Thomas A. sur Rm (1999) 41

Leçon 7 [versets 33 à 39]

41
075 (
Rm 8,33-39)


[n° 716] Qui accusera les élus de Dieu? C’est Dieu qui justifie.

[n° 717] Quel est celui qui condamnera? [n° 718] Le Christ Jésus, qui est mort, bien plus qui est aussi ressuscité, qui est à la droite de Dieu et qui même intercède pour nous?

[n° 721] Qui donc nous séparera de la charité du Christ? Est-ce la tribulation? est-ce l’angoisse ? est-ce la faim? est-ce la nudité ? est-ce le péril? est-ce la persécution? est-ce le glaive?

[n° 724] 36 Selon qu’il est écrit: "A cause de toi nous sommes mis à mort tout le jour, nous sommes considérés comme des brebis d’abattoir."

[n° 725] "Mais sur tout cela nous l’emportons par Celui qui nous a aimés.

[n° 726] 38 Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni le présent, ni l’avenir, ni force,

[n° 731] "ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur.

715. Après avoir montré que les saints, que Dieu fait progresser, ne peuvent souffrir aucun dommage provenant en quelque sorte du mal de la peine [n° 710], l’Apôtre montre à présent qu’ils ne peuvent souffrir aucun dommage provenant en quelque sorte du mal de la coulpe 1.

I) Et il commence par énoncer sa proposition.

II) Puis, il écarte une sorte d’objection [n° 718]: Le Christ Jésus, etc.

716. — I. Sur le premier point, il faut remarquer que l’on peut être éprouvé par une faute de deux manières

A) D’abord, par une accusation.

B) Puis, par la condamnation d’un juge [n° 717].

A. <L’Apôtre> commence donc par montrer qu’aucune accusation ne peut être nuisible aux saints de Dieu, et cela en raison de l’élection divine. Car celui qui choisit quelqu’un semble, par son choix lui-même, l’approuver. Or les saints sont choisis par Dieu: "Il nous a élus en lui avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence 2." Au contraire, celui qui accuse désapprouve celui qu’il accuse. Or nulle accusation ne prévaut contre l’approbation de Dieu. Aussi l’Apôtre dit-il: Qui accusera, à savoir efficacement, les élus, c’est-à-dire ceux que Dieu a choisis pour être saints? D’où ces paroles de l’Apocalypse: "Il a été précipité l’accusateur de nos frères, qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit 3."

717. — B. Puis <l’Apôtre> montre que l’accusation de qui que ce soit ne peut être nuisible aux saints. Il le prouve par un autre bienfait de Dieu, à savoir celui par lequel

1. Voir chap. 2, y. 8; leçon 2, n 198, n. 5, p. 137.

2. Ep 1, 4.

3. Ap 12, 10.



Dieu nous justifie. Il mentionne ce bienfait, en disant: C’est Dieu qui justifie, selon ce qui a été dit plus haut: "ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés 1." — "Mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit de notre Dieu 2." La condamnation, quant à elle, ne s’adresse qu’aux hommes injustes. Quel est celui qui condamnera ceux qui ont été justifiés par Dieu? — "<Dieu> accordant la paix, qui est celui qui condamnera ? 3"

718. — II. Quand <l’Apôtre> dit: Le Christ Jésus, il écarte l’objection. On pourrait craindre d’être accusé par le Christ Jésus et condamné comme transgresseur de son commandement, ainsi que le Seigneur le dit aussi à l’égard de Moïse: "Ne pensez pas que c’est moi qui vous accuserai auprès du Père: celui qui vous accuse, c’est Moïse, en qui vous espérez 4"; et d’être condamné par lui-même, puisque lui-même "a été établi par Dieu juge des vivants et des morts 5", comme on le dit dans le livre des Actes. De plus <le Christ> est lui-même exempt du péché "Lui qui n’a pas commis de péché 6"; et par conséquent il semble apte à accuser et à condamner, selon cette parole de Jean "Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre 7." Et voilà pourquoi <l’Apôtre> dit: Le Christ Jésus, autrement dit: est-ce que le Christ Jésus accusera les élus de Dieu ou les condamnera ? Il montre que non, parce que lui-même selon son humanité accorde aux saints de grands bienfaits, tout comme selon sa divinité.

719. <L’Apôtre> énumère quatre bienfaits venant de son humanité elle-même

A. Premièrement sa mort, lorsqu’il dit: qui est mort, à savoir pour notre salut: "Le Christ lui-même est mort une fois pour nos péchés, juste pour des injustes, afin de nous offrir à Dieu, ayant été mis à mort selon la chair, mais vivifié selon l’Esprit 8."

B. Deuxièmement, sa Résurrection, par laquelle il nous vivifie, maintenant par la vie spirituelle, et à la fin par la vie corpo relle. Aussi dit—il ensuite: qui est aussi ressuscité, comme il l’a <déjà> dit plus haut: "qui est ressuscité pour notre justification 9." Et il ajoute: bien plus, parce que dans le moment présent il se recommande à notre souvenir plutôt par la puissance de sa résurrection que par la faiblesse de sa passion: "Car bien qu’il ait été crucifié selon notre faiblesse, il vit cependant par la puissance de Dieu 10"

C. Troisièmement, la confession même du Père, lorsqu’il dit: qui est à la droite de Dieu, c’est-à-dire égal à Dieu le Père selon la nature divine, et son égal quant aux biens les plus excellents, selon la nature humaine. Et cela est pareillement pour notre gloire, selon ces paroles: "Il nous a fait asseoir dans les cieux dans le Christ Jésus 11." Car en tant que nous sommes ses membres, nous sommes assis avec lui auprès de Dieu le Père: "Celui qui aura vaincu, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j’ai vaincu aussi, et me suis assis avec mon Père sur son trône 12"

1. Rm 8, 30.

2. 1 Corinthiens 6, 11.

3. Jb 34, 29.

4. Jn 5, 45.

5. Ac 10, 42.
6. 1 P 2, 22.

7. Jn 8, 7.
8. 1 P 3, 18.

9. Rxn 4, 25.

10. 2 Corinthiens 13, 4 ex infirmitate nostra." Nostra figure dans plusieurs manuscnts. Voir DoM SABATTER, Bibi. sacr., t. III (Notae ad versionem antiquam), p. 759; et dans Biblia Sacra iuxta Vulgatarn versionem, éd. R. Giyson, p. 1801, en note.

11. Ep 2, 6.

12. Ap 3, 21.

D. Quatrièmement, son intercession, lorsqu’il dit: et qui même intercède pour nous, en étant comme notre avocat: "Nous avons comme avocat auprès du Père Jésus-Christ, le juste." Or il appartient à la fonction de l’avocat non d’accuser ou de condamner, mais plutôt de repousser l’accusateur et d’empêcher la condam nation.

720. Il est dit que <le Christ Jésus> intercède pour nous de deux manières:

1. D’abord, en priant pour nous, selon ce passage de Jean: "Je ne prie pas pour eux seulement", c’est-à-dire pour les apôtres, "mais encore pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi 2." Maintenant, son intercession en notre faveur consiste en sa volonté de nous sauver: "Ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi 3."

2. Ensuite 4, il intercède pour nous en mettant sous le regard de son Père l’humanité qu’il a assumée pour nous et les mystères célébrés en elle: "C’est dans le ciel même que Jésus est entré, afin de paraître maintenant pour nous devant la face de Dieu 5."

721. Lorsque 6 <l’Apôtre> ajoute: 35 Qui donc nous séparera de la charité, etc., il déduit la conclusion de ce qui précède [n° 695]. Et parce que cette conclusion semble pour ainsi dire incroyable à ceux qui n’en ont pas fait l’expérience, il la propose sous forme de question. Et à cet égard il fait trois choses

a) Il commence par poser une question.

b) Puis, il montre la nécessité de cette question [n° 724]: 36 Selon qu’il est écrit.

c) Enfin, il en donne la solution [n° 725]: 37 Mais sur tout cela, etc.

722. a. Cette question peut être déduite de ce qui précède pour deux raisons:

Premièrement de la manière sui vante: les bienfaits qui nous ont été divi nement accordés sont si nombreux et si efficaces que nul ne peut rien contre eux. Or tous les bienfaits énumérés tendent à ce que nous soyons "enracinés et fondés dans la charité", comme le dit <l’Apôtre> aux Ephésiens 7. — Qui donc nous séparera de la charité du Christ? c’est-à-dire de cette charité par laquelle nous aimons le Christ et le prochain, comme le Sauveur l’a prescrit lui-même: "Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres; comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres 8."

Deuxièmement comme suit: on a dit que Dieu accorde à ses saints de grands bienfaits; or, en les considérant, la charité du Christ s’enflamme tellement dans nos coeurs que rien ne peut l’éteindre: "Les grandes eaux n’ont pu éteindre la charité"

723. <L’Apôtre> énumère <ensuite> les maux dont la souffrance pourrait nous forcer à nous séparer de la charité du Christ.

• Et il mentionne premièrement ceux qui se rapportent à la vie.

• Puis celui qui se rapporte à la mort.

• À propos des maux qui nous menacent et que nous avons à supporter en cette vie

1. I Jn 2, 1.

2. Jn 17, 20.

3. Jn 17, 24.

4. Voir Glosa in Rom. VIII, 34 (GPL, col. 1452 C).

5. He 9, 24.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 24, a. 11; 3 Sentences dist. 31, Q, 1, a. 1; 4 Contra Gentiles c. 70; De virtut., q. 2, a. 12; lAdGor. 13, 8, lect. 3 (èd. Marietti, n° 787).

7. Ep 3, 17.

8. Jn 13, 34.

9. Ct 8, 7.



* Il expose tout d’abord les maux présents.

* Puis les maux à venir.

* Parmi les maux présents

** Il indique en premier lieu ceux qui se rapportent à la patience 1 (tolerantia) <avec laquelle on les supporte>.

** Puis ceux qui sont en rapport avec la privation des biens.

** Or les maux endurés peuvent être considérés de deux manières:

Premièrement, selon qu’ils sont dans celui qui les endure, lequel est affligé par ces maux, à savoir extérieurement dans le corps. Sous ce rapport, c’est la tribulation. Ce mot vient de tribulus (tribule) et signifie une plante piquante 2: "Il te produira des épines et des tribules 3." De là on dit de quelqu’un qu’il est dans la tribulation lorsqu’il est blessé extérieurement. Or les justes ne sont pas vaincus par la tribu lation: "Nombreuses sont les tribulations des justes; mais le Seigneur les délivrera de toutes ces <peines> 4." L’homme est aussi affligé de ces maux par l’anxiété intérieure du coeur, à savoir quand il ne voit pas où se tourner, ou comment s’échapper. Et pour indiquer ces maux <l’Apôtre> ajoute: est-ce l’angoisse ? — "Je suis dans les angoisses de toutes parts, et ainsi je ne sais que choisir 5."

Deuxièmement, ces maux peuvent être considérés selon qu’ils sont dans l’agent. Et à ce propos l’Apôtre ajoute: est-ce la persécution? Car bien qu’à proprement parler la persécution semble concerner le persé cuteur qui fait fuir devant lui le persécuté, selon ces paroles de Matthieu: "Lors donc qu’on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une 6", cependant on peut l’entendre communément de tout dommage que l’on fait subir: "Nombreux sont ceux qui me persécutent et qui m’affligent par des tribulations 7."

** Ensuite, il expose les maux qui concernent la suppression des biens, qui sont nécessaires à la vie, à savoir la nour riture et les vêtements, selon ce verset de la première épître à Timothée: "Ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en 8." A la privation de la nourriture se rapporte la faim, aussi l’Apôtre ajoute-t-il: est-ce la faim? A celle des vêtements, la nudité, aussi ajoute-t-il: est-ce la nudité?

"Jusqu’à cette heure nous souffrons et la faim et la soif, nous sommes nus; nous sommes maltraités et errants 9."

* Quant aux maux futurs, <l’Apôtre> dit: est-ce le péril?, à savoir qui menace pour l’avenir: "Périls sur les fleuves, périls des voleurs, périls du côté de ceux de ma race, périls du côté des païens, périls dans les villes, périls dans les déserts, périls sur mer, périls parmi les faux frères 10. "

• Quant au mal qui se rapporte à la mort il dit: est-ce le glaive ? — "Ils sont morts frappés par le glaive 11."

724. b. En disant: 36 Selon qu’il est écrit: "A cause de toi nous sommes mis à mort tout le jour, nous sommes considérés comme des brebis d’abattoir 13", <l’Apôtre> montre la nécessité de cette question, en ce qu’il dit que tous ces maux à subir menaçaient les saints à cause de la charité du Christ. Et il cite ces paroles du psalmiste, en les mettant en quelque sorte dans la bouche des martyrs.

1. Voir chap. 8, y. 25; leçon 6, n°685.

2. Voir Ad Rom. 2, 9, lect. 2 (éd. Marietti, n° 200).

3. Gn3, 18.

4. Ps 33, 20.

5. Dn 13, 22a pour la première partie du verset, et Ph I, 22b pour la seconde.

6. Mt 10, 23.

7. Ps 118, 157.

8. 1 Tm 6, 8.

9. 1 Co4, 11.

l0. 2Co 11, 26.

11. He 11, 37.

12. Lieux parallèles: Somme Théologique 2a-2 Q. 124, a. 5; 4 Sentences dist. 49, Q. 5, a. 3, Q. 2, sol. 9s.

13. Ps 43, 22. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 43, 22.

Il indique premièrement la cause de cette souffrance, car selon Augustin, "ce n’est pas la peine qui fait le martyre, mais la cause 1." Ce qui fait dire à <l’Apôtre> A cause de toi. — "Celui qui aura perdu son âme [c'est-à-dire la vie] à cause de moi, la trouvera 2." Et encore: "Qu’aucun de vous ne souffre comme homicide, ou voleur, ou médisant, ou avide du bien d’autrui. Et si c’est comme chrétien, qu’il ne rougisse point, mais qu’il glorifie Dieu en ce monde 3." Celui-là souffre pour le Christ non seulement qui souffre pour la foi du Christ 4, mais encore pour toute oeuvre de justice par amour du Christ: "Bien heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 5."

Il indique en deuxième lieu la grandeur de la souffrance, lorsqu’il dit: nous sommes mis, c’est-à-dire livrés à la mort.

"Nous avons été livrés, moi et mon peuple, pour que nous soyons foulés aux pieds, égorgés, et que nous périssions 6."

En troisième lieu, la continuité de la persécution, quand il dit: tout le jour, c’est-à-dire durant tout le temps de la vie "Quoique vivants en effet, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle 7."

En quatrième lieu, la promptitude des persécuteurs à tuer, lorsqu’il dit: nous sommes considérés comme des brebis d’abattoir, c’est-à-dire destinées à être tuées au marché. C’est ainsi que les saints étaient mis à mort de propos délibéré et avec empressement: "Vient l’heure où quiconque vous fera mourir croira rendre un culte à Dieu 8." — "Pais les troupeaux d’abattoir, que ceux qui les possédaient tuaient sans pitié 9."

725. c. En disant: 37 Mais sur tout cela, <l’Apôtre> résout la question.

Et il donne d’abord la solution: Mais sur tout cela, à savoir aux maux que j’ai énumérés plus haut, nous l’emportons, lorsqu’en tout nous gardons la charité intacte: "La sagesse lui donna la victoire dans un rude combat 10." Et <nous l’emportons> non par notre force, mais par le secours du Christ, aussi ajoute-t-il: par Celui qui nous a aimés, c’est-à-dire par son secours, ou à cause de l’amour que nous avons pour lui, non comme si nous l’avions aimé d’abord, mais parce que lui-même "nous a aimés le premier", comme il est dit dans l’épître de Jean 11; et <l’Apôtre écrit> aux Corinthiens: "Grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ 12."

726. Puis, en disant: 38 Car je suis certain, <l’Apôtre> développe la solution en montrant que la charité des saints est insé parable. Et

Il montre d’abord qu’elle ne peut être séparée par les créatures qui existent.

Puis, par celles qui n’existent pas, mais qui pourraient exister [n° 733]: ni aucune autre créature.

1. SAINT AUGUSTIN, Lettre à Fesius LXXXIX, ii (PL 33, 310; CSEL 34, 419); Lettre à Macrobe CVIII, V, 14 (PL 33, 413 CSEL 34, 627); Lettre à Dulcitius CCIV, iv (PL 33, 940; CSEL 57, 319); Enar. in Ps., in Ps. XXXIV, 23, sermo II, n° 13 (CCL 38, 320).

2. Mt 10, 39.

3. 1 p 4, 15-16.

4. À propos de l’expression "foi du Christ", voir chap. 3, y. 22; leçon 3, n° 302, n. 6, p. 175.

5. Mt5, 10.

6. Est 7, 4.

7. 2 Co 4, 11.

8. Jn 16, 2.

9. Za 11, 4-5a.

10. Sg 10, 12.

11. lin 4, 19.

12. 1 Co 15, 57.



727. deux choses:

D’abord, ce qu’il y a dans l’homme, en disant: Car je suis certain que ni mort, laquelle est le plus terrible des maux, la vie, laquelle est le plus désirable des biens, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu.

"Car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur; si nous mourons, nous mourons sur les premières il énumère pour le Seigneur 1." Dans ces deux termes sont inclus tout ce que l’Apôtre a énuméré plus haut. Car les six premiers maux se rapportent à la vie; mais un seul, à savoir le glaive, se rapporte à la mort, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

728. <L’Apôtre> 2 énumère ensuite ce qui est extérieur.

Et en tout premier lieu les créatures spirituelles, en disant: ni anges, c’est-à-dire <les esprits> d’un ordre mineur qui sont préposés à la garde de chaque homme en particulier: "Il a commandé à ses anges à ton sujet, de te garder dans toutes tes voies 3." — Ni principautés, c’est-à-dire <les esprits> députés à la garde des nations: "Maintenant je m’en retournerai afin de combattre contre le prince des Perses lorsque moi je sortais, le prince des Grecs a apparu venant <vers moi>. [ et il n’est personne qui m’aide en toutes ces choses, sinon Michel, votre prince 4." Et <l’Apôtre> ajoute: ni puissances, lesquelles sont l’ordre suprême des ministres <célestes>: "Les puissances des cieux seront ébranlées 5." Ce passage peut s’entendre de deux manières 6: d’abord, des mauvais anges, qui combattent contre les saints: "Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les domi nateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air."

Ensuite, ce passage peut s’entendre des bons anges. Et selon ce sens, comme le remarque Jean Chrysostome dans son livre De la componction du coeur l’Apôtre parle ainsi, non que les anges puissent jamais chercher à le séparer du Christ, mais pour dire, à titre d’exemple, que même les choses qui sont impossibles pourraient advenir plutôt que lui être séparé de l’amour du Christ: c’est montrer par là quelle était en lui la force de la charité divine et la mettre sous les yeux de tous. C’est en effet la coutume des amants de ne pas cacher dans le silence leur amour, mais de le confesser, de le révéler à leurs amis et à leurs intimes, <car> ils ne peuvent retenir leurs flammes dans le coeur. Ils en parlent très fréquemment, afin que par cette assiduité à en parler ils en retirent de la consolation et tempèrent leur immense ardeur. C’est ce que fait donc le bien heureux <Paul>, ce remarquable amant du Christ, il expose en même temps dans une seule et même phrase tout ce qui est, ce qui sera, ce qui peut arriver et ce qui ne peut certainement pas arriver. Dans l’épître aux Galates il emploie une locution semblable: "Mais si nous-mêmes ou un ange du ciel vous évangélisait autrement que je vous ai évangélisé, qu’il soit anathème 9."

729. — * <L’Apôtre> énumère ensuite aussi les créatures sensibles et les divise en deux catégories:

** Premièrement selon le temps, en tant qu’elles se différencient suivant le présent et le futur. Aussi <l’Apôtre> dit-il ni le présent, c’est-à-dire les choses actuelles, qu’elles apportent de la douleur ou du plaisir: "Nous ne considérons pas les choses visibles; car les choses qui se voient sont passagères, mais celles qui ne se voient pas sont éternelles 10."

1. Rm 14, 8.

2. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 108; Q. 113, a. 1, a. 2, a. 3;

2 Sentences dist. 11, Q. 1, a. 1, a. 2; 3 Contra Gentiles c. 80; Compend. theol., c. 126; AdEphes. 1, 21, lect. 7 (éd. Marietti, n° 61-62); Ad Col. 1, 16, lect. 4 (éd. Marietti, n° 40-42).

3. Ps 90, 11.

4. Dn 10, 20 et 21b.

5. Lc 21, 26.

6. Voir Glosa in Rom. VIII, 38 (GPL, col. 1453 B).

7. Ep 6, 12.

8. Voir sAINT JEAN CHRYSOSTOME, Ad Demetrium de compunctione liber I, 8 (PG 47, 406).

9. Ga 1, 8.

10. 2 Corinthiens 4, 18.



Et il ajoute: ni l’avenir, dont ni la crainte ni le désir ne peuvent nous séparer du Christ. Ce qui lui faisait dire: "Car moi, je suis prêt non seulement à être lié, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus 1."

730. — ** Il les distingue deuxiè mement selon leur grandeur et il mentionne d’abord la grandeur de leur puissance, lorsqu’il dit: ni force, c’est-à-dire aucune créature quelle qu’elle soit malgré sa force ne peut me séparer du Christ, par exemple la force du feu ou celle de l’eau, parce que, comme il est dit dans le Cantique des Cantiques: "L’amour est fort comme la mort 2."

731. <L’Apôtre> expose ensuite la grandeur de l’amour, en la décrivant par ce qui convient particulièrement aux corps, à savoir la hauteur et la profondeur:" ni hauteur, c’est-à-dire la hauteur de laquelle on menacerait de me précipiter, comme on le dit dans <l’évangile de> Luc "Ils menèrent <Jésus> au sommet du mont sur lequel leur ville était bâtie, pour l’en précipiter 3." — Ni profondeur, dans laquelle on menacerait de me submerger: "Je suis enfoncé dans une boue profonde 4."

Ces trois distinctions peuvent être aussi appliquées aux choses humaines. Car l’homme pourrait détourner de Dieu son prochain de trois manières:

Premièrement, en le contraignant par la force; mais comme on le dit au premier livre des Rois "Il n’est pas de fort comme notre Dieu 5."

Deuxièmement, en le plongeant dans la stupéfaction par la hauteur de son autorité; mais un psaume dit de Dieu "Toi seul es le Très-Haut sur toute la terre 6."

Troisièmement, en le séduisant par la profondeur de sa sagesse; mais il est dit de <Dieu> au livre de Job: "Il est plus profond que l’enfer; comment donc le connaîtras-tu 7 ?"

732. Ces deux termes, la "hauteur" et la "profondeur", peuvent aussi être appliqués aux prospérités et aux adversités, selon ce passage de la seconde épître aux Corinthiens "<Montrons-nous, au contraire, en toutes choses, comme des ministres de Dieu, [ par les armes de la justice, à droite et à gauche 8" Ou bien, selon Jean Chrysostome dans son livre De la componction du coeur: "La hauteur et la profondeur ne me semblent pas indiquer autre chose que le royaume des cieux et la géhenne 9." Autrement dit: dussé-je quitter le Royaume ou même être livré à la géhenne pour le Christ, cela même ne doit pas être un objet de crainte pour moi.

733. Quant à ce qui n’existe pas mais qui pourrait exister, <l’Apôtre> ajoute: ni aucune autre créature, ce qui, selon Jean Chrysostome 10, s’applique aux choses qui n’existent pas, comme si tout ce qui existe ne lui suffisait pas, et qu’il lance en quelque sorte un défi aux choses qui n’existent pas. Aucune de ces choses, dit-il, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu.

"La charité ne finira jamais 11" Et cette charité est celle de Dieu dans le Christ Jésus Notre Seigneur, à savoir parce qu’elle nous est donnée par lui, en tant qu’il nous l’a donnée par l’Esprit-Saint: "Je suis venu jeter un feu sur la terre, et que veux-je, sinon qu’il s’allume 12 ?"

1. Ac 21, 13.

2. Ct 8, 6.

3. Lc 4, 29.

4. Ps 68, 3.
5. 1 R (1") 2, 2.

6. Ps 82, 19.

7. Jb 11, 8b.

8. 2 Co 6, 7.

9. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Ad Demetrium de compunctione liber!, 8 (PG 47, 406) 5 ni l’espérance du ciel fi la crainte de l’enfer (et c’est la ce que <l’Apôtre> désigne par ces mots "hauteur" et "profondeur"), etc."

10. Voir ibid.

11. 1 Co 13, 8.

12. Lc 12, 49.



734. — 1 Cependant, puisqu’il est écrit: "L’homme ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, mais toutes choses sont incer taines et gardées pour l’avenir 2", pourquoi <l’Apôtre> dit-il qu’il est certain que rien ne peut le séparer de la charité?

On peut répondre que l’Apôtre ne parle pas spécialement de lui-même, mais au nom de tous les prédestinés, à l’égard desquels, à cause de la certitude de la prédestination, il annonce que rien ne peut les séparer de la charité. Or cette certitude peut même être causée par la vertu de charité, qui, en tant qu’elle est en eux, ne peut être séparée de certains <prédestinés>, puisqu’ils aiment Dieu par dessus toutes choses. Que si quelque prédestiné s’éloigne de la charité, cela ne tient pas à un défaut de la charité, mais à un défaut du libre arbitre. Au demeurant, si Paul disait cela de lui-même, il ne pouvait pas en être certain sans une révé lation, parce qu’il lui a été dit: "Ma grâce te suffit. 3" Car, pour ce qui est de la possi bilité de faillir du côté du libre arbitre, <l’Apôtre> lui-même dit ailleurs: "De peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé."

1. Lieu parallèle I Ad Cor. 13, 8, lect. 3 (éd. Marietti, n°787).

2. EccI (Qo) 9, 1.

3. 2 Co 12, 9.

4. 1 Corinthiens 9, 27.



CHAPITRE 9


Leçon 1 [versets 1 à 5]

42
075 (
Rm 9,1-5)


[n° 736] 1 Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience me rendant témoi gnage dans l’Esprit-Saint,

[n° 737] 2 qu’il y a une grande tristesse en moi, et une douleur continuelle dans mon coeur.

[n° 739] Car je souhaiterais être moi-même anathème du Christ, pour mes frères, qui sont mes parents selon la chair,

[n° 742] "qui sont Israélites, à qui appar tiennent l’adoption des fils, et la gloire, et l’alliance, et la législation, et le culte et les promesses,

[n° 745] à qui appartiennent les pères, et de qui est issu le Christ selon la chair, lui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen.

735. Plus haut, l’Apôtre a démontré la nécessité [n° 97] et la puissance de la grâce [n° 381]; ici il commence à traiter de l’origine de la grâce <et examine> si elle est donnée par la seule élection de Dieu ou par les mérites des oeuvres antécédentes. L’occasion <de traiter de cette question> est due au fait que les Juifs, qui semblaient adonnés au culte divin, étaient déchus de la grâce, tandis que les Gentils étaient admis à la <recevoir>, eux qui auparavant s’étaient tenus à l’écart de Dieu.

Il traite donc en premier lieu de l’élection des nations païennes.

Puis, de la chute des Juifs, au chapitre 10 [n° 813]: "Assurément, frères, la volonté de mon coeur, etc."

À propos de l’élection des nations païennes il fait deux choses

Il commence par rappeler la dignité des Juifs.

Ensuite, il montre comment les nations païennes ont été élevées à cette dignité [n° 748]: "Ce n’est pas que la Parole de Dieu ait failli.

Sur le premier point <l’Apôtre> montre deux choses:

I) Il montre d’abord son affection pour la nation juive, de crainte que ce qu’il dit ou dira contre elle ne semble être l’expression de la haine.

II) Puis, sa dignité [n° 742]: 1 qui sont Israélites, etc.

I. En montrant son affection à l’égard de la nation juive:

A) Il confirme tout d’abord ce qu’il va dire.

B) Ensuite, il prouve son affection [n° 737]: 2 qu’il y a une grande tristesse en moi, etc.

736. — A. Sur le premier point <l’Apôtre> fait deux choses

1. Il confirme en premier lieu ce qu’il va dire par une simple assertion, en disant: 1 Je dis la vérité. Cette manière de parler convient surtout à un prédicateur, qui est le témoin de la vérité: "Ma bouche méditera la vérité 1." — "Aimez la vérité et la paix" Et comme quelquefois on mêle le mensonge à la vérité qu’on profère, afin d’écarter ce <soupçon l’Apôtre> ajoute: je ne mens pas. — "Quittant le mensonge, que chacun dise la vérité à son prochain 3."

2. Puis il confirme ce qu’il va dire par un serment 4 qui est une sorte de confirmation par le témoignage de la vérité infaillible. Quant aux témoins des saints, les voici: premièrement Dieu, selon ce verset de Job: "Voilà que dans le ciel est mon témoin 5." Et c’est pourquoi <l’Apôtre> dit: dans le Christ Jésus, c’est-à-dire par le Christ Jésus, qui est la vérité sans mensonge: "Car le Fils de Dieu, Jésus-Christ, que nous vous avons prêché, moi, Silvain et Timothée, ne fut point oui et non; il n’y a eu que oui en lui 6" Deuxiè mement, le témoin infaillible des saints est leur conscience, aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: ma conscience me rendant témoignage. — "Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoi gnage de notre conscience: nous nous sommes conduits dans ce monde, et plus particulièrement envers vous, avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, et non point selon la sagesse charnelle, mais selon la grâce de Dieu 7." Et puisque la conscience erre quelquefois, si elle n’est redressée par l’Esprit-Saint, <l’Apôtre> ajoute: dans l’Esprit-Saint. — "L’Esprit en personne rend témoignage à notre esprit 8."

737. — B. Lorsqu’il dit: 2 qu’il y a une grande tristesse, etc., <l’Apôtre> montre son affection à l’égard des Juifs par la douleur qu’il éprouvait de leur chute

1) Douleur qu’il commence par exposer.

2) Puis, il en donne le signe, en disant: [n° 739] Car je souhaiterais être, etc.

738. 1. Il souligne l’ampleur de sa douleur de trois manières:

a. En premier lieu, par sa grandeur qu’il y a une grande tristesse en moi, à savoir parce qu’elle a pour motif un grand malheur, la ruine d’une si grande nation "Grande est comme la mer ta ruine 10"

En sens contraire, il semble que ces paroles de l’Ecclésiastique: "Ne donne pas de tristesse à ton âme 11", s’accordent avec l’opinion des stoïciens 12, qui bannissaient absolument la tristesse de l’âme du sage. Car, la tristesse ayant pour objet un mal présent ne peut s’appliquer au sage pour qui aucun mal n’est présent. <Ces philosophes> ne regardaient en effet comme bon que ce qui est honnête 13, et comme mauvais que ce qui est péché.

Mais cette opinion est réfutée de deux manières:

D’abord, parce que les déficiences corporelles, bien qu’elles ne soient pas absolument parlant des maux qui fassent devenir les hommes mauvais, sont cependant des maux tels que la nature les a en aversion. Aussi lit-on que le Seigneur s’en est aussi attristé: "Mon âme est triste jusqu’à la mort 14."

1. Pr 8, 7.

2. Za 8, 19.

3. Ep 4, 25.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2ae, Q. 89, a. 1; 3 Sentences dist. 39, a. 1; Ad Rom. 1, 9, lect. 5 (éd. Marietti, n° 80 et 81).

5. J1 16, 20a.

6. 2 Co 1, 19.

7. 2 Co 1, 12.

8. Rm 8, 16.

9. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2ae, Q. 35, a. 2; 3a, Q. 15, a. 6; Q. 46, a. 6; 3 Sentences dist. 15, Q. 2, a. 3, Q. 1, 2; De veritate, Q. 26, a. 3, sol. 9; a. 4, sol. 4; Super Matth. 26, 38 (éd. Marietti, n° 2224-2226).

10. Lm 2, 13.

11. Eccli (Si) 30, 22.

12. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 46, a. 6, sol. 2; Ethic., 1, lect. 16, éd. Léonine, 1969, vol. I, p. 59, I. 139-142; 3, lect. 18, éd. Léonine, 1969, vol. I, p. 177-178, I. 78-108.

13. Ce qui est honnête", en latin honestum. La notion d’honestum joue un grand rôle dans la morale stoïcienne. Ce terme est en effet celui par lequel Cicéron — l’une des sources principales de notre connaissance du stoïcisme — a traduit ce que Zénon de Cittium (fondateur du stoïcisme) appelait w kalon, "le beau" (au sens à la fois esthétique et moral du terme) " Zénon […] appelait beau (honestum), ce qui était simple, un et bien suprême" (CIcÈR0N, Nouveaux académiques I; Jean BRUN, Les Stoïciens, p. 99; voir également De finibus bonorum et malorum III, 27-29). Honestum pourrait être rendu par " moralement noble" (J. BRuT’s, p. 174).

14. Me 26, 38.

Ensuite, étant donné que l’homme, suivant <le précepte de> la charité, doit aimer son prochain comme lui-même, une douleur louable étreint le sage pour le péché du prochain comme pour son propre péché; c’est ce qui fait dire à l’Apôtre: "Que je n’aie à pleurer beaucoup de ceux qui, ayant déjà péché, n’ont pas fait péni tence des impuretés, des fornications et des impudicités qu’ils ont commises 1." Ainsi donc est réprouvée la tristesse du monde opérant la mort et procédant de l’amour du monde; mais la tristesse qui est selon Dieu, en tant qu’elle procède de la charité divine, opère pour le salut, comme le dit <l’Apôtre> dans la seconde lettre aux Corinthiens 2. Et telle fut ici cette tristesse.

b. En deuxième lieu, <l’Apôtre> souligne l’ampleur de sa douleur par sa continuité; aussi ajoute-t-il: et une douleur continuelle. Non qu’il ressente la douleur par un acte continu, mais de manière habi tuelle: "Je pleurerai jour et nuit les morts de mon peuple 3."

c. En troisième lieu, il souligne l’ampleur de sa douleur par sa vérité, et il dit: dans mon coeur, car <cette douleur> n’était pas superficielle mais enracinée dans son coeur: "Nombreux sont mes gémis sements et mon coeur est triste 4."

739. 2. Lorsqu’il dit: Car je souhaiterais, etc., <l’Apôtre> donne le signe de sa douleur. Car je souhaiterais moi-même, moi qui suis si plein d’ardeur dans la charité du Christ, comme on l’a montré plus haut, être anathème du Christ pour mes frères. Il faut savoir ici que "anathème" est un mot grec et qu’il est composé de aná, qui veut dire "sur", et de thésis, qui veut dire "position", en sorte qu’on appelle anathème ce qui est comme superposé; car lorsque dans un pillage on prenait quelque chose qu’on ne voulait pas laisser à l’usage des hommes, on le suspendait dans le temple. On a coutume jusqu’à ce jour de donner le nom d’anathème à ce qui est séparé de l’usage commun des hommes; d’où ces paroles du livre de Josué "Que cette ville soit anathème, et que tout ce qui s’y trouve <soit consacré> au Seigneur."

740 — L’Apôtre 8 dit donc: Je souhaiterais être moi-même anathème du Christ, c’est-à-dire être séparé de lui; ce qui peut avoir lieu de deux manières:

a. D’abord, par une faute par laquelle on est séparé de la charité du Christ en n’observant pas son précepte: "Si vous m’aimez, gardez mes commandements." L’Apôtre ne pouvait pas souhaiter être anathème du Christ de cette manière pour n’importe quelle cause; cela est de toute évidence, d’après ce qui a été dit au chapitre 8, 35. Car cela s’opposerait à l’ordre de la charité selon lequel on est tenu d’aimer Dieu par-dessus toutes choses et son propre salut plus que le salut des autres. Aussi <l’Apôtre> ne dit-il pas: je souhaite, mais je souhaiterais, c’est-à-dire au

1. 2 Co 12, 21.

2. Voir 2 Co 7, 10.

3. Jr 9, 1. Version de la Vêtus latina, voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. II, p. 660.

4. Lm 1, 22.

5. Lieux parallèles 1 Ad Cor. 12, 3, lect. 1 (éd. Marietti, n°716); Ad Gai. 1, 8, lect. 2 (éd. Marietti, n°24).

6. Le mot "anathème" signifie spécialement chez les écrivains classiques un objet consacré à la divinité, et suspendu aux murs ou aux colonnes d’un temple, ou bien placé dans un endroit remar quable, une sorte d’ex-voto, "Anathème" (anathema) n’est employé dans son acception grecque d’objet offert à la divinité que dans Jdt 16, 23 (Vulgate); 2 M 9, 16 et I 21, 5; dans toutes les autres parties de l’Ancien et du Nouveau Testament, il a une signification particulière qui n’a qu’une analogie éloignée avec sa signification primitive d’objet sacré ou consacré à Dieu. Il traduit l’hébreu heràm, pour lequel la langue grecque n’a aucune expression exactement correspondante. Parce que, chez les païens, ce mot désignait un don offert dans les temples aux faux dieux, les Septante considérèrent sans doute " anathème " (anathema) comme une chose idolâtrique, odieuse au vrai Dieu. Voir à ce propos G. Dorival, dans son intro duction à la traduction de La Bible d’Alexandrie, t. IV, Les Nombres, Éd. du Cerf; 1994, p. 172-173.

7. Josb, 17.

8. Lieux parallèles: S’il. 2a-2 Q. 26, a. 4 et 5; Q. 44, a. 8, sol. 2; 3 Sentences dist. 29, a. 5; De virtut., Q. 2, a. 9; De cantate, Q. 1, a. 11, sol. 6; De perf. spin, vit., o. 14; Ad Philip. 1, 23, lect. 3 (éd. Marietti, n° 35); I1 Ad Tim. 3. 2, lect. 1 (éd. Marietti, n° 91).

9. Jn 14, 15.



temps de l’infidélité. Cependant, selon ce sens, l’Apôtre ne dit rien d’extraordinaire, puisque alors il voulait, même pour lui-même, être séparé du Christ. Et c’est pourquoi une Glose 1 applique ces mots: il y a une grande tristesse en moi, à celle que lui faisait éprouver l’état passé de son péché, état dans lequel il avait voulu être séparé du Christ.

b. Puis, on peut être séparé du Christ, c’est-à-dire de la jouissance du Christ qu’on possède dans la gloire. C’est de cette manière que l’Apôtre voulait être séparé du Christ pour le salut des Gentils, à plus forte raison pour la conversion des juifs, selon ce verset de l’épître aux Philippiens: "Désirant d’être dissous et d’être avec le Christ, chose bien meilleure <pour moi>; et de demeurer dans la chair, chose néces saire pour vous 2" C’est donc ainsi qu’il disait: je souhaiterais, à savoir si c’était possible, être anathème, c’est-à-dire séparé de la gloire, ou absolument ou pendant un temps, pour l’honneur du Christ, qui résulte de la conversion des Juifs, selon ces paroles des Proverbes: "Dans la multitude du peuple est la dignité d’un roi 3." D’où ce que dit Jean Chrysostome dans son ouvrage De la componction du coeur 4: "L’amour a tellement dominé toute son âme que même ce qui lui était plus aimable que tout, c’est-à-dire d’être avec le Christ, il en arriverait à le mépriser pour plaire au Christ, et pareillement pour le royaume des cieux, qui semblait devoir être la récom pense de ses labeurs, il s’exposerait tout aussi bien à y renoncer pour le Christ."

741. L’Apôtre montre la cause d’un si grand effet, en ajoutant: pour mes frères. Aussi est-il dit dans l’Ecclésiastique que "trois choses sont approuvées devant Dieu et devant les hommes la concorde des frères; l’amour des proches; un mari et une femme qui s’accordent bien ensemble 5." Et pour qu’on n’entende pas ces paroles de ceux qui étaient spirituel lement frères dans le Christ, selon ce passage de Matthieu: "Vous êtes tous frères 6", <l’Apôtre> ajoute: qui sont mes parents selon la chair. — "Ils sont de la semence d’Abraham? Moi aussi 7."

742. — II. En disant: "qui sont Israélites, <l’Apôtre> montre la dignité des Juifs, pour que sa tristesse semble être raisonnable en raison de l’antique dignité du peuple qui périssait — "C’est en effet un malheur plus considérable d’avoir perdu sa dignité que de ne l’avoir jamais eue", commente la Glose 8— et ne pas procéder seulement de son affection charnelle.

743. Il montre leur dignité de quatre manières:

A. En premier lieu, quant à leur nation, lorsqu’il dit: qui sont Israélites, c’est-à-dire descendants de la race de Jacob, qui fut appelé Israël: "On ne t’appellera plus, dit-il, du nom de Jacob, mais du nom d’Israël", et encore: "Ils sont Israélites et moi aussi" Et cela concerne la dignité, puisqu’il est dit "Il n’est pas d’autre nation, si grande qu’elle soit, qui ait des dieux s’approchant d’elle, comme notre Dieu, qui est présent à toutes nos prières 11"

1. Voir Glosa in Rom. IX, 3 (GOS, t. IV, p. 293a).

2. Ph 1, 23-24.

3. Pr 14, 28.

4. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Ad Demerrium de compunctione liber 1, 7 (PG 47, 405). —Lieu parallèle Somme Théologique 2a-2ae, Q. 182, a. 2.

5. Eccli (Si) 25, 1-2.

6. Mt 23, 8.

7. 2 Corinthiens 11, 22.

8. Glosa in Rom. IX, 4 (GPL, col. 1454 D).

9. Gn 32, 28.

10. 2 Co 11, 22.

11. Dt 4, 7.



744. — B. En deuxième lieu 1, il montre la dignité de cette nation quant aux bienfaits de Dieu, parmi lesquels <l’Apôtre> place au premier rang les bienfaits spirituels, dont l’un regarde le présent.

1. Et il dit à ce propos: à qui appar tiennent l’adoption des fils. C’est dans ce sens qu’il est écrit dans l’Exode: "Mon fils premier-né est Israël 2" Ces paroles s’appliquent aux hommes spirituels qui firent partie de ce peuple. Quant aux charnels, <l’Apôtre> a indiqué plus haut 3 qu’ils ont reçu "un esprit de servitude selon la crainte."

2. Il énumère encore un autre bienfait qui regarde l’avenir, lorsqu’il dit: et la gloire, à savoir celle des fils de Dieu, qui fut promise aux Juifs, et en signe de laquelle on lit dans l’Exode que "la gloire du Seigneur remplit la tente (tabernaculum) 4".

3. <L’Apôtre> énumère ensuite les bienfaits figuratifs, dont trois sont la des bienfaits spirituels du temps présent:

a. Le premier d’entre ceux-ci est l’alliance (testamentum), c’est-à-dire le pacte de la circoncision donné à Abraham, comme on le rapporte dans la Genèse 5, bien que ce mot puisse se rapporter à l’Alliance nouvelle (Testamentum novum), qui a d’abord été annoncée aux Juifs 6. Ce qui faisait dire au Seigneur: "Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël 7." Et Jérémie disait <déjà>: "Je ferai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël 8."

b. Le deuxième bienfait est la Loi donnée à Moïse, aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: la législation. — <Il est écrit dans> l’Ecclésiastique: "Moïse a donné la loi avec les préceptes de la justice, l’héritage pour la maison de Jacob et les promesses faites à Israel 9."

c. Le troisième bienfait est le culte divin: et le culte, à savoir par lequel <les Juifs> servaient Dieu, tandis que toutes les autres nations servaient les idoles: "Et maintenant écoute, Jacob mon serviteur, et Israël que j’ai choisi 10."

4. <L’Apôtre> expose ensuite ce qui appartient à la gloire future, en disant: et les promesses. Car les promesses faites dans l’ancienne Alliance et accomplies par le Christ semblent avoir été faites principa lement aux Juifs. D’où ce que Paul dira plus loin: "je dis que le Christ Jésus a été le ministre de la circoncision, pour montrer la véracité de Dieu, pour confirmer les promesses faites aux pères 11." Or beaucoup de promesses leur ont été faites touchant des biens temporels, comme on le voit dans le Lévitique 12 et dans le Deuté ronome 13, mais par ces biens temporels étaient figurés des biens spirituels.

745. — C. En troisième lieu, <l’Apôtre> décrit la dignité des Juifs par leur origine, lorsqu’il dit: à qui appartiennent les pères, c’est-à-dire que selon la chair ils ont été engendrés de ces pères, qui furent très agréables à Dieu "Il a aimé tes pères et il a choisi leur semence 14" — "J’ai vu leurs pères comme les premiers fruits au sommet d’un figuier 15."

1. Lieu parallèle: Somme Théologique Ia-2 Q. 98, a. 4.

2. Ex 4, 22.

3. Voir Rm 8, 15.

4. Ex 40, 32.

5. Voir Gn 17, 2.

6. Voir Glosa in Rom. IX, 4 (GPL, col. 1455 A).

7. Mt 15, 24.

8. Jr 31, 31.

9. Eccli (Si) 24, 33.

10. Is 44, 1.

11. Rm 15, 8.

12. Voir Lv 26, 3."

13. Voir Dt 28, 1-14.

14. Dt 4, 37.

15. Os 9, 10.



746. — D. En quatrième lieu, il montre leur dignité par leur descendance, en disant: de qui est issu le Christ selon la chair, comme <le Seigneur> le dit lui-même "Le salut vient des Juifs. 1"

747. Mais de peur que cet avantage ne soit pas estimé à sa juste valeur, <l’Apôtre> montre la dignité du Christ, en disant: lui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen. — "C’est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle 2." Quatre hérésies sont réfutées par ces paroles:

1. D’abord, l’hérésie des manichéens 2, qui prétendaient que le Christ n’avait eu qu’un corps fantomatique et non véritable; ce que <l’Apôtre> réfute en disant: selon la chair. Car <le Christ> a une véritable chair selon ces paroles de Luc: "Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai"

2. Puis, l’hérésie de Valentin qui prétend que le Christ n’a pas pris un corps

de la masse du genre humain, mais qu’il l’a apporté du ciel. Opinion que <l’Apôtre> réfute en disant: que le Christ est issu des Juifs selon la chair, d’après ce passage de Matthieu: "Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham 6"

3. Ensuite, l’hérésie de Nestorius, qui prétendait qu’autre est le Fils de l’homme, autre le Fils de Dieu. C’est à l’encontre de cette opinion que l’Apôtre dit ici que <le Christ> est issu des pères selon la chair, lui qui est Dieu au-dessus de toutes choses.

4. Enfin, est réfutée l’hérésie d’Arius 8, qui soutenait que le Christ est inférieur à son Père et qu’il a été créé du néant. A l’encontre de la première de ces erreurs <l’Apôtre> dit qu’il est au-dessus de toutes choses; à l’encontre de la seconde, qu’il est Dieu béni dans tous les siècles. Car c’est de Dieu seul que l’on doit dire que sa bonté perdure dans les siècles.

1. Jn 4, 22.

2. 1 Jn 5, 20.

3. Voir SAINT AUGUSTIN, De haeresibus XLVI (CCL 46, 318). Lieux parallèles: Ad Rom. 1, 3 (éd. Marietti, n°41); 7, 18 (éd. Marietti, n° 575); 4 Contra Gentiles c. 29.

4. Lc 24, 39.

5. "Valentin (II’ siécle, mort en 161). Né en Égypte, il vient â Rome où le pape Hygin l’excommunie. C’est l’un des plus grands représentants de la "gnose", hérésie des premiers siècles de l’Eglise. Ses écrits ont disparu; nous pouvons nous en faire quelque idée à travers leur réfutation par Irénée et Hippolyte. La doctrme gnostique est très complexe. Autant que nous pouvons la reconstituer, elle affirme un Dieu supérieur, un monde intermédiaire d’éons qui forment le Plèrôme, et un monde inférieur celui de la matière. Le christ est un "éon°, esprit émané de l’Intelligence éternelle, qui descend pour racheter l’homme; il s’unit au Jésus du monde infé rieur" (Somme de théologie, Paris, Ed. du Cerf; 1990, t. I, p. 140).

Voir SAINT AUGIJSTIN, De haeresibus XI (CCL 46, 295-296).

Lieu parallèle: 4 Contra Gentiles c. 30. 6. Mt 1, 1.

7. Voir SAINT CYRILLE D’ALEXANDRIE, Epistula XVII, 70 (PG 77, 112). — Lieux parallèles: Ad Rom. 1, 3 (éd. Marietti, n° 35)

4. Contra Gentiles c. 34.

8. Voir SAINT AUGUSTIN, De haeresibus XLIX (CCL 46, 320-322).

Lieux parallèles Ad Rom. 1, 3 (éd. Marietti, n° 36); 1, 14 (éd. Marietti, n° 92); 4 Contra Gentiles c. 6.



Thomas A. sur Rm (1999) 41