Thomas A. sur Rm (1999) 53

Leçon 4 [versets 25 à 32]

53
075 (
Rm 11,25-32)


[n° 913] 25 Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux, c’est que l’aveu glement est venu pour une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations païennes soit entrée,

[n° 916] 26 et alors tout Israël sera sauvé, [n° 917] selon qu’il est écrit: "Il viendra de Sion celui qui délivrera et qui détournera l’impiété de Jacob."

[n° 920] 27 Et telle sera mon alliance avec eux, lorsque j’aurai enlevé leurs péchés.

[n° 921] 28 Selon l’Evangile, il est vrai, ils sont ennemis à cause de vous; mais selon l’élection, ils sônt très aimés à cause de leurs pères.

[n° 924] 29 Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.

[n° 930] 30 De même, en effet, que jadis vous-mêmes n’avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde à cause de leur incrédulité,

[n° 931] 31 ainsi eux maintenant n’ont pas cru, par suite de la miséricorde <exercée> envers vous, afin qu’eux aussi obtiennent misé ricorde.

[n° 932] 32 Car Dieu a renfermé tout dans l’incrédulité, afin de faire miséricorde à tous.

912. Après avoir fait entrer les Gentils dans la connaissance des jugements divins, qui manifestent la bonté et la sévérité de Dieu [n° 903], comme s’ils n’étaient pas encore capables de considérer ce qui a été dit, <l’Apôtre> expose ici ce qu’il en pense lui-même. Et

I) Il expose d’abord un fait.

II) Puis, il le prouve [n° 917]: selon qu’il est écrit, etc.

III) Enfin, il en donne la raison [n° 930]: 30 De même, en effet, etc.

913. — I. Sur le premier de ces points il fait trois choses

A. Il expose son intention, en disant: La raison pour laquelle je vous ai amenés à considérer la bonté et la sévérité de Dieu, c’est que 25 ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, car vous ne pouvez pas comprendre tous les mystères. C’est en effet le propre des parfaits, auxquels le Seigneur dit: "Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu 1." — "Je ne vous cacherai pas les secrets de Dieu 2" Mais l’ignorance du mystère vous serait dommageable "Si quelqu’un l’ignore, il sera ignoré 3."

914. — B. <L’Apôtre> donne ensuite la raison de son intention: afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux, c’est-à-dire pour que vous ne présumiez pas de votre propre sens et qu’en condamnant les autres d’après ce sens, vous vous préfériez à eux: "Ne soyez pas prudents à vos propres yeux 4."

1. Lc 8, 10.

2. Sg 6, 24.

3. 1 Co 14, 38.

4. Rm 12, 16.

"Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux, et qui êtes prudents vis-à-vis de vous-mêmes 1!"

915. — C. Enfm <l’Apôtre> expose ce qu’il veut établir:

1. Premièrement, quant à la chute particulière des Juifs, lorsqu’il dit: c’est que l’aveuglement est venu pour Israêl, non pas dans sa totalité, mais en partie, comme on l’a montré plus haut. <Il est écrit dans le livre d’> Isaïe: "Aveugle le coeur de ce peuple 2"

2. Deuxièmement, il indique le terme de cet aveuglement, en disant: jusqu'à ce que soit entrée, à savoir dans la foi, la plénitude des nations païennes, c’est-à-dire non seulement quelques-unes d’entre les nations païennes en particulier, comme celles qui s’étaient alors converties, mais que dans la totalité, ou au moins dans la plus grande partie, l’Eglise soit fondée: "Au Seigneur est la terre et sa plénitude 3." Or, on dit des Gentils cônvertis à la foi qu’ils entrent, comme si à partir des choses extérieures et visibles, qui étaient l’objet de leur vénération, <ils entraient> dans la réalité spirituelle et dans la volonté divine "Entrez en sa présence dans l’exultation 4."

916. Il faut noter que cette conjonction "jusqu’à ce que" peut désigner la cause de l’aveuglement des Juifs 5. Car Dieu a permis qu’ils soient aveuglés pour que la plénitude des nations entre, comme on le voit d’après ce qui précède. Il peut aussi désigner le terme, à savoir que l’aveuglement des Juifs durera jusqu’alors, jusqu’à ce que la plénitude des nations entre dans la foi. Et cette interprétation s’accorde avec ce que <l’Apôtre> ajoute ci-après à propos du remède futur des Juifs, lorsqu’il dit: 26 et alors, c’est-à-dire lorsque la plénitude des nations sera entrée, tout Israël sera sauvé, non en partie comme jusqu’à maintenant, mais tous universel lement: "Je les sauverai par le Seigneur leur Dieu 6" — " Il reviendra et il aura pitié de nous 7."

917. — II. Ensuite, lorsqu’il dit: selon qu’il est écrit, <l’Apôtre> prouve ce qu’il avait dit à propos du salut futur des Juifs.

Et:

A) D’abord, par l’autorité <scripturaire>.

B) Puis, par un raisonnement [n° 921] 28 Selon l’Evangile, etc.

918. — A. Je commence donc par dire que tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit dans <le livre d’>Isaïe 8, là où notre version 9 lit: "Un rédempteur viendra de Sion, et pour ceux qui dans Jacob reviennent de l’iniquité, dit le Seigneur. Voici mon alliance avec eux, dit le Seigneur." Mais l’Apôtre cite ce passage selon la version de la Septante 10 et fait allusion à trois choses mentionnées ici.

1. En premier lieu, à l’avènement du Sauveur, lorsqu’il dit: Il viendra, à savoir Dieu fait homme pour nous sauver, de Sion, c’est-à-dire du peuple juif, lequel est indiqué par le <mot> "Sion", qui était la citadelle de Jérusalem, la métropole de la Judée. Ce qui fait dire <au prophète> Zacharie: < pleinement, fille de Sion; jubile, fille de Jérusalem; voici que ton roi viendra à toi, juste et sauveur 11." <Et à l’Apôtre> Jean: "Le salut vient des Juifs 12." Ou bien il dit qu’il viendra de Sion,

1. Is 5, 21.

2. Is 6, 10.

3. Ps23, 1.

4. Ps 99, 2.

5. Voir Glosa in Rom. XI, 25 (GPL, col. 1489 A).

6. Os 1, 7.

7. Mil, 19.

8. Is 59, 20-21a.

9. Selon la Vulgate.

10. Voir éd. Alfred Rahlfs, vol. II, p. 646: Kai héxci heneken Siôn ho rhuomenos kai apostrepses asebezas apo Iakôb.

11. Za 9, 9.

12 Jn 4, 22.



non parce qu’il y est né, mais parce que c’est de là que sa doctrine s’est répandue dans le monde entier, après que les apôtres eurent reçu l’Esprit-Saint au cénacle de Sion: "De Sion sortira la Loi 1."

919. 2. En deuxième lieu, <il fait allusion> au salut offert aux Juifs par le Christ, en disant: celui qui arrachera et qui détournera l’impiété de Jacob. L’arrache ment peut se rapporter à la libération de la peine: "Il a arraché mon âme à la mort 2" tandis que le détournement de l’impiété de Jacob peut se rapporter à la libération de la faute: "Le Seigneur détournera la captivité de son peuple 3." Ou bien l’un et l’autre se rapportent à la libération de la faute, mais <l’Apôtre> dit: celui qui arra chera, à cause du petit nombre qui s’est maintenant converti, avec difficulté et comme avec une sorte de violence

"Comme si le pasteur arrachait de la gueule du lion deux jambes ou un bout d’oreille, ainsi seront arrachés les fils d’Israel 4." Il dit d’autre part: qui détournera l’impiété de Jacob, pour montrer la facilité de la conversion des Juifs à la fin du monde: "Quel Dieu est semblable à toi, qui ôtes l’iniquité, et passes sous silence le péché des restes de ton héritage

920. 3. En troisième lieu, <il montre> le mode du salut, lorsqu’il dit: 27: Et telle sera mon alliance, à savoir la nouvelle, avec eux, lorsque j’aurai enlevé leurs péchés. Car l’ancienne Alliance n’enlevait pas les péchés, parce que selon ce passage de <l’épître aux> Hébreux: "Il est impossible que les péchés soient enlevés par du sang de taureaux et de boucs 6." Voilà pourquoi, à cause de l’imperfection de l’ancienne Alliance, une nouvelle Alliance leur est promise: "Je ferai une nouvelle Alliance avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda 7." Cette Alliance nouvelle sera efficace pour la rémission du péché par le sang du Christ: "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle Alliance, qui sera répandu pour une multitude en rémission des péchés 8." — "Il laissera de côté nos iniquités, et il jettera au fond de la mer tous nos péchés 9."

921. — B. En disant ensuite: 28 Selon l’Evangile, etc., <l’Apôtre> prouve sa proposition par un raisonnement. Et

1) Il commence par donner sa preuve.

2) Puis, il écarte une objection [n° 924]: 29 Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.

922. 1. Il commence donc par dire que leurs péchés seront enlevés et qu’après avoir péché ils sont manifestement ennemis du Christ. Selon l’Evangile, il est vrai, ils sont ennemis, c’est-à-dire en ce qui concerne la doctrine de l’Evangile qu’ils attaquent, à cause de vous, c’est-à-dire que <leur attaque> tourne à votre avantage, comme on l’a dit plus haut 10." D’où ces paroles de Luc: "Quant à mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et tuez-les devant moi 11" — "Mais main tenant ils ont vu <mes oeuvres>, et ont haï et moi et mon Père 12" Ou bien il dit Selon l’Evangile, parce que leur inimitié est utile à l’Evangile, dont la prédication, à cause de cette inimitié, se répand de tous côtés: "Par la parole de la vérité de l’Evangile, qui vous est parvenu, comme il est aussi répandu dans le monde entier, où il fructifie et croît 13."

1. Is 2, 3.

2. Ps 114, 8.

3. Ps 13, 7.

4. Am 3, 12.

5. Mi 7, 18.

6. He 10, 4.

7. Jr 31, 31.

8. Mt 26, 28.

9. Mi 7, 19.

10. Voir chap. 11, y. 11."

11. Lc 19, 27.

12. Jn 15, 24.

13. Col 1, 5-6.



923. Mais ils sont très aimés de Dieu à cause de leurs pères, et cela selon l’élection, c’est-à-dire qu’à cause de la grâce de leurs pères <Dieu> a choisi leur postérité: "Il a choisi leur postérité après eux 1." Il ne faut pas comprendre ces paroles comme si les mérites accordés aux pères eussent été la cause de l’élection éternelle des fils, mais que Dieu de toute éternité a choisi gratui tement les pères et les fils, en ordonnant cependant que les fils obtiendraient le salut à cause de leurs pères; non point comme si les mérites des pères suffisaient au salut des fils, mais <l’Apôtre> dit cela à cause d’une surabondance de la grâce divine et de la miséricorde, que <Dieu> a si largement prodiguée aux pères, qu’en raison des promesses qui leur ont été faites, leurs fils aussi seraient sauvés. Ou bien il faut comprendre: selon l’élection, c’est-à-dire quant aux élus de ce peuple, comme on l’a dit plus haut: "Ce que recherchait Israël il ne l’a pas obtenu; mais l’élection l’a obtenu 2" S’ils sont très aimés du Seigneur, il est raisonnable qu’ils soient sauvés par Dieu, selon ce passage d’Isaïe "L’oeil n’a pas vu, ô Dieu, toi excepté, ce que tu as préparé à ceux qui t’attendent 3."

924. 2. Lorsqu’il dit: 29 Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance, etc., <l’Apôtre> écarte une objection. En effet, on pourrait objecter en disant: que les Juifs, bien qu’autrefois très aimés <de Dieu> à cause de leurs pères, étaient cependant empêchés d’être sauvés dans l’avenir, à cause de l’inimitié dont ils faisaient preuve contre l’Evangile. Mais l’Apôtre affirme que cette objection est erronée, en disant: Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance, autrement dit quand Dieu donne aux uns ou qu’il appelle les autres, c’est sans repentance, parce que Dieu ne s’en repent pas, selon ce passage du premier livre des Rois: "Le triomphateur en Israël n’épargnera point et il ne sera pas touché de repentir 4." <Et selon ce verset d’un psaume>: "Le Seigneur l’a juré et il ne s’en repentira point 5."

925. Mais cela semble faux, car le Seigneur dit: "Je me repens d’avoir fait l’homme 6." Et encore: "Je parlerai d’une nation et d’un royaume, afin de l’édifier et de l’affermir. Et s’il fait le mal à mes yeux et n’écoute point ma voix, je me repentirai du bien que j’ai dit que je lui ferai 7."

Réponse. De la même manière qu’on dit que le Seigneur s’est mis en colère 8, non qu’il y ait en lui le trouble de la colère, mais parce qu’il se comporte à la manière d’un homme irrité quant à l’effet de la punition, ainsi dit-on parfois qu’il se repent, non comme s’il y avait en lui un changement <dû au> repentir, mais parce qu’il se comporte à la manière de celui qui se repent, quand il change ce qu’il avait fait.

926. Mais il semble encore que les dons et l’appel ne soient pas sans repentance, puisque les dons divinement accordés se perdent fréquemment, selon cette parole de Matthieu: "Reprenez-lui donc le talent et donnez-le à celui qui a dix talents 9." L’appel de Dieu est aussi quelquefois, semble-t-il, sujet au changement, puisqu’il est écrit: "Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus 10."

On répondra que <le mot> "don" est pris ici pour la promesse, qui se fait selon la prescience ou la prédestination de Dieu; tandis que <le mot> "appel" est pris ici pour l’élection, attendu qu’en raison de la

1. Dt 4, 37.

2. Rm 11, 7.

3. Is 64, 4.
4. 1 R (1") 15, 29.

5. Ps 109, 5.

6. Gn 6, 7.

7. Jr 18, 9-10.

8. Lieux parallèles: I Contra Gentiles c. 89; 3 Sentences dist. 1, Q. 1, a. 2, sol. 4; Super Psalmos, in Ps. 5, lld; 17, 9; 17, 16; 29, 6; 37,

2.
9. M 25, 28.

10. Mc 22, 14.



certitude de l’un et de l’autre Dieu donne déjà en quelque sorte ce qu’il promet, et il appelle déjà en quelque sorte ceux qu’il a choisis. Toutefois le don de Dieu, même temporel, et son appel temporel, ne sont pas annulés par le changement de Dieu, qui se repentirait, mais par le changement de l’homme, qui rejette la grâce de Dieu, selon ce passage de <l’épître aux> Hébreux: "Veillant à ce que personne ne manque à la grâce de Dieu 1."

927. On peut encore 2 comprendre ce qu’on vient de dire d’une autre manière Nous disons que les dons de Dieu accordés dans le baptême et l’appel par lequel le baptisé est appelé à la grâce sont sans repentance du côté de l’homme baptisé. <L’Apôtre> parlerait ainsi pour qu’on ne désespère pas du salut futur des Juifs, étant donné qu’ils ne semblent pas se repentir de leur péché.

Mais en sens contraire Pierre dit ces paroles: "Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés, et vous recevrez le don de l’Esprit-Saint 4."

Il faut répondre qu’il y a une double péni tence: l’une intérieure, l’autre extérieure 5. <La pénitence> intérieure consiste dans la contrition du coeur, par laquelle on s’afflige de ses péchés passés, et cette pénitence est requise chez le baptisé, parce que, comme le dit Augustin dans <son sermon sur> la pénitence "Nul, à partir du moment où il est établi arbitre de sa volonté, ne peut commencer une vie nouvelle à moins qu’il ne se repente de l’ancienne 6", autrement il s’approcherait du baptême avec simu lation (fictus) 7. La pénitence extérieure, en revanche, consiste dans la satisfaction exté rieure qui n’est pas requise chez le baptisé, parce que par la grâce baptismale l’homme est libéré non seulement de la faute 8, mais

1. He 12, 15.

2. Lieux parallèles: 5. Th. 3a, Q. 49, a. 3, sol. 2; Q. 68, a. 5;

3 Sentences dist. 19, Q. 1, a. 3, Q. 2, sol. 1; 4 Gant. Gentiles c. 59.

3. Voir Glosa in Rom. XI, 29 (GPL, col. 1490 D).

4. Ac 2, 38.

5. Aux paragraphes 924-926, saint Thomas a envisagé une première interprétation de l’affirmation paulinienne, " les dons de Dieu sont sans repentance s; interprétation classique, selon laquelle il faut comprendre que Dieu ne change pas et que ses promesses sont irrévocables." C’est d’ailleurs ainsi que le père Spicq traduit le terme grec amétamélétos employé par saint Paul, terme rare dans le Nouveau Testament (deux occurrences) et ignoré de l’Ancien Testament (Lexique théologique du Nouveau Testament, p. 105-109). S’il y a changement, c’est du côté des hommes. Il examine main tenant une seconde interprétation, également possible, selon laquelle " sans repentance" se rapporterait aux hommes, Dieu accordant ses dons aux hommes sans exiger d’eux qu’ils se repentent, c’est-â-dire sans qu’ils fassent pénitence. Cette deuxième interprétation, qu’illustrerait le cas du baptême et qui autoriserait à espérer le salut des Juifs même s’ils ne font pas publiquement pénitence pour avoir rejeté Jésus, se justifie par le double sens du latin paenitentia qui traduit le grec amétamélêtos. Ici même, en effet, paenitentia est rendu en 924-926 par " repentance", et en 927 par " pénitence", comme l’exige le contexte. On passe ainsi d’un sens neutre et objectif où sine paenitentia signifie "sans se raviser", donc" définïtif", à un sens moral et subjectif où cette locution signifie " sans pénitence", c’est-à-dire " sans éprouver de peine et de regret pour le péché commis et " sans être puni pour l’acte fautif." La raison en est que le latin paenitentia semble renvoyer au latin poena, la (peine" (que l’on ressent ou que l’on subit), bien que le second s’écrive avec un o (poena), alors que le premier doit s’écrire avec un a (paenitentia), qui est, semble-t-il, la graphie la plus ancienne et la plus correcte, et renvoie peut-être à paene, "presque", ou à penitus, "entièrement." Mais la Vulgate et les médiévaux écrivent poenitentia; ils décom posent le mot en poenam tenere, " se tenir dans la peine", et l’utilisent pour traduire le grec métanoia, très fréquent dans les deux Testaments, avec le sens de " faire pénitence." Il est clair qu’un tel sens ne peut s’appliquer à Dieu. Appliqué à l’homme, comme l’envisage maintenant saint Thomas, il désigne deux choses distinctes, qui toutes deux se disent en français " pénitence." L’une, la contrition, que saint Thomas va nommer la "pénitence inté rieure", l’autre qu’il nomme "pénitence extérieure": elle consiste dans la" peine" que le confesseur impose au pécheur; peine à l’obli gation de laquelle il doit satisfaire pour que le sacrement de péni tence soit complet (la satisfaction fait partie intégrante du sacrement). Or, dans le sacrement du baptême, qui efface toutes les fautes (originelle et actuelles), la satisfaction, ou pénitence exté rieure, n’est pas demandée, seule est requise la contrition ou péni tence intérieure. On peut donc dire, en ce sens, que le don du salut, dans le baptême, est sine paenitentia, et donc que le don du salut aux juifs sera également "sans pénitence" extérieure et imposée. Evidemment, ce salut ne leur sera pas donné sans le baptême. Saint Thomas est ainsi amené à traiter brièvement du baptême, de la confession des péchés, de la satisfaction, aux paragraphes 928 et 929, dans ce qui peut paraître une digression, mais que requiert l’extrême complexité des questions.

6. Voir SAINT AUGUSTIN, Sermo CCCLI, ii, 2 (PL 39, 1537). L’authenticité de ce sermon est considérée comme douteuse par quelques-uns. Voir Patrick VERBRAKEN, Etudes critiques sur les sermons de saint Augustin, p. 147.

7. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 69, a. 9 et 10; Q. 87, a. 3, sol. 2; 4 Sentences dist. I, Q. 2, a. 4, q 1, sol. 3; dist. 4, Q. 2, a. 1, Q. I, sol. 3; Q. 3, a. 2, q 1, 2, 3; dist. l2, Q. 2, a. l, q dist. 15, Q. 1, a. 3, Q. 3, sol. 2.

8. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 69, a. 1; Q. 79, a. 5, sol. 1; 2 Sentences dist. 32, Q. 1, a. 1, arg. I, sed contr. ; a. 2, sol. 3; 4 Sentences dist. 4, Q. 2, a. 1, q Q. 2, a. 1, q Cons. Cens., c. 59, 72.



aussi de toute la peine 1, par la vertu de la passion du Christ 2 qui a satisfait pour les péchés de tous, comme on l’a dit plus haut: "nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés 3." Aussi est-il dit: "Par le baptême de régénération et de renouvel lement de l’Esprit-Saint, qu’il a répandu sur nous en abondance par Jésus-Christ Notre Sauveur 4."

928. Cependant, 5 comme les clefs de 1aEglise et tous les autres sacrements opèrent aussi par la vertu de la passion du Christ, il semble que pour la même raison tous les autres sacrements libèrent l’homme de la faute et de toute la peine.

Il faut répondre que la passion du Christ opère dans le baptême par mode de régé nération, ce qui requiert de l’homme qu’il meure totalement à la première vie pour recevoir la vie nouvelle. C’est la raison pour laquelle dans le baptême toute l’obligation à la peine, qui appartient à la vétusté de la première vie, est enlevée. Mais dans les autres sacrements la vertu de la passion du Christ opère par mode de guérison, comme dans la pénitence. Or la guérison ne requiert pas qu’aussitôt tous les restes de l’infirmité soient enlevés. La même raison vaut pour les autres sacrements.

929. Toutefois, comme la confession des péchés appartient à la pénitence exté rieure, on peut se demander si la confes sion des péchés est requise chez le baptisé. Il semble que oui, car il est dit dans <l’évangile de> Matthieu 6 que les gens "étaient baptisés par Jean en confessant leurs péchés."

Il faut répondre que le baptême de Jean était un baptême de pénitence, parce qu’en le recevant on s’engageait en quelque sorte à faire pénitence de ses péchés. Il convenait donc qu’ils confessent <leurs péchés> afin qu’une pénitence propor tionnée à la mesure du péché leur soit infligée. Mais le baptême du Christ est le baptême de la rémission de tous les péchés, en sorte qu’il ne reste à acquitter chez le baptisé aucune satisfaction pour les péchés passés. Voilà pourquoi la confession vocale n’est nullement nécessaire. Si cette confession est nécessaire pour le sacrement de pénitence, c’est afin que le prêtre, par le pouvoir des clefs, lie ou délie le pénitent comme il convient (convenienter) 8.

930. III. Lorsqu’il dit: 30 De même, en effet, etc., <l’Apôtre> donne la raison du salut futur des Juifs après leur incrédulité.

Et:

A) Il expose d’abord une similitude entre le salut de l’un et l’autre peuple.

B) Puis, il montre la raison de cette simi litude [n° 932]: 32 Car Dieu a renfermé, etc.

931. — A. Il commence donc par dire: J’affirme que tout Israël sera sauvé, bien que maintenant ils soient ennemis. De même, en effet, que jadis vous-mêmes, Gentils, vous n‘avez pas cru à Dieu ("Vous étiez en ce temps-là sans Christ, séparés de la cité d’Israël, étrangers aux alliances, n’ayant point l’espérance de la promesse, et sans Dieu en ce monde 9") — et que maintenant vous avez obtenu miséricorde

(" les nations honorent Dieu pour sa

1. Lieux parallèles: Somme Théologique 3a, Q. 49, a. 3, sol. 2; Q. 68, a. 5; Q. 69, a. 2; Q. 86, a. 4, sol. 3; 3 Sentences dist. 19, Q. 1, a. 3, Q. 2; 4 Sentences dise. 4, Q. 2, a. 1, Q. 2; dist. 14, Q. 2, a. 1, Q. 2, sol. 3, dist. 18, Q. 1, a. 3, Q. 2.

2. Lieux parallèles Somme Théologique 3a, Q. 62, a. 5; Q. 64, a. 2, sol. 2; 4 Sentences dise. 1, Q. I, a. 4, Q. 3.

3. Rm 6, 3.

4. Tt 3, 5-6.

5. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2ae, Q. 87, a. 6; 3a, Q. 86, a. 4

4 Sentences dist. 14, Q. 2, a. 1, Q. 2; 3 Contra Gentiles c. 158.

6. Mt 3, 6.

7. Lieux parallèles: Somme Théologique 3a, Q. 38, a. 3; 4 Sentences dise. 2, Q. 2, a. 2.

8. Le mot "convenienter" sous-entend ici les qualités requises du confesseur science, discernement, discrétion, prudence, justice, bonté, douceur, etc. Voir in 4 Sentences dist. 17, Q. 3, a. 5 (expositio textus); S’il. Suppi., Q. 18, a. 4.

9. Ep2, 12.



miséricorde 1." Et encore "J’aurai pitié de celle qui fut sans miséricorde 2") — et cela à cause de leur incrédulité, qui fut la cause occasionnelle de votre salut, comme on l’a dit plus haut, 3! ainsi eux, c’est-à-dire les Juifs, maintenant, c’est-à-dire au temps de la grâce, n'ont pas cru, à savoir au Christ "Pourquoi ne me croyez-vous pas 3 ?" Et c’est ce que "Apôtre> ajoute: par suite de la miséricorde <exercée> envers vous, c’est-à-dire par suite de la grâce du Christ, par laquelle vous avez obtenu miséricorde "Il nous a sauvés selon sa miséricorde 4." Ou bien n'ont pas cru, afin de parvenir ainsi à votre miséricorde. Ou encore: n’ont pas cru, ce qui a tourné occasionnellement à votre miséricorde, afin qu’eux aussi obtiennent un jour miséricorde. — < Le Seigneur aura pitié de Jacob 5."

932. B. En disant: 32 Car Dieu a renfermé, etc., <l’Apôtre> donne la raison de cette similitude: c’est parce que Dieu a voulu que sa miséricorde ait lieu à l’égard de tous. Tel est bien ce qu’ajoute <l’Apôtre>: Car Dieu a renfermé, c’est-à-dire a permis que tout, c’est-à-dire tout le genre humain, Juifs aussi bien que Gentils, soit renfermé dans l’incrédulité, comme dans une chaîne d’erreur "D’une même chaîne de ténèbres tous étaient liés 6." — afin de faire miséricorde à tous, c’est-à-dire afin que sa miséricorde ait lieu à l’égard de tout le genre humain: "Tu fais miséricorde â tous, Seigneur 7." Parole qu’il ne faut assurément pas étendre aux démons, selon l’erreur d’Origène 8, ni même à tous les hommes pris individuel lement, mais à toutes les classes d’hommes. Car cette extension (distributio) s’applique aux diverses classes d’hommes et non à chacun des hommes compris dans ces classes. Aussi la raison pour laquelle Dieu veut que tous soient sauvés par sa miséri corde, c’est afin qu’ils trouvent en cela un sujet de s’humilier et qu’ils attribuent leur salut non à eux-mêmes, mais à Dieu: "Ta perte <vient de toi>, Israel c’est seule ment en moi qu’est ton secours 9." <Et encore>: "que toute bouche soit fermée et que tout le monde devienne soumis à Dieu 10"

1. Rm 15, 9

2. Os 2, 23.

3. Jn 8, 46b-47a.

4. Tt 3, 5.

5. Is 14, 1.

6. Sg 17, 17.

7. Sg 11, 24.

8. Voir ORIGÈNE, Peri Archon I, 6, 1-2 (SC 252, 202-205).

Saint Thomas (voir Somme Théologique I’, Q. 64, a. 2; Suppl., Q. 99, a. 2 et 3; 3 Sentences dist. 22, Q. 2, a. 2, Q. 2; 3 Contra Gentiles c. 144; Super Matth. 25, 46, éd. Marietti, n° 2113) connaît la doctrine d’Origène sur I’apocatastase (réconciliation universelle de toute la création, avec les pécheurs, les damnés et les démons) à travers saint Augustin (De civitate Dei XXI, 17 [n° 37, 448-450]). En réalité, si l’on trouve trés nettement exprimé chez Origène l’espoir d’un rétablissement universel, sa position est à nuancer, car il parle le plus souvent par maniére d’hypothéses et non pas par manière d’affirmations défi nitives. Le texte cité, le Pers Archon, même s’il offre un exposé complet de ses idées sur l’apocatastase, ne nous est parvenu que dans une traduction tardive et corngée de Rufin.

9. Os 13, 9.

10. Rm 3, 19.


Leçon 5 [versets 33 à 36]

54
075 (
Rm 11,33-36)


[n° 934] Ô abîme des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies insondables

[n° 938] 31 Car qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller?

[n° 940] Ou qui, le premier, lui a donné, et sera rétribué?

[n° 942] Puisque c’est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses; à lui la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

933. Plus haut, l’Apôtre s’est efforcé de donner la raison des jugements divins, par lesquels les nations païennes comme les Juifs obtiennent miséricorde après leur incrédulité [n° 903]; comme s’il reconnaissait maintenant son incapacité à les sonder, il pousse un cri d’admiration devant l’excellence divine. Et

I) II commence par admirer l’excellence divine.

II) Puis, il prouve ce qu’il avait dit [n° 938] u Car qui a connu, etc.

I. Sur le premier point, il admire l’excellence de la sagesse divine

A) D’abord considérée en elle-même.

B) Puis, comparée à nous [n° 937]: Que ses jugements sont incompréhensibles.

934. — A. Il admire l’excellence de la connaissance divine.

1. En premier lieu, quant à son abîme, en disant: 33 O abîme des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! — "<Sa> profondeur est un abîme, qui la trouvera 2?" Et: "Le trône de la gloire est un abîme depuis le commencement 3." Or on peut considérer cet abîme sous trois rapports

a. D’abord, quant à l’objet de la connaissance, à savoir en tant que Dieu se connaît lui-même parfaitement "C’est moi qui habite dans les abîmes les plus profonds 5."

b. Ensuite, quant au mode de connais sance, à savoir en tant que par lui-même <Dieu> connaît toutes choses 6: "Il s’est penché du haut de son lieu saint, le Seigneur a regardé du ciel sur la terre 7."

c. Enfin, quant à la certitude de la connaissance: "Les yeux du Seigneur sont beaucoup plus lumineux que le soleil, explorant du regard toutes les voies de l’homme et le profond de l’abîme, et examinant les coeurs des hommes jusque dans les parties les plus cachées 8."

935. 2. En deuxième lieu, <l’Apôtre> admire l’excellence de la connaissance

1. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 14; De veritate, Q. 2.

2. Eccl (Qo) 7, 25.

3. Jr 17, 12.

4. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 14, a. 2; De veritate, Q. 2, a. 2;

1 Contra Gentiles c. 47 et 48; 4 Contra Gentiles c. 11; Super Metaphys. 12, lect. 11 (éd. Marierti, n° 2614-2615).

5. Eccli (Si) 24, 7.

6. Lieux parallèles Somme Théologique P, Q. 14, a. 5; De veritate, Q. 2, a. 4; 1 Contra Cent. 48 et 49.

7. Ps 101, 20.

8. Eccli (Si) 23, 28.



divine quant à sa plénitude, lorsqu’il dit: des richesses. — "Sagesse et science sont des richesses de salut 1." Cette plénitude peut être considérée sous trois rapports:

a. D’abord, sous le rapport de la multitude des choses connues, c’est-à-dire que <Dieu> connaît toutes choses: "Seigneur, tu sais toutes choses 2." — "En lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 3."

b. Ensuite, sous le rapport de sa facilité de connaître, puisque son regard embrasse aussitôt toutes choses sans recherche et sans difficulté: "Tout est à nu et à découvert à ses yeux 4."

c. Enfin, sous le rapport de l’abon dance de la connaissance, puisque <Dieu> la communique à tous en abondance: "Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous en abondance 5."

936. 3. En troisième lieu, <l’Apôtre> admire l’excellence divine quant à sa perfection, lorsqu’il dit: de sagesse et de science de Dieu. Car <Dieu> a la sagesse des choses divines: "En lui sont la force et la sagesse 6", et la science des choses créées "Celui qui sait toutes choses la connaît 7."

937. — B. Lorsqu’il dit: Que ses jugements sont incompréhensibles, <l’Apôtre> montre l’excellence de la sagesse divine en la comparant à notre intelligence.

1. Et premièrement quant à la sagesse, à laquelle il appartient de juger et d’ordon ner. Aussi <l’Apôtre> dit-il: Que ses juge ments sont incompréhensibles, c’est-à-dire l’homme ne peut comprendre la raison des jugements divins, puisqu’ils se cachent dans la sagesse de Dieu: "Tes jugements sont un abîme profond" — "Comprendras-tu peut-être les traces de Dieu et découvriras-tu la perfection du Tout-Puissant ? 9."

2. Deuxièmement, quant à la science, par laquelle il opère dans les choses. Aussi ajoute-t-il: et insondables, c’est-à-dire que l’homme ne peut sonder parfaitement, ses voies, c’est-à-dire comment il procède pour opérer dans les créatures. Quand ces créatures elles-mêmes seraient connues de l’homme, cependant le mode selon lequel Dieu opère en elles ne peut être compris de l’homme: "Dans la mer a été ta voie, dans la multitude des eaux tes sentiers, et tes traces ne seront pas connues 10." — "Par quelle voie se répand la lumière et se distribue la chaleur sur la terre 11."

938. — II. Lorsqu’il ajoute: 34 Car qui a connu, etc., <l’Apôtre> prouve ce qu’il avait dit. A cet effet, il cite deux autorités <scripturaires>, dont l’une se trouve dans <le livre d’>Isaïe. On y lit selon notre version 12: "Qui a aidé l’Esprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller 13?" au lieu de ce qui est écrit ici: Car qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller 14?" L’autre autorité <scripturaire> se trouve dans <le livre de> Job. <On y lit selon notre version>: "Qui m’a donné le

1. Is 33, 6.

2. Jn 21, 17.

3. Col 2, 3.

4. He4, 13.

5. Jc 1, 5.

6. Jb 12, 16.

7. Ba 3, 32. On notera à quelle hauteur métaphysique la rigueur du commentaire thomasien lui permet de s’élever. Distinguant les trois éléments de l’exclamation paulinienne [ "ô abîme", 2)" des richesses", 3) de la sagesse et de la science de Dieu s], il rapporte chacun d’eux à un aspect de la connaissance que Dieu a de lui-même et du monde. Le premier aspect pourrait, en quelque manière, être rapporté au Père, source abyssale, le deuxième à l’Esprit-Saint, plénitude universelle, le troisième au Fils, connais sance parfaite et de Dieu (sagesse), et de la création (science).

8. Ps 35, 7.

9. Jb 11, 7.

10. Ps 76, 20.

11. Jb 38, 24.

12. Selon la Vulgate.

13. Is 40, 13.

14. Selon la Septante, éd. Alfred Rahlfs, vol. II, p. 619" us egn noun kuriou, kai us ausou sumboulos egeneto.



premier, afin que je lui rende 1?" au lieu de ce qui est écrit ici: Ou qui, le premier, lui a donné et sera rétribué? Or dans ces paroles comme dans celles qui suivent, l’Apôtre fait trois choses:

939. — A. Il montre en premier lieu l’excellence de la sagesse divine, en la comparant à notre intelligence, en disant: On a dit: Que ses jugements sont incompré hensibles, et ses voies insondables! <Et il ajoute aussitôt>: Car qui a connu la pensée du Seigneur?, c’est-à-dire par laquelle il juge et procède pour opérer; autrement dit, personne, à moins qu’elle ne lui soit révélée: "Qui pourra connaître ta pensée, si tu ne donnes toi-même la sagesse, et si tu n’envoies ton Esprit-Saint du plus haut des cieux 2 ? "Et: "Nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu 3." Or "Dieu nous l’a révélé par son Esprit 4."

940. — B. En deuxième lieu, <l’Apôtre> montre l’excellence de la sagesse divine, selon qu’elle renferme un abîme en elle-même, abîme qui est le propre du principe suprême, lequel se caractérise de deux manières:

1) D’abord, en ce qu’il ne dépend d’aucun autre.

2) Puis, parce que les autres <principes> dépendent de lui.

L’Apôtre montre ces caractères <en disant:> [n° 942]: 36 Puisque c’est de lui, etc.

941 — 1. Que la sagesse de Dieu ne dépend pas d’un principe plus élevé, <l’Apôtre> le montre de deux manières

a. D’abord, parce qu’elle n’est pas instruite par un conseil étranger. Aussi dit-il: Ou qui a été son conseiller? Autrement dit, personne. Car celui-là a besoin d’un conseil qui ne sait pas tout à fait comment il faut agir; ce qui ne s’applique pas à Dieu: "A qui as-tu donné conseil? sans doute à celui qui n’a pas de sagesse 6." — "Qui a assisté au conseil du Seigneur 7?"

b. Ensuite, parce qu’elle n’est pas aidée par un don étranger. Aussi dit-il: Ou qui, le premier, lui a donné, et pour cela sera rétribué comme s’il lui avait donné le premier? Comme s’il disait: personne. En effet, l’homme ne peut donner à Dieu que ce qu’il a reçu de Dieu: "Tout est à toi, et c’est de ta main que nous avons reçu ce que nous t’avons donné 8." — "Si tu agis justement, que lui donneras-tu, ou que recevra-t-il de ta main ? 9"

942. — 2. En disant ensuite 10: 36 Puisque c’est de lui, etc., <l’Apôtre> montre l’abîme de Dieu, en tant qu’en lui sont toutes choses.

a) Et il montre d’abord sa causalité.

b) Puis, sa dignité [n° 950]: A lui l’honneur et la gloire.

c) Enfin, sa perpétuité [n° 951]: Dans les siècles des siècles. Amen.

943. a. 1l commence donc par dire: J’ai dit à juste titre que personne ne lui a donné le premier, puisque c’est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses. Et ainsi rien ne peut exister sans l’agrément de Dieu.

1. Jb 41, 2

2. Sg9, 17.

3. 1 Co 2, 11.

4. 1 Co 2, 10.

5. Lieux parallèles sur la science en Dieu: Somme Théologique P, Q. 14, a. 1; 1 Sentences dist. 35, a. 1; 1 Contra Gentiles c. 44; De poSentences Q. 8, a. 1; Q. 9, a. 5; De veritate, Q. 2, a. 1; Compend. theol., c. 28 et 35. — Sur la justice en Dieu: Somme Théologique Ia, Q. 21, a. 1; 4 Sentences dist. 46, Q. 1, a. 1, q 1; 1 Contra Gentiles c. 93; De div. nom., c. 8, lect. 4.

6. Jb 26, 3.

7. Jr 23, 18.

8. 1 Par (1 Ch) 29, 14.

9. Jb 35, 7.

10. Lieux parallèles: Somme Théologique P, Q. 44, a. 1 et 2; Q. 65, a. 1. 2 Sentences dist. 1, Q. 1, a. 2; dist. 37, Q. 1, a. 2; 2 Contra Gentiles c. 15 et 16; De poSentences Q. 3, a. 5 et 6; Compend. theol., c. 68 et 69; De subsi. separ., c. 9; De div. nom., c. 5, lect. 1; Super Physicam 8, lect. 2 (éd. d’Auria, n° 1992-2058); Cou, in Symb. Apost., a. 1.

11. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 39, a. 8; 1 Sentences dist. 14 (expos. lin. ); dist. 31, Q. 2, a. 1; Q. 3, a. 1; dist. 34, Q. 2; dist. 36, Q. l, a. 3, sol. 5; Deveritate Q. l, a. 7; Q. 7, a. 3; IIAdCor. lect. 3 (éd. Marsettî, n° 544).



Or pour désigner la causalité de Dieu, <l’Apôtre> se sert de trois prépositions, qui sont "de" ou "à partir de" (ex), "par" (per), et "en" (in).

La préposition " de" ou "à partir de" (ex) indique le principe du mouvement, et cela de trois manières: D’abord en désignant le principe même de l’action ou du mouvement; ensuite la matière même; enfin, dans l’opposition des termes contraires <de tout processus>, le terme même à partir duquel se produit le mouvement. On dit en effet que le couteau se fait à partir du fabricant, à partir du fer, et à partir de ce qui n’a pas encore la forme de couteau. Toutefois, l’ensemble des êtres créés n’a pas été fait à partir d’une matière préexistante, puisque la matière est elle-même l’effet de Dieu. Il s’ensuit qu’on ne dit pas, de tous les êtres créés, qu’ils existent à partir de quelque chose, mais que, comme à partir d’un terme opposé, ils existent à partir de rien, car ils n’étaient rien avant que la création ne les fasse passer à l’existence: "Nous sommes nés de rien." Mais c’est à partir de Dieu, comme de leur premier agent, que tous les êtres viennent à l’existence: "Et toutes choses viennent de (ex) Dieu

944. Il faut noter, il est vrai, que la préposition <latine> de semble désigner les mêmes relations (que la préposition ex) elle y ajoute cependant quelque chose: elle désigne toujours la consubstantialité de la cause (et de l’effet). Ainsi nous disons que le couteau est de fer, nous ne disons pas qu’il est du (de) fabricant; puis donc que le fils procède du père en tant qu’il lui est consubstantiel, nous disons que le fils est du père. Mais les créatures ne procèdent pas de Dieu comme si elles lui étaient consubstantielles; aussi ne dit-on pas qu’elles sont de (de) lui, mais qu’elles sont à partir de (ex) lui

945. Quant à la préposition "par" (per), elle désigne la cause de l’opération, mais parce que l’opération est intermé diaire entre celui qui fait et ce qui est fait, cette préposition peut désigner de deux manières la cause de l’opération.

Selon une première manière, en tant que l’opération vient de celui qui opère c’est ainsi que l’on dit opérer par soi-même quand on est soi-même la cause qui fait opérer. Cela appartient, dans un sens, à la forme, comme nous disons que le feu réchauffe par la chaleur. Selon une autre manière, en tant que l’opération est l’acte d’un agent supérieur, par exemple lorsque nous disons que l’homme engendre par la

1. Sg 2, 2.

2. 1 Corinthiens 11, 12.

3. Ces deux paragraphes (943 et 944), comme les suivants, renvoient à des notions classiques en philosophie scolastique et souvent reprises par saint Thomas pour commenter le ternaire ex (Ou de), per, et in, ou pour rendre compte de la formule ex nihilo appliquée â la création. On saisit à plein, ici, la connexion étroite qui, pour les médiévaux, unit la grammaire et la philosophie. Outre ce que nous avons déjà dit sur la matière considérée comme cause, nous rappellerons brièvement quelques données relatives au trai tement du mouvement dans la scolastique, ce qui permettra de comprendre quelques expressions techniques dont saint Thomas use ici. Le concept de mouvement englobe non seulement le dépla cement d’un corps dans l’espace, mais aussi tout processus de production, de changement ou de croissance—diminution. Comme le déplacement local, tout mouvement s’effectue entre deux termes un " terme â partir duquel" (terminus a quo) et un "terme vers lequel" (terminus ad quem) a lieu le mouvement. Ces deux termes constituent un couple d’opposés. Mais il y a deux sortes d’oppo sition l’opposition des contradictoires dans laquelle l’un des opposés est la négation de l’autre, et l’opposition des contraires dans laquelle l’un des opposés est l’antithèse de l’autre. Dans le cas du mouvement, les termes opposés sont des contraires (point de départ, point d’arrivée), mais l’un n’est pas la négation de l’autre ils s’opposent sans se contredire. Gomme tout mouvement, la création est un processus, mais un processus d’un type particulier, dans lequel le point de départ, le terminus a quo, ne saurait désigner une matière préexistante. Quand donc ce point de départ est appelé nihil, " rien", ce rien d’où est tirée la créature (ex nihilo), ne signifie pas un quelque chose. Mais, puisque tout processus a lieu entre une paire d’opposés, il tient seulement la place logique de l’un de ces opposés, l’autre opposé étant l’existence même qui est conférée à la créature par l’acte créateur. Ce point de départ, qu’est le nihil, n’a pas de valeur réelle car, comme le dit le père Sertillanges " Au vrai, la création n’a pas de point de départ" (voir la note explicative [ à propos de Somme Théologique 1a Q. 45, a. 1, sol. 2, La Création, éd. de la Revue des Jeunes, Desclée et Cie, 1927, p. 183), Dieu produisant tout l’être; il n’a qu’une valeur logique. Toutefois, il y a bien une cause à la production de l’être, mais c’est une cause agente, non une cause matérielle et c’est Dieu: ainsi l’être des créatures est ex Deo.



vertu du soleil, ou plutôt par celle de Dieu 1.

Ainsi donc toutes choses sont dites être par lui de deux manières: D’abord, comme par un premier agent, par la vertu duquel toutes les autres choses agissent: "Par moi règnent les rois 2."

Ensuite, en tant que sa sagesse, qui est son essence, est la forme par laquelle Dieu a fait toutes choses, selon ce passage des Proverbes: "Le Seigneur, par la sagesse, a fondé la terre 3."

946. Selon 4 un autre sens, cette préposition "par" désigne la cause de l’opération, non en tant que l’opération résulte de celui qui opère, mais en tant qu’elle se termine à une oeuvre. On dit ainsi que l’ouvrier fabrique le couteau par (per) son marteau; ce qui ne signifie pas que le marteau opérerait avec l’ouvrier, comme on l’a expliqué au <paragraphe> précédent, mais parce que, pour faire le couteau, l’ouvrier opère au moyen (per) du marteau. Et voilà pourquoi on dit que cette prépo sition "par" désigne l’autorité, tantôt direc tement, lorsqu’on dit par exemple: Le roi opère par le bailli — ce qui concerne le cas dont nous parlons maintenant —, tantôt dans son principe causal, lorsqu’on dit par exemple: le bailli opère de par le roi ce qui concerne le mode (causal) du <para graphe> précédent. Or, s’agissant du mode (causal) dont nous parlons maintenant, on dit que le Père a fait toutes choses par le Fils, selon ce verset de Jean "Toutes choses ont été faites par lui 5"; non que le Père tienne du Fils ce <pouvoir> qui fait les choses, mais plutôt parce que le Fils reçoit du Père la puissance de faire, non de manière instrumentale, ou moindre, ou différente, mais principale, égale et semblable: "Tout ce que <le Père> fait, cela aussi le Fils le fait pareillement 6." Par conséquent, bien que le Père fasse toutes choses par le Fils, le Fils n’est ni l’instrument ni le ministre du Père 7.

1. Les deux causes désignées par la préposition "par" (per) sont la cause formelle et la cause efficiente ("Ts-S0MAS, De principiis naturae; voir H-D. GARDEIL, Initiation à la philosophie de saint Thomas, t. II, Cosmologie, p. 114). Ainsi, l’intermédiaire que signifie ce "para peut être intrinsèque à l’être qui opère (c’est le cas de la forme, ou qualité essentielle par laquelle l’opérateur agit), ou extrin sèque: c’est le cas lorsqu’un agent (ou opérateur) agit non seulement en vertu de sa forme (l’homme engendre l’homme en venu de la forme humaine qui est en lui), mais aussi en vertu de l’action qu’exerce sur lui un agent supéneur qui lui communique sa force. Or, c’est un principe de la cosmologie d’Aristote admis par saint Thomas, que la génération est due à l’influence du soleil L’homme a d’abord pour cause ses éléments, savoir le Feu et la Terre, comme matière, et sa forme propre, — puis une autre cause, cause externe, c’est-â—dire le père, — et enfin, outre ces causes, le Soleil" (Métaphysique, livre A, 5, 1071 a 10-15; trad. J. Tricot, t. H, p. 164). De même saint Thomas explique que "le soleil est cause dans la génération de l’homme ou du lion", mais c’est une causalité non spécifique, qui ne peut être cause de l’être individuel (2 Sentences dist. 1, Q. 1, a. 4 in corpore). A travers les causes secondes, en ultime instance, c’est la cause divine qui est vraiment efficiente.

2. Pr8, 15.

3. Pr3, 19.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 1 Q. 39, a. 8.

5. Jn 1, 3. — Lieu parallèle Super Ioan. 1, 3, lect. 2 (éd. Marietti, n° 76).

6. Jn 5, 19b.

7. Au paragraphe précédent, saint Thomas a examiné deux sens de" par", soit qu’il indique la cause formelle (intrinsèque ou imma nente à l’agent): ainsi le feu brûle par la forme qualitative" chaleur " qui est en lui; soit qu’il indique un agent supérieur qui influe sur l’agent propre et direct: ainsi l’homme engendre l’homme par l’effet du soleil (quand il se rapproche de la terre). Il envisage maintenant un autre sens, celui où "par" indique la cause intermédiaire, qu’on appelle, le cas échéant, cause instrumentale. Il ne s’agit donc plus du rapport que l’opération a avec l’agent qui l’accomplit, mais de celui qu’elle a avec l’oeuvre produite le marteau n’est pas nécessairement lié à l’ouvrier (qui peut utiliser d’autres outils), mais à la fabrication du couteau (pour battre le fer et forger la lame). Ainsi le bailli est-il l’instrument propre de l’autorité du roi, en tant qu’elle s’exerce directement sur ses sujets (c’est le sens instrumental de" par" qu’envisage ce paragraphe 946), mais le bailli agit au nom du roi qui est le principe supérieur et la source ou cause de l’autorité (ce qui nous renvoie au cas du soleil, agent supérieur des processus de géné ration). C’est précisément en ce sens de cause intermédiaire que le Fils est celui par qui tout a été fait; et cette causalité médiane (causa media) lui est attribuée en propre (Somme Théologique P, Q. 39, a. 8, sol. 4). La personne du Fils, en effet, est distincte de celle du Père, de même que le marteau est distinct de l’ouvrier et le bailli du roi. Et donc c’est réellement par le Fils que le Père crée. Cependant le Fils n’est pas l’instrument passif du Père créant le monde, comme le marteau est l’instrument passif de l’ouvrier fabriquant le couteau; et il n’est pas non plus comme le bailli qui agit, certes, mais au nom du roi, avec une autorité moindre, et sans être le principe de l’autorité qu’il exerce, alors que le Fils exerce le pouvoir créateur reçu du Père avec une puissance égale et selon un mode aussi principiel.

947. Quant à la préposition "dans" (in), elle désigne aussi une triple relation causale

Elle désigne d’abord la matière, à la manière dont nous disons que l’âme est dans le corps et la forme dans la matière. Dans ce sens, on ne peut pas dire que toutes choses sont en Dieu, parce qu’il n’est pas la cause matérielle des choses 1.

Ensuite, <cette préposition "dans"> désigne une relation de cause efficiente, cause qui a le pouvoir de disposer de ses propres effets. Dans ce sens on dit que toutes choses sont en <Dieu>, en tant que toutes choses sont sous sa puissance et à sa disposition, selon ce verset d’un psaume: "Dans sa main sont tous les confins de la terre 2." Et des Actes: "C’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous sommes 3."

Enfin, <cette préposition "dans"> désigne une relation de cause finale, selon que tout le bien d’une chose et sa conser vation résident dans son bien suprême. Dans ce sens on dit que toutes choses sont en Dieu, comme dans la bonté qui conserve "Toutes choses subsistent en lui 4."

948. - Quant à l’expression: "Toutes choses", elle doit être prise au sens absolu pour toutes les choses qui ont vérita blement l’être. Or les péchés n’ont pas véri tablement d’être, mais ils sont péchés par défaut d’être, étant donné que le mal n’est rien si ce n’est la privation du bien. Ainsi, lorsque <l’Apôtre> dit: c’est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses, il ne faut pas entendre ce passage des péchés; en effet, selon Augustin, "le péché n’est rien et les hommes sont réduits à rien lorsqu’ils pèchent 6." Cependant ce qu’il y a d’entité dans le péché, tout cela est de Dieu 7.

949 — Ainsi donc 8, d’après ce qui précède, toutes choses sont de lui, c’est-à-dire de Dieu, comme du premier pouvoir qui opère; toutes choses sont par lui, en tant qu’il fait toutes choses par sa sagesse; et toutes choses sont en lui, comme dans la bonté qui conserve. Or ces trois attributs, à savoir la puissance, la sagesse et la bonté, sont communs aux trois personnes; par conséquent la formule <de l’Apôtre>: de lui, et par lui, et en lui, peut être attribuée à chacune des trois personnes 9.

Cependant, la puissance, qui a le caractère de principe, est appropriée au Père, qui est le principe de toute divinité; la sagesse au Fils, qui procède en tant que Verbe, parce qu’il n’est autre chose que la Sagesse engendrée; la bonté est appropriée à l’Esprit-Saint, qui procède en tant qu’amour, dont l’objet est la bonté. Et c’est pourquoi nous pouvons dire par appro priation: de lui, c’est-à-dire du Père, par lui, c’est-à-dire par le Fils, en lui, c’est-à-dire en l’Esprit-Saint, sont toutes choses.

1. Dieu n’est pas la matière, le substrat dont le monde est tiré, d’une part parce qu’il n’y a pas de matière en Dieu, d’autre part parce que l’être du monde est tout entier créé, forme et matière. Ainsi est écarté tout risque de ce qu’on appellera au xv siècle le panthéisme.

2. Ps 94, 4.

3. Ac 17, 28.

4. Col 1, 17.

5. Lieux parallèles Somme Théologique Ia, Q. 49, a. 1 et 2; Q. 79, a. 1; 1a-2ae, Q. 75, a. 1; 2Sentences dist. 34, Q. I, a. 3; Demalo, Q. l, a. 3; Q. 3, a. 1 et 2; De quodlibet II, Q. 2; Ad Rom. 7, 17, lect. 3 (éd. Marietti, n° 571).

6. SAINT AUGUSTIN, In Ev. ban 1, 13 (BA 71, 152-155); Enarr. in Ps. 123, 5, 9 (CCL 40, 1828-1829). — Lieu parallèle Ad Rom. 8, 28, lect. 6 (éd. Marietti, n° 698).

7. Saint Thomas explicite ce qu’il entend ici par "entité dans le péchés, dans son commentaire des Sentences de Pierre Lombard (2, dist. 37, Q. 1, a. 2, réponse â l’obj. 3): "<Le mot> "être" se dit de deux manières

Soit qu’il signifie l’essence d’une réalité existant en dehors de l’âme et ainsi le péché en tant que difformité, qui est une certaine privation, ne peut recevoir le nom d’être: car les privations n’ont pas d’essence dans la nature des choses. Soit selon qu’il signifie la vérité d’une proposition; et ainsi la difformité est appelée être, non point parce qu’elle possède l’être en réalité, mais parce que l’intelligence compose <en unissant ici> la privation avec le sujet, comme une certaine forme. Par conséquent, de même qu’à partir de l’union de la forme au sujet ou â la matière, il en résulte un certain être subs tantiel ou accidentel, ainsi l’intelligence signifie-t-elle aussi l’union de la privation avec le sujet par un certain être. Mais cet être n’est qu’un être de raison, puisque en réalité il est plutôt non-être; et selon que <le péché en tant que difformité> a l’être dans la raison, il est évident que <son être> est de Dieu * (Opera omnia, éd. Parme, t. VI, p. 721).

8. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia, Q. 39, a. 8; De veritate, Q. 4, a. 8 sol. 3.

9. Voir Glosa in Rom. XI, 36 (GPL, col. 1492 D). — Lieux parallèles: Ad Rom. 2, 5, lect. 1 (éd. Marietti, n° 187) 16, 27, lect. 2 (éd. Marietti, n° 1228).



950. b. Lorsqu’il dit: à lui l’honneur et la gloire, <l’Apôtre> montre la dignité de Dieu, qui consiste en deux choses mentionnées précédemment. Car du fait que de lui, et par lui, et en lui, sont toutes choses, l’honneur, le respect et la sou mission lui sont dus par toute la création < Si donc moi <je suis> votre père, où est mon honneur 1?" Mais du fait qu’il ne reçoit d’autrui ni conseil ni don, la gloire lui est due, comme en sens contraire il est dit à l’homme:" Qu’as-tu que tu n’aies reçu 2? Que si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu, comme si tu ne l’avais pas reçu" Et parce que c’est le propre de Dieu, il est dit dans <le livre d’>Isaïe: "Je ne donnerai pas ma gloire à un autre 3."

951. c. En dernier lieu 4 <l’Apôtre> expose l’éternité <de Dieu>, lorsqu’il dit: dans les siècles des siècles, parce que sa gloire n’est pas transitoire, comme la gloire de l’homme, dont il est dit: "Toute sa gloire est comme la fleur du champ 5", mais elle dure dans les siècles des siècles, c’est-à-dire à travers tous les siècles qui succéderont aux siècles, selon que par siècle on entend la durée de chaque chose. On appelle encore siècles des siècles, les siècles, c’est-à-dire la durée des choses incorruptibles, qui contient les siècles des choses corrup tibles, et principalement l’éternité proprement dite de Dieu qui, bien qu’elle soit une et simple, peut cependant s’exprimer au pluriel, à cause de la multitude et de la diversité des siècles qu’elle contient, de sorte que le sens est dans les siècles qui contiennent des siècles "Ton règne est un règne de tous les siècles 6."

952. <L’Apôtre> ajoute comme confir mation: Amen, autrement dit: En vérité, il en est ainsi. C’est dans ce sens que ce mot est pris dans les évangiles, où il est dit Amen, je vous le dis. Quelquefois cependant cette expression est prise pour Fiat, qu’il en soit ainsi. D’où il est dit dans le psautier de Jérôme: "Tout le peuple dira: Amen, amen 8", là où nous, nous lisons: < Fiat, flat, qu’il en soit ainsi, qu’il en soit ainsi 9."

1. Ml, 6.

2. I Co 4, 7.

3. Is 42, 8.

4. Lieux parallèles Somme Théologique 1a Q. 10, a. 1; 1 Sentences dist. 8, Q. 2, a. 1; dist. 19, Q. 2, a. 1; De poSentences Q. 3, a. 14 et 20; Super librum De causis, lect. 2.

5. Is 40, 6.

6. Ps 144, 13.

7. Lieu parallèle Super Is. 25, 1.

8. Ps 106, 48. Selon le Psautier iuxta Hebraeos, voir éd. Dom Henri de Sainte-Marie, Rome, 1954 ("Collectanea Biblica latina", XI) p. 156 et dicet omnis populus amen Alleluia." Ou: "Amen, amen."

9. Ps 105, 48 (selon la Vulgate).




Thomas A. sur Rm (1999) 53