Discours 1970 50

50 «Fonder l’Eglise avec et par les jeunes travailleurs»,
«Ouvrir toute l’Eglise à la vie, aux aspirations, aux souffrances, aux espérances des jeunes travailleurs»,
«Faire naître le Christ tous les jours dans les autres»,
«Transformer les communautés fraternelles qui naissent de l’action en cellules du Peuple de Dieu»; telles sont les expressions que Nous avons relevées et que de tout coeur Nous faisons Nôtres, tant elles Nous semblent rejoindre les perspectives apostoliques que Nous avions esquissées dans Notre Message au Congrès mondial de votre mouvement à Beyrouth l’an passé.
Par dessus tout, chers fils et chères filles, Nous retiendrons votre appel à des prêtres et des religieuses «qui soient proches de votre vie», qui soient auprès de vous «des témoins de la Parole de Dieu». Par là vous exprimez comment un laïcat d’Eglise, s’il est vraiment ce qu’il doit être, peut fortifier la foi des prêtres et des religieuses en les aidant à être pleinement ce qu’ils sont. Chers amis, l’un de vous a dit «A travers le Pape, c’est le Christ que nous allons rencontrer». Oui; mais le Pape vous répond à son tour: «Merci de Nous avoir fait rencontrer le Seigneur». Chacun de vous en est la vivante image, chacun de vous est appelé à Le révéler quelle que soit la condition de sa vie. Chacun de vous doit être le témoin de Sa résurrection, de Sa Pâque qui se réalise tous les jours dans votre vie et dans celle de vos frères.

Forts de ces convictions, allez de l’avant, chers Jocistes. Soyez les apôtres de l’Eglise parmi les jeunes travailleurs. Faites entendre dans l’Eglise les appels des jeunes travailleurs. Ne vous laissez pas impressionner par les critiques ou décourager par les difficultés de votre engagement. Rappelez-vous aux moments de lassitude que l’Eglise compte sur la J.O.C., l’Eglise fait confiance à la J.O.C. pour l’évangélisation du monde ouvrier. Qui donc, mieux que votre mouvement, pourrait assumer cette mission qui, sous l’impulsion visible de l’Esprit et par le dynamisme apostolique de ses membres, l’a conduit à porter la Bonne Nouvelle du salut à la Jeunesse ouvrière de tant de nations du monde? Que la merveilleuse traînée de lumière et de grâce qui illumine l’histoire de la J.O.C. vous encourage à en écrire de nouvelles pages dans la fidélité et l’ardeur de votre apostolat de mouvement.
Evoquons en terminant ce magnifique témoin de Jésus Christ parmi les jeunes travailleurs que fut le Cardinal, «votre Cardinal» Joseph Cardjin. En 1929 il conduisait à Rome le premier pèlerinage de la J.O.C. belge, accueilli avec tant de chaleur par Notre Vénéré Prédécesseur Pie XI. C’est encore lui, n’en doutez pas, qui vous conduit aujourd’hui et qui, auprès de Dieu, rend grâce pour la belle moisson que vous constituez. Elle sera demain, grâce à vous, plus belle encore.
Chers fils et chères filles, dites à vos camarades et à vos compagnes que l’Eglise a confiance en eux, en leurs aumôniers. Dites-leur, ainsi qu’à vos familles, que le Pape les aime et les bénit avec vous. De grand coeur, sachant la présence parmi vous de jeunes immigrés italiens, espagnols et portugais, Nous étendons cette Bénédiction apostolique aux jeunes travailleurs du monde entier.



À L’«UNION NATIONALE DES AMICALES DES ANCIENS ÉLÈVES DES ISTITUTIONS DE SOURDS-MUETS DE FRANCE»


Mardi 11 août 1970




Chers fils,

C’est vraiment de tout Notre coeur que Nous vous souhaitons la bienvenue, à vous tous qui participez à ce pèlerinage organisé par l’Union nationale des amicales des anciens élèves des institutions de sourds-muets de France.
51 Notre parole est malheureusement impuissante à parvenir jusqu’à vos oreilles. Aussi voudrions-Nous que vous lisiez sur nos lèvres et dans notre coeur toute l’affection paternelle qui est la nôtre pour chacun d’entre vous, chacune de vos personnes et de vos familles.
Si la surdité vous isole en effet quelque peu, vous tenez à resserrer entre vous les liens fraternels noués dans le passé au cours de votre passage dans les institutions si méritantes qui vous accueillent et qui vous aident à surmonter ce handicap qui est le vôtre, pour vous permettre de vous insérer au mieux dans la grande famille des hommes. Aussi sommes-Nous heureux de souligner cette solidarité agissante dont vous êtes à la fois les agents et les bénéficiaires.
A Rome, vous découvrez mieux quelle grande famille est l’Eglise du Christ, qui ne connaît aucune barrière de race, de langue, de peuple, comme en témoignent ces nombreux pèlerins que vous croisez au cours de votre séjour. Cette famille des enfants de Dieu, vous la découvrez aussi avec émerveillement dans son enracinement historique, à partir de la venue à Rome des saints apôtres Pierre et Paul, et de leur martyre. Cette Eglise enfin, vous la voyez, des catacombes des premiers siècles aux églises modernes d’aujourd’hui, s’affermir et croître peu à peu, à travers tant d’oeuvres d’art si émouvantes, qui sont en même temps des témoignages de foi en harmonie avec les générations successives des croyants.

A travers ces pierres vivantes, c’est donc le langage de la foi qui atteignait directement vos âmes, sans avoir besoin du relais de l’ouïe physique. Continuez à méditer cet enseignement dans vos coeurs, demain, quand vous serez rentrés chez vous et que vous aurez repris, au milieu des vôtres, votre activité quotidienne.
Nul doute que vous saurez alors exprimer à votre manière à ceux qui vous entourent ce que vous aurez découvert et éprouvé dans cette démarche de foi. Car le monde a besoin de foi. Et les hommes qui vivent aujourd’hui dans un gigantesque tintamarre d’informations et de bruits de toutes sortes ont besoin de redécouvrir que la vraie vie est intérieure, et que la Parole de Dieu qui s’est faite chair dans le Verbe a quelque chose à dire à chacun d’eux, qui est indicible et inexprimable à travers les mots humains, et qui ne se laisse découvrir qu’au sens intérieur.
Emu profondément par cette attention si vive et délicate que vous Nous manifestez, Nous pensons spontanément, en vous voyant, à l’admirable parole du grand poète catholique Paul Claudel: L’oeil écoute. Oui, l’oeil écoute, et la communication s’établit très profonde entre le Vicaire du Christ et ses fils très chers.
De tout coeur, Nous faisons nôtres vos intentions dans notre prière, en vous assurant de toute notre affection paternelle. En appelant sur vous et sur vos familles l’abondance des divines grâces, Nous vous donnons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction Apostolique.



APPELS DU PAPE PAUL VI POUR LA PAIX AU VIÊTNAM


Mercredi 2 septembre 1970




Chers Messieurs,

Nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue dans notre demeure d’été, à Castel Gandolfo. Vous savez en effet combien il nous tient à coeur, à chaque fois que l’occasion nous est donnée, de redire combien nous déplorons les horreurs de la guerre qui ensanglante votre pacifique pays, combien aussi nous souhaitons que la paix revienne sur cette terre marquée, hélas, par tant de deuils et de larmes. Que le Tout-Puissant veuille écouter nos prières et incliner le coe ur de tous les responsables vers une heureuse et rapide solution de ce conflit, dans la concorde, dans l’indépendance, dans la liberté, dans la prospérité de tout le pays, dans la fidélité enfin à ses traditions humaines qui sont l’honneur de sa civilisation.
A toutes ces intentions nous faisons monter instante notre prière vers le Dieu Très-Haut, dont nous implorons la paternelle Bénédiction sur ses fils du Vietnam dans l’épreuve.

52 Ad ex combattenti degli Stati Uniti

We are happy to greet and welcome the delegates of the American Veterans of World War II, Korea and Vietnam.
Me are grateful for your kind thoughtfulness in our regard and are pleased to have your visit.
While we know that the basis of your fraternity is anchored in the past and associated with the reality of war, nevertheless, we are convinced that your mission is one that looks to the future. We would encourage you to pursue your high ideals, accepting the challenge today of building in justice and in love a better world for tomorrow.
Upon you and your families We invoke the abundant blessings of God.





AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS THOMISTE INTERNATIONAL


Samedi 12 septembre 1970




Chers Messieurs,

L’homme existe-t-il? Une telle question, posée par un témoin attentif au drame spirituel de notre temps, n’est-elle pas significative du désarroi de beaucoup d’esprits aujourd’hui? «Si l’homme - écrit avec pertinence Maurice Zundel - se réduit exclusivement à des déterminismes physico-chimiques, réflétés dans les déterminismes psychiques et les complicités automatiques du moi phénoménal . . . . son destin ne pose aucun problème . . . II est un phénomène quelconque dans un monde auquel il est vain de chercher un sens . . . On peut concevoir, à la limite, un univers scientique fonctionnant automatiquement, où l’homme, dépassé par ses inventions, ne tiendrait plus aucune place. Un déterminisme intégral va dans cette direction. Il tend à rendre l’homme inutile, à le mettre hors circuit comme une machine primitive que l’on relègue au musée des antiquités» (M. ZUNDEL, L’homme existe-t-il?, Paris, Ed. Ouvrières, 1967, PP 155-156).

Ces remarques sont graves, et vont loin. Car ce n’est pas impunément que des théologiens - ils n’en ont certes que le nom! - peuvent indéfiniment disserter sur la mort de Dieu, ou des philosophes - ils ne sont guère amis de la sagesse! - proclamer la mort de l’homme.
Après des siècles où Dieu a paru s’affirmer aux dépens de l’homme, ce dernier, hélas, a cru en effet ne pouvoir se grandir que par la négation du Créateur, sans s’apercevoir que la spirale de ses négations l’entraînait irrésistiblement de la mort de Dieu à la mort de l’homme. Celui-ci, auquel on reprochait de s’aliéner dans un idéal désincarné, se trouve maintenant comme pris au piège, devenu captif des choses, chosifié lui-même pourrait-on dire, à force d’être réduit à des dimensions fonctionnelles, jusqu’à ne plus être saisi que comme un être «unidimensionnel» (Cfr. par exemple, H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel, Paris, Ed. de Minuit, 1968). Il est des homicides spirituels, et qui dira les ravages accomplis par de telles pensées destructrices, chez nos contemporains, les jeunes en particulier, toujours épris d’absolu, prompts à se porter aux résolutions extrêmes, et soucieux à bon droit de mettre leur vie en accord avec les principes - ou l’absence de principes – qui leur sont présentés comme la dernière et la plus remarquable découverte des temps modernes?

C’est vous dire notre joie de vous accueillir ce matin, chers Messieurs, au terme du septième Congrès thomiste international que vous avez voulu consacrer à l’homme. Un rapide regard sur le programme envoyé par le zélé secrétaire de l’Académie romaine de saint Thomas d’Aquin, le cher et vénéré Père Boyer, nous a montré en effet le sérieux et la complexité des savantes contributions que vous avez apportées à cette réflexion capitale. Le sujet était immense, infini, pourrions-nous dire avec Pascal! Que l’on songe à ses incidences: biologiques, psychologiques, médicales, socio-culturelles, cosmologiques, historiques, éthiques, épistémologiques, ontologiques . . Aussi avez-vous eu raison de l’aborder sous trois angles essentiels: origine, nature et destin.
53 Au reste, que de questions soulevées, par vos contributions mêmes, sur «cet être mystérieux», dont le regretté Romano Guardini nous avertit avec pénétration: «Comme elle est périlleuse, l’illusion de l’homme sur son être réel, telle qu’elle s’exerce sans cesse par la parole, l’écriture, les images. A tel point que l’on éprouve parfois avec terreur ce sentiment: ce dont parlent la science, la littérature, la politique, le journal, le film, comme étant l’homme – ce n’est pas du tout l’homme» (R. GUARDINI, Morale au-delà des interdits, Paris, Cerf, 1970, 25 pp. et 29).

Aussi n’est-il pas de trop que la convergence de vos multiples disciplines pour cerner au plus près ce qu’est l’homme, sa place dans l’univers visible et dans l’échelle des êtres, sa nature profonde et essentielle à travers ses manifestations diverses d’homo faber, d’homomathematicus, d’homo technicus, d’homo spiritualis . . . . d’homo phaenomenicus! Qu’est-ce donc que l’homme? N’est-ce pas en définitive la seule question qui préoccupe l’humanité, et que l’on retrouve à travers les multiples manifestations de son génie, dans le flot mouvant des civilisations et des cultures? Sa préoccupation n’a-t-elle pas été constamment présente aux travaux du récent Concile Oecuménique, comme Nous le déclarions Nous-même au jour de sa clôture? (Cfr. Allocution du 7 décembre 1965, dans A.A.S. LVIII (1966), p. 55) Cet homme, disions-Nous plus récemment, dont «jamais peut-être comme de nos jours la littérature, le spectacle, l’art, la pensée philosophique n’ont témoigné de façon plus impitoyable de sa déficience, de sa faiblesse mentale, de la sensualité qui le domine, de son hypocrisie morale, de sa propension à la criminalité, de sa provocante cruauté, de ses possibilités d’abjection, de son inconsistante personnalité . . . C’est cela l’homme! Il est ainsi, le grand etmalheureux enfant du siècle» (Radio-Message de Noël 1968, dans A.A.S. LXI (1969), p. 56).

Mais, l’homme, nous le savons aussi, c’est l’être qui nous émerveille, par l’éclat de sa pensée, par la ferveur de son lyrisme, par la splendeur de ses créations artistiques, par le génie de ses découvertes scientifiques, par ses ressources d’héroïsme moral, par le rayonnement de sa sainteté.
Selon que l’on suit l’une ou l’autre pente de ces considérations, les unes et les autres irréfutables, on se trouve conduit à des conceptions de l’homme radicalement opposées, et toutes aussi fausses, de l’optimisme naïf au pessimisme radical. C’est dire l’importance d’une étude phénoménologique de l’homme, menée en toute objectivité, sans rien exclure des manifestations apparemment contradictoires de son existence multiséculaire. C’est donc affirmer la nécessité, pour tout penseur chrétien digne de ce beau nom, d’une réflexion incarnée, enracinée dans l’observation la plus directe et la plus authentique. C’est enfin redire l’impérieux besoin d’une synthèse supérieure qui, en englobant l’acquis si précieux - bien plus, indispensable - des études anthropologiques contemporaines, et des sciences humaines en particulier, sache les maintenir à leur place et éviter leur emprise dévorante, dans la certitude que la seule parole qui explique l’homme, c’est Dieu Lui-même devenu Parole (
He 1,1), le Verbe fait chair (Jn 1,14).

Notre temps, croyons-Nous, a besoin de redécouvrir les vérités essentielles. Emporté par le tourbillon de ses pensées, immergé dans les réalisations de son esprit inventif, prisonnier parfois de ses propres découvertes, l’homme risque de s’engloutir dans les moyens vertigineux qu’il s’est donnés, et d’oublier, au-delà des significations partielles, le sens même de son existence. Peut-être faut-il d’ailleurs que nous fassions notre examen de conscience à ce sujet: n’en est-il pas de même dans mainte discipline théologique et philosophique particulière, où les subtilités de l’analyse et les arguties du vocabulaire peuvent faire oublier la nécessité de la synthèse? Bref, n’avons-nous pas trop de philosophes et de théologiens en chambre qui oublient de réfléchir, avec tout l’acquis de leur savoir, la pénétration de leur jugement, la richesse de leur information, aux questions vitales posées par la vie des hommes d’aujourd’hui? Et à l’inverse, trop de penseurs qui, à force de s’enfouir dans la vie des hommes, ne réussissent plus à prendre la part de recul qui leur serait nécessaire pour apporter à tant d’interrogations dramatiques une réponse puisée aux sources de la révélation biblique et de la tradition de l’Eglise? Ne voyons-nous pas trop d’idées chrétiennes devenues folles emporter dans leur sarabande effrénée les certitudes les mieux fondées et les croyances les plus assurées? Quelle oeuvre admirable vous pouvez et devez accomplir, en cette heure qui demande plus que jamais «le courage de la vérité»! (Cfr.Notre Allocution au Sacré-Collège, LE 18 mai 1970, dans A.A.S. LXII (1970), pp. 449-450)

Il est donc d’une importance capitale, bien plus d’une première nécessité, que philosophes et théologiens s’intéressent à toutes les manifestations de la vie de notre temps, écoutent les requêtes qui montent, des jeunes en particulier, comprennent les aspirations parfois confuses qui sourdent du plus profond des coeurs, en un mot sachent écouter pour pouvoir répondre, selon les lois essentielles du dialogue que Nous rappelions dans notre première encyclique (Ecclesiam suam, A.A.S. LVI (1964), pp. 638.647). Il y a là, est-il besoin de le dire, plus qu’une exigence pédagogique: c’est une requête profonde, qui tient à la nature même de l’homme, et de la vérité de salut que Nous voulons lui apporter, cette Bonne Nouvelle qui a pris visage d’homme pour révéler à l’homme qu’il était «la face humaine de Dieu», selon le mot admirable de saint Grégoire de Nysse ( B). Gloria Dei, vivens homo (S. Irénée).
Cela est très important, Nous semble-t-il, pour les études philosophiques et théologiques des futurs prêtres, religieux et religieuses: c’est souvent pour avoir manqué de consistance anthropologique qu’un enseignement, par ailleurs respectable, est demeuré stérile, apparaissant par trop étranger aux requêtes d’un homme qui parcourt les immensités de l’espace, sonde les mystères de l’atome, et descend dans les profondeurs de son subconscient. «C’est à l’homme d’aujourd’hui, tel qu’il est, que l’Eglise apporte l’eau vive toujours jaillissante de la parole de vie . . . . lui révélant toute la grandeur de son destin et l’aidant à le réaliser, en accomplissant le dessein d’amour créateur et rédempteur» (Allocution au Sacré-Collège, LE 22 juin 1970, dansDocumentation Catholique, Paris, 1970, t. LXVII, p. 652).

Professeurs et chercheurs chrétiens ne devraient jamais perdre de vue l’éclairage biblique qui, de la Genèse à l’Apocalypse, met en pleine lumière la dimension théandrique de l’homme, créé à l’image d’un Dieu qui, pour le racheter, le tirer du péché, est lui-même devenu homme. L’anthropologie est indissociablement théologie et christologie: le type authentique de l’homme vivant, c’est le Christ préfiguré en Adam, lui qui est «le dernier Adam» (1Co 15,45), et «renouvelle sans cesse l’homme nouveau à l’image de celui qui l’a créé» (Col 3,10).
Homme de douleurs et Pantocrator, c’est lui qui comble suréminemment les meilleures aspirations de l’homme, en leur donnant tout leur sens . . . «s’il pouvait exister un homme capable de porter et d’unifier toute la chaîne des générations, toute la poussière des individus, un homme qui serait, en chacun et pour chacun, un bien illimité, un homme, enfin, qui serait en tous le même centre où ils ne seraient plus qu’un» (M. ZUNDEL, op. cd., p. 72). C’est celui-là même qui fut désigné par ces simples mots à une heure dramatique: «Ecce homo – Voici l’homme» (Jn 19,5). C’est, nous dit François Mauriac, dont la grande voix ne cesse de retentir par-delà la tombe: « Ce Dieu qui est notre frère, cet homme qui est notre Dieu» (Semaine des intellectuels catholiques. Qu’est-ce que l’homme?, Paris, Horay, 1955, p. 250).

Il est donc, au milieu du brouhaha intellectuel de notre temps, des certitudes qu’il faut maintenir et qu’il vous revient d’expliquer, d’expliciter, d’éclairer, de fortifier par les recherches des diverses disciplines que vous honorez.
Tout d’abord, l’homme n’est pas un être qui serait lui-même son propre père. S’il est bien vrai, en un certain sens, que «l’homme fait, et en faisant, se fait», on ne saurait oublier que cette affirmation ne saurait être retenue dans son sens le plus radical. Microcosme certes, achèvement de l’univers, quasi démiurge par certaines de ses réalisations techniques qui sont de véritables prouesses scientifiques, à la fois épris d’aspirations quasi illimitées, et si vulnérable dans sa chair comme dans son esprit, si lié à la terre et à la matière, si proche du néant, l’homme, à sa place dans la hiérarchie des êtres, n’est pas plus la cause de leur existence qu’il n’est la source de la vérité avec laquelle il est en affinité profonde, ni du bien avec lequel il est en consonance directe, ni du beau qui suscite en lui une résonance immédiate. Toutes ces valeurs l’orientent vers un principe supérieur, le premier principe de tout le créé, le créateur, à la fois auteur, législateur et juge, qui se révèle à nous comme un père aimant. Ceci, quant à l’origine de l’homme.

54 Quant à sa nature, tout a été dit, maintes fois, sous tous les cieux, sur ce «roseau pensant», à la fois «gloire et rebut de l’univers», et sur le mystère de ce composé de misère et de grandeur, tel, disait Pascal, que «s’il se vante, je l’abaisse, et s’il s’abaisse, je le vante» (Pensées, Ed. Brunschvicg, 347, 434 et 420). Les phénoménologues nous le montrent se découvrant comme un «je» au moment où il prononce un «tu», et en même temps prenant conscience de ce qu’il est à la fois uni à la matière par ses sens et la transcendant par sa pensée et sa liberté. C’est affirmer que l’homme n’est exclusivement ni matière ni esprit, mais que le corps et l’âme le composent, comme le dit saint Augustin: In unitate personae anima unitur corpori, ut homo sit(Epist. 137; PL 33, 529). De cette affirmation, vous le savez, chers fils et messieurs, jaillissent maintes interrogations auxquelles il vous appartient de répondre, selon toutes les ressources de votre savoir, d’une manière appropriée à la formulation des questions éternelles par les générations d’aujourd’hui. Dans cette étude, l’Aquinate demeure toujours pour vous un guide sûr, par la pénétration et la maîtrise avec lesquelles il a étudié avec précision les problèmes posés par cette union mystérieuse: quelles sont les relations des deux principes, d’où vient l’unité du composé, comment le corps dépend-il de l’âme, comment l’âme peutelle subsister sans le corps dans le temps qui s’écoule entre la mort et la résurrection.

Problèmes complexes et fascinants, que l’on n’a jamais fini d’élucider, et qu’il faut sans cesse reprendre, pour faire comprendre à chaque génération nouvelle que l’homme qui n’est pas seulement matière, a un principe supérieur à la matière, une âme spirituelle, subsistante et immortelle, qui, pour un temps, existe séparée. Ceci, quant à la nature de l’homme. Un autre thème, parmi les plus actuels et les plus graves, de ceux qui ont retenu à juste titre votre attention, est le rapport de l’homme avec l’histoire passée et présente des hommes. Si l’on ne peut nier que l’homme d’aujourd’hui ne subisse dans ses idées, ses goûts et ses besoins, l’influence d’un long passé, s’il est donc en quelque mesure fait aussi par l’histoire, s’ensuit-il que chaque situation historique le conditionne au point qu’il n’y aurait pas à proprement parler une nature, mais seulement une condition humaine? Du fait que l’homme individuel serait le lieu géométrique du croisement d’un certain nombre de chromosomes, de l’interférence des rapports de production, des influences conjuguées d’une éducation, d’un milieu social, et de structures linguistiques déterminées, faudrait-il en conclure que l’homme ne serait plus l’homme, mais le produit incertain d’une histoire, d’une géographie économique et politique, d’une famille et d’une société culturelle?

Bref, l’homme se serait-il perdu dans le dédale des sciences humaines devenues la source d’un néo-positivisme, tant il est vrai que «les philosophies qui annoncent aujourd’hui la mort de l’homme se recommandent volontiers de la science» (M. DUTRENNE, Pour l’homme, Paris, Seuil, 1968, p. 201). L’humaniste d’hier affirmait avec Pascal: «L’homme passe infiniment l’homme» (Pensées, Ed. Brunschvicg, 434). Le chrétien d’aujourd’hui, refusant de céder au vertige du néant comme à la tentation prométhéenne, si proches en définitive l’un de l’autre, affirme que l’humain dépasse les avatars de l’existence, et qu’une certaine idée de l’homme transcende toutes les analyses scientifiques. Depuis que Dieu se manifesta à Abraham, et que le dialogue brisé par le péché d’Adam s’est renoué entre la créature et son créateur, l’humanisme judéo-chrétien n’a cessé d’affirmer l’éminente et singulière dignité de chaque personne humaine, créée à l’image de Dieu, dans l’amour et la liberté: tous les progrès des sciences ne porteront jamais atteinte à cette affirmation première et fondamentale sur l’origine, la nature et le destin de l’homme : créé par Dieu, renouvelé dans le Christ, appelé à entrer pour l’éternité dans la famille des enfants de Dieu, bien mieux dans l’intimité de Dieu lui-même.

Qui ne le voit? Bien loin de l’enfermer, ces affirmations de la foi ouvrent à la spéculation de l’homme des dimensions quasi infinies, au moment où il accède aux sources cosmiques de l’énergie, mais où ces progrès étourdissants, en lui rendant plus incompréhensibles l’épreuve de la souffrance et le scandale de la mort, ne font que rendre plus lancinante la question du sens de la vie. Tant que la justice sera aussi nécessaire à l’homme que les nourritures terrestres, tant que les cultures, dans leur mouvante complexité, révéleront une quête de l’infini toujours renaissante, tant que l’homme demeurera épris du beau, assoiffé du vrai, désireux du bien, l’aventure humaine gardera les traits d’une histoire qui s’achemine vers son terme divin.
Assurés de ces certitudes, ce doit être aujourd’hui l’honneur des philosophes et des théologiens, à l’exemple de leur illustre devancier et maître, saint Thomas d’Aquin, d’apporter à nos contemporains de quoi surmonter l’angoisse des finalités, et la crise du sens, qui transforment en obscur labyrinthe leurs propres découvertes. Que ce Congrès ait pu en être l’occasion, et apporter à chacun de vous une raison nouvelle d’oeuvrer avec compétence et rayonnement dans ses recherches et son enseignement sur l’homme, suffirait à en marquer l’importance.
De tout coeur, chers fils et Messieurs, Nous nous en félicitons avec vous, en appelant sur vos personnes et sur vos travaux l’abondance des divines bénédictions.



AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS INTERNATIONAL CONSACRÉ À «MARIA MONTESSORI ET LE PROBLÈME DE L’ÉDUCATION DANS LE MONDE MODERNE»


Jeudi 17 septembre 1970




Mesdames et Messieurs,

Nous sommes vraiment très heureux de vous accueillir ce matin et de répondre ainsi au désir si aimablement exprimé en votre nom par votre dévouée présidente, Madame Maria Jervolino. C’est une excellente initiative que vous avez eue en effet de promouvoir un Congrès international consacré à «Maria Montessori et le problème de l’éducation dans le monde moderne». La coïncidence du centenaire de la naissance de Maria Montessori avec l’année internationale de l’éducation sous l’égide de l’UNESCO n’était-elle pas du reste une incitation à réfléchir avec profit à l’oeuvre de cette grande éducatrice, et à prolonger son action pour renouveler les méthodes d’éducation de l’enfance et de la jeunesse, dans la famille comme à l’école? De tout coeur Nous Nous en réjouissons.
C’est une personnalité très attachante que celle de Maria Montessori, une véritable figure de pionnier dans un domaine fondamental, celui de l’éducation, où elle a accompli une oeuvre durable. Votre présence à ce Congrès n’est-elle pas déjà par elle-même un éloquent témoignage de l’actualité de cette oeuvre et de sa fécondité exceptionnelle?

Quel rayonnement, à travers l’Italie d’abord, puis à travers l’Europe, et maintenant à travers le monde, où les oeuvres de Maria Montessori ont été traduites et diffusées, et où son exemple surtout a été suivi et a suscité nombre de disciples fervents, devenus à leur tour des maîtres éminents.
55 Nul doute que la source et le secret de cette influence ne se trouvent dans l’âme de Maria Montessori, dans sa découverte vitale de l’enfant, dans son enthousiasme communicatif pour cette grande oeuvre de l’éducation (Cfr. par exemple ANNA MARIA MACCHERONI, Come conobbi Maria Montessori, Roma, Ed. Vita dell’Infanzia, 1956; et Les actes du XIème Congrès international Montessori, Maria Montessori e il pensiero pedagogico contemporaneo, Roma 1957). Il y a là pour nous, à une heure où l’on s’interroge de divers horizons sur les nécessaires réformes de l’enseignement, une leçon d’une singulière actualité, qu’il nous faut recueillir avec sympathie, pour y puiser inspiration et énergie.

La scoperta del bambino: ces mots évoquent ce qui fut l’expérience première de Maria Montessori: une découverte (Cfr. M. MONTESSORI, Pédagogie scientifique, La découverte de l’enfant, Paris, Desclée de Brouwer 1958). La doctoresse - elle avait en effet obtenu, en 1896,fait singulier pour l’époque, de la part d’une femme, son doctorat en médecine - y raconte, à sa manière vive et spontanée, qui nous enchante encore aujourd’hui, son expérience dans une garderie ouvrière d’un quartier populaire de Rome, San Lorenzo, qui en ce temps-là, réunissait de pauvres enfants, sous-alimentés et désoeuvrés. Ce fut là qu’elle fit sa découverte si féconde des lois vitales et fondamentales qui gouvernent le développement psychique et intellectuel de l’enfant. Ce fut en même temps le point de départ du mouvement de réforme pédagogique, marqué par l’apparition des méthodes actives, aujourd’hui admises pacifiquement, mais dont l’innovation apparut alors comme révolutionnaire, et ne manque pas d’être farouchement contestée, selon l’habituel destin des initiateurs.

Maria Montessori eut le génie de traiter l’enfant, le tout petit enfant, comme une personne, comme un être vivant, qui a ses lois de développement propre. Dès lors, au lieu de lui imposer dès le premier abord des lois conçues par des adultes et inadaptées pour l’enfant, elle n’a de cesse que l’éducateur accepte, pour remplir son rôle, de s’effacer, au lieu de s’imposer, d’être là, certes, mais en toute discrétion, attentif aux réactions premières, de l’enfant, d’autant plus significatives qu’elles s’expriment dans un climat de liberté collective et d’autonomie personnelle. Comme elle l’écrit avec bonheur: «Cet embryon spirituel qu’est l’enfant se développe suivant un plan. Un homme est caché, un enfant inconnu, un être vivant séquestré, qu’il faut libérer. C’est le devoir le plus urgent de l’éducation; et dans ce sens, libérer, c’est connaître; il s’agit donc de découvrir l’inconnu» (M. MONTESSORI, L’enfant, Paris, Desclée de Brouwer, IIème éd. 1959,
PP 88-89).

L’école, pour remplir son rôle dans cet éveil, doit se transformer profondément, et devenir une véritable maison, où l’enfant se sente chez soi, étudié et surveillé certes, mais non pas comprimé. L’aménagement scolaire, le mobilier adapté, deviennent autant d’éléments qui aident le maître à guider, en le respectant, le développement de l’enfant. Attentif aux «périodes sensibles», le maître aide ses élèves à faire progressivement la découverte de leurs propres possibilités, et à épanouir leurs meilleures virtualités: c’est d’une éducation pour la vie qu’il s’agit, et qui ne peut donc se faire que d’une manière vivante, sans rien négliger, pas plus l’éducation physique que l’éducation sensorielle, le dessin, l’art musical. Bref, l’enfant apprend de multiples manières à être lui-même et à vivre, dans le travail comme dans le jeu, qui lui fournissent mainte possibilité d’expression, grâce en particulier à la manipulation d’objets. C’est dans un même élan qu’il maîtrise son corps, qu’il se domine lui-même, qu’il développe sa pensée, qu’il exprime ses dons artistiques, qu’il communique avec les autres, qu’il découvre, avec le bonheur de vivre, la joie d’aimer.

Bien loin de se trouver diminué par cette méthode active, le rôle du maître en est au contraire augmenté, et son influence, pourrait- on dire, décuplée: il ne s’agit plus d’une pure et simple transmission de données conceptuelles, mais d’une initiation à la vie, à travers un exemple vivant. C’est dire l’importance primordiale de la formation du maître, où la préparation spirituelle se révèle aussi indispensable que l’acquisition des connaissances. Maria Montessori a justement insisté sur «L’esprit absorbant de l’enfant» (Paris, Desclée de Brouwer 1959), dès l’âge le plus tendre. Qui ne voit dès lors, l’influence capitale, pour sa formation, des images qui lui sont montrées, des exemples qui lui sont proposés, de l’idéal qui lui est inculqué par des maîtres auxquels il accorde spontanément toute san confiance? Qui ne sait le penchant de l’enfant au mimétisme, à l’imitation, à l’identification avec ceux qu’il admire et qu’il aime?

Aussi est-ce à bon droit que Maria Montessori a tant insiste sur «L’éducation religieuse, la vie en Jésus-Christ» (Paris, Desclée de Brouwer 1956). Nous croyons que l’on est loin d’avoir épuisé la prodigieuse fécondité de sa méthode en ce domaine. Convaincue que la pédagogie inhérente à la liturgie partait des mêmes principes que sa propre pédagogie profane, Madame Montessori entra résolument dans les voies ouvertes par le renouveau liturgique de saint Pie X. De même que l’école devait être la maison des enfants, il fallait aussi que l’église apparaisse comme la maison des enfants de Dieu. La pédagogie religieuse de la méthode Montessori, située dans le prolongement de sa pédagogie profane, où elle trouve son support naturel, en devient le couronnement, et permet à l’enfant d’épanouir en plénitude ses plus hautes virtualités et de porter harmonieusement à son terme son développement intégral. Tout comme l’activité des enfants à l’école les prépare à la vie, leur initiation sacramentelle et liturgique est le porche qui les introduit dans la communauté des enfants de Dieu. L’enseignement religieux demeure certes toujours nécessaire, car les données de la révélation ne sont pas précontenues dans la conscience de l’enfant, mais celui-ci est préparé à les accueillir comme un don personnel de Dieu qui est son père très aimant. Aussi chaque enfant, selon son âge, est-il disposé à s’émerveiller de la rencontre de Dieu; il apprend à le prier, et se réjouit ensuite de le recevoir dans le mystère de la sainte eucharistie. Au reste, l’Esprit de Dieu, à l’oeuvre, dès le plus jeune âge, au coeur de chaque baptisé, n’est-il pas le premier artisan de cette progressive découverte?

Telles sont, chers Messieurs, quelques-unes des réflexions que suscite votre présence auprès de Nous en ce premier centenaire de la naissance de Madame Montessori. Puisse son exemple, en cette année mondiale de l’éducation, éveiller de nombreuses vocations d’enseignants, et les aider à surmonter les inévitables tentations du découragement devant l’ampleur et la difficulté de la tâche à accomplir. Il s’agit de vocations destinées à la première enfance et réservées surtout aux femmes, parce que c’est la femme qui a les privilèges de sensibilité, de tendresse, de douceur, de patience, de dévouement, nécessaires à cet «enfantement» pédagogique, à cette maternité spirituelle; et Nous souhaitons qu’aux femmes, aux femmes douées de hautes qualités humaines et morales, soit de préférence assignée une tâche si délicate et qui leur est si connaturelle. A une heure où des éducateurs, incertains sur les méthodes à employer, en arrivent même à s’interroger sur la finalité de leur effort, Maria Montessori nous rappelle qu’il n’est rien de plus exaltant que d’aider une personne humaine à s’accomplir dans toute la richesse de son être, créé à l’image de Dieu, racheté dans le sang du Christ, et appelé avec tous les enfants de Dieu à entrer dans l’intimité de sa vie trinitaire, pour l’éternité.

A moins de se dissoudre dans un pur empirisme, l’éducation digne de ce nom s’appuie sur des principes sûrs, et se déploie dans l’épanouissement des meilleures virtualités de l’enfant et de l’adolescent, qui découvrent peu à peu par eux-mêmes les valeurs humaines et religieuses dont leurs éducateurs leur donnent l’entraînant exemple. «Ne dédaignez pas un seul de ces petits, nous dit Jésus, car leurs anges dans les cieux contemplent constamment la face de mon Père qui est dans les cieux» (Mt 18,10).
Chers Messieurs, en vous remerciant de cette visite que Nous avez faite, Nous vous encourageons de grand coeur dans l’oeuvre éducative que vous accomplissez à travers le monde, et Nous vous donnons, pour vous et tous ceux qui vous sont chers, une large Bénédiction Apostolique.




23 septembre




Discours 1970 50