Thomas A. sur Rm (1999) 20

Leçon 3 [versets 16 à 25]

20
075 (
Rm 4,16-25)


[n° 359] 16 Aussi dépend-il de la foi, afin que ce soit selon la grâce que la promesse soit ferme pour toute la postérité, non seulement pour celui qui se réclame de la Loi, mais aussi pour celui qui se réclame de la foi d’Abraham, qui est notre père à tous.

[n° 363] ‘7 (Selon qu’il est écrit: "Je t’ai établi pour être le père d’une multitude de nations"), <il est notre père> devant Dieu à qui tu as cru, qui vivifie les morts, et appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont;

n° 3671 18 lui qui a cru, espérant contre l’espérance, en sorte qu’il devint le père d’une multitude de nations, selon ce qui lui fut dit "Telle sera ta postérité."

[n° 370] 19 Et il ne s’affaiblit pas dans la foi, ni ne considéra que son corps était mort, puisqu’il avait déjà près de cent ans, et que la matrice de Sara était morte.

[n° 374] 20 Il n’hésita point, par défiance, en face de la promesse de Dieu; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu.

[n° 376] 21 pleinement convaincu que, ce que <Dieu> a promis, il est aussi puissant pour le faire.

[n° 377] 22 Voilà pourquoi cela lui fut même imputé à justice.

[n° 378] 23 Or ce n’est pas pour lui seul qu’il est écrit que ce lui fut imputé à justice;

[n° 379] 24 mais pour nous aussi, à qui cela sera imputé, à nous qui croyons en Celui qui a ressuscité des morts Jésus-Christ Notre Seigneur,

[n° 380] 25 qui a été livré pour nos fautes et qui est ressuscité pour notre justification.

359. Après avoir montré que la promesse faite à Abraham et à sa postérité ne doit pas s’accomplir par la Loi [n° 354], <l’Apôtre> montre ici qu’elle doit être accomplie par la foi.

Et à cette fin il fait trois choses

I) Il commence par montrer de quelle manière cette promesse doit être accomplie.

II) Puis, il montre en qui elle doit l’être [n° 361] pour toute la postérité, etc.

III) Enfin, par qui elle doit l’être [n° 364]: qui vivifie les morts, etc.

360. — I. <L’Apôtre> commence donc par conclure son propos par une sorte de dilemme. Il est en effet manifestement nécessaire que la promesse soit accomplie ou par la foi, ou par la Loi; or <elle ne l’est> pas par la Loi, parce qu’elle serait abolie, donc <l’Apôtre> conclut: 1 dépend-il de la foi, c’est-à-dire la raison pour laquelle nous obtenons la promesse <par la foi>, c’est afin que nous soyons héritiers du monde: "La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi 1." <L’Apôtre> confirme cette déduction au moyen d’une raison opposée à celle qu’il avait prise en compte plus haut. Car il a été dit que si la justice venait de la Loi, la promesse serait abolie; mais si elle procède de la foi, elle demeure ferme à cause de l’efficacité de la grâce divine qui justifie l’homme par la foi. Et c’est bien ce que <l’Apôtre> dit: que la

1. 1 Jn 5, 4.



promesse <de Dieu> soit ferme, non par les oeuvres de l’homme qui peuvent faillir, mais selon la grâce qui est infaillible "Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse 1.— "C’est en lui" à savoir, dans le Christ "que toutes les promesses de Dieu ont leur oui", c’est-à-dire ont leur vérité.

361. — II. Ensuite lorsqu’il dit: pour toute la postérité, etc., <l’Apôtre> montre en qui cette promesse s’est accomplie.

A. Il commence par exposer son intention, et il dit que cette promesse qui doit être ainsi accomplie par la foi est ferme par la grâce. Pour toute la postérité, c’est-à-dire pour tout homme qui sera, de quelque manière que ce soit, de la posté rité d’Abraham: "Avec leur postérité demeurent toujours leurs biens; c’est un héritage saint que leurs neveux; et leur postérité s’est maintenue dans les alliances; et leurs fils à cause d’eux demeurent jusqu’à jamais; et leur postérité, ainsi que leur gloire, ne sera pas abandonnée 3."

362. — B. <En disant> ensuite: non seulement pour celui, <l’Apôtre> explique ce qu’il avait dit: pour toute la postérité. En effet, il y a une postérité charnelle, selon ce passage de l’évangile de Jean: "Nous sommes la postérité d’Abraham 4. Et il y a une postérité spirituelle, selon ce passage de Matthieu: "Dieu peut, de ces pierres mêmes", c’est-à-dire d’entre les nations, "susciter des enfants à Abraham 5." Mais la postérité d’Abraham selon la chair a observé seulement la Loi, tandis que sa postérité spirituelle imite aussi sa foi. Si donc la promesse ne demeurait que par la Loi, elle ne serait pas accomplie pour toute la postérité, mais seulement dans sa postérité charnelle. Or du fait qu’elle est accomplie par la foi, qui est commune à tous, il est évident qu’elle est accomplie pour toute la postérité.

363. — C. Enfm <en disant:>: qui est notre père à tous, etc., <l’Apôtre> prouve par l’autorité de l’Ecriture ce qu’il avait supposé, à savoir que la postérité d’Abraham n’est pas seulement celle qui est par la Loi, mais aussi celle qui est par la foi.

1. Et il en expose d’abord le sens en disant: qui, à savoir, Abraham, est notre père à tous, c’est-à-dire de tous les croyants, soit des Juifs, soit des païens, comme il l’a dit plus haut < être le père de tous les croyants 6" — <Et il est écrit dans le livre d’Isaïe>: "Portez votre attention sur Abraham votre père 7."

2. Puis il cite l’autorité <scripturaire> en disant: 17 Selon qu’il est écrit "Je t’ai établi pour être le père d’une multitude de nations." Une autre version lit: "Je t’ai constitué 9", ce qui ne fait pas varier le sens. <Et il est écrit dans le livre de> l’Ecclésias tique: "Abraham fut l’illustre père d’une multitude de nations 10."

3. Enfin <en disant:>: 17 devant Dieu, il explique ce qu’il avait dit. Car il a été dit Je t’ai établi, comme si ce qui devait s’accomplir longtemps après avait été déjà accompli. Mais ce qui en soi n’est que dans l’avenir est présent dans la providence 11 de Dieu, selon ce passage de l’Ecclésiastique:

1. 2 Co 12, 9.

2. 2 Co 1, 20.

3. Eccli (Si) 44, 11-13.

4. Jn 8, 33.

5. Mt 3, 9.

6. Rm 4, 11.

7. Is 51, 2.

8. Gn 17, 5.

9. Voir le texte de la Vulgate pour Gn 17, 5.

10. Eccli (Si) 44, 20.

11. Voir ici chap. 1; leçon 6, n° 110. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 22, a. 1; 1 Sentences dist. 39, Q. 2, a. 1; De veritate, Q. 5, a. 1 et 2.



"Car du Seigneur" Notre "Dieu, avant qu’elles fussent créées, toutes les choses étaient connues, de même qu’après leur achèvement il les considère toutes 1." Et c’est pourquoi l’Apôtre dit que ces mots: Je t’ai établi, doivent être entendus devant Dieu, c’est-à-dire en présence de Celui à qui tu as cru 2. Car Abraham avait cru à Dieu, qui lui révélait les choses à venir, comme s’il les eut vues présentes, selon qu’il est écrit: "La foi est la subs tance des réalités qu’on doit espérer, la preuve des réalités qu’on ne voit pas 3."

364. III. En disant 4 qui vivifie les morts, etc., <l’Apôtre> montre par qui doit être accomplie la promesse. Il dit: qui, à savoir, Dieu, vivifie les morts, c’est-à-dire les Juifs qui étaient morts dans leurs péchés, en agissant contre la Loi. Il les vivifie par la foi et par la grâce, afin qu’ils obtiennent <l’accomplissement de> la promesse faite à Abraham: "Comme le Père relève les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie qui il veut 5."

Et il appelle les choses qui ne sont pas, c’est-à-dire les Gentils à la grâce, comme celles qui sont, c’est-à-dire comme les Juifs: "Qui n’est pas mon peuple, je l’appellerai mon peuple et bien-aimée qui n’est pas la bien-aimée; et celle qui n’a pas obtenu miséricorde, <je l’appellerai> objet de miséricorde 6."

<L’Apôtre> désigne les Gentils par les choses qui ne sont pas, parce qu’ils étaient tout à fait étrangers à Dieu, comme il est dit: "Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien 7." Et c’est par cette vocation que la promesse faite à Abraham s’accomplira, même à l’égard des Gentils.

365. Ou bien ce qu’il dit: Et il appelle les choses qui ne sont pas, ne s’entend pas de la vocation selon le temps, mais de la vocation selon la prédestination éternelle, par laquelle sont appelés et choisis, même ceux qui ne sont pas, comme s’ils étaient "Il nous a élus en lui avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans la charité 9." Et à propos de cette vocation il est dit: "non à cause de leurs oeuvres, mais à cause de l’appel, il lui fut dit: L’aîné servira le plus jeune 10."

Ou bien, il appelle ici vocation la simple notion ou connaissance de Dieu, par laquelle il voit les choses futures, celles qui ne sont pas en acte, comme si elles étaient présentes 11. C’est en ce sens que la vocation est prise au psaume 146, où il est dit: "Qui compte la multitude des étoiles, et à elles toutes donne des noms 12." Et suivant ce sens, ce qui est dit ici est cité à cause de ce qui a été dit plus haut: devant Dieu à qui tu as cru.

366. Deux choses, en effet, semblaient s’opposer à ce qui a été dit Je t’ai établi pour être le père d’une multitude de nations. La première d’entre elles était que ce même Abraham était comme mort à cause de sa vieillesse, comme on le dira plus loin 13. Mais <l’Apôtre> contredit cela en disant: qui vivifie les morts. Le second obstacle était que cette multitude de nations n’existait point encore.

1. Eccli (Si) 23, 29.

2. "Ante Deum credidisti (devant Dieu à qui tu as cru)" au lieu de "Ante Deum credidit (devant Dieu à qui il a cru)." Cette version figure dans la Glosa in Rom. IV, 17 (GPL, col. 1375, sous le nom d’Haymon; HAYMON D’AUXERRE, Super epistolam ad Romanos Iv, 17, PL 117, 399). Voir aussi dans DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. III (notae ad versionem antiquam, sous le nom PsEUD0-VIGILE DE THAPSE, Opus contra Varimadum, lib. III, c. XLV, CCL 90, 116), p. 608.

3. He 11, 1.

4. Lieux parallèles S. TIs. P, Q. 14, a. 9; 1 Sentences dist. 38, Q. 1, a. 4; De veritate, Q. 2, a. 8; 1 Contra Gentiles c. 66.

5. Jn 5, 21.

6. Rm 9, 25.

7. 1 Co 13, 2.

8. Lieu parallèle I Sentences dist. 41, Q. 1, a. 2, sol. 3.

9. Ep 1, 4.

10. Rm 9, 12-13a.

11. voir Glosa in Rom. IV, 17 (GPL, col. 1375 D). Lieux parallèles: Somme Théologique 1a Q. 14, a. 13; Q. 86, a. 3 et 4; 1 Sentences dist. 38, a. 5; 1 Contra Gentiles c. 67; De veritate, Q. 2, a. 12; De quodlibet 12, Q. 3, a. 1.

12. Ps 146, 4.

13. Voir Rm 4, 19.



Ce que l’Apôtre contredit en ajoutant: et appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont 1.

367. Lorsque <l’Apôtre> dit: 18 lui qui a cru, espérant contre l’espérance, il exalte la foi d’Abraham [n° 323].

A) Et il montre d’abord la grandeur de sa foi.

B) Puis, il en montre l’efficacité ou le fruit [n° 377]: 22 Voilà pourquoi cela lui fut même imputé à justice.

A. Il montre la grandeur de la foi d’Abraham quant à deux choses

1) quant à la promesse de la multiplication de sa postérité.

2) quant à la promesse de l’exaltation de sa postérité [n° 374]: 20 en face de la promesse de Dieu, etc.

1. Sur le premier point <l’Apôtre> montre deux choses:

a) D’abord, que sa foi fut grande.

b) Puis, qu’elle a été ferme [n° 370] 19 Et il ne s’affaiblit pas dans la foi, etc.

368. a. <L’Apôtre> expose la grandeur de la foi d’Abraham en disant deux choses:

En disant d’abord: lui qui, à savoir, Abraham, a cru jusqu’à cette espérance en sorte qu’il devint le père d’une multitude de nations, et cela contre toute espérance. A ce propos il faut considérer que l’espérance suppose une attente certaine d’un bien futur 2 certitude qui résulte quelquefois d’une cause humaine ou naturelle, selon ce passage <de la première épître de l’Apôtre> aux Corinthiens: "Celui qui laboure doit labourer dans l’espérance 3." Mais parfois la certitude de celui qui attend se fonde sur un motif divin, selon ce verset du psaume "En toi, Seigneur, j’ai espéré, je ne serai pas confondu à jamais 4." Ce bien donc, qui faisait d’Abraham le père d’une multitude de nations, avait sa certitude du côté de Dieu qui promettait, mais du côté de la cause humaine ou naturelle on en voyait le contraire. C’est pourquoi <l’Apôtre> dit: espérant contre l’espérance, du côté de la cause naturelle ou humaine, il a cru en cette espérance, à savoir, celle de la promesse divine.

369. Ensuite <l’Apôtre> expose <la grandeur de la foi d’Abraham> en disant: Selon ce qui lui fut dit, c’est-à-dire au livre de la Genèse: "Ainsi ta postérité sera-t-elle comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer 5." Il cite les étoiles et le sable à cause de leur similitude avec la multitude innombrable <de la postérité d’Abraham>. En effet, à propos des étoiles il est dit: "Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés, et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel, en très grand nombre 6." Et à propos du sable: "Juda et Israël étaient innom brables comme le sable de la mer par leur multitude 7." Toutefois, on peut remarquer quelque différence entre ces deux termes,

1. Dans les Bibles actuelles, ce verset de saint Paul (ta mê enta ôs onta) est traduit ainsi "Les choses qui ne sont pas comme si elles étaient", c’est-â—dire Dieu appelle â l’existence ce qui n’est pas. Mais la Vulgate — qui décalque littéralement le grec — autorise à comprendre que Dieu appelle aussi bien ce qui n’est pas que ce qui est. D’où la triple interprétation qu’en donne ici saint Thomas: ou bien il s’agit de la vocation des non-Juifs à la grâce; ou bien de la prédestination comprise comme un appel; ou bien de la connais sance qu’a Dieu des réalités futures. Dans la Somme Théologique P, Q. 14, a. 9 ou De veritate, Q. 2, a. 8, les "non étants " (mè onta) sont aussi inter prétés comme désignant les "purs possibles", "qui ne sont pas, n’ont pas été et ne seront pas", et dont Dieu a une science "de simple intelligence" et non "de vision " (voir également De veritate, Q. 4, a. 7).

2. Lieux parallèles 3 Sentences dist. 26, Q. 2, a. 4; Somme Théologique 2 Q. 18, a. 4; De virtut., Q. 4, a. 2, sol. 4; II Ad Tim. 1, 12, lect. 4 (éd. Marietti, n 27).

3. 1 Co 9, 10.

4. Ps 30, 2.

5. Gn 22, 17. Cette citation est formée en réalité de deux citations juxtaposées: de Gn 15, 5 pour la première partie de la citation: "Sic erit semen tuum (ainsi ta postérité sera-t-elle)", et de Gn 22, 17 pour la seconde partie de la citation: "sicut stellae caelz et sicut arena manzs (comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer)." On retrouve le même texte dans Glosa in Rom. IV, 18 (GPL, col. 1376 C).

6. Dt 1, 10.
7. 3 R (1 R) 4, 20.



en ce sens que les justes, qui furent de la postérité d’Abraham, sont comparés aux étoiles: "Ceux qui enseignent la justice à un grand nombre seront comme les étoiles dans les perpétuelles éternités 1." Mais les pécheurs sont comparés au sable, parce qu’ils sont comprimés par les flots du monde comme il en est du sable de la mer: "Moi qui ai donné le sable pour borne à la J mer, précepte éternel, qu’elle ne trans gressera pas; ses flots s’agiteront et ils ne prévaudront pas; ils se soulèveront et ils ne la dépasseront pas 2."

370. b. En disant 19 Et il ne s’affaiblit pas, <l’Apôtre> montre la fermeté d’Abraham. Il commence par l’indiquer par ces mots: Et il ne s'affaiblit pas dans la foi. Car de même que la tempérance, qui ne se laisse pas vaincre par les grandes convoitises, ne s’affaiblit manifestement pas, ainsi la foi, qui n’est pas dominée par les grandes difficultés, ne s’affaiblit mani festement pas <non plus>, mais est forte: "Résistez au diable, fermes dans la foi, sachant que la même souffrance est imposée à votre fraternité qui est dans le monde 3."

371. Ensuite, <en disant:>: ni ne considéra, <l’Apôtre> expose les difficultés qui ont révélé la fermeté de la foi <d’Abraham>.

Et premièrement du côté d’Abraham lui-même, lorsqu’il dit: ni ne considéra, à savoir, pour mettre en cause la promesse, que son corps était mort, c’est-à-dire que la puissance génératrice était déjà éteinte en lui à cause de sa vieillesse. C’est pourquoi <l’Apôtre> dit: puisqu’il avait déjà près de cent ans. Abraham, en effet, était centenaire quand naquit Isaac, ainsi qu’on le rapporte dans la Genèse 4. Néanmoins un fils lui avait été promis une année auparavant, selon ce passage: "En retournant, je viendrai vers toi en ce temps-ci, toi vivant encore, et Sara ton épouse aura un fils 5."

372. Mais on voit que son corps ne fut point mort quant à la puissance généra trice, parce que, même après la mort de Sara, il prit pour épouse Qetoura, qui lui engendra des enfants, ainsi qu’on le rapporte dans la Genèse 6.

Certains <commentateurs> disent que la puissance génératrice était éteinte en lui pour engendrer d’une femme âgée, mais non pour lui engendrer un enfant d’une jeune fille. En effet, on voit souvent des vieillards engendrer une descendance de femmes jeunes, et non de femmes âgées, qui sont moins aptes à concevoir. Mais il vaut mieux dire, semble-t-il, qu’Abraham avait miraculeusement recouvré la puis sance d’engendrer à l’égard de Sara et de toutes ses autres femmes 7.

373. Puis, <l’Apôtre> expose la diffi culté du côté de l’épouse <d’Abraham> en disant: et que la matrice de Sara était morte, c’est-à-dire qu’il ne considéra point <qu’elle était morte> pour <ne pas> manquer de foi. Mais <l’Apôtre> dit que la matrice de Sara était morte quant à l’acte d’engendrer, tant à cause de sa stérilité que de sa vieillesse. Car ainsi qu’il est dit dans la Genèse: "Sara avait" déja "cessé d’avoir ce qu’ont les femmes 8." Et c’est pourquoi il est écrit dans Isaïe: "Portez votre attention sur Abraham votre père, et sur Sara qui vous a enfantés 9." Afin de montrer leur état de mort et de frigidité, <le prophète> commence par dire:

1. Dn 12, 3.

2. Jr 5, 22
3. 1 P 5, 9.

4. voir Corinthiens 21, 5.

5. Gn 18, 10.

6. voir Gn 25, 1.

7. Voir SAINT AUGUSTIN, Queszwns sur l’Heptateu que I, Q. XXXV (CCL 33, 14).

8Gn 18, 11.

9. Is 51, 2.



"Portez votre attention sur la pierre dont vous avez été taillés, et sur la cavité de la citerne dont vous avez été arrachés 1."

374. 2. En ajoutant: 20 en face de la promesse de Dieu, etc., <l’Apôtre> exalte la foi d’Abraham quant à la promesse réitérée de l’exaltation de sa postérité.

a) Et il expose d’abord la fermeté de sa foi.

b) Puis, la cause de sa fermeté [n° 376] rendant gloire à Dieu.

375. a. 1l dit donc premièrement: en f ace de la promesse de Dieu, c’est-à-dire de sa promesse réitérée, ou de la multipli cation de sa postérité que Dieu lui avait promise, tout d’abord en disant: "Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu peux. Et il ajoute: Ainsi sera ta postérité 2" Et plus loin encore: "Tu seras le père de beaucoup de nations 3." Et de nouveau: "Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel 4." Ou bien: en face de la promesse de Dieu, c’est-à-dire en face de la promesse réitérée de l’exaltation de sa postérité, car après avoir dit: "Je multiplierai ta postérité", il ajoute aussitôt: "Ta postérité possédera les portes de tes ennemis, et seront bénies en ta postérité toutes les nations de la terre." En face de cette promesse de Dieu <Abraham> n’hésita point, c’est-à-dire ne douta point par défiance, à savoir ne se défia pas de la vérité de la promesse divine: "Celui qui hésite est semblable au flot de la mer, qui est agité et poussé çà et là par le vent 5." — Mais il se fortifia par la foi, c’est-à-dire adhéra fortement à la foi: < Résistez au diable, fermes dans la foi 6."

376. b. Lorsqu’il dit ensuite rendant gloire à Dieu, <l’Apôtre> donne la raison de la fermeté de la foi <d’Abraham>. Il se fortifia, dis-je, par la foi, rendant gloire à Dieu, à savoir en consi dérant sa toute-puissance: "Grand est Notre Seigneur et grande est sa puissance 7." Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il 21 convaincu que, ce que <Dieu> a promis, il est aussi puissant pour le faire. — <Il est écrit au livre de> la Sagesse: "Il dépend de toi, lorsque tu veux, de pouvoir 8." Il est donc évident que celui qui n’est pas ferme dans la foi divine détracte la gloire divine, soit quant à elle-même, soit quant à sa vérité, soit quant à sa puissance.

377. — B. En disant: 22 Voilà pourquoi cela lui fut même imputé à justice, <l’Apôtre> exalte la foi d’Abraham quant à son effet.

1. Il expose l’effet qu’elle a dans Abraham lui-même, en disant: Voilà pourquoi, c’est-à-dire parce que Abraham a cru si parfaitement à cette promesse, cela lui fut même imputé à justice. <Et à son endroit il est aussi écrit au> premier livre des Maccabées: "Abraham n’a-t-il pas été trouvé fidèle dans la tentation, et cela ne lui a-t-il pas été imputé à justice 9 ?"

378. 2. Il montre ensuite l’effet que sa foi a aussi dans les autres. Et dans ce but il exprime trois choses:

a. 1l exprime premièrement la simi litude d’effet, en disant: 23 Or ce n’est pas pour lui seul qu’il est écrit que ce lui fut imputé à justice, c’est-à-dire ne pensez pas que la foi d’Abraham a été imputée à justice à lui seul, mais cela a été écrit pour nous aussi, à qui cette foi sera imputée à justice. <L’Apôtre explicite cela lorsqu’il écrit> plus loin: "tout ce qui a été écrit a été écrit

1. Is 51, 1b.

2. Gn 15, 5.

3. Gn 17, 4.

4. Gn 22, 17.

5. Jc 1, 6.
6. 1 P 5, 9.

7. Ps 146, 5a.

8. Sg 12, 18.
9. 1 M 2, 52.



pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation des Ecritures nous ayons l’espérance 1." Cela a donc été écrit pour lui, afin qu’il nous soit un exemple, mais aussi pour nous, afin que nous en tirions l’espérance de notre justification.

379. b. En disant: 24 à nous qui croyons en Celui, <l’Apôtre> montre en second lieu la similitude de la foi. En effet, la foi a été imputée à justice à Abraham, parce qu’il a cru que son corps déjà mort et la matrice de Sara devenue stérile pouvaient être vivifiés pour procréer des enfants. <Or cette foi> nous sera aussi imputée, à nous qui croyons en Celui qui a ressuscité des morts Jésus-Christ Notre Seigneur, et en Dieu le Père, auquel le Christ dit lui-même: "Mais toi, Seigneur, aie pitié de moi et ressuscite-moi 2." Et parce que la puissance du Père et celle du Fils sont la même, le Fils lui-même ressuscita par sa propre puissance. Or, le fait que cette foi justifie, on le voit plus loin <dans cette même épître> "si tu confesses de ta bouche que Jésus-Christ est Seigneur, et si en ton coeur tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé 4."

380. c. En disant en troisième lieu: 25 qui a été livré, etc., <l’Apôtre> donne la raison pour laquelle la foi en la Résur rection du Christ justifie. Lui qui, dit-il, a été livré, à savoir à la mort par Dieu le Père: "Lui qui n’a pas épargné même son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous 5"; et de lui-même: "Le Christ s’est livré lui-même pour nous 6"; et par Judas: "Celui qui m’a livré à toi a un plus grand péché et par les Juifs 7: "Ils le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en croix; et le troisième jour, il ressuscitera 8"

Et qui est ressuscité pour notre justification, c’est-à-dire pour nous justifier en ressus citant: "Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en <sa> mort, afin que, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts […] de même nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie 9." Qu’il ait été livré à la mort pour nos péchés, cela semble évident, du fait que par sa mort il nous a mérité la destruction des péchés 10, mais en ressuscitant il ne l’a point méritée, parce que en l’état de résurrection il n’était plus voyageur (viator), mais compré henseur (comprehensor) 11, Voilà pourquoi il faut dire que la mort du Christ nous fut salutaire, non seulement par mode de mérite 12, mais aussi par mode d’efficience 13. En effet, comme l’humanité du Christ était en quelque sorte l’instrument de sa divinité, ainsi que le dit Jean Damascène 14, toutes les souffrances et les actions de l’humanité du Christ nous furent

1. Rm15, 4.

2. Ps 40, 11.

3. Lieu parallèle: Super Psalmos, in Ps. 40, 11 le Christ en tant qu’homme n’a pas le pouvoir de ressusciter, mais bien selon la puissance de sa divinité, qui est la même dans le Père et dans le Fils. Et c’est pourquoi s’il ressuscita par le pouvoir du Père, il ressuscita par son propre pouvoir. Et il demande au Père en tant qu’homme, puisqu’il avait <ce pouvoir> en tant que Dieu, afin de montrer que <sa résurrection> se fit par la puissance de sa divinité." (trad. Par J-E. Stroobant de Saint-Eloy, p. 529).

4. Rm 10, 9.

5. Rm 8, 32.

6. Ep 5, 2.

7. Jn 19, 11.

8. Mt 20, 19.

9. Rm 6, 4.

10. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 49, a. 1; Q. 69, a. 1, sol. 2, 3

3 Sentences dut. 19, a. 1; Compend. theol., c. 239; Cou, in Symb. Apost., a. 4.

11. Dans le langage médiéval, viator (voyageur ou pèlerin) s’oppose à comprehensor (compréhenseur ou bienheureux), c’est-à-dire celui qui saisit Dieu. Ce mot comprehensor est d’origine pauli nienne, voir en particulier dans dans Ph 3, 12-13a:, que j’aie atteint le but ou que je sois déjà parvenu à la perfection; mais je poursuis ma course pour tâcher de le saisir (comprehendam) puisque j’ai été moi-même saisi (comprehensus sum) par le Christ Jésus. Frères, je ne compte pas encore l’avoir saisi (comprehendisse)." Le Christ était " simul viator et comprehensor (à la fois voyageur et compréhenseur), en d’autres termes, il jouissait de la vision béati fique à la cime de son âme et cette vision ne rejaillissait pas sur l’ensemble de son être qui se voulait effectivement solidaire de notre nature humaine. —Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 15, a. 10; 3 Sentences dist. 15, Q. 2, a. 1, Q. 3; dist. 18, a. 2; De veritate, Q. 10, a. 11 sol. 3; Q. 26, a. 10, sol. 14, 15; Q. 29, a. 6; Compend. theol., c. 231.

12. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 48, a. 1; a. 6, sol. 3; De veritate, Q. 26, a. 6, sol. 4.

13. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 48, a. 6; Q. 49, a. 1.

14. SAINT JEAN DAMASCÈNE, Defide orthodoxa III, c. 15 (PG 94, 1059 A-1060 A; éd. E. M. Buytaert, p. 239).



salutaires, en tant qu’elles procédaient de la vertu de sa divinité 1. Mais parce que l’effet a également une similitude de cause, <l’Apôtre> dit que la mort du Christ, par laquelle a été éteinte en lui la vie mortelle, est la cause de l’extinction de nos péchés, et que sa résurrection par laquelle il est revenu à la vie nouvelle est la cause de notre justification, par laquelle nous revenons au renouvellement de la justice 2.

1. Si le Christ nous avait rachetés par le seul mérite de ses souf frances, il n’aurait pas opéré par lui-même notre salut, mais il eût été seulement le motif pour lequel le Père aurait effectué notre rédemption. Le Christ a été cause méritoire en tant qu’homme et cause rédemptrice efficiente en tant que Dieu. D’où aussi l’efficacité universelle de cette cause dont la puissance est infinie comme la nature divine elle-même.

2. Sur la résurrection du Christ comme cause de notre justifi cation, voir l’article de J-P. TORRELL, " La causalité salvifique de la résurrection du Christ selon saint Thomas", p. 179-208. — Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 56, a. 1 et 2; 3 Sen dist. 21, Q. 2, a. 2, sol. 1; 4 Sentences dist. 43, Q. I, a. 2, Q. 1; 4 Contra Gentiles c. 79; De veritate, Q. 29, a. 4, sol. 1; Compend. theol., c. 239; Super Job 19, 25; Ad Rom. 6, 11, lect. 2 (éd. Marietti, n° 491); l Ad Cor. 15, 12, lect. 2 (éd. Marietti, n° 913-915); I Ad Thess. 4, 13 et 15, lect. 2 (éd. Marietti, n° 95 et 98).



CHAPITRE 5


Leçon 1 [versets 1 à 51]

21
075 (
Rm 5,1-5)


[n° 381]: 1 Étant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Notre Seigneur Jésus-Christ,

[n° 383] 2 par qui aussi nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes

établis, [n° 384] et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu.

[n° 386] Et non seulement <cela>, mais nous nous glorifions même dans les tribulations, sachant que la tribulation opère la patience;

[n° 388] "la patience la mise à l’épreuve, et la mise à l’épreuve l’espérance;

[n° 390] or l’espérance ne confond point, parce que la charité de Dieu a été répandue en nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.

381. Après avoir montré la nécessité de la grâce du Christ, parce que sans elle ni la connaissance de la vérité pour les Gentils, ni la circoncision et la Loi pour les Juifs n’ont été d’aucune utilité pour le salut [n° 109], l’Apôtre commence, à partir de ce chapitre, par exalter l’efficacité de la grâce. Dans ce dessein il montre deux choses

Quels biens nous obtenons par la À grâce.

De quels maux nous sommes libérés par elle [n° 406]: 12 C’est pourquoi, de même que par un seul homme, etc.

Sur le premier point il exprime deux choses:

I) Il indique d’abord le moyen d’arriver, ou la voie par laquelle nous parvenons à la grâce.

II) Puis, il montre les biens que nous obtenons par la grâce [n° 384]: et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire, etc.

I. Sur le moyen de parvenir à la grâce:

A) Il exhorte à en user comme il convient.

B) Il nous en montre l’accès [n° 383] 2 qui aussi nous avons accès, etc.

382. — A. <L’Apôtre> a donc com mencé par dire que la foi sera imputée à justice à ceux qui croiront en la résur rection du Christ, laquelle est la cause de notre justification 1 Etant donc justifiés par la foi, à savoir, en tant que par la foi en la résurrection nous participons à son effet, ayons la paix avec Dieu, en nous soumettant à lui et en lui obéissant: "Soumets-toi donc à Dieu, et tu auras la paix 2." Et: "Qui lui a résisté et a eu la paix 3 ?" Et cela par Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a conduits à cette paix: "C’est lui qui est notre paix 4."

383. — B. C’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute: 2 qui, c’est-à-dire le Christ, nous avons accès, à savoir, comme médiateur: "il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme, qui s’est livré lui-même pour la rédemption de tous, comme un témoignage en son temps." — "C’est par lui que nous avons accès les uns et les autres auprès du Père, dans un seul Esprit" Accès, dis-je, à cette grâce, c’est-à-dire à cet état de grâce: "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 3." — En laquelle, c’est-à-dire par laquelle grâce, non seulement nous sommes ressuscités de nos péchés, mais nous sommes aussi établis, fixés et élevés par l’affection pour les réalités célestes: "Nos pieds se tenaient dans tes parvis, ô Jérusalem 4." Et encore: "Alors que nous, nous nous sommes relevés, et nous nous sommes dressés." Et cela par la foi, au moyen de laquelle nous obtenons la grâce; non point que la foi précède la grâce, puisque au contraire la foi est <infusée> par la grâce 6: "C’est par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi 7, à savoir parce que le premier effet de la grâce en nous, c’est la foi.

384. — II. En disant ensuite: nous nous glorifions dans l’espérance, etc., <l’Apôtre> montre les biens qui nous arrivent par la grâce.

Il commence donc par dire que par la grâce nous avons la gloire de l’espérance.

Puis, la gloire de Dieu [n° 404]: 11 Et non seulement <cela>, etc.

Sur le premier de ces biens, il montre trois choses

A) D’abord, la grandeur de l’espérance, dans laquelle nous nous glorifions.

B) Puis, sa véhémence [n° 386]: 3 Et non seulement <cela>, etc.

C) Enfin, sa fermeté [n° 390]: 5 or l’espérance ne confond point, etc.

3858 — A. La 8 grandeur de l’espérance se mesure d’après la grandeur de la chose espérée. Ce que <l’Apôtre> indique en disant: et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu, c’est-à-dire du fait que nous espérons acquérir la gloire des fils de Dieu. Car par la grâce du Christ nous avons acquis "l’esprit d’adoption des fils 9" de Dieu, comme <l’Apôtre> le dira plus loin. Et <il est écrit> dans la Sagesse " Voilà qu’ils sont comptés parmi les fils de Dieu 10." Or l’héritage d’un père revient de droit à ses fils: "nous sommes fils de Dieu. Fils, donc héritiers; et même héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui 11." Cet héritage, c’est la gloire que Dieu a en lui-même: "As-tu un bras comme Dieu, et tonnes-tu d’une voix semblable 12?" Et telle est cette espérance qui nous est apportée par le Christ: "Il nous a régénérés pour une vive espérance, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, qui n’est pas souillé, qui ne peut se flétrir, réservé dans les cieux pour vous, qui par la vertu de Dieu êtes gardés au moyen de la foi pour le salut qui doit être révélé à la fin des temps 13" Et cette gloire, qui sera parfaite en nous dans la vie future, est, en attendant, commencée en nous dans l’état actuel par l’espérance: "c’est en espérance

1. 1 Tm 2, 5-6.

2. Ep 2, 18.

3. Jn 1, 17.

4. Ps 121, 2.

5. Ps 19, 9.

6. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 6, a. 1; 3 Contra Gentiles c. 152; Ad Ephee. 2, 8, lect. 3 (éd. Marietti, n° 93).

7. Ep 2, 8.

8. Lieu parallèle Somme Théologique P, Q. 33, a. 3.

9. Rm 8, 15.

10. Sg 5, 5.

1l. Rm 8, 17.

12. Jb 40, 4.
13. 1 P 1, 3-5.



que nous avons été sauvés 1." — "Ils se glorifieront en toi, tous ceux qui aiment ton Nom 2"

386. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit Et non seulement <cela>, etc., il montre la véhémence de cette espérance. Car celui qui espère avec véhémence une chose supporte volontiers en vue de l’obtenir des épreuves même difficiles et amères, comme un malade, s’il espère avec véhémence la santé, boit sans répugnance une potion amère en vue de recouvrer la santé par elle. Le signe, donc, de l’espérance véhémente que nous avons à cause du Christ, est que non seulement nous nous glorifions de l’espérance de la gloire future, mais aussi des maux que nous endurons pour elle. Aussi <l’Apôtre> dit-il: Et non seulement <cela>, à savoir nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire, mais nous nous glorifions même dans les tribulations, par lesquelles nous parvenons à la gloire." C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le Royaume des cieux 3." — "Tenez pour une joie suprême, mes frères, d’être en butte à toutes sortes de tentations 4."

387. <L’Apôtre> en montre ensuite la cause en disant: sachant que la tribulation opère la patience, etc.

Il expose ici successivement quatre choses 5:

1. La tribulation, dont il est dit qu’elle opère la patience; non que la tribulation en soit la cause effective, mais parce que la tribulation est la matière et l’occasion d’exercer l’acte de patience "Soyez patients dans la tribulation 6."

388. 2. <L’Apôtre> 7 expose ensuite l’effet de la patience, lorsqu’il dit: 4 la patience <produit> la mise à l’épreuve. — <Il est écrit au livre de l’Ecclésiastique>: "Par le feu s’éprouvent l’or et l’argent; mais les hommes agréables <à Dieu s’éprouvent> dans la fournaise de l’humiliation 8." Il est en effet manifeste que nous supportons facilement la perte d’une chose pour une autre que nous aimons davantage. Si donc quelqu’un, dans les choses matérielles et temporelles, souffre patiemment pour acquérir les biens éternels, il est suffi samment prouvé par là qu’il aime plus les biens éternels que les temporels.

Mais en sens contraire il est dit: "Sachant que l’épreuve de votre foi opère la patience 9."

Il faut dire que le mot "épreuve" peut être entendu de deux manières:

a. Ou bien, en tant qu’elle est dans celui qui est éprouvé. Et dans ce sens l’épreuve est la tribulation même, par laquelle l’homme est éprouvé. C’est pourquoi dire que la tribulation opère la patience ou que la tribulation éprouve la patience, cela revient au même.

b. Ou bien le mot "épreuve" est pris au sens de ce qui est éprouvé. Ainsi la patience opère-t-elle l’épreuve, parce que l’homme qui supporte patiemment la tribulation est rendu par là même éprouvé.

389. 3. <L’Apôtre> ajoute en troi sième lieu et la mise à l’épreuve l’espérance, sous-entendu: opère <l’espérance>, parce que celui qui a déjà été éprouvé peut avoir par lui-même, et par les autres, l’espé rance qu’il sera admis à l’héritage de Dieu "Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui 10." Ainsi donc, il est évident que du premier au dernier degré la tribulation prépare une voie à l’espérance. C’est pourquoi si l’on se glorifie avec véhémence de l’espérance, il s’ensuit qu’on se glorifie <aussi> de ces mêmes tribulations.

1. Rm 8, 24.

2. Ps 5, 12b.

3. Ac 14, 21.

4. Jc 1, 2.

5. Le commentaire ne compte en réalité que trois points.

6. Rm 12, 12b.

7. Lieux paraflèles: Somme Théologique 2 Q. 136, a. 2; Suppl., Q. 15, a. 2.

8. Eccli (Si) 2, 5.

9. Jc 1, 3.

10. Sg 3, 5.



390. — C. En disant: 5 or l’espérance ne confond point, <l’Apôtre> montre la fermeté de cette espérance. Et il l’expose d’abord en disant: or l’espérance, à savoir cette espé rance par laquelle nous espérons la gloire des fils de Dieu, ne confond point, c’est-à-dire ne fait pas défaut, à moins que l’homme ne lui fasse défaut. Car on dit que celui-là est confondu dans son espérance, qui ne peut <obtenir> ce qu’il espère: "En toi, Seigneur, j’ai espéré, je ne serai pas confondu à jamais 1." — "Nul n’a espéré dans le Seigneur et n’a été confondu 2."

391. Puis, en disant: parce que la charité, etc., <l’Apôtre> donne une double preuve de la certitude de l’espérance:

La première s’appuie sur le don de l’Esprit-Saint.

La seconde sur la mort du Christ [n° 394]: En effet, pourquoi, etc.

392. Il dit 3 donc d’abord: Nous pouvons savoir que l’espérance ne confond point, en ce que la charité de Dieu a été répandue en nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Or la charité de Dieu peut se prendre en deux sens 4: soit de la charité par laquelle Dieu nous aime: "Je t’ai aimée d’un amour de charité éternel 5"; soit de la charité de Dieu par laquelle nous l’aimons: "je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puis sances, ni le présent, ni l’avenir, ni force, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur 6." Or l’une et l’autre de ces charités sont répandues dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Car le fait que le Saint-Esprit, qui est l’amour du Père et du Fils 7, nous soit donné, consiste en ce que nous sommes amenés à la participation de l’amour, qui est l’Esprit-Saint C’est en vérité par cette participation que nous sommes faits amants de Dieu (efficimur Dei amatores). Et le fait que nous l’aimons lui-même, c’est le signe que lui-même nous aime. <Il est écrit dans les Proverbes>: "Moi, j’aime ceux qui m’aiment 9." Et dans la première épître de Jean: "Cette charité <de Dieu> consiste en ce que ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés le premier 10" Or il est dit de la charité, par laquelle Dieu nous aime, qu’elle a été répandue en nos coeurs, parce qu’elle a été montrée ostensi blement dans nos coeurs par le don du Saint-Esprit imprimé en nous: "Nous savons qu’il demeure en nous par l’Esprit qu’il nous a donné 11." La charité, par laquelle nous aimons Dieu, est dite être répandue dans nos coeurs, en ce sens qu’elle s’étend à toutes les habitudes et à tous les actes de l’âme pour les parfaire; car il est dit: "La charité est patiente, elle est douce; la charité n’est pas envieuse; elle n’agit pas insolemment; elle ne s’enfle pas; elle n’est pas ambitieuse, elle ne cherche pas son propre intérêt; elle ne s’irrite pas; elle ne pense pas le mal; elle ne se réjouit pas de l’iniquité, mais elle met sa

1. Ps 30, 2.

2. Eccli (Si) 2, 11.

3. Lieu parallèle 3 Contra Gentiles ç. 151.

4. Ces deux sens figurent déjà dans le commentaire d’Origène sur l’épitre aux Romains V, 5 (PG 14, 997). Chez les commentateurs latins, on les trouve notamment chez Haymon d’Auxerre (Super épis tolam ad Romanos V, 5 [n° 117, 403]).

5. Jr 31, 3.

6. Rm 8, 38-39.

7. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 37, a. 2; 1 Sentences dist. 32, Q. 1 Dépotent., Q. 9, a. 9, sol. 13.

8. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 37, a. 1; 1 Sentences dist. 10, a. 1, sol. 4; dist. 27, Q. 2, a. 2, q 2.

9. Pr 8, 17.

10. 1 Jn 4, 10.

11. 1 Jn 3, 24.



joie dans la vérité; elle souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout 1."

393. Ainsi, de l’un et l’autre sens donné à ces paroles on conclut que l’espérance ne confond point. En effet, si la charité de Dieu est prise dans le sens où Dieu nous aime, il est manifeste qu’il ne se refusera pas à ceux qu’il aime: "Il a aimé des peuples; tous les saints sont dans sa main 2." De même si la charité de Dieu est prise dans le sens où nous aimons Dieu, il est manifeste qu’il a préparé les biens éternels pour ceux qui l’aiment 3: "Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai et je me mani festerai à lui 4."

1. 1 Corinthiens 13, 4.

2. Dt 33, 3.

3. Voir 1 Corinthiens 2, 9.

4. Jn 14, 21.



Thomas A. sur Rm (1999) 20