Thomas A. sur Rm (1999) 45

Leçon 4 [versets 19 à 23]

45
075 (
Rm 9,19-23)


[n° 787] 19 Tu me diras donc: Pourquoi cherche-t-il encore ? car qui résiste à sa volonté?

[n° 788] 20 0 homme, toi qui es-tu, pour répondre à Dieu? Le vase d’argile dit-il à celui qui l’a façonné Pourquoi m’as-tu fait ainsi?

[n° 791] 21 Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur, et un autre d’ignominie?

[n° 792] 22 Que si Dieu voulant montrer sa colère, et faire connaître sa puissance, a supporté avec beaucoup de patience les vases de colère propres à la destruction,

[n° 794] 23 afin de montrer les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire.

786. Après avoir donné la solution à la question posée [n° 765], l’Apôtre fait une objection contre cette solution, et en parti culier contre la dernière conclusion, où il est dit: "Il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut."

I) Il commence par formuler son objection.

II) Puis, il en donne la solution [n° 788]: 20 O homme, toi qui es-tu, etc.

787. — I. Il commence 1 donc par dire:

On a établi que Dieu "a pitié de qui il veut", et qu’" il endurcit qui il veut." 19 Tu me diras donc. Pourquoi cherche-t-il encore? c’est-à-dire pourquoi faut-il chercher davantage à propos de la cause des biens et des maux dont il est question ici, étant donné que toutes choses sont attribuées à la volonté divine, qui est la cause suffi sante, puisque rien ne peut lui résister? Aussi <l’Apôtre> poursuit-il <en disant:> qui résiste à sa volonté? — "J’ai appliqué mon esprit à chercher et à examiner sagement tout ce qui se fait sous le soleil 2." Ou bien autrement 3: Pourquoi cherche-t-il encore?, c’est-à-dire pourquoi Dieu se plaint-il des hommes quand ils pèchent, comme il le fait dans <le livre d’>Isaïe: "J’ai nourri des fils et je les ai élevés, mais eux m’ont méprisé 4." Or <Dieu> semble n’avoir plus sujet de se plaindre justement, puisque tout procède de sa volonté, à laquelle rien ne peut résister. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: qui résiste à sa volonté? Ou bien: Pourquoi cherche-t-il encore?, c’est-à-dire <pourquoi s’en quiert-il> auprès de l’homme, pour savoir s’il fait le bien ou s’il évite le mal? — "Je t’indiquerai, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur requiert de toi: C’est de pratiquer la justice, d’aimer la miséri corde et d’être vigilant à marcher avec ton Dieu 5." Car on requiert vainement de quelqu’un ce qui n’est pas en son pouvoir. Or, d’après ce qui a été dit, il semble que rien ne soit au pouvoir de l’homme, puisque toutes choses semblent être attribuées à la volonté divine, à laquelle on ne peut résister. <D’où ce qui> suit: car qui résiste à sa volonté? Comme s’il disait Personne.

1. Lieux parallèles Somme Théologique Ia, Q. 19, a. 8, sol. 2; De veritate, Q. 6, a. 3, sol. 3.

2. Eccl. (Qo) 1, 13.

3. Voir Glosa in Rom. IX, 19 (GPL, col. 1464 B).

4. Is 1, 2.

5. Mi 6, 8.

"Il n’est personne qui puisse résister à ta volonté 1." Telle est, semble-t-il, l’intention de l’Apôtre.

788. Ensuite lorsqu’il 2 dit: 20 ô homme, toi qui es-tu, etc., <l’Apôtre> répond à la question posée. Pour saisir le sens de cette réponse, il faut considérer qu’à l’égard de l’élection des bons et de la réprobation des mauvais, on peut soulever une double question. La première est une question générale: pourquoi Dieu veut-il endurcir les uns et avoir pitié des autres ? L’autre est une question particulière: pourquoi veut-il avoir pitié de celui-ci et endurcir un tel ou un tel? On peut donner une explication à <la première> question; tandis qu’à la seconde on ne peut donner d’autre explication que la volonté absolue de Dieu, qui apparaît manifestement dans les choses humaines. Par exemple, si quelqu’un, voulant bâtir, rassemblait un grand nombre de pierres semblables et égales, on pourrait donner la raison pour laquelle il place des pierres au sommet, et d’autres en bas, aux extrémités: c’est que pour la perfection de l’édifice qu’il a l’intention d’élever, il faut des fondations, donc des pierres en bas, et un faîte, ce qui suppose des pierres au sommet. Mais la raison pour laquelle il place telles pierres au sommet et telles pierres en bas il n’y en a pas d’autre que la volonté du maçon.

A) L’Apôtre commence donc par répondre à la difficulté de la seconde question, à savoir pourquoi <Dieu> prend pitié de celui-ci et endurcit celui-là.

B) Ensuite, à la première question, à savoir pourquoi il prend pitié des uns et endurcit les autres [n° 792] 22 Que si Dieu voulant, etc.

A. Sur la première de ces questions, <l’Apôtre> fait trois choses

1) Il reprend d’abord la présomption de celui qui pose la question.

2) Puis, il cite l’autorité <scripturaire> qui en donne la solution [n° 790]: Le vase d’argile dit-il à celui qui l’a façonné, etc.

3) Enfin, il explique cette autorité <scripturaire> [n° 791] 21 Le potier n’a-t-il pas le pouvoir, etc.

789. 1. <L’Apôtre> dit donc: Ô homme, toi qui es fragile et ignorant, toi, qui es-tu, pour répondre à Dieu? Suffit-il de lui répondre s’il veut entrer en discussion avec toi? — "S’il veut entrer en discussion avec lui, il ne pourra répondre une chose sur mille." Et comme il est dit dans ce même livre de Job "Celui qui reprend Dieu doit lui répondre ‘l" Par là il nous est donné de comprendre que l’homme ne doit pas scruter la raison des jugements divins avec l’intention de les pénétrer, parce qu’ils excèdent la raison humaine: "Les choses qui sont au-dessus de toi, ne les cherche pas." — "Celui qui scrute la majesté sera opprimé par la gloire"

790. — 2. Quand 7 <l’Apôtre> dit: Le vase d’argile dit—il, etc., il cite l’autorité <scripturaire> d’Isaïe: "L’argile dit-elle à son potier: "Que fais-tu? et ton ouvrage est sans mains 8 !"

1. Est 13, 9.

2. Lieux parallèles: 1 Sentences dist. 40, Q. 1 à 4; 2 Sentences dist. 34, Q. 1, a. 3; dist. 37, Q. 2, a. 1; Somme Théologique 1a Q. 23; Q. 48, a. 6; Q. 49, a. 2; 1a-2ae l; 2 c. 162, 163; De veritate, Q. 6; De malo, Q. 3, a. 1.

3. Jb 9, 3.

4. Jb 39, 32.

5. Eccli (Si) 3, 22.

6. Pr 25, 27.

7. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 47, a. 1; 2 Contra Gentiles c. 39 à 45; 3 Contra Gentiles c. 97; Depotent., Q. 3, a. 1, sol. 9; a. 5; a. 16; Compend. theol., c. 71, 72 et 102; Super Metaphys. 12, lect. 2 (éd. Marietti, n° 2424-2440); Super libnum De causis, leçt. 24 (éd. Marietti n° 390-400).

8. Is 45, 9b.



Il faut ici considérer que si un artisan fait d’une matière vile un vase beau et apte à de nobles usages, le tout est attribué au talent de l’artisan, par exemple si avec de l’argile il fait de beaux plateaux et de belles cruches pour orner une table. Mais si d’une vile matière, par exemple avec de l’argile, il fait un vase apte à des usages grossiers, comme à celui de la cuisine ou à des emplois semblables, ce vase, eût-il l’usage de la raison, ne pourrait se plaindre. Il le pourrait, au contraire, si avec de la matière précieuse mise à la disposition du travail de l’artisan, par exemple si avec de l’or et des pierres précieuses, il faisait un vase destiné à de vils offices. Or la nature humaine tient sa bassesse de sa propre matière, parce que, selon ce qui est dit dans la Genèse: "Dieu forma l’homme du limon de la terre 1", mais elle est plus grande encore par la corruption du péché, qui entra dans ce monde par un seul homme. Voilà pourquoi l’homme est à juste titre comparé à de l’argile dans le livre de Job: <Je suis comparable à l’argile, je suis assimilable à la braise et à la cendre 2." Donc tout ce que l’homme a de bien, il doit l’attribuer à la bonté divine comme à l’agent principal "Maintenant, Seigneur, toi, tu es notre père; mais nous de l’argile, et tu nous as formés, et nous sommes tous l’ouvrage de tes mains 3." Que si Dieu n’élève pas l’homme à de plus hautes destinées, mais que le laissant dans sa faiblesse, il le destine à un usage commun, il ne lui fait aucune injure dont il puisse se plaindre légiti mement à lui.

791. 3. Lorsque <l’Apôtre> ajoute: 21 n’a-t-il pas le pouvoir, etc., l’Apôtre explique les paroles du prophète. Autrement dit, il a été dit: Le vase d’argile, ne pourrait pas dire au potier: Pourquoi m’as-tu fait ainsi? parce que le potier a le libre pouvoir de faire avec la matière de l’argile n’importe quelle oeuvre qui lui plaît. Aussi <l’Apôtre> dit-il: n’a-t-il pas le pouvoir, entendez le libre pouvoir, le potier, c’est-à-dire celui qui oeuvre avec de la vile matière, de faire de la même masse, à savoir de cette matière vile, sans causer de tort à quiconque, un vase d’honneur, c’est-à-dire destiné à des usages honorables, et un autre d’ignominie, c’est-à-dire destiné à des usages vils: "Au reste, dans une grande maison il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et d’argile; à la vérité, les uns sont des vases d’honneur, mais les autres d’ignominie 4." Et semblablement Dieu a le libre pouvoir de faire, sans causer de tort à quiconque, de la même matière corrompue du genre humain, comme avec une sorte d’argile, quelques hommes destinés à la gloire, en laissant d’autre part les autres dans leur misère: "Comme l’argile est dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, maison d’Israël 5."

792. — B. Quand <l’Apôtre> 6 dit: 22 Que si Dieu voulant, etc., il résout la première question, à savoir pourquoi Dieu veut avoir pitié de quelques-uns et délaisser les autres dans leur misère, ou bien choisir les uns et réprouver les autres. Sur ce point il faut considérer que la fin de toutes les oeuvres divines est la manifestation de la divine bonté: "Le Seigneur a opéré toutes choses pour lui-même 7." Aussi a-t-on dit plus haut que "<les perfections> invisibles <de Dieu> sont rendues visibles à l’intelli gence par ses oeuvres 8." Or telle est l’excel lence de la bonté de Dieu, qu’elle ne peut être suffisamment manifestée ni d’une seule manière ni dans une seule créature. C’est pourquoi <Dieu> a formé diverses créa tures, dans lesquelles <sa bonté> se mani feste diversement, mais principalement dans les créatures raisonnables. Chez ces dernières sa justice se manifeste envers celles qu’il punit selon leurs mérites, et sa miséricorde dans celles qu’il libère par sa grâce. Ainsi, afin que chacun de ces attributs soit manifesté dans les hommes, Dieu en a libéré miséricordieusement quelques-uns, mais non point tous.

1. Gn 2, 7.

2. Jb30, 19.

3. Is 64, 8.

4. 2 Tm 2, 20.

5. Jr 18, 6.

6. Lieu parallèle Somme Théologique Ia, Q. 23, a. 5, sol. 3.

7. Pr 16, 4.

8. Rm 1, 20a.



L’Apôtre expose donc:

1) En premier lieu la raison de la répro bation des méchants.

2) Puis, celle de l’élection des bons [n° 794]: 23 afin de montrer les richesses de sa

gloire, etc.

793. 1. Or il y a en chacune d’elles une triple différence à remarquer:

a) La première à l’égard de la fin.

b) La deuxième à l’égard de l’usage.

c) La troisième à l’égard de l’acte divin.

a. La fin de la réprobation ou de l’endurcissement des méchants est la mani festation de la justice divine et de sa puis sance. <L’Apôtre> l’indique en disant: Que, c’est-à-dire mais, si Dieu voulant montrer sa colère, c’est-à-dire sa justice vindicative. Car on ne dit pas que la colère 1 soit en Dieu selon le trouble de la passion, mais selon un effet de la vengeance qui punit. C’est ainsi qu’il est dit plus haut "Du ciel, en effet, se révèle la colère de Dieu contre toute impiété et injustice de ces hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans l’injustice 2." Et <l’Apôtre> ajoute: et faire connaître sa puissance, parce que non seulement Dieu a recours à sa colère, c’est-à-dire à sa vengeance, en punissant ceux qu’il a soumis, mais aussi à sa puissance en se les soumettant: "Avec cette force qu’il a de pouvoir se soumettre toutes choses 3." — "Ils virent les Egyptiens morts sur le rivage de la mer, et la main puissante qu’avait étendue le Seigneur contre eux 4."

b. L’usage des méchants, celui pour lequel Dieu se sert d’eux, c’est la colère, c’est-à-dire la peine. Voilà pourquoi <l’Apôtre> les appelle vases de colère, c’est-à-dire des instruments de justice, dont Dieu se sert pour montrer sa colère, c’est-à-dire sa justice vindicative: "Nous étions par nature fils de la colère tout comme les autres 5."

c. Enfin l’acte que Dieu exerce à leur égard n’est pas qu’il les dispose au mal, car ils ont d’eux-mêmes cette disposition par la corruption du premier péché. Ce qui fait dire à <l’Apôtre>: vases de colère propres à la destruction, c’est-à-dire ayant en eux l’aptitude à la damnation éternelle: "Dieu voyant que la malice des hommes était grande sur la terre et que toutes les pensées de leurs coeurs étaient tournées au mal en tout temps, se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre; et touché de douleur jusqu’au fond du coeur: "J’exterminerai, dit-il, l’homme que j’ai créé, de la face de la terre 6." Or Dieu ne fait à leur égard que de les laisser agir selon leurs convoitises. Aussi <l’Apôtre> dit-il expressément: a supporté. Ce qui démontre sa patience, c’est qu’il n’en tire pas aussitôt vengeance. C’est pourquoi il ajoute: avec beaucoup de patience. — "Le Très-Haut est un patient rénumérateur 7."

794 — 2.Ensuite, <l’Apôtre> 8 expose cette triple différence chez les bons:

1. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 19, a. 11, sol. 2; 1a-2ae Q. 47, a. 1, sol. 1; 3 Sentences dist. 1, Q. 1, a. 2, sol. 4; 1 Contra Gentiles c. 89; Super Psalmos, in Ps. 5, lld; 17, 9; 17, 16; 26, 9a; 37, 2.

2. Rm 1, 18.

3. Ph 3, 21b.

4. Ex 14, 31.

5. Ep 2, 3.

6. Gn 6, 5-7a.

7. Eccli (Si) 5, 4.

8. Lieux parallèles sur la question Dieu veut-il le mal? Somme Théologique Ia, Q. 19, a. 9; Q. 48, a. 6; lSentences dist. 46, a. 4; lContra Cenr., c. 95; Depotent., Q. 1, a. 6; De malo, Q. 2, a. 1, sol. 16. Sur la question/ Dieu aime-t-il toutes choses Somme Théologique P, Q. 20, a. 2; Q. 23, a. 3; 1a Q. 110, a. 1; 2 Sentences dist. 26, a. 1; 3 Sentences dist. 32, a. 1 et 2; 1 Contra Gentiles c. 91; 3 Contra Gentiles c. 150; De veritate, Q. 27, a. 1; Devirtut., Q. 2, a. 7, sol. 2; Super Ioan., 5, 20a, lect. 3 (éd. Marietti, n° 753); De div. nom. 4, lect. 9. — Sur la question: Trouve-t-on dans toutes les oeuvres de Dieu la miséricorde et la justice? Somme Théologique Ia, Q. 21, a. 4; 4 Sentences dist. 46, Q. 2, a. 2, Q. 2; 2 Contra Gentiles c. 28; De veritate, Q. 28, a. 1, sol. 8; Super Psalmos, in Ps. 24; Ad Rom. 15, 9, lect. 1 (éd. Marietti, n° 1157).



a. En premier lieu la fin, lorsqu’il dit: 23 afin de montrer les richesses de sa gloire.Car la fin de l’élection et de l’effet ou de l’usage de la miséricorde (miseratio) 1 à l’égard des bons est de manifester en eux l’abondance de sa bonté, en les retirant du mal, en les attirant à la justice et fina lement en les conduisant à la gloire. Voilà pourquoi <l’Apôtre> dit: afin de montrer les richesses de sa gloire, richesses dont il a parlé plus haut: "Méprises-tu les richesses de sa bonté 2?" — "Dieu qui est riche en miséricorde 3." Et il dit expressément: afin de montrer les richesses de sa gloire, parce que la condamnation elle-même et la réprobation des méchants, qui est selon la justice de Dieu, manifestent et exaltent la gloire des saints, qui sont libérés d’une semblable misère.

b. En deuxième lieu il décrit leur usage, lorsqu’il dit: sur les vases de miséricorde. Il appelle les bons vases des vases de miséri corde, parce que Dieu se sert d’eux comme des instruments pour manifester sa miséricorde: "Ceux-ci, au contraire, sont des hommes de miséricorde 4."

c. En troisième lieu il expose l’acte que Dieu accomplit à leur égard. Car Dieu ne les supporte pas seulement, comme si d’eux-mêmes ils étaient aptes pour le bien, mais il les prépare et les dispose en les appelant à la gloire. Aussi <l’Apôtre> dit-il: qu’il a préparés pour la gloire. — "Toi qui disposes les montagnes dans ta puissance 5."

795. La construction a été jusqu’ici elliptique et suspensive, en sorte que le sens est celui-ci: Si Dieu, voulant agir ainsi, a pitié des uns et endurcit les autres, que pourra-t-on dire avec raison contre cette disposition? Comme si <l’Apôtre> disait Rien. Car il n’endurcit pas ceux qu’il veut endurcir, de telle manière qu’il les contraint à pécher, mais il les supporte, de telle sorte que selon leur inclination ils tendent vers le mal 6.

1. Voir n° 785.

2. Rm 2, 4.

3. Ep2, 4.

4. Eccli (Si) 44, lOa.

5. Ps 64, 7.

6. Dans cette leçon 4, et déjà dans la précédente, saint Thomas traite de questions qui ressortissent à ce que, depuis Leibniz, on appelle " théodicée " (de theos, "Dieu", et diké, " justice", "justifi cation"). Cette discipline s’emploie à concilier la bonté divine avec l’existence du mal, et donc à justifier Dieu. La sensibilité contem poraine répugne à ce genre d’exercice où elle voit plutôt plaidoirie d’avocat que recherche de la vérité. Tel n’est pas le souci de saint Thomas. Les théses qu’il combat (voir les textes indiqués à la note 8, p. 362), loin de chercher à accuser Dieu d’avoir voulu le mal, inclinent à lui en faire gloire, ou, du moins, y reconnaissent l’effet logique de sa toute-puissance. Ce n’est donc nullement un souci de justifier ou d’innocenter Dieu qui inspire saint Thomas dans le commentaire de ces difficiles passages de saint Paul, c’est un souci de cohérence doctrinale et de vérité objective: n’oublions jamais qu’il y a une grande différence entre la sensibilité des hommes d’autrefois, soumis à l’inévitable imperfection des choses, voyant dans les malheurs qui les frappent de justes châtiments divins, ou dans l’inégalité des conditions sociales un ordre providentiel, et la sensibilité de l’homme modeme qui se veut essentiellement révolté, innocent et égalitariste. Cela dit, nous résumerons la position de saint Thomas sous la forme suivante 1) il est exclu que Dieu, qui est le Bien suprême, puisse vouloir le mal, moral ou spirituel (le péché), qui est la négation directe du bien, donc de lui-même; mais il le permes, eu égard à la liberté humaine; 2) Dieu veut d’une certaine manière que le mal de la peine soit en vue du bien du pécheur ainsi corrigé, soit en vue du bien de sa justice ainsi mani festée; 3) Dieu veut d’une certaine manière le mal dans la nature en tant qu’il est exigé par le maintien et l’équilibre de l’ordre universel mais saint Thomas reconnaît que si la considération de l’ordre universel offre une réponse (et peut-être la seule) à la question que pose l’existence du mal naturel, elle ne permet pas de répondre à la question Pourquoi tel être en est-il atteint et pas tel autre ? Et de même, pour ce qui est de l’ordre de la grâce, faut-il avouer notre ignorance et s’incliner devant la Volonté inscrutable de Dieu (voir n°788).


Leçon 5 [versets 24 à 33]

46
075 (
Rm 9,24-33)


[n° 797] 24 Ainsi nous a-t-il appelés non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les nations païennes,

[n° 798] 25 Comme il dit dans Osée: "Qui n’est pas mon peuple je l’appellerai mon peuple et bien-aimée qui n’est pas la bien-aimée; et celle qui n’a pas obtenu miséricorde, <je l’appellerai> objet de miséricorde.

[n° 800] 26 Et il arrivera que dans le lieu où il leur a été dit: Vous n’êtes pas mon peuple, là même ils seront appelés les fils du Dieu vivant."

[n° 801] 27 D’autre part, Isaïe s’écrie à l’égard d’Israêl: "Quand le nombre des fils d’Israël serait comme le sable de la mer, le reste sera sauvé.

[n° 803] 28 Car le Seigneur accomplit sa parole pleinement et l’abrège dans l’équité; oui il abrégera sa parole sur la terre";

[n° 806] 29 et comme Isaïe l’avait prédit: "Si le Seigneur Sabaoth ne nous avait laissé une semence, nous serions devenus Sodome et nous aurions été semblables à Gomorrhe.

[n° 807] 30 Que dirons-nous donc? Que les nations païennes qui ne poursuivaient pas la justice ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi.

[n° 809] 31 Tandis qu’Israël en suivant la loi de justice, n’est point parvenu à la loi de la justice.

[n° 810] 32 Pourquoi? Parce que ce n’est point par la foi, mais comme par les oeuvres; car ils ont achoppé contre la pierre d’achop pement,

[n° 812] comme il est écrit "Voici que je pose en Sion une pierre d’achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en lui ne sera point confondu."

796. L’Apôtre, après avoir montré que la grâce de Dieu est donnée aux hommes d’après la divine élection, par laquelle ils sont appelés à cette grâce [n° 748], montre ici que cette même élection ou vocation n’appartient pas seulement aux Juifs (comme eux-mêmes pouvaient s’en glorifier, selon ce qui est dit dans le Deutéronome: "Il a aimé tes pères 1"), mais aussi aux nations païennes.

I) Et il commence par exposer son intention.

II) Puis, il prouve sa proposition [n° 798]: 25 Gomme il dit dans Osée, etc.

III) Enfin, il déduit de ce qu’il a dit une conclusion [n° 807]: 30 Que dirons-nous donc, etc.

797. — I. Il dit donc d’abord: On a annoncé que Dieu a préparé ses saints pour la gloire, et qu’il les 26 a appelés, à savoir par la grâce, non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les nations païennes. <L’Apôtre disait> plus haut: "Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement 2 ?" <Et il est écrit dans le livre de> Sophonie: "Les hommes l’adoreront, <chacun> en son lieu, <ainsi que> toutes les îles des nations 3."

1. Dt 4, 37.

2. Rm 3, 29.

3. So2, 11.

798. — II. Lorsqu’il ajoute: 25 Comme il dit dans Osée, etc., il prouve sa proposition

A) Et premièrement, quant aux Gentils.

B) Puis, quant aux Juifs [n° 801] 27 D’autre part, Isaïe s’écrie, etc.

A. À l’égard des Gentils, il cite deux passages d’Osée parlant en leur faveur

1) Le premier leur promet les dons de Dieu.

2) Le second la filiation divine elle-même [n° 800]: 26 Et il arrivera que dans le lieu où il leur a été dit, etc.

799. 1. Il commence donc par dire:

Comme, le Seigneur, dit dans Osée, parce que c’était <le Seigneur> lui-même qui parlait dans les prophètes: "L’Esprit du Seigneur s’est exprimé par moi, et sa parole par ma langue 1." Et c’est pourquoi il est dit dans <le livre d’>Osée: "Commence ment des paroles du Seigneur par Osée 2." Il faut considérer que les Gentils étaient étrangers à trois privilèges qui distinguaient les Juifs

a. Le premier d’entre eux était le culte de Dieu, et c’est pour cette raison que les Juifs étaient appelés peuple de Dieu, comme le servant et obéissant à ses préceptes. Aussi est-il dit dans un psaume: "Nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage 3." Mais les Gentils étaient étrangers à la société de ce peuple, selon ce verset de l’épître aux Ephésiens: "En ce temps—là vous étiez sans Christ, séparés de la cité d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse 4" Mais par le Christ ils sont devenus le peuple de Dieu: "Il s’est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire un peuple pur, agréable et zélé pour les bonnes oeuvres 5." C’est ce que dit <l’Apôtre>: Qui n'est pas mon peuple je l’appellerai, c’est-à-dire la gentilité qui n’était pas mon peuple, mon peuple, c’est-à-dire afin qu’elle soit mon peuple.

b. Le deuxième privilège est celui de l’amour d’élection: "Le Seigneur aime les enfants d’Israël 6" en ceci qu’il leur accordait un grand nombre de bienfaits pour les conduire à une grâce spéciale. Or les Gentils étaient autrefois exclus de cet amour de dilection: "ils ont été étrangers à la vérité de Dieu à cause de l’ignorance qui est en eux." Et c’est pourquoi il dit: et qui n’est pas la bien-aimée, c’est-à-dire la gentilité, je l’appellerai ma bien-aimée.

"Vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches dans le sang du Christ."

"Lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils."

c. Le troisième privilège est l’affran chissement du péché originel qui était accordé aux Juifs dans la circoncision: "Le Seigneur aura pitié de Jacob" Mais les Gentils ne participaient pas à <cet effet ou à cet usage de> la miséricorde: "Quand tu es née, au jour de ta naissance ton cordon n’a pas été coupé" Et plus loin encore "Aucun oeil, ayant pitié de toi, n’a cherché à te faire une seule de ces choses 12" Mais par la suite <les Gentils> ont obtenu misé ricorde par le Christ. Voilà pourquoi <l’Apôtre> ajoute: et celle qui n’a pas obtenu miséricorde, <je l’appellerai> objet de miséricorde. — <Il nous a sauvés selon sa miséricorde 13"

Ce passage figure au chapitre 2 du prophète Osée, selon la Septante 14; et en cet endroit notre version lit: "J’aurai pitié de celle qui fut sans miséricorde; et je dirai à mon non-peuple:


1. 2 R (2") 23, 2.

2. Os 1, 2.

3. Ps 94, 7. Version du Psautier romain; voir éd. Dom Robert Weber, p. 235.

4. Ep 2, 12.

5. Tt 2, 14.

6. Os 3, 1.

7. Ep 4, 18.

8. Ep 2, 13.

9. Rm 5, 10.

10. Is 14, 1.

11. Ez 16, 4a.

12. Ez 16, 5.

13. Tt 3, 5.

14. Voir Os 2, 25. Citation de la Septante, voir éd. Alfred Rahlfs, vol. II, p. 492: […] kai eleisô tin Ouk-êleémenên kai en tu Ou-lait-mou Laos mou ei su."



Tu es mon peuple 1."

800. 2. Lorsque <l’Apôtre> ajoute: 26 Et il arrivera que dans le lieu, etc., il cite un autre passage qui figure dans Osée 2; dans ce passage Dieu promet aux Gentils la dignité de fils de Dieu, dignité dont les Juifs se glorifiaient à cause de ces paroles d’Isaïe: "J’ai nourri des fils et je les ai élevés, mais eux m’ont méprisé 3." Et du Deutéronome: "N’est-ce pas lui qui est ton père 4?" De plus, non seulement les Gentils n’étaient pas appelés du nom de fils, lequel appartient à ceux qui servent Dieu par amour et sont conduits par son Esprit, comme on l’a dit plus haut 5, mais ils n’étaient même pas dignes d’être appelés peuple de Dieu, nom qui pouvait aussi appartenir à ceux qui avaient reçu un esprit de servitude dans la crainte. Aussi <l’Apôtre> dit-il: Et il arrivera que dans le lieu, etc., c’est-à-dire en Judée, où il leur a été dit, c’est-à-dire aux Gentils, par les Juifs parlant comme au nom de Dieu, vous n'êtes pas mon peuple, parce qu’ils ne les regardaient pas comme le peuple de Dieu; là même, c’est-à-dire parmi les Juifs qui croient, ils seront appelés les fils de Dieu. Ou bien: dans le lieu, c’est-à-dire dans le monde entier 6, dans lequel ils seront convertis à la foi, afin de faire entendre qu’ils ne seront pas convertis comme les prosélytes que faisaient les Juifs, lesquels, après avoir abandonné leur pays, se dirigeaient vers la Judée. Or on voit que cela ne devait pas arriver ainsi pour ceux qui devaient se convertir au Christ: "Les hommes l’adoreront chacun en son lieu 8." Donc à tous ceux qui habitaient dans leur propre lieu, où il leur a été dit, autrefois par ordre divin, vous n‘êtes pas mon peuple, ils seront appelés les fils de Dieu, par l’adoption divine: "A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir fils de Dieu, à ceux qui croient en son Nom 9."

801. — B. Lorsqu’il dit: 27 D’autre part, Isaïe s’écrie, etc., <l’Apôtre> prouve sa proposition quant aux Juifs par l’autorité d’Isaïe. Et il expose deux passages, dont

1) Le premier semble s’adresser à tous qui croyaient parmi les Juifs.

2) Le second, spécialement, aux Apôtres [n° 806]: 29 et comme Isaïe l’avait prédit, etc.

802. 1. Il dit donc: Osée <a prophétisé> pour les Gentils: D’autre part, Isaïe s’écrie, c’est-à-dire parle ouvertement pour la conversion d’Israël: "Crie, ne cesse point; comme la trompette élève ta voix 10."

Dans ce premier passage <l’Apôtre> expose en premier le petit nombre des convertis d’Israël, en disant: Quand le nombre des fils d’Israêl serait comme le sable de la mer, c’est-à-dire plus innombrable que la multitude des nations: "Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer; ta postérité possédera les portes de ses ennemis, et seront bénies en ta postérité toutes les nations de la terre, parce que tu as obéi à ma voix 11." Et encore: "Juda et Israël étaient innombrables comme le sable de la mer par leur multitude 12." — le reste sera sauvé, c’est-à-dire non pas tous, non la d’origine et vivent au milieu du peuple élu sans en faire totalement partie. Différente est la condition des païens: ils peuvent rester dans leur lieu d’origine et sont membres de I’Eglise du Christ à part entière.

1. Os 2, 23b-24a (selon la Vulgate).

2. Voir Os 1, 10.

3. Is 1, 2.

4. Dt 32, 6.

5. Voir Rm 8, 14.

6. Voir Glosa in Rom. IX, 26 (GPL, col. 1469 B).

7. Les prosélytes (du verbe grec pros-erkhomai, " s’approcher de"), sont les païens qui se sont convertis au judaïsme et qui ont été agrégés à la communauté juive "par la circoncision, un bain de puri fication et un sacrifice au Temple t (Xavier LÉON-DUFOUR, Diction naire du Nouveau Testament, p. 450). Ils ont donc quitté leur pays

8. So 2, 11.

9. Jn 1, 12.

10. Is 58, 1.

11. Gn 22, 17-18.
12. 3 R (1 R) 4, 20.



plus grande partie, mais quelques-uns en petit nombre resteront au milieu de la perte des autres: "Je suis devenu comme celui qui recueille en automne des grappes de raisin oubliées pendant la vendange 1." Et encore, selon les propres paroles de l’Apôtre: "En ce temps aussi, un reste a été sauvé, selon l’élection de la grâce 2."

803. Puis, 3 <l’Apôtre> assigne la cause du salut, et expose en premier lieu l’effi cacité de la parole évangélique, en disant: 28 Car le Seigneur accomplit sa parole pleinement et l’abrège dans l’équité.

Il faut noter ici une double efficacité de la parole évangélique:

a. La première, parce qu’elle accomplit, c’est-à-dire perfectionne; car <selon l’épître aux> Hébreux, "la Loi n’a rien amené à la perfection 4." Et le Seigneur dit lui-même: <Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir 5"; soit parce qu’il a donné la vérité aux figures, soit parce qu’il a exposé, comme il se devait, les préceptes moraux de la Loi, fait disparaître les occasions de la transgresser, et même y a ajouté les conseils de perfection 6.Ainsi, au jeune homme riche qui avait observé tous les commandements de la Loi, <le Christ> disait: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; viens ensuite, et suis-moi 7." Voilà pourquoi il disait encore à ses Apôtres: "Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait 8." La seconde efficacité <de la parole évangé lique> est qu’elle abrège, et cette qualité s’adjoint convenablement à la première, parce que plus une parole est parfaite, plus elle est élevée, et par conséquent plus simple et plus brève. Or la parole de l’Evangile abrège les paroles de la Loi, parce qu’elle renferme tous les sacrifices figuratifs de la Loi en un seul sacrifice, par lequel "le Christ s’est livré lui-même pour nous en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur", comme le dit <l’Apôtre> aux Ephésiens 9. De plus, elle renferme tous les préceptes moraux de la Loi dans les deux préceptes de la charité: "A ces deux commandements se rattachent toute la Loi et les Prophètes 10."

C’est pourquoi <l’Apôtre> dit: l’abrège dans l’équité; soit parce que rien n’est omis parmi la multitude des figures et des préceptes de la Loi, ui n’ait été compris dans la brièveté de l’Evangile; soit parce qu’aucune figure ou aucun précepte de la Loi, qui sont équitables selon la pres cription (dictamen) de la raison naturelle, ne demeurent observables: "Tous tes commandements sont équité t>

Il faut cependant sous-entendre "sera", de telle sorte que le sens soit: la parole de l’Evangile sera comme l’abrégé et l’accom plissement plénier, dans l’équité.

804. b. Ensuite, <l’Apôtre> assigne la raison de l’efficacité qu’il vient d’exposer, en disant: oui, le Seigneur, sur la terre, c’est-à-dire pendant son séjour sur la terre en tant qu’homme (selon cette parole de Baruch: < cela, il a été vu sur la terre, et il a demeuré avec les hommes 12") abrège sa parole. Car la parole doit être plus parfaite et d’une plus grande vertu quand

1. Mi 7, 1.

2. Rm 11, 5.

3. Le commentaire que saint Thomas nous donne de ce verset 28, qui est une citation du livre du prophète Isaïe 10, 22, reprend, avec le génie de la synthèse qui lui est propre, les divers aspects de l’inter prétation du verbum abbreviatum à travers la tradition. Voir à ce propos H. DE LUBAC, Exégèse médiévale, t. 3, II, 1, p. 188-197. — Lieux parallèles: Super 1, . 10, 22; Gompend. théol., c. 1.

4. He 7, 19.

5. Mt 5, 17. — Lieux parallèles: Super Matth. 5, 17 (éd. Marietti, n 467); Somme Théologique 1a-2 Q. 107, a. 2; 4 Sentences dist. 1, Q. 2, a. 5, Q. 2, sol. 1 et 3; Ad Rom. 3, 31, lect. 4 (éd. Marietti, n° 321).

6. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2ae, Q. 108, a. 4; 3 Contra Gentiles c. 130.

7. Mc 10, 21 et Mt 19, 21.

8. Mt 5, 48.

9. Ep 5, 2.

10. Mt 22, 40.

11. Ps 118, 172.

12. Ba 3, 38.



c’est le Seigneur Dieu, revêtu de chair, qui parle lui-même, que lorsqu’il parle par les prophètes, selon ce verset de l’épître aux Hébreux: "Après avoir parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 1."

805. Ou encore: Car le Seigneur, à savoir Dieu le Père, abrégera sa parole sur la terre, c’est-à-dire son Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu "s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave 2." Or si l’on dit qu’il s’est anéanti ou amoindri, ce n’est pas qu’on ait enlevé quelque chose à la plénitude ou à la grandeur de sa divinité, mais parce qu’il a assumé notre pauvreté et notre petitesse. Ce passage d’Isaïe 3 figure au chapitre 10, 22; en cet endroit il est écrit selon notre version: "Lors même que ton peuple, Israël serait comme le sable de la mer, les restes se convertiront; ces restes, réduits à un petit nombre, abonderont en justice. Car le Seigneur Dieu des armées fera une destruction et un retranchement au milieu de toute la terre 4."

806. 2. <L’Apôtre> cite ensuite l’autorité scripturaire qui concerne particu lièrement les Apôtres, en disant: 29 et comme Isaïe l’avait éi: Si le Seigneur Sabaoth, c’est-à-dire le Seigneur des armées ou des Vertus, ne nous avait laissé, à savoir par sa miséricorde, une semence, c’est-à-dire la parole de l’Evangile: "La semence est la parole de Dieu 6." Ou bien: une semence, c’est-à-dire le Christ: "Et à ta descen dance (seminz), c’est-à-dire le Christ 7." Ou encore: une semence, c’est-à-dire les Apôtres: "Ce sera une race sainte, ce qui restera en elle" — Nous serions devenus Sodome, et nous aurions été semblables à Gomorrhe. Car le péché des Juifs fut plus grave que celui de Sodome: "L’iniquité de la fille de mon peuple est devenue plus grande que le péché de Sodome 9." Et "Sodome ta soeur, elle et ses filles n’ont pas fait comme tu as fait, toi et tes filles 10." Si donc les Juifs n’ont pas été totalement exterminés comme les Sodomites, il faut l’imputer à la miséricorde divine: < grâce aux> miséricordes du Seigneur que nous n’avons pas été consumés 11."

807. — III. Lorsque <l’Apôtre> ajoute: 30 Que dirons-nous donc?, il déduit la conclusion de ce qui a été dit:

A) Et d’abord, quant aux Gentils.

B) Puis, quant aux Juifs [n° 809] 31 Tandis qu’Israël etc.

808. — A. À l’égard des Gentils, il fait deux choses:

1. Il conclut premièrement ce qu’il s’était proposé en intention, en disant: Que dirons-nous donc après avoir considéré ce qui précède? Ceci, dis-je, que les Gentils ont embrassé, c’est-à-dire ont obtenu, la justice, à savoir celle par laquelle ils sont appelés du nom de fils: "C’est ce que quelques-uns de vous ont été, mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés 12", et cela par la vocation de la divine élection, et non d’après vos mérites; ce qui devient évident par les mots qui suivent: qui ne poursui vaient pas la justice, selon ce passage <de l’Apôtre> aux Ephésiens: "Vous étiez en ce temps-là sans Christ, séparés de la cité d’Israël 13"

1. He 1, 1-2a.

2. Ph 2, 7.

3. la 10, 22; Cité librement d’après la Septante (Is 10, 23). Voir éd. Alfred Rahifs, vol. II, p. 580 e logon sunteimêmenon pozêsez ho theos en tê oikoumenêi hole’ (t Dieu abrégera la parole sur toute la terre").

4. Ibid., selon la Vulgate.

5. Is 1, 9.

6. Lc 8, 11.

7. Ga 3, 16h.

8. Is 6, 13.

9. Lm 4, 6.

10. Ez 16, 48.

11. Lm 3, 22.

12. 1 Co 6, Il.

13. Ep 2, 12.



2. Puis, il explique ce qu’il avait dit Mais la justice qui vient de la foi, non celle qui consiste dans les oeuvres. Car les nations païennes ne se sont pas converties pour observer la justice légale, mais pour être justifiées par la foi du Christ: "La justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ est pour tous ceux et sur tous ceux qui croient en lui 1."

809. — B. Lorsqu’il ajoute: Tandis qu’Israël etc., <l’Apôtre> déduit sa conclusion quant aux Juifs.

1. Et il commence par conclure ce qu’il s’était proposé en intention, en disant: Tandis qu’Israël etc., c’est-à-dire le peuple des Juifs, en suivant la loi de justice, n’est point parvenu à la loi. On appelle loi de justice la loi de l’Esprit de vie, par laquelle les hommes sont justifiés et à laquelle le peuple juif n’est point parvenu, quoiqu’il la poursuivît cependant en observant l’ombre de cette loi spirituelle, qui consiste en observances légales: "La Loi n’ayant que l’ombre des biens futurs 2." Ou bien en suivant la loi de justice, c’est-à-dire la Loi de Moïse qui, bien comprise, est Loi de justice, parce qu’elle enseigne la justice. Ou bien, on dit Loi de justice, parce qu’elle rend les hommes justes non véritablement, mais extérieurement, en leur faisant éviter le péché non par amour, mais par la crainte de la peine que cette loi infligeait 3: "Ecoutez-moi, <vous> qui suivez ce qui est juste, et qui cherchez le Seigneur 4." Et plus loin dans ce même chapitre: "Ecoutez-moi, vous qui savez ce qui est juste, mon peuple, dans le coeur de qui est ma Loi 5."

810. 2. Puis il en assigne la cause, en disant: 32 Pourquoi?, à savoir tandis qu’ils suivaient la Loi, ne sont-ils pas parvenus à la loi de justice? C’est qu’ils ne suivaient pas la voie obligée. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: Parce que ce n'est point par la foi, à savoir du Christ, qu’ils cherchaient à être justifiés, mais comme par les oeuvres de la Loi. Car ils suivaient la figure et ont rejeté la vérité: "Nulle chair ne sera justifiée devant lui par les oeuvres de la Loi 6."

811. 3. Enfin, il explique la cause exposée, et il en montre en premier lieu l’évidence, en disant: ils ont achoppé contre la pierre de l’achoppement, c’est-à-dire contre le Christ, qui est comparé à la pierre de l’achoppement, en ce sens que de même qu’on n’évite point à cause de sa petitesse une pierre contre laquelle on achoppe, ainsi les Juifs, voyant le Christ rempli de notre faiblesse, ne prirent pas garde de ne pas achopper contre lui "Méprisé, et le dernier des hommes, homme de douleur, et connaissant la faiblesse; son visage était comme caché, et méprisé, et nous l’avons compté pour rien 7." — "Avant que vos pieds n’achoppent contre des montagnes obscures 8" c’est-à-dire contre le Christ et ses Apôtres, qui sont appelés montagnes obscures, parce que leur dignité et leur grandeur étaient cachées.

812. Pour <étayer> son explication, il cite une autorité <scripturaire>, en disant: comme il est écrit, à savoir dans <le livre d’>Isaïe. L’Apôtre réunit ici des paroles d’Isaïe prises en différents endroits de ce livre. Car, au chapitre 28 <du livre d’>Isaïe il est dit "Voici que moi je poserai dans les fondements de Sion une pierre, une pierre angulaire, éprouvée, précieuse, fondée sur ce fondement. Que celui qui croira ne se hâte pas." C’est de cet endroit

1. Rm 3, 22.

2. He 10, 1.

3. Voir Glosa in Rom. IX, 31 (GPL, col. 1471 A).

4. Is 51, 1.

5. Is 51, 7.

6. Rm 3, 20.

7. Is 53, 3.

8. Jr 13, 16.

9. 1s28, 16.



qu’est extrait le début de cette autorité scripturaire: Voici que je pose en Sion, à savoir comme un fondement, expression qui indique que le Christ était établi par décret divin comme le fondement de l’Eglise: "Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus 1." On lit encore dans <le livre d’>Isaïe: "Il sera une pierre d’achop pement et une pierre de scandale pour les deux maisons d’Israël 2." C’est à ce passage qu’est emprunté le milieu <du verset 33> où il est dit: une pierre d’achoppement et une pierre de scandale, en sorte que l’achop pement se réfère à l’ignorance, parce que selon ces paroles <de l’Apôtre> dans la première <épître> aux Corinthiens: "S’ils avaient connu <la sagesse>, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire 3." Le scandale doit être mis en relation avec le choc et la chute que <les Juifs> éprouvèrent par leur infidélité, en persécutant le Christ et ses Apôtres: "Nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs 4." — "Celui-ci a été établi pour la ruine et la résurrection d’un grand nombre en Israël 5." La fin du verset est empruntée au chapitre 28, 16 <du livre d’>Isaïe: "Que celui qui croira ne se hâte pas"; au lieu de ces paroles <l’Apôtre> dit ici: quiconque croit en lui ne sera point confondu, à savoir parce qu’il obtiendra de lui sa récompense: "Vous qui craignez <Dieu>, croyez en lui, et votre récom pense ne sera pas anéantie 6." L’Apôtre cite ces paroles d’après la Septante 7, et ces paroles ont le même sens que celles qui figurent dans notre version: "Que celui qui croira ne se hâte pas." En effet, celui-là semble se hâter, qui se regarde comme trompé, parce qu’il n’obtient pas rapidement ce qu’il espérait.

1. 1 Corinthiens 3, 11.

2. Is 8, 14.

3. 1 Corinthiens 2, 8.

4. 1 Corinthiens 1, 23.

5. Lc 2, 34.

6. Eccli (Si) 2, 8. La Vulgate lit Dominum (le Seigneur) au lieu de Deum (Dieu). Pour la version citée ici, voir Vetus latina, Sirach (Ecclesiasticus) 2, 8; éd. W. Thiele, vol. XI/2, fasc. 3, p. 210.

7. Voir éd. Alfred Rahifs, vol. II, p. 601 " ho pisteuôn ep’autôn ou mê kataischunthêi. s




Thomas A. sur Rm (1999) 45