; Q. 94, a. 1, sol. 2; 3 Sentences dist. 9, Q. 1, a. 1; Ad Rom. 1, 9, lect. 5 (éd. Marietti, n 79); 12, 11, lect. 2 (éd. Marietti, n° 989).



siècles, immortel, invisible, au seul Dieu, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen 1." Les Gentils ont donc changé cette gloire lorsqu’ils rendirent à d’autres le culte dû à Dieu. Secondement, cela peut se comprendre de la gloire par laquelle Dieu est glorieux en soi, gloire qui est incompréhensible et infinie "Celui qui scrute la majesté sera opprimé par la gloire 2." Or cette gloire n’est pas autre chose que la clarté même de la nature divine; car "<Dieu> habite une lumière inaccessible." Ils ont donc changé cette gloire en l’attribuant à d’autres: "Parce que des hommes, soit disposés à cela personnellement, soit trop complaisants pour les rois, donnèrent à des pierres et à du bois le nom incommunicable 4."

Ensuite <l’Apôtre> souligne son incorruptibilité, lorsqu’il dit: incorruptible.Car lui seul est parfaitement incorruptible, parce qu’il est absolument immuable toute mutation étant en effet une sorte de corruption. Aussi est-il dit: "Lui seul possède l’immortalité 5."

Enfin <l’Apôtre> souligne la sublimité de sa nature, lorsqu’il dit: du Dieu, ainsi qu’il est dit dans ce psaume "Le Seigneur est le grand Dieu 6."

135. b. Du côté de l’objet échangé, <l’Apôtre> expose les trois <falsifications> correspondantes.

Car en opposition à la gloire il dit contre la ressemblance d’une image, c’est-à-dire contre une ressemblance d’un objet représenté par quelqu’un sous forme d’image. Car il est manifeste que la ressem blance de l’image est postérieure à l’objet dont elle est l’image. Or la gloire ou la clarté de Dieu est au principe de toute beauté et de toute forme. Et ainsi, en échangeant la gloire de Dieu contre la ressemblance d’une image, ils ont interverti <l’ordre établi>: "Gémissant dans un deuil amer, un père fit l’image de son fils qui lui avait été soudainement ravi 7."

Par antithèse au mot: "incorruptible", <l’Apôtre> dit: corruptible. — <Il est écrit> dans un psaume: "De quelle utilité <sera> mon sang, lorsque je descendrai dans la corruption 8" c’est-à-dire en plus de ce qui est déjà corrompu ou mort? <Et il est dit dans la Sagesse>: "Puisqu’il est mortel, c’est un mort qu’il forme avec des mains iniques 9."

Par opposition à ce qu’il a dit de Dieu, <l’Apôtre> met: d’homme. <II est écrit au livre de Job>: "Je ne ferai acception de personne, je n’égalerai pas Dieu à un homme 10" Et, ce qui est plus abominable, l’homme a transporté la gloire de Dieu non seulement à l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, mais aussi aux créatures qui sont au-dessous de lui. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il d’oiseaux, pour les volatiles; de quadrupèdes, pour les animaux capables de marcher, de serpents, pour les reptiles. Mais il passe sous silence les poissons, parce qu’ils sont davantage éloignés du commerce des hommes. Et toutes ces créatures sont subordonnées à l’homme par Dieu: "Tu as soumis sous ses pieds toutes choses 11." — "Entre et vois les abominations horribles que ces gens font ici. Et étant entré, je vis, et voici que toutes sortes d’images de reptiles et d’animaux, l’abomination et toutes les idoles de la maison d’Israël étaient peintes sur la muraille tout autour 12."

1. 1 Tm 1, 17.
2. Pr 25, 27.
3. 1 Tm 6, 16.
4. Sg 14, 21.
5. 1 Tm 6, 16.
6. Ps 94, 3.
7. Sg 14, 15.
8. Ps 29, 10.
9. Sg 15, 17.
10. Jb 32, 21.
11. Ps 8, 8.
12. Ez 8, 9.



136. Il faut remarquer, selon la Glose 1, qu’à l’arrivée d’Enée 2 la coutume <s’était introduite> en Italie d’honorer des images d’hommes, par exemple de Jupiter 3 d’Hercule 4 et d’autres encore. Mais au temps de César-Auguste, après avoir soumis l’Egypte, les Romains adoptèrent le culte des Egyptiens qui honoraient des images d’animaux, à cause des figures d’animaux que l’on voit dans les cieux, et auxquels les Egyptiens, adonnés à l’astro logie, rendaient un culte divin. Et voilà pourquoi le Seigneur détourne d’un pareil culte les enfants d’Israël élevés en Egypte" Garde-toi, en levant les yeux vers le ciel et en voyant le soleil, la lune et tous les astres du ciel, et que séduit par l’erreur, tu ne les adores, et tu n’offres un culte à des choses que le Seigneur ton Dieu a créées pour servir à toutes les nations qui sont sous le ciel 5."

137. 2. 6 Ensuite lorsqu’il dit: 24 C’est pourquoi Dieu les a livrés, il expose la peine correspondant à la faute de cette nature.

A cet égard il faut considérer que l’homme tient le milieu entre Dieu et les animaux sans raison, et qu’il est en relation avec ces deux extrêmes: avec Dieu, par sa faculté de comprendre; avec les animaux sans raison, par sa faculté de sentir. Ainsi, de même que l’homme a reporté ce qui appartient à Dieu sur les bêtes, ainsi Dieu a-t-il soumis ce qui dans l’homme est divin, c’est-à-dire sa raison, à ce qui est animal en lui, c’est-à-dire aux désirs des sens, selon ce passage du psaume: "L’homme, lorsqu’il était en honneur, n’a pas compris", c’est-à-dire sa ressemblance avec la divine image par la raison, "il fut comparé aux bêtes sans raison Ainsi l’Apôtre dit-il Dieu les a livrés selon les désirs de leur coeur, afin que leur raison fût soumise aux désirs de leur coeur, c’est-à-dire de l’affection sensuelle, dont il est dit plus loin: "N’ayez pas soin de la chair pour <en satisfaire> les désirs 8" Désirs qui s’opposent à l’ordre naturel de l’homme, d’après lequel la raison domine l’appétit sensible "La concupiscence qui t’entraîne vers lui sera sous toi, et tu la domineras 9."

<Dieu> abandonne donc les hommes aux désirs de leur coeur comme aux mains de maîtres cruels: "Je livrerai l’Egypte à la main de maîtres cruels 10."

138. Cependant, en ce qui concerne l’appétit sensible, un certain désordre bestial relève des péchés de la chair. Car les délectations du toucher, auxquelles sont assimilées la gourmandise et la luxure, nous sont manifestement communes avec les animaux sans raison. Et c’est pourquoi elles sont <en nous> d’autant plus blâmables qu’elles tiennent de la partie animale, ainsi que le remarque le Philosophe au troisième livre de son Ethique 11.

Et <l’Apôtre> l’indique lorsqu’il ajoute à l’impureté, qui appartient aux péchés de la chair, selon ces mots: "Aucun fornicateur, ou impudique 12", c’est-à-dire parce que l’homme, précisément par les péchés de cette espèce, se laisse détourner et entraîner vers ce qui est au-dessous de lui. En effet, on appelle impur ou immonde ce qui est <altéré> par le mélange d’une chose plus vile, comme l’argent mélangé au plomb. Aussi <l’Apôtre> explique-t-il cela

1. Voir Glosa in Rom. I, 23 (GPL, coi. 1330 D; GOS, t. IV, p. 276 a).
2. Voir Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine par Pierre Grimai, Paris, Presses universitaires de France, 1991 (11a éd. ), p. 137-138.
3. Voir ibid., p. 244-245.
4. Voir ibid., p. 205-206.
5. Dt 4, 19.
6. Lieu paralléie Somme Théologique 1a-2ae, Q. 79.
7. Ps 48, 21.
8. Rm 13, 14.
9. Gn 4, 7.
10. Is 19, 4.
11. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque III, 10 [1118 b] AL XXVI, fasc. 3, p. 198. Lieu parallèle 3 Ethic., 20, éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. 1, p. 184, I. 41-48.
12. Ep 5, 5.



en ajoutant: en sorte qu’avec des manières avilissantes, c’est-à-dire par des actes honteux et immondes, ils traitent, c’est-à-dire ils corrompent, leurs propres corps, en d’autres termes non comme s’ils souffraient violence de la part d’autrui, par exemple de barbares, mais ils faisaient cela par eux-mêmes et de leur propre volonté: "Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur, et un autre d’ignominie 1?", c’est-à-dire destiné à un usage honteux.

139. Cependant, puisque cette sorte d’impureté est un péché, il semble que Dieu n’y livre pas les hommes, car il est dit dans <l’épître de> Jacques "Dieu ne tente point pour le mal 2."

Il faut répondre qu’on ne dit pas que Dieu livre directement les hommes à l’impudicité, en inclinant leur affection au mal, parce que Dieu ordonne toutes choses pour lui-même "Le Seigneur a opéré toutes choses pour lui-même 3." Le péché, lui, consiste en un éloignement de lui. Mais <Dieu> livre les hommes indirectement au péché, dans la mesure où il retire selon sa justice la grâce qui les préservait du péché. Comme on dirait de quelqu’un qui ôterait son soutien à autrui, qu’il provoque sa chute. Et de cette manière le premier péché est la cause du suivant, et le second est la peine du premier.

Pour plus de clarté, il faut savoir qu’un seul péché peut être la cause d’un autre indirectement et directement.

Directement, en tant qu’on est enclin à passer d’un péché à un autre; ce qui a lieu de trois manières. D’abord, en relation avec la cause finale; ainsi, lorsque par avarice ou par envie on est incité à commettre un homicide. Ensuite, en relation avec la cause matérielle; ainsi la gourmandise conduit à la luxure, en lui donnant la matière. Enfin, en relation avec la cause motrice; ainsi, lorsqu’à la suite d’une multitude d’actes peccamineux, on contracte un habitus qui conduit à un péché semblable.

Indirectement, en tant qu’un premier péché mérite le retrait de la grâce; cette dernière étant soustraite, l’homme tombe dans un autre péché. Et ainsi le premier péché est la cause d’un second, indirec tement ou par accident, comme <cause> "rémotrice" et prohibitive.

140 — 5 Toutefois il faut remarquer que le péché, en tant que tel, ne peut être une peine, parce que nous supportons la peine contre notre volonté; or le péché est volon taire, comme le dit Augustin 6. Mais parce que le péché entraîne certaines consé quences qui sont contre la volonté du pécheur, à raison de ces conséquences le péché est appelé peine du péché précédent. Ainsi, y a-t-il d’un côté un élément qui appartient au péché précédent, comme le retrait de la grâce qui entraîne le péché de l’homme; de l’autre un élément qui est concomitant au péché lui-même, soit inté rieurement, comme le désordre de l’âme, ce qui fait dire à Augustin: "Oui, tu l’as prescrit, et c’est ainsi: Toute âme en désordre est à soi-même sa propre peine 7", soit quant aux actes extérieurs, auxquels s’adjoignent des difficultés et des labeurs, comme le disent les impies: "Nous avons marché dans des voies difficiles, mais la voie du Seigneur, nous l’avons ignorée 8" Enfin, un élément qui est subséquent au péché, comme le remords de la conscience, l’infamie et autres choses semblables.

1. Rm 9, 21.
2. Jc 1, 13.
3. Pr 16, 4.
4. Lieux parallèles: Somme Théologique P, Q. 48, a. 6; Q. 49, a. 2; 1 Q. 79, a. 1; 2 Q. 6, a. 2, sol. 2; 2 Sentences dist. 34, a. 3; dist. 37, Q. 2, a. 1; 3 Contra Gentiles C. 162; De malo, Q. 3, a. 1.
5. Lieux parallèles I Sentences dist. 46, a. 2, ad 4; 2 Sentences dist. 36, a. 3; De malo, Q. 1, c. 4, ad 1; Somme Théologique 2a-2 Q. 87, a. 2.
6. Voir SAINT AUGUSTIN, De vera religione XIV, 27-28 (BA 8, 59-61); Retractationes I, xrn, 5 (BA 12, 344-347).
7. S Confessions I, xii, 19 (BA 13, 308-309).
8. Sg 5, 7.



141. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit ensuite: 25 ont échangé, il expose la faute de l’impiété que les Gentils ont commise contre la vérité de la nature divine.

Et il expose premièrement la faute.

Puis, la peine [n° 146]: C’est pourquoi Dieu les a livrés.

142. On peut considérer la nature divine sous deux aspects

1. D’abord en tant qu’elle est la cause de la connaissance, comme vérité pre mière, et en rapport avec cela il dit: eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge. Ce qui peut s’entendre de deux manières

a. Ou bien, parce que, après avoir reçu la vraie connaissance de Dieu, ils se sont tournés vers de faux dogmes par la perversion de leur raison, par exemple, lorsqu’ils ont déclaré que les idoles sont des dieux, ou que Dieu n’est point tout-puissant, ou encore qu’il n’est point omniscient: "Ils ont formé leurs langues à proférer le mensonge.

b. Ou bien, ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, parce que la nature divine, qui est la vérité même, ils l’ont attribuée à l’idole, qui est mensonge en tant qu’elle n’est point Dieu, ainsi qu’il est dit "Il est vrai que nos pères ont possédé le mensonge et la vanité, qui ne leur a pas été utile. Est-ce qu’un homme se fera des dieux, lesquels même ne sont pas des dieux 2?"

2. Ensuite on peut considérer la nature divine en tant que, par la création, elle est le principe de l’être pour toutes choses; et sous cet aspect, l’homme doit intérieu rement à Dieu un culte fondé sur un sentiment de piété: "Si quelqu’un honore Dieu et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce 3"; extérieurement il lui doit un culte de latrie 4, selon ce passage du Deuté ronome: "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul 5."

143. C’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute, en parlant contre les Gentils: Ils ont honoré et servi la créature de préférence au Créateur. Car ils honoraient les corps célestes, et l’air, et l’eau, et d’autres éléments semblables, selon ce verset de la Sagesse: "Ou le feu, ou le vent, ou l’air subtil, ou le cercle des étoiles, ou l’immensité des eaux, ou le soleil et la lune, voilà ce qu’ils ont cru être des dieux qui gouvernaient le monde 6." Et en cela <Paul> réprouve les sages de la gentilité qui, sans jamais croire qu’il y eût dans leurs représentations quelque chose de divin, comme le croyaient les sectateurs d’Hermès 7, sans tenir pour vrai ce que les poètes disaient des dieux dans leurs fables, rendaient cependant à certaines créatures un culte divin. Quelques-uns de ces <sages> attribuaient un fondement à ces fables: Varron 8 par exemple, prétendit que tout l’univers est Dieu à cause de son

1. Jr 9, 5.
2. Jr 16, 19b-20.
3. Jn 9, 31.
4. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 81, a. 1, sol. 3 et 4; Q. 94, a. 1, sol. 2; 3 Sentences dist. 9, Q. 1, a. 1, q 1; Ad Rom. 1, 9, lect. 5 (éd. Marietti, n°79); 1, 23, lect. 7 (éd. Manetti, n° 134); 1, 25, lect. 7 (éd. Marietti, n° 142); 12, 11, lect. 2 (éd. Marietti, n° 989).
5. Citation de Di 6, 13 ou 10, 20 à travers Mt 4, 10 ou Lc 4, 8. Le verset du Deutéronome portant "timebis (tu craindras) au lieu de "adorabis (tu adoreras)
6. Sg 13, 2.
7. "Dans le monde gréco-romain, vers la fin de la période hellé nistique et sous l’Empire, on attribuait à un dieu d’Egypte, Thoth Hermès (qualifié de Trismégiste, c’est-à-dire "trois fois grand") une sagesse révélée, consignée dans une abondante littérature dite "hermétique." 1. . . Les textes hermétiques ont été souvent cités par les Pères et l’Asclépius (traduction latine ancienne d’un traité perdu en grec) a été largement utilisé au Moyen Age" (Catholicisme, t. V, fasc. 22, col. 677). — Sur Hermès, voir A-J. FESTUGIÈRE, La Révé lation d’Hermès Trismégiste, t. 1; L’Astrologie et les Sciences occultes voir aussi sAiNT AUGUSTIN, La Cité de Dieu VIII, xxiii, 1-3 (BA 34, 308-3 17). — Lieu parallèle Somme Théologique 2a-2a Q. 94, a. 1.
8. Varron (116-27 av. J-C.) est né à Reate en Sabine. Cet érudit romain, après avoir combattu aux côtés de Pompée dans la guerre civile, se réconcilie avec César. Ce dernier lui confie alors l’organi sation des bibliothèques publiques de Rome. Il est l’auteur de soixante-quatorze ouvrages dont il ne subsiste que deux traités dans leur intégralité: L’Economie rurale (Res rusticae) et La Langue latine (De lingua latina). Les écrits de Varron ont été abondamment utilisés par des auteurs ultérieurs, dont saint Augustin (voir notamment pour le passage concerné dans La Cité de Dieu VII, 6 [n° 34, 138-1391).



âme, affirmant qu’on peut rendre à tout cet univers et à chacune de ses parties un culte divin à l’air, qu’on appelait Junon, et à l’eau, qu’on appelait Lyaeus 2, et ainsi de suite. De même, les platoniciens 3 prétendirent qu’un culte divin est dû à toutes les substances douées de raison, qui sont au-dessus de nous, par exemple aux démons, aux âmes des corps célestes, aux intelligences, c’est-à-dire aux substances séparées 4.

Or, bien que nous devions témoigner du respect aux êtres qui sont au-dessus de nous, cependant <nous ne leur devons> pas le culte de latrie, qui consiste surtout dans les sacrifices et l’oblation, par lequel l’homme reconnaît que Dieu est l’auteur de tous les biens, comme dans tout royaume on rend au maître suprême un honneur qu’il n’est pas permis de transférer à un autre.

144. Et c’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute: lequel est béni, c’est-à-dire dont la bonté est manifeste. Car nous disons de même que "nous bénissons Dieu" en tant que nous reconnaissons de coeur sa bonté et que nous la célébrons de bouche: "En bénissant Dieu, exaltez-le autant que vous pouvez 5."

Mais il ajoute: pour les siècles, parce que sa bonté est sempiternelle; elle ne dépend de qui que ce soit, mais est principe de tout bien. Et c’est pour cette raison que le culte de latrie lui est dû tout entier.

Il ajoute aussi: Amen, pour affirmer de toutes manières la certitude "Celui qui est béni sur la terre sera béni dans le Dieu de vérité 6, " Amen <est un mot> qui a le même sens que "il est vrai" ou "qu’il en soit ainsi."

145. L’Apôtre semble faire allusion ici à la triple théologie des Gentils 7:

a. A leur théologie civile, qui était observée par les pontifes pour l’adoration des idoles dans les temples; et il dit à ce propos et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible.

b. A celle de la fable, que les poètes exposaient dans les théâtres; et il dit à cet égard: eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge.

c. A leur théologie naturelle, que les philosophes observaient dans le monde, en honorant les parties du monde: Ils ont honoré et servi la créature de préférence au Créateur

1. Voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu IV, X (BA 33, 556-557); IV, xi (BA 33, 564-565); X, XXI (BA 34, 500-501).
2. Saint Thomas fait probablement allusion à Liber, le Dionysos italique. Ce nom Liber, qui signifie " libre", a été rapproché d’un des surnoms habituels de Dionysos Lyaeos, le Libérateur, ou "Celui qui délie." Voir dans le Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, par Pierre GrimaI, p. 262. Liber est le dieu de la terre féconde et des semences liquides. Voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu VII, xXs (BA 34, 176-177).
3. Voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu VIII, XIII-XIV, XVI (BA 34, 274-283; 286-291).
4. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 94, a. 1.
5. Eccli (Si) 43, 33. Deum (Dieu) au lieu de Dominum (le Seigneur). Probablement cité de mémoire.
6. Is 65, 16.
7. Voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu VI, v-x, xii (BA 34,64-107; 108-111). — Lieu parallèle: Somme Théologique 2-2ae, Q. 94, a. 1 (in fine).
8. Au sens littéral, le terme grec théologia signifie discours sur Dieu " ou t sur les dieux." Il n’a donc pas le sens chrétien — encore peu fréquent à l’époque de saine Thomas de "science sacrée du donné révélé." L’Antiquité grecque et romaine en use couramment pour désigner trois sortes de discours sur le divin, assez étrangers les uns aux autres, selon une tri-partition (Voir sAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu VI, V [n° 34, 64-65]) que Varron lui-même attribue au pontife Q. Mucius 5caevola (voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu IV, XXVII [n° 33, 612-613]). La théologie civile est celle de la cité, c’est la religion officielle et populaire dont les cultes varient souvent selon la ville où l’on réside. La théologie de la fable, c’est la théologie "fabulaire", très exactement la "mythologie t, c’est-à-dire les textes des écrivains où l’on parle des dieux oeuvre proprement littéraire, elle est pratiquement sans rapport avec la théologie civile. La théologie naturelle, c’est la " physique " (phusts signifie "nature"): ignorée du peuple et souvent des poètes mythologues, elle est l’oeuvre des philosophes et ménte le nom de théologie dans la mesure ou la nature est regardée comme quelque chose de divin. C’est une sorte de cosmologie sacrée qui peut se transformer en cosmolâtrie, ce que dénonce saint Paul et son commentateur saint Thomas. La question de la cosmologie sacrée est évidemment liée à la question des anges — que saint Thomas appelle les "substances séparées (de la matière)" (l’expression vient d’Aristote) — et au rôle très important qu’ils jouent, en tant que causes secondes, dans le gouvernement du monde physique et de ses lois.


Leçon 8 [versets 26 à 32]

9
075 (
Rm 1,26-32)


[n° 146] 26 C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions ignominieuses; car leurs femmes ont échangé l’usage naturel en celui qui est contre nature.

[n° 150] 27 Et semblablement les mâles, ayant délaissé l’usage naturel de la femme, ont dans leurs désirs brûlé les uns pour les autres, en commettant la turpitude, mâles avec mâles, et recevant en eux-mêmes le salaire dû à leur égarement.

[n° 152] 28 Et de même qu’ils n’ont pas approuvé le fait de pouvoir connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour faire ce qui ne convient pas,

[n° 156] 29 remplis de toute iniquité, de malice, de fornication, d’avarice, de méchanceté, pleins d’envie, d’homicides, de querelle, de ruse, de malignité; chuchoteurs de médisances,

[n° 162] 30 détracteurs, haïs de Dieu, insolents, orgueilleux, altiers, inventeurs du mal, désobéissants à leurs parents,

[n° 165] 31 insensés, désordonnés, sans affection, infidèles aux traités, sans miséricorde.

[n° 166] 32 Eux qui, bien qu’ayant connu la justice de Dieu, n’ont pas compris que ceux qui commettent de telles actions sont dignes de mort, et non seulement ceux qui les font, mais encore ceux qui approuvent ceux qui les font.



146. Après avoir exposé la faute de l’impiété [n° 141], selon laquelle les Gentils ont péché contre la nature divine, l’Apôtre expose <à présent> la peine qui les a réduits à pécher contre leur propre nature.

I) Et il commence par exposer cette peine.

II) Ensuite, il l’explique [n° 148]: Car leurs femmes ont échangé, etc.

III) Il en montre enfin la convenance [n° 151]: recevant en eux—mêmes le salaire, etc.

147. — I. <L’Apôtre> commence donc par dire: 26 C’est pourquoi, c’est-à-dire parce qu’ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, Dieu les a livrés, non en les poussant au mal, mais en les abandonnant à des passions ignominieuses, c’est-à-dire à des péchés contre nature, qu’on appelle passions. On qualifie à proprement parler de passion ce qui est entraîné hors de l’ordre de sa nature I, par exemple lorsque l’eau chauffe ou qu’un homme tombe malade Ainsi, du fait que par ces péchés l’homme s’éloigne de l’ordre naturel, il convient de les appeler passions: ê Les passions des péchés, […] opéraient dans nos membres. ê

Mais ces passions sont qualifiées d’ignomi nieuses, parce qu’elles sont indignes <de

1. Lieux parallèles Somme Théologique 1 Q. 22, a. 1; 3 Sentences dist. 15, Q. 2, a. 1; De veritate, Q. 26, a. 1 et 2.
2. En philosophie, le terme "passion" garde toujours une certaine relation avec l’idée de passivité: la passion, c’est le fait de subir, elle s’oppose à l’action. Toutefois, parmi les passions, certaines vont dans le sens d’une réalisation de l’être passif " l’agent dont il subit l’action perfectionne sa nature (l’exercice physique procure la santé); d’autres, au contraire, altèrent ou détruisent cette nature ces passions sont vraiment subies et répondent le plus proprement à l’idée de passivité " ainsi de la chaleur pour l’eau (l’élément "eau" en physique aristotélicienne, est une combinaison des qualités d’humidité et de froid), ou de la maladie pour le corps humain.
3. Rm 7, 5.



porter> un nom 1, selon ce passage de l’épître aux Ephésiens: "Ce qu’ils font en secret est honteux même à dire 2" Si en effet les péchés de la chair sont ordinai rement plus blâmables, parce que par eux l’homme est ravalé à ce qui en lui est animal, combien plus le péché contre nature 3, par lequel l’homme déchoit même de sa nature animale: "Je changerai leur gloire en ignominie 4."

148. — II. Ensuite, lorsqu’il dit: car leurs femmes, etc., il explique ce qu’il avait dit, et:

A) D’abord, quant aux femmes.

B) Puis, quant aux mâles: Et sembla blement les mâles, etc.

149. A. Il commence donc par dire: Ils ont été livrés à des passions ignominieuses, car leur femmes ont échangé l’usage naturel en celui qui est contre nature. — "La nature même ne vous apprend-elle pas que si un homme entretient sa chevelure, c’est une ignominie pour lui ?" Et encore: "Ils ont changé le droit 6, rompu l’alliance éternelle 7", c’est-à-dire le droit naturel 8.

Il faut prendre en considération le fait qu’une chose peut être contre la nature de l’homme de deux manières 9:

1. Soit sous le rapport de sa différence constitutive, qui est d’être raisonnable; ainsi dit-on de tout péché qu’il est contre la nature de l’homme, en tant qu’il est contre la droite raison. Et c’est pourquoi, selon Jean Damascène l’ange par son péché s’est détourné de ce qui est conforme à sa nature, pour aller vers ce qui est contre elle.

2. Soit sous le rapport de sa différence générique, qui est d’être animal. Or il est manifeste que, selon l’intention de la nature, l’union des sexes chez les animaux est ordonnée à l’acte de la génération; d’où il suit que tout mode d’union qui ne peut concourir à la génération est contre la nature de l’homme en tant qu’il est animal. Et selon cela, il est dit dans la Glose "L’usage naturel est que l’homme et la femme s’unissent par un même accou plement; mais <l’acte> de se souiller entre mâles ou entre femelles est contre nature 11." Et il en est de même de tout acte de coït dont la génération ne peut résulter 12.

150. — B. Puis, lorsque <l’Apôtre> dit: 27 Et semblablement, il explique <ce qu’il avait dit> en parlant des mâles, qui ayant délaissé l’usage naturel de la femelle, ont brûlé, c’est-à-dire se sont embrasés au-delà des limites de la nature, selon ce verset d’un psaume: "Ils se sont embrasés comme un feu dans des épines 13"; et cela dans leurs désirs charnels, les uns pour les autres, en commettant la turpitude, mâles avec

1. Saint Thomas fait ici allusion à la signification étymologique du mot ignominia et de ses dérivés: ignominia vient de in-gnomen = in-nomen, littéralement "sans nom." Voir ce mot dans le Diction naire étymologique de la langue latine par A. Emout et A. Meillet, p. 549.
2. Ep 5, 12.
3. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2ae, Q. 154, a. 12; 4 Sentences dist. 41, a. 4, q 3; De mob, Q. 15, a. 3.
4. Os 4, 7.
5. 1 Corinthiens 11, 14.
6. Le droit naturel, c’est le sens inné du juste et de l’injuste que Dieu a donné à l’homme et qui est donc inhérent à la raison. Il se distingue du droit positif, c’est-â-dire l’ensemble des lois, généra lement écrites, posées par une société et qui définissent ce qui est permis et interdit. Pour être juste, le droit positif doit se fonder sur le droit naturel.
7. Is 24, 5.
8. Lieux parallèles: Somme Théologique 1 Q. 91, a. 2; 4 Sentences dist. 33, Q. 1, a. 1.
9. Toute définition se fait selon le genre prochain et la différence spècifique, Le genre prochain, c’est le genre le plus proche auquel appartient l’être a définir. Ainsi l’homme appartient au genre des vivants, mais, parmi les vivants il appartient au genre des animaux (et non à celui des végétaux) "animal" définit donc sa différence générique. La différence spécifique, c’est la différence qui constitue (d’où sa désignation ici de différence constitutive) l’espèce humaine: parmi tous les animaux, l’homme est caractérisé par la présence en lui de la raison. D’où la définition l’homme est un animal raisonnable.
10. Voir SAINT JEAN DAMASCÈNE, De fide orihodoxa II, 4 (PG 94, 875 A; Buytaert, p. 75).
11. Glosa in Rom. I, 26 (GPL, col. 1333 C sous le nom d’Haymon).
12. Lieu parallèle t 3 Contra Gentiles c. 122.
13. Ps 117, 12.

mâles. — "Je mettrai à nu ton ignominie devant eux, et ils verront toute ta turpitude 1."

151. — III. Enfin, lorsqu’il ajoute: le salaire, il montre que cette peine convient à la faute; car il dit: recevant en eux-mêmes, c’est-à-dire par la dégradation de leur nature, le salaire dû à leur égarement, par lequel ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge. Le salaire, c’est-à-dire la rétribution, qui <leur> était dû, c’est-à-dire qu’ils devaient recevoir selon l’ordre de la justice 2, qui exigeait que ceux qui avaient outragé la nature de Dieu, en attri buant aux créatures ce qui lui appartient en propre, soient ignominieux envers leur propre nature. Et bien que <ce mot> "salaire" semble vouloir exprimer à proprement parler une chose bonne, ici cependant il est pris pour toute rétribution, même à l’égard des méchants, au sens où il est dit: "La solde du péché est la mort 3."

"Tous leurs salaires seront brûlés au feu 4."

Il faut observer que l’Apôtre présente à juste titre les vices contre nature, qui sont les plus graves parmi les péchés de la chair, comme peine de l’idolâtrie 5; car c’est en même temps que l’idolâtrie qu’ils semblent avoir pris naissance, au temps d’Abraham, époque que l’on considère comme étant le début de l’idolâtrie. Aussi lit-on que ce fut pour la première fois que <ces péchés> furent punis chez les Sodomites, comme on le rapporte dans la Genèse 6." Et à mesure que l’idolâtrie se développait, ces sortes de vices croissaient. Ainsi est-il dit au second livre des Maccabées que Jason "osa établir un gymnase sous la citadelle même, et exposer tous les jeunes hommes, les meilleurs, dans les lieux infâmes. Et ce n’était pas un commencement, mais un certain accroissement et un progrès de la vie païenne et étrangère, causée par le crime abominable et inouï de l’impie et non prêtre Jason. 7."

152. Ensuite lorsque <l’Apôtre> dit: 28 Et de même qu’ils n’ont pas approuvé, il montre qu’ils ont été soumis à la justice.

A) Et il montre d’abord à partir de quelle faute antécédente ils sont tombés dans ces péchés.

B) Puis, il énumère les différences qu’il y a entre ces péchés [n° 156]: remplis de toute iniquité, de malice, de fornication, etc.

153. — A. Il expose la faute précé dente, lorsqu’il dit: Et de même qu’ils n'ont pas approuvé le fait de pouvoir connaître Dieu. Ce qui peut se comprendre de deux manières

1. D’abord en ce sens que tout en ayant pu, par la lumière de la raison et par les créatures visibles, avoir une véritable connaissance de Dieu, cependant pour pouvoir pécher plus librement, ils n’ont pas montré, c’est-à-dire n’ont pas approuvé le fait qu’eux-mêmes avaient Dieu dans leur connaissance: "Retire-toi de nous; nous ne voulons pas connaître tes voies 8"

1. Ez 16, 37.
2. Traditionnellement et selon la loi naturelle telle que l’ont définie les Latins et particulièrement Cicéron, ssjus est suum cuique tribuere " ("le droit, c’est attribuer â chacun ce qui lui appartient"), autrement dit son dû. Cette doctrine classique des junsconsultes romains (voir Ulpien) est reprise par saint Thomas (Somme Théologique 2a-2ae, Q. 58, a. 1). Ce qui est dû à quelque chose ou à quelqu’un, c’est ce qui lui revient en fonction de sa nature, soit en elle-même, soit au regard de la situation qu’elle détermine dans ta société, afin que l’ordre voulu par Dieu (qui a voulu les natures) règne en toutes choses et c’est là la justice, alors que l’injustice est un désordre. Rappelons que la philosophie du droit élaborée par saint Thomas à partir d’Aristote et des jurisconsultes est généralement considérée comme un chef-d’oeuvre de la pensée politique. Ici nous en voyons les conséquences dans l’ordre moral et même religieux.
3. Rm 6, 23.
4. Mii, 7.
5. Le désordre moral dans les relations humaines est donc une conséquence du désordre métaphysique et religieux qu’introduit l’idolâtrie dans la relation de l’homme à Dieu. — Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 94, a. 3, sot. 3.
6. Voir Gn 19.
7. 2M4, 12-13.
8. Jb21, 14.



2. Ensuite en ce sens qu’eux-mêmes n’ont pas approuvé le fait que Dieu a dans sa connaissance les actions humaines: "Le Seigneur ne le verra pas, et le Dieu de Jacob ne le saura pas. "Et suivant ce sens, lorsque <l’Apôtre> ajoute: Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, la peine répond conve nablement à cette faute.

154. Il n’est pas question ici du sens extérieur de l’homme, par lequel on discerne les choses sensibles, mais du sens intérieur, par lequel il juge de ce qu’il doit faire, selon ce verset de la Sagesse: "Occuper sa pensée de la sagesse, c’est le sens parfait "On appelle "sens réprouvé 8 celui par lequel l’homme a un jugement blâmable par rapport à ce qu’il doit faire, selon ce verset de la seconde épître à Timothée: "Hommes corrompus d’esprit, réprouvés quant à la foi." <Et selon ce passage de> Jérémie: "Appelez-les un argent réprouvé, parce que le Seigneur les a rejetés"

155. Et c’est pourquoi il ajoute: pour faire ce qui ne convient pas, c’est-à-dire ce qui est en désaccord avec la droite raison "Leurs oeuvres sont inutiles."

Or il est convenable que ceux qui ont péché contre la connaissance de Dieu, soit en refusant de le connaître, soit en pensant qu’il ne connaît pas <toutes choses>, soient livrés à la perversité de leur sens. Et c’est pourquoi il est dit au livre de la Sagesse "La peine des pécheurs marche toujours contre la prévarication des hommes injustes 6."

156. — B. Ensuite lorsqu’il dit: 29 remplis, etc., il énumère ces oeuvres incon venantes. Et il expose en premier lieu ce qui est général, en disant: remplis de toute iniquité, parce qu’il est dit: "Tout péché est iniquité 7." Car de même que toute vertu, en tant qu’elle accomplit le précepte de la Loi, relève de la justice, ainsi tout péché, en tant qu’il se sépare de la règle de la Loi divine, relève de l’iniquité. Et ç’est sous ce rapport que dans la sainte Ecriture les péchés sont surtout blâmés.

<L’Apôtre> souligne la grandeur de leur faute de deux manières:

1. D’abord dans son <degré d’> intensité, quand il dit: remplis. Car on considère comme rempli d’iniquité celui dont l’affection est tout entière disposée à pécher, selon ce verset du psaume: "Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume"

2. Puis dans son étendue, parce qu’ils n’ont pas péché seulement en un point, mais en tous: "Le culte des infâmes idoles est la cause, le principe et la fin de tout mal"

157. Ensuite lorsqu’il dit: de malice, etc., il énumère les péchés selon leur espèce.

a) Et d’abord ceux qui concernent la transgression 10 et qui sont opposés aux préceptes négatifs 11.

b) Puis, ceux qui concernent l’omission et qui sont opposés aux préceptes positifs 12 [n° 163]: orgueilleux.

a. À l’égard des péchés de trans gression, il expose

1. Ps 93, 7,
2. Sg 6, 16.
3. 2 Tm 3, 8.
4. Jr 6, 30.
5. Sg3, 11.
6. Sg 14, 31.
7. 1 Jn 3, 4.
8. Ps 13, 3.
9. Sg 14, 27.
10. Lieux parallèles Commentaire sur les Psaumes 24, 7 " Il y a deux genres de péchés l’un est un péché de transgression, et l’autre d’omission. Et ces derniers, c’est-à-dire les péchés d’omission, sont appelés fautes s; 18, 13 "Le péché est double de transgression, et cela se discerne plus facilement, car l’homme sait qu’il a commis un acte mauvais. D’omission, et cela se voit difficilement, parce que ces actes n’obligent pas sans cesse, mais ils ont lieu en une circonstance <déterminée> et à un moment <donné> " (trad. par J-E. Stroobant de Saint-Eloy, p. 296 et 236). —Dans Somme Théologique 1a-2ae Q. 72, a. 6, saint Thomas distingue un péché de commission et un péché d’omission.
11. Lieu parallèle " Somme Théologique 2 Q. 79, a. 2.
12. Lieu parallèle: Somme Théologique 2a-2 Q. 79, u. 3, sol. 3.

En premier lieu, les péchés par lesquels on s’avilit soi-même.

En second lieu, les péchés par lesquels on nuit au prochain [n° 159]: de méchanceté.

158. À l’égard des premiers, <l’Apôtre> expose d’abord ce qui est général, lorsqu’il dit: de malice, <mot> qui indique une habitude vicieuse opposée à la vertu. C’est ainsi que sont dits pécher par malice ceux qui pèchent par habitude 2 "Pourquoi te glorifies-tu en ta malice 3?"

En disant: de fornication, <l’Apôtre> expose en particulier <d’abord> le péché par lequel on est entraîné au désordre en suivant l’appétit des délectations corpo relles. Car bien qu’au sens strict la forni cation se commette avec des courtisanes, qui se prostituaient publiquement près des voûtes (iuxta fornices), c’est-à-dire des arcs de triomphe, cependant <ce mot> est pris ici pour toute union illicite: "Garde-toi, mon fils, de toute fornication, et hors de ta femme, ne te permets jamais de connaître le crime 5."

Puis en mentionnant l qui est un appétit immodéré de posséder, <l’Apôtre> expose le vice par lequel on est entraîné au désordre en suivant l’appétit des choses extérieures: "Que votre conduite soit sans avarice, vous contentant de ce que vous avez."

159. Ensuite sont énumérés les péchés qui portent préjudice au prochain. Il énumère tout d’abord ce qui est général, lorsqu’il dit: de méchanceté, ce qui a lieu quand on entreprend ce qu’on ne peut accomplir, surtout dans les choses nuisibles au prochain, à qui <le méchant> ne peut quelquefois nuire selon son désir: "La méchanceté des pécheurs sera consumée 8."

Puis <l’Apôtre> indique la racine de ces péchés en disant: pleins d’envie.L’envie 9 est une tristesse provoquée par le bien du prochain, tristesse qui incite à lui nuire "Par l’envie du diable, la mort est entrée dans le monde 10"

160. Après quoi sont énumérés les dommages, et d’abord ceux qui sont exté rieurs et dans les faits, lorsqu’il dit: d’homicides 11, lesquels sont les dommages principaux: "L’imprécation, et le mensonge, et l’homicide, et le vol, et l’adultère, ont inondé <la terre>, et le sang s’est mêlé au sang 12." Et il dit: d’homicides au pluriel, parce que l’homicide ne consiste pas seulement en acte, mais aussi dans la volonté: "Quiconque hait son frère est homicide 13", c’est-à-dire celui qui le hait jusqu’à le tuer.

Puis <sont énumérés> les dommages en paroles: de querelle. Or la querelle est un assaut contre la vérité s’accompagnant de clameurs effrontées 14: "C’est un honneur pour l’homme de se séparer des disputes 15"

1. Lieu parallèle Somme Théologique 1a-2a, Q. 71, a. 1.
2. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2ae, Q. 78, a. 2; 2 Sentences dist. 43, a. 2.
3. Ps 51, 3.
4. Le mot fornicatio vient de fornix, lequel ii l’époque impériale avait le sens d’arc triomphal. Il s’est spécialisé dans le sens de "voûte (souterraine)", poteme voûtée " et spécialement "chambre voûtée" comme en habitaient le bas peuple, et notamment les prostituées. De là le sens pris dans la langue populaire et spécialement dans le latin de l’Eglise par fornicor (-ans) et ses dérivésfornicarius, fomicator (-mix), fornicatio. Voir Dictionnaire étymologique de la langue latine par A. Ernout et A. Meillet, p. 442. Lieux parallèles: 4 Sentences dist. 41, a. 4, Q. 1; De mob, Q. 15, a. 3.
5. Tb4, 13.
6. Lieux parallèles: Somme Théologique I’, Q. 63, a. 2, sol. 2; 2a-2 Q. 118; De male, Q. 13, a. 1.
7. He 13, 5.
8. Ps7, 10.
9. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 36, a. 1." ; De male, Q. 10, a. 1, ad 6; lad Cor. 14, 1, lect. 1 (éd. Marîetti n° 810).
10. Sg 2, 24.
11. Lieu parallèle: Somme Théologique 1a-2ae, Q. 100, a. 6 et 8.
12. Os 4, 2.
13. 1 Jn 3, 15.
14. Voir Glosa in Rom. 1, 29 (GPL, col. 1335 CD). — Lieux parallèles: Somme Théologique 2a-2ae, Q. 38, a. 1; 2 Ad Tim. 2, 14, lect. 2 (éd. Marietti, n° 60).
15. Pr 20, 3.



161. Ensuite il expose les dommages secrets, et d’abord en général, quand il dit: de ruse 1, c’est-à-dire quand on simule une chose, tandis qu’on en fait une autre: "C’est une flèche blessante que leur langue, elle ne parle que pour la ruse; <chacun> en sa bouche parle de paix avec son ami, et en cachette il lui tend des pièges 2."

Après quoi, <l’Apôtre> expose la racine intérieure de ces dommages, lorsqu’il dit: de malignité.La malignité suppose un feu mauvais 3, c’est-à-dire une mauvaise affection dans le coeur: "Ils parlent de paix avec leur prochain, et ils ont le mal dans leurs coeurs 4." — "Le méchant n’habitera pas près de toi 5."

162. Ensuite <l’Apôtre> expose les dommages secrets, qui se font principalement en paroles, en disant: chuchoteurs de médisances 6, c’est-à-dire ceux qui en cachette chuchotent à l’oreille des hommes dans le dessein de semer la discorde entre eux: "Le chuchoteur de médisances et l’homme à deux langues est maudit" dans le peuple, "car il troublera beaucoup de personne qui vivent en paix 7." 30 Détracteurs. Les détracteurs sont ceux qui amoindrissent la réputation de quelqu’un en cachette 8, la personne ignorant que l’on dit du mal d’elle: "Si un serpent mord dans le silence, celui qui diffame en secret n’a rien de moins que ce serpent"

Et pour qu’on ne croie pas ces péchés légers, parce qu’ils se commettent par la langue seule, il ajoute: haïs de Dieu. Car ils attaquent surtout ce que Dieu aime chez les hommes, c’est-à-dire l’amour mutuel: "Voici mon commandement: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés 10." C’est pourquoi il est dit dans les Proverbes: "Il y a six choses que hait le Seigneur, et la septième, son âme la déteste 11", à savoir celui qui sème la discorde parmi ses frères.

Il ajoute: insolents, c’est-à-dire ceux qui jettent le mal à la face 12: "Moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur et outrageant 13."

Ainsi donc ces trois vices ont une matière commune, parce que tous <ces pécheurs> disent du mal du prochain. Mais <l’Apôtre> les énumère dans l’ordre de leur finalité, car l’intention du chuchoteur de médisances est la discorde, celle du détracteur l’infamie, celle de l’insolent l’injure.

163. b. Viennent ensuite les péchés qui concernent l’omission, et <l’Apôtre> expose tout d’abord la racine de ces péchés, quand il dit: orgueilleux 14.Ils sont appelés ainsi, comme s’ils s’élevaient au-dessus d’eux-mêmes par un appétit désordonné de leur propre excellence; car ils veulent commander et non dépendre d’un règlement autre que le leur, et par là ils omettent d’accomplir les préceptes: "Le commencement de tout péché est l’orgueil 15." Ce qui est vrai pour l’acte de se détourner de Dieu, mais non pour une conversion au bien périssable; car il est dit dans la première épître de Paul à Timothée que "la racine de tous les maux est la cupidité 16."

1. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 55, a. 4.
2. jr 9, 8.
3. Cette étymologie de malignus (malus ignzs, e mauvais feu") remonte à Hugutio (mort en 1210) et figure dans son Liber deriva tionum (ms. Paris BN lat. 7625 A, f" 100 rb) elle se trouve aussi dans la Summa cive Exposinones vocabulorum Biblie de Guillaume Breton, éd. par L. W. Daly et B. A. Daly, vol. I, p. 407. — La pratique de ces étymologies est courante dans la pensée médiévale saint Isidore de Séville en a fourni le modèle dans ses Etymologiae (vn siècle). Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 36, 1.
4. Ps 27, 3.
5. Ps 5, 6.
6. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 74.
7. Eccli (Si) 28, 13.
8. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 73.
9. Eccli (Qo) 10, 11.
10. Jn 15, 12.
11. Pr6, 16.
12. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 72.
13. 1 Tm 1, 13.
14. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 162.
15. Eccli (Si) 10, 15.
16. 1 Tm 6, 10.



164. <L’Apôtre> expose en second lieu la progression de la superbe. Elle commence à engendrer dans le coeur l’exal tation par laquelle l’homme s’élève au-dessus des autres: "Le pharisien, se tenant debout, priait ainsi en lui-même: O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes, adultères; ni même comme ce publicain 1." Aussi est-il dit contre ceux qui s’élèvent: "Seigneur, mon coeur ne s’est pas exalté, et mes yeux ne se sont pas élevés 2."

Puis la superbe donne naissance à l’innovation présomptueuse dans les oeuvres. Et <l’Apôtre> ajoute à ce propos: inventeurs du mal, parce que le bien étant déjà établi par Dieu et par les hommes, il s’ensuit que <les pécheurs> eux-mêmes font advenir le mal en innovant: "Leurs inventions sont contre le Seigneur 3."

165. Puis sont énumérées les omissions elles-mêmes.

Et d’abord <l’omission> à l’égard des supérieurs; aussi dit-il vis-à-vis des parents: désobéissants à leurs parents. Et cela contrairement à cette parole: "Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur; car cela est juste 4." Mais vis-à-vis de Dieu il dit: 31 insensés, c’est-à-dire agissant contre le respect <dû> à Dieu: "Voici: la crainte du Seigneur, c’est la sagesse, et s’éloigner du mal, l’intelligence 5."

Ensuite, il expose l’omission à l’égard de soi-même, lorsqu’il dit: désordonnés, dans la tenue et la démarche: "Le vêtement du corps, le rire des dents, et la démarche d’un homme le font connaître 6." Cependant certains ont été blâmés de ce qu’ils marchaient avec un pas affecté parce que cette affectation s’écartait des manières de vivre des hommes de leur entourage.

Puis, il expose l’omission à l’égard des égaux, à qui nous devons d’abord l’affection du coeur. Contre ce manque ment <l’Apôtre> dit: sans affection. — Il est écrit dans les Proverbes: "Les entrailles des impies sont cruelles 8 > Et dans la seconde épître à Timothée: "Il y aura des hommes s’aimant eux-mêmes 9", et non les autres. Puis nous devons leur témoigner une relation sociale. Contre ce manquement il ajoute: Infidèles, ce qui fait qu’ils ne vivent pas en société: "Ils les frappèrent du tranchant du glaive, et livrèrent la ville aux flammes. Il n’y eut personne pour la secourir, parce qu’ils habitaient loin de Sidon, et qu’ils n’avaient avec quelque homme que ce soit aucune société et aucun commerce 10." — "Malheur à celui qui est seul, parce que, lorsqu’il tombe, il n’a personne pour le relever 11."

Enfin, il expose l’omission à l’égard des inférieurs, en ajoutant: sans miséricorde, sentiment que nous devons témoigner aux malheureux: "Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde; mais la miséricorde s’élève au-dessus du jugement 12"

1. Lc 18, 11.
2. Ps 130, 1.
3. Is 3, 8.
4. Ep6, I.
5. Jb 28, 28.
6. Eccli (Si) 19, 27.
7. Voir Is 3, 16.
8. Pr 12, 10.
9. 2 Tm 3, 2.
10. Jg 18, 27.
11. Eccli (Qo) 4, 10.
12. Jc 2, 13.
13. Voir chap. 1, y. 18; leçon 6, n° 110.



166. En disant ensuite: 32 Eux qui, bien qu’ayant connu la justice de Dieu, <l’Apôtre> montre qu’ils sont objets de la colère ou de la vengeance divine 13.Et à cet égard il y a trois choses à considérer: Leur affection naturelle, parce que, bien que connaissant un Dieu juste et pourvu de toutes les autres perfections, ils n’ont pas cru qu’il leur infligerait une peine pour leurs péchés: "Eux qui disent en leurs coeurs le Seigneur ne fera pas de bien, et il ne fera pas de mal 1." Et c’est bien ce que <l’Apôtre> dit Eux qui, bien qu’ayant connu la justice de Dieu, n’ont pas compris.

167. La peine due à leurs péchés, lorsqu’il dit: sont dignes de mort. "La solde du péché est la mort 2." Il est juste, en effet, que l’âme qui abandonne Dieu, soit abandonnée de son corps par la mort corporelle, et finalement de Dieu par la mort éternelle, dont il est dit dans ce psaume: "La mort des pécheurs est très funeste 3." — "La seconde mort n’aura pas de pouvoir sur eux; ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans"

168. Enfin il faut considérer ceux à qui cette peine est due. Cette peine est d’abord due à ceux qui commettent de telles actions, c’est-à-dire <qui commettent> les péchés que l’on vient de mentionner, selon ce verset du psaume: "Tu hais tous ceux qui opèrent l’iniquité, tu perdras ceux qui disent le mensonge 5."

Et non seulement ceux qui les font, mais encore ceux qui approuvent ceux qui les font. Et cela de deux manières soit direc tement, en louant le péché, selon ce verset du psaume: "Le pécheur est loué dans les désirs de son âme 6"; ou même en leur donnant conseil et faveur, selon qu’il est dit: "Tu donnes du secours à l’impie, et tu te lies d’amitié avec ceux qui haïssent le Seigneur; et c’est pour cela certainement que tu méritais la colère du Seigneur 7."

Soit indirectement, quand on ne reprend pas ou que l’on n’empêche pas le péché de quelque manière que ce soit, si on le peut, et surtout si le devoir nous en incombe, comme Elie à qui furent imputés les péchés de ses fils: "<Je lui ai prédit que je devais juger sa maison à jamais, pour cause d’iniquité, parce qu’il savait que ses fils agissaient indignement, et qu’il ne les a pas corrigés> 8" L’Apôtre dit cela expres sément en raison de quelques sages d’entre les Gentils, qui, tout en ne rendant pas de culte aux idoles, ne s’opposaient cependant pas à ceux qui les honoraient.

1. So 1, 12.
2. Rm 6, 23.
3. Ps 33, 22. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 33, 22.
4. Ap 20, 6.
5. Ps 5, 7.
6. Ps 9, 24.
7. 2 Par (2 Ch) 19, 2.
8. 1 R (1") 3, 13.




Thomas A. sur Rm (1999) 8