Discours 1972 29

29 Etaient en outre présents : le Recteur Magnifique de l’Université Pontificale Grégorienne, P. Hervé Carrier, S. J., le Recteur de l’Institut Biblique Pontifical, P. Carlo Martini, S. J., le Recteur de l’Institut Pontifical Oriental, P. Ivan Zuzek, S. J., la Présidente de l’Institut Pontifical Regina Mundi, Mère Mary Ursula Blake, S.H.C.I., l’ancien Recteur, P. Paolo Dezza, Assistant Général de la Compagnie de Jésus, les Doyens des diverses Facultés et les Recteurs des divers Instituts et Collèges Ecclésiastiques de Rome. Au début de l’Audience, le Préposé Général de la Compagnie de Jésus, le Père Arrupe, a adressé au Pape, au nom de la grande famille grégorienne et des autres instituts universitaires dirigés par la Compagnie de Jésus, un discours d’hommage. Il a aussi présenté au Souverain Pontife la collection des publications et des actes de l’Athénée imprimés ces dernières années. Le Saint-Père a adressé aux assistants le discours suivant :



Aujourd’hui s’achève le quatrième centenaire de l’élection au Pontificat du grand Pape Grégoire XIII : et pour rappeler l’événement, le Corps Académique et les Etudiants de l’Athénée qui a pris son nom, ont désiré une rencontre avec le Pape, soulignant ainsi la continuité idéale de fidélité et d’amour qui, pendant ces siècles, a lié l’Université Grégorienne à la Chaire de Pierre. Vous comprenez avec quelle joie nous avons accueilli la proposition ; non seulement parce que nous nous retrouvons au milieu de vous, après plus de huit années depuis que nous sommes venu à la Grégorienne, le 12 Mars 1964, pour visiter cette Alma Mater où nous aussi, en des années désormais lointaines, nous étions comme vous élève et disciple de la Sagesse ; mais aussi parce que nous pouvons Vous dire que nous vous avons suivis et que nous vous suivons avec intérêt, avec inquiétude, avec espérance ; que nous mettons en vous notre confiance ; et que, à cette date — que vous commémorez dans un esprit filialement reconnaissant envers le Pontife qui, avec un engagement clairvoyant et pénétrant, voulut transformer et développer le Collège Romain fondé par saint Ignace de Loyola — nous voyons un sens clair de retour aux sources pour en tirer l’inspiration et la fermeté nécessaires à la tâche actuelle de l’Université.

C’est pourquoi nous saluons avec une vive affection Monsieur le Cardinal Gabriel Marie Garrone, Grand Chancelier ; le Père Arrupe, héritier et successeur de saint Ignace, Vice Grand Chancelier ; le Recteur Magnifique et tout le Corps enseignant qui donne un haut prestige à l’Université ; et vous surtout, très chers jeunes, prêtres et aspirants au sacerdoce des divers diocèses du monde auxquels s’associent aujourd’hui, en nombre croissant, même des laïcs désireux d’acquérir une profonde connaissance théologique.

Mais nous, avons le devoir de saluer aussi les Instituts associés à la Grégorienne — d’ailleurs autonomes dans leur autorité et leur compétence — qui assistent à cette Audience : le Recteur, les Professeurs et les étudiants de l’Institut Biblique Pontifical qui encourage de la manière la plus qualifiée l’étude de la Sainte Ecriture et de toutes les disciplines orientales qui se réfèrent à elle, constituant au sein des Facultés Romaines un centre de réputation internationale et de haut engagement scientifique ; nous saluons de la même manière l’Institut Pontifical Oriental, dans toutes ses composantes, qui se consacre à l’approfondissement, au niveau universitaire d’une valeur reconnue, des Sciences Ecclésiastiques Orientales — Patristique, Liturgie et Histoire — et du Droit Canonique Oriental ; et enfin nous saluons l’Institut Pontifical “ Regina Mundi ” institué pour la formation théologique et professionnelle des élèves auxquelles il confère l’habilitation ou le titre du “ Magistère en Sciences religieuses ”.

A tous notre bienvenue !



Triple mission de l’Université Grégorienne





Votre présence, avons-nous dit, se réfère au quatrième centenaire du commencement du Pontificat de Grégoire XIII et rend hommage à cette oeuvre énorme et sage de renouvellement, dans tous les champs d’action de l’Eglise de ce temps, qu’il a accomplie dans une sévère conscience de son mandat apostolique. Comme le reconnaissent les historiens, “ c’est le mérite durable de Grégoire XIII d’avoir donné une impulsion aux forces régénératrices et d’avoir orienté les forces actuelles d’alors vers les points où leur présence pouvait exercer le maximum d’influence ” (K. EDER, Die Geschichte der Kirche im Zeitalter des konfessionnellen Absolutismus, Wien l949, p. 189 et suiv.). A l’image de l’influence qu’eurent saint Ignace et saint Pierre Canisius pour le renouvellement de son temps (cf. ibid.), il comprit le rôle des études théologiques parla fondation de divers collèges et de votre Université, donnant ainsi “ le commencement d’une évolution de portée immense : Rome qui, depuis toujours, était le centre de l’administration ecclésiastique, devint alors aussi le centre de la science théologique et de la formation du clergé pour toute l’Eglise ” (H. jedin, Handbuch der Kirchengeschichte, IV, Freiburg 1967, p. 527).

L’analogie entre son temps et le nôtre est très remarquable. Aujourd’hui comme alors, à quelques années de la célébration de grands Conciles oecuméniques comme Trente et Vatican II, les nécessités et les devoirs de l’Eglise sont analogues : la foi quelque fois mise en péril : le sacerdoce au premier plan des valeurs à soutenir et à promouvoir ; la nécessité pour la culture théologique d’être élevée à un niveau supérieur, aussi bien que la sainteté et la vie spirituelle des prêtres ; orientations claires à suivre : et, plus que jamais, exigence d’une loyauté à toute épreuve envers le Magistère de l’Eglise et, en premier lieu, envers le Siège de Pierre comme dépositaire de la Révélation, principe et fondement visible de l’unité de la foi et de la communion (cf. Lumen Gentium, LG 18,23).

L’Université Grégorienne est née dans un tel contexte ; et dans le même contexte s’explique et se comprend sa mission ; même dans les adaptations successives requises au fur et à mesure des exigences scientifiques et formatrices qui vont se renouvelant aux diverses époques — toujours en transformation jusqu’à la récente réforme des études et de la vie dans le sein de l’Athénée — elle a développé cette mission et est appelée à la développer, en même temps que les Instituts qui lui sont annexés, si elle veut rester fidèle aux intentions pour lesquelles elle a été fondée: et c’est une triple mission — historique, culturelle et pédagogique — celle qu’il nous paraît devoir être caractérisée, et sur laquelle nous voulons retenir votre attention.



1. Mission historique





La mission historique de la Grégorienne n’a pas besoin de commentaires : vous la connaissez bien, spécialement ceux d’entre vous qui s’adonnent à l’étude de l’histoire de l’Eglise ; brièvement nous en avons déjà indiqué le contexte dans lequel elle a pris forme et s’est développée. Elle a bien répondu à cette mission dans ces quatre cents années : en font foi les noms de ses illustres maîtres parmi lesquels se détachent un de Tolède, un saint Robert Bellarmin, un de Lugo, un Suarez, un Corneille de La Pierre, un Athanase Kircher, un Segneri et, au XIX° siècle, un Taparelli d’Azeglio, un Patrizi, un Franzelin ; des générations entières confirment le rôle d’hommes qui puisèrent à Rome, à l’école de la Grégorienne, la solidité inébranlable de leur formation ecclésiale et en répandirent les trésors dans leurs hautes attributions : parmi ceux-ci il est juste de rappeler 18 saints, 23 bienheureux, 15 Souverains Pontifes et d’innombrables cardinaux et évêques de toutes provenances et de valeureux missionnaires. Mais nous aurions tort si nous ne rappelions pas les foules d’élèves qui se formèrent à la science et à la piété dans vos murs et furent au cours des siècles des éléments très précieux dans les divers diocèses du monde comme hommes de fidélité éprouvée et de dévouement à l’Eglise, esprits de prière et d’étude, témoins et gardiens de la saine doctrine, formateurs de caractères. Seul le Seigneur en connaît le nombre et les mérites ; et leurs noms sont écrits dans les Cieux.



2. Mission culturelle





De la projection de ce panorama historique — appelons-le ainsi — révèle en pleine lumière la mission culturelle que votre Université a eu et a la grande responsabilité de développer. C’est un problème général qui ne concerne pas seulement votre Athénée et les Instituts qui y sont associés, mais aussi tous les autres : celui-ci en effet forme aujourd’hui le point crucial de toute institution scientifique qui, dans l’Eglise, s’attribue le nom de catholique et veut lui rester fidèle dans le creuset des tensions et des problèmes qui naissent plus aigus que jamais, spécialement dans la conscience des hommes cultivés.

Maintenant il nous paraît devoir souligner vivement que le critère général qui doit distinguer cette mission culturelle confiée à chaque Université Catholique ecclésiastique est celle-ci : c’est-à-dire que professeurs et étudiants doivent être en mesure de réaliser toujours plus expressément, avec l’aide de la grâce de Dieu, l’idéal d’une Sagesse animée par un ardent esprit de foi, par une conscience aiguë des problèmes posés à l’Eglise avec tout ce qu’ils exigent de réflexion et de renouvellement, et par un amour fervent pour l’Eglise elle-même et pour Celui qui en porte la terrible charge dans le sentiment de sa propre fragilité humaine. C’est un esprit de foi qui est demandé, c’est une atmosphère de foi qui doit, invisiblement mais fermement conduire tout effort personnel et collectif d’étude et aussi de recherche scientifique libre et honnête. Le caractère d’une Université comme la vôtre n’est pas principalement et nécessairement déterminé par des structures institutionnelles ou par des rapports avec des organismes particuliers ou des personnes ecclésiastiques : l’élément décisif est une vision religieuse du monde, une Weltans-chauung inspirée par la foi catholique ; celle-ci est la haute et indispensable conception de base qui établit et soutient tout l’édifice universitaire ; et cette “ atmosphère catholique ” découlant de la foi vécue et supportée garantit et respecte dans l’Université le sérieux de la recherche scientifique enracinée dans l’homme et dans le monde humain (cf. N. A. luyten, Pourquoi une université catholique ? in “ Recherche et culture ”, Fribourg 1965, PP 13,27). Dans cette lumière de foi se développent les deux branches dans lesquelles doit s’engager la mission culturelle de l’Université : la scientifique et plus proprement la théologique.

30 a) Sur le plan scientifique il s’agira non seulement de ne pas rompre, mais de mettre en valeur et de scruter et de comprendre les liens vivants et vitaux avec la tradition : le patrimoine des siècles a sa voix qui doit être écoutée ; c’est la voix de l’Eglise enseignante et priante qui, dans renseignement du Magistère Suprême, dans la pensée de ses Pères et de ses Docteurs, dans la regula fidei vécue de sa Liturgie — lex orandi, lex credendi ! — dans l’humble et glorieuse fidélité du sensus fidei résonne toujours et doit être écoutée, si nous ne voulons pas couper le lien intime qui, par elle, nous relie à la tradition même des Apôtres et, par leur intermédiaire, à renseignement du Christ, Parole du Père.

Cela ne veut pas dire que la recherche scientifique soit bridée comme le voudraient certaines objections myopes d’esprits superficiels et prévenus : l’Université qui, par définition, est universitas scientiarium, est le lieu idéal où, dans l’honnête liberté des enfants de Dieu, on recherche dans une ligne pleinement scientifique, où les nouveaux problèmes se comparent, où l’on aborde des ferments qui ébranlent l’apparente sécurité de l’homme techniciste et spatial d’aujourd’hui, et où l’on procède avec une méthode rigoureuse à l’approfondissement et à la promotion des études. L’autorité divine de la Révélation ne freine pas mais oriente cette recherche ; elle ne l’étouffé pas mais en augmente la puissance, parce que le monde infini des réalités divines qui s’ouvrent à nous dans la considération de l’histoire du salut est un stimulant continuel à l’exercice de notre faculté intellective ; et comme chaque branche de la science cherche à atteindre la vérité, ainsi le dogme révélé et défini avec autorité par l’Eglise nous présente la vérité de Dieu, nous inspire le sens de Dieu dont nous devons voir l’action par transparence même à travers l’enchevêtrement des problèmes humains ; il nous guide dans la découverte “ de toute la vérité ” (cf. Jn
Jn 16,13) pour nous orienter vers les points sûrs dans lesquels la prémisse de la donnée révélée peut exercer toute son influence bienfaisante sur l’élaboration d’une synthèse harmonieuse et stimulante du savoir humain.

A la base de cette prémisse, l’Université doit aider à examiner avec une maturité aiguë les courants modernes de la pensée dans ses rencontres et les combats avec la vérité de Dieu révélateur : elle doit former à la critique (1Th 5,21) sans se laisser éblouir par toutes les nouveautés, parfois acceptées sans contrôle comme des découvertes révolutionnaires qui d’ailleurs sont ensuite assez souvent dépassées par de nouvelles opinions qui se présentent continuellement à l’horizon. Le danger du reste n’est pas nouveau et saint Paul en avertissait déjà les chrétiens d’Ephèse : Nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ (Ep 4,14-15). Ainsi cet habitus critique doit être un signe d’équilibre et de bon sens avant même une juste attache à la vérité qui ne trompe pas, un accès à ce Dieu qui éclaire notre esprit et le nourrit d’une ineffable expérience spirituelle parce que la théologie est par définition “ science de Dieu ”, gnose savoureuse et exaltante conduite par l’Esprit qui scrute tout et même les profondeurs divines (cf. 1Co 2,10).

b) Voici donc que la mission culturelle qui engage une Université comme la vôtre, acquiert sa physionomie plus proprement théologique : et ici nous arrivons au noyau central, à la raison d’être fondamentale qui guide votre travail quotidien. Si l’atmosphère qui doit y régner est, comme nous l’avons dit, celle de la foi, de la Weltanschauung chrétienne et catholique conquise et vécue chaque jour, la sphère théologique de l’Athénée devra être avant tout au service de la foi : l’Université doit assurer l’orthodoxie de la foi dont le Magistère est garant. Dieu a offert à l’homme la connaissance de sa propre vie trinitaire et son Fils Unique nous a introduits dans son dessein d’amour, nous communiquant le salut qui se réalise dynamiquement dans l’Eglise sur le plan de l’histoire. La foi nous ouvre à ce Dieu qui est Père, Sauveur, Ami : elle ne nous met pas en contact avec des concepts purement abstraits, mais, suivant le style de Jésus dans l’Evangile, avec les trois Personnes vivantes dans l’Unité divine, le Père, le Fils et le Saint Esprit, c’est-à-dire avec la Sainte Trinité qui nous aime et pense à nous, créatures créées par elle à sa propre image et ressemblance. La théologie n’est pas autre chose que la foi dans l’ordre conceptuel : comme l’a dit Augustin, c’est la scientia, qua fides saluberrima nutritur, defenditur, roboratur (De Trinitate, XIV, 1). “ Il y a une science théologique et il y a aussi des systèmes théologiques. Mais science et systèmes ont le devoir de capter une "histoire sacrée", non un ordre d’essences ” (M. D. chenu, La foi dans l’intelligence, Paris 1964, p. 129).

Par conséquent, si le présupposé est la foi, la théologie fournit par sa vocation une aide irremplaçable à l’intelligence de la foi : fides quaerens intellectum, selon le célèbre aphorisme de saint Anselme. La foi offre à l’intelligence humaine toute la richesse des doctrines fondamentales que le Symbole condense comme condition indispensable du salut : ce n’est pas pour rien que les catéchèses à ceux qui devaient être les baptisés de l’Eglise avaient pour objet en premier lieu l’explication de ces doctrines qu’ils devaient recevoir avec la traditio Symboli. Vous en connaissez les célèbres traités: nous citerons seulement les paroles de saint Ambroise, notre prédécesseur sur le siège de Milan qui, au début de son explication, définit ainsi le Symbole : spirituale signaculum, cordis nostri meditatio et quasi semper praesens custodia, certe thesaurus pectoris nostri (Explan Symb., 1 ; Ed. Faller, CSEL, 73, 1955, p. 3). Comme l’abeille se plonge au milieu des fleurs ainsi l’intelligence humaine se nourrit de ces vérités offertes par la foi, les scrute, les approfondit, les rumine continuellement, les creuse intérieurement comme dans une mine : “ Perception réaliste de Dieu dans une proposition conceptuelle, la foi est la lumière divine à l’intérieur d’une intelligence humaine. Elle est possédée par l’homme et l’homme pense par elle ”. La formule de saint Anselme “ rend heureusement compte d’une pensée (c’est la parole d’Augustin reprise par Thomas), dans laquelle entrent en action... toutes les ressources de l’intelligence, individuelle ou collective, suivant les étapes variables et progressives de l’esprit ” (chenu, op. cit. , pp. PP 134,88).

Il est évident que cette propédeutique à l’intelligence de la foi doit être garantie par la voie qui, par l’intervention même de Dieu dans le Christ, a été indiquée à l’homme assoiffé de vérité : disons avant tout, le Magistère suprême de Pierre, qui parle dans ses successeurs ; et, en union intime avec lui, le Magistère vivant des Apôtres par l’intermédiaire des évêques. La théologie est profondément liée avec le Magistère de l’Eglise puisque leur racine commune est la Révélation divine ; la théologie doit se maintenir en étroit rapport avec le Magistère, comme aussi avec la communauté entière des fidèles, puisque elle medium quodammodo obtinet locum inter fidem Ecclesiae atque ejusdem Magisterium, comme nous l’avons dit aux participants au Congrès international de théologie de 1966 (Insegnamenti, 1966, p. 445) ; et, en cette occasion, dans, le relevé des devoirs qui incombent à la théologie, dans ce très délicat domaine, nous avons souligné aussi tout ce dont le Magistère lui-même est redevable aux études de la théologie qui adiutricem dat operant, ut Magisterium pro suo munere fit semper lux et regula Ecclesiae (cf. ibid.). Nous trouvons ici explication et composition de ces rapports mutuels auxquelles une certaine, mentalité voudrait s’opposer d’une manière artificielle, mais qui sont au contraire, dans l’ordre historique, réciproquement complémentaires et auxiliaires, étant sauf le charisme propre du Magistère Suprême de confirmer les frères dans la foi (cf. Lc Lc 22,32). En suivant cette ligne de mutuelle compréhension, de foi, de coopération, qui ne lèse pas les droits légitimes de la recherche et de la liberté, comme nous venons de le dire, la théologie accomplît une fonction irremplaçable dans l’Eglise.



3. Mission pédagogique





Mais, pour revenir à notre Université, on déduit de tout ce qui précède la grande valeur de la mission pédagogique de la Grégorienne : elle exerce une fonction de formation de l’homme dans toutes les branches du savoir, à la lumière de la foi qui, comme le soleil, par le fait qu’il éclaire les choses et les rend visibles dans leur réalité externe, n’en abolit pas l’autonomie, n’en mortifie pas l’existence, n’en efface pas la beauté, mais bien les met en valeur et les ennoblit d’une manière incomparable.

Que cette lumière qui vient de Dieu ne soit donc jamais voilée par personne ! Dans une Université comme la vôtre toute doctrine incompatible ou mal compatible avec la foi doit se sentir dans l’impossibilité d’y subsister comme “ per la contradizione che nol consente ” (DANTE, I, 27, 120), il ne peut y avoir un maître dont la pensée ne soit pas parfaitement fidèle à la pensée de l’Eglise. Voici donc la nécessité d’une orthodoxie jalousement gardée et enseignée par les professeurs : l’unité de vouloir et de pensée doit être harmonieuse dans un corps académique qui ne saurait admettre des divisions sur les questions fondamentales. Mais en même temps, il y a besoin d’une adaptation aux nécessités didactiques d’aujourd’hui que le progrès moderne des études a énormément accrues : et à ce sujet il nous est agréable de donner acte à la Compagnie de Jésus pour la générosité et le dévouement avec lesquels, après le Concile, et au milieu de réelles difficultés d’ordre matériel et spirituel, elle a su faire face aux demandes qui lui étaient adressées pour que fut organisé un arrangement complexe suivant les nouvelles Règles inspirées par ce même Concile, pour que soit élevé le niveau scientifique de l’Université et qu’il soit adapté à une tâche nouvelle : et cela, on a cherché à le faire en multipliant les professeurs, les assistants, en augmentant la dotation des bibliothèques dans les divers Instituts, en veillant sur les spécialisations rendues nécessaires par le progrès des études, en développant la participation des étudiants à la vie de l’Université. Le grand poids assumé par la Compagnie mérite tous les éloges.

A côté de la parfaite orthodoxie des Maîtres, on demande dans l’Université l’engagement d’un absolu sérieux des études de la part des élèves qui doivent posséder un ensemble complet et mûr de formation générale, être doués d’un bon équilibre humain et être pleinement versés dans les doctrines théologiques fondamentales : c’est seulement en partant de là qu’on pourra procéder aux spécialisations qui, si elles sont étrangères à ce contexte, ne permettent pas la vision globale de la science à la lumière de Dieu et peuvent être un obstacle plus qu’une aide dans la recherche et l’assimilation de la vérité totale ; d’ailleurs c’est la loi commune de toute Université de procéder par degrés et de ne pas commencer les spécialisations en aucun domaine s’il n’y a pas eu d’abord une formation pleine et éprouvée dans les disciplines générales.

En particulier votre Université doit se sentir responsable des prêtres en voie de formation qui, de Rome, doivent porter avec eux une connaissance complète et solide de la foi, bien orientée même au point de vue pastoral. Cette orientation pastorale demande par conséquent une coopération entre l’Université et les Collèges Ecclésiastiques comme aussi entre les divers Athénées qui existent à Rome, afin que cette Ville qui, dans l’intention de Grégoire XIII, devait être le centre de formation pour le clergé mondial, puisse prendre devant l’Eglise le rôle qui lui est dû et auquel les énormes ressources dont elle dispose — Instituts, Bibliothèques etc. — si elles sont coordonnées comme il convient, offrent un instrument incomparable de culture universelle.

Mais surtout que soit toujours vivant en vous l’amour de l’Eglise Catholique Apostolique Romaine : un amour vrai, grand, sincère, qui voit en elle la voie voulue par le Christ pour porter les hommes au salut ; un amour qui jouit de ses joies, qui souffre de ses souffrances et des défections qui la blessent ; un amour qui prie et se donne afin qu’elle soit toujours lumineuse devant Dieu et devant les hommes. In omnibus cupio sequi ecclesiam Romanam, affirmait saint Ambroise (De Sacramentis, III, 1, 5 ; faller, op. cit., p. 40). L’Eglise est la clef de voûte de l’unité et de la communion catholique : Totius orbis Romani caput Romana Ecclesia ;... inde enim in omnes venerandae communionis jura dimanant, a encore écrit ce Pasteur avec les autres évêques réunis au III° Concile d’Aquilée (cf. Ep. Provisum ; Ep. XI, S. Ambrosii [Maur.]; cf. ballerini, V, 270-271).

31 Dans cette communion on arrive à la possession des richesses impénétrables du Christ (cf. Ep Ep 3,8) : et de là naît la force pour garantir à la propre foi sa fécondité dans tous les domaines, dans le donné intellectuel comme dans l’engagement quotidien, avec l’assistance du Saint Esprit pour lequel vous comme disciples des sciences sacrées vous devez avoir une dévotion, nous voudrions dire une consécration toute particulière.



4. Confiance réciproque





Très chers Frères et Fils. Soyez bien certains que ne nous échappe pas la tâche ample et difficile à laquelle vous, professeurs, vous vous appliquez avec votre compétence doctrinale et à laquelle vous, étudiants, vous consacrez tout l’enthousiasme de votre intelligence en voie de maturation. Nous en sommes profondément conscient. Soyez heureux de vivre en cette heure si délicate mais aussi si grande et si exaltante de la vie de l’Eglise ! L Eglise a besoin de vous : et vous devez être dans les premières lignes de l’Eglise, lui offrant l’ardeur de votre dévouement convaincu.

C’est une confiance réciproque, celle dont nous avons besoin en ce moment : l’Eglise — c’est le Pape qui vous le dit avec une immense espérance — l’Eglise a confiance en vous: dans votre sincérité d’intentions, dans votre sensus fidei, dans votre engagement à scruter le mystère de Dieu et les oeuvres admirables de sa Rédemption pour être demain un ferment, un levain, un ressort animateur dans vos communautés ecclésiales : non des semeurs de doute systématique, non des critiques corrosifs du patrimoine reçu, non des expérimentateurs inconsidérés des voies incertaines, non — que Dieu ne le veuille pas — des démolisseurs de la foi dans l’esprit des élèves et des fidèles, mais des éducateurs, des formateurs, des modèles de cette foi intacte et d’une vivacité intellectuelle non inquiète, des colonnes et des soutiens de la foi du Peuple de Dieu dans les charges qui vous seront confiées. L’Eglise a cette confiance en vous, pleine d’une espérance émue et d’une attente ardente.

Mais vous aussi, ayez confiance dans l’Eglise : nous vous le demandons en son nom. Ayez confiance en cette Eglise Mère et Maîtresse qui continue dans le monde sa mission ardue de proclamer la vérité de Dieu, dans un monde qui toujours comme au temps d’Isaïe, comme au temps du Christ, semble se fermer obstinément à toute possibilité d’intervention divine dans l’histoire : auditu audietis et non intellegetis et videntes videbitis et non videbitis (cf. Is Is 6,13-15). Malgré tout, l’Eglise ne se lasse pas de se tourner vers les hommes parce que c’est pour eux qu’elle a été fondée par le Christ, c’est pour eux qu’elle est née de son côté ouvert, comme la nouvelle Eve, Mère des vivants (cf. Gn Gn 2,21 Gn 3,20 Jn 19,34 cf. St. augustin, Tract. In Jl 120 PL Jl 35,161). En cette oeuvre constante qu’elle exerce en faveur des hommes pour leur rendre accessible la vérité de Dieu et communiquer la Rédemption, elle a besoin de vous : elle attend votre contribution d’hommes d’étude et de pasteurs qui vivent et font vivre dans la lumière de la Révélation et en enrichissent continuellement le dépôt sacré : elle vous aime, oui, comme la pupille de ses yeux. Regardez-la ainsi cette sainte Mère, cette Mère souvent dolente, dont l’unique réconfort est le Seigneur Ressuscité : ayez confiance en elle parce qu’en elle vous trouverez toujours l’encouragement, la sympathie, l’espérance. Aimez-la, soutenez-la dans son effort énorme ; ne l’affaiblissez pas, ne séparez pas ses membres, n’amoindrissez pas son unité, parce que — qu’il nous soit permis de citer encore saint Ambroise — quamdiu sententiis discrepamus, quodammodo regnum Christi minoramus ; quia nondum ei subiecta omnia, cujus regnum unitas est (Enarr. in Ps. LXI, 8).

Voilà tout ce que nous avons désiré vous dire en cette commémoration historique en laquelle, comme nous l’avons dit au début, vous avez voulu attester l’authenticité de votre engagement présent en le rapportant à l’idéal des sources d’où est née votre Université. En avant, toujours, au nom du Seigneur ! Et tandis que nous vous remercions encore de la joie que vous nous avez procurée ce matin, nous invoquons sur vous tous — en cette neuvaine du Saint Esprit — la vertu qui descend du Ciel pour qu’elle vous rende témoins du Christ usque ad ultimum terrae (Ac 1,8).

A vous tous notre Bénédiction Apostolique.





AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS ANNUEL DE


L’ASSOCIATION «TOP EUROPEAN ADVERTISING MEDIA»


Lundi 15 mai 1972




Mesdames, Messieurs,

À l’occasion de votre Congrès annuel, vous avez manifesté le désir de Nous rencontrer. Nous y accédons d’autant plus volontiers que Nous mesurons les larges responsabilités qui sont les vôtres près des grands journaux d’Europe, ou même d’Amérique, rattachés à l’Association «Top European Advertising Media».

Ces quotidiens, pour l’essor desquels vous travaillez, particulièrement au niveau de l’administration et de la publicité, se sont acquis un prestige national et international. Ils se veulent indépendants, capables de fournir à leurs lecteurs une information assortie de commentaires compétents, dans les divers domaines. A ce sujet, vous savez l’intérêt que l’Eglise accorde aux puissants moyens de communication sociale qui sont entre vos mains. Hier encore, à l’occasion de la journée mondiale qui leur était consacrée, Nous insistions sur la vérité qu’ils doivent servir: objectivité dans l’information et les éléments de jugement, authenticité dans l’expression artistique, témoignage rendu à la vérité révélée. Mais quand on aborde le terrain de la publicité commerciale, qui est le thème de votre Congrès, est-ce encore le cas de parler de vérité, alors qu’ils s’agit, par définition, d’utiliser les moyens les plus efficaces de provoquer une plus grande consommation?

L’importance croissante de la publicité est désormais une donnée qui semble s’imposer à nos sociétés modernes. La presse d’information, qui veut rester indépendante par ailleurs et refuser les subventions d’Etat ou de partis quels qu’ils soient, a tendance à lui ouvrir de plus en plus ses colonnes. N’en tire-t-elle pas la plus grosse part de ses revenus et même parfois le moyen de survivre? C’est là un fait qu’il faut considérer avec réalisme, mais qui, à nos yeux, ne doit pas échapper pour autant à un jugement moral sur le fond du problème, comme sur le mode d’exercice de la publicité. Car il y va de l’intérêt profond des hommes et de la société que vous entendez servir. Là-dessus, l’Instruction pastorale «Communio et progressio» (Communio et progressio, 59-62), que le Saint-Siège publiait il y a tout juste un an, traçait des pistes de réflexion que Nous nous contentons de rappeler dans le cadre de ce bref entretien.

32 La publicité, c’est évident, stimule puissamment l’achat de produits manufacturés ou la demande des services proposés, et, par le fait même, permet à l’industrie et aux autres forces économiques de maintenir ou d’accentuer leur production. En ce sens, la publicité contribue intensément aux échanges et à l’élévation d’un certain niveau de vie. Les consommateurs l’apprécient et le travail en bénéficie.

Mais dans l’exercice légitime de la publicité qui vous est confié, il y a des façons de faire qui servent le public, d’autres qui le desservent, voire qui le dégradent. Et même lorsqu’il s’agit de gagner un argent utile ou nécessaire pour une noble fin, la conscience se trouve confrontée à de multiples questions: la liberté de jugement et de choix, est-elle respectée ? Ou au contraire les arguments sont-ils fallacieux? exploitent-ils les tendances les moins nobles de l’homme, allant jusqu’à l’inciter au mal? la présentation publicitaire est-elle conforme aux bonnes moeurs et au noble sens de la vie? ou se met-elle au service d’un hédonisme dispendieux et corrupteur? les «biens» recommandés ont-ils réellement quelque valeur, quelque utilité? ou risquent-ils d’être nuisibles, dangereux? de susciter un attrait excessif du superflu, de l’artificiel, de l’immoral, au détriment du nécessaire et de l’honnête?

Bref, en ce domaine, plus peut-être qu’en d’autres secteurs, il est requis un courage dont Nous mesurons le mérite: il faut savoir allier la compétence technique axée sur l’efficacité, au souci de servir en vérité les personnes et la société. Il y va d’ailleurs de la dignité de la presse elle-même. Nous formons des voeux pour que rien ne vous détourne de poursuivre cet objectif capital, et Nous implorons de grand coeur sur vous, vos familles, vos collègues, la Bénédiction de Celui qui nous a promis la lumière et la force de son Esprit.




Discours 1972 29