Discours 1969 39


CÉRÉMONIE DE DÉPART

DISCOURS DU PAPE PAUL VI

Genève

Mardi 10 juin 1969




Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général,
et vous tous qui êtes venus assister à Notre départ,

Nous ne pouvons quitter le sol hospitalier de ce Pays sans vous adresser à tous un salut cordial et empreint de la plus vive reconnaissance.

Reconnaissance envers vous, d’abord, Monsieur le Président de la Confédération Helvétique, pour la courtoisie de l’accueil que les Autorités et le peuple suisse ont bien voulu Nous réserver.

Reconnaissance envers l’Organisation Internationale du Travail et envers son très digne Directeur Général, dont l’aimable invitation a été à l’origine de ce voyage.

Reconnaissance envers le Conseil oecuménique des Eglises, qui a voulu Nous réserver aussi un accueil si déférent et, pour Nous, si émouvant.

Reconnaissance enfin à Nos chers Fils catholiques de Suisse, à leur Hiérarchie, à leurs prêtres, et à tous ceux que la Providence Nous a permis de rencontrer au cours de cette journée. Un grand merci à tous, du fond du coeur. Que Dieu vous le rende!

Vergelt’es Gott!

Qu’un Pape ait pu venir à Genève, y avoir des contacts aussi cordiaux avec des Autorités internationales, avec des Représentants hautement qualifiés de familles religieuses non catholiques: voilà vraiment, Nous semble-t-il, un de ces «Signes des temps» que l’optimisme chrétien de Notre inoubliable prédécesseur Jean XXIII excellait à découvrir au sein des immenses transformations du monde moderne.

Nous saluons, Nous aussi, d’un coeur plein d’espérance, l’heureuse évolution des esprits et des coeurs qui a permis ce voyage et rendu possibles ces contacts si féconds. Tout ce qui tend à rapprocher les hommes, à leur faire surmonter des situations historiques dépassées, pour collaborer à des tâches positives, tout cela, Nous semble- t-il, ne peut manquer d’être béni de Dieu et approuvé par tous les hommes droits.

Nous formons des voeux pour que ces germes d’une plus grande fraternité, tant au plan temporel qu’au plan religieux, grandissent et se développent toujours davantage. Et en remerciant le Seigneur de la journée si féconde qu’il Nous a permis de passer dans ce Pays, Nous invoquons sur tous ceux qui Nous y ont accueilli - et d’abord sur vous, Monsieur le Président, et sur vous, Monsieur le Directeur général - l’abondance des divines bénédictions.



AUX PERSONNALITÉS AFRICAINES* Vendredi 20 juin 1969

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Messieurs les Ministres,

Il y a quelques jours, Nous recevions ici même, dans Notre demeure, le groupe des techniciens de l’E.N.I. faits prisonniers au cours d’un douloureux épisode du conflit nigérien, et qui venaient d’être libérés. Vous savez combien les Autorités et l’opinion publique et Nous même Nous étions intéressés à leur sort. Et pour Notre part Nous avions eu connaissance des interventions faites en leur. faveur non seulement par différentes Autorités européennes, et surtout, à juste titre, celles d’Italie, mais aussi par les Gouvernements du Gabon et de la Côte d’Ivoire.

Nous sommes vraiment heureux que l’occasion se présente pour Nous de rencontrer aujourd’hui des représentants hautement qualifiés de ces deux Pays et de mettre en commun avec eux Nos sentiments de joie et de reconnaissance pour le succès qui est venu couronner de communs efforts. Et Nous formons les voeux les plus vifs afin que la paix puisse être restaurée parmi toutes les populations africaines qui nous sont si chères, les unes et les autres.

Quand il s’agit de sauver des vies humaines, aucun effort n’est trop grand, aucune initiative ne doit être épargnée. C’est l’honneur de vos Gouvernements de l’avoir compris et d’avoir agi opportunément et généreusement. Leur intervention a été récompensée. Elle mérite la reconnaissance de tous les hommes de coeur. Elle est bien digne aussi, pensons-Nous, d’être bénie de Dieu, et c’est de grand coeur que Nous le remercions avec vous et invoquons sa puissante protection sur vos personnes, sur vos familles et sur vos Gouvernements.



*Insegnamenti di Paolo VI, vol. VII, p. 438.

L’Osservatore Romano, 21.6.1969, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n. 26 p.12.





AU COLLÈGE DE DÉFENSE DE L’O.T.A.N.* Samedi 5 juillet 1969

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Monsieur le Général,
chers Messieurs et chers Fils!

La 34ème session de votre Collège de Défense de l’«Organisation du Traité de l’Atlantique Nord» vient de se terminer, et avant de rejoindre votre patrie d’Europe ou d’Amérique, vous avez tenu, comme vos prédécesseurs, à venir Nous saluer et à recueillir, avec notre Bénédiction, quelques paroles d’encouragement.

Notre voeu, vous le savez, est celui de voir la Paix se consolider là où elle demeure fragile, et s’instaurer là où elle fait tragiquement défaut. Et cette Paix ne saurait exister sans un climat de justice et de liberté, au service duquel vous voulez mettre la force et l’autorité que vous représentez, dans la recherche du bien commun de vos communautés nationales, sans négliger le bien commun de l’humanité entière, dont tous les membres sont de plus en plus solidaires. Nous nous plaisons à penser que les compétences techniques acquises ici, et les contacts dont vous avez bénéficié, vous faciliteront cette noble tâche, dans tous les postes qui vous seront confiés, et Nous vous rappelons volontiers la parole de Notre Seigneur qui éclaire notre route: «Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu».

Nous formons, pour vous tous, les meilleurs souhaits et Nous implorons de grand coeur sur chacun d’entre vous, sur vos familles, sur vos chefs et tous ceux qui vous sont chers, les grâces de lumière et de courage dont vous avez besoin, avec la Bénédiction du Dieu Tout-Puissant.



*Insegnamenti di Paolo VI, vol. VII, p.64-65;

OR 6.7.1969 p.1;

ORf n.29 p.8.



Pèlerinage Apostolique en Ouganda (31 juillet - 2 août 1969)



Au rendez-vous de l'Afrique Kampala, 31 juillet - 2 août 1969


Dans le souvenir de l’heure missionnaire

Dans la catholicité et l’unité



L'EGLISE D'AFRIQUE A L'HEURE AFRICAINE

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Messieurs les Cardinaux,

Frères vénérés,

Très chers fidèles, et vous tous,

Fils d'Afrique ici présents,



A vous tous, notre salut plein de respect et d'affection !

Notre salut de Frère, de Père, d'Ami, de serviteur, aujourd'hui votre hôte ! A vous, notre salut d'Evêque de Rome, de successeur de Saint Pierre, de Vicaire du Christ, de Pontife de l'Eglise catholique, lequel a la chance d'être enfin et comme premier Pape sur cette terre africaine. Notre salut porte avec lui celui de toute la fraternité catholique ; nous pouvons dire, avec Saint Paul : « Toutes les Eglises du Christ vous saluent » (
Rm 16,16) !

Accueillez ce salut, vous, Messieurs les Cardinaux de ce continent. Nous Nous réjouissons et Nous sommes honoré de vous avoir comme membres du Sacré Collège, comme collaborateurs et conseillers personnels, comme représentants autorisés de l'Eglise africaine dans les dicastères du Siège Apostolique. Merci du signe de votre adhésion que vous Nous donnez par votre présence. Et merci à vous, Frères très chers dans l'Episcopat ! Nous savons vos soucis pastoraux et vos mérites. Nous vous embrassons tous et Nous vous bénissons. Et aux Prêtres, aux Religieux, aux Religieuses, aux Catéchistes, aux Maîtres, et à tous les coopérateurs du Laïcat catholique, à tous les Fidèles : nos remerciements, nos voeux et nos bénédictions.

Deux sentiments remplissent en ce moment notre coeur. Un sentiment de communion. Nous remercions le Seigneur qui Nous en donne l'ineffable expérience. Nous devons vous dire que c'est dans le désir de cette expérience spirituelle que Nous avons entrepris ce voyage : pour être avec vous, pour jouir de la foi commune et de la commune charité qui nous unissent, pour affirmer, même de façon sensible, que nous sommes une unique famille dans le corps mystique du Christ, son Eglise ! Nous devons vous dire, que Nous sommes heureux de répéter ici les paroles de l'Apôtre des gentils : « Nous sommes un seul corps et un seul Esprit, ... appelés à une seule espérance. Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Un seul Dieu et Père de tous... » (Ep 4,4-6). Si ce sentiment de communion est aussi en vous, comme Nous l'espérons, et s'il constitue le souvenir de cette rencontre, Nous pourrons dire que notre voyage aura déjà obtenu un résultat grandement satisfaisant.

Un autre sentiment, Frères et Fils, est maintenant dans notre coeur : celui de respect, pour vos personnes, pour votre terre, pour votre culture. Nous sommes plein d'admiration et de dévotion pour vos Martyrs, que Nous sommes venu honorer et invoquer. Nous n'avons d'autre désir que de promouvoir ce que vous êtes : chrétiens et africains. Nous voulons que notre présence parmi vous soit le signe que Nous reconnaissons votre maturité et que Nous désirons vous montrer comment la communion qui nous unit n'étouffe pas, mais alimente l'originalité de votre personnalité individuelle, ecclésiale et même civile. Nous demandons au Seigneur la grâce de pouvoir être utile à votre progrès, en éveillant les bons germes et en stimulant les énergies humaines et chrétiennes qui sont dans le génie de votre vocation à la plénitude spirituelle et temporelle. Ce ne sont pas nos intérêts, mais les vôtres, qui sont l'objet de notre ministère apostolique.

Cette pensée nous permet de donner tout d'abord un très bref coup d'oeil récapitulatif aux questions caractéristiques de l'Eglise africaine. Nous savons que beaucoup de ces questions ont été traitées par vous, Evêques de ce continent; et à leur sujet, il ne Nous reste plus qu'à apprécier vos études et à encourager votre zèle : ayez des idées claires et concordantes, et allez de l'avant, méthodiquement et courageusement, avec la conscience d'un grand mandat : construire l'Eglise !

Nous Nous limitons maintenant à mentionner quelques aspects généraux de la vie catholique africaine en ce moment historique.

Le premier aspect Nous semble celui-ci : Vous, Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires. L'Eglise du Christ est vraiment implantée sur cette terre bénie (cf. Decr. Ad gentes, AGD 6). Et il est un devoir que Nous devons accomplir : Nous devons évoquer le souvenir de ceux qui, en Afrique, avant vous et encore aujourd'hui avec vous, ont prêché l'Evangile. L'Ecriture Sainte nous y invite : « Souvenez-vous de vos prédécesseurs, qui vous ont annoncé la parole de Dieu, et considérant la fin de leur vie, imitez leur foi » (He 13,7). C'est une histoire que nous ne devons pas oublier ; elle confère à l'Eglise locale la note de son authenticité et de sa noblesse : la note « apostolique ». Elle est un drame de charité, d'héroïsme, de sacrifice, qui fait de l'Eglise africaine, depuis les origines, une Eglise grande et sainte. C'est une histoire qui dure encore et qui devra durer longtemps, même si vous, Africains, vous en prenez maintenant la direction. L'aide de collaborateurs provenant d'autres Eglises vous est aujourd'hui encore nécessaire : estimez-la précieuse, faites-lui honneur et sachez l'unir à votre oeuvre pastorale.

Etre vos propres missionnaires : c'est dire que vous, Africains, vous devez poursuivre la construction de l'Eglise sur ce continent. Les deux grandes forces (oh ! combien différentes et inégales !), voulues par le Christ pour édifier son Eglise, doivent être à l'oeuvre ensemble avec une grande intensité (cf. Ad gentes, AGD 4) : la hiérarchie (et Nous entendons par là toute la structure sociale, canonique, responsable, humaine, visible de l'Eglise, avec les Evêques en première ligne, et l'Esprit-Saint (c'est-à-dire la grâce avec ses charismes : cf. congar, Esquisses du mystère de l'Eglise, PP 129 ss.) ; ces deux forces doivent être à l'oeuvre de façon dynamique, comme il convient justement à une Eglise jeune, appelée à rencontrer une culture ouverte à l'Evangile, comme c'est le cas pour votre culture africaine. A l'impulsion que donnait à la foi l'action missionnaire de Pays étrangers, doit s'unir et succéder l'impulsion venant de l'intérieur de l'Afrique. L'Eglise, par sa nature, demeure toujours missionnaire. Mais le jour viendra où Nous n'appellerons plus « missionnaire » au sens technique, votre apostolat, mais natif, indigène, vraiment vôtre.

Un travail immense se prépare pour votre labeur pastoral ; celui spécialement de la formation des chrétiens, appelés à l'apostolat : le Clergé, les Religieux, les Catéchistes, les Laïcs actifs. De la préparation de ces éléments locaux, éléments choisis et agissants du Peuple de Dieu, dépendront la vitalité, le développement, l'avenir de l'Eglise africaine. C'est clair. C'est le plan voulu par le Christ : les frères doivent sauver leurs frères ; mais pour accomplir cette entreprise évangélique, il faut que des frères qualifiés soient les ministres, les serviteurs, les diffuseurs de la parole, de la grâce, de la charité, en faveur des autres frères, appelés eux-mêmes par la suite, à coopérer à l'oeuvre commune d'édification de l'Eglise. Vous savez bien tout cela. Nous ne devons rien faire d'autre qu'encourager et bénir vos projets.

Une question qui demeure très vive et suscite beaucoup de discussions se présente à votre oeuvre évangélisatrice, celle de l'adaptation de l'Evangile, de l'Eglise, à la culture africaine. L'Eglise doit-elle être européenne, latine, orientale... ou bien doit-elle être africaine ? Le problème paraît difficile, et en pratique il peut l'être en effet. Mais la solution est prête, avec deux réponses. Votre Eglise doit être avant tout catholique. Autrement dit, elle doit être entièrement fondée sur le patrimoine identique, essentiel, constitutionnel de la même doctrine du Christ, professée par la tradition authentique et autorisée de l'unique et véritable Eglise. C'est là une exigence fondamentale et indiscutable. Tous nous devons être jaloux et fiers de cette foi dont les apôtres furent les héros et les Martyrs, c'est-à-dire les maîtres scrupuleux. Vous savez à quel point l'Eglise est par-dessus tout tenace, disons conservatrice, sous ce rapport. Pour empêcher que le message de la doctrine révélée ne puisse s'altérer, l'Eglise est allée jusqu'à fixer en quelques formules conceptuelles et verbales son trésor de vérité ; et même si ces formules sont parfois difficiles, elle nous fait une obligation de les conserver textuellement. Nous ne sommes pas les inventeurs de notre foi ; nous en sommes les gardiens. Toute religiosité n'est pas bonne, mais seulement celle qui interprète la pensée de Dieu, selon l'enseignement du magistère apostolique, établi par l'unique Maître, Jésus-Christ.

Mais cette première réponse étant donnée, il Nous faut passer à la seconde : l'expression, c'est-à-dire le langage, la façon de manifester l'unique foi peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un pluralisme est légitime, même souhaitable. Une adaptation de la vie chrétienne dans les domaines pastoral, rituel, didactique et aussi spirituel, est non seulement possible, mais est favorisée par l'Eglise. C'est ce qu'exprimé, par exemple, la réforme liturgique. En ce sens, vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain. Oui, vous avez des valeurs humaines et des formes caractéristiques de culture qui peuvent s'élever à une perfection propre, apte à trouver dans le christianisme et par le christianisme, une plénitude supérieure originale, et donc capable d'avoir une richesse d'expression propre, vraiment africaine. Il y faudra peut-être du temps. Il faudra que votre âme africaine soit imprégnée profondément des charismes secrets du christianisme, afin que ceux-ci se répandent ensuite librement, en beauté et en sagesse, à la manière africaine. Il faudra que votre culture ne se refuse pas, mais au contraire en tire profit, à puiser dans le patrimoine de la tradition patristique, exégétique, théologique de l'Eglise catholique, les trésors de sagesse qui peuvent être considérés comme universels, et de façon spéciale ceux qui sont plus facilement assimilables par la mentalité africaine. L'Occident aussi a su puiser aux sources des écrivains africains, comme Tertullien, Ottavius de Milet, Origène, Cyprien, Augustin... (cf. Décret Optatam totius, OT 16) : cet échange des plus hautes expressions de la pensée chrétienne alimente, sans l'altérer, l'originalité d'une culture particulière. Il faudra une incubation du « mystère » chrétien dans le génie de votre peuple, pour qu'ensuite sa voix originale, plus limpide et plus franche, s'élève harmonieuse dans le choeur des autres voix de l'Eglise universelle. Devons-Nous vous rappeler, à ce propos, à quel point il sera utile pour l'Eglise africaine, d'avoir des centres de vie contemplative et monastique, des centres d'études religieuses, des centres de formation pastorale ? Si vous savez éviter les périls possibles du pluralisme religieux, et par conséquent vous abstenir de faire de votre profession chrétienne une espèce de folklorisme local, ou bien de racisme exclusiviste ou de tribalisme égoïste, ou encore de séparatisme arbitraire, vous pourrez demeurer sincèrement africains même dans votre interprétation de la vie chrétienne ; vous pourrez formuler le catholicisme en termes absolument appropriés à votre culture et vous pourrez apporter à l'Eglise catholique la contribution précieuse et originale de la « négritude » dont, à cette heure de l'histoire, elle a particulièrement besoin.

L'Eglise africaine a devant elle une tâche immense et originale à réaliser : elle doit s'adresser comme « mère et éducatrice » — Mater et Magistra — à tous les fils de cette terre du soleil. Elle doit leur offrir une interprétation traditionnelle et moderne de la vie. Elle doit former les populations aux formes nouvelles de l'organisation civile, tout en purifiant et conservant celles si sages de la famille et de la communauté. Elle doit donner une impulsion pédagogique à vos vertus individuelles et sociales d'honnêteté, de sobriété, de loyauté. Elle doit accroître toute activité en faveur du bien public, notamment l'école, comme aussi l'assistance aux pauvres et aux malades. Elle doit aider l'Afrique sur la voie du développement, de la concorde et de la paix.

Oui, ce sont là de grands devoirs, des devoirs toujours nouveaux. Nous en reparlerons. Mais Nous vous disons, au nom du Seigneur, qu'ensemble nous suivons et aimons : vous avez la force et la grâce nécessaires pour les remplir, parce que vous êtes membres vivants de l'Eglise catholique, parce que vous êtes chrétiens et africains.

Que vous y aide Notre Bénédiction Apostolique.


AU PARLEMENT DE KAMPALA - Palais du Parlement, Kampala Vendredi 1er août 1969

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MESSAGE AUX PEUPLES D'AFRIQUE


Un des grands moments du voyage pontifical fut, à l'évidence, la visite que Paul VI a faite au Parlement de Kampala, le 1er août, à 12 heures. Du haut de la tribune de cette Assemblée, le Pape a salué tous les peuples d'Afrique, a présenté le vrai visage de l'Eglise, ses nobles ambitions spirituelles, ses préoccupations, ses voeux pour l'avenir spirituel, moral et matériel du continent africain tout entier. Voici le texte de cet important discours.



Messieurs,



Il sera bon que nous nous présentions les uns aux autres. Qui sommes-Nous ? Ne vous laissez pas tromper, par hasard, sur l'opinion qu'une certaine mentalité se fait couramment de Nous : Nous sommes un homme petit et faible, comme tout le monde, et peut-être plus que d'autres. Compatissez à Nos limites personnelles. Nous n'hésitons pourtant pas à Nous présenter à vous sous un double titre, l'un qui est Nôtre, à savoir le grand amour que Nous avons pour l'Afrique, pour vous, pour les Peuples que vous gouvernez et représentez ; l'autre titre n'est pas Nôtre, il Nous a été conféré, et c'est celui-là, qui Nous rend humble et Nous encourage à venir parmi vous : c'est le titre que vous connaissez, celui de Pape, qui veut dire « père » ; et Nous l'avons hérité de Saint Pierre, dont Nous sommes un indigne, mais authentique successeur. C'est ce Saint Pierre que Jésus-Christ, le Fils de Dieu vivant, a constitué fondement de son Eglise, laquelle, durant bientôt vingt siècles, s'est répandue par toute la terre, en Ouganda également. C'est comme Pasteur de l'Eglise catholique que Nous sommes ici, et que Nous Nous présentons à vous pour vous dire à vous aussi sa parole, à la fois simple et solennelle : paix à vous !

Vive l'Afrique





En disant « vous », Nous reconnaissons qui vous êtes : Africains, revêtus d'autorité et de responsabilité, assumant en vos personnes et dans vos fonctions l'image, bien plus, la réalité de la nouvelle Afrique. Nous saluons en vous votre Afrique, toute l'Afrique, même celle que vous ne représentez pas physiquement ici. Nous ne cachons pas l'émotion que suscite en Notre âme cette rencontre. Volontiers, Nous reconnaissons la singulière importance et la signification profonde de ce moment. L'Afrique, dans son expression civile authentique à son niveau le plus élevé, reçoit le salut de toute l'Eglise catholique par la voix qualifiée de son humble chef. Il Nous paraît que l'Afrique nouvelle, affranchie des temps passés et mûre pour les temps nouveaux, se trouve reconnue ici de façon singulière ; et Nous prions Dieu que cet acte de reconnaissance ait une valeur historique et prophétique pour ses meilleurs destins futurs. Permettez que de Notre coeur monte à Nos lèvres, au sens le plus plénier et le plus vrai, le souhait de : Vive l'Afrique !

Vocation de l'Eglise





Messieurs, Nous profitons de cette occasion pour vous déclarer ce que l'Eglise catholique fait et ce qu'elle ne fait pas en ce continent, comme du reste partout où elle exerce sa mission. L'Eglise vous remercie de la liberté que vous lui reconnaissez : d'exister et d'accomplir sa mission. Elle apprécie cette liberté, qui veut dire indépendance dans sa sphère propre, la sphère religieuse ; et qui signifie aussi distinction et respect en ce qui concerne l'autorité politique. Elle n'a pas d'intérêts temporels propres, elle ne fait pas de politique au sens propre de ce mot : donne à César ce qui est à César, et donne à Dieu ce qui est à Dieu (cf. Mt
Mt 22,21) ; et elle ne cherche même pas, dans l'accomplissement de sa mission, à imposer les caractéristiques bonnes et humaines de la culture occidentale à la culture africaine. Ne craignez pas l'Eglise : elle vous honore, elle vous éduque des citoyens honnêtes et loyaux, elle ne fomente pas de rivalités ni de divisions, elle cherche à promouvoir la sainte liberté, la justice sociale, la paix. Si elle a quelque préférence, celle-ci va aux Pauvres, à l'éducation des petits et du Peuple, au soin de ceux qui souffrent ou sont délaissés (cf. Enc. Mater et magistra, introd.; Const. Gaudium et spes, GS 42, 76, 88, etc.).

L'Eglise ne rend pas ses fidèles étrangers à la vie civile ni aux intérêts nationaux ; au contraire elle les éduque et les engage au service du bien public (cf. Gaudium et spes, GS 75, etc.). Il y a cependant un programme du même ordre temporel que l'Eglise poursuit aujourd'hui, un programme qui ne lui est pas propre, mais qui est plutôt vôtre, auquel elle entend donner son appui moral et, autant que possible, un appui pratique aussi : le programme du développement des Peuples. Vous savez que Nous avons écrit une encyclique, c'est-à-dire un message à l'Eglise et au monde entier, sur ce thème, l'Encyclique Popuîorum progressio, et Nous en avons réaffirmé les directives dans le message que Nous avons adressé précisément à l'Afrique le 29 octobre 1967, Africae terrarum (AAS, 1967, p. 1073 ss.). Dans ces documents, Nous avons voulu souligner l'aspiration fondamentale des Peuples du Tiers Monde à une justice à laquelle ils ont pleinement droit, à l'égal de toutes les autres Nations : le développement est vraiment une exigence indiscutable de la justice. Ni colonialisme, ni nouveau colonialisme, mais aide et impulsion aux populations africaines, afin qu'elles sachent exprimer avec leur génie propre et leurs propres forces les structures politiques, sociales, économiques, culturelles en accord avec leurs besoins, et en coordination avec la société internationale et avec la civilisation moderne. Ne craignez pas l'Eglise ! Elle ne vous enlève rien, mais elle vous apporte, avec son soutien moral et pratique, l'interprétation de la vie humaine, pour ce monde et pour l'au-delà, l'unique, la vraie — c'est ce que Nous croyons —, la suprême : l'interprétation chrétienne.



Indépendance et liberté pour tous


Et c'est à la lumière de cette interprétation que l'Eglise observe vos grands problèmes. Ceux-ci peuvent être considérés, à notre avis, sous une double perspective : celle de la liberté des territoires nationaux et celle de l'égalité des races. Par ce mot polyvalent « liberté », Nous entendons pour l'instant l'indépendance civile, l'autodétermination politique, l'affranchissement de la domination d'autres pouvoirs étrangers à la population africaine.

Voilà un événement qui domine l'histoire mondiale et que notre Prédécesseur Jean XXIII qualifiait de signe des temps (cf. Enc. Pacem in terris, PT 40-41, AAS 1963, p. 268) ; autrement dit, c'est un fait dû à la plus grande conscience que les hommes ont acquise de leur dignité, qu'il s'agisse de chaque personne ou des communautés des peuples. C'est un fait qui révèle l'orientation irréversible de l'histoire, qui répond certainement à un plan providentiel, et qui indique la direction selon laquelle doivent s'acheminer ceux qui sont investis de responsabilité, surtout dans le domaine politique.

Personne n'aime se sentir, observait notre vénéré Prédécesseur, soumis à des pouvoirs politiques provenant de l'extérieur de sa propre communauté nationale ou ethnique. C'est pourquoi les peuples d'Afrique ont assumé eux aussi la responsabilité de leurs propres destins. L'Eglise salue avec satisfaction un tel événement puisqu'il marque, à n'en pas douter, un pas décisif sur le chemin de la civilisation humaine, et elle le salue avec plaisir d'autant plus qu'elle est persuadée d'y avoir contribué dans le domaine qui lui est propre, celui de la conscience humaine, réveillée par le message évangélique; à la lumière de ce message, en effet, apparaît avec plus de clarté la dignité de la personne comme la dignité d'un peuple, et l'on reconnaît mieux les exigences inhérentes à cette dignité, qui ont leur répercussion en chaque aspect de la vie humaine, élevée à une plénitude de responsabilité personnelle et insérée dans une collectivité gouvernée par la justice et l'amour.

Nous le disons volontiers ici en Ouganda, terre de martyrs qui ont répandu leur sang pour célébrer cette valeur très haute de liberté, de force, de dignité venant de leur foi religieuse, et qui ont affirmé ainsi qu'il n'est pas possible, aujourd'hui moins que jamais, d'avoir une vie ordonnée, digne et féconde entre les êtres humains sans qu'elle ne se fonde sur la reconnaissance, sur la protection, sur la promotion de leurs droits fondamentaux, — en tant précisément qu'il s'agit d'hommes et de fils de Dieu —, et des devoirs qui en découlent, — en tant qu'il s'agit de membres d'une société ordonnée au bien de ses citoyens.


Non à la violence


Ce sont là des critères fondamentaux, d'ordre moral, qui éclairent la marche à suivre, mais ne suppriment pas les difficultés qui l'encombrent, spécialement là où ils n'ont pas encore leur application normale. Ici le jugement des situations concrètes concerne directement les Autorités responsables et, en quelques cas de particulière gravité, également la conscience des citoyens. Nous devrions citer de longues et belles pages de la Constitution pastorale du récent Concile oecuménique (Gaudium et spes, GS 73,75).

Aujourd'hui, hélas, sont nées dans le monde, et même en Afrique, des situations qui comportent un tel handicap ou une telle opposition pour la vie commune pacifique que redevient malheureusement courante la funeste parole de guerre, comme provenant d'une nécessité inéluctable. L'Eglise, précisément par son caractère même, par son principe évangélique de « non-violence », ne peut faire sien ce langage inhumain, tandis qu'elle souffre intimement pour les causes qu'il suppose et pour les effets qu'il entraîne avec lui. Nous ne pouvons pas ne pas rappeler parmi les victimes de ces funestes événements, les réfugiés et leurs souffrances. Nous serons cohérents jusqu'à ses extrêmes conséquences avec un seul programme, celui de « la justice et de la paix », celui du Christ. Ce n'est plus la violence qui doit constituer la règle pour résoudre les contestations humaines, mais la raison et l'amour. Non plus l'homme contre l'homme, mais l'homme pour l'homme et avec l'homme, comme un frère.

Nous dirons même plus, en parlant simplement en homme. Nous croyons qu'aujourd'hui les conflits entre les peuples peuvent être résolus par une voie meilleure et plus efficace que par celle de la violence. Les rapports humains ne doivent pas être réglés par l'affrontement de forces déchaînées pour le massacre et pour la destruction, mais par des pourparlers raisonnables, appuyés par les institutions internationales. Nous exprimons le voeu, en cette occasion également, d'une action toujours plus efficace de ces institutions, auxquelles nous devons donner autorité, efficacité et confiance.


L'Afrique dirigée par les Africains


Pareillement dans la question, toujours brûlante en Afrique, du colonialisme et du néocolonialisme — auxquels on peut reprocher d'avoir trop souvent fait prévaloir unilatéralement les intérêts économiques sur des considérations humaines —, il est clair que les populations intéressées ont le droit d'aspirer à leur légitime autonomie ; mais dans certaines conditions concrètes, la meilleure méthode pour y arriver sera celle, peut-être un peu plus lente, mais plus sûre, de préparer auparavant des hommes et des institutions capables d'un vrai et solide autogouvernement ; préparation qui, Nous voulons le croire, non seulement ne rencontrera pas d'obstacles, mais sera favorisée, dans l'ordre et dans la collaboration, de la part des autorités responsables, durant une période de symbiose des populations indigènes avec celles d'origine étrangère ; ainsi pourront se former des structures culturelles, civiles et économiques capables de préparer la société, à tous ses niveaux, à la responsabilité et au sens du bien commun, en vue de l'accès à une vraie souveraineté, afin de ne pas tomber non plus dans les pièges d'autres servitudes insidieuses. Pour ce qui Nous regarde, l'Eglise, tout en étant dans des conditions bien diverses, suit déjà cette méthode, en préparant Evêques, Clergé, Religieux et Laïcs natifs du territoire dans lequel elle accomplit sa mission de foi et de charité; et Nous avons confiance qu'on pourra bientôt instituer une Hiérarchie autochtone également dans les Pays africains où cela n'a pas encore été possible.

Nous n'ignorons pas les difficultés pratiques qu'il présente.


Non à la discrimination de race, de classe, de religion


Autre grand problème : celui de la diversité des races. Même au risque d'apparaître ingénu, Nous continuerons d'affirmer qu'il doit être résolu d'une façon très simple, c'est-à-dire en lui enlevant son caractère d'antagonisme, de rivalité, de disparité de droits, de haine raciale, d'antipathie physique. Autrement dit, c'est un problème qui se résout en le réduisant autant qu'il est possible. Il pourra y avoir des mesures libres et raisonnables de respect des moeurs, du caractère, de la culture des diverses familles ethniques. Mais on ne pourra jamais oublier, nous autres chrétiens, que l'Eglise condamne « toute discrimination ou vexation opérée envers des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur classe ou de leur religion » (Déclaration Nostra aetate, NAE 5). « Tous les hommes, dit encore le Concile, doués d'une âme rationnelle et créés à l'image de Dieu, ont même vocation et d'une même destinée divine : on doit donc, et toujours davantage, reconnaître leur égalité fondamentale (Gaudium et spes, GS 29). Et également en tant qu'homme, nous devrons toujours nous rappeler que la vie de la civilisation s'achemine vers la reconnaissance de l'égalité des hommes, revêtus, en tant que tels, d'une même dignité fondamentale et des droits qui en dérivent. C'est pourquoi Nous déplorons le fait que, dans plusieurs parties du monde, persistent des situations sociales fondées sur la discrimination de la race, souvent voulues et soutenues par des systèmes idéologiques: ces situations constituent un affront manifeste et inadmissible aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux lois de la vie civile. Un pluralisme bien compris résout le problème négatif du racisme clos.

Vous Africains, vous avez un sens profond de la communauté ; c'est une de vos caractéristiques les plus belles et les plus humaines. Mais le sens de la communauté particulière ne suffit plus ; il faut l'élargir à celui de la communauté civile nationale, et même internationale. Votre expérience vous dira que l'indépendance ne comporte ni opposition, ni isolement entre les Peuples africains et les Peuples non africains : bien plus, les nouveaux Etats Africains pourront être réellement indépendants dans la mesure où ils sauront collaborer librement avec les autres Etats et avec la famille mondiale organisée de façon internationale. Le grand précepte chrétien de l'amour du prochain a ainsi une application toujours plus large ; il tend à l'amour universel : l'Eglise catholique peut être, à ce point de vue, une bonne éducatrice pour tous.

C'est un magnifique précepte, mais il est difficile, parce qu'il exige le dépassement des égoïsmes particuliers; et c'est le précepte qui porte en lui le grand don de la paix.


Paix à l'Afrique


Nous voulons terminer notre discours sur cette parole : la paix !

C'est une parole douloureuse, car aujourd'hui, dans une région africaine, qui Nous est d'autant plus chère que Nous l'avions visitée et admirée il y a quelques années, dure toujours un conflit déchirant, vous le savez. Nous avons tenté, non seulement de procurer une assistance en vivres et médicaments, avec impartialité et dans toute la mesure qui Nous était possible, mais aussi d'y porter le remède de quelque commencement de réconciliation. Nous n'y avons pas réussi jusqu'à présent ! Et Nous en souffrons dans notre coeur, décidé à continuer notre modeste, mais affectueuse et loyale oeuvre de persuasion, pour apporter notre aide au règlement du fatal conflit.

La Paix : c'est une parole humaine et chrétienne, digne d'être comprise et vécue par la jeune Afrique. Celle-ci peut trouver dans la paix, de façon définitive et moderne, son ordre politique et social, ainsi que sa prospérité économique et culturelle ; et elle peut donner au monde, qui semble de nouveau tenté par le démon de la discorde des armements et de la rivalité, l'exemple d'une conception neuve et vraie de la civilisation, de celle qui est fondée sur la fraternité effective entre les Peuples, entre les classes, entre les partis, entre les races, entre les religions, entre les familles. La Paix : c'est le mot le plus aimable et le meilleur que Nous avons dans le coeur et que Nous Vous adressons, à Vous, Monsieur le Président, en signe de reconnaissance pour l'accueil que Vous Nous avez réservé ; Nous l'exprimons aussi à toutes les Personnalités présentes, et Nous le lançons, comme un souhait de bénédiction, à tout le continent : Paix à l'Afrique entière !






Discours 1969 39