Discours 1972 32

AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE


DE LA «INTERNATIONALE RAIFFESEIN-UNION»


Jeudi 18 mai 1972




Soyez les bienvenus, chers Messieurs. Nous avons déjà eu l’occasion de vous dire notre estime pour la coopération efficace que vous vous efforcez de réaliser, au niveau du crédit, par le moyen des Caisses rurales. Au delà de ses résultats techniques appréciables, votre action contribue à créer une mentalité de solidarité, très bénéfique pour les personnes, les familles et la société. Et c’est avec joie que Nous avons appris votre projet d’aider les pays en voie de développement à mettre en oeuvre un système d’assistance mutuelle, selon un esprit qui correspond d’ailleurs bien souvent, Nous semble-t-il, à leurs meilleures traditions. Qui pourrait se désintéresser d’une telle coopération, dans la mesure où elle se réalise dans le respect de ces traditions et le souci de susciter la participation, quand on sait la grande part que constitue le crédit agricole dans l’essor de l’agriculture? En priant l’Esprit Saint, qui est source d’amour universel, d’inspirer et de faire fructifier de tels efforts, Nous implorons de grand coeur sur vos personnes et ceux qui vous sont chers les bénédictions du Seigneur.

E a voi, membri di lingua italiana del Comitato di Presidenza della «Internationale Raiffeisen-Union», desideriamo esprimere il nostro apprezzamento per gli sforzi, che la vostra Organizzazione ha compiuto in questi anni per creare saldi e duraturi legami di collaborazione attraverso le Casse rurali e per formare una mentalità di autentica e disinteressata solidarietà fra i popoli.

Con viva soddisfazione abbiamo appreso che uno dei temi principali della vostra Assemblea generale, riunita in questi giorni a Roma, e quelle dell’assistenza da offrire ai Paesi in via di sviluppo, affinché anche in essi, nel pieno rispetto delle loro tradizioni, possano affermarsi i principi e il metodo della cooperazione nei vari campi che interessano la vostra attività.

Sulle vostre iniziative e sui vostri propositi invochiamo le più elette grazie e benedizioni celesti.

Wir danken Ihnen, sehr geehrte Damen und Herren, für Ihren freundlichen Besuch, mit dem Die Uns anläßlich der diesjährigen Generalversammlung des «Internationalen Raiffeisen-Verbandes» heute beehren, und heißen Sie herzlich willkommen.

Die lobenswerten Bemühungen Ihres Verbandes um weltweite Zusammenarbeit zur Besserung und Hebung der Lebens und Arbeitsbedingungen der immer noch weithin benachteiligten landwirt-schafdichbäuerlichen Bevölkerung sind ein besonderes Gebot der Stunde und entsprechen einem Grundprinzip der Soziallehre der Kirche. Nur durch verstärkte gemeinsame Anstrengungen können die bestehenden und zum Teil sogar noch zunehmenden Störungen des ökonomischen und sozialen Gleichgewichts zwischen Landwirtschaft und Industrie auf nationaler und internationaler Ebene erfolgreich behoben werden. Im Rahmen dieser geforderten und vielerorts bereits begonnenen solidarischen Zusammenarbeit leistet der «Internationale Raiffeisen-Verband» einen bedeutsamen Beitrag. Wir begleiten daher die Beratungen Ihrer diesjährigen Generalversammlung mit Unseren besten Wünschen und erbitten für Ihre Arbeiten, für Sie und Ihre Angehörigen sowie alle Mitglieder Ihres Verbandes Gottes besonderen Schutz und Segen.



À LA CONGRÉGATION DES MISSIONNAIRES


OBLATS DE MARIE IMMACULÉE


Samedi 20 mai 1972




Chers Fils,

33 Durant ce vingt-huitième chapitre général de votre Congrégation, vous avez manifesté le désir filial de Nous rencontrer. C’est bien volontiers que Nous y répondons en cette veille de Pentecôte, implorant la lumière et la force de l’Esprit Saint sur tous les missionnaires oblats de Marie Immaculée, afin que vous puisiez dans cet Esprit le renouveau spirituel et le souffle apostolique que vous désirez et que l’Eglise attend de vous.

Oui, chers amis, l’Eglise compte sur la disponibilité de votre Congrégation, précisément parce que les hommes, et notamment les pauvres, ou ceux qui sont au loin, ont besoin plus que jamais de la Parole de Dieu que vous vous êtes engagés à faire entendre en tant de secteurs missionnaires: paroisses, retraites, postes de pionniers d’évangélisation ... Votre Vénérable Fondateur, Monseigneur Eugène de Mazenod, ne voulait-il pas d’abord ranimer la foi de ses contemporains, après une période de tourmente et de désarroi? Cette oeuvre, prolongeant celle du Christ Rédempteur, le «premier Religieux du Père», il ne la concevait pas autrement qu’enracinée dans l’Eglise du Christ qui est son Corps, en union avec son Vicaire sur la terre.

Aujourd’hui, comme hier, vous avez devant vous une mission pareillement difficile et exaltante. Ayez à coeur de faire oeuvre constructive; suscitez des communautés de croyants, d’apôtres, de saints, qui seront eux-mêmes le levain dans la pâte. C’est à ces fruits que l’on reconnaît le bon arbre. Et, nous le savons bien tous, les nouveaux moyens d’évangélisation que nous nous sentons appelés à mettre en oeuvre, selon les orientations conciliaires, pour répondre aux besoins réels, humains et spirituels, ne produiront leurs fruits que si nous-mêmes nous cherchons cette sainteté, dans la prière et la pureté du coeur, zélés pour la justice et animés d’une charité sans limite, disponibles comme Marie. Pour notre part, Nous avons confiance, Nous ne doutons pas que, dans la fidélité à cet esprit et aux traditions de votre Institut, qui ont déjà permis de si belles réalisations d’apostolat, vous saurez trouver l’énergie et la lucidité pour résoudre tous vos problèmes, en pleine harmonie avec le Magistère de l’Eglise, de cette Eglise que vous voulez servir, En vous encourageant dans cette voie, Nous vous donnons de grand coeur, à tous, et spécialement à ceux que vous venez d’élire aux différents postes de responsables, notre paternelle Bénédiction Apostolique.

Nella stessa sala il Santo Padre accoglie i partecipanti al Capitolo generale dei «Christian Brothers» che ha portato all’elezione del nuovo superiore generale nella persona del Fratel Kelty. I capitolari provengono da 17 nazioni, nelle quali la congregazione svolge la sua benemerita attività per la formazione cristiana della gioventù.

Con il nuovo superiore generale sono il superiore generale uscente Fratel Arturo Loftus, il procuratore generale Fratel Giovanni Shea e i membri della curia generalizia.

We are pleased to receive the members of the General Chapter of the Christian Brothers. We greet you and your newly-elected Superior General with sentiments of gratitude for all that you have done for the Holy See and for the People of God.

Your work is a difficult one indeed. The education of the Young, most particularly in these days, presents a challenge which can be met with nothing less than complete dedication and sometimes heroic sacrifice. Through the convincing presentation of truth, especially that truth which was revealed by Christ, you must draw out from man the human and supernatural potential which God has given him. You must free the human spirit from its chains of ignorance and prejudice so that the dignity and destiny of man will be able to shine forth in all splendour and beauty.

Your history, in the classroom and in the missions, has shown that you have been willing to accept the challenge. We pray with you that such dedication and sacrifice will continue to characterize your Congregation and be a constant source of blessing to the Church.

To you, and to all the members of the Congregation, we gladly impart our Apostolic Blessing.




23 juin



CONFIANCE ET ESPERANCE





Le matin du Vendredi 23 Juin, veille de la solennité liturgique de la nativité de Saint Jean-Baptiste, le Saint-Père a reçu le Sacré Collège des Cardinaux qui Lui ont présenté leurs voeux de fête.

34 Etaient présents à l’audience tous les cardinaux de Curie et, en outre, Monsieur le Cardinal Giuseppe Parecattil, archevêque de Ernakulam, de passage à Rome. Les sentiments de dévouement et de souhaits de tous les membres du Sacré Collège ont été exprimés, au début de l’audience, par Monsieur le Cardinal Amleto Giovanni Cicognani, Doyen du Sacré Collège et Secrétaire d’Etat émérite.

Le Saint-Père a adresse ensuite à Messieurs les Cardinaux le discours suivant :



Messieurs les Cardinaux,



L‘occasion de notre fête vous a réunis ici selon l’usage pour nous exprimer votre affection d’une manière très courtoise. Et nous, qui voudrions la passer silencieusement, dans l’intimité de la prière et des souvenirs personnels, nous ne pouvons pas nous soustraire aux obligations qui nous lient à vous, ni opposer une résistance à votre intention à laquelle le vénéré et cher Cardinal Amleto Giovanni Cicognani, comme Doyen du Sacré Collège, a donné une interprétation choisie et fervente. Nous le remercions de tout coeur, nous félicitant avec lui pour la première fois en ce lieu de sa fonction et rappelant avec une très profonde et persévérante estime, et une toujours vive reconnaissance la précieuse collaboration qu’il nous a apportée ainsi qu’à notre Prédécesseur dans les fonctions de Secrétaire d’Etat. Avec lui nous remercions tous les Cardinaux de Curie qui participent de si près aux travaux apostoliques, aux joies et aux épreuves de l’humble Vicaire du Christ. Mais comment ne pas évoquer en ce moment celui qui fut pendant de longues années l’interprète des voeux du Sacré Collège, en sa qualité de Doyen : le Cardinal Eugène Tisserant qui, dès les premières années de son sacerdoce, fut au service du Saint-Siège ? Sa compétence dans les charges qui lui ont été confiées par les Pontifes Romains était égale à son ardent amour pour l’Eglise et à son zèle infatigable dont nous avons tous été témoins ; et c’est le souvenir que gardent de lui tous ceux qui l’ont vu à l’oeuvre.

L’usage nous amène, en cette occasion, à jeter un regard sur les conditions générales de l’Eglise, à l’intérieur et à l’extérieur, en soulignant quelques aspects qui méritent de retenir notre attention.

Nous sommes reconnaissant pour la synthèse qui nous a été faite et qui peut se résumer en une parole dont tous nous avons besoin : espérance, confiance. Confidite, ego sum, nolite timere (
Mc 6,50), continue à nous répéter le Seigneur ressuscité. Non turbetur cor vestrum : creditis in Deum, et in me credite (Jn 14,1) : le Christ est présent dans son Eglise ; et celle-ci continue la mission qu’il lui a confiée, indiquant au monde qu’en lui seul est la paix, en lui seul la justice, en lui seul la rémission des péchés ; et ceci fait avec la force, avec la ténacité, avec l’héroïsme avec lesquels l’a montré en ses jours mortels le Précurseur, Jean le Baptiste dont nous portons le nom de baptême. Cette présence du Christ selon sa promesse (cf. Mt Mt 28,20), cette continuité du témoignage constructif et vrai de l’Eglise doivent nous donner l’espérance et nous inspirer confiance. Malgré tout nous sommes sur la bonne route parce que nous suivons le Christ et nous trouvons en lui la force de continuer dans l’énorme effort de présenter son message au monde. Les forces semblent manquer parfois, les résultats paraissent inférieurs à l’engagement. Mais nous ne devons pas nous décourager pour cela ; avec la force de la prière nous puisons les énergies nécessaires pour le devoir qu’il a imposé sur nos épaules, en l’invoquant avec les paroles de saint Ambroise : “ Sequimur te, Domine Jesu ; sed ut sequamur accerse, quia sine te nullus ascendet. Tu enim via es, veritas, vita, possibilitas, fides, praemium. Suscipe tuos quasi via, confirma quasi veritas, vivifica quasi vita ” (De bono mortis, 12, 55 ; éd. C. Schenkl, CSEL, 33, 1896, p. 150).

C est là l’espérance, la confiance qui nous soutient parce qu’elle est fondée sur la parole du Christ et sur l’oeuvre que l’Eglise, en raison de son mandat, continue à accomplir dans le monde. Nous avons besoin de le confirmer : parce que aujourd’hui, en ce moment que nous vivons, le manque de confiance envers l’Eglise est fort chez un certain nombre de chrétiens et même de prêtres et de religieux ; manque de confiance qui aboutit parfois même à une certaine agressivité, mais qui prend aussi, et plus souvent, la forme du découragement et de la désillusion.



1. Phénomènes négatifs





Pour certains ce sentiment naît du fait que l’édifice ecclésial qui représente à leurs yeux un tout fortement cohérent et organisé, leur semble aujourd’hui menacé dans son unité. Ils sont certainement ébranlés par le criticisme, venu à la lumière en ces années, du caractère risqué de certaines initiatives qui ignorent la Tradition de l’abandon des manifestations extérieures ou des formes de piété auxquelles ils étaient attachés : alors ils tendent à se replier sur eux-mêmes et à refuser la part qui leur revient dans la vie et dans les tâches de l’Eglise. Pour d’autres au contraire, le manque de confiance dans l’Eglise tire son origine de la conviction que, d’après eux, elle serait empêtrée dans des institutions qui ont fait leur temps : dans une société sécularisée, ils pensent que l’Eglise devrait abandonner la plus grande partie des formes qui la distinguent et renoncer jusqu’aux certitudes acquises pour se mettre uniquement à l’écoute des besoins du monde ; et ils éprouvent, en face de l’Eglise visible et institutionnelle, une froideur qui en porte certains à s’éloigner d’elle, sensibles, pensent-ils être, aux profonds changements qui caractérisent notre époque, aux nouveautés des situations culturelles et aux possibilités scientifiques et techniques.

De ces tensions opposées dérive un état de gêne que nous ne pouvons pas et ne devons pas nous cacher ; d’abord une fausse et abusive interprétation du Concile qui voudrait une rupture avec la tradition même doctrinale, arrivant au rejet de l’Eglise pré-conciliaire et à la permission de concevoir une Eglise “ nouvelle ”, presque “ réinventée ” de l’intérieur, dans la constitution, dans le dogme, dans les coutumes, dans le droit.

Certains ensuite arrivent à subir et à prêcher le charme de la violence, nouveau mythe qui se présente à la conscience moderne inquiète : c’est l’apologie du fait accompli, de la “ libération ” qui n’est pas toujours l’interprétation de la liberté évangélique, qui naît de la vérité et de la charité (Jn 8,32 cf. Ga Ga 4,31 Rm 1,21 Jc 1,25), bien difficile d’ailleurs à garder (cf. 1P 2,16 Ga 5,13), mais souvent c’est un euphémisme qui couvre des méthodes éversives ; en outre ce charme confirme parfois le mimétisme des sociologies non chrétiennes, réputées seules efficaces, avec une confiance aveugle et sans don de prophétie des conclusions auxquelles elles conduisent ; il ne résiste pas à la séduction du socialisme entendu par certains comme un renouvellement social et une socialité rénovatrice, mais avec l’utilisation d’idées, de sentiments non chrétiens et parfois antichrétiens : lutte de classe systématique, haine et subversion, psychologie matérialiste qui contamine la soi-disant société de consommation.

Les réactions négatives auxquelles nous avons fait allusion semblent aussi viser la dissolution du magistère ecclésiastique : soit en équivoquant sur le pluralisme conçu comme une libre interprétation des doctrines et une coexistence non dérangée de conceptions apposées ; sur la subsidiarité entendue comme autonomie ; sur l’Eglise locale voulue presque comme séparée et libre et se suffisant à elle-même ; soit en faisant abstraction de la doctrine sanctionnée par des définitions pontificales ou conciliaires.

35 On ne peut pas ne pas voir qu’une telle situation produit des effets assez pénibles et malheureusement dangereux pour l’Eglise : confusion et souffrance des consciences, appauvrissement religieux, défections douloureuses parmi les vies consacrées et dans la fidélité et l’indissolubilité du mariage, affaiblissement de l’oecuménisme, insuffisance des barrières morales contre l’hédonisme envahissant.



2. Au service de la justice et de la vérité





Dans un tel cadre, à l’intérieur de l’Eglise, on ne peut oublier les difficultés et les exigences rencontrées par elle dans l’exercice de sa mission qui n’est ni abstraite ni désincarnée mais plutôt descendue dans le concret de situations bien déterminées.

En premier lieu, une difficulté de confiance, comme nous disions, met l’Eglise à l’épreuve ici et là dans ses rapports quand il s’agit de l’exercice de son office “ prophétique ”, qui n’est pas seulement d’annoncer la vérité et la justice, mais de déplorer, de dénoncer, de condamner les fautes ou les délits accomplis contre la justice et contre la vérité.

En réalité, pour ce qui concerne plus directement ce Siège Apostolique, celui-ci est comme une sentinelle placée sur une montagne où arrivent les clameurs des opprimés, le gémissement étouffé de celui qui n’a pas la liberté de crier fort ses douleurs, la plainte de celui qui se sent frappé dans ses droits ou abandonné dans ses nécessités. Etendant son regard sur la scène du monde, se présentent à lui les nombreuses situations qui dans une mesure plus ou moins grave, parfois très grave, sont contraires à ce respect de la dignité de l’homme et de ces droits fondamentaux — d’abord, entre tous, celui d’une juste liberté religieuse — qui doit ou devrait être à la base de la vie sociale dans les nations et entre les nations.

Nous devons relever d’abord, dans les demandes et les plaintes qui s’élèvent de temps en temps à ce propos, un aspect qui n’est certainement pas exclusif de notre temps mais qui, en celui-ci, comme à toutes les époques de profondes divisions, est davantage ressenti. Et c’est que, habituellement, on réclame la condamnation non pas de toutes les injustices mais seulement de celles — vraies ou parfois supposées ou au moins aggravées — de la partie adverse. Le Saint-Siège est bien conscient dans son devoir d’interpréter la “ conscience morale de l’humanité ” non seulement quant aux principes mais aussi pour le caractère concret de la réalité. Nous pouvons assurer qu’il ne reste sourd à aucun cri ou plainte qui lui parvient ; il tâche même de savoir ce qu’on voudrait et que si souvent on réussit à tenir caché. Mais sa responsabilité exige naturellement de ne pas se contenter de renseignements qui ne soient pas dûment contrôlés et la plus pleine objectivité des choses, ce qui, l’un comme l’autre, n’est pas toujours facile à obtenir. Son action se propose avant tout, dans les limites des possibilités, d’aller au secours d’une manière efficace de qui souffre et demande compréhension et secours ; c’est une chose qui demande souvent une juste prudence et une réserve dans les manifestations publiques, pour donner la priorité à la tentative de dialogue sérieux et direct avec les responsables des situations déplorées ou pour ne pas provoquer de plus lourdes réactions au détriment de ceux qui attendent une défense.

Notre préoccupation est de servir l’humanité et l’Eglise en particulier ; et notre espérance est que la prévalence des sentiments de justice et les efforts patiemment accomplis puissent conduire aux résultats que nous invoquons.

Nous ne pouvons pas taire cependant que cette espérance est exposée assez fréquemment à de graves épreuves, lorsqu’on remarque la persistance de difficiles tensions ou lorsque la loyale disposition du Saint-Siège à arriver à des accords qui permettent à l’Eglise de disposer au moins de l’espace vital indispensable, conforme à ses exigences élémentaires, sinon à la plénitude de ses droits, se heurte à un manque persistant de réelle volonté positive comme par calcul que l’aggravation de ses conditions de vie pourrait pousser l’Eglise à accepter des ordres qu’elle avait dû déclarer inacceptables.

Nous nous en remettons à la conscience de l’humanité et au jugement de l’histoire pour la responsabilité de telles situations, tandis que la Saint-Siège ne se lassera pas de continuer à agir, même si cela est apparemment “ contra spem ”, pour les modifier selon la justice, confiant dans l’action et l’aide de la Providence.



3. L’Eglise et le monde





Le Saint-Siège suit du reste avec un vif intérêt les développements de la situation mondiale et des problèmes particuliers.

Dans le cours des mois écoulés l’attention du monde s’est polarisée autour de quelques faits nouveaux des rapports internationaux dans lesquels il a cueilli, avec une intuition remplie d’espérance, les signes d’un changement qui va se soulignant.

Parmi les plus importants de ces faits il y a avant tout les contacts, établis aux niveaux les plus élevés de leurs autorités, entre deux grandes nations, les Etats-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine, récemment accueillie dans l’Organisation des Nations Unies. En Mai dernier on a enregistré une seconde rencontre de vaste retentissement entre les responsables suprêmes des gouvernements des Etats-Unis et de l’Union Soviétique, avec la stipulation d’importants accords bilatéraux concernant divers problèmes. Dans le même temps, avec une simultanéité qui, si elle n’est pas voulue, semble d’auspices positifs, est arrivée en Europe la signature d’un accord sur la situation de Berlin, ainsi que la ratification des traités entre l’Allemagne Fédérale, l’URSS et la Pologne ; ensemble qui conclut de laborieuses négociations, prolongées pendant des années, dans un contexte de difficultés objectives qui, depuis la fin de la dernière grande guerre, avaient provoqué des alternatives de tensions parfois très graves.

36 Il n’est pas facile d’évaluer aujourd’hui la portée ni de prévoir les répercussions que pourront avoir de tels événements ou de rechercher dans des initiatives avec des protagonistes divers et des matières d’une discussion si complexe, le rapport logique qui permette de prévoir avec certitude une direction univoque des effets et des développements.

Mais quelque chose de nouveau arrive dans le monde. D’abord déjà le fait qu’il se produise des rencontres qui, jusqu’à il y a peu de temps, étaient même impensables.

Il nous semble donc légitime d’attendre qu’un tel processus, s’il est poursuivi, comme nous le souhaitons, avec loyauté et bonne volonté et dans le respect de l’autonomie, des droits et des intérêts légitimes des autres pays, servira non seulement au bien des peuples respectifs mais à la trame entière des rapports entre les diverses nations (il vient aussi spontanément à la pensée seulement le soulagement qu’une limitation des armements peut produire pour la vie et la paix de tous !). En effet les tensions générales pourront être plus facilement réduites et encouragées et rendues possibles les initiatives de longue haleine, comme le prouve la perspective, maintenant peu éloignée, d’une conférence pour la sécurité et la coopération en Europe. Sera diminué en outre le danger que les conflits particuliers puissent voir impliqués, entre autres, les grands pays, alors qu’une plus grande crédibilité pourra être espérée pour les décisions et les initiatives qui, dans le cadre de l’ONU, sont encore conditionnées dans leur efficacité par des divergences des grands et par des résistances des pays de toute puissance et de toute dimension.

Il nous semble aussi significatif que, tandis que se sont mises en route des négociations entre les pays de responsabilité principale dans l’équilibre mondial, les autres peuples ne sont pas restés inertes, comme cela est prouvé par quelques grandes conférences internationales, telles par exemple que la II° Conférence pour le commerce et le développement de Santiago du Chili, ou la Conférence de Stockholm sur l’homme et son milieu : problèmes d’une importance primordiale pour la vie et pour les rapports des nations. Il est positif, en effet que soient données toujours de plus vastes possibilités à tous les peuples de faire entendre leur propre voix ; que de tels débats concourent à tracer une vision plus unitaire et plus solidaire des problèmes : et que cette solidarité fasse s’élever toujours plus vive la conscience d’un sort commun unique de l’humanité.

Est-ce peut-être une utopie d’espérer que, dans ce nouveau contexte de moindres méfiances, de contacts engagés, de début de coopération peuvent finalement se trouver des solutions équitables et rapides, loyales et courageuses pour les conflits définis chroniques, mais d’une actualité si sanglante comme les guerres du Moyen-Orient et du Vietnam ? Au Vietnam où chaque jour qui retarde la paix est payé par des destructions terrifiantes qui ensevelissent dans une même tombe les hommes et la nature, les forces combattantes et les populations désarmées, la vie et l’espérance de vivre ?

Nous souhaitons, et nous prions à cette intention, que cette perspective trouve confirmation en faisant taire les armes, en arrêtant le sang qui coule, en arrangeant et en se mettant d’accord pour reconstruire et guérir. Et ce souhait va tout aussi bien à toutes les autres régions de la terre où manque la paix : ainsi dans la très chère Irlande, toujours tourmentée par de douloureuses explosions de violence, que nous exhortons à continuer dans l’effort pour diminuer toujours davantage les violences réciproques et à rechercher dans le dialogue la solution de ses problèmes ; ou doivent être cicatrisées des blessures encore sanglantes, comme dans un autre pays qui ne nous est pas moins cher, le Burundi.



4. Eléments positifs de confiance





Les faits internationaux auxquels nous avons fait allusion, malgré les graves ombres qui persistent, nous ont apporté un signe, bien que prudent, de grande espérance. Et en revenant de là à la vie de l’Eglise, nous nous sentons obligé en conséquence à souligner les courants positifs qui aujourd’hui donnent des ailes à son action et à sa présence dans le monde. Pourquoi l’Eglise est-elle vivante, l’Eglise est-elle active, l’Eglise est-elle jeune ? Comme nous l’avons dit au début, à tous ceux qui l’observent avec un oeil critique de points de vue opposés, il ne suffit plus désormais de montrer l’insuffisance, le danger et la stérilité de leurs vues partiales pour les faire réconcilier dans une commune fidélité à l’Eglise. Et c’est pourquoi — mais sans mettre en doute la sincérité de personne et sans méconnaître l’utilité des critiques sérieuses et mesurées de la part d’hommes compétents et responsables — nous voulons rappeler que la confiance dont l’Eglise a besoin de la part de ses fils et qu’elle est en droit d’attendre d’eux ne repose pas seulement sur des vues humaines mais bien sur le plan de Dieu. C’est le sentiment qui nous a soutenu dans l’acceptation de la lourde charge du Pontificat, il y a neuf ans ; et, comme nous l’avons dit mercredi dernier à l’Audience Générale : “ Nous voudrions ainsi qu’en vous aussi comme dans toute l’Eglise, troublée parfois par les faiblesses qui l’affligent, vienne à prévaloir le sens évangélique de foi-confiance demandé par le Christ à ses disciples et qu’il n’y ait jamais la peur ni le découragement pour affaiblir le courage et la joie de l’action chrétienne ” (cf. L’Osservatore Romano, 22 juin 1972).

Oui, là confiance dans l’Eglise et la confiance de l’Eglise en elle-même se fonde sur les promesses et sur les charismes divins qui l’accompagnent ; sur le patrimoine de vérité transmis par la Tradition authentique ; sur sa structure constitutionnelle et mystique ; sur sa capacité de rétablir l’unité brisée de l’unique et universelle famille chrétienne ; sur la valeur et sur la noblesse de son action pastorale, capable d’insérer dans le tissu de la vie chrétienne le renouvellement ecclésial voulu pari le Concile Vatican II et poursuivi par nous, avec l’aide de Dieu, d’une manière infatigable ; sur sa mission de signe et d’instrument pour l’humanité tout entière, ouverte comme elle est au monde d’aujourd’hui et de demain.

Malgré les difficultés, comment ne pas se réconforter aux signes d’espérance qui se discernent dans l’Eglise ? Combien de chrétiens éprouvent un intense besoin de prière et d’union à Dieu ! Combien d’âmes généreuses cherchent un style de vie plus évangélique, fondé sur la contemplation, vécu dans l’amour fraternel ! Combien de prêtres, de religieux et de religieuses, d’apôtres laïcs portent témoignage au Seigneur avec une abnégation et une fidélité qui sont certainement le fruit de l’Esprit-Saint ! La hantise de la justice dans le monde tourmente beaucoup d’âmes, spécialement parmi les jeunes et les pousse à se consacrer courageuse ment et d’une manière désintéressée à l’élévation et au développement des peuples, au soin spirituel et matériel des frères. Un sens plus marqué de la pauvreté, calquée sur celle du Christ et de l’Eglise Apostolique, est aujourd’hui vivant dans la conscience ecclésiale et en pousse beaucoup à l’héroïsme, comme nos très chers Missionnaires. Une plus grande ouverture aux valeurs positives du monde, admirablement encouragée par la Constitution conciliaire Gaudium et Spes, rend l’Eglise d’aujourd’hui ouverte et disponible à tous les secteurs et problèmes de la vie sociale, culturelle, spirituelle de l’humanité qui se cherche elle-même. L’Eglise est “ experte en humanité ” !

Effectivement elle donne un apport continuel pour répondre toujours mieux aux nécessités présentes du monde : c’est un spectacle consolant que celui qui est donné en ce domaine par l’Episcopat mondial, avec l’aide des organes cohésifs, éprouvés ou de récente institution, dont se sert l’action pastorale, parmi lesquels il nous plaît de rappeler les Conférences Episcopales, les Conseils presbytéraux et pastoraux des divers diocèses, l’Action Catholique, les formes d’apostolat laïc. Le sens social et la charité agissante augmentent : effectivement il y a toute une efflorescence d’initiatives pour la catéchèse, pour l’action sociale, pour le soin des pauvres, pour l’assistance spirituelle des travailleurs, pour le rayonnement chrétien dans les moyens de communication sociale ; un engagement missionnaire renouvelé unit entre elles les diverses Eglises locales sans oublier cependant le soutien prééminent des OEuvres Pontificales Missionnaires ; un élan de générosité et de dévouement imprègne toujours de plus vastes couches du clergé et du laïcat. Dans cette action, les évêques du monde entier sont aux premières lignes et ils se sentent étroitement unis au Saint-Siège qui les soutient. Le Synode de l’automne dernier a été le témoignage le plus considérable de cette mutuelle collaboration pour la solution des problèmes internes, délicats et urgents — tel le sacerdoce ministériel — et externes de l’Eglise — tel la justice dans le monde.

Le Siège Apostolique, de son côté, ne se lasse pas de répondre par ses initiatives, nouvelles ou traditionnelles, et de venir à la rencontre des exigences du monde : qu’il nous soit permis de rappeler les rapports entretenus avec les divers pays du monde son encouragement aux nombreuses manifestations de la vie catholique, sa présence aux Congrès internationaux, son action silencieuse et discrète au sein des Organismes qui unissent les divers peuples dans un effort sincère de paix, de collaboration et de progrès, en particulier dans le domaine de la promotion sociale et économique et de la culture.

37 L’action du Saint-Siège se développe ensuite, comme de coutume, par l’intermédiaire des divers Dicastères de la Curie Romaine qui s’appliquent à tous les besoins accrus de l’Eglise et du monde avec un zèle délicatement pastoral qui nous est d’un grand réconfort et est un grand exemple pour la communauté ecclésiale par le dévouement, par la compétence, par l’esprit de sacrifice avec lequel il est accompli. A ce sujet il nous plaît de rappeler ici également — comme nous l’avons fait il y a quelques jours dans la séance qualifiée d’une réunion des Cardinaux Chefs de Dicastères — la réforme de la Curie accomplie par nous au moyen de la Constitution Apostolique “ Regimini Ecclesiae universae ” dont arrivera le 15 Août prochain le cinquième anniversaire : elle a donné un nouveau relief et une nouvelle impulsion à la dimension pastorale du service que le Saint-Siège est appelé à donner aux Eglises locales et au monde entier avec ses problèmes immenses, dans un style plus articulé, plus agile et en même temps plus coordonné qui permet d’atteindre à temps et opportunément les nombreuses questions d’intérêt particulier et général.

Vénérables Frères et fils !

Tous ces éléments choisis parmi beaucoup et à peine abordés sont un signe indubitable de la vitalité de l’Eglise ; et, ce n’est pas une vaine complaisance, nous insistons, mais simplement de nous mettre devant les yeux le mystère de la foi sans lequel le chrétien perdrait son identité et la confiance dans l’Eglise.

Les lenteurs, les échecs, les épreuves sont inhérents au mystère de la Croix et de la Résurrection du Christ. Seule la certitude d’accomplir l’oeuvre de Dieu doit nous soutenir. Seule elle donnera la sérénité indispensable pour faire avancer notre mission. Chaque jour il faut recommencer. Après le Concile OEcuménique il s’agit pas de détruire, de contester, mais bien de nous mettre tous au travail pour améliorer, pour guérir, pour planter, pour renouveler, pour construire sur le sentier authentique de l’unité, de la foi, du culte, de la charité, de l’obéissance, de la collaboration. Toute l’oeuvre de l’Eglise vient de Dieu et doit conduire à Lui. Elle ne peut se réaliser sans sa grâce. On peut transformer les structures mais c’est l’esprit qu’il faut introduire en vous : et cet Esprit est don de Dieu. Si les tensions sont inévitables, la communion dans la foi, le fait d’être enracinés dans la Tradition vivante, la fidélité à l’enseignement du Magistère restent toujours les garanties indispensables de l’unité et sont en même temps la seule voie dans laquelle puisse être conservée et augmentée la confiance envers l’Eglise.

Prions tous le Seigneur pour qu’il assiste l’Eglise dans cette oeuvre énorme de salut en faveur des hommes auxquels elle est destinée ; et à vous, nous demandons l’appui de la charité et de la prière quotidienne pour que le Seigneur qui nous a appelé à la terrible charge d’être son Représentant sur la terre nous donne la force de la remplir avec fidélité.

Tous, donc, en avant ensemble, avec confiance, in Nomine Domini ! Et que le Seigneur nous bénisse tous.



A la fin du discours le Saint-Père a donné la Bénédiction Apostolique et est descendu ensuite au milieu des Cardinaux, adressant à chacun d’eux l’expression de sa vive gratitude et de son paternel remerciement ainsi que sa salutation.








Discours 1972 32