Thomas A. sur Rm (1999) 13

CHAPITRE 3


Leçon 1 [verset 1 à 8]

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075 (
Rm 3,1-8)


[n° 247] 1 Qu’est-ce donc que le Juif a de plus? ou quelle est l’utilité de la circoncision?

[n° 2481 2 Considérable de toute manière. Tout d’abord en ce que les jugements de Dieu leur ont été confiés.

[n° 251] Car qu’importe si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru ? Leur incrédulité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? [n° 254] Non, certes.

[n° 255] "Au contraire Dieu est véridique, tandis que tout homme est menteur, selon qu’il est écrit: "De sorte que tu sois reconnu juste dans tes paroles et que tu sois victorieux lorsque tu es jugé."

[n° 262] Mais si notre. iniquité met en valeur la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu n’est-il pas inique, lui qui donne libre cours à sa colère?

[n° 265] 6 Je parle selon l’homme. Point du tout! Autrement, comment Dieu jugera-t-il ce monde?

[n° 267] Mais si par mon mensonge la vérité de Dieu a abondé pour sa gloire, pourquoi suis-je moi-même encore jugé comme pécheur?

[n° 269] 8 Et pourquoi, comme certains blas phémateurs nous le font dire, ne ferions-nous pas le mal pour qu’en vienne le bien? Pour ceux-là, leur condamnation est juste.



246. Après avoir montré que le judaïsme, auquel se rapportent la réception de la Loi et la circoncision, est insuffisant pour le salut sans l’observance de la Loi, et que le Gentil, sans judaïsme extérieur et sans circoncision, obtient le fruit de l’un et de l’autre [n° 163 et 210], en observant la Loi, l’Apôtre formule ici une objection contre ce qu’il vient de dire et:

Il commence par présenter son objection.

Puis, il la résout [n° 248]: 2 Considérable de toute manière.

247. Il formule donc d’abord son objection de la manière suivante: si, comme on l’a dit, la chose était telle que le Juif véritable et la vraie circoncision ne sont pas à l’extérieur mais dans le secret du coeur, qu’est-ce donc que le Juif a de plus? c’est-à-dire: que lui a-t-il été donné de plus qu’aux autres ? Rien, semble-t-il. Ce qui est injustifié, puisque le Seigneur a dit dans le Deutéronome: "C’est toi qu’a choisi le Seigneur ton Dieu, afin que tu sois son peuple particulier entre tous les peuples qui sont sur la terre. — Ou quelle est l’utilité de la circoncision extérieure? Il semble qu’il n’y en ait aucune d’après ce qui précède, ce qui est injustifié, puisque <la circon cision> a été donnée par Dieu, lui qui a dit: "Moi, le Seigneur ton Dieu, je t’enseigne des choses utiles 2."

248. En disant: 2 Considérable de toute manière, il résout l’objection qu’il vient de formuler. Et

D’abord quant à la prérogative du judaïsme.

Puis quant à l’utilité de la circon cision, au chapitre 4, [n° 322] 1 Que dirons-nous donc?

1. Dt 7, 6.

2. Is 48, 17.



À propos de la prérogative du judaïsme:

Il commence par montrer la prérogative des Juifs.

Puis, il rejette leur gloire avec laquelle ils se préféraient aux nations païennes [n° 271]: "Quoi donc? L’emportons-nous sur eux?"

En montrant la prérogative des Juifs:

I) Il commence par énoncer son propos.

II) Puis, il en montre l’évidence [n° 250]: Tout d’abord en ce que les jugements de Dieu, etc.

III) Il écarte une objection [n° 251] Car qu’importe si quelques-uns, etc.

249. — I. Il dit donc d’abord: On a demandé ce que le Juif a de plus? <Ses avantages> sont supérieurs en quantité, ce qui est signifié lorsque <l’Apôtre> dit 2 Considérable, et en nombre, ce qui est signifié quand il dit: de toute manière.

En effet, les Juifs ont un privilège et dans la contemplation des choses divines: "Dieu est connu en Judée, en Israël son nom est grand 1", et dans le partage des biens temporels: "Il n’a pas fait ainsi pour toute nation 2." Ils ont aussi un privilège dans leurs pères, dans les promesses et dans leur descendance: "qui sont Israélites, à qui appartiennent l’adoption des fils, et la gloire, et l’alliance, et la législation, et le culte et les promesses; à qui appar tiennent les pères, et de qui est issu le Christ selon la chair, lui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen 3." Et dans chacune de ces préro gatives, leur supériorité n’est pas petite, mais grande et principale. C’est ce à quoi <l’Apôtre> fait allusion quand il dit: Considérable. Car le souverain bien de l’homme réside dans la connaissance de Dieu 4, en ce

1. Ps 75, 1.

2. Ps 147, 20a.

3. Rm 9, 4-5.

4. Lieu parallèle 4 Contra Gentiles c. 1.



qu’il adhère à lui et est instruit par lui: "Bienheureux l’homme que toi, tu auras instruit, Seigneur, et à qui tu auras enseigné ta Loi, afin que tu lui accordes quelque douceur dans les jours mauvais, jusqu’à ce qu’au pécheur soit creusée une fosse 5."

250. — II. En ajoutant: Tout d’abord, etc., il montre l’évidence de ce qu’il avait dit. Tout d’abord, c’est-à-dire les Juifs sont principalement avantagés, en ce que les jugements de Dieu leur ont été confiés, comme à des amis: "Je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître 6." Et cela est considérable, parce que les jugements de Dieu sont honorables: "Les jugements du Seigneur sont vrais, équitables par eux-mêmes

Ils sont délectables: "Que tes jugements sont doux à mon palais 8." Ils sont aussi utiles pour ne pas pécher: "J’ai caché dans mon coeur tes jugements, afin de ne pas pécher contre toi 9."

251. — III. En disant ensuite: Car qu’importe si quelques-uns, <l’Apôtre> écarte une objection. Et:

A) Il commence par la formuler.

B) Puis, il l’écarte en faisant voir qu’elle mène à un non-sens [n° 253]: Leur incré dulité, etc.

C) Enfin, il montre que la conclusion à laquelle elle mène est <véritablement> un non-sens [n° 254]: Non, certes. Au contraire Dieu est véridique.

252. — A. On pourrait critiquer la prérogative des Juifs en y opposant leur ingratitude, qui semblait leur avoir fait

5. Ps 93, 12-13.

6. Jn 15, l5b.

7. Ps 18, 10.

8. Ps 118, 103.

9, Ps 118, 11.



perdre la dignité <de dépositaires> des jugements de Dieu. Aussi <l’Apôtre> dit-il: Car qu’importe si quelques-uns d’entre eux n'ont pas cru, cela ôte-t-il toute prérogative au Juif? Selon ce verset de la seconde épître de Pierre: "Il eût mieux valu pour eux de ne pas connaître la voie de la justice, que de l’avoir connue et de revenir ensuite en arrière, s’éloignant du saint commandement qui leur avait été donné 1."

Or ils n’ont point cru, tout d’abord, au législateur: "Ils ne crurent point à sa parole 3." Ensuite, ils n’ont point cru aux prophètes: "Pour toi, fils d’homme, ne les crains point, n’appréhende pas leurs discours, parce que des incrédules et des destructeurs sont avec toi, et que tu habites avec des scorpions; ne crains pas leurs paroles, parce que c’est une maison qui m’exaspère." Enfin, ils n’ont pas cru au Fils lui-même: "Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez vous pas 4?"

253. — B. En disant: Leur incrédulité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu ?, <l’Apôtre> écarte l’objection susdite en faisant voir qu’elle mène à un non-sens; parce que, si à cause de l’incrédulité de quelques-uns la prérogative des Juifs était abolie, il s’ensuivrait que l’incrédulité d’un homme anéantirait la fidélité de Dieu, ce qui est un non-sens. Et tel est bien ce que <l’Apôtre> dit: Leur incrédulité, c’est-à-dire <l’incrédulité> de ceux qui n’ont pas cru, anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? Ce qui peut s’entendre de deux manières 5: d’abord de la foi par laquelle on croit en Dieu. En effet, l’incrédulité de certains


1. 2 P 2, 21.

2. Ps 105, 24b.

3. Ez 2, 6.

4. Jn 8, 46.

5. Voir Glosa in Rom. III, 3 sous le nom d’Origène (GPL, col. 1351 A); ORIGÈNE, Expositio in divi Pauli epistolas. Ad Romanos III, 3 (PG 14, 918; éd. C. P. Hammond Bammel, p. 184). Ces deux interprétations figurent aussi dans Haymon d’Auxerre (Super epistolam ad Romanos III, 3 [n° 117, 384]).



n’entraîne pas l’anéantissement de la foi de ceux qui ont cru. Car le mal de certains d’entre ceux qui vivent dans la société n’anéantit pas le bien des autres: "Parmi eux il en a béni et exalté; et parmi eux il en a sanctifié et attaché à lui; et parmi eux il en a maudit et humilié, il les a chassés du pays où ils s’étaient retirés 6." C’est à leur encontre qu’Augustin faisait ce reproche en s’adressant au peuple chrétien d’Hippone: "Pourquoi se rassemblent-ils, et quel est le sujet de leur entretien? Si un évêque ou un clerc, un moine ou une vierge, vient à tomber, ils croient que tous sont pareils, bien qu’ils n’aient pas tous la possibilité de se révéler tels 7."

On peut aussi entendre <ces mots> de la fidélité avec laquelle un Dieu fidèle accomplit ses promesses: "Car il est fidèle celui qui a promis 8" Mais cette fidélité serait anéantie si, à cause de l’incrédulité de quelques-uns, il arrivait que le Juif n’ait plus aucune prérogative. Car Dieu a promis de multiplier et d’exalter ce peuple, comme on le voit dans la Genèse: "Je te bénirai, et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer; ta postérité possédera les portes de ses ennemis, et seront bénies en ta postérité toutes les nations de la terre, parce que tu as obéi à ma voix 9."

254. — C. En disant: Non certes. Au contraire, <l’Apôtre> montre que c’est un non-sens <de dire> que la fidélité de Dieu serait anéantie à cause de l’incrédulité des hommes. Et:

1) Il le prouve d’abord par un raison nement.

6. Eccli (Si) 33, 12.

7. SAINT AUGUSTIN, Lettre aux fidèles d’Hippone LXXVIII, VI (CSEL 34/2, 339-341).

8. He 10, 23.

9. Gn 22, 17-18.

2) Ensuite, par <un argument d’>autorité [n° 256] selon qu’il est écrit.

3) Enfin, il rejette le sens erroné de l’autorité [n° 262] Mais si.

255. 1. Son raisonnement se base sur le fait que "Dieu en soi est véridique. <Il est écrit dans le livre de> Jérémie: "Mais le Seigneur est le vrai Dieu; lui-même est le Dieu vivant et le roi éternel 1." Et dans la première épître de Jean: "Nous savons encore que le Fils de Dieu est venu et nous a donné l’intelligence, pour que nous connaissions le vrai Dieu et que nous soyons en son vrai Fils. C’est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle 2." Et cependant tout homme est menteur. — "J’ai dit dans mon abattement: Tout homme est menteur" Il est donc évident que le mensonge de l’homme ou l’infidélité qui n’adhère pas à la vérité n’anéantit pas la vérité de Dieu ou sa fidélité. Pour s’en convaincre, il faut savoir que la vérité implique l’adéquation de la chose à l’intelligence 4.Mais différente est l’adéquation de la chose à notre intelligence, et l’adéquation de la chose à l’intelligence divine. Car notre intelligence reçoit sa connaissance des choses; et par consé quent la cause, et la mesure de la vérité elle-même, est l’existence de la chose: car, selon que la chose est ou n’est pas, son expression est qualifiée de vraie ou de fausse, selon le Philosophe 5. Aussi notre intelligence peut-elle être vraie ou fausse, selon qu’elle peut se conformer ou non. Or ce qui peut être ou n’être pas a besoin d’un agent pour être, sans quoi il demeure dans l’état de non-être. De même que l’air, sans l’action de la lumière, demeure à l’état ténébreux, ainsi en est-il de notre intelligence: si elle n’est illuminée par la vérité première, d’elle-même elle demeure dans le mensonge. Par conséquent, de lui-même, tout homme est menteur selon son intelli gence, et il n’est vrai que dans la mesure où il participe à la vérité divine: "Envoie ta lumière et ta vérité 6." L’intelligence divine, au contraire, est la cause et la mesure des choses, et voilà pourquoi, selon sa nature propre, elle est indéfectiblement vraie, et chaque chose est vraie selon qu’elle se conforme à elle 7. Semblablement, si l’on prend la vérité du côté de la chose, l’homme, de lui-même, n’a pas la vérité, parce que sa propre nature chan geante tend vers le néant. Au contraire, seule la nature divine, qui n’est point sortie du néant, et qui n’y tend point par le chan gement, a par elle-même la vérité 8.

256. 2. En ajoutant selon qu’il est écrit, <l’Apôtre> prouve <son raison nement> par <un argument d’>autorité, c’est-à-dire par l’autorité du psaume 50, dans lequel on lit: "de sorte que tu sois reconnu juste dans tes paroles, et que tu sois victorieux lorsque tu es jugé 9." On peut voir comment <l’Apôtre> en fait ici l’application si l’on considère les versets précédents du psaume. En effet, il est dit auparavant: "Contre toi seul j’ai péché", et puis la suite: "de sorte que tu sois reconnu juste dans tes paroles et que tu sois victorieux lorsque tu es jugé." En effet, Dieu avait promis par le prophète Nathan à David que son royaume durerait pour toujours dans sa postérité, comme on le rapporte au deuxième livre des Rois 10. Mais par la suite, alors qu’il était tombé dans un péché grave, à savoir dans l’adultère et l’homicide, comme on le lit

1. Jr 10, l0a.

2. 1 Jn 5, 20.

3. Ps 115, 10.

4. Lieux parallèles 5. Th. P, Q. 16, a. 1; Q. 21, a. 2.

5. Voir ARISTOTE, Catégories 5, 4b9-1l (AL I, l-5, p. 13).

6. Ps 42, 3.

7. Lieu parallèle De veritate, Q. 1, a. 2 (in colpore).

8. Voir sAINTJÉRÔME, Epistola XV, 4 (PL 22, 357; CSEL, t. I, 54,

65); trad. fse par Jérôme Labourt, (I-XXII), p. 48, 1. 16-17.

9. Ps 50, 6. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 50, 6.

10. Voir 2R (2S) 7, l2et 16.



dans ce même livre 1, à cause de ce péché certains disaient que Dieu n’observerait pas la promesse qu’il lui avait faite 2.

257. L’intention du psalmiste est donc de dire deux choses:

a. D’abord, qu’en raison de son péché la justice de Dieu n’est pas changée, <justice> à laquelle il appartient d’accomplir ses paroles. Et à ce propos il dit: que tu sois reconnu juste dans tes paroles, c’est-à-dire afin que par cet aveu tu appa raisses juste dans tes paroles, puisque en raison de mes péchés tu ne les laisses pas sans effet: "Toutes mes paroles sont droites, il n’y a rien en elles de dépravé ou de pervers 3. "<Et encore>: "Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles et saint dans toutes ses oeuvres 4."

b. Ensuite, que la promesse divine ressemble au jugement humain. Et tel est ce que <l’Apôtre> dit: que tu sois victo rieux, en tenant ta promesse, lorsque tu es jugé, par les hommes disant que tu n’accompliras pas cette promesse à cause de mes péchés: "Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien 5." Ces paroles dites à l’adresse de l’homme s’appliquent davantage encore à Dieu.

258. Il faut remarquer ici que la promesse faite par Dieu à David devait s’accomplir par l’Incarnation du Christ. Elle appartenait donc à la prophétie de prédestination, selon laquelle ce qui est promis doit de toutes manières s’accomplir; tandis que ce qui est promis ou annoncé selon une prophétie de menace 6, n’est pas prédit comme devant s’accomplir quoi qu’il arrive, mais selon que l’exigent les mérites humains qui peuvent être modifiés. Par conséquent, si la promesse faite à David n’avait pas été accomplie, cela aurait été au préjudice de la justice divine. Mais si ce qui est promis par la prophétie de menace ne se réalise pas, cela ne porte point préjudice à la justice divine, au contraire cela signifie un chan gement des mérites humains. C’est ce qui fait dire <au prophète> Jérémie: "Soudain je parlerai contre une nation, et contre un royaume, afin de l’extirper et de le détruire, et de le perdre entièrement. Si cette nation se repent du mal que je lui ai reproché, je me repentirai moi aussi du mal que j’ai résolu de faire. Soudain aussi je parlerai d’une nation et d’un royaume, afin de l’édifier et de l’affermir 7." Dans ce sens, il est donc évident que le péché de l’homme n’anéantit pas la fidélité divine.

259. D’autres sens de cette autorité <scripturaire> sont exposés dans la Glose 8, mais ils ne concordent pas si bien avec l’intention de l’Apôtre, <voulant> en tout premier lieu que les paroles qu’il rapporte ici fassent suite avec celles que le psal miste a mises auparavant: "Lave-moi complètement de mon iniquité 9", et cela de sorte que tu sois reconnu juste, c’est-à-dire que tu apparaisses juste dans tes paroles, par lesquelles tu as promis le pardon aux pécheurs, non seulement dans <le livre d’> Ezéchiel 10, — car ces paroles du psaume <50> ont été dites auparavant —, mais aussi dans le Lévitique "Alors ils prieront pour leurs impiétés. Et je me souviendrai de mon alliance, que j’ai faite avec Jacob, Isaac et Abraham 11"; et dans

1. Voir 2 R (2") 11, 2s.

2. Voir Glosa in Rom. III, 4 (GPL, col. 1352 A).

3. Pr 8, 8.

4. Ps 144, 13b.

5. Rm 12, 21.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 1a Q. 19, a. 7, sol. 2; 2a-2ae, Q. 174, a. 1; 4 Sentences dist. 46, Q. 2, a. 3; 3 Contra Gentiles ç. 154; De veritate, Q. 12, a. 10; Super (s., 38, 1; Super 1er., 18, 6-7; Super Matth., 1, 23 (éd. Marietti, n° 145-146); Ad Rom. 14, 11, lect. 1 (éd. Marietti, n° 1109); Ad Hebr. 6, 17, lect. 4 (éd. Marietti, n° 322).

7. Jr 18, 7-9.

8. Voir Glosa in Rom. III, 4 (GPL, col. 1352-1353 A).

9. Ps 50, 4.

10. "Mais si l’impie fait pénitence de tous ses péchés qu’il a commis, et qu’il garde tous mes préceptes, et qu’il accomplisse le jugement et la justice, il vivra de la vie et ne mourra point" (Ez 18, 21). Voir aussi les versets 22, 26 et 30.

11. Lv 24, 41b-42a.



le Deutéronome: "Lors donc que sont venues sur toi toutes ces paroles, la béné diction ou la malédiction que j’ai exposées en ta présence, et que, conduit par le repentir de ton coeur, parmi les nations chez lesquelles t’aura dispersé le Seigneur ton Dieu, tu seras revenu à lui avec tes enfants, et que tu obéiras à ses ordres de tout ton coeur et de toute ton âme, comme moi je te prescris aujourd’hui, le Seigneur ton Dieu ramènera tes captifs, il aura pitié de toi, et il te rassemblera encore du milieu de tous les peuples, chez lesquels il t’avait auparavant dispersé 1." Et ainsi que tu sois victorieux lorsque tu es jugé, par les hommes <qui croient> que tu ne dois plus m’accorder ton pardon.

260. Ensuite, <selon la Glose>, ces paroles qui suivent sont à mettre en lien avec ce qui a été dit: "Contre toi seul j’ai péché 2", c’est-à-dire par comparaison avec toi seul qui es juste. Et c’est ce qui fait dire <au psalmiste>: de sorte que tu sois reconnu juste, c’est-à-dire que par comparaison avec moi et avec les autres pécheurs tu apparaisses juste: "Le Seigneur est juste et il aime la justice 3", et cela non seulement dans les actes, mais aussi en paroles, ce qui est la perfection par excellence, selon ce verset de Jacques: "Si quelqu’un ne pèche pas en paroles, c’est un homme parfait, et il peut conduire même tout son corps avec le frein 4." — Et que tu sois victorieux lorsque tu es jugé, c’est-à-dire lorsque tu es comparé à n’importe quel autre homme dans le jugement: "Jugez entre moi et ma vigne 5."

261. Enfin, ces paroles se réfèrent au Christ, qui seul est sans péché, selon ce verset de la première épître de Pierre: "Lui qui n’a pas commis de péché, et en la bouche de qui n’a pas été trouvée la tromperie 6"; et il est ainsi justifié dans ses paroles en comparaison avec tous les autres hommes. Et que tu sois victorieux, du péché, de la mort et du diable: "Voici le lion de la tribu de Juda, la racine de David, qui a obtenu par sa victoire d’ouvrir le livre et d’en délier les sept sceaux 7." Et cela lorsque tu es jugé injustement par Pilate: "Ta cause a été jugée comme celle d’un impie; tu recevras selon la cause et le jugement 8."

262. 3. En disant ensuite: 5 Mais si notre iniquité, <l’Apôtre> rejette le sens erroné de l’autorité citée. On pourrait en effet comprendre les paroles citées dans le sens suivant: cette conjonction ut étant mise pour signifier la cause et non point seulement la conséquence 9. Il s’ensuivrait ainsi que le péché de l’homme serait direc tement ordonné à l’exaltation de la justice de Dieu. Mais l’Apôtre montre que c’est faux, et donne ainsi à entendre que cette <conjonction> ut est mise <pour signifier> une conséquence 10, parce que du péché de David résulte la manifestation de la justice divine; et non point <pour signifier> un lien causal, comme si le péché de l’homme exaltait la justice de Dieu 11, L’Apôtre prouve que <cela est erroné> en montrant le non-sens.

1. Dt 30, 1-3.

2. Ps 50, 6.

3. Ps 10, 8.

4. Jc 3, 2b.

5. Is 5, 3.
6. 1 P 2, 22.

7. Ap 5, 5.

8. Jb36, 17.

9. Il s’agit du fragment du psaume (51, 6 ou 50, 6 selon la Vulgate) cité par saint Paul et que saint Thomas vient de commenter (n°261). Dans sa version latine, cette citation commence ainsi "Ut just" La conjonction ut indique en général soit le but, la fin visée (on la traduit par "afin que", "pour que"), sost la conséquence (on la traduit par "de telle sorte que"). Dans le premier cas, elle pourrait donc indiquer ce que la philosophie appelle "cause finale": la justification de Dieu serait la cause (finale) du péché de l’homme. On voit l’importance d’une détermination exacte de la signification de cette conjonction. De telles remarques sémantiques abondent dans l’oeuvre de saint Thomas.

10. Voir Glosa in Rom. III, 5 (GPL, col. 1352 B).

11. Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 50, 6: "<La conjonction> us peut être prise parfois au sens causal, parfois au sens de conséquence uniquement, et alors son sens est: "J’ai fait le mal [ tes yeux] de sorte que toi tu sois reconnu", car personne n’est justifié en raison de son péché, mais il résulte du péché, c’est-â-dire du fait que l’homme pèche, que la justice divine est rendue plus manifeste car il est évident que Dieu a puni <David> à cause de ses péchés" (trad. par Jean-Fric Stroobant de Saint-Eloy, p. 646).



Et cela de deux manières

a) Premièrement, du côté du jugement divin.

b) Deuxièmement, du côté du jugement humain [n° 267].

a. Du côté du jugement divin:

Il commence par exposer le sens erroné.

Puis, il montre le non-sens qui en résulte [n° 264]: que dirons-nous ? Dieu n'est-il pas inique?

Enfin, il montre que cela est <effectivement> un non-sens [n° 265]: Point du tout.

263. Il faut considérer le fait que plus haut [n° 255-256] l’Apôtre avait fait deux comparaisons: l’une entre la vérité divine et le mensonge humain, en disant: Au contraire Dieu est véridique, tandis que tout homme est menteur. L’autre entre la justice de Dieu et le péché humain, selon les paroles du psaume cité: "Contre toi seul j’ai péché, de sorte que tu sois reconnu juste 1."

Quant à la première comparaison <l’Apôtre> dit: Si l’on doit entendre ces paroles dans le sens où notre iniquité exalte directement la justice de Dieu, que dirons-nous? c’est-à-dire nous ne pourrons soutenir les non-sens qui en résultent. Car le péché n’est pas nécessaire à Dieu pour exalter sa justice: "Il ne désire pas une multitude de fils infidèles et inutiles 2."

264. Mais il montre le non-sens qui en résulte en disant: Dieu qui donne libre cours à sa colère, c’est-à-dire à sa vengeance 3 à cause du péché, n'est-il pas inique? Car c’est la conséquence de ce qu’on a dit. Si, en effet, le péché était ordormé directement à l’exaltation de la justice, il ne serait pas digne de peine mais de récompense. Et ainsi Dieu, en punissant les hommes pour le péché, serait inique, ce qui contredit ce verset du Deutéronome: "Dieu est fidèle et sans aucune iniquité; il est juste et droit 4."

265. Il rejette ensuite ce non-sens, lorsqu’il ajoute: Point du tout! à savoir que Dieu soit inique. 6 Je parle selon l’homme, c’est-à-dire que j’ai proféré ces paroles, non selon ma pensée, mais selon la pensée de l’homme qui s’égare: "Puisqu’il y a parmi vous jalousie et esprit de contention, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme 5 ?"

266. Mais il montre qu’il ne faut point parler ainsi, en ajoutant: Autrement, c’est-à-dire si Dieu est inique, comment jugera-t-il ce monde, c’est-à-dire comment lui siéra-t-il d’être le juge universel et suprême du monde? Car il est nécessaire à ce qui est premier et supérieur en n’importe quel genre d’être infaillible 6: par exemple le moteur premier est immobile. De là ces paroles <du psalmiste>: "Il jugera le monde avec équité 7.">

1. Ps. 50, 6.

2. Eccli (Si) 15, 22.

3. Voir chap, 1, v. 18; leçon 6, n° 110.

4. De 32, 4.

5. 1 Corinthiens 3, 3.

6. "Il y a chez Aristore (Physique III [ VII, 1, fasc. 2, P. 96-1341 et V-VIII [ V 1, fasc. 2, p. 192-3401) quatre sortes de "mouvements" (ou "changements"): 1) selon la substance, c’est la génération et la corruption; 2) selon la qualité, c’est l’amélioration ou la détérioration; 3) selon la quantité, c’est l’accroissement ou la diminution; 4) selon le lieu, c’est le mouvement local (naturel ou violent). D’autre part, tout mouvement d’un mobile suppose une cause motrice qui exerce actuellement son action sur le mobile (Anstote ignore le principe d’inertie) si l’action cesse, l’effet cesse. Pour qu’il y ait mouvement il y a mouvement (les astres) —, il faut donc qu’existe une cause première mouvant tout le reste, et qui elle-même n’est pas mue, sinon elle ne serait pas première et en supposerait une autre. Comme acte pur et premier, elle est parfaite et donc immobile, puisque tout mouvement naturel est un processus de réalisation de sa propre nature. Elle est immobile non seulement quant au lieu, mais aussi quant à la substance et à la qualité elle est donc immuable et infaillible en elle-même et par elle-même. C’est tout cela que signifie l’adjectif immueabilis employé par saint Thomas pour qualifier ce moteur premier, adjectif qui est traduit ici, confor mément à l’usage, par "immobile." Ce moteur immobile et éternel, distinct du monde qu’il meut par le désir que ce monde a de lui, c’est Dieu. Précisons que chez Aristote Dieu ne saurait juger un monde qu’il ignore er donr il ne s’occupe pas (pas de Dieu providenr).
7. P" 95, 13.



Et on trouve dans le livre de Job un argument semblable: "En vérité Dieu ne condamne pas en vain et le Tout-Puissant ne fait pas fléchir le jugement; quel autre <que lui> a-t-il constitué sur la terre? Ou qui a-t-il établi sur l’univers, qu’il a formé 1?" C’est-à-dire que, si lui-même ne jugeait pas justement, il faudrait dire qu’un autre est juge du monde.

267. b. En disant ensuite: 7 si par mon mensonge la vérité, etc., <l’Apôtre> montre la même chose par le jugement humain. Et à ce propos il fait également trois choses:

Il commence par exposer l’interpré tation erronée des paroles citées.

Puis, le non-sens qui en résulte [n° 269]: pourquoi suis-je moi-même encore jugé comme pécheur?

Enfin, il montre que cela est <effectivement> un non-sens [n° 270]: leur condamnation est juste.

268. Il exprime le sens erroné <des paroles citées> en comparant la vérité divine au mensonge humain: Mais si par mon mensonge, c’est-à-dire à cause de mon mensonge, la vérité de Dieu, a été mani festée, c’est-à-dire a abondé pour sa gloire, de telle sorte que le mensonge humain tend à l’augmentation de la gloire <divine>, contrairement à ce que dit Job: "Est-ce que Dieu a besoin de votre mensonge 2?"

269. <L’Apôtre> ajoute aussitôt les deux non-sens qui en résultent. Le premier de ces non-sens, c’est que l’homme ne devrait pas être réputé pécheur à cause de son mensonge, dès lors qu’il est direc tement ordonné à la gloire de Dieu. Et tel est ce que dit <l’Apôtre>: Pourquoi encore, c’est-à-dire pourquoi même à présent, suis-je moi-même jugé, c’est-à-dire par les hommes, comme pécheur, à cause d’un mensonge? — "Comme la méchanceté est timide, elle est livrée à la condamnation de tous", c’est-à-dire parce qu’au jugement les pécheurs sont condamnés par tous. L’autre non-sens entraîne une fausse interprétation, qui était attribuée aux Apôtres. Car du fait qu’ils prêchaient que la sura bondance de la grâce du Christ effaçait une abondance de péchés, selon ce verset <de l’épître aux Romains>: "où la faute a abondé, la grâce a surabondé 4", on blasphémait contre eux, comme s’ils disaient que les hommes devaient faire le mal pour obtenir le bien. Telle en serait la conséquence si le mensonge de l’homme exaltait directement la grâce et la vérité de Dieu. C’est bien ce que <l’Apôtre> dit 8 ne ferions-nous pas le mal, en péchant et en enseignant le mensonge, pour qu’en vienne le bien, c’est-à-dire afin que la vérité et la justice de Dieu soient exaltées; comme certains blasphémateurs nous le font dire, c’est-à-dire comme certains nous l’attribuent en blasphémant. — "On nous blasphème, et nous faisons des obsécrations 5" — comme certains blasphémateurs nous le font dire, en faussant nos paroles." Dans <ses lettres Paul> a quelques endroits difficiles à entendre, que des hommes sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens — comme d’ailleurs les autres Ecritures — pour leur propre perdition 6."

1. Jb 34, 12-13. — Lieu parallèle: Super lob 34, 12-13.

2. Jb 13, 7. — Lieu parallèle: Super lob 13, 7.

3. Sg 17, 10. La Vulgate lit: e dat jestimonium condemnationis. e Pour la version citée ici, voir Vetus latina, Sapientia 17, 10; éd. W. Thiele, vol. XIIi, fasc. 7, p. 546.

4. Rm 5, 20.

5. 1 Co 4, 13.
6. 2 P 3, 16.



270. Enfin <l’Apôtre> rejette ces accusations en ajoutant: Pour ceux-là, leur condamnation est juste, c’est-à-dire la condamnation de ceux qui font le mal pour en faire sortir du bien. Car de même qu’on ne doit pas bâtir un véritable syllogisme sur de fausses <prémisses> 1, ainsi on ne doit pas tendre à une fin qui est bonne par le mal "Pourquoi la voie des impies est-elle prospère, et le bonheur est-il pour tous ceux qui prévariquent et qui agissent iniquement 2?, > Paroles qui s’appliquent à la personne des impies. Ou bien: Pour ceux-là, c’est-à-dire pour ceux qui nous attribuent faussement ces erreurs, leur condamnation est juste. Car il est juste que soient condamnés les corrupteurs de la doctrine sacrée: "Je proteste à tous ceux qui entendent les paroles de la prophétie de ce livre, que si quelqu’un y ajoute, Dieu accumulera sur lui les fléaux décrits dans ce livre."

1. Le syllogisme, dont Aristote a, le premier, exposé la théorie, est un raisonnement concret comprenant trois propositions prédicatives (c’est-à-dire du type: S est P). Les deux premières se nomment les prémisses; la troisième, qui se déduit des deux premières, se nomme la conclusion. Etant concret, la validité de ce raisonnement dépend non seulement de l’observance des règles formelles de la logique, mais encore de la vérité des prémisses, c’est-à-dire de leur conformité au réel. Au fond, il n’y " de raisonnement que pour la conclusion; les deux prémisses, elles, énoncent des faits. D’où l’importance de leur vérité, car, du faux on ne peut rien conclure (voir n 472, n. 4).

2. Jr 12, 1.

3. Ap 22, 18.


Leçon 2 [versets 9 à 20]

15
075 (
Rm 3,9-20)


[n° 272] Quoi donc? L’emportons-nous donc sur eux? Nullement. Car nous avons déjà prouvé que les Juifs et les Grecs sont tous sous le péché,

[n° 276] ‘° selon qu’il est écrit: "Il n’y a point de juste, pas même un seul;

[n° 278] 11 "il n’est personne d’intelligent ou qui cherche Dieu.

[n° 280] 12 Tous se sont détournés, ensemble ils sont devenus inutiles, il n’en est pas un qui fasse le bien, il n’en est pas un seul.

[n° 2821 13 Leur gosier est un sépulcre ouvert, de leurs langues ils agissaient avec tromperie, le venin des aspics sous leurs lèvres.

[n° 286] 14 Leur bouche est pleine de malé diction et d’amertume,

[n° 287] 15 leurs pieds sont prompts à verser le sang,

[n° 288] 1f, l’affliction et le malheur sont dans leurs voies,

[n° 289] 17 et ils n’ont pas connu la voie de la paix; 18 la crainte de Dieu n’est pas devant leurs yeux. S

[n° 290] 19 Or nous savons que tout ce que dit la Loi, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde devienne soumis à Dieu,

[n° 295] 20 parce que nulle chair ne sera justifiée devant lui par les oeuvres de la Loi; car par la loi <vient> la connaissance du péché.

271. Après avoir montré la prérogative des Juifs sur les Gentils quant aux bienfaits divins [n° 248], <l’Apôtre> rejette ici leur vaine gloire par laquelle ils se préféraient aux nations converties à la foi. Et

I) Il commence par énoncer ce qu’il se propose.

II) Puis, il le prouve [n° 274]: Car nous avons déjà prouvé.

272. — I. Il commence donc par dire:

On a demandé "ce que le Juif a de plus? […] Tout d’abord en ce que les jugements de Dieu leur ont été confiés 1." Quoi donc, que dirons-nous, nous Juifs convertis à la foi? L’emportons-nous sur eux, c’est-à-dire sur les Gentils convertis à la foi? Tel était le sujet de leur dispute: il s’éleva entre les disciples de Jésus une dispute pour savoir lequel était le plus grand 2. Et répondant <l’Apôtre> ajoute: Nullement.

273. Cette réponse semble contredire ce qui précède [n° 248], et où il est dit que la prérogative du Juif est grande de toute manière. Mais dans la Glose on répond à cette objection <en disant> que cette parole <de l’Apôtre> s’applique à l’état où se trouvaient les Juifs au temps de la Loi, tandis qu’ici il parle selon l’état de la grâce, car selon ses propres paroles aux Colossiens: Dans le Christ "il n’y a ni Gentil ni Juif, ni circoncision ni incirconcision 4", parce qu’il n’y a plus de diffé rence quand il s’agit de l’état de grâce. Cependant cette réponse ne semble pas être tout à fait conforme à l’intention de l’Apôtre, puisqu’il montrera plus loin

1. Rm 3, 1-2.

2. Voir Lc 22, 24.

3. Voir Glosa in Rom. III, 9 (GPL, col. 1356 C).

4. Col 3, 11.



qu’alors même qu’ils étaient sous la Loi, ils étaient esclaves du péché, tout comme les Gentils, et davantage encore: "C’est là Jérusalem: je l’ai placée au milieu des nations et <j’ai mis> autour d’elle des terres. Et elle a méprisé mes ordonnances jusqu’à se rendre plus impie que les nations, et mes préceptes plus que les nations qui sont autour d’elle; car ils ont rejeté mes ordonnances, et dans mes préceptes ils n’ont pas marché." Il faut donc dire que <l’Apôtre> a montré plus haut la prérogative des bienfaits divins, aussi n’a-t-il point dit que le Juif était plus éminent, mais qu’il avait été gratifié de quelque chose de plus. Ici en revanche, il rejette la supériorité des personnes, parce que ceux qui ont reçu ces bienfaits divins n’en ont pas fait l’usage qu’ils devaient.

274. — II. En disant: Car nous avons déjà prouvé, <l’Apôtre> montre son propos:

D’abord, que les Juifs ne l’emportent pas sur les Gentils sous le rapport de l’état de péché.

Puis, qu’ils ne l’emportent pas sous le rapport de l’état de justice [n° 299] "21 Mais, maintenant sans la Loi."

Il montre le premier point de deux manières:

A) Par ce qui précède.

B) Par l’autorité <scripturaire> [n° 276]: 10 selon qu’il est écrit.

275. — A. <L’Apôtre> dit donc: Car nous avons déjà prouvé, c’est-à-dire en prouvant par des raisonnements nous avons montré que les Juifs et les Grecs, c’est-à-dire les Gentils, sont tous sous le péché. <Il est écrit dans le livre d’> Isaïe: "De la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, rien en lui de sain; c’est blessure, meurtrissure, plaie enflammée, qui n’a été ni bandée, ni pansée, ni adoucie par l’huile" Car <l’Apôtre> a montré en premier lieu que les Gentils retenaient dans l’impiété et dans l’injustice la vérité de Dieu qu’ils avaient connue; ensuite, que les Juifs, après avoir reçu la Loi, déshonoraient Dieu par la prévarication de la Loi.

276. — B. En ajoutant: 10 selon qu’il est écrit, <l’Apôtre> montre son propos par l’autorité du psalmiste, et:

1) Il commence par citer l’autorité.

2) Puis, il l’explique [n° 290]: 19 Or nous savons.

1. En citant l’autorité il expose deux choses:

a) D’abord, les péchés d’omission.

b) Puis, les péchés de commission [n° 282]: 13 Leur gosier est un sépulcre ouvert.

a. 1l traite des péchés d’omission de deux manières:

En écartant d’abord les principes <qui constituent> les bonnes oeuvres.

Puis, les bonnes oeuvres elles-mêmes [n° 280]: 12 Tous se sont détournés.

277. Or les principes des bonnes oeuvres sont au nombre de trois: Le premier d’entre eux concerne la rectitude de l’oeuvre elle-même, et c’est la justice. Il en montre l’absence en disant: selon qu’il est écrit, c’est-à-dire au psaume 13: "Il n’est pas de juste, pas même un seul" — <Et au livre de> Michée: "Le saint a disparu de la terre, et il n’est pas de juste parmi les hommes 6."

1. Ez 5, 5-6.

2. Is 1, 6.

3. Le péché d’omission consiste à omettre de faire le bien que la Loi commande; le péché de commission consiste à commettre le mal que la Loi défend.

4. Lieux parallèles 5. Th. 1-2 Q. 71, a. 3, sol. 3; Q. 71, a. 5; Q. 72, a. 6; 2 Sentences dist. 35, a. 3; De malo, Q. 2, a. 1; Super Psalmos, in Ps. 18, 13; 24, 7; Ad Rom. 1, 29, lect. 8 (éd. Marietti, n° 157).

5. Ps 13, 3. Lieu parallèle: Super Psalmos, in Ps 13, 3."

6. Mi 7, 2.



Ce passage <du psaume> peut s’en tendre de deux manières:

D’abord en ce sens que nul n’est juste de soi et en soi, mais que de soi tout homme est pécheur, et que de Dieu seul vient la justice "Dominateur, Seigneur Dieu, miséricordieux et clément, patient et d’une abondante miséricorde, et très véritable, qui garde ta miséricorde pour des milliers <de créatures>; qui efface l’iniquité, les crimes et les péchés, et nul auprès de toi n’est innocent par lui-même; qui rend l’iniquité des pères aux fils et aux petits-fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération 1."

Ensuite <ce passage peut s’en tendre> en ce sens que nul n’est juste en toutes choses, au point d’être exempt de tout péché, selon ce verset des Proverbes "Qui peut dire Mon coeur est pur, je suis pur du péché 2?" — Et de l’Ecclésiaste: "Il n’est pas d’homme juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche pas 3."

Enfin, on peut aussi comprendre <ce passage> en l’appliquant à la multitude des méchants, parmi lesquels il n’est aucun juste. Car il est d’usage dans l’Ecriture de parler du peuple tout entier, parfois pour <désigner> les méchants, parfois pour <désigner> les bons, comme on le voit dans Jérémie, où l’on rapporte que "lorsque Jérémie eut achevé de dire tout ce que le Seigneur lui avait ordonné de dire à tout le peuple, les prêtres et les prophètes et tout le peuple le saisirent, disant Qu’il meure de mort 4." Et <quelques versets plus loin>: "Les princes et tout le peuple dirent aux prêtres et aux prophètes: Un jugement de mort n’est pas dû à cet homme, parce que c’est au nom du Seigneur, notre Dieu, qu’il nous a parlé 5."

Mais les deux premiers sens s’accordent davantage avec l’intention de l’Apôtre. Et on fera la même considération pour les versets qui suivent.

278. Le deuxième principe des bonnes oeuvres est le discernement de la raison. <L’Apôtre> en montre l’absence en ajoutant 6. Il n’est personne d’intelligent. <Il est écrit dans un autre> psaume: "Ils n’ont ni savoir ni intelligence, ils marchent dans les ténèbres" Et ailleurs <encore> "Il n’a pas voulu <acquérir> l’intelligence pour qu’il fit bien 7."

279. Le troisième principe est la rectitude de l’intention, dont <l’Apôtre> montre l’absence en ajoutant: ou qui cherche Dieu, c’est-à-dire en dirigeant son intention vers lui: "Il sera temps de rechercher le Seigneur, lorsque sera venu celui qui vous enseignera la justice 8."

280. Puis <l’Apôtre> écarte les bonnes oeuvres elles-mêmes.

Et d’abord quant à l’offense à la Loi divine, lorsqu’il dit: 12 Tous se sont détournés, c’est-à-dire de la règle de la Loi divine: "Tous se sont détournés vers leur voie, chacun vers son avarice, depuis le plus grand jusqu’au plus petit 9."

Ensuite, quant à la manifestation de leur fin; aussi ajoute-t-il ensemble ils sont devenus inutiles. Car nous qualifions d’inutile ce qui n’atteint pas sa fin. Et c’est pourquoi, lorsque les hommes se détournent de Dieu, pour lequel ils ont été créés, ils se rendent inutiles 10: "La multitude variée des impies ne sera pas utile 11."

1. Ex 34, 6-7.

2. Pr 20, 9.

3. Eccli (Qo) 7, 21.

4. Jr 26, 8.

5. Jr 26, 16.

6. Ps 81, 5a.

7. Ps 35, 4.

8. Os 10, 12b.

9. Is 56, 11b.

10. Lieu parallèle: Super Psalmos, in Ps. 13, 3a "Par le fait qu’on se détourne de Dieu, on devient inutile car une chose est inutile dans la mesure où elle n’atteint pas ce pour quoi elle a été faite. Or l’homme a été créé pour jouir de Dieu" (trad. par 1. -E. Stroobant de Saint-Eloy, p. 157-158).

11. Sg 4, 3.



Enfin, il écarte les bonnes oeuvres elles-mêmes, lorsqu’il ajoute: il n’en est pas un qui fasse le bien. <Il est écrit dans le livre de> Jérémie: "Ils sont habiles pour faire le mal, mais faire le bien, ils ne le savent pas 1."

281. Il ajoute: il n'en est pas un seul, ce qui peut s’entendre soit exclusivement 2 comme s’il disait: à l’exception d’un seul, c’est-à-dire <de celui> qui seul a fait le bien en rachetant le genre humain: "J’ai trouvé un homme entre mille; une femme entre toutes, je ne l’ai pas trouvée"; soit inclussivement, comme s’il disait: il n’y en a même pas un qui, homme comme tel, fasse le bien, à savoir <le bien> parfait: "Cherchez dans ses places publiques, si vous trouvez un homme faisant la justice et recherchant la vérité 4."

282. b. En disant ensuite: 13 un sépulcre ouvert, <l’Apôtre> expose les péchés de commission, et:

En premier lieu les péchés de la bouche"

Puis, les péchés par action [n° 287] leurs pieds sont prompts. Quant aux péchés de pensée, ils se reconnaissent par <la manifestation de> ces péchés.

283. À propos des péchés de la bouche <l’Apôtre> expose quatre choses:

D’abord, leur promptitude ou leur turpitude, lorsqu’il dit: Leur gosier est un sépulcre ouvert. En effet, un sépulcre ouvert est susceptible de deux choses: il est en effet disposé à recevoir un mort, et en ce sens le gosier de l’homme est qualifié de sépulcre ouvert, lorsqu’il est disposé à proférer des paroles qui apportent la mort. C’est ainsi qu’il est dit dans Jérémie: "Son carquois est comme un sépulcre ouvert" Ensuite <un sépulcre> exhale la puanteur: "Ils ressemblent à des sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent beaux aux hommes, mais au dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture 8." Leur gosier est donc un sépulcre ouvert, lorsque de leur bouche se répand la puanteur du langage obscène "De leur bouche sortait du feu, de la fumée et du soufre 9."

284. Puis, parmi les péchés de la bouche, il traite de la fraude, lorsqu’il dit: de leurs langues ils agissaient avec tromperie, c’est-à-dire en ayant une chose dans le coeur et une autre dans leur bouche: "C’est une flèche blessante que leur langue, elle ne parle que pour la ruse 10."

285. En troisième lieu, il expose le dommage <causé par> ces paroles, quand il dit: le venin des aspics sous leurs lèvres, c’est-à-dire parce que l’effet de ces paroles est tel qu’il tue d’une manière irrémédiable le prochain, soit spirituellement, soit corporellement: "C’est un fiel de dragons que leur vin, et un venin d’aspics incurable 11."

286. En quatrième lieu, il montre l’abondance de ces péchés, lorsqu’il dit: Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume, c’est-à-dire que la malédiction abonde toujours dans de tels discours, parce que <les méchants> médisent du prochain par détraction 12, contrairement aux paroles que l’Apôtre dit plus loin: "Bénissez et ne maudissez point 13." — Et d’amertume, dans la mesure où ils ne craignent pas de proférer des paroles

1. Jr 4, 22b.

2. Le texte latin autorise cette première interprétation "non est usque ad unum peut se traduire littéralement: il n’est pas (d’homme faisant le bien) " Jusqu’à un seul", au sens de " sauf un seul."

3. Eccli (Qo) 7, 29.

4. Jr 5, 1.

5. Lieu parallèle Somme Théologique 1a-2a, Q. 72, a. 6 et 7.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2 Q. 162, a. 4, sol. 4; 4 Sentences dist. 16; dist. 38, Q. 2, a. 1, sol. 3; Super Psalmos, in Ps. 9, 28.

7. Jr 5, 16.

8. Mt 23, 27.

9. Ap 9, 17.

10. Jr 9, 8.

11. Dt 32, 33.

12. Lieux parallèles 5. Th. 2a-2 Q. 73, a. 1 et 2; Q. 74, a. 1 Q. 75, a. 1; Ad. Rom. 1, 30, lect. 8 (éd. Marietti, n 162); 13, 9, lect. 2 (éd. Marietti, n° 1054).

13. Rm 12, 14.



injurieuses à la face du prochain, qui provoquent en eux l’amertume, contrairement à cette <exhortation que l’Apôtre adresse> aux Ephésiens: "Que toute amertume, toute colère, tout emportement, toute clameur et toute diffamation soit bannie de vous, avec toute malice 1."

287. En disant ensuite: 15 leurs pieds sont prompts, <l’Apôtre> traite de leurs péchés d’action, à propos desquels il relève trois choses.

Premièrement leur promptitude à faire le mal. Aussi dit-il: leurs pieds sont prompts, c’est-à-dire leurs passions, à verser le sang, c’est-à-dire à commettre tous les péchés graves, parce que parmi tous les péchés que nous commettons contre le prochain, l’homicide est le plus grave 2: "Leurs pieds courent et ils se hâtent afin de verser le sang 3."

288. Puis il fait allusion à la multi plicité des dommages qu’ils causent aux autres, quand il ajoute: 16 dans leurs voies, c’est-à-dire dans leurs oeuvres, sont l’affliction, parce qu’ils affligent les autres en les opprimant "Son coeur <ne songe> qu’à détruire 4", et le malheur, en tant qu’ils dépouillent les hommes de leurs biens pour les conduire à la misère: "Ils renvoient les hommes nus, enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid 5." Toutefois on peut comprendre que ces deux mots ont été mis pour désigner la peine plutôt que la faute, en sorte que leur sens serait: dans leurs voies sont l’affliction et le malheur, c’est-à-dire leurs oeuvres, qui sont désignées par les voies, les conduisent à l’affliction et au malheur. De sorte que <le mot> "affliction" se réfère à l’oppression de la peine, par laquelle ils seront punis pour leurs péchés: "Elle sera mise en pièces, comme on brise d’un brisement très fort un vase de potier 6", quant au <mot> "malheur", il doit être référé à la peine du dam 7, parce qu’ils seront privés de la félicité éternelle: "Ils sont malheureux, et leur espérance est parmi les morts 8."

289. Enfin, <l’Apôtre> montre leur obstination dans le mal. Quelques-uns s’en détournent cependant pour deux raisons:

Soit parce qu’ils veulent avoir la paix avec les hommes. Mais il est dit en sens contraire: 17 et ils n’ont pas connu la voie de la paix, c’est-à-dire ils ne l’ont point acceptée: "Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique; lorsque je leur parlais, ils m’attaquaient gratuitement 9."

Soit par la considération de la crainte divine. Mais ceux <dont parle l’Apôtre> ne craignent pas Dieu, et ne se soucient pas de l’homme, comme on le rapporte dans <l’évangile de> Luc 10. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: 18 la crainte de Dieu n’est pas devant leurs yeux, c’est-à-dire <qu’elle n’entre pas> dans leur considération "La crainte du Seigneur chasse le péché; car celui qui est sans crainte ne pourra être justifié 11." On peut aussi appliquer cela spécialement aux Juifs, qui ne croient pas au Christ, du fait qu’ils n’ont pas connu la voie de la paix, c’est-à-dire le Christ, dont il est dit "C’est lui qui est notre paix 12."

1. Ep 4, 31.

2. Lieu parallèle De male, Q. 2, a. 10.

3. Pr 1, 16.

4. Is 10, 7b.

5. Jb 24, 7.

6. Is 30, 14a.

7. On distingue en enfer deux sortes de peines: la peine du dam, qui est infinie et qui correspond à l’éloignement de Dieu et des biens impérissables; la peine du sens (le feu de l’enfer), qui est finie et qui correspond à l’attachement aux biens périssables. — Lieux parallèles: Somme Théologique 1a Q. 87, a. 4; 2a-2 Q. 79, a 4, sol. 4; 3a, Q. 46, a. 6, sol. 3; Q. 52, a. 2, sol. 2; 2 Sentences dist. 34, a. 2; 3 Sentences dist. 22, Q. 2, a. 1, Q. 1; 4 Sentences dist. 15; dist. 21, Q. 1, a. 1, Q. 3; 3 Contra Gentiles c. 145; 4, c. 90 sol. 3; De malo, Q. 5, a. 2; II Ad Thess. 1, 9, lect. 2 (éd. Marietti, n° 18).

8. Sg 13, lOa.

9. Ps 119, 7.

10. Voir Lc 18, 2.

11. Eccli (Si) 1, 27-28.

12. Ep 2, 14.



290. 2. Lorsque <l’Apôtre> dit: 19 Or nous savons que tout ce que dit la Loi, il explique l’autorité citée de trois manières

a) D’abord, en exposant son sens.

b) Puis, en expliquant son intention [n° 294] afin que toute bouche.

c) Enfin, en donnant la raison de ce qu’elle exprime [n° 295]: 20 que [...] par les oeuvres de la Loi.

291. a. Sur le sens de l’autorité citée, il faut considérer que les Juifs, contre lesquels l’Apôtre parlait ici, pouvaient, pour se disculper, le détourner en disant: que ces paroles doivent s’entendre des nations et non des Juifs.Mais l’Apôtre rejette cette interprétation en disant: nous savons que tout ce que dit la Loi, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi, c’est-à-dire à ceux à qui la Loi a été donnée et qui font profession de la Loi: "Moïse nous a prescrit une loi 1." Or les Gentils n’étaient pas sous la Loi, et en conséquence ces paroles s’appliquent aux Juifs.

292. Ici se présente une double objection.

La première, c’est que ces paroles citées plus haut ne sont point tirées de la Loi, mais d’un psaume.

Il faut répondre 2 que parfois le nom de loi est pris pour tout l’Ancien Testament et non point pour les cinq livres de Moïse seulement, selon <ce qui est dit dans l’évangile de> Jean: "C’est afin que s’accomplisse la parole qui est écrite dans leur Loi: Ils m’ont haï gratuitement 3." <Ce passage> figure dans l’Ancien Testament et non point dans les cinq livres de Moïse, qu’on appelle en particulier la Loi. Et c’est dans ce sens que <le mot> "Loi" est pris ici. Mais parfois tout l’Ancien Testament est divisé en trois parties la Loi, les Psaumes et les Prophètes, selon ce verset de Luc "Il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les psaumes et dans les prophètes 4." Parfois enfin, tout l’Ancien Testament est divisé en deux parties: la Loi et les Prophètes, selon ce verset <de l’évangile> de Matthieu: "A ces deux commandements se rattachent toute la Loi et les Prophètes 5." Et suivant ce mode de répartition <des livres de l’Ancien Testament> 6", le Psautier est contenu dans les Prophètes 7.

293. La seconde objection, c’est que dans la Loi, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament, beaucoup de choses appar tiennent aux autres nations, comme on le voit en plusieurs endroits d’Isaïe et de Jérémie, où l’on rapporte qu’un grand nombre <de menaces> sont proférées contre Babylone, et pareillement contre d’autres nations. Donc tout ce que dit la Loi, elle ne le dit pas à ceux et de ceux qui sont sous la Loi.

Il faut répondre que tout ce qui est dit d’une manière indéterminée paraît s’adresser à ceux à qui la Loi est donnée; mais quand l’Ecriture parle des autres, elle les désigne sous un titre particulier, par exemple lorsqu’il est dit "Oracle

1. Dt 33, 4.

2. Voir Glosa in Rom. III, 19 (GPL, col. 1358 B).

3. Jn 15, 25.

4. Lc 24, 44.

5. Mt 22, 40.

6. Par "canon des Ecritures" on désigne l’ensemble des textes bibliques dont l’autorité religieuse garantit le caractère révélé. Une telle notion suppose que la formation du corpus est achevée et close l’ère de la Révélation. A l’époque du Christ, cette déclaration de clôture n’a pas encore été prononcée et le canon des livres bibliques n’est pas définitivement fixé. Néanmoins la tradition juive s’accorde à répartir les textes en trois groupes La Tôrah de Moïse, qu’on traduit par "Loi" (au sens le plus large et le plus sacré, et non au sens exclusivement juridique) et qui comprend les cinq premiers livres (le Pentateuque) les Nebiim, ou " Prophètes", qui comprennent aussi certains livres historiques; les Ketoubim, ou "Ecrits", qui comprennent en particulier les Psaumes (plus Job, les Proverbes, le Cantique des Cantiques, etc. ). Les indications "tech niques que donne ici saint Thomas gardent donc toute leur valeur pour un lecteur moderne, même si la question du canon des Ecritures a été renouvelée par la recherche contemporaine.

7. Pour cette troisième répartition, voir dans SAINT AUGUSTIN, Traité 48 sur saint jean, n° 9 (BA 73 B, 186-187); et surtout La Trinité, xv, xvii, 30 (BA 16, 506-507).



menaçant sur Babylone" et: "Oracle menaçant sur Tyr", etc. Ce qui dans l’Ancien Testament est dit contre les autres nations appartenait dans un certain sens aux Juifs, en tant que les malheurs de ces nations étaient annoncés soit pour leur propre consolation, soit pour leur propre terreur. De la même manière, un prédicateur ne doit dire <à son assistance> que ce qui la concerne, et non point ce qui regarde les autres: "Annonce à mon peuple ses péchés", autrement dit: non ceux des autres.

294. b. Lorsque <l’Apôtre> dit: afin que toute bouche, etc., il explique l’intention de l’autorité citée. Car l’Ecriture sainte convainc tous les hommes d’injustice pour deux raisons/

D’abord pour réprimer leur jactance 4, par laquelle ils se regardaient comme justes, selon ce verset de Luc: "Je jeûne deux fois la semaine; je paie la dîme de mût ce que je possède 5." Et c’est pour cela que <l’Apôtre> dit: afin que toute bouche soit fermée, c’est-à-dire <toute bouche> qui s’attribuerait présomptueusement la justice: "La bouche de ceux qui disaient des choses iniques a été fermée 6."

"Ne multipliez point des paroles hautaines en vous glorifiant 7."

Ensuite, pour qu’en reconnaissant leur faute ils se soumettent à Dieu, comme un malade au médecin. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: et que tout le monde devienne soumis à Dieu, c’est-à-dire non seulement le Gentil, mais aussi le Juif, en reconnaissant <chacun> sa faute: "Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu 8?"

295. c. Enfin, lorsque <l’Apôtre> dit: 20 parce que [...] par les oeuvres de la Loi, il explique la raison des paroles citées. Et:

Il commence par exposer la raison.

Puis, il en montre l’évidence [n° 298]: Car par la Loi.

296. Il dit donc d’abord: S’il n’est aucun juste, c’est que nulle chair, c’est-à-dire aucun homme, ne sera justifiée devant lui, c’est-à-dire selon son jugement, par les oeuvres de la Loi, parce que, comme le dit <l’Apôtre> aux Galates, "Si c’est par la Loi qu’est la justice, c’est donc en vain que le Christ est mort 9"; et à Tite: < Ce n’est point par les oeuvres de justice que nous avons faites qu’il nous a sauvés, mais selon sa miséricorde 10."

297. Or il y a deux sortes d’oeuvres de la Loi: les unes appartenant à la Loi de Moïse, comme l’observance des préceptes cérémoniels 11; les autres appartenant à la loi de la nature, parce qu’ils se rapportent à la loi naturelle 12, comme: "Tu ne tueras point 13"; "tu ne feras point de vol 14", etc. Selon l’interprétation de certains, ces préceptes se rapportent aux premières oeuvres de la Loi, c’est-à-dire aux préceptes cérémoniels qui ne conféraient pas la grâce sanctifiante. Mais cette interprétation ne semble pas conforme à l’intention de l’Apôtre; on le voit d’après ce qu’il ajoute aussitôt: car par la Loi <vient> la connais sance du péché. Or il est manifeste que les péchés se reconnaissent par les préceptes moraux négatifs. L’intention de l’Apôtre

1. Is 13, 1

2. Is 23, 1.

3. Is 58, lb.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2 Q. 112; 4 Ethic., lect. 15.

5. Lc 18, 12.

6. Ps 62, 12b.

7. 1 R (1") 2, 3a.

8. Ps 61, 2.

9. Ga 2, 21.

10. Tt 3, 5.

11. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2a, Q. 99, a. 3, a. 4, a. 5; Q. 101, a. l; Q. l03, a. 3; Q. I04, a. 1; 2 dist. 1, Q. 1; De quodlibet 2, Q. 4, a. 3; Super Matth. 23, 23 (éd. Marietti, n° 1872).

12. Lieux parallèles: Somme Théologique 1 Q. 91, a. 2; Q. 94; Q. 97, a. 1, sol. 1; 2 Q. 57, a. 2, sol. 1; 3 Sentences dist. 37, a. 3; a. 4, sol. 2; 4 Sentences dist. 33, Q. 1, a. 1; a. 2, sol. 1; De malo, Q. 2, a. 4, sol. 13; 5 Ethic., lect. 12.

13. Ex 20, 13; D 5, 17.

14. Ex 20, 15; Dt 5, 19.



est donc <de dire> que les oeuvres de la Loi, quelles qu’elles soient, même celles qui sont commandées par les préceptes moraux, ne justifient pas l’homme, en ce sens qu’elles ne produisent pas la justifi cation en lui, car selon ce que <l’Apôtre> dit plus loin: "Mais si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des oeuvres; autrement la grâce n’est plus grâce 1."

298. En disant ensuite: par la Loi, <l’Apôtre> prouve ce qu’il avait dit, à savoir que les oeuvres de la Loi ne justifient pas. Car la Loi est donnée pour que l’homme connaisse ce qu’il doit faire, ce qu’il doit éviter: "Il n’a pas fait ainsi pour toute nation, et il ne leur a pas manifesté ses jugements 2" — "Le commandement est une lampe, la loi une lumière, et la réprimande de la discipline la voie de la vie 3." Mais de ce que l’homme a la connaissance du péché, qu’il doit éviter en tant que défendu, il ne s’ensuit pas aussitôt qu’il l’évite — ce qui appartient à la fonction de la justice 4 — parce que la concupiscence pervertit le jugement de la raison dans chaque oeuvre à accomplir. Et c’est pourquoi la Loi ne suffit pas pour la justification, mais un autre remède est nécessaire pour réprimer la concupiscence.

1. Rm 11, 6.

2. Ps 147, 20.

3. Pr 6, 23.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 79, a. 1; Super Psalmos, in Ps. 13, 1; 33, 15; 36, 27.



Thomas A. sur Rm (1999) 13