Discours 1970 55

PAUL VI ATTIRE SOLENNELLEMENT L'ATTENTION DU MONDE SUR LA GRAVITE DE LA SITUATION EN JORDANIE





Nous ne prononcerons pas aujourd'hui le discours habituel des Audiences Générales : l'état des choses au Moyen-Orient nous semble tellement grave et si menaçant qu'il ne nous permet pas de vous parler d'un coeur tranquille d'autres thèmes. Nous sommes très inquiet au sujet de ce qui se passe dans cette région. Nous n'ayons d'autres nouvelles que celles que tous connaissent, mais celles qui sont diffusées en ces jours sont vraiment tristes. Nous pensons aux milliers de morts et de blessés, nous pensons aux otages, encore incertains de leur sort, nous pensons aux nouvelles et nombreuses ruines, aux insupportables souffrances des populations. Mais le caractère de guerre civile, qui s'ajoute à celui du conflit implacable et interminable, nous afflige davantage encore, et notre peine est accrue par l'aigrissement des esprits, l'aggravation des dangers, qui peuvent prendre des proportions énormes et engendrer des catastrophes incalculables.

56 Nous ne voulons pas dramatiser : par l'interruption que nous imposons à notre entretien hebdomadaire nous voudrions pousser plus efficacement les esprits à la réflexion et à la prière.

Considérons avec confiance les personnes et les organismes de grande importance, qui se prononcent pour la trêve et s'empressent à conjurer le pire. Nous aussi, nous les encourageons à oeuvrer résolument en faveur de la paix. Admirons ceux qui se prodiguent pour porter secours et pour rappeler dans ces pays et dans le monde le sens de l'humanité et de la sagesse. Quant à nous, nous ne perdrons point l'espoir de la paix, nous ressentirons davantage la compassion pour toute souffrance humaine, nous croirons encore en la possibilité d'entente des parties en conflit ; nous aiderons, dans les limites qui nous sont permises, toute tentative de solution raisonnable de la crise, et surtout avec vous, avec l'Eglise, nous invoquerons la miséricorde et l'assistance de Dieu.






26 septembre



AU PREMIER CONGRES MONDIAL DES INSTITUTS SECULIERS





Chers fils et filles dans le Seigneur,



Soyez les bienvenus ! Nous accueillons votre visite avec une particulière attention, pour la qualité qui vous distingue dans l'Eglise de Dieu, sans que le monde en perçoive les signes extérieurs, votre qualité de représentants des Instituts séculiers réunis en Congrès, et pour les intentions qui ont inspiré cette visite. Vous vous présentez à nous dans une double attitude : de confiance qui s'ouvre en manifestant votre être de personnes consacrées au Christ dans votre vie séculière ; d'offrande qui se déclare fidèle et généreuse pour l'Eglise en interprétant des finalités premières : célébrer l'union mystérieuse et surnaturelle des hommes avec Dieu le Père céleste, union instaurée par le Christ, Maître et Sauveur, et par l'effusion du Saint-Esprit; et instaurer l'union entre les hommes en les servant de toutes manières, pour leur bien-être naturel et leur fin supérieure, le salut éternel.

Combien nous intéresse et combien nous émeut cette rencontre ! Elle nous fait penser aux prodiges de la grâce, aux richesses cachées du Royaume de Dieu, aux ressources incalculables de vertu et de sainteté dont dispose encore aujourd'hui l'Eglise, plongée, comme vous le savez, dans une humanité profane et parfois profanatrice, exaltée par ses conquêtes temporelles et aussi éloignée, malgré son besoin, de rencontrer le Christ ; l'Eglise, traversée par tant de courants qui ne sont pas tous favorables à sa croissance dans l'unité et dans la vérité, dont le Christ voudrait que ses fils fussent toujours avides et jaloux ; l'Eglise, cet olivier séculaire dont le tronc historique, tourmenté et tordu, qui pourrait paraître l'image de la vieillesse et de la souffrance plutôt que celle d'une vitalité printanière : l'Eglise de ce temps, capable, au contraire, vous en êtes la preuve, de verdir en de nouvelles frondaisons fraîches et vigoureuses et en de nouvelles promesses de fruits inattendus et abondants. Vous représentez un phénomène caractéristique et très consolant de l'Eglise contemporaine, et c'est comme tels que nous vous saluons et vous encourageons.

Il nous serait facile et agréable de vous faire la description de vous-mêmes, tels que l'Eglise vous voit et, en ces dernières années, vous reconnaît : votre réalité théologique suivant la ligne définie par le Concile oecuménique Vatican II (Lumen Gentium, LG 44 et Perfectae caritatis, PC 11) c'est-à-dire la description canonique des formes institutionnelles qu'assument ces organismes de chrétiens consacrés au Seigneur et séculiers, l'identification de la place et de la fonction qu'ils prennent dans l'ensemble du Peuple de Dieu, les caractères distinctifs qui les qualifient, les dimensions et les formes par lesquelles ils s'affirment. Mais tout cela vous le connaissez très bien. Nous savons les sollicitudes que le Dicastère de la Curie Romaine chargé de vous guider et de vous assister déploie pour vous et nous connaissons assez bien les rapports, très soignés et approfondis, qui ont été exposés pendant votre Congrès. Nous ne voudrions pas reprendre ce qui a été déjà traité avec tant de compétence. Plutôt que de décrire encore une fois ce cadre canonique, si nous devons vous dire une parole en cette circonstance, nous préférons considérer avec discrétion et sobriété l'aspect psychologique et spirituel de votre engagement particulier à suivre le Christ.

Arrêtons pour un instant le regard sur l'origine de ce phénomène, l'origine intérieure, l'origine personnelle et spirituelle, sur votre vocation qui, si elle présente beaucoup de caractères communs avec les autres vocations qui fleurissent dans l'Eglise de Dieu, se distingue par certains caractères qui sont propres et qui méritent une considération particulière.

Nous voulons avant tout remarquer l'importance des réflexes dans la vie de l'homme, réflexes très appréciés dans la vie chrétienne et assez intéressants, spécialement en certaines périodes de la jeunesse parce que déterminants. Nous appelons conscience ces réflexes et chacun sait bien ce que signifie et ce que vaut la conscience. On parle beaucoup sur la conscience dans les conversations modernes, à commencer par le continuel rappel de son aube socratique, puis de son réveil dû principalement au christianisme sous l'influence duquel, dit un historien, « le fond de l'âme est changé » (cf. Taine, III, 125). Nous arrêtons ici l'attention sur ce moment particulier, connu de vous tous, dans lequel la conscience psychologique, c'est-à-dire la perception intérieure que l'homme a de lui-même, devient conscience morale (cf. Saint Thomas, 1, 79, 13), dans l'acte par lequel la conscience psychologique perçoit l'exigence d'agir d'après une loi prononcée à l'intérieur de l'homme, écrite dans son coeur mais obligeant à l'extérieur, dans la vie vécue, avec une responsabilité transcendante et, au sommet, en rapport avec Dieu, par quoi elle se fait conscience religieuse. Le Concile en parle : « Dans l'intime de la conscience, l'homme découvre une loi qu'il ne s'est pas donnée mais à laquelle il doit obéir et dont la voix l'appelle toujours à aimer, à faire du bien aux autres et à fuir le mal... En réalité l'homme a dans son coeur une loi écrite par Dieu. L'obéissance à cette loi constitue la dignité même de l'homme, et c'est d'après elle qu'il sera jugé (cf. Rm Rm 2,14-16). La conscience est le noyau le plus secret et le sanctuaire de l'homme dans lequel il est seul avec Dieu » (Ici le Concile se réfère à un admirable discours du Pape Pie XII, du 23 Mars 1952, Discorsi... 14, p. 19 et suiv.).

En cette première phase du réflexe que nous appelons conscience naît dans l'homme le sens de la responsabilité et de la personnalité, l'attention aux principes existentiels et à leur développement logique. Ce développement logique dans le chrétien qui évoque son propre caractère baptismal engendre les concepts fondamentaux de la théologie sur l'homme qui se sait et se sent fils de Dieu, membre du Christ, incorporé à l'Eglise, marqué de ce sacerdoce commun des fidèles dont le Concile a rappelé la féconde doctrine (cf. Lumen Gentium, LG 10-11) et d'où naît l'engagement de chaque chrétien à la sainteté (cf. ibid. n. 39-40), a la plénitude de la vie chrétienne, à la perfection de la charité.

Cette conscience, cet engagement, à un moment donné, non sans un rayon fulgurant de la grâce, s'éclaire intérieurement et se fait vocation. Vocation à une réponse totale. Vocation à une vraie et complète profession des conseils évangéliques pour les uns, vocation sacerdotale pour d'autres. Vocation à la perfection pour quiconque en perçoit le charme intérieur ; vocation à une consécration par laquelle l'âme se donne à Dieu par un acte suprême de volonté en même temps que d'abandon, de don de soi. La conscience s'érige en autel d'immolation : « Que ma conscience soit ton autel » demande saint Augustin (En. in Ps 49 P.L. Ps 36,66) ; c'est comme le « fiat » de Notre-Dame à l'annonce de l'ange.

57 Nous sommes encore dans le domaine des réflexes, ce domaine que nous appelons maintenant vie intérieure qui, à ce point, se développe désormais en dialogue : le Seigneur est présent « sedes est (Dei) conscientia piortum », dit encore saint Augustin (En. in Ps 45 PL Ps 36,8). La conversation s'adresse au Seigneur, mais en quête de déterminations pratiques. Comme saint Paul à Damas : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » (Ac 9,5). Alors la consécration baptismale de la grâce se fait consciente et s'exprime en une consécration morale voulue, élargie aux conseils évangéliques, tendue vers la perfection chrétienne ; et c'est là une première décision capitale, celle qui qualifiera toute la vie. La seconde ? Ici c'est la nouveauté, ici est votre originalité. Quelle sera pratiquement la seconde décision ? Quel sera le choix sur la manière de vivre cette consécration ? Laisserons-nous ou pourrons-nous garder notre forme séculière de vie ? Telle a été votre demande. L'Eglise a répondu : vous êtes libres de choisir, vous pouvez rester séculiers. Vous avez choisi, guidés par tant de motifs, certainement bien pesés, et vous avez décidé : restons séculiers, c'est-à-dire dans la forme commune à tous, dans la vie temporelle. Par le choix suivant dans le domaine du pluralisme consenti aux Instituts séculiers, chacun s'est décidé d'après sa préférence personnelle. C'est pourquoi vos instituts s'appellent séculiers, pour les distinguer des instituts religieux. Et il n'est pas dit que votre choix, en rapport avec la fin de perfection chrétienne qu'il se propose lui aussi, soit facile parce qu'il ne vous sépare pas du monde, de cette vie profane dans laquelle les valeurs préférées sont temporelles et dans laquelle souvent la règle morale est exposée à de continuelles et formidables tentations. Votre discipline morale devra par conséquent être toujours en état de vigilance et d'initiative personnelle et devra tirer à toute heure du sens de votre consécration la rectitude de votre action : l’abstine et sustine des moralistes devra s'exercer continuellement dans votre spiritualité. Voici un nouvel et habituel réflexe, un état par conséquent de vie intérieure personnelle qui accompagne le déroulement de la vie extérieure.

Et vous avez ainsi un champ immense dans lequel se développera votre double action : votre sanctification personnelle, votre âme, et cette consecratio mundi dont vous connaissez l'engagement délicat et attirant. Et c'est cela le domaine du monde, du monde humain tel qu'il est, dans son inquiète et éblouissante actualité, dans ses vertus et ses passions, dans ses possibilités de bien et dans son entraînement vers le mal, dans ses magnifiques réalisations modernes, dans ses déficiences secrètes et ses souffrances inévitables : le monde. Vous marchez sur un plan incliné qui attire les pas à la facilité de la descente et qui les stimule à l'effort de la montée.

C'est un cheminement difficile d'alpinistes de l'esprit. Mais dans votre programme hardi, rappelez-vous trois choses : votre consécration ne sera pas seulement un engagement, elle sera un secours, un soutien, un amour, une béatitude auxquels vous pourrez toujours recourir, une plénitude qui compensera tout renoncement et qui vous habilitera à ce merveilleux paradoxe de la charité : donner, donner aux autres, donner au prochain pour avoir dans le Christ. Et voici la seconde chose que vous devez vous rappeler : soyez dans le monde et non du monde, mais pour le monde. Le Seigneur nous a enseigné à découvrir sous cette formule qui semble un jeu de mots sa mission de salut et la nôtre. Rappelez-vous, justement parce que vous appartenez à des Instituts séculiers, que vous avez une mission de salut à accomplir pour les hommes de notre temps. Aujourd'hui le monde a besoin de vous, vivant dans le monde, pour ouvrir au monde les sentiers du salut chrétien.

Et nous vous dirons alors la troisième chose dont vous devez vous souvenir : l'Eglise. Elle aussi fait partie de cette réflexion que nous avons abordée. Qu'elle devienne le thème d'une méditation habituelle que nous pouvons appeler le sensus Ecclesiae, présent en vous comme une respiration intérieure. Vous avez certainement déjà éprouvé l'ivresse de cette respiration, son inspiration inépuisable dans laquelle les motifs de la théologie et de la spiritualité, spécialement après le Concile, versent leur souffle tonifiant. Qu'un de ces motifs vous soit toujours présent : vous appartenez à l'Eglise à un titre spécial, votre titre de consacrés séculiers. Eh bien, sachez que l'Eglise a confiance en vous. L'Eglise vous suit, vous soutient, vous considère comme siens, comme des fils d'élection, comme des membres actifs et conscients, fidèles ; d'une part, souplement entraînés à l'apostolat ; d'autre part, disposés au témoignage silencieux, au service et, s'il le faut, au sacrifice. Vous êtes des laïcs qui font de leur profession chrétienne personnelle une énergie constructive disposée à soutenir la mission et les structures de l'Eglise, les diocèses, les paroisses, spécialement les institutions catholiques et à en animer la spiritualité et la charité. Vous êtes des laïcs qui, par une expérience directe, pouvez mieux connaître les besoins de l'Eglise terrestre et peut-être aussi êtes-vous dans la condition d'en découvrir les défauts. N'en faites pas une raison de critique corrosive et sans générosité ; n'en tirez pas prétexte pour vous séparer et pour rester égoïstement et dédaigneusement à l'écart, mais faites-en un stimulant à une aide plus humble et plus filiale, à un plus grand amour. Vous, Instituts séculiers de l'Eglise d'aujourd'hui ! Eh bien ! Portez notre salut d'encouragement à vos frères et à vos soeurs et recevez tous notre Bénédiction Apostolique.






4 octobre



SAINTE CATHERINE DE SIENNE DOCTEUR DE L'EGLISE





La joie spirituelle qui a rempli notre âme en proclamant Docteur de l'Eglise l'humble et sage vierge dominicaine, Catherine de Sienne, trouve sa référence la plus haute et, dirons-nous, sa justification dans la joie très pure éprouvée par le Seigneur Jésus lorsque, comme le rapporte l'évangéliste saint Luc, « il tressaillit de joie sous l'action du Saint Esprit » et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l'avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10,21 cf. Mt Mt 11,25-26).

En vérité, en remerciant le Père d'avoir révélé les secrets de sa sagesse divine aux humbles, Jésus ne pensait pas seulement aux Douze qu'il avait choisis dans un peuple sans culture et qu'il enverrait un jour comme ses apôtres pour instruire toutes les nations et pour leur enseigner ce qu'il leur avait prescrit (cf. Mt Mt 28,19-20), il pensait aussi à tous ceux qui croiraient en lui, parmi lesquels, innombrables, ceux qui seraient les moins doués aux yeux du monde.

Et l'Apôtre des gentils se plaisait à observer cela en écrivant à la communauté grecque de Corinthe, ville où pullulaient les gens infatués de sagesse humaine : « Considérez votre appel. Il n'y a pas beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu'aucune chair n'aille se glorifier devant Dieu » (cf. 1Co 1,26-29).

Ce choix préférentiel de Dieu, dans la mesure où il est insignifiant ou même méprisable aux yeux du monde, avait déjà été annoncé par le Maître lorsque, en nette contradiction avec les estimations terrestres, il avait proclamé heureux et candidats à son Royaume les pauvres, les affligés, les doux, les affamés de justice, les purs de coeur, les artisans de la paix (cf. Mt Mt 5,3-10).

Certes, dans la vie et dans l'activité extérieure de Catherine les Béatitudes évangéliques ont resplendi de vérité et d'une beauté exceptionnelle. Tous, d'ailleurs, vous vous rappelez combien elle a été libre en esprit de toute convoitise terrestre ; combien elle a aimé la virginité consacrée au céleste époux, Jésus-Christ ; combien elle a été affamée de justice et envahie jusqu'aux entrailles de cette miséricorde qui la pousse à porter la paix au sein des familles et dans les villes déchirées par des rivalités et des haines atroces ; combien elle s'est prodiguée pour réconcilier la république de Florence avec le Souverain Pontife Grégoire XI, exposant sa propre vie à la vengeance des rebelles. Nous ne nous arrêterons pas à admirer les grâces mystiques exceptionnelles dont le Seigneur a voulu la gratifier, parmi lesquelles le mariage mystique et les saints stigmates. Nous croyons aussi que ce n'est pas le moment de rappeler l'histoire des efforts magnanimes accomplis par la sainte pour persuader le Pape de revenir à Rome, son siège légitime. Le succès qu'elle a finalement obtenu fut vraiment le chef-d'oeuvre de son intense activité qui restera dans les siècles sa grande gloire et constituera un titre tout spécial à l'éternelle reconnaissance de l'Eglise.

Par contre nous croyons opportun en ce moment de mettre brièvement en lumière le second titre qui justifie, en conformité avec le jugement de l'Eglise, l'attribution du titre de Docteur à la fille de l'illustre ville de Sienne, c'est l'excellence particulière de la doctrine.

58 Quant au premier titre, celui de la sainteté, son approbation solennelle fut exprimée amplement et dans un style unique d'humaniste par le Pontife Pie II, son compatriote, dans la bulle de canonisation Misericordias Domini, dont il fut lui-même l'auteur (cf. M. H. laurent, O.P., Proc. Castel. , pp. PP 521-530). La cérémonie liturgique spéciale eut lieu dans la basilique Saint-Pierre le 29 Juin 1461.

Que dirons-nous donc de l'éminence de la doctrine de sainte Catherine ? Certainement nous ne trouverons pas dans les écrits de la sainte, c'est-à-dire dans ses Lettres, conservées en nombre considérable, dans le Dialogue de la divine Providence ou Livre de la doctrine divine et dans les « orationes », la vigueur apologétique et les hardiesses théologiques qui distinguent les oeuvres des grandes lumières de l'Eglise ancienne de l'Orient et de l'Occident. Nous ne pouvons pas non plus exiger de la vierge peu cultivée de Fontebranda les hautes spéculations propres à la théologie systématique, qui ont rendu immortels les docteurs du Moyen Age scolastique. Et, s'il est vrai que se reflète dans ses écrits, et d'une manière surprenante, la théologie du Docteur angélique, elle y apparaît dépouillée de tout revêtement scientifique. Ce qui frappe plus que tout, au contraire, dans la sainte, c'est la science infuse, c'est-à-dire l'assimilation brillante, profonde et enivrante de la vérité divine et des mystères de la foi contenus dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament : une assimilation favorisée, assurément, par des dons naturels très particuliers et évidemment prodigieux, assimilation due à un charisme de sagesse du Saint Esprit, un charisme mystique.

Catherine de Sienne offre dans ses écrits un des plus brillants modèles de ces charismes d'exhortation, de parole de sagesse et de parole de science que saint Paul nous a montrés agissant en chaque fidèle dans les communautés chrétiennes primitives et dont il voulait que l'usage fût bien réglé, faisant remarquer que ces dons ne sont pas tant à l'avantage de ceux qui en sont favorisés que plutôt à celui du Corps tout entier, de l'Eglise : en effet, explique l'Apôtre, « c'est le seul et même Esprit qui distribue ses dons à chacun comme il l'entend » (1Co 12,11), de même sur tous les membres de l'organisme mystique du Christ doit retomber le bénéfice des trésors spirituels que son Esprit prodigue (cf. 1Co 11,5 Rm 12,8 1Tm 6,2 Tt 2,15).

« Doctrina eius (scilicet Catharinae) non acquisita fuit ; prius magistra visa est quam discipula » (Proc. cast. 1, c) ; c'est ce qu'a déclaré le même Pie II dans la Bulle de canonisation. Et, en vérité, que de rayons de sagesse surhumaine, que d'appels pressants à l'imitation du Christ dans tous les mystères de sa vie et de sa Passion, que d'invitations à la pratique des vertus propres aux divers états de vie sont épars dans les oeuvres de la sainte ! Ses lettres sont comme autant d'étincelles d'un feu mystérieux allumé dans son coeur brûlant de l'Amour infini qu'est le Saint-Esprit.

Mais quelles sont les lignes caractéristiques, les thèmes principaux de son enseignement ascétique et mystique ? Il nous semble qu'à l'imitation du « glorieux Paul » (Dialogo c. XI, par G. Cavallini, 1968, p. 27) dont elle reflète parfois le style vigoureux et impétueux, Catherine soit la mystique du Verbe incarné et surtout du Christ crucifié. Elle a exalté la vertu rédemptrice du sang adorable du Fils de Dieu, répandu sur le bois de la croix avec la prodigalité de l'amour, pour le salut de toutes les générations humaines (cf. Dialogo, chap. CXXVII, éd. citée, p. 325). Ce sang du Sauveur, la sainte le voit couler d'une manière continuelle au sacrifice de la messe et dans les sacrements, grâce au ministère des ministres sacrés, pour la purification et l'embellissement du Corps mystique du Christ tout entier. Nous pouvons donc dire que Catherine est la mystique du Corps mystique du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise.

D'autre part, pour elle, l'Eglise est la mère authentique à laquelle il est juste de se soumettre et de rendre révérence et assistance. Elle ose dire : « L'Eglise n'est rien d'autre que le Christ lui-même » (Lettre 171, par P. Misciatelli, III, 89).

Quels ne furent donc pas le respect, l'amour passionné que la sainte nourrissait pour le Pontife romain ! Aujourd'hui, nous, personnellement, serviteur des serviteurs de Dieu, nous devons à Catherine une immense reconnaissance, non certes pour l'honneur qui peut retomber sur notre humble personne, mais pour l'apologie mystique qu'elle fait de la charge apostolique du successeur de Pierre. Qui ne se le rappelle ? Elle contemple en lui « le doux Christ de la terre » (Lettre 196, éd. citée, III, 211), auquel on doit amour filial et obéissance parce que : « qui désobéit au Christ sur la terre, qui tient la place du Christ qui est au ciel, ne participe pas au fruit du sang du Fils de Dieu (Lettre 207, éd. citée, III, 270). Et, comme anticipant non seulement sur la doctrine, mais sur le langage même du Concile Vatican II (Lumen gentium, LG 23), la sainte écrit au Pape Urbain VI : « Père très saint... sachez la grande nécessité, qui est la vôtre et celle de la sainte Eglise, de garder ce peuple (de Florence) dans l'obéissance et le respect envers Votre Sainteté parce que c'est là qu'est le chef et le principe de notre foi » (Lettre 170, éd. citée, III, 75).

Puis, aux cardinaux, à beaucoup d'évêques et de prêtres, elle adresse de pressantes exhortations et n'épargne pas les reproches sévères, mais toujours en toute humilité et tout respect pour leur dignité de ministres du sang du Christ.

Et Catherine ne pouvait pas oublier qu'elle était la fille d'un Ordre religieux, un des plus glorieux et des plus actifs dans l'Eglise. Elle nourrissait donc une singulière estime pour ce qu'elle appelle « les saintes religions » qu'elle considère comme un lien d'union dans le Corps mystique, constitué par les représentants du Christ (selon une qualification qui lui est propre) et le corps universel de la religion chrétienne, c'est-à-dire les simples fidèles. Elle exige des religieux la fidélité à leur sublime vocation par l'exercice généreux des vertus et l'observation de leurs règles respectives. Dans sa maternelle sollicitude, les laïcs ne sont pas les derniers. Elle leur adresse de nombreuses et vives lettres, les voulant prompts dans la pratique des vertus chrétiennes et des devoirs de leur état, animés d'une ardente charité pour Dieu et pour le prochain puisque eux aussi sont des membres vivants du Corps mystique. Or, dit-elle, « elle (c'est-à-dire l'Eglise) est fondée dans l'amour et elle est même l'amour » (Lettre 103, par G. Gigli).

Et comment ne pas rappeler l'action intense développée par la sainte pour la réforme de l'Eglise ? C'est principalement aux Pasteurs de l'Eglise qu'elle adresse ses exhortations, dégoûtée et saintement indignée de l'indolence de beaucoup d'entre eux, frémissante de leur silence tandis que le troupeau qui leur était confié s'égarait et tombait en ruine. « Hélas, ne plus se taire ! Criez avec cent mille voix, écrit-elle à un haut prélat. Je vois que, parce qu'on se taît, le monde est déréglé, l'Epouse du Christ est pâle, on lui a enlevé sa couleur parce qu'on lui suce le sang c'est-à-dire le sang du Christ » (Lettre 16 au Cardinal d'Ostie, par L. Ferretti, I, 85).

Et qu'est-ce qu'elle entendait par le renouvellement et la réforme de l'Eglise ? Certainement pas le renversement de ses structures essentielles, ni la rébellion contre les Pasteurs, ni la voie libre aux charismes personnels, ni les innovations arbitraires dans le culte et dans la discipline, comme certains le voudraient de nos jours. Au contraire, elle affirme maintes fois que la beauté sera rendue à l'Epouse du Christ et qu'on devra faire la réforme « non par la guerre, mais dans la paix et le calme, par des prières humbles et continuelles, dans les sueurs et les larmes des serviteurs de Dieu » (cf. Dialogue, chap. XV, LXXXVI, éd. citée, PP 44,197). Il s'agit donc pour la sainte d'une réforme avant tout intérieure puis extérieure, mais toujours dans la communion et l'obéissance filiale envers les représentants légitimes du Christ.

59 Fut-elle aussi politique notre très pieuse Vierge ? Oui, sans aucun doute, et d'une manière exceptionnelle, mais dans un sens tout spirituel. En effet elle repoussait avec dédain l'épithète de politicienne que lui adressaient certains de ses concitoyens, en écrivant à l'un d'entre eux : « … Et mes concitoyens croient que par moi ou par la compagnie que j'ai avec moi il se fait des traités : ils disent la vérité, mais ils ne la connaissent pas et ils prophétisent, puisque je ne veux faire autre chose et ne veux pas que ceux qui m'accompagnent fassent autre chose que vaincre le démon, lui enlever la domination de l'homme qu'il a prise par le péché mortel, arracher la haine du coeur humain et le mettre en paix avec le Christ crucifié et avec son prochain » (Lettre 122, éd. citée, II, 253).

Donc la leçon de cette femme politique « sui generis » conserve encore son sens et sa valeur, bien qu'aujourd'hui on sente davantage le besoin de faire la distinction entre les choses de César et celles de Dieu. L'enseignement politique de la sainte trouve sa plus authentique et sa plus parfaite expression dans ce jugement lapidaire qu'elle a porté : « Aucun Etat ne peut se conserver en état de grâce dans la loi civile et dans la loi divine sans la sainte justice » (Dialogo ; chap. CXIX, éd. citée, p. 291).

Non contente d'avoir développé un enseignement intense et très vaste de vérité et de bonté par la parole et par les écrits, Catherine voulut le sceller par l'offrande finale de sa vie pour le Corps mystique du Christ, qui est l'Eglise, alors qu'elle n'avait que 33 ans. De son lit de mort, entourée de fidèles disciples, dans une petite cellule voisine de l'église de Saint-Marie sopra Minerva à Rome, elle adressa au Seigneur cette émouvante prière, vrai testament de foi et d'amour reconnaissant et très ardent : « O Dieu éternel, reçois le sacrifice de ma vie en (faveur de) ce Corps mystique de la sainte Eglise. Je n'ai rien d'autre à donner que ce que tu m'as donné. Prends donc mon coeur et tiens-le sur la face de cette épouse » (Lettre 371, éd. L. Ferretti, V,
PP 301-302).

C'est donc le message d'une foi très pure, d'un amour ardent, d'une consécration humble et généreuse à l'Eglise catholique en tant que Corps mystique et Epouse du divin Rédempteur : c'est le message typique du nouveau Docteur de l'Eglise, Catherine de Sienne, pour l'illumination et l'exemple de tous ceux qui se glorifient de lui appartenir. Recueillons-le, ce message, avec un esprit reconnaissant et généreux pour qu'il soit la lumière de notre vie terrestre et le gage de l'appartenance future à l'Eglise triomphante du ciel. Ainsi soit-il !





À L’AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE HAÏTI PRÈS LE SAINT-SIÈGE*

Lundi 12 octobre 1970




Monsieur l’Ambassadeur,

Les aimables paroles que Votre Excellence vient de Nous adresser comme Ambassadeur de Haïti près le Saint-Siège sont pour Nous un sujet de satisfaction et une source d’espérance. Nous voulons y voir le présage d’un fécond travail et d’une action constante pour le bien-être de la République de Haïti, dont la population est toujours pour Nous l’objet d’une vive sollicitude.
Vous savez quelle place est celle de l’Eglise dans la société. Sa mission n’est pas d’acquérir un pouvoir terrestre, mais d’annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile. Et le récent Concile oecuménique a montré par son enseignement autorisé, en particulier dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, combien les disciples du Christ devaient avoir à coeur d’être au premier rang de ceux qui oeuvrent pour la construction d’un monde juste et fraternel.

C’est donc un programme pacifique et de progrès spirituel, moral et matériel, que 1’Eglise voudrait, comme Nous le disions dans notre Encyclique Populorum progressio, promouvoir partout et toujours, dans un esprit de service désintéressé, par delà toutes les frontières de race et d’idéologie, avec la collaboration de toutes les bonnes volontés, pour transformer le monde en une communauté solidaire où chaque personne comme chaque groupe social et national soient respectés, dans un climat de justice et de paix.
Dans ces sentiments, Nous accueillons les voeux de Son Excellence Monsieur le Président de la République de Haïti que vous Nous avez aimablement exprimés et vous souhaitons à vous-même une heureuse mission auprès de ce Siège Apostolique. En redisant Notre affection au noble peuple haïtien, Nous appelons sur lui les meilleures Bénédictions divines.

*AAS 62 (1970), p.679.

60 Insegnamenti di Paolo VI, vol. VIII, p.1025.

L’Attività della Santa Sede 1970, p.452.

L'Osservatore Romano, 12-13.10.1970, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.43 p.3.





AUX MEMBRES DE L’ORDRE DES CHEVALIERS DE MALTE*


Mercredi 28 octobre 1970




Chers Fils et chères Filles!

C’est bien volontiers qu’au terme d’une matinée déjà chargée Nous avons réservé ces quelques instants pour accueillir votre noble délégation de l’ordre des Chevaliers de Malte, avec ses grands prieurs, ses régents, les présidents de ses associations nationales et ses représentants diplomatiques. A tous, Nous voulons exprimer, avec Nos souhaits de bienvenue, Nos encouragements paternels à oeuvrer généreusement dans le sens de votre vocation de service.

Votre Ordre s’est acquis au cours des siècles passés un grand renom. Certes, les temps sont bien changés, et c’est en réponse aux besoins du monde actuel, selon les directives de l’Eglise, que vous voulez désormais exercer votre activité charitable. A bon droit, vous avez retenu comme thème de votre assemblée: «Le Chevalier de Malte dans le monde d’aujourd’hui», à la lumière des enseignements du Concile oecuménique, et tout particulièrement du Décret Perfectae caritatis: «Les Instituts doivent conserver fidèlement et poursuivre leurs oeuvres spécifiques, et attentifs à l’utilité de l’Eglise universelle et des diocèses, ils les adapteront aux nécessités des temps et des lieux par l’emploi de moyens opportuns ou même nouveaux et en abandonnant les oeuvres qui ne correspondent plus aujourd’hui à leur esprit et à leur nature véritable» (Perfectae caritatis PC 20).

Comment n’approuverions-Nous pas les buts que vous fixez à tous les membres de l’ordre: la défense de l’Eglise Catholique, surtout dans les Pays de missions, l’assistance aux infirmes et l’aide aux pauvres? Ceux-ci sont légion et de toutes sortes, surtout dans les pays en voie de développement pour lesquels vous savez notre grave préoccupations. Nous vous exhortons vivement à poursuivre ce service si urgent, avec tous les moyens dont vous disposez, et en collaboration avec les responsables des régions auxquelles vous apportez aide et assistance.
Vous avez toujours mis au nombre de vos principes: la défense de la foi catholique, et vous venez d’insister, dans votre dernière réunion, sur le renouveau spirituel qui doit animer votre action. Oui, que toutes vos entreprises témoignent de la foi que vous professez et de cet esprit évangélique puisé à sa source, comme nous le lisions ce matin à la messe des saints apôtres Simon et Jude «Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres»! (Jn 15,17)

Confiant dans votre volonté de fidélité au Saint-Siège, Nous recommandons à Dieu vos intentions, et vous donnons de grand coeur, à chacun d’entre vous comme à vos familles, Notre paternelle Bénédiction Apostolique.


Discours 1970 55