Thomas A. sur Rm (1999) 63

Leçon 3 [versets 20b à 23]

63
075 (
Rm 14,20-23)


[n° 1132] 20b Assurément, toutes choses sont pures, mais telle chose est mauvaise pour l’homme qui mange en succombant au scandale.

[n° 1134] 21 Il est bon de ne pas manger de chair et de ne pas boire de vin, et de ne rien faire qui offense, scandalise ou affaiblisse ton frère.

[n° 1136] 22 Toi, as-tu la foi? Garde-la pour toi-même devant Dieu. Bienheureux celui qui ne se juge pas lui-même dans ce qu’il éprouve comme bon!

[n° 1139] 23 Mais celui qui fait une distinction, s’il mange, est condamné, parce que cela ne procède pas de la foi. Or tout ce qui ne procède pas de la foi est péché.



1132. Après 1 avoir exposé un raison nement qui démontre que nous ne devons pas, au scandale du prochain, user indiffé remment de tous <les aliments> [n° 1122], l’Apôtre montre ici comment certains aliments peuvent être purs et impurs. Et à cet effet il fait deux choses

I. Il indique d’abord les choses qui sont pures par leur nature, en disant: Assurément, toutes choses, c’est-à-dire toutes les choses qui peuvent servir à la nourriture de l’homme, sont pures, c’est-à-dire par leur propre nature, parce que par leur propre nature elles n’ont rien qui puisse souiller l’âme de l’homme, selon ce passage de Matthieu: "Ce n’est pas tout ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme 2"; et de <Paul> à Timothée "Toute créature de Dieu est bonne 3." Or, dans la Loi, certaines choses étaient appelées impures, non à cause de leur nature, mais à cause de leur signification, comme on le voit au chapitre 11 du Lévitique 4. Mais le Christ, en accomplissant les figures de la Loi ancienne, a supprimé cette impureté. Aussi est-il dit à Pierre: "Ce que Dieu a purifié, toi ne l’appelle pas commun 5", c’est-à-dire impur.

II. Puis, [n° 1133] <en disant:>: mais telle chose est mauvaise pour l’homme, etc., <l’Apôtre> montre comment un aliment peut devenir impur pour l’homme, c’est-à-dire que par l’usage qu’il en fait il souille son âme; ce qui arrive manifestement de deux manières:

A) En premier lieu, lorsqu’on fait usage d’un aliment quelconque au scandale du prochain.

B) En second lieu, lorsqu’on mange contre sa conscience [n° 1138]: Bien heureux celui qui ne se juge pas lui-même, etc.

1. Somme Théologique Ia-2ae Q. 102, a. 6 sol. 1.

2. Mc 15, 11. Le mot omne (tout) figure dans certains manuscrits. Voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. III (Notae ad versionem antiquam), p. 90.

3. 1 Tm 4, 4.

4. Voir Lv 11, 2-47.

5. Ac 10, 15.



1133. — A. Sur le premier point <l’Apôtre> fait trois choses:

1. Il montre premièrement ce qui est mauvais dans l’usage des aliments, en disant: Bien que par nature toutes choses soient pures, cependant telle chose est mauvaise pour l’homme qui mange n’importe quel aliment en succombant au scandale, c’est-à-dire pour la confusion et le scandale du prochain "Malheur à l’homme par qui le scandale arrive 1."

1134. 2. Il montre deuxièmement ce qui est bon dans l’usage de ces aliments, en disant: 21 Il est bon de ne pas manger de chair et de ne pas boire de vin; la première mention regarde principalement les aliments, la seconde la boisson. Et <l’Apôtre> établit qu’il est bon de s’en abstenir, soit pour dompter la concupis cence de la chair, selon ces paroles de Paul aux Ephésiens: "Ne vous enivrez pas du vin qui renferme la luxure 2"; soit même pour rendre l’homme plus capable de contempler les réalités spirituelles, selon ce passage de l’Ecclésiaste: "J’ai pensé dans mon coeur à détourner ma chair du vin, afin de porter mon esprit à la sagesse 3." Toutefois ce sens n’est pas dans l’intention de l’Apôtre, mais il veut dire qu’il est bon de ne pas user de ces aliments <pour éviter> le scandale du prochain. Et du reste, ce qui suit le montre manifes tement et de ne rien faire qui offense, scan dalise ou affaiblisse ton frère. Ce que je dis, non seulement je le dis à propos du vin et des chairs dont il est bon de s’abstenir, mais de n’importe quel autre aliment qui offense ton frère, c’est-à-dire qui le soulève dans son trouble contre toi, comme si tu agissais d’une manière illicite, et par suite de quoi sa paix est perturbée; ou qui le scandalise, c’est-à-dire qui le provoque à tomber dans le péché et qui en raison de cela lèse sa justice; ou qui l’affaiblisse, c’est-à-dire qui le jette au moins dans le doute en se demandant si ce qu’on a fait est licite, ce qui diminue sa joie spirituelle. Aussi l’Apôtre dit-il lui-même: "Si Lu aliment scandalise mon frère, je ne mangetai j-de chair, afin de ne pas scandaliser uion frère 4."

1135. Cependant 5, puisqu’il est licite d’user de ces aliments, si, pour éviter le scandale du prochain, il faut s’en abstenir, pour une raison analogue il semble qu’il faille s’abstenir de toutes les choses licites, qui ne sont pas nécessaires au salut, comme le sont la justice, la paix et la joie spiri tuelles. Il semble donc qu’il ne soit pas permis à l’homme de réclamer ce qui lui appartient au scandale du prochain.

Il faut dire que si le scandale vient de la faiblesse ou de l’ignorance de ceux qui en prennent occasion de se scandaliser, pour éviter ce scandale, l’homme doit s’abstenir des choses licites dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires au salut. Tel est, en effet, le scandale des petits que le Seigneur ordonne d’éviter: "Prenez garde de mépriser un seul de ces petits; parce que, je vous le dis, leurs anges voient sans cesse dans le ciel la face de mon Père qui est dans les cieux 6." Mais si un tel scandale provient de la malice de ceux qui se scan dalisent, ce scandale est semblable à celui des pharisiens que le Seigneur nous a enseigné à mépriser 7. Donc, pour éviter un tel scandale il ne faut pas s’abstenir des choses licites. Toutefois, à l’égard du scandale des petits, il faut remarquer que, pour l’éviter, on est tenu de différer l’usage des choses licites jusqu’à ce que l’on puisse, après avoir donné une explication, l’écarter. Mais si, après avoir donné l’explication, le scandale demeure encore, il semble qu’il ne vienne plus de l’ignorance ou de la faiblesse, mais de la malice, et qu’il appar tienne alors au scandale des pharisiens.

1. Mt 18, 7.

2. Ep 5, 18.

3. EccI (Qo) 2, 3.

4. 1 Co 8, 13.

5. Lieux parallèles: 5. Th. 2a-2 Q. 43, a. 7 et 8; 3a, Q. 42, a. 2;

4 Sentences dist. 38, Q. 2, a. 4, Q. 1, 2, 3; Contra tmpugn. De, cuit, et relig., c. 15; Super Maul, . 15, 14 (éd. Marietti, n° 1308).

6. Mt 18, 10.

7. Voir Mt 15, 12s.



1136. 3. En troisième lieu, <l’Apôtre> écarte une excuse. En effet, on pourrait dire: Bien que le prochain soit scandalisé de ce que moi j’use indiffé remment des aliments, cependant pour montrer ma foi, d’après laquelle il est certain que cela m’est permis, je veux en user indifféremment. Mais l’Apôtre, écartant ce prétexte, dit: 22 Toi, c’est-à-dire toi qui uses indifféremment des aliments, as-tu la foi droite en toi-même, cette foi par laquelle il est certain qu’on peut licitement user de ces aliments? Cette foi est bonne et louable, mais garde-la dans le secret devant Dieu, à qui elle est agréable: "Ce qui est agréable <à Dieu>, c’est la foi et la douceur 1." Comme si <l’Apôtre> disait: Il ne faut pas que tu manifestes cette foi par l’accomplissement des oeuvres, lorsque cela se fait au scandale du prochain.

1137. — Mais 2 cela semble contredit par ce verset du chapitre 10: "on croit de coeur pour la justice et on confesse de bouche pour le salut 3." On voit donc qu’il ne suffit pas seulement d’avoir la foi de coeur devant Dieu, mais qu’il faut manifester cette foi au prochain en la confessant.

On répondra en disant que, parmi les vérités qui sont de foi, certaines ne sont pas parfaitement manifestées par l’Eglise. Ainsi, dans l’Eglise primitive, il n’était pas parfaitement défini que ceux qui s’étaient convertis parmi les Juifs n’étaient plus tenus d’observer les prescriptions légales; et de même, au temps d’Augustin 4 il n’était pas encore défini par l’Église que l’âme ne se transmettait pas 5. Donc en ce domaine, il suffit à l’homme d’avoir la foi devant Dieu, mais il ne faut pas la proclamer au scandale du prochain, si ce n’est peut-être devant ceux qui ont le pouvoir de définir ce qui est de foi. En revanche, d’autres vérités appartiennent à la foi et sont déjà définies par l’Eglise; à leur égard il ne suffit pas d’avoir la foi devant Dieu, mais il faut confesser sa foi devant le prochain, quel que soit le scandale qu’il en résulte, parce que la vérité de la doctrine ne doit pas être délaissée à cause du scandale, à l’exemple du Christ qui n’a pas délaissé la vérité de sa doctrine à cause du scandale des pharisiens, comme on le voit dans <l’évangile de> Matthieu 6. Il faut savoir aussi que, bien qu’à l’égard de ces vérités l’homme doit manifester sa foi par la confession en paroles, il ne doit cependant pas la manifester par l’accomplissement des oeuvres; ainsi ne requiert-on pas de celui qui tient de foi qu’il est licite d’user du mariage qu’il en use pour la manifestation de sa foi. De même il n’était pas requis de ceux qui avaient une foi droite qu’ils mani festent leur foi en faisant usage des aliments. Car ils pouvaient la manifester en la confessant seulement en paroles.

1. Eccli (Si) 1, 34b-35a.

2. Lieux parallèles: Somme Théologique 3a, Q. 3, a. 2; 3 Sentences dist. 29, a. 8, Q. 2, sol. 3; De quodlibet 9, Q. 7, a. 1; Ad Rom. 10, 10, lect. 2 (éd. Marietti, n° 831".).

3. Rm 10, 10.

4. Voir SAINT AUGUSTIN, De libero arbitrés III, xxI, 59-62 (BA 6, 434-445); Lettre CLXVI (PL 33, 720-733; CSEL 44, 545-585).

5. Il s’agit du difficile problème de l’origine de l’âme qui "est une question non résolue dans les textes d’Augustin " (Edouard-Henri WÉBER, La Personne humaine au xiii’ siècle. L’avènement chez les maîtres parisiens de l’acception moderne de l’homme, p. 32). Contrai rement à beaucoup de médiévaux qui sollicitent les textes augus tiniens (et parfois les fabriquent) pour les accorder à la doctrine de l’Eglise, saint Thomas, avec son habituelle lucidité critique, prend acte des hésitations du grand Docteur de l’Occident. Dire que l’âme se transmet, signifie que l’âme est transmise par les parents à l’embryon au moment de l’acte générateur. "Transmettre " se disant en latin traducere, cette thèse a reçu le nom de traducianisme l’hypothèse inverse, qui affirme que l’âme est créée par Dieu direc tement et infusée ensuite dans l’embryon, a reçu le nom de créatia nisme (c’est la doctrine retenue par l’Eglise). Sans doute saint Augustin a-t-il commencé par combattre le traducianisme quasi matérialiste de Tertullien (la matière ne peut pas produire de l’esprit), mais, tout en déclarant sa perplexité, il n’écarte pas abso lument un traducianisme spiritualiste selon lequel l’ême de l’enfant viendrait des parents, ce qui rendrait compte de la transmission du péché originel (DTC, t. I, col. 2359-2361). — Voir aussi chap. 5, v. 12; leçon 3, n°408, n. 1, p. 219.

6. Voir Mt 15, 12s.



1138 — B. En ajoutant 1: Bienheureux celui qui ne se juge pas, etc., <l’Apôtre> montre comment l’usage des aliments devient impur pour quelques-uns, du fait même que cet usage s’oppose à la conscience i’ur ce point il fait trois choses [n° 1139 et 1140].

1. Il montre premièrement ce qui est bien à ce propos, à savoir que la conscience ne tourmente pas l’homme sur ce qu’il n’a pas fait. Aussi dit-il: Bienheureux celui qui ne se juge pas lui-même, c’est-à-dire que la conscience ne reprend pas ou ne condamne pas, dans ce qu’il éprouve comme bon, c’est-à-dire dans ce qu’il approuve comme devant être fait. Entendez: s’il approuve avec une foi droite qu’une chose doit être faite. Mais si par une opinion fausse il estime rendre un culte à Dieu en mettant à mort les disciples du Christ, comme on le dit dans <l’évangile de> Jean 2, il est inexcusable pour ne s’être pas jugé lui-même. Au contraire, il serait plus heureux si sa conscience l’en reprenait, selon que ses reproches l’éloigneraient davantage du péché. Mais dans le domaine des choses qui sont licites, il faut comprendre ce que dit ici l’Apôtre: il appartient, en effet, à la gloire de l’homme que sa conscience ne lui fasse pas de reproche: "Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience: nous nous sommes conduits dans ce monde, et plus particulièrement envers vous, avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, et non point selon la sagesse charnelle, mais selon la grâce de Dieu 3."Et: "Mon coeur ne me reproche rien dans toute ma vie 4."

1139. 2. Deuxièmement, <l’Apô tre> montre ce qui est mal à ce propos, à savoir d’agir contre sa conscience. Aussi dit-il: 23 Mais celui qui fait une distinction, c’est-à-dire celui qui a une opinion fausse d’après laquelle il faut faire une distinction dans les aliments, s’il mange, à savoir des aliments qu’il répute illicites, est condamné, étant donné qu’il dépend de lui d’avoir la volonté de faire ce qui est illicite, et par conséquent "il pèche, puisqu’il est condamné par son propre jugement 5, comme le dit <Paul> dans son épître à Tite.

1140. 3. Troisièmement, <l’Apôtre> donne la raison de ce qu’il avait avancé, en disant: parce que cela ne procède pas de la foi, c’est-à-dire voilà pourquoi il est condamné. Or ce mot "foi" peut être pris ici de deux manières: d’abord pour la foi qui est une vertu, ensuite pour la foi selon qu’elle signifie la conscience 6. Et ces deux acceptions n’ont d’autre différence entre elles que celle du particulier et du général. Car ce que nous tenons en général par la foi, par exemple que l’usage des aliments est licite ou illicite, la conscience l’applique à l’oeuvre qui a été accomplie ou à accomplir 7. <L’Apôtre> dit donc que celui qui mange et fait une distinction est pour cette raison condamné, parce que cela n’est pas de foi, au contraire cela est contre la foi, c’est-à-dire contre la vérité de la foi et contre la conscience de celui qui agit "Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu 8." Et que cette cause de condam nation soit suffisante, il le montre en ajoutant: Or tout ce qui ne procède pas de la foi est péché.

1. Lieux parallèles Somme Théologique 1 Q. 19, a. 5; 2 Sentences dist. 39, Q. 3, a. 2 et 3; De veritate, Q. 17, a. 4; De malo, Q. 2, a. 2, sol. 8; De quodlibet 3, Q. 12, a. 2; 8, Q. 6, a. 3.

2. Voir Jn 16, 2.

3. 2 Co 1, 12.

4. Jb 27, 6b.

5. Tt 3, 11.

6. Voir Glosa in Rom. XIV, 23 (GPL, col. 1519G).

7. Un rapport analogue existe en français: l’expression " de bonne foi signifie à peu près " en conscience." La foi, comme vertu, est du côté des vérités générales; la foi, comme conscience, est du côté des réalités particulières.

8. He 11, 6.



De là il est évident que, selon le commentaire de la Glose, "toute la vie des infidèles est péché 1", comme toute la vie des fidèles est méritoire, en tant qu’elle est ordonnée à la gloire de Dieu, suivant ce passage de la première épître aux Corin thiens "Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu 2."

1141. Cependant 3 il faut dire que la conduite du fidèle à l’égard du bien est différente de celle de l’infidèle à l’égard du mal. Car dans l’homme dont la foi est formée, il n’y a aucune condamnation, comme <l’Apôtre> l’a dit plus haut 4 [n° 595]. Mais dans l’homme infidèle le bien de la nature demeure malgré son infidélité. Voilà pourquoi quand un infidèle, sous la prescription (dictamen) de la raison, accomplit quelque bien sans le rapporter à une fin mauvaise, il ne pèche pas. Cependant son oeuvre est sans mérite, parce qu’elle n’est pas informée par la grâce. C’est ce que dit la Glose: "Il n’est pas de bien sans le bien souverain t>, c’est-â-dire il n’est pas de bien méritoire sans la grâce de Dieu, "et là où manque la connaissance de la vie éternelle et de l’immuable vérité", à savoir celle qui procède de la foi, "on y trouve la fausse vertu même dans les moeurs les meilleures 5", en ce sens qu’elle ne se rapporte pas à la fm de la béatitude éternelle. Mais quand l’homme infidèle fait quelque chose en tant qu’infidèle, il est évident qu’il pèche. Aussi, lorsque la Glose dit: "Toute oeuvre qui ne procède pas de la foi est un péché 6", il faut comprendre cela de la manière suivante: toute oeuvre qui est contre la foi ou contre la conscience est un péché, bien que de par sa nature elle semble bonne. Par exemple, si un païen, en l’honneur de ses dieux, garde la virginité ou donne l’aumône, en cela même il pèche "Pour les impurs et les infidèles, rien n’est pur; leur esprit même et leur conscience sont souillés 7."

1. Glosa in Rom. XIV, 23 (GPL, col. 1520 A; GOS, t. IV, p. 303b).

2. 1 Co 10, 31.

3. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2ae, Q. 10, a. 4; Q. 23, a. 7, sol. 1;

2 Sentences dist. 41, Q. 1, a. 2; 4 Sentences dist. 39, Q. 1, a. 2, sol. 5; De mais, Q. 2, a. 5, sol. 7; Ad Tit. 1, 15, lect. 4 (éd. Marietti, n° 39." ).

4. Voir Rm 8, 1.

5. Glosa in Rom. XIV, 23 (GPL, col. 1520 A; GOS, t. IV, p. 303b).

6. Glosa in Rom. XIV, 23 (GPL, col. 1520 A).

7. Tt 1, 15.



CHAPITRE 15


Leçon 1 [versets 1 à 13]

64
075 (
Rm 15,1-13)


[n° 1142] 1 Or nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter les faiblesses des faibles, et ne point <rechercher ce qui> nous plaît.

[n° 1143] 2 Que chacun de vous plaise à son prochain en vue du bien, pour l’édification.

[n° 1145] 3 Car le Christ ne s’est pas complu en lui-même mais, ainsi qu’il est écrit: "Les outrages de ceux qui t’outragent sont tombés sur moi."

[n° 1148] 4 Car tout ce qui a été écrit a été écrit pour notre instruction, afin que, par la patience et par la consolation des Ecritures, nous ayons l’espérance.

[n° 1149] 5 Et que le Dieu de la patience et de la consolation vous donne d’être unis de sentiment les uns avec les autres selon Jésus-Christ,

6 afin que, d’un coeur unanime et d’une même bouche, vous honoriez Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ.

[n° 1150] 7 C’est pourquoi accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis pour l’honneur de Dieu.

[n° 1153] 8 Car je dis que le Christ Jésus a été le ministre de la circoncision pour <montrer> la véracité de Dieu, pour confirmer les promesses <faites> aux pères;

[n° 1155] 9 et les nations honorent Dieu pour sa miséricorde, comme il est écrit: "C’est pourquoi je te confesserai parmi les nations, Seigneur, et je chanterai ton nom."

[n° 1159]: 10 Et <l’Ecriture> dit encore "Réjouissez-vous, nations, avec son peuple."

[n° 1160] 11 Et ailleurs: "Louez le Seigneur toutes les nations, et magnifiez-le tous les peuples."

[n° 11161] 12 Et Isaïe dit de son côté: "Elle paraîtra la racine de Jessé, et celui qui se lèvera pour régir les nations, c’est en lui que les nations espéreront."

[n° 1162] 13 Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de paix dans votre acte de foi, afin que vous abondiez dans l’espérance et dans la vertu de l’Esprit-Saint.



1142. — Après 1 avoir enseigné [n° 1081] que les plus forts doivent éviter de scanda liser les faibles, l’Apôtre enseigne ici que les plus forts doivent aussi supporter les faiblesses des plus petits. Et à cet effet il fait deux choses

I) Il commence par donner un avertissement.

II) Puis, il l’explique [n° 1143]: 2 Que chacun de vous plaise, etc.

I. Cet avertissement comprend deux parties, dont la première regarde sa mani festation extérieure. Aussi <l’Apôtre> dit-il: Non seulement nous devons éviter de scandaliser les faibles, mais 1 nous aussi, qui sommes plus forts dans la foi, nous devons supporter les faiblesses des faibles. Car de même que dans un édifice matériel on choisit des matériaux plus solides pour soutenir tout le poids de l’édifice, sur lequel reposent des matériaux plus fragiles, telles sont les fondations et les colonnes; de même dans l’édifice spirituel de l’Eglise, non seulement certains sont choisis, mais

1. Lieux parallèles 1 Ad Cor. 3, 10, lece. 2 (éd. Marietti, n° 148). Somme Théologique 2 Q. 4, a. 7, sol. 4.



ils sont rendus plus forts pour supporter le poids des autres. D’où ce qui est écrit dans un psaume: "C’est moi qui ai affermi ses colonnes.1" Et <dans l’épître aux> Galates: "Portez les fardeaux les uns des autres 2." Or les plus forts supportent les faiblesses des faibles, lorsqu’ils portent patiemment leurs défauts et s’efforcent de les soutenir selon leur pouvoir.

La seconde partie regarde l’intention intérieure, aussi est-il dit: Et nous ne devons point <rechercher ce qui> nous plaît, c’est-â-dire vouloir que s’accomplisse toujours ce qui nous plaît, mais nous devons condescendre aux volontés des autres pour faire ce qui leur plaît et ce qui leur est utile: "Tout comme moi je cherche à plaire à tous en tout 3."

1143. — II. Puis, lorsqu’il dit: 2 Que chacun de vous, etc., il explique l’avertis sement exposé, et

A) Premièrement, quant à la seconde partie.

B) Deuxièmement, quant à la première partie [n° 1150]: C’est pourquoi accueillez-vous les uns les autres, etc.

A. Sur le premier point il fait deux choses

1) Il expose ce qu’il avait dit.

2) Il en donne la raison [n° 1145]: Car le Christ ne s‘est pas complu en lui-même, etc.

1144. 1. <L’Apôtre> commence donc par dire: Il a été dit que nous, nous ne devons point <rechercher ce qui> nous plaît pour cette raison que chacun de nous, qui sommes les plus forts, doit plaire à son prochain qui est faible, c’est-à-dire doit condescendre â <sa faiblesse> en ce qui lui plaît, non cependant en ce qui est mal, à la manière de ceux qui, dans <le livre d’> Isaïe, demandent: "Dites-nous des choses qui nous plaisent, voyez pour nous des erreurs 4." Voilà pourquoi <l’Apôtre> ajoute: en vue du bien. De même aussi, nous ne devons pas chercher à plaire aux hommes en vue d’une faveur ou d’une gloire humaine, puisqu’il est dit au psaume 52: "Dieu a dispersé les os de ceux qui plaisent aux hommes; ils ont été confondus, parce que le Seigneur les a méprisés 5", mais pour l’honneur de Dieu et l’utilité du prochain. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: pour l’édification, c’est-à-dire pour que, condescendant à la volonté des autres, ils soient eux-mêmes édifiés dans la foi et dans la charité du Christ: "Observons mutuellement ce qui contribue à l’édification 6."

1145. 2. Quand <l’Apôtre> dit: Car le Christ ne s’est pas complu, etc., il donne la raison de ce qu’il avait dit, par l’exemple du Christ. Et:

a) Il commence par proposer l’exemple du Christ.

b) Puis, il montre que nous devons imiter son exemple [n° 1148]: 4 Car tout ce qui a été écrit, etc.

c) Enfin, il y ajoute une raison pour que nous puissions l’accomplir [n° 1149]: Et que le Dieu de la patience, etc.

1. Ps 74, 4.

2. Ga 6, 2.

3. 1 Co 10, 33.

4. Is 30, 10.

5. Ps 52, 6.

6. Rm 14, 19.



1146. a. Sur le premier point, <l’Apôtre> fait deux choses:

Il commence par proposer l’exemple <du Christ>, en disant: On a dit que nous ne devons pas nous complaire en nous-mêmes, c’est-à-dire selon notre volonté particulière, car le Christ, qui est notre Tête, ne s’est pas complu en lui-même, quand il a choisi de souffrir pour notre salut et ce qui était contraire à sa volonté propre, c’est-à-dire à sa volonté humaine natu relle, afin d’accomplir la volonté divine, qui lui était commune avec le Père, selon ce verset de Luc: "Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne 1."

1147. Puis il cite l’autorité de l’Ecriture, en disant: mais, ainsi qu’il est écrit dans un psaume à propos de la personne du Christ s’adressant au Père: O Père, les outrages des Juifs qui t’outragent, c’est-à-dire qui blasphèment contre toi par leurs mauvaises oeuvres et par leur opposition à la vérité de ta doctrine, sont tombés sur moi 2, à savoir parce qu’ils ont voulu m’opprimer quand je leur proposais ta volonté et quand je blâmais leurs oeuvres mauvaises: "Ils ont haï et moi et mon Père 3." Ce passage peut aussi se rapporter aux péchés de tout le genre humain, parce que tous les péchés sont en quelque sorte des outrages envers Dieu, en tant que par eux la Loi de Dieu est méprisée: "Ils ont abandonné le Seigneur, ils ont blasphémé le Saint d’Israël 4." Ainsi donc les outrages de ceux qui outragent Dieu sont tombés sur le Christ, en tant que lui-même est mort pour les péchés de tous: "<Dieu> a mis sur lui <les iniquités> de nous tous 5." — "Il a porté nos péchés dans son propre corps sur le bois 6."

1148. b. Puis, lorsqu’il dit: 4 Car tout ce qui a été écrit, etc., <l’Apôtre> montre que nous devons imiter cet exemple du Christ. Car tout ce qui a été écrit, dit-il, dans la sainte Ecriture, soit à propos du Christ, soit à propos de ses membres, a été écrit pour notre instruction. Car il n’y eut aucune nécessité d’écrire cela, si ce n’est pour nous, afin que nous en soyons instruits: "Toute Ecriture divinement inspirée est utile pour enseigner, pour reprendre, pour corriger, pour former à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait et préparé à toute bonne oeuvre 7."

<L’Apôtre> montre ce qui est contenu dans les Ecritures pour notre instruction, en ajoutant: afin que, par la patience et la consolation des Ecritures, c’est-à-dire qui sont contenues dans les Ecritures. Car dans la sainte Ecriture est contenue la patience des saints à supporter les maux: "Vous avez appris la patience de Job 8" En elles est aussi contenue la consolation que Dieu leur a donnée, selon ce verset du psaume 93 "Selon la multitude de mes douleurs <qui étaient> dans mon coeur tes consolations ont réjoui mon âme 9." C’est de là qu’il est dit aussi: "En prédisant les souffrances du Christ", ce qui concerne la patience, "et les gloires qui devaient les suivre 10", ce qui regarde la consolation.

<L’Apôtre> montre quel fruit nous recevons de cette doctrine, en ajoutant nous ayons l’espérance. Car, en apprenant par la sainte Ecriture que ceux qui ont supporté avec patience des tribulations pour Dieu ont été divinement consolés, nous concevons l’espérance d’être consolés nous-mêmes dans la mesure où nous avons été patients dans les mêmes tribulations: "Quand il me tuerait, c’est en lui que j’espérerais 11."

1149. c. <L’Apôtre> ajoute ensuite: 5 Et que le Dieu de la patience, etc. Parce qu’il semblait extrêmement difficile que l’homme en tant que tel puisse imiter l’exemple du Christ, selon ce verset de l’Ecclésiaste: "Qu’est-ce que l’homme pour pouvoir suivre le roi son créateur 12?" <L’Apôtre> recourt au suffrage de la prière, en disant: Et que le Dieu de la patience — c’est-à-dire celui qui la donne,

1. Lc 22, 42.

2. Ps 68, 10.

3. Jn 15, 24.

4. Is 1, 4.

5. Is 53, 6.
6. 1 P 2, 24.

7. 2Tm3, 16.

8. Jc 5, lib.

9. Ps 93, 19.
10. 1 P 1, 11.

11. Jb 13, 15.

12. Eccl (Qo) 2, 12.



selon ce verset du psaume 70: "C’est toi qui es ma patience, Seigneur 1" — et de la consolation, c’est-à-dire celui qui accorde la consolation spirituelle — que "le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation 2", "de qui vient tout don excellent 3", — vous donne d’être unis de sentiment les uns avec les autres, c’est-à-dire d’avoir mutuellement les mêmes sentiments: "N’ayez qu’un sentiment, conservez la paix 4", non à la vérité en consentant au péché, mais selon Jésus-Christ — dont il est dit: "C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule 5" — 6 afin que, en ayant les mêmes sentiments, d’un coeur unanime, vivant en accord par la foi et la charité — selon ce verset du psaume 67, <cité> d’après une autre version: "Lui qui fait habiter dans sa maison ceux qui ont le coeur unanime 6" — et d’une même bouche, c’est-à-dire par la même confession de bouche qui procède de l’unité de la foi: "Je vous en conjure donc, frères, par le Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, de n’avoir tous qu’un même langage 7"; afin que, par la conformité du coeur, vous honoriez Dieu, le Créateur de toutes choses, et qui est en même temps le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel il a fait de nous ses fils adoptifs: "Quiconque m’aura honoré, je l’honorerai 8, " Et encore: "Si donc moi je suis votre père, où est mon honneur

1150. — B. En disant ensuite: C’est pourquoi accueillez-vous les uns les autres, <l’Apôtre> développe la première partie de son avertissement, dans laquelle il avait dit que les plus forts doivent supporter la faiblesse des faibles. A cet égard, il fait trois choses:

1) Il commence par reprendre son exhor tation.

2) Puis, il en donne la raison par l’exemple du Christ [n° 1152]: comme le Christ vous a accueillis, etc.

3) Enfin, il y ajoute une prière [n° 1162]:

Que le Dieu de l’espérance, etc.

1151. 1. Il commence donc par dire: C’est pourquoi, c’est-à-dire parce que ce qui a été écrit a été ordonné en vue de notre instruction, à savoir les exemples du Christ et des saints, conséquemment accueillez-vous les uns les autres par l’affection de la charité; autrement dit, que l’un supporte ce qui vient de l’autre, comme il veut lui-même être supporté, autant que la charité le permet, et que l’un accueille l’autre aussi pour l’aider et le faire progresser: "Accueillez celui qui est faible dans la foi 10."

1152. 2. En disant: comme le Christ vous a accueillis (suscepit), <l’Apôtre> donne la raison <de son avertissement> par l’exemple du Christ.

Et il commence par citer son exemple, en disant: comme le Christ vous a accueillis, c’est-à-dire par sa protection et par sa solli citude: "Voici mon serviteur, je le soutiendrai (suscipiam) 11." Et encore: "Il a secouru (suscepit) Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde 12" Et cela pour l’honneur de Dieu, auquel il rapportait toutes choses: "J’honore mon Père, et vous, vous me déshonorez 13."

Il nous est ainsi donné de comprendre que nous devons nous accueillir les uns les autres dans tout ce qui se rapporte à l’honneur de Dieu.

1. Ps 70, 5.

2. 2 Corinthiens 1, 3.

3. Jc 1, 17.

4. 2 Corinthiens 13, 11.

5. Ep 2, 14.

6. Ps 67, 7. Il s’agit quasiment de la version du Psautier romain, à l’exception de la graphie du mot unanimes, lequel figure notamment dans le texte du Psautier mozarabe. Voir dans l’apparat cntlque en marge et en bas du texte du Psautier romain, éd. Dom Robert Weber, p. 148. Cette version est utilisée dans l’antienne de l’Introït Deus in loco suo du Gommun du Graduel romain (XI’ dimanche après la Pentecôte, actuellement XVII’ dimanche du temps per annum).

7. 1 Corinthiens 1, 10.
8. 1 R (1") 2, 30.

9. Ml. 1, 6.

10. Rm 14, 1.

11. Is 42, 1.

12. Lc 1, 54.

13. Jn 8, 49.



1153. Puis, 1 par ces mots: 8 Car je dis que le Christ, etc., <l’Apôtre> développe ce qu’il avait dit. Et

a) Premièrement, à l’égard des Juifs.

b) Deuxièmement, quant aux Gentils [n° 1155]: Et les nations, etc.

1154. a. <L’Apôtre> commence donc par dire: On a dit que le Christ vous a accueillis, vous, Juifs et nations païennes, qui êtes rassemblés dans l’unité de la foi. Et cela est évident quant aux uns et aux autres. Je dis donc que le Christ a été le ministre de la circoncision, car il est lui-même pour tous l’auteur de la foi 2, selon ce verset de l’épître aux Hébreux: "Contemplant l’auteur et le consommateur de la foi, Jésus qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, méprisant la honte, et qui est désormais assis à la droite du trône de Dieu 3." Mais selon sa propre personne il ne s’est manifesté qu’aux Juifs, selon ce verset de Matthieu: "Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israel 4." Et encore: "Sa voix ne sera pas entendue au dehors 5." Et cela pour <montrer> la véracité de Dieu, c’est-à-dire afin que la véracité de Dieu qui promet soit confirmée: "Au contraire Dieu est véridique 6." Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: pour confirmer les promesses <faites> aux pères, c’est-à-dire afin que par ce ministère les promesses faites aux pères soient accomplies: "<Le Dieu d’Israël> nous a suscité une corne de salut dans la maison de son serviteur David, comme il l’a promis par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens 7." Et: "Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui 8."

1155. b. En ajoutant: Et les nations, etc., <l’Apôtre> montre que les nations païennes ont été accueillies par le Christ. Et:

Il commence par exposer son intention.

Puis, il la confirme par l’autorité <scripturaire> [n° 1158]: comme il est écrit, etc.

1156. Il dit donc: On a dit que le Christ a accueilli les Juifs pour <montrer> la véracité de Dieu, afin que les promesses des pères soient accomplies, mais les promesses n’avaient pas été faites aux nations païennes. Elles ne concernent donc pas ces nations, mais ces dernières ont été accueillies pour <montrer> la miséricorde <divine>. Et c’est ce que dit <l’Apôtre> et les nations doivent honorer Dieu pour sa miséricorde qui leur a été manifestée par le Christ; car, bien qu’il ne leur ait pas prêché en personne, il leur a cependant envoyé ses disciples, qui ont exercé leur ministère dans ces nations, comme lui-même l’avait exercé chez les Juifs, selon cette parole de Matthieu: "Allez donc, enseignez toutes les nations les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit" Et il est dit de cette miséricorde au psaume 32: "La terre est pleine de la miséricorde <du Seigneur> o." Et <dans l’évangile de

1. Lieu parallèle Somme Théologique 3a, Q. 42, a. 1.

2. Ministre de la "circoncision": saint Thomas interprète cette affirmation comme s’appliquant (mais pas de la même manière) en même temps aux Juifs et aux païens convertis. Ce qui suppose que le terme "circoncision" doit être entendu au sens large de foi au vrai Dieu; et non au sens strict. Le Christ est alors ministre de l’Alliance dont la circoncision fut le signe. La plupart des exégètes modernes pensent que cette expression ne s’applique qu’aux Juifs (voir la Bible de Jérusalem qui traduit "Ministre des circoncis") elle signifie que le Christ "s’est mis pendant sa vie sur terre au service des Juifs, leur consacré son ministère (voir HUBY, Epître aux Romains, Beau chesne, 1957, p. 470-471). Saint Thomas n’ignore évidemment pas cette signification — à laquelle il fait droit — mais il la situe â sa place dans une interprétation plus large.

3. He 12, 2.

4. Mt 15, 24.

5. Is 42, 2.

6. Rm 3, 4.

7. Lc 1, 69-70.

8. 2 Co 1, 20.

9. Mt 28, 19.

10. Ps 32, 5.



Luc> "Sa miséricorde se répand d’âge en âge sur ceux qui le craignent 1."

1157. L’Apôtre 2 attribue donc la conversion des Juifs à la vérité divine, la conversion des Gentils à la miséricorde divine 3.

En sens contraire, il semble qu’il soit dit au psaume 24: "Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 4."

Il faut répondre qu’en attribuant la vocation des Juifs à la vérité divine, <l’Apôtre> n’exclut pas la miséricorde, puisque lui-même, étant né de parents juifs, dit: "J’ai obtenu miséricorde de Dieu 5." Et ce fut par la même miséri corde que Dieu a fait aux pères des promesses de salut pour leur postérité. De même aussi, quand il attribue la vocation des nations païennes à la miséricorde divine, il n’exclut pas totalement la vérité divine, parce qu’il appartenait aussi à cette dernière d’accomplir son dessein de salut à l’égard des nations païennes 6; ce que <l’Apôtre> appelle "un mystère caché, dès l’origine des siècles, en Dieu qui a créé toutes choses 7." Cependant, dans la vocation des Juifs on considère un mode particulier de la vérité, c’est-à-dire en vue de l’accomplissement des promesses, ce qui n’est pas pris en considération dans la vocation des nations païennes, à qui les promesses n’ont pas été faites.

1158. Lorsque <l’Apôtre> dit en suite: comme il est écrit "C’est pourquoi je te confesserai parmi les nations, Seigneur, et je confesserai ton nom 8", il confirme ce qu’il avait dit à propos de la conversion des nations païennes, par l’autorité <scripturaire>. Car, bien que la promesse de la vocation à la foi du Christ n’ait pas été faite aux nations païennes, toutefois cette vocation n’est pas arrivée à l’improviste, mais elle fut annoncée par les oracles des prophètes.

L’Apôtre cite quatre autorités scriptu raires, dont la première contient les actions de grâces du Christ à son Père pour la conversion des nations païennes opérée par lui-même. Aussi dit-il comme il est écrit au psaume 17 à propos de la personne du Christ: "Tu m’établiras à la tête des nations 9", "et tu m’élèveras au-dessus de ceux", c’est-à-dire des Juifs, "qui s’insurgent contre moi 10." O Dieu, mon Père, moi le Christ je te confesserai, par la confession de l’action de grâces, parmi les nations, c’est-à-dire pour la conversion des nations opérée par moi, et je chanterai avec une nouvelle exultation de l’âme ton nom, qui leur a été manifesté, selon ce passage de <l’évangile de> Jean: "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés." Ou encore 12: Je te confes serai parmi les nations, c’est-à-dire je ferai en sorte que les nations te confessent par la confession de la foi: "Que les peuples te confessent, ô Dieu, que tous les peuples te confessent 13." — Et je chanterai ton nom, c’est-à-dire je ferai en sorte que les nations te chantent un cantique qui soit une exul tation de l’âme régénérée 14:

1. Lc 1, 50.

2. Lieux parallèles 4 Sentences dist. 46, Q. 2, a. 2, Q. 2; De veritate, Q. 28, a. 1, sol. 8; Super Ptalm., in Ps. 24.

3. Voir Glosa in Rom. XV, 9 (GPL, col. 1522 B).

4. Ps 24, 10.

5. 1 Tm 1, 13.

6. On voit ici se confirmer la cohérence et l’ampleur de l’interpré tation thomasienne et combien elle s’accorde avec les vues de saint Paul sur les relations mystérieuses qui unissent le destin d’Israel à la révélation du Christ. En Jésus-Christ s’est accomplie la vérité des promesses de Dieu, dans le salut apporté aux nations se révèle sa miséricorde. Mais la vérité n’exclut pas l’amour, ni l’amour la vérité les promesses données aux patriarches (les " pères") sont oeuvre de miséricorde, et le salut donné aux nations est oeuvre de vérité. L’extension à l’humanité entière de la grâce christique est inscrite dans la vérité du mystère salvifique depuis l’origine des siècles." En ce sens, Jésus-Christ est bien l’unique ministre de l’unique circoncision.

7. Ep 3, 9.

8. 2 R (2") 22, 50; voir Ps 17, 50.

9. Ps 17, 44b.

10. Ps 17, 49.

11. Jn 17, 6.

12. Voir Glosa in Rom. XV, 9 (GPL, col. 1522 C).

13. Ps 66, 4.

14. Lieux parallèles: Super Psalmos, in Prol. ; Ps 4, 1; Ps 32, 3.



"Chantez au Seigneur un cantique nouveau, chantez au Seigneur, toute la terre."

1159. La deuxième autorité <scripturaire> contient l’union des nations païennes et des Juifs. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: 10 Et <l’Ecriture> dit encore "Ô nations, vous [qui] étiez en ce temps-là sans Christ, séparés de la cité d’Israel t>, ainsi que le dit <Paul> aux Ephésiens 2 réjouissez-vous avec son peuple, prenez part à l’exultation commune avec les Juifs, qui étaient autrefois son peuple "Ils se réjouiront devant toi, comme ceux qui se réjouissent dans la moisson." Et: "Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur 5." <Enfin il est écrit dans <le livre d’Isaïe>, selon notre <Vulgate>: "Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez en elle, vous tous qui l’aimez 6."

1160. La troisième autorité <scripturaire> contient la dévotion des nations envers Dieu. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: 11 Et il est écrit ailleurs dans les psaumes 8: "Louez le Seigneur toutes les nations — à savoir en confessant sa bonté "Du lever du soleil jusqu’à son coucher, louable est le nom du Seigneur 9" — et tous les peuples, non seulement le peuple des Juifs, magnifiez-le, c’est-à-dire croyez qu’il est grand, que par sa grandeur il dépasse toute louange: "En bénissant le Seigneur, exaltez-le autant que vous pouvez, car il est au-dessus de toute louange 10." Et encore "Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, grand est mon nom parmi les nations 11."

1161. La quatrième autorité <scripturaire> contient la révérence des nations à l’égard du Christ. Aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: 12 Et Isaïe dit de son côté: Elle paraîtra la racine de Jessé 12. Par ces mots <le prophète> annonce l’origine du Christ, qui doit naître de la semence de David, car Jessé fut le père de David. <Isaïe> dit donc: Elle paraîtra la racine de Jessé, de la semence duquel naîtra le Christ: "Il sortira un rejeton de la racine de Jessé et une fleur s’élèvera de sa racine 13" Ou bien, le Christ sera la racine de Jessé, parce que, bien qu’il procède de Jessé par son origine chamelle, cependant il a soutenu Jessé par sa puissance et a déversé sur lui sa grâce: "Ce n’est pas toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte 14."

Puis, <l’Apôtre> traite du ministère du Christ, en ajoutant: et celui qui se lèvera, avec une telle excellence de grâce qu’il pourra régir les nations, en les soumettant au culte divin; ce que nul n’a pu faire avant lui: "Je te donnerai les nations en héritage. […] Tu les régiras avec un sceptre de fer 15."

Enfin, il expose la dévotion des nations envers le Christ, en disant: c’est en lui que les nations espéreront, à savoir afin d’obtenir par lui l’héritage de la gloire céleste: "Il nous a régénérés pour une vive espérance, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts 16."

1162. 3. Après avoir dit que les nations espéreront dans le Christ, <l’Apôtre> y ajoute une prière, en disant: 13 Que le Dieu de l’espérance, c’est-à-dire celui qui a répandu en nous cette espé rance, selon ce verset du psaume 70:

1. Ps 95, 1.

2. Ep 2, 12.

3. Dt 32, 43 cité d’après la Septante. Voir A. Rahlfs, vol. I, p. 350: euphranthête, ethnê, meta tou laou autou ("nations, réjouissez-vous avec son peuple").

4. Is 9, 3b.

5. Jn 10, 16.

6. Is 66, 10.

7. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 82.

8. Ps 116, 1.

9. Ps 112, 3.

10. Eccli (Si) 44, 33.

11. Ml 1, 11.

12. Is 11, 10 cité d’après la Septante. Voir A. Rahlfs, vol. II, p. 581 "estai hê rhiza tou lessai. s

13. Is 11, 1.

14. Rn 11, 18.

15. Ps 2, 8 et 9.
16. 1 P 1, 3.



"C’est toi mon espérance, Seigneur 1." Ou bien 2: Que le Dieu de l’espérance, c’est— à-dire en qui il faut espérer, vous remplisse de toute joie, à savoir <de la joie> spirituelle qui vient de Dieu: "Car la joie du Seigneur est notre force 3." — et de paix, par laquelle l’homme est apaisé en lui-même à l’égard et de Dieu et du prochain: "Une paix abondante est pour ceux qui aiment ta Loi", Seigneur 4. — dans votre acte de foi, autrement dit afin qu’en croyant vous ayez aussi la paix 5 et la joie 6 qui sont les effets de la charité, selon ce passage de l’épître aux Galates: "Les fruits de l’esprit sont: la charité, la joie, la paix 7." Il est évident par là que c’est de Dieu, le donateur de l’espérance, qu’il leur souhaite d’obtenir avec la foi la charité, par laquelle la foi opère 8, ainsi qu’il est écrit dans les Galates 9, de peur que leur foi ne soit informe et morte, car "la foi sans les oeuvres est morte", dit Jacques 10.— afin qu’aussi, par la plénitude de ces vertus, vous abondiez, en progressant du bien vers le mieux, non seulement dans l’espérance, mais encore dans la vertu de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire dans la charité, qui est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint, comme on l’a dit plus haut 11. Et <l’Apôtre écrit dans sa seconde épître> aux Corinthiens: "Et Dieu est puissant pour faire abonder toute grâce en vous 12"

1. Ps 70, 5.

2. Voir Glosa in Rom. XV, 13 (GPL, coI. 1522 D).

3. Ne 8, 10.

4. Ps 118, 165.

5. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2ae Q. 70, a. 3; 2 Q. 29, a. 3; Coll. in decem praec., Prol.

6. Lieux parallèles Somme Théologique Ia-2 Q. 70, a. 3; 2 Q. 28, a. 1 Q. 35, a. 2; Cou, in decem praec., Prol. ; Ad Gal. 5, 22, lect. 6 (éd. Marietti, n 330).

7. Ga 5, 22.

8. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 4, a. 3; Q. 23, a. 8; 3 Sentences dist. 23, Q. 3, a. 1; De veritate, Q. 14, a. 5; De virtut., Q. 2, a. 3.

9. Voir Ga 5, 6.

10. Jc 2, 26.

11. Voir Rm 5, 5.

12. 2 Co 9, 8.



Thomas A. sur Rm (1999) 63