Discours 1975



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Discours 1975

Eglise et documents vol. VIII – Libreria editrice Vaticana





AU COMITÉ INTERNATIONAL DE LIAISON ENTRE


L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LE JUDAÏSME MONDIAL


Vendredi 10 janvier l975




Messieurs,

Membres catholiques et juifs du Comité de liaison entre l’Eglise catholique et le Judaïsme mondial, vous avez décidé, il y a un peu plus d’un an à Anvers, de tenir à Rome votre quatrième session annuelle. Nous nous réjouissons de cette décision de vous réunir pour cette fois dans la ville qui est le centre de l’Eglise catholique: elle a rendu possible cette rencontre fraternelle de ce matin.

Votre session a lieu peu de temps après que Nous ayons crée, au mois d’octobre dernier, une Commission de l’Eglise catholique pour les relations religieuses avec le Judaïsme, dont le premier acte important a été la publication, il y a quelques jours, des «Orientations et Suggestions» pour l’application de la Déclaration conciliaire «Nostra Aetate» dans le domaine des relations judéo-chrétiennes.

Nous ne revenons pas ici sur le détail de ce document qui est adressé aux fidèles de l’Eglise catholique par l’autorité centrale de celle-ci et qui a sans doute été, avec la question des Droits de l’homme et d’autres problèmes encore, l’un des objets d’étude et de réflexion commune auxquels votre session a été consacrée.

Ce texte évoque les difficultés et confrontations, avec tout ce qu’elles ont pu avoir de regrettable, qui ont marqué les relations entre chrétiens et juifs au cours de ces deux mille années. Si ce rappel est salutaire et indispensable, il ne faudrait pas oublier qu’il y a eu aussi entre nous, au cours des siècles, autre chose que des affrontements. Ils sont encore nombreux ceux qui peuvent témoigner de ce qui a été fait par l’Eglise catholique durant la dernière guerre, à Rome même, sous l’impulsion énergique du Pape Pie XII – Nous en sommes témoin -, et par nombre d’évêques, de prêtres et de fidèles de divers pays d’Europe, pour arracher, souvent au péril de leur vie, des Juifs innocents à la persécution.

2 Par ailleurs, en regardant l’ensemble de l’histoire, comment ne pas noter les rapports trop peu remarqués bien souvent, entre la pensée juive et la pensée chrétienne, Rappelons ici seulement l’influence exercée à diverses époques dans les milieux les plus élevés de la réflexion chrétienne par la pensée du grand Philon d’Alexandrie, considéré par saint Jérôme comme «le plus expert parmi les juifs», jugement repris, entre autres, par le docteur franciscain Bonaventure de Bagnoregio. Mais, précisément, puisque l’Eglise catholique vient de commémorer, en même temps que le septième centenaire de la mort de saint Bonaventure de Bagnoregio, celui du philosophe et théologien si renommé saint Thomas d’Aquin, décédé comme Bonaventure en mille-deux-cent soixante-quatorze, il Nous vient tout naturellement à l’esprit les nombreuses références de notre Docteur Angélique à l’oeuvre du savant rabbin de Cordoue mort en Egypte à l’aube du treizième siècle, Moshé ben Maïmon, en particulier à ses explications sur la Loi mosaïque et les préceptes du Judaïsme.

De son côté, la pensée de Thomas d’Aquin devait se répandre à son tour dans la tradition scolaire du judaïsme médiéval: comme l’ont montré par exemple les recherches des professeurs Charles Touati, de l’Ecole des Hautes Etudes de Paris, et Joseph Sermoneta, de l’Université Hébraïque de Jérusalem, il y a eu dans l’Occident latin, à la fin du treizième siècle et au quatorzième, toute une école thomiste juive.

Il ne s’agit là que de quelques exemples parmi bien d’autres. Ils témoignent qu’il y a eu, à diverses époques, à un certain niveau, une vraie et profonde estime mutuelle et une conviction que nous avions quelque chose à apprendre les uns des autres.

Nous formons, Messieurs, le souhait sincère, que d’une façon appropriée à notre époque et donc dans un champ qui déborde en quelque sorte le domaine limité des échanges purement spéculatifs et rationnels, un véritable dialogue s’instaure entre le judaïsme et le christianisme.

Votre présence ici, comme représentants, parmi les plus autorisés, du judaïsme mondial, témoigne que ce souhait personnel trouve en vous quelque écho. Les termes en lesquels Nous l’exprimons, l’assistance du dévoué Cardinal Président de la Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme, celle de nos frères dans l’épiscopat, l’Archevêque de Marseille et l’Evêque de Brooklyn, vous disent assez avec quelles loyauté et décision collégiale l’Eglise catholique désire que se développe actuellement ce dialogue avec le Judaïsme auquel nous a convié le Deuxième Concile du Vatican par la déclaration «Nostra Aetate» (Cfr. Nostra Aetate
NAE 4).

Nous espérons qu’un tel dialogue, mené dans un grand respect mutuel, nous aidera à nous mieux connaître et nous conduira aussi les uns et les autres à mieux connaître le Tout Puissant, l’Eternel, à suivre plus fidèlement les voies que nous a tracées Celui qui, selon les paroles du prophète Osée, (Os 11,9) est au milieu de nous le Saint, qui n’aime pas à détruire.

Nous osons penser que la récente réaffirmation solennelle du rejet par l’Eglise catholique de toute forme d’antisémitisme, et l’invitation que Nous avons lancée à tous les fidèles de l’Eglise catholique de se mettre à l’écoute pour «apprendre à mieux connaître par quels traits essentiels les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue», posent du côté catholique les conditions de développements bénéfiques, et Nous ne doutons pas que, pour votre part, vous correspondrez, selon vos propres perspectives, à notre effort qui ne peut avoir de sens et de fécondité que dans la réciprocité.

Dans la perspective de sympathie et d’amitié que Nous avons évoquée devant le Sacré Collège le 23 décembre dernier, Nous formons pour vous-mêmes ici présents, Messieurs, et pour vos familles, mais beaucoup plus largement encore pour le peuple juif tout entier, nos meilleurs souhaits de bonheur et de paix.



AU CORPS DIPLOMATIQUE*




Samedi 11 janvier



OPPOSER À LA VIOLENCE LA FORCE ET LA SÉRÉNITÉ DE LA RAISON





Le 11 janvier dernier le Saint-Père a reçu, le Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège venu lui présenter les voeux pour l’an nouveau.

Entouré par le Cardinal Jean Villot, Secrétaire d’Etat, Mgr Giovanni Benelli, Substitut de la Secrétairerie d’Etat, Mgr Agostino Casaroli, Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques de l’Eglise, le Saint-Père a ainsi répondu à l’adresse d’hommage de S.Exc. M. Luis Amado Bianco, Ambassadeur de Cuba, Doyen du Corps Diplomatique :



3 Excellences et chers Messieurs,



Nous sommes très reconnaissant aux illustres membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège de leur présence et des aimables voeux qu’ils viennent de Nous exprimer par la voix de leur Doyen, au seuil de la nouvelle année que la Providence nous a donné de commencer. Et à notre tour Nous présentons nos souhaits à chacun de vous, à vos familles, aux Chefs d’Etat et à tous les peuples que vous représentez.

Votre interprète éloquent a voulu, avec des expressions et des pensées particulièrement riches, souligner le haut symbolisme — ou plutôt l’un des symbolismes — du rite de l’ouverture de la Porte Sainte que Nous avons eu le bonheur d’accomplir la nuit de Noël, en présence des représentants des Etats qui entretiennent des rapports officiels avec le Siège Apostolique.

C’est un événement de caractère religieux, qui s’est proposé de rappeler au monde catholique — et avec lui à tous ceux qui, sur la terre, sont sensibles aux valeurs spirituelles et morales que le message chrétien, à tant d’égards, possède en commun avec les autres confessions religieuses — de rappeler le devoir du renouveau intérieur et de la réconciliation : réconciliation avec Dieu avant tout, dans l’intimité de son propre coeur et de sa propre conscience, et plus — conséquence inévitable en même temps que condition nécessaire — réconciliation avec tous nos frères, dans les rapports de la vie sociale.

Et précisément sous ce dernier aspect, comment un tel rappel de caractère religieux et moral pourrait-il ne pas avoir également une influence sur la vie et les rapports de cette grande famille des peuples que vous Nous rendez idéalement présents en ce moment ?

Le message de réconciliation que l’Eglise catholique adresse à l’humanité en cette Année Sainte Nous semble même revêtir une particulière importance pour la Communauté internationale, comme aussi pour les peuples qui vivent dans les diverses communautés nationales et pour les groupes qui les composent.

Nous ne vous cacherons pas, Excellences et chers Messieurs, que notre regard ne peut aujourd’hui se poser sans une préoccupation croissante sur les développements d’une situation mondiale qui nous semble — à Nous et à bien d’autres — aller en se détériorant progressivement jusqu’à faire dire par certains que nous vivons le passage d’une phase d’après-guerre à une phase d’avant-guerre.

Si cette façon de voir correspond à la réalité, Nous n’avons pas besoin de vous en souligner, à vous qui êtes experts de tels problèmes, la portée redoutable et même effrayante.

N’a-t-on pas constaté en effet, jusqu’à maintenant, une sorte de convergence de jugements — et de craintes — sur ce que pourrait signifier pour le monde l’éclatement d’un conflit qui — si on ne réussissait pas à le maintenir dans des proportions toujours très douloureuses, certes, pour qui en est victime, mais du moins territorialement limitées — deviendrait presque inévitablement — par sa gravité et par son extension — atomique ? Cette « terreur », dont on essaie laborieusement d’assurer une sorte « d’équilibre », a même été et est couramment considérée comme la principale, sinon peut-être l’unique, garantie contre des aventures qui paraîtraient elles-mêmes trop périlleuses à ceux qui se sentiraient, par hypothèse, suffisamment forts pour espérer pouvoir les surmonter en survivant à leurs adversaires.

Le Saint-Siège, vous le savez, ne s’est jamais montré enthousiaste pour la formule de « l’équilibre de la terreur », comme moyen de sauvegarder la paix. Sans méconnaître les avantages pratiques, même s’ils sont seulement négatifs, que cette formule peut temporairement présenter, elle a toujours paru, à ce Siège Apostolique, trop éloignée du fondement moral sur lequel, seul, peut se développer la paix ; trop dispendieuse, vraiment, par la compétition continuelle qu’elle entraîne pour s’égaler et se dépasser dans les domaines de la force et des armements, trop dispendieuse, répétons-le, en moyens et en énergies qui devraient au contraire être consacrés à ces buts bien différents que sont le bien-être et le progrès pour tous les peuples ; anti-éducative pour les concepts de concorde et d’entente mutuelle : rempart trop fragile, enfin, contre le surgissement des tentations de prédominance et de violence qui, même par les réactions justifiées de défense qu’elles provoquent ou, parfois, par danger d’un calcul erroné pour en prévenir les manifestations que l’on craint de voir tourner à son désavantage, sont à l’origine de tant de situations de tension et de conflit.

Une telle fragilité est malheureusement confirmée par là situation actuelle, à laquelle Nous avons fait allusion.

4 Nos voeux de paix, traditionnels en cette période du Nouvel An encore baignée de la lumière de Noël, quasi spontanés en raison de la présence d’une assemblée aussi remarquable de personnes dont la mission spécifique est justement de prévenir et de résoudre malentendus ou conflits et d’assurer entre les Etats des relations bonnes ou au moins correctes, nos voeux de paix se font cette année plus vifs, plus insistants, plus urgents, presque implorants.

Implorants envers Dieu, auteur de la paix; mais implorants aussi envers les hommes, en particulier ceux qui ont davantage la possibilité — et sur lesquels pèse donc davantage la responsabilité — d’agir en ce domaine.

A la voix de la force — qui semble vouloir encore essayer de mettre en valeur ses propres arguments pour la solution violente, ou au moins coercitive des problèmes d’intérêts et de droits qui se sont progressivement reformés depuis la conclusion du dernier conflit mondial et qui, petit à petit, sont en train de devenir plus inextricables encore — il faut opposer inlassablement la voix forte et sereine de la raison, cette voix que la diplomatie sage et bonne a pour fonction et mission particulière de ne pas laisser intimider par la ruse d’autrui ou affaiblir par sa propre méfiance, pour qu’elle ne risque pas de se trouver étouffée à l’improviste par le crépitement des armes.

Oui, le monde a besoin — et aujourd’hui plus encore peut-être que dans les années passées — de l’action courageuse et persévérante d’une sage diplomatie, vouée à la sauvegarde de la paix dans toute sa dimension, dans ses causes et dans les conditions qui la rendent possible et sûre.

Nous félicitons tous ceux qui oeuvrent dans ce sens, et Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de le dire directement dans les rencontres qu’il Nous a été donné d’avoir, récemment encore, avec quelques-uns de ces « artisans de paix ». Nous les exhortons aussi à ne pas perdre courage face aux difficultés, mais à multiplier leurs efforts, dans un engagement inlassable, avec ténacité, lucidité et sagesse, en croyant aux raisons humaines de la justice, fondement de toute paix véritable et solide. Nous vous assurons enfin que le Siège Apostolique a toujours la ferme volonté de donner à la cause de la paix et à ce qui s’y rapporte, non seulement son appui moral, mais encore toute l’aide concrète possible.

Nous croyons que là réside la signification profonde et l’importance du fait que le Saint-Siège soit accepté et reconnu, avec une déférence quasi universelle, comme membre de la Communauté internationale. Nous voyons là, pour notre part, un des buts essentiels des rapports diplomatiques que le Saint-Siège entretient et continue à développer avec un nombre toujours croissant d’Etats.

Nous voudrions profiter aussi de la circonstance pour rappeler quelques réflexions que Nous avons eu déjà plus d’une fois l’occasion d’exprimer au sujet de ce qu’il est convenu d’appeler « la diplomatie du Saint-Siège ».

Elle n’est pas inspirée par un souci de prestige humain, par un désir de s’affirmer ou d’intervenir dans des domaines étrangers par nature à l’Eglise catholique. Elle n’est donc pas l’expression d’un esprit non-évangélique. Elle n’est pas en contradiction avec la mission évangélisatrice de l’Eglise : encore moins peut-elle viser à créer des difficultés ou des empêchements à cette mission.

Bien au contraire, le but premier et fondamental de cette diplomatie est d’assurer à l’Eglise, à ses possibilités de vie et d’action, partout et en toute situation historique, politique ou sociale, à sa liberté légitime, un service fidèle, même si ce service n’est pas toujours facilement ni toujours correctement perçu. La qualité première et essentielle requise de tous ceux qui sont appelés à ce service est donc une foi solide, avec la volonté d’exercer ainsi, de manière sincère et désintéressée, leur propre ministère ecclésial.

Mais ce service de l’Eglise n’est pas sans rapport avec les intérêts de la société civile elle-même. Non seulement pour la « paix religieuse » à laquelle il est ordonné, en faisant reconnaître les droits de la religion et en respectant en même temps les compétences légitimes et les buts propres, nobles et nécessaires, de l’Etat; mais aussi pour la garantie qu’un développement harmonieux des activités de l’Eglise offre à la formation du sens civique et moral des citoyens, à la paix de la vie en commun et à la coopération pour le juste progrès de la collectivité nationale.

Il est un engagement, cependant, que le Saint-Siège et sa diplomatie font particulièrement leur. C’est celui qui concerne les « droits de l’homme », déjà reconnus et affirmés par les Etats et par leurs organisations supranationales. A leur respect et à leur promotion toujours plus complète, l’Eglise catholique offre la collaboration exigée par la fidélité à sa doctrine et rendue plus précieuse par l’universalité de sa présence et de son action.

5 Sur la vaste scène du monde contemporain, le Saint-Siège veut être un facteur de vie internationale, moderne et pacifique, dans la fidélité à ses propres principes et en même temps dans la loyauté envers les autres membres de la communauté des nations, même si sur des problèmes cruciaux les positions respectives ne coïncident pas toujours totalement. Il prône une diplomatie tendue en avant pour affronter efficacement les problèmes toujours nouveaux et toujours plus complexes qui se posent à lui, tels ceux de la population, de la faim, de l’écologie, et cela dans un esprit de justice et de coopération, non de compétition et, encore moins, de domination.

En d’autres termes, le Saint-Siège entend agir avec force afin que des sentiments puissants de solidarité et de fraternité se substituent aux sentiments, toujours présents comme une menace permanente à la cohabitation pacifique des peuples, d’égoïsme de nation, de groupe, de race ou de culture.

En d’autres termes encore, et pour revenir au symbole évoqué par votre éminent interprète, le Saint-Siège veut appeler les hommes et les peuples à ne pas s’enfermer sur eux-mêmes en considérant seulement leurs intérêts particuliers, mais à ouvrir les portes de la compréhension et du coeur aux droits, aux besoins, aux justes et légitimes attentes et aspirations des autres, de tous les autres, même de ceux qui sont moins proches, ou qui, du fait de leurs faiblesse, ne peuvent appuyer leur revendications par des menaces.

Ceci nous amène, comme il se doit, à ne point nous limiter, dans notre appel à une action opportune et efficace en faveur de la paix, à la considération des seules zones du monde où la situation semble pouvoir élargir les risques de conflit à des régions beaucoup plus vastes, jusqu’à entraîner les grandes Puissances elles-mêmes et leurs alliés. Nous pensons ici au Moyen-Orient, sur lequel tant de fois nous sommes revenu et revenons encore, et aux complications nouvelles et sans cesse plus menaçantes apportées par ce qu’on appelle la guerre des sources d’énergie ; nous renouvelons notre appel à affronter ces situations complexes, non seulement avec sagesse et clairvoyance, mais dans un esprit de justice, d’équité, et de respect des règles du droit des peuples.

Il y a d’autres points dans le monde où la paix ne règne pas et où les populations continuent à souffrir des horreurs de la guerre, de la pauvreté, de la faim, de la misère, et cela, devant une opinion publique, sinon indifférente, du moins bien tiède, fatiguée ou distraite par d’autres préoccupations. Nous faisons nôtre leur voix qui appelle la tranquillité et la justice. Notre pensée rejoint en particulier les régions du Viêt-Nam — qui a été durant si longtemps le centre de l’attention du monde — et de la République Khmère : ces pays voient ces jours-ci se rallumer de façon menaçante des foyers non éteints d’hostilité et de guérilla, tendant à mettre en péril un équilibre demeuré instable, même là où toutes les parties responsables s’étaient engagées, par des accords explicites, à normaliser progressivement une situation depuis trop longtemps bouleversée. Plût au ciel que la conscience du monde se garde d’oublier ou de se désintéresser d’une tragédie que son prolongement ne rend pas moins douloureuse !

Que s’ouvrent les portes de la compréhension et du coeur également à l’intérieur de chaque nation, là où des situations de conflit ou de tension continuent à créer des représailles non moins graves, des agitations et de lourdes répressions !

Nous voudrions que l’appel lancé par Nous pour l’Année Sainte, porte beaucoup de fruits de réconciliation, de générosité et de pardon. Puisse-t-il du moins amener tout le monde à réfléchir sérieusement au devoir imprescriptible de ne jamais oublier, même lorsque s’affrontent des positions diverses ou lorsque s’opposent des intérêts divergents, le respect dû aux droits fondamentaux et à la dignité de la personne humaine, même à l’égard de l’adversaire, et même aussi, avec la prudence qui s’impose, à l’égard du coupable.

Notre entretien ne peut se terminer sans une claire parole d’optimisme chrétien que nous devons avoir : il est en effet bénéfique de la Providence divine, qui domine l’histoire et à laquelle nous présentons, dans la prière, les voeux de l’humanité entière qui aspire à la paix et à la justice, à la sérénité de la vie, au bien-être, au progrès moral, culturel, social, comme le désire tout membre de la grande famille humaine. Nous voulons aussi parler de cet optimisme humain, qui vient de ce que l’on considère les possibilités et la bonté foncière du genre humain, sa volonté de réaliser sur la terre, avec la collaboration de tous, son rêve pour les hommes d’une vie digne d’être vécue.

Peut-être est-ce une espérance plus qu’une prévision ? Disons que c’est un voeu. Le voeu que Nous exprimons, par votre intermédiaire, à toute la Communauté des peuples, et Nous lui adjoignons ceux que Nous formulons pour chacun de vous et pour votre haute mission.

Que le Tout-Puissant les exauce !





*AAS 67 (1975), p.97-103.

6 Insegnamenti di Paolo VI, XIII, p.33-40.

L’Osservatore Romano, 12.1.1975, p.1, 2.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.4 p.6, 7.

La Documentation catholique, n.1669 p.101-103.




30 janvier



LE DROIT, UNIQUE MÉTHODE VALABLE, POUR L’ORDRE PACIFIQUE DES RELATIONS HUMAINES





Le 30 janvier dernier le Saint-Père a reçu le Tribunal de la S. Rote Romaine, à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle année judiciaire. A l’adresse d’hommage du Vice-Doyen, le Saint-Père a répondu par un discours dont voici la traduction :



Nous trouvons toujours un motif de vive satisfaction dans cette audience annuelle qui nous permet de nous rencontrer avec le Tribunal de la S. Rote Romaine. Elle est une occasion propice pour exprimer à une aussi importante et illustre institution de la Curie Romaine, notre estime, notre reconnaissance, nos encouragements et tout spécialement notre bienveillance et nos voeux, nos bénédictions au début de la nouvelle année judiciaire.

Les courtoises paroles que vient de nous adresser Mgr le Vice-Doyen nous mènent également à une réflexion sur la fonction que depuis des siècles, en vertu du pouvoir judiciaire de la Sainte Eglise, le dit Tribunal exerce ici, près de notre Siège Apostolique où l’exercice d’un tel pouvoir s’accomplit dans sa dimension la plus étendue et dans sa responsabilité la plus grave et la plus consciente. C’est une fonction nécessaire en tant qu’elle intègre le pouvoir de juridiction concédé par le Christ aux Apôtres et, premier parmi eux, à l’Apôtre Pierre, en vue du gouvernement effectif de l’Eglise (cf. 1Co 4,20). Dès la première expérience de vie communautaire et hiérarchique de l’Eglise elle-même, une telle fonction se montra très utile à cause de sa dimension sociale et, comme vous le savez, elle fut aménagée très opportunément. Au cours des siècles elle se révéla indispensable autant que providentielle (cf. wernz-vidal, Jus. Can. VI, p. 23 et suiv.) ; c’est ce que le récent Concile reconnut implicitement en confirmant que cette fonction faisait partie de l’Office épiscopal et pontifical — droit et devoir — de gouverner l’Eglise de Dieu (cf. Lumen Gentium, LG 24,27 Christ. Dom. LG 2, 9, etc. ). On sait aussi que c’est une fonction libre et autonome vis-à-vis des Autorités préposées à l’ordre temporel, orientée comme elle l’est vers les personnes et des faits appartenant au domaine spirituel propre à l’Eglise visible et sociale ; à cette fonction il incombe en conséquence d’arbitrer la législation spécifique de celle-ci (cf. 1Co 6,1 et ss.). De plus, il s’agit d’une fonction qui se caractérise par le style et la finalité en vertu desquels se justifie et s’exerce dans l’Eglise le pouvoir juridictionnel qui est un pouvoir pastoral, c’est-à-dire un pouvoir de service, conçu en faveur, non pas de ceux qui en sont déjà investis, mais de ceux pour lesquels ceux-ci exercent leur propre autorité ; ceci est un principe dominant dans toute la conception constitutionnelle de la hiérarchie ecclésiastique, et à présent, grâce au récent Concile, rappelé à la conscience et à la praxis apostolique : s’en serait vivement réjoui le prophète mystique médiéval, Saint Bernard, si sensible et si exigeant à cet égard : « Nous devons bien comprendre écrivait-il au Pape Eugène III, son ancien élève, que c’est un office qui nous a été confié et non pas une domination » (De Consideratione, II, 6 : « impositum... ministerium non dominium datum » ; P.L. 182, 747). Nous vous disons cela parce que nous aussi, nous éprouvons l’amertume qui transparaissait dans la voix sereine de Monseigneur le Vice-Doyen quand il a signalé certaines insinuations malignes et certaines appréciations injustes contre cet honnête organe judiciaire du Saint-Siège, comme, en général à l’égard du pouvoir propre des Tribunaux ecclésiastiques, alors que nous connaissons l’intégrité traditionnelle de la S. Rote Romaine, le sens austère et objectif de la justice chrétienne qui inspire son oeuvre et, nous pouvons le dire, dans la même ligne, celle des Eglises locales ; un sens de la justice qui mérite nos applaudissements et notre confiance et que nous souhaitons voir rester inaccessible toujours aux faiblesses d’intérêts particuliers, comme aux sophismes du relativisme éthique et de l’opportunisme juridique et, en même temps, toujours attentif à reconnaître les aspects humains qui transparaissent de plus en plus nettement dans le développement de la coexistence sociale ; à leur égard l’application abstraite de la norme juridique se tempère et s’ennoblit grâce à la sagesse d’enquêtes les plus complètes et les plus profondes et des procédés les plus équitables, parfois même très indulgents.

A ce propos nous tenons à vous faire part d’une pensée insistante qui concerne un double devoir inhérent à l’exercice de la justice ; un double devoir presque caractéristique de la mission régulatrice de différends qui se répètent dans les relations humaines et sont de la compétence de la justice ecclésiastique. Le premier devoir est celui de la sauvegarde — et par le fait même de l’affirmation et de l’apologie — de ces valeurs qui, pour des raisons indiscutables : bibliques, théologiques ou rationnelles revêtent un caractère d’intangible austérité sanctionnées par le droit divin: elles sont par conséquent tenues pour sacrées par le magistère ecclésiastique et doivent toujours être professées par la correcte conscience humaine. Et parmi tant d’autres, n’y trouve-t-on pas ce droit divin et par conséquent ce devoir humain de l’indissolubilité du mariage parfait et véritable, c’est-à-dire ratifié et consommé, qui constitue la matière la plus fréquente et la plus grave de votre activité judiciaire ? Et cette défense claire et inflexible de l’institution conjugale et par conséquent dé l’institution familiale, base fondamentale d’une société morale, saine et civilisée, n’est-elle pas une très haute mission, un mérite incomparable de votre saint Tribunal et de tous les autres Tribunaux qui, dans l’Eglise Catholique, ont le Droit Canonique pour propre loi ? Quel service vital, quel exemple typique, quelle noble leçon de sagesse et de force ne donnez-vous pas au Peuple de Dieu et, par ricochet, à la civilisation humaine ! On pourrait étendre cette considération à d’autres chapitres de la vie en butte aujourd’hui à d’invraisemblables contestations, telle la légalisation de l’avortement provoqué ; on pourrait l’étendre aussi à d’autres attentats aux droits fondamentaux de l’homme, ainsi qu’aux menaces s’élevant contre la paix et en faveur — hypothétique mais non impossible — des plus meurtriers parmi les instruments de massacres et de guerres. Ces conflits-là échappent à votre compétence, on le sait parfaitement ; mais ils ne sont pas soustraits au rayonnement d’idéal qui émane de votre roc de sagesse juridique et qui met en garde l’humanité et l’encourage à faire de la raison, de la justice, du droit, la grande et seule méthode capable de garantir l’ordre le meilleur et le plus pacifique dans les relations humaines. Vous les gratifiez ainsi, sans dévier de la soumission aux exigences de la loi divine et humaine, d’un formidable facteur de justice et de paix : la charité, cet amour qui a sa source en Dieu et retourne à Dieu lui-même, et qui imprègne votre service austère, d’un caractère nouveau et tout particulier, le caractère pastoral.

Et voici le second devoir, celui précisément de la sollicitude pastorale de votre activité judiciaire. Oh ! nous n’ignorons pas à quel point vous connaissez, méditez et pratiquez l’ensemble des vertus professionnelles propres aux Juges dans l’Eglise Catholique. Que ceci soit dit en faveur de vos dignes personnes auxquelles nous aimons penser que tous les membres de votre tribunal sont associés de manière exemplaire ; mieux, nous souhaitons que le soit tout le corps d’élite des Avocats et des Experts, participants eux aussi, non seulement du travail de la S. Rote, mais tout autant de son esprit digne d’éloge, de son niveau moral très élevé. Nous voulons que ce vénérable Tribunal apparaisse à tous, à l’Eglise, au monde, comme un laboratoire de qualités juridiques, non inférieur aux autres dans le forum civil.

Mais les valeurs morales ne suffisent pas toujours à satisfaire aux nécessités techniques de l’administration de la justice; il faut des lois, il faut une procédure qui les rende précises et expéditives. Et quant à cet autre aspect de votre activité, où l’aspect moral peut précisément être le mieux documenté, vous savez que se trouve à l’étude, pour ne pas dire en acte, la révision du Code de Procédure canonique, confiée aux soins et à la compétence de la Commission Pontificale constituée ad hoc.

7 Entre-temps on a cru opportun d’assouplir la procédure du Code en matière matrimoniale, au moyen des dérogations particulières contenues dans le Motu Proprio Causas Matrimoniales, né de la nécessité d’« étendre ad experimentum à toute l’Eglise un certain nombre de facilités » — selon les termes de la Commission Pontificale pour la Révision du Code de Droit Canonique — en réponse à des requêtes présentées par divers Episcopats désireux d’obtenir, en matière de procédure dans les causes matrimoniales, certaines facilités en dérogation au droit en vigueur. Le document a été promulgué le 28 mars 1971, comme vous le savez, et il est entré en vigueur le 1er octobre de la même année, suivi d’un document analogue pour les Eglises Orientales et contenant les mêmes normes.

Le Motu Proprio Causas Matrimoniales suit les lignes fondamentales du procès canonique traditionnel, introduisant les modification suivantes dans la procédure :

a) extension de la compétence des tribunaux ecclésiastiques locaux et possibilité du transfert de la cause, avant sa conclusion, d’un tribunal à un autre également compétent ;

b) possibilité d’un juge unique dans des cas particuliers, mais seulement en première instance. En outre possibilité que le collège soit composé de deux juges ecclésiastiques et d’un laïc ;

c) modification en matière d’appel, accordant que la sentence affirmative en première instance puisse être confirmée par arrêt du tribunal d’appel, quand se présentent certaines conditions, sauf toutefois le droit d’appel au tribunal supérieur contre un semblable arrêt lorsque la défense dispose de nouveaux et graves arguments ; extension des cas qui peuvent être traités avec procédure sommaire.

Quels sont en réalité les effets du Motu Proprio ? S’est-il révélé utile ? De quels inconvénients s’est-on plaint ?

Bien qu’on ne dispose pas encore de données officielles sur les résultats acquis grâce au Motu Proprio lui-même, on a l’impression d’une satisfaction unanime des Conférences Episcopales et des tribunaux pour les facilités de procédure ainsi concédées. Cette impression a été confirmée par le consentement manifesté par les différents Consulteurs qui viennent souvent de toutes les parties du monde et se rencontrent près la Commission Pontificale pour travailler au nouveau Code.

En rédigeant le nouveau Droit de procédure en matière matrimoniale, on aura soin de supprimer les points obscurs qui se rencontrent ci et là dans l’interprétation du Motu Proprio Causas Matrimoniales.

Il est vivement souhaitable qu’avec la promulgation du nouveau Code de procédure, disparaissent les inutiles diversités qui se constatent dans les différentes régions ecclésiastiques; souhaitable également que pour la solution des causes matrimoniales il soit toujours suivi une procédure en conformité avec les différentes formes contemplées dans la loi.

Tout ceci indique quels soins particuliers le Saint-Siège réserve à l’exercice du pouvoir judiciaire ecclésiastique et comment il tend, par les simplifications introduites dans l’examen des causes matrimoniales, à rendre l’exercice plus aisé et, du même fait, plus pastoral, sans porter préjudice aux critères de vérité et de justice auxquels un procès est en droit, honnêtement de s’attendre ; le Saint-Siège considère ainsi avec confiance que la responsabilité et la sagesse des Pasteurs y seront plus directement et religieusement engagées.

Et ceci vous démontre également, Membres d’élite du célèbre et séculaire Tribunal de la S. Rote Romaine, l’intérêt, l’estime, la confiance, avec lesquels nous suivons votre oeuvre, si délicate, si difficile et précieuse, et avec quelle reconnaissance, avec quels voeux nous échangeons les vôtres, invoquant sur vous la divine assistance au moyen de notre Bénédiction Apostolique.






Discours 1975