Messages 1972


PAULUS PP. VI








4 septembre



V° JOURNEE MONDIALE DE L’ALPHABETISATION





Voici le Message adressé par le Saint-Père à M. Maheu, Directeur Général de l’Unesco, à l’occasion de la Cinquième Journée Mondiale de l’alphabétisation :



A l’occasion de la célébration de la Journée internationale annuelle de l’alphabétisation, nous tenons à vous redire tout l’intérêt que nous portons à l’effort si remarquable de l’UNESCO en ce domaine, et à vous renouveler l’assurance de notre appui et du concours que l’Eglise a le souci d’apporter à cette tâche qui répond à l’un des besoins majeurs de notre temps.

Poursuivant avec ténacité, notamment par des projets-pilotes soigneusement évalués, l’amélioration des méthodes de l’alphabétisation et son extension, l’UNESCO, bien loin de se laisser décourager par les difficultés rencontrées, y a trouvé une plus forte détermination dans la lutte contre l’analphabétisme et en a mieux mesuré l’enjeu.

Nous sommes particulièrement attentif à la place que donne l’UNESCO, dans cette, entreprise, à la formation des alphabétiseurs. Elle apparaît de plus en plus une condition essentielle d’efficacité et c’est pourquoi cette préoccupation est de plus en plus partagée, en de nombreux organismes catholiques, par ceux qui oeuvrent en faveur de l’alphabétisation.

En cette année du Livre, nous nous plaisons à relever l’importance qu’attache votre Organisation à l’élaboration de textes, tant pour l’alphabétisation elle-même que pour le maintien et le perfectionnement de la lecture des alphabétisés. Nous souhaitons vivement que ces textes, en même temps qu’ils apportent des connaissances utiles, soient aptes, par leur esprit et leur contenu, à contribuer au progrès moral et spirituel des lecteurs.

Nous nous réjouissons aussi de constater que, tout en s’attachant à l’alphabétisation en ce qu’elle a de spécifique, l’UNESCO est de plus en plus soucieuse de la situer et de l’intégrer dans l’ensemble des tâches éducatives. Celles-ci, en effet, constituent un tout dont les éléments doivent être harmonisés en vue, à la fois, d’une plus grande efficacité et de la formation intégrale de l’homme. Nous vous disons donc, Monsieur le Directeur Général, notre appréciation des initiatives récemment prises en ce sens.

En formulant nos meilleurs voeux pour le juste succès que mérite cette grande oeuvre de l’alphabétisation, nous appelons de grand coeur, sur ceux et celles qui lui consacrent leur générosité et leur compétence, l’abondance des divines Bénédictions.



Du Vatican, le 4 Septembre 1972.




PAULUS PP. VI






22 octobre



LA COOPERATION MISSIONNAIRE, UN DEVOIR POUR TOUS LES CHRETIENS





Pour la Journée Missionnaire Mondiale, célébrée le 22 Octobre, le Saint-Père Paul VI a adressé au peuple de Dieu le Message suivant :



A tous nos Frères et Fils de l’Eglise Catholique !



En vous adressant ce message pour la prochaine Journée Missionnaire d’Octobre 1972, nous ne pouvons pas faire moins que rappeler, en en rendant grâce à Dieu, la triple commémoration jubilaire de cette année.



Trois anniversaires





Il y a trois cent cinquante ans, en 1622, pendant le Pontificat du Pape Grégoire XV, fut instituée à Rome la Sacrée Congrégation “ de Propaganda Fide ” qui commençait une nouvelle époque dans l’histoire des missions, époque caractérisée par un sens plus profond de l’unité et de la catholicité dans les directives et dans les structures de l’apostolat missionnaire, par une considérable renaissance apostolique des anciens Ordres religieux, par la fondation de nouveaux Instituts consacrés à l’évangélisation du monde non chrétien et par une croissante coopération populaire en faveur des missions.

De cette renaissance missionnaire commencée par la Sacrée Congrégation de la Propagande, est en grande partie le fruit, la floraison des initiatives de coopération missionnaire tout au long du XIX° siècle.

En 1822 — il y a 150 ans — grâce au zèle missionnaire et à l’amour pour l’Eglise de la jeune française Pauline Jaricot, naissait à Lyon l’Oeuvre appelée de la Propagation de la Foi, avec un programme très clair d’aide spirituelle et matérielle à toutes les missions.

Un siècle plus tard, en 1922 — nous en commémorons aujourd’hui le cinquantenaire — Pie XI faisant sienne l’idée de Benoît XV, transformait l’Oeuvre de la Propagation de la Foi en “ organe propre du Siège Apostolique ” (Motu Proprio “ Romanorum Pontificum ”) pour aider toutes les missions catholiques, et déclarait aussi Pontificales (ibid.) l’Oeuvre de Saint-Pierre Apôtre pour le Clergé indigène et l’Oeuvre de la Sainte Enfance, chargeant les évêques de les promouvoir dans leurs diocèses par l’intermédiaire de l’Union Missionnaire du Clergé (ibid.).

En mémoire de ce triple événement, nous désirons que la Journée Missionnaire Mondiale de cette année constitue un acte chaleureux d’admiration, de reconnaissance, d’aide envers la Sacrée Congrégation “ de Propaganda Fide ”, maintenant appelée pour l’Evangélisation des Peuples ; pour la très large contribution donnée au développement de l’activité missionnaire de l’Eglise et envers les OEuvres Pontificales Missionnaires qui ont développé parmi tout le Peuple de Dieu un esprit vraiment universel et missionnaire, facilitant en grande partie à ladite Congrégation la mise en oeuvre de ses plans apostoliques.

Nous souhaitons que cette année la Journée Missionnaire marque pour tout le Peuple de Dieu un pas en avant décisif dans la compréhension de ses devoirs missionnaires et dans sa collaboration à ces OEuvres de portée universelle qui, appelées Pontificales par antonomase, sont aussi d’ailleurs vraiment Episcopales.

Parmi de nombreux catholiques existe le danger de ne pas se préoccuper du tout de l’activité évangélique de l’Eglise parmi les peuples non chrétiens. Pour une telle tâche — c’est ainsi qu’ils s’excusent — le Pape a à sa disposition un Dicastère spécial et il y a en plus les Instituts missionnaires avec leurs collaborateurs et leurs bienfaiteurs.

Il est certain que le précepte ne prescrit pas à tous les chrétiens de partir prêcher l’Evangile aux peuples. Pour une telle tâche le Seigneur choisit un nombre déterminé de prêtres, de religieux et de laïcs qui, ensuite, sont envoyés dans les missions par l’autorité légitime. Mais que l’on tienne bien compte que ceux-ci sont “ envoyés ” au nom de tout le Peuple de Dieu puisque “ ils se chargent comme d’un office propre de la mission d’évangélisation qui appartient à toute l’Eglise ” (Ad Gentes, AGD 23).



Gravité et urgence du problème





Il ne faut pas oublier les répétées et solennelles affirmations des derniers Pontifes sur la gravité, l’urgence et l’universalité du devoir missionnaire que le Concile Vatican II a souligné d’une manière particulière.

Celui-ci, en effet, affirme que le Peuple de Dieu “ constitué par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, est entre ses mains l’instrument de la Rédemption de tous les hommes et il est envoyé au monde entier comme lumière du monde et sel de la terre ” (Lumen Gentium, LG 9), que l’Eglise est missionnaire par sa nature et par mandat (Ad Gentes, AGD 2,35), et par conséquent le devoir missionnaire concerne tous et chacun de ses membres et toutes et chacune de ses Eglises et communautés locales (Lumen Gentium, LG 9).

Ce devoir concerne premièrement et immédiatement le Pape et les évêques (Ad Gentes, AGD 29 AGD 38), et d’une manière particulière les prêtres, les religieux et les religieuses en raison de leur consécration au service de Dieu et de l’Eglise (Ad Gentes, AGD 39 AGD 40) ; mais aucun fidèle chrétien ne doit se croire dispensé de ce devoir puisque, par le baptême, il a été incorporé à une Eglise essentiellement missionnaire (Ad Gentes, AGD 36). Effectivement tous les chrétiens sont obligés de coopérer aux missions selon leurs propres capacités : certains pouvant le faire par la parole, d’autres par la plume, ceux-ci par l’argent, ceux-là par le travail manuel, d’autres enfin consacreront leur temps aux missions. A tous se présente l’opportunité d’offrir pour les missions leurs prières et leurs tribulations, leurs joies et leurs douleurs.

Et cette universalité du devoir missionnaire est si claire que le Concile, en traitant de l’initiation chrétienne parmi les catéchumènes, dispose que ceux-ci, avant de recevoir le baptême, “ doivent apprendre à coopérer activement à l’évangélisation et à la construction de l’Eglise ” (Ad Gentes, AGD 14).



La situation des jeunes Eglises





En ce qui concerne ensuite les jeunes Eglises qui, en tant que telles, sont généralement très pauvres de personnel et de moyens, le Concile ajoute qu’il est convenable “ qu’elles participent effectivement à la mission universelle de l’Eglise ... La communion avec l’Eglise universelle atteindra d’une certaine manière sa perfection lorsque, elles aussi, elles participeront activement à l’action missionnaire auprès d’autres nations ” (Ad Gentes, AGD 20).

Ce devoir de coopération à l’oeuvre des missions pourrait paraître à quelques-uns — étant donné l’annonce d’une Journée Annuelle des Missions — qu’on doit accomplir son devoir seulement un jour par an. C’est tout différent. Il ne s’agit pas d’une recommandation marginale, mais d’un devoir fondamental du Peuple de Dieu, inhérent à la nature même de l’être chrétien (Ad Gentes, AGD 36) ; le “ devoir le plus important et le plus sacré de l’Eglise ” (Ad Gentes, AGD 29).



Harmonie des membres du Corps Mystique





Comme la respiration ne peut jamais s’interrompre sous peine de mort, ainsi la préoccupation missionnaire ne peut se limiter à une seule journée (annuelle si on ne veut pas courir le risque de compromettre l’avenir de l’Eglise et notre propre existence chrétienne. C’est pour cette raison que, dans le document important post-conciliaire Ecclesiae Sanctae (III, 3), par lequel on applique à la pastorale pratique les règles conciliaires, on affirme que la Journée Missionnaire Mondiale doit être l’expression spontanée d’un esprit missionnaire maintenu vivant tous les jours par les prières et les sacrifices quotidiens. L’asphyxie spirituelle dans laquelle se débattent aujourd’hui tristement dans le sein de l’Eglise catholique tant d’individus et d’institutions, n’aurait-elle pas peut-être son origine dans l’absence prolongée d’un authentique esprit missionnaire?

Des problèmes parfois immédiats, de transcendance très limitée, font oublier le formidable problème de la mission universelle de l’Eglise.

Combien de tensions internes qui débilitent et déchirent certaines Eglises et Institutions locales disparaîtraient en face de la ferme conviction que le salut des communautés locales se conquiert par la coopération à l’oeuvre missionnaire pour que celle-ci s’étende jusqu’aux confins de la terre ! (cf. Ad Gentes, AGD 37).

Il y a une affirmation du Concile Vatican II que nous désirons qui soit méditée attentivement : “ Les membres de ce corps sont tellement unis et solidaires (dans le Corps mystique du Christ) qu’un membre qui ne travaillerait pas selon ses possibilités à la croissance du corps devrait être réputé mutile pour l’Eglise et pour lui-même ” (Apostolicam Actuositatem, AA 2).

Il y a une circonstance qui rend encore plus urgente et plus grave cette responsabilité missionnaire du Peuple de Dieu. Nous faisons allusion aux multiples possibilités offertes par le monde d’aujourd’hui pour une pénétration universelle et simultanée du Message évangélique. Nous voyons heureusement transformer en réalité la présence historique de l’Eglise parmi tous les peuples. Malgré cela il y a des pays qui se ferment volontairement à l’Evangile. C’est un fait évident que tous les peuples vont toujours se cherchant davantage entre eux et se mettent donc aussi en relation avec l’Eglise.

Cette nouvelle et providentielle situation de l’Eglise dans le monde nous fait comprendre les grands devoirs et avantages qui nous sont offerts aujourd’hui dans le domaine de la coopération missionnaire pour une diffusion sur l’échelle mondiale de l’idéal missionnaire et pour une aide de vastes dimensions à toutes les missions de l’Eglise.

C’est la géniale intuition de ce fait qui a poussé notre prédécesseur Pie XI à instituer en 1926 là Journée Missionnaire Mondiale, initiative qui s’est transformée en une aide puissante et indispensable pour les missions qui dépendent de la Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples.



Les oeuvres pontificales





Tous les fils de l’Eglise et toutes ses institutions sont appelés à la préparation de ce grand Jour Missionnaire : les prêtres diocésains, les missionnaires, les religieux et les religieuses et ceux qui appartiennent à toutes les oeuvres d’apostolat laïc. Mais ils s’adressent d’une manière particulière aux OEuvres Pontificales que, comme nous l’avons dit, nous pouvons considérer comme vraiment Episcopales, à savoir : l’OEuvre de la Propagation de la Foi, l’OEuvre de Saint-Pierre Apôtre pour le Clergé indigène, l’OEuvre de la Sainte Enfance et l’Union Missionnaire de toutes les âmes consacrées, âme des trois précédentes.

Bien que l’OEuvre de la Propagation de la Foi soit spécialement appelée à promouvoir et à organiser cette Journée, sous la direction du Saint-Siège et des évêques, tout le système missionnaire collabore activement à sa préparation. Les prêtres de l’un et l’autre clergé, les religieuses et les frères laïcs réunis dans l’Union Missionnaire, les enfants associés de la Sainte Enfance, les jeunes étudiants promoteurs de l’OEuvre de Saint-Pierre Apôtre, bien qu’ils célèbrent dans le cours de l’année leurs journées spéciales conformes à leurs propres règles, doivent cependant considérer la Journée Missionnaire Mondiale comme le point culminant de leur constante activité missionnaire.

A cinquante années de l’élévation au rang Pontifical des OEuvres Missionnaires, nous voulons leur témoigner notre très spéciale affection, notre profonde gratitude pour les services rendus au Saint-Siège et à l’Eglise entière et les proclamer encore une fois le principal instrument du Saint-Siège et de l’Episcopat dans le domaine de la coopération missionnaire, “ puisque — comme l’a proclamé le Concile — elles ont des moyens pour pénétrer les catholiques, dès leur enfance, d’un esprit vraiment universel et missionnaire, et pour provoquer une collecte efficace de subsides au profit de toutes les missions selon les besoins de chacune ” (Ad Gentes, AGD 38). D’ailleurs, au sujet de ces oeuvres qui nous sont si chères, nous avons déjà déclaré dans notre premier message pour la Journée Missionnaire de 1963 “ bien que nous n’excluions pas d’autres initiatives d’aide aux missions et pour des fins particulières, elles surpassent évidemment toutes les autres OEuvres en ce qu’elles sont une expression plus directe et plus complète de la sollicitude du Pasteur Suprême du troupeau de Dieu pour toutes les Eglises ”.

L’exacte organisation de la coopération missionnaire, qui doit être dirigée par les évêques aux niveaux national et diocésain, tiendra compte de la structure spéciale pontifico-épiscopale de ces OEuvres et de la nécessité de coordonner avec elles les droits et les initiatives des Instituts religieux et des oeuvres missionnaires particulières.



Universalisme missionnaire





Depuis leur naissance, ces OEuvres ont été caractérisées par le plus pur universalisme missionnaire et c’est justement cette qualité particulière qui a été la raison principale qui les a fait choisir pour être converties en “ instruments officiels ” du Siège de Pierre pour aider toutes les missions (M. P. Romanorum Pontificum).

“ Justement parce que nous sommes catholiques — déclarait le premier Président de l’OEuvre de la Propagation de la Foi, il y a 150 ans, l’année même où l’OEuvre était fondée par Pauline Jaricot — nous ne voulons pas soutenir telle ou telle mission en particulier, mais toutes les missions du monde ”.

L’universalisme missionnaire doit être aussi le motif dominant qui anime tous les actes organisés autour de la Journée Missionnaire Mondiale que nous annonçons.

Sachez enfin que cette Journée, en vertu du document de sa fondation, est aussi destinée à la promotion des OEuvres Pontificales Missionnaires et en particulier de l’OEuvre de la Propagation de la Foi.

Nous connaissons les difficultés que ces OEuvres rencontrent sur leur route, spécialement de nos jours ; mais c’est d’un grand réconfort pour nous que la pensée que, malgré tout, ces OEuvres Pontificales Missionnaires dans leur ensemble non seulement n’ont pas ralenti leur marche mais, dans certains pays, ont dépassé leurs anciens records.

Nous prions le Seigneur pour que les OEuvres Pontificales Missionnaires rénovées dans leurs structures, conformes aux orientations pastorales du Concile Vatican II, et sous la conduite de l’humble Vicaire du Christ et des évêques, puissent commencer en cette année 1972 une nouvelle ère de plénitude et de développement et réaliser leur programme d’incorporer tout le Peuple de Dieu, d’une manière efficace et consciente, à l’oeuvre missionnaire de l’Eglise.

Et dans cet espoir nous accordons à tous Nos Frères dans l’Episcopat, aux prêtres et religieux, aux religieuses et aux fidèles du laïcat catholique, Notre Bénédiction Apostolique, en gage de profonde gratitude et de chaleureux encouragement pour leur généreuse collaboration.




PAULUS PP. VI






8 décembre



LA PAIX EST POSSIBLE





Nous nous adressons à vous, hommes responsables de l’humanité, gouvernants, diplomates, représentants des nations, politiques, philosophes et hommes de science, publicistes, industriels, syndicalistes, militaires, artistes, à vous tous qui oeuvrez pour le sort des relations entre les peuples, entre les Etats, entre les tribus, entre les classes, entre les familles humaines.

A vous, aussi, citoyens du monde, jeunes de la génération montante, étudiants, professeurs, travailleurs, hommes et femmes; à vous, qui réfléchissez, qui espérez ou désespérez, qui souffrez ; à vous pauvres, orphelins, victimes de la haine, de l’égoïsme et de l’injustice qui prévaut encore.

Oui, Nous voulons encore une fois vous faire entendre notre voix, humble et forte, comme prophète d’une Parole qui nous dépasse et qui nous pénètre comme votre avocat et non comme celui de quelque intérêt qui serait nôtre, comme frère de toute personne de bonne volonté, samaritain se tenant aux pieds de quiconque pleure et attend un secours, serviteur, comme Nous nous définissons, des serviteurs de Dieu, serviteur de la vérité, de la liberté, de la justice, du développement et de l’espérance. Nous voulons vous parler encore, en ce nouvel An 1973, de la paix. Oui, de la paix ! Ne refusez pas de Nous écouter, même si, sur ce thème, vous connaissez tout, ou du moins croyez tout connaître.



Notre message est simple comme un axiome : la paix est possible. Un choeur de voix Nous assaille, pour Nous dire : nous le savons. Bien plus, Nous sommes comme harcelé et couvert par ces voix qui proclament : elle n’est pas seulement possible, elle est réelle. La paix est déjà établie, nous répond-on. Sans doute, nous portons encore le deuil de ces innombrables victimes des guerres, qui ont ensanglanté, plus encore que les siècles passés, ce siècle qui se présente comme le sommet du progrès. Le visage de notre génération adulte est encore sillonné des cicatrices horribles des derniers conflits militaires et civils. Et les dernières plaies restées ouvertes renouvellent encore dans les membres du peuple nouveau le frisson de frayeur, lorsque se présente l’hypothèse trop habituelle d’une nouvelle guerre. Mais la sagesse a finalement triomphé : les armes se taisent et rouillent dans les dépôts, comme des instruments désormais inutiles de la démence surmontée. Des institutions officielles et universelles garantissent à tous la sécurité et l’indépendance ; la vie internationale est organisée selon des documents désormais indiscutables, et avec des moyens d’une efficacité immédiate, pour résoudre, avec les tables rondes du droit et de la justice, toute controverse possible. Le dialogue entre les peuples est quotidien et loyal. Et par-dessus tout, un réseau formidable d’intérêts communs rend les peuples solidaires entre eux. La paix est désormais acquise à la civilisation. Ne troublez pas la paix, Nous répond-on, en la soumettant à la discussion. Nous avons d’autres questions neuves et originales à traiter ; la paix est réelle, la paix est sûre ; désormais, elle est hors de discussion.

Est-ce bien vrai ? Puisse-t-il en être ainsi !

Mais ensuite, la voix de ceux qui affirment la victoire de la paix sur toute réalité qui lui est contraire se fait plus timide et incertaine : elle, admet qu’en réalité, et malheureusement, il y a, ici et là, des situations douloureuses ou la guerre fait rage encore avec sa cruauté. Hélas ! Il ne s’agit pas de conflits enfouis dans les annales de l’histoire mais de conflits actuels ; ce ne sont pas des épisodes éphémères, puisque ces conflits durent depuis des années. Ils ne sont pas superficiels, car ils ont une répercussion profonde dans les rangs des unités militaires très bien armées comme dans les foules sans défense des populations civiles. Ils ne sont pas faciles à régler, car tout l’art des tractations et des médiations s’y est épuisé sans résultat. Ils ne sont pas inoffensifs pour l’équilibre général du monde, car ils couvent un potentiel croissant de prestige blessé, de vengeance implacable, de désordre endémique et organisé. Ils ne s’avèrent pas négligeables, comme si le temps y apportait un remède naturel, puisque leur élément toxique pénètre les esprits, corrompt les idéologies humanitaires, devient contagieux et se transmet aux plus jeunes générations, en les entraînant dans la secousse, d’une façon quasi fatale et héréditaire. La violence redevient à la mode et va jusqu’à se revêtir de la cuirasse de la justice. Elle se propage comme une habitude, favorisée par tous les ingrédients de la délinquance traîtresse et par toutes les astuces de la bassesse, du chantage, de la complicité ; et elle se profile comme un spectre apocalyptique armé d’instruments inouïs de destruction meurtrière.

On voit renaître les égoïsmes des collectivités, des familles, des sociétés, des tribus, des nations, des races. Le délit ne fait plus horreur. La cruauté devient fatale, comme la chirurgie d’une haine déclarée légitime. Le génocide s’annonce comme le monstre pouvant résulter du remède radical. Et derrière ces horribles fantasmes se planifie selon des proportions gigantesques, impassiblement et avec des calculs infaillibles, l’économie des armements, et des marchés qui entraînent la faim. La politique reprend alors ses programmes de puissance auxquels elle ne peut renoncer.

Et la paix ?

Oh ! Oui, la paix ! Elle peut également, dit-on encore, survivre et coexister dans une certaine mesure, même dans les conditions les plus défavorables du monde. Même dans les tranchées de la guerre, ou dans les périodes calmes de la guérilla, bu dans les ruines de tout ordre normal, il y a des recoins et des moments de tranquillité ; la paix aussitôt s’y adapte et, de quelque manière, y fleurit. Mais ce reste de vitalité, pouvons-nous le nommer la vraie paix, l’idéal de l’humanité ? Cette capacité modeste et prodigieuse de récupération et de réaction, cet optimisme désespéré, peuvent-ils apaiser l’aspiration suprême de l’homme à l’ordre et à la plénitude de la justice ? Donnerons-nous le nom de paix à ses contrefaçons ? “ Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant ! ” (Tacite). Ou bien donnerons-nous le nom de paix à une trêve, à un simple armistice ? à une prépondérance érigée en droit ? à un ordre extérieur fondé sur la violence et sur la crainte? ou encore à un équilibre précaire de forces divergentes ? à un bras de fer constitué par les tensions bloquées de puissances opposées ? Hypocrisie nécessaire dont l’histoire est remplie. Certes, bien des choses peuvent prospérer pacifiquement même dans les situations précaires et injustes. Il faut être réaliste, disent les opportunistes : là se trouve la seule paix possible ; elle est une transaction, un accommodement partiel et fragile. Les hommes ne seraient pas capables d’une paix meilleure.

Ainsi, à la fin du vingtième siècle, l’humanité devrait se contenter d’une paix résultant d’un jeu d’équilibre diplomatique et d’intérêts antagonistes qui se contrebalancent, et de rien de plus ?

Nous pensons qu’une parfaite et stable “ tranquillitas ordinis ”, c’est-à-dire une paix absolue et définitive entre les hommes, même s’ils sont parvenus à un niveau élevé et universel de civilisation, ne peut être qu’un rêve, non pas faux mais qui ne se vérifie pas, un idéal, non pas irréel, mais à réaliser ; parce que tout est changeant dans le cours de l’histoire et parce que la perfection humaine n’est ni univoque, ni fixée. Les souffrances humaines ne disparaissent pas. L’égoïsme est un mal radical qu’on ne réussit jamais à déraciner complètement de la psychologie humaine. Dans celle des peuples, il prend couramment la forme et la puissance des raisons d’exister, il fait fonction de philosophie idéale. C’est pourquoi nous nous trouvons devant la menace d’un doute qui peut être fatal : la paix est-elle jamais possible ? Et le doute se transforme facilement chez certains en une désastreuse certitude : la paix est impossible !

Une nouvelle, ou plutôt une antique conception de l’homme resurgit : l’homme est fait pour combattre l’homme : “ homo homini lupus ”. La guerre est inévitable. La course aux armements, comment l’éviter ? C’est une exigence primordiale de la politique. C’est donc une loi de l’économie internationale.

C’est une question de prestige.

D’abord l’épée ; ensuite la charrue. Il semble que cette conviction prévale sur toute autre, même pour certains peuples en voie de développement, qui s’insèrent péniblement dans la civilisation moderne et qui s’imposent d’énormes sacrifices pris sur le budget indispensable aux besoins élémentaires de la vie ! En lésinant chez eux sur l’alimentation, les soins médicaux, l’instruction, les communications, l’habitat et, en définitive, sur la véritable indépendance économique et politique, afin d’être armés, d’inspirer la crainte et d’imposer la servitude à leurs propres voisins, souvent ils ne pensent plus à offrir leur amitié, leur collaboration, leur bien-être, mais seulement un aspect farouche de supériorité dans l’art de l’offensive et de la guerre. La paix, beaucoup le pensent et l’affirment, est impossible, aussi bien comme idéal que comme réalité.

Au contraire, voici notre message ; le vôtre, ô hommes de bonne volonté, le message de l’humanité universelle : la paix est possible ! Elle doit être possible.

Oui, car tel est le message qui monte des champs de bataille des deux guerres mondiales comme de ceux des autres conflits armés récents qui ont ensanglanté la terre ; c’est la voix mystérieuse et formidable des soldats morts au champ d’honneur et des victimes des conflits passés ; c’est le gémissement douloureux qui monte des tombes innombrables des cimetières militaires et des monuments sacrés dédiés aux Soldats Inconnus : la paix, la paix, et non la guerre. La paix est la condition et la synthèse de la coexistence humaine.

Oui, car la paix a vaincu les idéologies qui lui sont opposées. La paix est, par dessus tout, une condition de l’esprit. Finalement elle a pénétré, comme une nécessité logique et humaine, dans la conscience d’un grand nombre et spécialement dans celle des jeunes générations : il doit être possible, disent-ils, de vivre sans haïr et sans tuer. Une pédagogie nouvelle et universelle s’impose, la pédagogie de la paix.

Oui, car la maturité de la sagesse des citoyens a exprimé ce projet obvie : au lieu de confier la solution des contestations humaines au duel irrationnel et barbare de la force aveugle et homicide des armes, nous fonderons des institutions nouvelles où la parole, la justice, le droit s’expriment et réalisent une loi sévère et pacifique pour régir les rapports internationaux. Ces institutions, et la principale d’entre elles, l’Organisation des Nations Unies, ont été fondées ; un humanisme nouveau les soutient et les honore : un engagement solennel rend solidaires les membres qui y adhèrent ; une espérance positive et universelle les reconnaît comme des facteurs d’ordre international, de solidarité et de fraternité entre les peuples. La paix y trouve son lieu propre et son propre creuset.

Oui, répétons-le, la paix est possible, car dans ces institutions elle retrouve ses caractéristiques fondamentales, qu’une conception erronée fait facilement oublier : la paix doit être rationnelle et non passionnelle, magnanime et non égoïste ; la paix ne doit être ni inerte, ni passive, mais dynamique, active et progressive, selon que les justes exigences des droits équitables de l’homme, tels qu’ils ont été définis, en réclament de nouvelles et meilleures expressions ; la paix ne doit pas être faible, inapte et fragile mais forte, aussi bien à cause, des raisons morales qui la justifient, qu’à cause de l’adhésion massive des nations qui doivent la soutenir. C’est là un point extrêmement important et délicat ; si ces organes modernes, qui donnent raison et soutien à la paix, n’étaient pas à la hauteur de leur fonction propre, quel serait le sort du monde ! Leur inefficacité pourrait engendrer une désillusion fatale dans la conscience de l’humanité ; la paix en sortirait vaincue et avec elle le progrès de la civilisation. Notre espérance, notre conviction : la paix est possible, serait étouffée d’abord par le doute, par la raillerie, ensuite par le scepticisme, enfin par la négation : quelle fin ! Il répugne d’imaginer un tel écroulement ! On a besoin au contraire de renouveler l’affirmation fondamentale de la possibilité de la paix à l’aide de ces deux affirmations complémentaires :

— la paix est possible si elle est vraiment voulue ;

— et si la paix est possible, elle est objet de devoir.

Cela signifie découvrir les forces morales qui sont nécessaires pour résoudre positivement le problème de la paix. Il faut avoir, nous le disions ailleurs, le courage de la paix. Un courage d’une très haute qualité, non point celui de la force brutale, mais celui de l’amour : répétons-le, tout homme est mon frère, il ne peut y avoir de paix sans une nouvelle justice.

Oh ! hommes forts et conscients qui, grâce à votre collaboration, avez le pouvoir et le devoir de construire et de défendre la paix ! Vous spécialement, les guides et les responsables des peuples ! Si jamais l’écho de ce message cordial parvient à vos oreilles, qu’il descende aussi dans vos coeurs et affermisse en même temps vos consciences par la certitude renouvelée de la possibilité de la paix. Ayez la sagesse de fixer votre attention sur cette certitude paradoxale, consacrez-y votre énergie, accordez-y, en dépit de tout, votre confiance, traitez-en, avec vos ressources de persuasion, devant l’opinion publique, non pour affaiblir les esprits des jeunes générations, mais pour fortifier en elles un sentiment plus humain et plus viril ; fondez, construisez la paix pour les siècles à venir, dans la vérité, la justice, la charité et la liberté, en commençant, à partir de 1973, à la revendiquer comme possible et à la saluer comme réelle. C’était le programme tracé par notre prédécesseur Jean XXIII dans son encyclique “ Pacem, in terris ”, dont ce sera le dixième anniversaire en avril 1973 : et, de même qu’il y a dix ans vous en avez accueilli avec respect et gratitude la voix paternelle, de, même nous avons confiance que le souvenir de cette grande flamme qu’il a allumée dans le monde encouragera les coeurs à de nouvelles et plus fermes résolutions de paix. Nous sommes avec vous.



Et à vous, Frères et Fils dans la communion catholique, comme à ceux qui nous sont unis dans la foi chrétienne, Nous répétons l’invitation à réfléchir sur la possibilité de la paix, en indiquant les chemins qui permettent d’approfondir grandement une telle réflexion : ce sont les chemins d’une connaissance réaliste de l’anthropologie humaine, dans laquelle les raisons mystérieuses du bien et du mal dans l’histoire et dans le coeur de l’homme nous dévoilent pourquoi la paix est un problème toujours posé, toujours menacé de solutions pessimistes, et en même temps toujours éclairé positivement par le devoir, mais aussi par l’espérance de solutions heureuses. Nous croyons qu’une Bonté infinie, que nous appelons Providence et qui domine le destin de l’humanité, conduit le monde d’une manière souvent indéchiffrable, mais réelle ; nous savons que, d’une façon étrange mais merveilleuse, toute vicissitude humaine peut être transformée en une histoire de salut (cf. Rm Rm 8,28) ; nous avons, gravée dans la mémoire, la septième béatitude du Discours sur la montagne : “ Bienheureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ” (cf. Mt Mt 5,9) ; nous écoutons, enracinés dans une espérance qui ne déçoit point (cf. Rm Rm 5,5), le message de Noël qui annonce la paix pour les hommes de bonne volonté (cf. Lc Lc 2,14) ; nous avons continuellement la paix sur les lèvres et dans le coeur, comme un présent, comme un salut et comme un souhait biblique venant de l’Esprit parce que nous possédons la source secrète et intarissable de la paix, qui est “ le Christ, notre paix ” (cf. Ep Ep 2,14) et, si la paix existe dans le Christ et par le Christ, elle est possible entre les hommes et par les hommes.

Ne laissons pas déchoir l’idée, ni l’espérance, ni la recherche, ni l’expérience de la paix ; mais renouvelons toujours son désir dans les coeurs, à tous les niveaux : dans le domaine secret de la conscience, dans la vie de famille, dans la dialectique des contrastes sociaux, dans les rapports entre classes et entre nations, en soutenant les initiatives et institutions internationales qui ont la paix pour emblème. Rendons-la possible, cette paix, en prêchant l’amitié et en pratiquant l’amour du prochain, la justice et la pardon chrétien ; ouvrons-lui les portes, là où elle est écartée, par des négociations loyales et orientées vers des conclusions sincèrement positives ; ne refusons pas tout sacrifice qui, sans porter atteinte à la dignité de celui qui se montre généreux, rendrait la paix plus rapide, plus cordiale et plus durable.

Face aux démentis tragiques et insurmontables qui semblent constituer la réalité impitoyable de l’histoire contemporaine, aux séductions de la force combative, à la violence aveugle qui frappe les innocents, aux embûches cachées tendant à spéculer sur les grands marchés de la guerre, à opprimer et asservir les petits, face enfin à la demande angoissée qui se fait toujours pressante, la paix entre les hommes n’est-elle jamais possible ? une paix véritable ? Faisons jaillir de notre coeur, plein de foi et fort d’amour, la réponse simple et victorieuse : Si ! Une réponse qui nous pousse à être des artisans de paix, dans le sacrifice, par l’amour sincère et persévérant pour l’humanité.

En vous bénissant et en vous offrant nos voeux au nom du Christ, nous espérons que tel soit l’écho donné à notre réponse : Si, la paix est possible !



Du Vatican, le 8 décembre 1972.




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