Thomas A. sur Rm (1999) 9

CHAPITRE 2


Leçon 1 [versets 1 à 5]

10
075 (
Rm 2,1-5)


[n° 169] 1 C’est pourquoi tu es inexcusable, ô homme, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque tu agis de même, toi qui juges.

[n° 178] 2 Car nous savons que le jugement de Dieu est selon la vérité pour ceux qui agissent de même.

[n° 180] Estimes-tu donc, ô homme, toi qui juges ceux qui agissent de même, et qui les fais toi-même, que toi tu fuiras le jugement de Dieu?

n° 182] 4 Méprises-tu les richesses de sa bonté, et de sa patience, et de sa longanimité? [n° 183] Ignores-tu que la bénignité de Dieu t’amène â la pénitence?

[n° 186] 5 Cependant, par ton endurcis sement et par ton coeur impénitent, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation du juste jugement de Dieu,

169. Après avoir montré que les Gentils n’ont pas été justifiés par la connaissance qu’ils ont eue de la vérité [n° 109], l’Apôtre montre maintenant que les Juifs ne l’ont pas été non plus par les prérogatives dont ils se glorifiaient. Et ainsi pour les uns comme pour les autres la puissance de la grâce évangélique est nécessaire pour le salut.

Il dit donc d’abord que les Juifs n’ont pas été justifiés par la Loi.

Ensuite, qu’ils n’ont pas été justifiés par leur race, dont ils se glorifiaient

[n° 246]: "Qu’est-ce donc que le Juif a de plus 1?"

Enfin, qu’ils n’ont pas été justifiés par la circoncision [n° 322]: "Que dirons-nous donc qu’a trouvé Abraham, notre père selon la chair 2 ?"

170. Touchant le premier point, il faut considérer le fait que les Juifs et les Gentils, convertis à la foi, se jugeaient récipro quement sur leur vie antérieure. Car les Juifs reprochaient aux Gentils, vivant sans la Loi de Dieu, de sacrifier aux idoles. Et les Gentils reprochaient aux Juifs, ayant reçu la loi de Dieu, de ne pas l’observer.

<L’Apôtre> commence donc par blâmer les uns et les autres pour leur jugement sans règle.

Puis il montre spécialement que les Juifs n’étaient pas dignes de récompense, parce que les prérogatives dont ils se glori fiaient ne suffisaient pas au salut [n° 210]

"Car ce ne sont pas les auditeurs de la Loi 3."

À propos de leur jugement sans règle il fait deux choses

I) Il réfute d’abord leur jugement humain.

II) Il établit et exalte le jugement divin [n° 178]: 2 Car nous savons.

1. Rm 3, 1.
2. Rm 4, 1.
3. Rm 2, 13.

I. Dans sa réfutation de leur jugement humain

A) Il met d’abord en avant le fait que ceux qui se jugent mutuellement sont inex cusables.

B) Puis, il en donne la raison [n° 172]: Car en jugeant.

171. — A. <L’Apôtre> commence par tirer une conclusion à partir de ses prémisses, en disant: Puisque les Gentils ont retenu dans l’injustice la vérité connue au sujet de Dieu, ô homme [...], toi qui juges autrui, tu es inexcusable. Dans le même sens, <Paul> disait plus haut [n° 125]: "De sorte qu’ils sont inexcusables 1." — Et il ajoute: qui que tu sois, comme s’il disait Qui que tu sois, Gentil ou Juif, parce que même le Gentil dont il paraissait s’agir surtout ne peut être excusé à cause de son ignorance, comme on l’a montré plus haut [n° 123s]. — "Ne jugez pas avant le temps 2"

172. — B. Ensuite quand il dit: Car en jugeant, il en donne la raison, en écartant la cause de l’excuse

1) D’abord l’ignorance.

2) Ensuite l’innocence [n° 176]: puisque tu agis de même.

173. 1. L’ignorance est écartée par le jugement. Car quiconque juge quelqu’un comme agissant mal démontre qu’il sait que cela est mal, et montre par là qu’il est condamnable. Et tel est ce que <l’Apôtre> dit: Tu es inexcusable, (dis-je), car en jugeant autrui, comme agissant mal, tu te condamnes toi-même, c’est-à-dire tu montres que toi tu es condamnable: "Ne jugez point, et vous ne serez point jugés."

174. Toutefois il ne faut pas croire que tout jugement soit cause de condamnation.

Il y a en effet trois sortes de jugements. Le premier est juste, parce qu’il se fait selon la règle de la justice: "Aimez la justice, vous qui jugez la terre 4." Le deuxième est un jugement injuste, parce qu’il se fait contre la règle de la justice: "Lorsque vous étiez les ministres de son Royaume, vous n’avez pas jugé équitablement 5." Le troisième jugement est téméraire 6; il est opposé à ce qui est dit: "Ne dis rien témérairement 7." Or on commet <un jugement téméraire> de deux manières: d’abord, quand celui à qui un jugement a été confié procède sans la connaissance exigée de la vérité; ce qui s’oppose à cette parole de Job: "La cause que je ne connaissais pas, je la recherchais avec le plus grand soin" Ensuite, quand on s’approprie le jugement des choses secrètes, qui appartient à Dieu seul, à l’encontre de ce qui est dit: "Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui illuminera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des coeurs; et alors chacun recevra de Dieu sa louange 9."

175. Or il est des choses secrètes non seulement par rapport à nous, mais encore selon leur nature propre, relevant de la seule connaissance de Dieu. En premier lieu la pensée du coeur, selon ce verset de Jérémie: "Le coeur de l’homme est dépravé et inscrutable; qui le connaîtra? C’est moi, le Seigneur qui scrute les coeurs, et qui éprouve les reins; qui donne à chacun selon sa voie et selon le fruit de ses

1. Rm 1, 20b.
2. 1 Co 4, 5.
3. Lc 6, 37 et non Mt 7, 1 selon éd. Marietti.
4. Sg 1, 1.
5. Sg 6, 5.
6." Le jugement n’est permis qu’autant qu’il est un acte de justice", expose saint Thomas (S. Th 2a-2ae, Q. 60, a. 2). Mais, ni le jugement illégal (qui ne respecte pas les règles du droit positif, ni le jugement téméraire (qui ne respecte pas l’exigence de connaissance de la vérité ou qui présume du for inteme) ne sont des actes de justice: ils sont donc illicites.
7. Eccl (Qo) 5, 1.
8. Jb29, 16.
9. 1 Corinthiens 4, 5.



Inventions 1." Puis, le futur contingent 2 selon ce verset d’Isaïe: "Annoncez les choses qui doivent arriver dans l’avenir, et nous dirons que vous êtes des dieux." Et voilà pourquoi, selon Augustin, "il est deux points sur lesquels nous devons nous garder d’avoir un jugement téméraire: c’est lorsqu’il y a une incertitude, soit sur l’intention avec laquelle une chose a été faite, soit sur ce que sera demain celui qui maintenant paraît ou bon ou mauvais." Le premier jugement n’est donc pas une cause de condamnation, mais bien le deuxième et le troisième.

176. 2. Quand <l’Apôtre> poursuit en disant: puisque tu agis de même, il écarte l’autre cause d’excuse, c’est-à-dire l’inno cence. Autrement dit: Toi qui juges les autres, tu te condamnes toi-même, parce que toi tu agis de même, toi qui juges, c’est-à-dire les actes pour lesquels tu condamnes autrui, et l’on voit ainsi que tu agis contre la conscience: "Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère et ne vois-tu point la poutre qui est dans ton oeil 5 ?"

177. Il faut savoir cependant qu’en jugeant autrui pour un péché que l’on commet soi-même on n’encourt pas toujours sa propre condamnation, parce que en jugeant ainsi on ne pèche pas toujours mortellement; néanmoins on manifeste toujours sa propre condamnation. Car si l’on se trouve publiquement dans le même état de péché que celui pour lequel on juge autrui, on s’expose à scandaliser en jugeant, à moins qu’on ne se blâme humblement soi-même en même temps qu’autrui et qu’on ne gémisse pour son propre péché. Mais si l’on se trouve dans le même état de péché secrètement, on ne pèche pas en jugeant autrui pour ce même péché, surtout dans l’intention de se relever avec résolution et humilité, comme le dit Augustin dans son livre Du sermon du Seigneur sur la montagne: "Songeons d’abord, lorsque la nécessité nous contraint à reprendre quelqu’un, si nous n’avons jamais commis pareil vice, et alors songeons que nous aussi nous aurions pu le commettre; ou bien que nous avons commis pareil vice et que nous ne l’avons plus, et alors que la fragilité commune émeuve notre mémoire, afin que ce ne soit pas la haine qui l’emporte sur cette correction mais la miséricorde. Que si nous nous trouvons dans ce même état de vice, ne réprimandons pas, mais affligeons-nous ensemble et invitons-le à compatir en même temps 6."

178. — II. Ensuite lorsqu’il dit: 2 Car nous savons, il établit et exalte le jugement divin. Et à ce propos il fait trois choses

Il commence par exposer la vérité du jugement.

Puis, il écarte l’opinion contraire [n° 180]: 3 Estimes-tu.

Enfin, il manifeste la vérité [n° 189] qui rendra à chacun.

179. Il dit donc en premier lieu J’affirme que tu te condamnes toi-même puisque tu agis de même, toi qui juges, car nous savons, c’est-à-dire nous tenons pour certain, que le jugement de Dieu est […] pour ceux qui agissent de même, c’est-à-dire que le jugement divin les menace: "Il y a un glaive vengeur de <l’iniquité>, et sachez

1. Jr 17, 9-10.
2. "Contingent" (du latin coniingens, "ce qui arrive signifie, en philosophie, ce qui peut ne pas être il s’oppose à "nécessaire" ce qui ne peut pas ne pas être. Si un tnangle est donné, la somme de ses angles est nécessairement égale à 180 degrés. Il y a des futurs, c’est-à-dire des événements futurs, nécessaires si je chauffe de la glace, elle se transformera en eau. Il y a des futurs contingents, ceux qui dépendent du libre arbitre de l’homme (ou de la volonté divine) et que Dieu seul connaît. Ces futurs contingents ne peuvent servir à fonder aucun jugement humain.
3. Is 41, 23.
4. SAINT AUGUSTIN, De sermone Domini in monte II, XVi 61 (CCL 35, 157).
5. Mt 7, 3.
6. SAINT AUGUSTIN, De sermone Domini in monte II, XIX, 64 (CCL 35, 160-161).



qu’il y a un jugement 1." — "Dieu appellera au jugement toutes les choses qui se font 2." Nous savons aussi que ce jugement est selon la vérité: "Il jugera le monde avec équité 3." Mais le jugement de l’homme, alors même qu’il juge avec justice, n’est pas toujours selon la vérité de l’objet, mais selon les dépositions des témoins, qui quelquefois ne s’accordent pas avec la vérité. Rien de semblable dans le jugement divin, car <le Seigneur> lui-même déclare: "C’est moi qui suis le juge et le témoin 4." Il n’est pas non plus trompé par de fausses allégations, selon cette parole de Job: "Je ne l’épargnerai pas, malgré ses paroles arrogantes et ses suppli cations mensongères 5."

180. Ensuite lorsque <l’Apôtre> dit: Estimes-tu donc ? il écarte l’opinion contraire.

A) Et il commence par l’exposer.

B) Puis, il en donne la cause [n° 182] "Méprises—tu les richesses, etc. ?

C) Enfin, il la désapprouve [n° 183] Ignores-tu?

181. — A. Il commence donc par dire J’ai déclaré que le jugement de Dieu est selon la vérité pour ceux qui agissent de même, mais, ô homme, qui que tu sois, toi qui juges ceux qui agissent de même, et qui cependant fais de même ne crains-tu pas le jugement d’un <Etre> supérieur? Estimes-tu que toi tu fuiras le jugement de Dieu? Autrement dit: si tu estimes cela, ton estimation est fausse. <Il est écrit dans un> psaume: "Où irai-je loin de ton esprit? et où fuirai-je devant ta face 6 ?"

<Et au livre de Job>: "La fuite leur fera défaut 7."

182. — B. En ajoutant: 4 Méprises-tu les richesses, etc., il montre la cause de cette fausse estimation. En effet, parce que l’homme n’est pas aussitôt puni par Dieu pour son péché, il estime qu’il ne sera pas puni, contrairement à ce qui est dit: "Ne dis pas", dans ton coeur, "j’ai péché, et que m’est-il arrivé de fâcheux ? car le Très-Haut est patient à rétribuer 8." Et encore: "Parce que la sentence n’est pas portée promptement contre les méchants, sans aucune crainte les fils des hommes commettent le mal 9." Cependant le pécheur, parce qu’il a fait cent fois le mal et a été supporté avec patience, ne doit pas avoir de dédain, mais remarquer que le bien échoit à ceux qui craignent <le Seigneur>. Et c’est ainsi que <l’Apôtre> dit: Méprises-tu — selon ce verset du livre des Proverbes: "L’impie, lorsqu’il est venu au fond des péchés, montre du mépris 10" — les richesses — c’est-à-dire l’abondance: "Dieu qui est riche en miséricorde 11" — de sa bonté, par laquelle il répand sur nous les biens, selon ce verset du Psalmiste: "Toi, tu ouvres ta main, et tu combles toutes choses de ta bonté 12" Car le bien, selon Denys 13, implique une notion de diffusion 14: "Le Seigneur est

1. Jb 19, 29.
2. EccI (Qo) 12, 14.
3. Ps 95, 13.
4. Jr 29, 23.
5. Jb 41, 3.
6. Ps 138, 7.
7. Jb 11, 20.
8. Eccli (Si) 5, 4.
9. Eccl (Qo) 8, 11.
10. Pr 18, 3.
11. Ep 2, 4.
12. Citation combinée de Ps 144, 16a pour e aperis tu manum tuam", et de Ps 103, 28b pour e omnia impies bonitate."
13. Voir PSEUDO-DENYSL’ARÈOi’AGflE, De div. nom. IV, 1 (PG 3, 693 B; Suchla, p. 143; Dionysiaca, t. I, p. 146), etc.
14. II s’agit du thème bien connu du bonum diffusivum sut, du "bien diffusif de soi." Cet axiome ne figure pas tel quel dans les oeuvres du Pseudo-Denys (voir à ce propos la note qui lui est consacrée, dans Henosis. L’union à Dieu chez Denys i’Aréopagite, par Ysabel de Andia, Leyde, c. J. BrilI, 1996, coll. e Philosophia antiqua", LXXI, p. 125-126). D’origine platonicienne (le Bien suprême est représenté chez Platon par un soleil rayonnant), ce thème irrigue, à travers saint Augustin et Denys l’Aréopagite, une grande partie de la pensée chrétienne. Pour saint Thomas, si le bien peut être dit "diffusif de soi", c’est en tant qu’il meut tous les êtres à titre de fin (Somme Théologique Ia, Q. 5, a. 4, sol. 2). Autrement dit le bien tend à se répandre et à se communiquer à tous les êtres, sous la forme du désir et de l’amour qui fait tous les êtres tendre vers lui.



bon pour ceux qui espèrent en lui 1." — Et de sa patience, par laquelle il supporte ceux qui pèchent gravement et par malice "Dieu est un juge juste et patient: est-ce qu’il s’irrite tous les jours 2 ?" — Et de sa longanimité, par laquelle il attend longtemps ceux qui, péchant par faiblesse, demeurent toutefois longtemps dans le péché "Croyez que la longanimité de Notre Seigneur Jésus-Christ est votre salut."

183. — C. En disant: Ignores-tu?, il désapprouve la cause mentionnée plus haut, à savoir le mépris de la patience divine, et:

1) Il commence par faire connaître le fruit de la patience divine.

2) Puis, le danger de la mépriser [n° 186]: Cependant.

184. 1. Il dit donc: Surprenant est ton mépris. Ignores-tu donc que c’est la béni gnité de Dieu qui diffère la peine? — "Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de sa promesse, comme quelques-uns se l’imaginent, mais il agit patiemment à cause de vous, ne voulant pas même que quelques-uns périssent, mais que tous recourent à la pénitence 4." — "Le Seigneur attend, afin d’avoir pitié de vous 5."

185. L’Apôtre, selon la Glose 6 semble avoir fait allusion ici à trois degrés parmi les pécheurs. D’abord à ceux qui se promettent l’impunité; puis à ceux qui méprisent la bonté de Dieu; enfin à ceux qui ignorent. Aussi la Glose dit-elle: "Tu pèches, ô homme, tandis que tu te promets l’impunité; tu pèches plus gravement, parce que tu méprises, et tu pèches très gravement, parce que tu ignores 7." Cependant cette assertion semble être fausse, car l’ignorance diminue le péché plutôt qu’elle ne l’aggrave 8. Il faut donc, selon quelques-uns, comprendre très gravement pour très dangereusement, parce que celui qui ignore le péché n’en cherche pas le remède. Ou bien très gravement, à cause de la nature de l’igno rance, qui relève de l’infidélité, laquelle est un péché très grave 9.C’est ainsi qu’il est dit: "Si quelqu’un l’ignore, il sera ignoré 10" Ou bien très gravement selon une espèce d’ingratitude 11. Selon Augustin 12: celui qui ne reconnaît pas le bienfait est plus ingrat que celui qui l’amoindrit, ce qui est le propre du mépris.

186. —2. En disant: 5 ton endurcissement, <l’Apôtre> montre le danger du mépris, c’est-à-dire en ce que <le coeur> n’est pas touché par les bienfaits de la bonté divine: "Le coeur dur sera malheureux au dernier jour, et celui qui aime le péril y périra 13." Et ton coeur impénitent, c’est-à-dire qui ne se laisse pas fléchir à la pénitence par la patience et la longanimité de Dieu: "Il n’en est aucun qui fasse pénitence de son péché, disant Qu’ai-je fait 14 ?" — Tu t’amasses un trésor de colère, c’est-à-dire tu multiplies contre toi l’obligation à la peine: "Vous vous êtes amassé des trésors de colère pour les derniers jours 15" Voilà pourquoi <l’Apôtre> poursuit en disant: pour le jour de la colère, c’est-à-dire au jour du

1. Lm 3, 25.
2. Ps 7, 12.
3. 2 P 3, 15. Pour l’addition des mots Jesu Ghristi, voir Vetus latina, Epistula II Petri 3, 15, éd. W. Thiele, t. XXVI/i, fasc. 3, p. 233.
4 2 P 3, 9.
5. Is 30, 18.
6. Voir Glosa in Rom. II, 4 (GPL col. 1338 D GOS, t. IV, p. 277b).
7. Ibid.
8. Lieu parallèle Somme Théologique 1a-2ae Q. 76, a. 4.
9. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 10.
10. 1 Co 14, 38.
11. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2a, Q. 76, a. 4, sol. 3; 2 Q. 107.
12. La mention de saint Augustin ne figure pas dans le bon texte. Il faut donc lire ce qui suit comme une remarque de saint Thomas.
13. Eccli (Si) 3, 27.
14. Jr 8, 6.
15. Jc 5, 3.



jugement, dont il est dit: "Jour de colère, ce jour-là 1", parce que Dieu n’inflige pas maintenant la vengeance qu’il infligera alors, selon ce verset du psaume: "Lorsque j’aurai pris mon temps, c’est moi qui jugerai les justices 2," — Et de la révélation du juste jugement de Dieu, parce que alors sera révélée la justice du jugement divin, à l’existence duquel on ne croit pas maintenant, ou qui ne paraît pas être juste "Mon salut est près de venir, et ma justice d’être révélée"

187. Et parce que la Glose dit, sur ce passage, que l’endurcissement et le coeur impénitent signifient le péché contre l’Esprit-Saint, qui est irrémissible 5, il faut examiner quel est ce péché contre l’Esprit-Saint et comment il est irrémissible.

Il faut donc savoir que selon les plus anciens docteurs de l’Eglise qui ont précédé Augustin, comme Athanase 6 Hilaire 7, Ambroise 8, Jérôme 9 et Chrysostome 10, on appelle péché contre l’Esprit-Saint le blasphème qui consiste à attribuer les oeuvres de l’Esprit-Saint à l’esprit immonde 11 comme on le voit <dans l’évangile de> Matthieu 12 Ce péché est dit irrémissible et en ce monde et dans la vie

1. So 1, 15.
2. Ps 74, 3.
3. Is 56, 1.
4. Voir Glosa in Rom. II, 5 (GPL, col. 1340 A).
5. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 14, a. 3; 3a, Q. 86, a. 3, sol. 2, 3; 2 Sentences dist. 43, a. 4; De veritate, Q. 24, a. 11, ad. 7; De malo, Q. 3, a. 1; De quodL 2, Q. 8, a. 1; SuperMatth. 12, 31-32 (éd. Marietti, n° 1024-1033); Catena aurea, in Matth. 12, 31 (éd. Marietti, 1953, t. I, p. 199-201); in Marc. 3, 29 (éd. Marietti, 1953, t. I, p. 456-457); in Luc. 12, 10 (éd. Marietri, 1953, t. II, p. 178-179).
6. Voir SAINT ATILANASE, Epistulae III, 7 (PG 26, 635 C-637 A; SC 15, 173-174); IV, 8 (PG 26, 648 A-649A; SC 15, 185-187); IV, 18 (PG 26, 664 C; SC 15, 201); IV, 23 (PG 26, 676 A; SC 15, 210).
7. Voir SAINT HIlAIRE DE POITIERS, SurMatthieu 12, 17 (SC 254, 282-285).
8. Voir SAINT AMBROISE, De Spiritu Sancto I, III, 53 (CSEL 79, 36-37).
9. Voir SAINT JÉRÔME, Commentaire sur saint Matthieu II, 12, 32 (SC 242, 250-253).
10. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In Matthaeum homiliae 41, 3 (PG 57, 449).
11. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 14, a. 1, concl.
12. Voir Mt 12, 31.



future, puisque c’est pour ce péché que les Juifs ont été punis même en ce monde par les Romains et <qu’ils le seront> dans la vie future par les démons. Ou bien, parce qu’il n’a aucun prétexte d’excuse, comme pouvait en avoir le blasphème que <les Juifs> proféraient contre le Christ, en tant qu’il était fils de l’homme, selon ce verset de Matthieu: "Le fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils disent: Voilà un homme de bonne chère et adonné au vin, ami des publicains et des pécheurs. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants 13"; blasphème auquel ils pouvaient être portés par l’infirmité de la chair, comme <on le voit> aussi dans l’Ancien Testament, puisque les fils d’Israël murmurèrent à cause de la disette du pain et de l’eau, ainsi qu’on le lit dans l’Exode 14; <murmure qui> fut en quelque sorte humain et faci lement rémissible. Mais en disant: par la suite devant l’idole "Voici tes dieux, ô Israël, qui t’ont retiré de la terre d’Egypte 15", ils péchèrent contre l’Esprit-Saint, en attribuant aux démons l’oeuvre de Dieu. Aussi leur péché est dit irrémissible, puisque le Seigneur ajoute: "Pour moi, au jour de la vengeance, je visiterai ce péché <qu’ils ont commis> 16"

Mais Augustin dit que le péché contre l’Esprit-Saint est une parole ou un blasphème que l’on profère contre l’Esprit-Saint, par qui s’opère la rémission des péchés, selon cette parole: "Recevez l’Esprit-Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis: et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus 18." Ce péché se commet par le coeur, en paroles et en actions, alors que le

13. Mt 11, 19.
14. Voir Ex 16, 2s.
15. Ex 32, 4.
16. Ex 32, 34.
17. Voir SAINT AUGUSTIN, Epistulae ad Romanos inchoata expositw (PL 35, 2106); De sermone Domini I, XXII, 75 (CCL 35, 84-85); Sermo L)OU, xII, 20 (PL 38, 455). Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 14, a. 1, concl.
18. Jn 20, 23.



pécheur persévère dans son péché jusqu’au terme ultime. Et dans ce sens, l’impéni tence finale est le péché contre l’Esprit, puisqu’elle est manifestement irrémissible.

Mais les maîtres qui ont suivi <Augustin> 1 disent que le péché contre l’Esprit-Saint est celui que l’on commet avec une malice déterminée 2 en opposition avec ce qui est attribué en propre à l’Esprit-Saint, c’est-à-dire la bonté comme le péché contre le Fils de Dieu est celui qui procède de l’ignorance, opposée à la sagesse qui est attribuée en propre au Fils. Et semblablement on peut appeler péché contre le Père celui qu’on commet par faiblesse, laquelle est opposée à la puis sance attribuée en propre au Père 3.

Ainsi donc le péché qui est contre le Père ou le Fils est dit rémissible, parce que de par sa nature ce péché semble admettre quelque excuse, puisqu’il est commis par ignorance ou par faiblesse. Mais celui qui est commis avec une malice déterminée n’a en soi aucun prétexte d’excuse, et on l’appelle irrémissible, parce qu’il n’a en soi rien qui puisse le remettre, bien que parfois Dieu le remette par sa bonté, comme parfois sa puissance guérit une maladie qui de soi est incurable.



188. Et selon cette acception, six espèces sont assignées au péché contre l’Esprit-Saint 4, abstraction faite de ce qui le remet. Les deux premières se prennent du côté de Dieu, c’est-à-dire l’espérance de la miséricorde divine, à laquelle s’oppose le désespoir 5, et la crainte de la justice divine, à laquelle s’oppose la présomption 6. Deux autres <espèces> se prennent du côté de l’homme, c’est-à-dire le mépris du bien périssable, auquel s’oppose l’obstination 7, appelée ici endurcissement, par laquelle on endurcit son coeur dans le péché; et la renonciation à s’éloigner de Dieu, à laquelle s’oppose le coeur impénitent, en ce sens que <le pécheur> ne se propose jamais de revenir à Dieu par la pénitence. Enfin, d’autres <espèces> se prennent du côté des dons de Dieu, dont l’un est la foi, selon ce verset des Proverbes: "Par la foi se puri fient les péchés 8" et à cela s’oppose l’attaque de la vérité reconnue 9.L’autre est la charité, selon ce verset des Proverbes "La charité couvre toutes les fautes 10 à cela s’oppose l’envie de la grâce <accordée> à nos frères.

1. Voir notamment dans HUGUES DE SAINT-VICTOR, De amore sponsz ad sponsam (PL 176, 989); PIERRE LOMBARD, Sentences II, dist. 43, c. 1, n 11 (éd. I. Brady, p. 577); RIcHARD DE SAINT VicToR, Tractatus de Spiritus blasphemia (éd. J. Ribaillier, p. 111-129); GUILLAUME D’AUXERRE, Summa aurea, I. II, trac talus XIV, c. l-2 (éd. J. Ribaillier, t. II, p. 510-518), etc. Lieu parallèle Somme Théologique 2a-2ae, Q. 14, a. 1, concl.
2. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 14, a. 1; 2 Sentences dist. 43, a. 1, 2; De malo, Q. 2, a. 8, sol. 4; Q. 3, a. 14; De quodlibet 2, Q. 8, a. 15; Super Marth. 12, 31-32 (éd. Marietti, n° 1024-1033).
3. Ces appropriations sont dues à Hugues de Saint-Victor (De sacramentis christianac fidei I, 2, 8 [n° 176, 209]). — Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 39, a. 8, obj. 3; AdRom. 11, 36, Iect. 5 (éd. Marietti, n° 949); 16, 27, lect. 2 (éd. Marietti, n° 1228).
4. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 14, a. 2; Q. 36, a. 4, sol. 2; 2 Sentences dist. 43, a. 3; Super Matth. 12, 3 1-32 (éd. Marietti, n° 1024-1033).
5. Lieu parallèle Somme Théologique 2a-2a", Q. 20, a. 2.
6. Lieu parallèle: Somme Théologique 2 Q. 21, a. 1.
7. Lieu parallèle Somme Théologique 2a-2a Q. 14, a. 2c et sol. 4.
8. Pr 15, 27.
9. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 14, a. 2c.
10. Pr 10, 12.
11. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 14, a. 2, sol. 4; Q. 36, a. 4.


Leçon 2 [versets 6 à 12]

11
075 (
Rm 2,6-12)


[n° 1891 6 qui rendra à chacun selon ses oeuvres:

[n° 195] pour ceux qui par la pratique patiente du bien cherchent la gloire, et l’honneur, et l’incorruptibilité, la vie éternelle;

[n° 198] 8 mais à ceux qui ont l’esprit de dispute, et qui n’acquiescent pas à la vérité, mais croient à l’iniquité, colère et indignation.

[n° 200] 9 Tribulation et angoisse [n° 201] à toute âme d’homme qui pratique le mal, au Juif d’abord, puis au Grec.

[n° 204] 10 Mais gloire et honneur et paix à quiconque pratique le bien, au Juif d’abord, puis au Grec.

[n° 205] 11 Car il n’y a pas d’acception de personnes auprès de Dieu.

[n° 207] 12 Tous ceux, en effet, qui ont péché sans la Loi, périront sans la Loi, et tous ceux qui ont péché sous la Loi, seront jugés par la Loi.

189. Après avoir établi la vérité du jugement divin et réfuté l’opinion contraire [n° 178], l’Apôtre montre ici la vérité du jugement divin, et:

I) Il commence par énoncer son propos.

II) Puis, il en montre l’évidence [n° 195]: 7 pour ceux qui par la pratique patiente.

190. I. Il énonce donc d’abord la vérité du jugement divin quant à deux choses: aux oeuvres et aux personnes.

A. À l’égard des oeuvres, parce que dans le présent il ne rétribue pas selon les oeuvres, mais il donne parfois sa grâce à ceux qui agissent mal, par exemple à l’apôtre Paul lui-même, lequel, <bien qu’il ait été> auparavant blasphémateur et persécuteur, a obtenu miséricorde, comme il le dit dans sa première épître à Timothée. Mais il n’en sera pas ainsi au jour du jugement, quand le temps sera venu de juger selon la justice: "Lorsque j’aurai pris mon temps, c’est moi qui jugerai les justices 2." Et c’est pourquoi il est écrit ailleurs: "Accorde-leur selon les oeuvres de leurs mains 3."

B. À l’égard des personnes la vérité du jugement divin se découvre parce que l’égalité de la rétribution sera observée pour tous: "Nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ 4."

191. Mais il semble que la rétribution future n’est pas selon les oeuvres, puisqu’une peine éternelle sera la rétri bution du péché temporel.

Cependant il faut dire, selon Augustin 5, que dans la rétribution de la justice on ne considère pas l’égalité du temps entre la faute et la peine, puisque même selon le jugement humain, pour une faute d’adultère qui se commet dans l’intervalle

1. Voir I Tm 1, 13.

2. Ps 74, 3.

3. Ps 27, 4.

4. 2 Co 5, 10.

5. Voir SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu XXI, xi (BA 37, 428-433).



d’un moment, on inflige la peine de mort, peine dans laquelle le législateur ne prête pas attention à son délai, mais plutôt au fait que par la mort perpétuelle le coupable est exclu de la société des vivants. C’est dans ce sens que l’homme, selon sa propre condition, est puni d’une peine éternelle pour une faute temporelle. Et c’est pourquoi il n’est donc pas étonnant que les péchés commis contre la charité, par laquelle s’établit la société entre Dieu et les hommes, soient éternellement punis par le jugement divin.

192. Ce jugement se révèle être juste pour trois raisons:

1. Premièrement, en raison de la dignité infinie de Dieu contre lequel on pèche. Car on pèche d’autant plus gravement que la dignité de la personne contre laquelle on pèche est plus élevée; par exemple celui qui frappe un prince pèche davantage que celui qui frappe un simple particulier. Et ainsi, puisque la faute du péché mortel est en quelque sorte infinie, il est nécessaire qu’une peine infmie y corresponde. Et comme elle ne peut être infinie en intensité, il reste qu’elle est infinie dans sa durée.

193. 2. Deuxièmement, il se révèle <être juste> en raison de la volonté par laquelle on pèche.

Quiconque, en effet, pèche mortel lement se détourne du bien immuable, et met sa fin dans un bien périssable 1; par exemple le fornicateur dans la délectation de la chair, l’avare dans l’argent. Et parce que la fin est recherchée pour elle-même, quiconque désire la fin se porte vers elle, voulant l’obtenir pour toujours si rien d’autre ne s’y oppose. Celui donc qui pèche mortellement a la volonté de demeurer perpétuellement dans le péché, à moins d’une cause accidentelle, par exemple lorsqu’il craint une peine ou quelque autre empêchement. Il convient donc qu’à partir du moment où l’homme désire, selon sa volonté, obtenir perpétuellement le péché, il soit éternellement puni pour celui-ci. Car Dieu qui est le scrutateur du coeur prête attention à la volonté du pécheur.



194. 3. Troisièmement, <il se révèle être juste> en raison de l’effet du péché, qui est le retrait de la grâce; d’où il suit que l’homme, dans la mesure où cela dépend de lui, demeure perpétuellement dans le péché, dont il ne peut sortir que par le secours de la grâce. Or il ne convient pas que la peine cesse tandis que la faute persiste 2, et voilà pourquoi la peine dure à perpétuité. Quant aux paroles <de l’Apôtre>: rendra à chacun selon ses oeuvres, il ne faut pas les comprendre selon l’égalité des oeuvres, parce que la récompense surpasse le mérite, mais selon une proportion, parce qu’aux bons <Dieu> donnera des biens, et aux meilleurs des biens plus importants. Le même raison nement vaut pour les méchants.



195. — II. Quand <l’Apôtre> dit ensuite: pour ceux qui par la pratique patiente, il montre l’évidence de son propos:

A) Et premièrement quant aux oeuvres.

B) Puis quant aux personnes [n° 201] A toute âme d’homme.

1. Lieu parallèle: Somme Théologique 2a-2a, Q. 21, a. 1, sol. 3.

2. Ainsi que nous l’avons rappelé dans une note précédente, deux choses sont à considérer dans le péché: la faute (qu’on appelle aussi la coulpe) et la peine qui découle de cette faute. N’oublions pas que ce que dit ici saint Thomas sur la justice d’une peine éternelle due à une faute pourtant temporelle concerne le péché mortel non pardonné, c’est-à-dire pour lequel on n’a pas demandé pardon. Il y a péché mortel "lorsque la volonté se porte vers un objet qui est, par lui-même, contraire à la charités (envers Dieu ou le prochain). Mais ce n’est pas seulement l’objet qui fait le péché mortel, ce sont aussi les dispositions du sujet agissant: ainsi un péché objectivement mortel par lui-même devient véniel s’il a été imparfaitement voulu, c’est-à—dire s’il "n’est pas délibéré par la raison "(Somme Théologique 1a-2 Q. 88, a. 2). Autrement dit, le péché mortel est le refus de l’amour de Dieu. Si ce refus que Dieu puisse nous aimer et nous pardonner est maintenu jusqu’à la fin de manière pleinement délibérée, comment Dieu pourra-t-il nous donner son pardon?

A. Il montre la vérité du jugement divin quant aux oeuvres:

1) D’abord à l’égard du bien.

2) Ensuite, à l’égard du mal [n° 198]: 8 mais à ceux qui ont l’esprit, etc.

196. 1. À l’égard du bien, il faut considérer deux choses: le mérite et la récompense [n° 197].

a. Trois choses concourent au mérite: Premièrement la patience. Ce qui peut s’entendre soit de la patience de Dieu, à propos de laquelle il est écrit plus haut "Méprises-tu les richesses de sa bonté et de sa patience 1 ?", <l’Apôtre> faisant ainsi comprendre que ceux-là pratiquent le bien avec patience, c’est-à-dire s’y disposent, qui se servent utilement de la patience de Dieu pour opérer le bien. Ou bien cela peut s’entendre de la patience de l’homme, et en deux sens: d’abord, en tant que la patience suppose la tolérance des ennemis accompagnée d’une égalité de coeur. Car il est nécessaire qu’on ne délaisse point la pratique du bien à cause des maux dont on souffre. Et c’est ce que dit <l’Apôtre>: Par la pratique patiente du bien. Jacques <écrit quant à lui>: "La patience produit l’oeuvre parfaite 2." Et Luc: "C’est par la patience que vous posséderez vos âmes 3." Ensuite, la patience <de l’homme> peut être prise dans le sens de longanimité, ou encore de persévérance, c’est-à-dire qu’on ne s’écarte point de la pratique du bien à cause de l’ennui 4: "Soyez donc patients, frères, jusqu’à l’avènement du Seigneur 5." — "La patience vous est nécessaire, afin que, faisant la volonté de Dieu, vous obteniez l’effet de la promesse"

1. Rm 2, 4.

2. Jc 1, 4.

3. Lc 21, 19.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2ae, Q. 84, a. 4; 2 Sentences dist. 42, Q. 2, a. 3; De malo, Q. 8, a. 1.

5. Jc 5, 8.

6. He 10, 36.

La deuxième chose <qui concourt au mérite> est la bonté de l’oeuvre. On la qualifie de bonne en raison de son orien tation vers sa fin requise et sa conformité à la règle requise, lesquelles sont la Loi de Dieu et la raison humaine: "Faisant le bien, ne nous lassons point; car en ne nous lassant pas, nous recueillerons la moisson en son temps 7."

La troisième chose traitée <qui concourt au mérite> est la rectitude d’intention pour ceux qui cherchent [...] la vie éternelle, c’est-à-dire que dans les maux dont l’homme souffre, comme dans le bien qu’il fait, il ne cherche rien de temporel, mais <ce qui est> éternel: "Avant tout, cherchez le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît 8."

197. b. Du côté de la récompense l’Apôtre traite de trois choses:

La première d’entre elles est la gloire, qui signifie la clarté dont l’âme des saints sera remplie, même intérieurement, selon ce verset d’Isaie: "Il remplira ton âme de splendeurs", et dont resplendira extérieu rement leur corps: "Les justes resplen diront comme le soleil dans le Royaume de leur Père ‘°" — "Les saints exulteront dans la gloire 11."

La deuxième est l’honneur, par lequel est signifiée la dignité des saints, et la vénération qui leur est témoignée par toute créature. Car ils seront rois et prêtres: "Vous avez fait de nous un royaume et des prêtres pour notre Dieu 12." Et plus tard ils seront comptés parmi les fils

7. Ga 6, 9.

8. Mt 6, 33. Version probablement citée d’après l’antienne de communion Primum quaerite du commun du Graduel romain (XIV’ dimanche après la Pentecôte, actuellement XX’ dimanche du Temps per annum). S. Thomas suit cette même version dans son Commentaire surS. Matthieu 6, 33 (éd. Marietti, n 629).

9. Is 58, 11.

l0. Mt 13, 43.

Il. Ps 149, 5.

12. Ap 5, 10.



de Dieu, selon cette parole de la Sagesse "Et voilà qu’ils sont comptés parmi les fils de Dieu, et que leur sort est au milieu des saints 1." <Et il est écrit> au psaume 138: "Mais pour moi, ô Dieu, tes amis sont devenus extrêmement honorables 2."

La troisième <chose traitée> est l’incorruptibilité, parce que cette gloire 3 et cet honneur ne seront pas transitoires, comme les choses qui sont en ce monde "Tous ceux qui combattent dans l’arène s’abstiennent de toutes choses: eux, pour recevoir une couronne corruptible, nous une incorruptible 4."

198. 2. En ajoutant: 8 mais à ceux, <l’Apôtre> montre la vérité du jugement divin à l’égard du mal, à propos duquel il traite de la coulpe 5 et de la peine [n° 199].

a. Concernant la coulpe trois choses sont mentionnées

La première d’entre elles est l’obstination dans la dispute 6. Ce qui peut être entendu d’abord de l’homme à l’égard de Dieu, qui l’appelle par ses bienfaits et contre lequel l’homme semble s’opposer en résistant à ses bienfaits: "Moi vivant encore et marchant avec vous, vous avez toujours agi avec un esprit de dispute contre le Seigneur: combien plus lorsque je serai mort 7." Cela peut s’entendre en deuxième lieu de la dispute de l’homme contre la foi "Evite les disputes de paroles 8." En troisième lieu cela peut

1. Sg 5, 5.

2. Ps 138, 17.

3. Conformément à l’usage de l’Écriture, la "gloire" désigne ici l’état de béatitude éternelle dans lequel Dieu a placé les élus et qu’ils ont obtenu par les mérites de Jésus-Christ.

4. 1 Co 9, 25.

5. La coulpe ou la faute " se dit de l’état fautif qui résulte pour le pécheur de son péché, par opposition aux peines qui doivent en être la conséquence et comme la compensation (reatus culpae et reatus poenae) " (Louis BOUYER, art. e Coulpe", Dictionnaire théologique, p. 94). Lieux parallèles Somme Théologique Ia, Q. 48, a. 5; 2 Sentences dist. 35, a. 1; De malo, Q. 1, a. 4.

6. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 38.

7. Dt 31, 27.

8. 2 Tm 2, 14.



s’entendre de la dispute des hommes entre eux, <vice> qui s’oppose à la charité, laquelle est la mère des vertus 9: "Où est la jalousie et l’esprit de dispute, là est l’inconstance et toute oeuvre perverse 10."

Ensuite est exposée la dureté de ceux qui n'acquiescent pas à la vérité. Ce qui peut s’entendre soit de la vérité de la foi "Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas 11?" Soit de la vérité de la justice divine, à laquelle n’acquiescent pas ceux qui ne croient pas à la vérité du jugement divin: "Vous avez dit Elle n’est pas juste la voie du Seigneur. Ecoutez donc maison d’Israël: Est-ce ma voie qui n’est pas juste, et ne sont-ce pas plutôt les vôtres qui sont corrompues 12?" Soit enfin de la vérité de la vie, à laquelle n’acquiescent pas ceux qui vivent d’une manière dépravée "Celui qui fait la vérité vient à la lumière 13."

Enfin <l’Apôtre> traite de leur malice en disant: mais croient à l’iniquité, ou bien parce qu’ils donnent leur consen tement à ceux qui les déterminent à l’iniquité: "Le méchant obéit à une langue inique 14." Ou bien parce qu’ils croient à l’impunité des pécheurs, qui retomberait sur l’iniquité divine: "Ne dis pas: J’ai péché, et que m’est-il arrivé de fâcheux? Car le Très-Haut est un patient rénumérateur 15" Ou encore ils croient à l’iniquité, c’est-à-dire à l’infidélité 16 en d’autres termes à la doctrine contraire à la foi: "En sorte que soient jugés tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais ont acquiescé à l’iniquité 17."

8. So 1, 14b.

9. Dn 13, 22.

10. Jb 27, 9.

11. Ez 18, 4.

9. Lieux parallèles " Somme Théologique I Q. 62, a. 4; 2 Q. 23, a. 8, sol. 3; Q. 186, a. 7, sol. 1, etc.

10. Jc 3, 16.

11. Jn 8, 46.

12. Ez 18, 29.

13. Jn 3, 21.

14. Pr 17, 4.

15. Ecci (Si) 5, 4.

16. Voir notamment Somme Théologique 2 Q. 10, a. 1 et 5.

l7. 2 Th2, 11.



199. b. Du côté de la peine, quatre choses sont exposées, lesquelles peuvent être classées de deux manières

D’abord, en ce sens que la colère, c’est-à-dire la peine et la vengeance corpo relle, a lieu après le jugement: "Jour de colère, ce jour-là 1 !" — L’indignation, au jugement lui-même, lorsque les impies s’indigneront contre eux-mêmes à cause des péchés qu’ils ont commis: "Nous avons erré hors de la voie de la vérité 2" Mais la tribulation et l’angoisse concernent l’âme séparée du corps avant la résur rection: "Quand viendront sur vous la tribulation et l’angoisse 3."

200. Ou bien, elles peuvent être classées d’une autre manière, en tant que les deux premières choses sont attribuées à Dieu, dont on appelle colère la dispo sition à punir; elle est pour les méchants un sujet d’horreur: "Ils dirent aux montagnes et aux rochers: Tombez sur nous, et cachez-nous de la face de celui qui est assis sur le trône, et de la colère de l’Agneau, parce qu’il est arrivé le grand jour de leur colère, et qui pourra subsister ?" Son indignation se réfère au fait qu’il consi dérera les pécheurs comme indignes de la vie éternelle: "Ainsi j’ai juré dans ma colère: Ils n’entreront pas dans mon repos 6."

Mais les <deux> autres choses sont attribuées à l’homme: La tribulation, mot qui vient de tribulus (tribule), plante qui pique. C’est pourquoi on peut mettre sous le nom de tribulation tout ce qui cause de la douleur: "La voix du jour du Seigneur est amère; le fort sera alors dans la tribulation 8." — L’angoisse se dit du resser rement de l’âme de l’homme incapable de trouver le remède contre les maux qu’il craint, ou dont il souffre déjà: "Je suis dans les angoisses de toutes parts 9", et je ne sais que choisir. — "Est-ce que Dieu entendra son cri, lorsque viendra sur lui l’angoisse 10 ?"

201. — B. En disant ensuite: à toute âme d’homme, <l’Apôtre> montre la vérité du jugement divin quant aux personnes.

Et:

1) Il en expose d’abord l’équité.

2) Puis, il en donne la raison [n° 205]: 11 Car il n a pas d’acception de personnes.

3) Enfin, il montre l’évidence de cette raison [n° 207]: 12 Tous ceux, en effet, etc.

202. 1. Il montre la vérité du jugement divin quant aux personnes, d’abord à l’égard des méchants, en disant: à toute âme d’homme qui pratique le mal, c’est-à-dire contre toute âme, car de même que la gloire des saints descend de l’âme vers le corps, ainsi la peine des réprouvés est-elle <subie> d’abord et principalement dans leur âme et ensuite dans leur corps, étant donné que ce dernier ressuscitera passible à cause du défaut ou de la faute de l’âme: "L’âme qui aura péché, mourra elle-même 11."

203. Mais <l’Apôtre> dit: au Juif d’abord, puis au Grec, parce qu’une peine plus importante était due aux Juifs, en tant qu’ils connaissaient la volonté de Dieu par la Loi: "Ce serviteur, qui a connu la volonté de son maître, et ne s’est pas tenu prêt, et de cette manière n’a pas agi selon sa

1. So 1, 15.

2. Sg 5, 6.

3. Pr 1, 27.

4. Voir à ce propos n 110, p. 105-106.

5. Ap 6, 16-17

6. Ps 94, 11.

7. Le mot tribulus vient du grec tri bobs désignant le nom de divers instruments et de diverses plantes épineuses, notamment, tnbule, châtaigne d’eau", etc. (voir P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymolo gique de la langue grecque, p. 1137; A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, p-1240). Sur l’usage du mot dans l’Ecriture, voir Dictionnaire de la Bible publié par F. Vigouroux, fasc. XXXVIII, col. 2314. — Lieux parallèles:. 4d Rom. 8, 35, lect. 7 (éd. Marietti, n° 723) Super Psalmos, in Ps. 3, 2.



volonté, recevra un grand nombre de coups; celui qui ne l’a pas connue, et qui a fait des choses dignes de coups, en recevra peu. Car à celui à qui on a donné beaucoup, on demandera beaucoup; et de celui à qui on a confié beaucoup, on exigera davantage 1." Et semblablement) les chrétiens, pour le même péché, par exemple pour l’adultère ou le vol, seront punis d’une peine plus sévère que les infidèles: "Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’Alliance, par lequel il a été sanctifié, et fait outrage à l’esprit de la grâce 2 ?" Mais <si l’on considère> la peine dans sa totalité, la peine des infidèles est plus sévère à cause du péché d’infidélité, lequel est le plus grave. Aussi est-il dit dans la première épître de Pierre que la colère de Dieu demeure sur les incrédules 4."

204. <L’Apôtre> montre ensuite <la vérité du jugement divin quant aux personnes> à l’égard des bons, et il expose d’abord deux choses qu’il a déjà mentionnées plus haut [n° 197] la 10 gloire et l’honneur; mais pour la troisième chose, il met à la place du mot "incorruptibilité" <le mot> "paix" qui la renferme ainsi que beaucoup d’autres choses. Car la paix de l’homme ne peut être parfaite aussi longtemps qu’il craint de perdre les biens qu’il possède, mais il possède alors la véritable paix du coeur, quand il est en possession de tout ce qu’il désire et qu’il ne craint pas de le perdre "Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix, dans des

1. Lc 12, 47-48.

2. He 10, 20.

3. Le péché d’infidélité, commente saint Thomas, est plus grand que tous ceux qui se produisent dans la perversité morale. Il n’est cependant pas plus grand que ceux qui s’opposent aux autres vertus théologales (Somme Théologique 2 Q. 10, a. 3). — Autres lieux parallèles Somme Théologique 2

4 Sentences dist. 13, Q. 2, a. 2; De malo, Q. 2, a. 10; 1 Ad Tim. 5, 8, lsct. I (éd. Marietti, n 192).

4. Voit I P 3. Voir aussi Jn 3, 36; Ep 5, 6; Col 3, 6.



tentes de confiance et dans un repos opulent 5." Sur ces points <l’Apôtre> attribue encore aux Juifs la primauté, parce que c’est à eux les premiers que les promesses ont été faites, et que les nations païennes sont entrées dans leurs promesses: "D’autres ont peiné, et vous, vous êtes entrés dans leurs labeurs 6."

205. 2. Quand <l’Apôtre> dit: 11 Car il n’y a pas d’acception, il donne la raison de ce qu’il vient de dire, à savoir qu’il n’y a pas d’acception de personnes auprès de Dieu: "Dieu ne fait point acception des personnes 7." L’acception des personnes est opposée à la justice distributive 8, par laquelle on distribue à chacun selon la dignité des personnes 9. Il y a donc acception quand on donne à quelqu’un plus ou moins sans égard à sa dignité. Cela se produit quand la rétribution ne se fait pas eu égard à la condition, mais pour la personne qui est en cause. Agir ainsi, c’est prendre la cause comme règle de son action, mais en vue de la personne, comme

5. Is 32, 18.

6. Jn 4, 38.

7. Ac 10, 34.

8. Le droit, avons-nous dit, consiste à donner à chacun ce qui lui revient. Or, ce qui revient à chacun varie selon qu’il est considéré comme membre d’une société dans laquelle il occupe une place et exerce des fonctions particulières, ou selon qu’il est considéré dans ses relations d’individu à individu. Dans le premier cas, les personnes sont inégales (un prince, un soldat, un paysan n’ont pas les mêmes besoins) et il serait injuste de lts traiter sur un pied de stricte égalité; il est luSte au contraire de traiter inégalement des choses inégales. Ici, il faut distribuer les biens et les avantages en proportion de la différence des situations et des fonctions c’est pourquoi saint Thomas la nomme justice distributive. Dans le second cas (par exemple dans les contrats, les ventes et achats, etc. ), la différence de rang ou de situation ne joue pas en tant que parties contractantes, les individus sont égaux, l’un vaut l’autre; c’est pourquoi, puisqu’elle préside aux transactions (comPnutatio en latin), saint Thomas donne à cette justice le nom de ‘ justice commu tative." Ces termes, qui sont devenus classiques en philosophie du droit, apparaissent dans le commentaire qu’a rédigé saint Thomas de I’Eihique à Nicomaque d’Aristote (V, 5, 1 130b [éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, p. 276 sI). Faire acception de personne signifie " recevoir la personne", c’est-à-dire prendre la personne d’autrui comme raison suffisante du traitement préférentiel qu’on lui accorde. C’est donc une sorte d’s injustice distributive " elle traite inégalement les êtres, non en fonction de leur inégalité objective (socialement définie), mais en fonction d’une préférence subjective; donc, elle ne leur donne pas ce qui leur est dû.

9. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 21, a. 1; 2a-2 Q. 63, a. 1; Ad Gal. 2, 6, lect. 2 (éd. Marietti, n° 67-68).



si cette personne elle-même était la cause qui fait agir. Par exemple, si l’on donne à quelqu’un plus de biens patrimoniaux à cause de la consanguinité, ce n’est pas faire acception des personnes, parce que la consanguinité est une raison de convenance selon laquelle on est en droit d’obtenir ces biens. Mais si un prélat donne à un particulier plus de biens ecclésiastiques, il peut y avoir là acception de personnes, dans la mesure où un autre mérite n’y concourt pas. Car la consanguinité n’est pas une raison de convenance pour distribuer des biens spirituels. Mais parce que Dieu fait toutes choses selon une raison de parfaite convenance, il n’y a pas d’acception de personnes auprès de lui. Car il est écrit que <la Sagesse> "dispose toutes choses avec douceur 1."

206. Objection. Il semblerait que Dieu fasse acception des personnes, étant donné qu’il laisse certains pécheurs dans leurs péchés et en appelle d’autres à lui.

Réponse. Il faut dire que l’acception des personnes est opposée à la justice, aussi n’a-t-elle lieu qu’à l’égard des choses données par dû, ce qui est l’objet de la justice 2. Or Dieu appelle les pécheurs à la pénitence non en vertu d’une dette, mais gratuitement. Car <l’Apôtre> écrit plus loin: "Mais si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des oeuvres; autrement la grâce n’est plus grâce 3." Et dans sa lettre à Tite: "Ce n’est point par les oeuvres de justice que nous avons faites qu’il nous a sauvés, mais selon sa miséricorde 4." Dans ces sortes de bienfaits, gratuitement accordés, il est loisible non seulement à Dieu mais aussi à l’homme de donner à qui l’on veut: "Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux? et ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon ? 5"

207. 3. Lorsque <l’Apôtre> dit: 12 Tous ceux, en effet, il développe la raison qu’il a donnée précédemment.

Qu’il n’y ait pas d’acception de personnes auprès de Dieu, c’est une évidence puisque tous ceux qui pèchent sont punis. C’est pourquoi <l’Apôtre> parle d’abord de ceux qui n’ont pas reçu la Loi, en disant: Tous ceux, en effet, qui ont péché sans la Loi, c’est-à-dire <sans la Loi> de Moïse reçue de Dieu, périront sans la Loi, c’est-à-dire seront condamnés, mais non pas pour l’avoir transgressée: "Parce que nul n’a l’intelligence, ils périront éternellement 6."

Il parle ensuite de ceux qui ont reçu la Loi écrite, et il dit que tous ceux qui ont péché sous la Loi, après la Loi écrite, seront jugés par la Loi, c’est-à-dire parce qu’ils ont transgressé le précepte de la Loi: "La parole que je vous ai annoncée sera elle-même son juge au dernier jour 7."

208. De cette manière de parler certains prirent prétexte pour errer. En effet, parce que l’Apôtre ne dit pas: Tous ceux qui auront péché sous la Loi périront par la Loi, comme il avait dit de ceux qui sont sans la Loi qu’ils périront sans la Loi, ils ont cru que ceux qui pèchent après avoir reçu la Loi sont jugés d’une manière équivalente, c’est-à-dire dans le temps présent et sans périr. Mais, commente la Glose 8, "quel chrétien dira que le Juif ne périra pas s’il ne croit pas en Jésus-Christ, quand le Seigneur dit qu’"il y aura moins à souffrir pour Sodome au jour du jugement que

1. Sg 8, 1.

2. C’est—à-dire traiter préférentiellement quelqu’un n’encourt le blâme et n’est une injustice que lâ où les relations humaines ressor tissent à l’ordre de la justice distributive: il n’y a pas injustice â accorder aux membres de sa famille ou â ses amis une affection que l’on n’accorde pas aux autres. C’est a fortiori le cas dans l’ordre de la grâce qui, par définition, n’est pas régi par la logique du suum cuique tribuere, de l’attribution â chacun de son dû: Dieu ne nous doit rien.

3. Rm 11, 6.

4. Tt 3, 5.

5. Mt 20, 15.

6. Jb 4, 20.

7. Jn 12, 48.

8. Voir Glosa in Rom. II, 12 (GPL, col. 1344 B; GOS, t. IV, p. 278b).



pour lui 1", comme on le lit dans <l’évangile de> Matthieu. D’où ces paroles d’Ezéchiel: "Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de vos voies très mauvaises et pourquoi mourriez-vous, maison d’Israël 2 ?"

209. <L’Apôtre> a employé cette diversité de langage, parce que, ainsi que le dit Grégoire 3 dans ses Morales sur ce passage de Job: "Il ne sauve point les impies, et fait justice aux pauvres 4", au jugement dernier quelques-uns périront, mais ne seront pas jugés, c’est-à-dire les impies, qui sont sans foi et sans Loi de Dieu: "Les impies ne ressusciteront pas au jugement 5", parce qu’il n’y a pas lieu de discuter de la cause de celui qui est totalement étranger à Dieu: "Celui qui ne croit pas a déjà été jugé 6." Quant aux autres, qui pèchent après avoir reçu et la Loi de Dieu et la foi, ils périront, mais toutefois seront jugés comme si leur cause était discutée en leur présence. C’est ainsi qu’il est dit dans <le livre d’> Ezéchiel: "Voilà que moi je juge entre troupeau et troupeau <, entre troupeaux> de béliers et de boucs 8." De même, dit encore Grégoire 9, un roi condamne ses ennemis sans les entendre, tandis qu’il condamne ses sujets après les avoir entendus avec attention.

1. Mt 10, 15.

2. Ez 33, 11 On trouve cette version mortem peccatoris (la mort du pécheur)", au lieu de " mortem impii (la mort de l’impie)", dans la Vetus latina (voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. II, p. 816-817, texte et notes), mais aussi dans l’office romain du carême (antienne de prime des féries de carême).

3. Voir SAINT GRÊGOIRE L. E GRAND, Moralium seu Expositio in librum Job 36, 6, lib. XXVI, 27 (CCL 143b, 1303-1306).

4. Jb 36, 6.

5. Ps 1, 5.

6. Jn 3, 18.

7. Voir saint Grégoire le Grand, reprenant un thème ancien (Joseph TIXERONT, Histoire des dogmes, t. III, p. 433), distingue, rela tivement au jugement général, quatre catégories les élus et réprouvés qui le seront sans jugement, et les élus et réprouvés soumis au Jugement. Transmise au Moyen Age et reprise par Pierre Lombard (Sentences, lib. IV, dist. 47, c. 3, éd. I. Brady, t. II, p. 538-540), cette opinion est une question disputée à la fin du xsr siècle. Elle semble rcstreindre en effet l’universalité du jugement dernier puisque en sont exceptés ceux des saints et des impies dont les mérites ou les démérites sont trop évidents pour offrir matière à discussion. Saint Thomas s’efforce de résoudre cette difficulté en maintenant l’universalité du jugement quant aux récompenses et aux condamnations, mais en contre-distinguant un jugement de discussion, qui concernera ceux aux mérites desquels ont été mêlés quelques péchés, solution d’autant plus plausible que le jugement dernier ne peut que ratifier le jugement particulier (le destin ultime de l’âme est irrévocablement fixé à la mort), et qu’il a essentiel lement pour fonction de rendre manifeste à tous la vérité des âmes, comme l’exige la justice divine. C’est du moins ce qui ressort de la lecture des trois articles que le supplément de la Somme théologique a consacrés à la question (Q. 89, a. 5 à 7). Les théologiens ultérieurs (Francisco Suarez en particulier) ont estimé cette distinction fragile et enseignent en général l’universalité sans restriction du jugement général (voir DTC, t. VIII, col. 1824-1825).

8. Ez 34, 17.

9. Voir SAINT GREGOIRE LE GRAND, Moralium seu Expositio in iibrum Job (CCL 143b, 1305).



Thomas A. sur Rm (1999) 9