Discours 1970 36

RENCONTRE DU PAPE PAUL VI AVEC SA SAINTETÉ VASKEN Ier, CATHOLICOS DE TOUS LES ARMÉNIENS, DANS LA CHAPELLE SIXTINE


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Samedi 9 mai 1970




Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble: ces paroles du psalmiste viennent irrésistiblement sur nos lèvres en ce jour où le Seigneur Nous donne de vous recevoir en notre maison, vous, notre frère bien-aimé, le vénéré Catholicos du Saint-Siège d’Etchmiadzine qui avez voulu venir de la grande Arménie pour porter à la sainte Eglise Romaine le salut fraternel de l’Eglise Arménienne, dont notre prédécesseur Grégoire XIII admirait la constance à professer la foi chrétienne (Bulla Romana Ecclesia die 13 mensis octobris 1584). Loué et infiniment remercié soit Dieu le Père de Notre Seigneur Jésus Christ (Cfr. Rom.
Rm 15,6), dont l’Esprit nous rassemble aujourd’hui pour une commune prière d’adoration, d’action de grâce et de supplication.
Il y a exactement trois ans, Nous étions aussi dans cette même chapelle pour y prier avec votre frère et notre frère le Catholicos de Cilicie Khoren 1er, et Nous évoquions les grands saints qui ont apporté à votre noble peuple la lumière de l’Evangile et ceux qui, au cours d’une histoire où les épreuves furent particulièrement abondantes, l’ont aidé à se maintenir et à se regrouper dans cette foi chrétienne qui a si remarquablement imprégné votre culture, et qui est la source du courage inlassable dont la nation arménienne a dû donner d’innombrables preuves.

Comment ne pas évoquer ce matin en cette rencontre historique la prédilection de Nos prédécesseurs les Souverains Pontifes pour la noble nation arménienne, et singulièrement l’affection hautement manifestée par le pape Benoît XV? Nous aimons rappeler aussi la décision prise par Grégoire XIII et mise à exécution par Léon XIII, créant à Rome le Collège arménien qui nous est si cher. Vous savez aussi qu’il Nous est agréable de compter parmi nos proches collaborateurs notre vénérable frère le cardinal Grégoire Pierre Agagianian, d’origine arménienne, qui préside l’un des organismes les plus importants du Saint-Siège, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Et Nous ne saurions oublier tous les Arméniens catholiques répandus à travers le monde, et leur persévérante fidélité.
Les relations furent autrefois fréquentes, notamment à l’époque du XIIème au XIVème siècle, entre les Sièges de Rome et d’Etchmiadzine, qui confessent ensemble le mystère du Verbe de Dieu devenant l’un de nous pour nous sauver et nous permettre de devenir en Lui fils de Dieu, membres et frères les uns les autres. C’est, par exemple, après avoir reçu les envoyés du Catholicos Michel, que le Pape Pie IX favorisa la fondation d’une imprimerie arménienne à Rome. Mais surtout ces contacts, échanges de lettres et de messagers donnaient souvent l’occasion de constater un accord profond dans la foi.
Si les malheurs des temps, les différences de culture, les difficultés de traduire des termes laborieusement élaborés et progressivement précisés dans d’autres langues nous ont conduits à quelque divergence dans l’expression du mystère central de notre foi, il faut reprendre l’examen de ces difficultés doctrinales, prendre conscience de ce qui les a provoquées, et les surmonter fraternellement.

En 1951, le Pape Pie XII, dans son encyclique Sempiternus Rex, aimait citer un de vos grands théologiens qui fut aussi un grand poète, le Catholicos Nersès IV, qui écrivait, au XIIème siècle, à l’empereur Manuel Commène: «Nous n’introduisons nullement dans l’union du Christ, comme le font les hérétiques, la confusion, le changement ou l’altération; nous affirmons une seule nature pour signifier l’hypostase que vous aussi admettez dans le Christ; ce qui est juste et nous l’admettons et cela a tout à fait le même sens de notre formule, une seule nature . . . Et nous ne refusons pas de dire “deux natures” pourvu que ce ne soit pas par division comme Nestorius, mais bien pour montrer l’absence de confusion contre Eutychès et Apollinaire» (A.A.S. 43 (1951), pp. 636-637). Le temps n’est-il pas venu d’éclaircir définitivement ces malentendus hérités du passé dans un dialogue dont votre Eglise a arrêté le principe avec les autres Eglises réunies à Addis Abéba en 1965? Déjà les théologiens, dans des études approfondies et dans des rencontres fructueuses, ont débroussaillé le chemin qui mène à un accord sur ces questions. Nous sommes prêt à nous engager sur cette voie et à répondre positivement à cette décision. Bien plus, Nous le désirons, comme Nous désirons ardemment ne rien négliger de tout ce qui pourrait hâter le jour où nous pourrons sceller dans une concélébration la pleine unité retrouvée entre nos Eglises. Les relations fréquentes que nous évoquions il y a un instant s’étaient estompées au point de disparaître et de faire place, hélas, à des heurts qui furent parfois violents. Cette époque est finie et notre Unique Seigneur le Christ Jésus nous amène l’un vers l’autre en nous sollicitant sans cesse à plus de vigilance et à une fidélité renouvelée. N’est-il pas significatif que nous ayons renoué nos relations à l’occasion du Concile du Vatican qui a exprimé intensément dans l’Eglise catholique cet effort de renouveau, et auquel Votre Sainteté a bien voulu se faire représenter par des observateurs délégués? Depuis Nous avons pu Nous-même rendre visite aux patriarches de Jérusalem et d’Istanbul que nous sommes heureux de voir à vos côtés aujourd’hui. Par deux fois nos envoyés se sont rendus à Etchmiadzine. En une autre occasion, répondant volontiers à votre gracieuse invitation, le patriarche Ignace Pierre Batanian, représentant toute la communauté arménienne catholique, s’est lui-même rendu auprès de vous.

Nous pensons cependant que c’est la première fois dans l’histoire qu’un évêque de Rome a l’honneur et la joie de pouvoir offrir l’hospitalité dans sa maison au Catholicos d’Etchmiadzine. Un tel événement doit marquer une nouvelle étape d’accord et de collaboration pour faire régner entre nous et avec tous, la vraie fraternité dans la charité. C’est là le témoignage que l’Esprit aujourd’hui nous demande de donner. C’est là la contribution que nous devons apporter à l’établissement de la paix entre tous les hommes et toutes les nations. En des termes d’une rare élévation spirituelle, Votre Sainteté a évoqué les conditions du monde actuel, et la mission impartie par le Seigneur à son Eglise, d’apprendre aux hommes à se reconnaître tous en Lui comme des frères, et à cheminer ensemble avec un coeur pacifique, jusqu’à constituer l’unique peuple de Dieu en marche vers la cité céleste (Cfr. Lumen gentium LG 13). Demandons ensemble à Dieu, qui met en nos coeurs ce désir et tette espérance, qui a commencé parmi nous tette oeuvre magnifique, de la mener à son terme.



RENCONTRE DU PAPE PAUL VI AVEC SA SAINTETÉ VASKEN Ier, CATHOLICOS DE TOUS LES ARMÉNIENS, EN AUDIENCE PRIVÉ


Lundi 11 mai 1970




Sainteté,

La visite que Vous Nous avez faite, à Nous et à l’Eglise de Rome, a rempli notre âme d’une joie profonde. Durant ces jours bénis de Dieu, comme les disciples d’Emmaüs, Nous avons senti notre coeur tout brûlant, et comme eux Nous avons reconnu la présence du Seigneur parmi nous. C’est en effet en son nom et au service de son Eglise que nous nous sommes rencontrés.
37 C’est pourquoi Nous sommes profondément reconnaissant à Votre Sainteté ainsi qu’aux illustres représentants de l’Eglise arménienne qui avec Elle ont accompli ce geste de communion et de charité fraternelle.
Remercions ensemble le Seigneur de ce que, jour après jour, il nous fait progressivement redécouvrir la réalité profonde et sacramentelle de cette communion existant entre nos Eglises au-delà des divergences d’aujourd’hui et des oppositions du passé.

Nous prions Dieu avec ferveur afin qu’il nous accorde que cette communion croisse de plus en plus jusqu’à la pleine unité qui sera, pour le monde, comme un signe de paix, une proclamation de l’Evangile aux hommes de notre temps. Ainsi nous pourrons dire ensemble en vérité: «Oui, la vie s’est manifestée: nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue; ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son fils Jésus Christ» (
1Jn 1,2-3).
Nous vous prions enfin, Sainteté, de bien vouloir transmettre notre salut et celui de l’Eglise de Rome à l’Eglise arménienne tout entière, à ses évêques, à son clergé et à tous les autres fidèles.
Veuillez leur dire que Nous les avons présents devant Dieu dans notre prière et notre affection.
Que le Seigneur bénisse nos efforts et que «sa grâce, la charité de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec nous» (2Co 13,13).



DÉCLARATION COMMUNE DE SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL VI ET DE SA SAINTETÉ VASKEN Ier, CATHOLICOS DE TOUS LES ARMÉNIENS


Mardi 12 mai 1970

Paul VI, Evêque de Rome, Pape de l’Eglise Catholique, et Vasken I, Catholicos-Patriarche Suprême de tous les Arméniens, rendent grâces au Seigneur de leur avoir permis de prier ensemble, de se rencontrer, et d’échanger le saint baiser de paix, surtout en cette période de préparation à la grande fête célébrant la descente du Saint-Esprit sur les apôtres.

Conscients de leurs devoirs de pasteurs, ils invitent tous les chrétiens, et surtout ceux de l’Eglise catholique et de l’Eglise apostolique arménienne, à répondre avec encore plus de fidélité à l’appel du Saint-Esprit les incitant à une unité plus profonde qui accomplira la volonté de notre commun Sauveur, et qui rendra plus fécond le service du monde par les chrétiens.
Cette unité ne peut se réaliser que si tous, pasteurs et fidèles, cherchent à se connaître vraiment les uns les autres. A cette fin, ils exhortent les théologiens à s’adonner à une étude commune tendant à approfondir leur connaissance du mystère de notre Seigneur Jésus-Christ et de la révélation faite en Lui. Fideles à la tradition transmise par les apôtres et les Pères, et, en même temps, conscients des exigences d’un monde qui cherche Dieu dans les nouveaux développements de notre époque, ils pourront ouvrir de nouvelles voies qui permettront de surmonter les divergences existant encore et amèneront leurs Eglises à une unité plus parfaite dans la profession de leur foi en face du monde. De leur part, le Pape et le Catholicos essayeront de faire tout le possible pour appuyer ces efforts et leur donner leur bénédiction de pasteurs.

Cependant la recherche risque elle-même de rester stérile si elle n’est pas enracinée dans toute la vie de toute l’Eglise. C’est pourquoi ils souhaitent que se développe une collaboration plus étroite dans tous les domaines possibles de la vie chrétienne. La prière commune, l’aide spirituelle réciproque, des efforts conjoints en vue de trouver aux problèmes du monde d’aujourd’hui des principes de solutions vraiment chrétiennes, seront des moyens précieux au service de cette recherche de la pleine unité tellement désirée.
38 Cette recherche accomplie ensemble, cette collaboration doivent être fondées sur la reconnaissance réciproque de la foi chrétienne et de la vie sacramentelle communes, sur le respect mutuel des personnes et de leurs Eglises. Si les efforts désintéressés que de tout coeur ils voudraient promouvoir, sont inspirés par cet esprit et sont mis en oeuvre de cette manière, ils ont confiance que l’Esprit de vérité et d’amour donnera aux membres de l’Eglise catholique et de l’Eglise apostolique arménienne cette fraternité véritablement chrétienne qui est le fruit de son action en eux.
C’est au nom de cette fraternité que le Pape Paul VI et le Catholices Vasken I élèvent leur voix dans un appel solennel à tous ceux qui ont une influence sur la vie des nations et des peuples afin qu’ils s’efforcent de chercher et de trouver tous les moyens possibles pour mettre fin aux guerres, à la haine, à la violence physique et morale, à n’importe quelle oppression de l’homme par l’homme. Que Celui qui est notre paix fasse que cet appel soit entendu.

Du Vatican, le 12 mai 1970




15 mai



« LE CONCILE, PROGRAMME DE NOTRE PONTIFICAT »





Au Secrétariat Général du Synode des Evêques



Nous sommes vraiment heureux et émus de vous accueillir et nous vous saluons avec une très vive affection. Votre venue nous rappelle les journées de communion fraternelle, d'activité intense, de prière recueillie, durant lesquelles fut célébrée, au mois d'octobre dernier, la session extraordinaire du Synode des évoques: elle dépeint dans notre mémoire les visages pensifs de tous ceux qui « placés par l'Esprit-Saint pour diriger l'Eglise de Dieu » (Ac 20,28), au nom des Conférences Episcopales du monde entier, furent avec nous, soit dans les élévations spirituelles des rites sacrés à la Chapelle Sixtine ou à Sainte Marie Majeure, soit dans la salle austère du Synode, pour un travail qui ne connut pas de trêve. Et ce travail s'est révélé d'une très grande importance pour l'approfondissement du principe de la collégialité épiscopale, dans ses rapports avec l'humble successeur de Pierre, dépositaire du mandat suprême d'amour et de fidélité au Christ, et dans ses relations avec chaque évêque. Nous voulons simplement rappeler maintenant ces faits bien connus de tous, pour remarquer avec une satisfaction bien sincère que votre présence à Rome est la réponse concrète au voeu des Pères, et correspond tout autant à notre ferme volonté d'y donner suite. Dans le discours de clôture du 27 octobre de l'année dernière, nous avions en effet manifesté clairement notre engagement de donner une plus grande efficacité au Secrétariat du Synode : Nostrum esse propositum, disions-nous, ut secretaria Synodi ampliore efficientia donetur (AAS 61, 1969, p. 728).

Le voeu est devenu réalité, et vous êtes ici, très chers Frères, cardinaux et évêques des divers continents, au terme de votre première réunion de travail. Encore une fois se manifestera pour nous l'immense avantage du consensus des évêques au gouvernement de l'Eglise, selon l'intention clairement exprimée par nous depuis le motu proprio Apostolica sollicitudo du 15 septembre 1965 : tirer toujours plus d'avantages « du réconfort de votre présence, de l'aide de votre expérience, de l'appui de vos conseils et du poids de votre autorité ».

De cette façon se développe pour le plus grand bien de l'Eglise la dynamique du récent Concile oecuménique. En ce qui nous concerne, Nous avons la ferme intention de nous en tenir à ses orientations et de les mettre en pratique infatigablement, jour après jour, dans notre action pastorale au service de toute l'Eglise, sans Nous laisser impressionner par certaines pressions indues, motivées, peut-être, par une connaissance insuffisante des données. En union intime avec vous, chers Frères, qui représentez auprès de Nous, d'un Synode à l'autre, la continuité de l'institution synodale, Nous voulons faire passer progressivement l'enseignement du Concile dans la vie de l'Eglise. Nous nous réjouissons de vous avoir près de nous, vous qui avez été choisis par la confiance de nos frères dans l'Episcopat, et nous avons en vous, est-il besoin de le dire, la même confiance qu'eux. De cette manière, loin de toute publicité bruyante, mais dans un climat de dialogue fraternel et de collaboration féconde au service de toutes les Eglises, vit la collégialité épiscopale affirmée par le Concile et toujours plus appliquée pour le plus grand bien de l'Eglise.

Pour notre part, le Concile reste vraiment le programme de notre Pontificat. Et ce fut un vif réconfort, ces jours-ci, d'apprendre qu'un membre de votre Conseil, le Cardinal François Marty, archevêque de Paris, en rappelant notre vocation de « rassembleur du Collège apostolique » a voulu parler de notre « ténacité conciliaire » (Eglise de Paris, 1er mai 1970). En effet nous tenons grand compte du Concile, comme d'un don très, précieux de l'Esprit Saint et nous cherchons d'être respectueux envers la collégialité de l'épiscopat, contrairement à ce qui, à notre douloureux étonnement, a été dit ces jours-ci d'une façon qui ne nous semble pas conforme au style fraternel réclamé par la collégialité elle-même, ni correspondre à la nature et à la gravité des problèmes mis à l'étude d'organes responsables et compétents.

Ces voix qui sembleraient vouloir passer pour la voix du Concile, troublent la concorde conciliaire, s'éloignent de l'harmonie collégiale et ne sont que les interprètes d'une certaine opinion théologique. Une théologie particulière, il faut le rappeler, n'est pas le Concile, encore qu'elle puisse être légitime. Le Pape n'est pas, et il ne pourrait être, ni partisan ni porte-voix, et encore moins prisonnier d'une école déterminée. A lui, successeur de Pierre, de par la volonté de Jésus-Christ, revient en premier lieu d'être, à la tête de ses frères et en étroite union avec eux, le témoin de la foi de l'Eglise dont la doctrine conciliaire est l'interprète autorisé, en conformité avec toute la tradition. Telle est notre mission, tel est notre service de l'Eglise avec l'assistance de l'Esprit Saint.

Nous voudrions vous dire maintenant, avec la joie que vous nous avez procurée, la grande espérance que nous donne un organisme élargi et représentatif, tel que le vôtre, au sein du Synode des évêques. Il est le signe de la vitalité du Synode lui-même, il est la garantie de l'ordre, de l'approfondissement, de la coordination des problèmes qui seront traités petit à petit au cours des séances qui — si Dieu le veut — se tiendront, comme nous l'avons déjà annoncé, tous les deux ans. Il est une promesse de développement toujours plus harmonieux et fécond des travaux synodaux, afin que l'action des évêques réponde vraiment, en cette époque tourmentée et cependant merveilleuse, par un effort toujours plus grand de fidélité à la volonté du Christ sur son Eglise, à l'amour du Christ pour elle, qu'il veut sancta et immaculata parce que Christus dilexit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro ea, ut illam sanctificaret mundans lavacro aquae in verbo vitae (Ep 5,26-27). Il faut aussi aider les évêques à aller au devant des problèmes pour le bien du genre humain.

39 Nous désirons ardemment que ce travail, qui n'est autre que le prolongement, sur un plan toujours plus vaste et organisé, du souci pastoral des Evêques de l'Eglise de Dieu, se déroule selon deux principes royaux, l'unité et la charité, que nous avons rappelés au début de la même Session extraordinaire du Synode, le 11 octobre 1969 (AAS 61, 1969, p. 719). Nous vous remercions de tout coeur pour la collaboration que vous nous offrirez dans ce sens, et nous avons grande confiance en votre expérience, en votre prestige, en votre zèle, en votre amour des âmes.

En vous assurant que le Synode des Evêques et son Secrétariat trouveront toujours de la part de ce Siège Apostolique l'attention la plus empressée et la plus cordiale, ainsi que l'appui nécessaire et efficace, de tout coeur Nous vous accordons notre Bénédiction Apostolique que Nous étendons dans un même geste à tous nos frères dans l'Episcopat, à leurs prêtres bien-aimés, pupilles de nos yeux, à chacun de leurs diocèses, portion élue de l'unique et sainte Eglise catholique et apostolique.





À L’OCCASION DE LA FÊTE DES SAINTS CYRILLE ET MÈTHODE

Vendredi 22 mai 1970




Nous sommes très heureux de saluer aujourd’hui cette délégation de hautes personnalités provenant de la République socialiste macédonienne pour commémorer le grand saint Cyrille, qui avec son frère saint Méthode est justement honoré comme apôtre des slaves et fondateur de la littérature slave.
Cyrille a été un grand apôtre qui a su réaliser d’une manière remarquable l’équilibre entre les exigences de l’unité et la légitimité de la diversité. Il s’est appuyé sur un principe traditionnel et immuable: l’Eglise respecte et assume toutes les virtualités, toutes les ressources, toutes les formes de vie des peuples auxquels elle annonce l’évangile du Seigneur, en les purifiant, en les fortifiant, en les élevant. C’est ainsi que les saints Cyrille et Méthode ont pu faire en sorte que la révélation du Christ, la vie liturgique et la vie spirituelle chrétiennes se sont trouvées «chez elles» dans la culture et la vie des grands peuples slaves.

Mais que d’efforts il a fallu à Cyrille pour être capable de mener à bien une telle oeuvre! Sa pénétration de la langue et de la culture des peuples slaves étaient le fruit d’une longue et persévérante étude, d’une continuelle abnégation, servie par un génie peu commun qui a su fournir à cette langue et à cette culture le premier alphabet qui serait pour elle un moyen adéquat de se fixer et de s’épanouir dans 1’Ecriture. Ce faisant il a jeté la base d’un immense développement littéraire et culturel qui n’a jamais cessé de s’amplifier et de se diversifier jusqu’à nos jours, et auquel votre peuple a pu donner une grande contribution.
Nous vous sommes reconnaissants pour votre visite. Que saint Cyrille, l’homme de la tradition qui reste toujours un exemple pour les hommes d’aujourd’hui dans leurs efforts de s’adapter aux changements qui se produisent, vous inspire dans vos efforts pour la concorde et la paix entre peuples de diverses cultures et traditions.




1° juin



SAINTE THERESE D'AVILA DOCTEUR DE L'EGLISE





Nous avons conféré, ou mieux : nous avons reconnu le titre de Docteur de l'Eglise à sainte Thérèse de Jésus. Le seul fait de proférer le nom de cette Sainte, singulière et si grande, en ce lieu et en cette circonstance, soulève dans notre âme un tumulte de pensées, dont la première serait d'évoquer la figure de Thérèse. Nous la voyons apparaître devant nous comme femme exceptionnelle, comme religieuse qui, toute voilée d'humilité, de pénitence, de simplicité, rayonne autour d'elle la flamme de sa vitalité humaine et de sa vivacité spirituelle. Nous la voyons comme réformatrice et fondatrice d'un Ordre historique et insigne ; nous la voyons comme écrivain génial et fécond, nous la voyons comme maîtresse de vie spirituelle, comme contemplative incomparable et inlassablement active... Qu'elle est grande ! unique ! qu'elle est humaine et attachante cette figure ! Avant de parler d'autre chose nous serions tenté de parler d'elle, de cette Sainte si intéressante à tant d'égards. Cependant n'attendez pas de nous, en ce moment, que nous vous entretenions de la personne et de l'oeuvre de Thérèse de Jésus : la double biographie que contient le volume préparé avec tant de soin par notre Congrégation pour les Causes des Saints suffirait à décourager quiconque voudrait condenser en de brèves paroles l'image historique et biographique de cette Sainte, qui semble déborder les traits descriptifs dans lesquels on voudrait la contenir. Du reste, ce n'est pas sur elle que nous voulons maintenant fixer notre attention, mais sur l'acte que nous venons d’accomplir, sur le fait que nous gravons en ce moment dans histoire de l'Eglise et que nous confions à la piété et à la réflexion du Peuple de Dieu ; sur l'attribution, disions-nous, du titre de Docteur de l'Eglise à Thérèse d'Avila, à Sainte Thérèse de Jésus, la grande Carmélite.

Et la signification de cet acte est très claire. C'est un acte qui, intentionnellement, veut être lumineux ; qui pourrait avoir pour expression symbolique une lampe allumée devant l'humble et majestueuse figure de la Sainte : acte lumineux par l'éclat que le titre de Docteur de l'Eglise projette sur elle ; lumineux aussi par l'illumination qu'il projette sur nous.

Pour Thérèse, la lumière de ce titre met en évidence en premier lieu des valeurs indiscutables, qui lui étaient déjà amplement reconnues. La première de ces valeurs est la sainteté de la vie, officiellement proclamée le 12 mars 1622 — trente ans après sa mort — par notre Prédécesseur Grégoire XV, dans la célèbre canonisation où furent inscrits au canon des Saints, avec notre Carmélite, Ignace de Loyola, François Xavier, Isidore Agricola — tous gloires de l'Espagne catholique —, et avec eux Philippe Neri, florentin-romain. En second lieu, le titre de Docteur met très spécialement en évidence « l'éminence de la doctrine » de la Sainte (cf. P. lambertini, puis Benoît XIV, De Servorum Dei beatificatione, IV, 2, c. 11, n. 13).

40 La doctrine de Sainte Thérèse d'Avila resplendit des charismes de la vérité, de la conformité à la foi catholique, de l'utilité pour l'érudition des âmes ; elle resplendit surtout d'un charisme de sagesse, qui nous fait penser à l'aspect le plus attirant et le plus mystérieux du doctorat de Sainte Thérèse : l'influx de l'inspiration divine en ce prodigieux auteur mystique. D'où venait à Thérèse le trésor de sa doctrine ? Sans nul doute, de son intelligence, de sa formation culturelle et spirituelle, de ses lectures, de sa conversation avec de grands maîtres de la théologie et de la spiritualité ; elle lui venait d'une sensibilité profonde, d'une habituelle et intense discipline ascétique, de sa méditation contemplative, en un mot, de la correspondance à la grâce reçue dans une âme extraordinairement riche et préparée à la pratique et à l'expérience de l'oraison. Mais était-ce là l'unique source de sa « doctrine éminente » ? Ou ne devrait-on pas chercher en Sainte Thérèse des actes, des faits, des états qui ne proviennent pas d'elle, mais qui par elle sont subis, c'est-à-dire soufferts : des actes passifs, mystiques au sens strict du mot, des actes à attribuer à une action extraordinaire de l'Esprit-Saint. Indubitablement, nous sommes devant une âme dans laquelle se manifeste une initiative divine extraordinaire, laquelle est perçue et décrite par Thérèse en un langage littéraire propre, simplement, fidèlement, merveilleusement.

Ici les questions se multiplient. L'originalité de l'action mystique est l'un des phénomènes psychologiques les plus délicats et les plus complexes, dans lesquels beaucoup de facteurs peuvent intervenir et obliger l'observateur aux plus sévères précautions, mais où les merveilles de l'âme humaine se manifestent d'une manière surprenante. L'une de ces merveilles les plus compréhensives est l'amour : l'amour qui célèbre dans les profondeurs du coeur ses expressions les plus variées et les plus débordantes, amour que, à la fin, nous devrons appeler mariage, parce qu'il est l'union de l'Amour divin inondant, qui descend à la rencontre de l'amour humain tendant de toutes ses forces à monter; c'est l'union à Dieu la plus intime et la plus forte qu'il soit donné à l'âme d'expérimenter sur cette terre ; amour qui devient lumière, qui devient sagesse : sagesse des choses divines, sagesse des choses humaines.

Et c'est de ces secrets que nous parle la doctrine de Thérèse : les secrets de l'oraison. Sa doctrine est là. Elle a eu le privilège et le mérite de connaître ces secrets par voie d'expérience : expérience vécue dans la sainteté d'une vie consacrée à la contemplation et, simultanément, engagée dans l'action ; expérience tout ensemble soufferte et goûtée dans l'effusion de charismes spirituels extraordinaires. Thérèse a eu l'art d'exposer ces secrets, au point de se classer parmi les plus grands maîtres de la vie spirituelle. Ce n'est pas en vain que la statue de Thérèse, qui la représente comme Fondatrice, dans cette Basilique, porte l'inscription : Mater Spiritualium.

Elle était déjà admise par consentement unanime, peut-on dire, cette prérogative de Sainte Thérèse, d'être mère, d'être maîtresse des personnes spirituelles. Mère d'une simplicité charmante, maîtresse d'une profondeur admirable. Le suffrage de la tradition des saints, des théologiens, des fidèles, des savants lui était déjà assuré ; nous venons de le confirmer, en sorte qu'ornée de ce titre magistral, elle ait à accomplir une mission plus autorisée, dans sa Famille religieuse, dans l'Eglise orante et dans le monde, avec son message pérenne et présent : le message de l'oraison.

C'est cette lumière-là, rendue aujourd'hui plus vive et plus pénétrante, que le titre de Docteur, conféré à Sainte Thérèse, reflète sur nous. Le message de l'oraison ! Il vient à nous, fils de l'Eglise, en une heure marquée par un grand effort de réforme et de renouveau de la prière liturgique ; il vient à nous, tentés par la rumeur et l'engagement du monde extérieur de céder à l'enfièvrement de la vie moderne et de perdre les vrais trésors de notre âme à la poursuite des séduisants trésors de la terre. Il vient à nous, fils de notre temps, alors que va se perdant non seulement l'habitude du colloque avec Dieu, mais le sens du besoin et du devoir de l'adorer et de l'invoquer. Il vient à nous le message de la prière, chant et musique d'un esprit pénétré de grâce et ouvert à la conversation de la foi, de l'espérance et de la charité. Il vient à nous tandis que l'exploration psychanalytique décompose l'instrument que nous sommes : fragile et compliqué, non plus pour ouïr les voix de l'humanité souffrante et rachetée, mais pour ausculter le murmure trouble de son subconscient animal, le cri de ses passions désordonnées et de son angoisse désespérée. Il vient à nous le message sublime et simple de l'oraison, où Thérèse nous exhorte à « comprendre l'immense faveur que Dieu accorde à une âme quand il l'incline à s'adonner généreusement à l'oraison... car l'oraison mentale n'est qu'un commerce intime où l'on s'entretient seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » (Vie, chap. VIII).

Tel est en bref le message de Thérèse : écoutons-le et faisons le nôtre.

Nous devons maintenant observer deux choses qui nous semblent importantes.

Remarquons en premier lieu que Sainte Thérèse d'Avila est la première femme à qui l'Eglise confère le titre de Docteur ; et ce fait ne va pas sans rappeler la parole sévère de saint Paul : Mulieres in Ecclesiis taceant (
1Co 14,34): ce qui veut dire, encore aujourd'hui, que la femme n'est pas destinée à avoir dans l'Eglise des fonctions hiérarchiques de magistère et de ministère. Le précepte apostolique aurait-il été violé ?

Nous pouvons répondre clairement : non. Il ne s'agit pas, en réalité, d'un titre qui comporterait une fonction hiérarchique de magistère ; mais nous devons souligner en même temps que cela ne signifie nullement une moindre estime de la mission sublime de la femme au milieu du Peuple de Dieu.

Au contraire, la femme, en entrant dans l'Eglise par le baptême, participe au sacerdoce commun des fidèles, qui habilite et oblige à « professer devant les hommes la foi reçue de Dieu par l'intermédiaire de l'Eglise » (Lumen Genttum, c. 2, n. 11). Dans cette profession de la foi beaucoup de femmes sont arrivées aux plus hauts sommets, au point que leur parole et leurs écrits ont été lumière et guide pour leurs frères : lumière alimentée chaque jour par le contact intime avec Dieu, jusque dans les formes les plus nobles de l'oraison mystique, pour laquelle elles possèdent une capacité spéciale, affirme saint François de Sales ; lumière faite vie d'une manière sublime, pour le bien et le service des hommes.

C'est pourquoi le Concile a voulu reconnaître la haute collaboration avec la grâce divine, que les femmes sont appelées à exercer, pour instaurer le règne de Dieu sur la terre et exalter la grandeur de leur mission. Il n'hésite pas non plus à les inviter à coopérer « pour que l'humanité ne déchoie pas », « pour réconcilier les hommes avec la vie », « pour sauver la paix dans le monde » (Message aux femmes).

41 En second lieu, nous ne voulons pas négliger le fait que Sainte Thérèse d'Avila était espagnole et qu'à bon droit l'Espagne la considère comme l'une de ses plus grandes gloires. Dans sa personnalité l'on apprécie les caractéristiques de sa patrie : la robustesse d'esprit, la profondeur des sentiments, la sincérité du coeur, l'amour de l'Eglise. Sa figure se situe à une époque glorieuse où tant de saints et de maîtres marquèrent leur temps par le développement de la spiritualité. Elle les écouta avec l'humilité du disciple et sut en même temps les juger avec la perspicacité d'une grande maîtresse de vie spirituelle, et ceux-ci la considérèrent comme telle.

D'autre part, au-dedans comme au-dehors des frontières de sa patrie, s'agitait la violente tempête de la Réforme, opposant entre eux les fils de l'Eglise. Pour l'amour de la vérité et pour son intimité avec le Maître, Thérèse eut à supporter des amertumes et des incompréhensions de toutes sortes. Et devant la rupture de l'unité, son esprit ne pouvait trouver de repos : « ... j'éprouvai une peine profonde. Comme si j'eusse pu, ou que j'eusse été quelque chose, je répandais mes larmes aux pieds du Seigneur et je le suppliais d'apporter un remède à un tel mal » (Chemin de la perfection, ch. 1, n. 2 ; BAC 1962, 185).

Ce « sentire cum Ecclesia », expérimenté dans la douleur à la vue de la dispersion des forces, la conduisit, dans son ardent désir d'édifier le règne de Dieu, à réagir de toute l'énergie de son esprit castillan. Elle décida de pénétrer avec une vision réformatrice dans le monde qui l'entourait, de lui imprimer un sens, une harmonie, une âme chrétienne. A la distance de cinq siècles, le sillage de Sainte Thérèse d'Avila désigne encore sa mission spirituelle, la noblesse de son coeur assoiffé de catholicité, son amour dépouillé de toute affection terrestre pour un don total à l'Eglise. Sur le point de rendre son dernier soupir, elle pouvait bien dire, comme épilogue à sa vie : « Enfin, je suis fille de l'Eglise ».

Dans ce soupir d'aise, présage, pour Thérèse de Jésus, de la gloire des Bienheureux, nous voulons voir un héritage spirituel lié à toute l'Espagne. Nous voulons y voir aussi l'invitation, adressée à nous tous, de nous faire l'écho de sa voix, afin de pouvoir redire avec elle : nous sommes fils de l'Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.








50ème ANNIVERSAIRE DE L'ORDINATION SACERDOTALE DU SAINT PÈRE



Discours 1970 36