Messages 1973


PAULUS PP. VI






8 décembre



« LA PAIX DEPEND AUSSI DE TOI »



Message du Pape pour la « Journée de la Paix 1974 » :



Ecoutez-moi encore une fois, au seuil de la nouvelle année 1974.

Ecoutez-moi encore : je suis devant vous pour vous présenter une prière, humble mais instante.

Vous le devinez, bien sûr, je veux encore vous parler de la Paix.

De la Paix, oui. Peut-être pensez-vous tout savoir sur la Paix ; il en a déjà été tellement parlé, et par tous ! Peut-être ce nom envahissant provoque-t-il une impression de satiété, d’ennui, voire de crainte qu’il ne cache dans la fascination du mot une magie illusoire, une pure appellation dont on a abusé et qui est devenue désormais simplement rhétorique, et même un enchantement dangereux, L’histoire présente, caractérisée par de farouches épisodes de conflits internationaux, par d’implacables luttes de classes, par des explosions de libertés révolutionnaires, par des cas de répression des droits et des libertés fondamentaux de l’homme et par de soudains symptômes de précarité économique mondiale, semble démolir, comme si c’était la statue d’une idole, l’idéal triomphant de la Paix. A la phraséologie vaine et inefficace, dont celle-ci semble s’être revêtue, dans l’expérience politique et idéologique de ces derniers temps, on préfère de nouveau aujourd’hui le réalisme des faits et des intérêts, et on repense à l’homme comme au problème éternel et insoluble d’un auto-conflit toujours vivant : l’homme est ainsi fait; c’est un être qui porte dans son coeur le destin de la lutte fraternelle.

Face à ce réalisme brutal et toujours renaissant, Nous proposons non pas un nominalisme toujours contredit par des expériences nouvelles et irrésistibles, mais un idéalisme invincible, celui de la Paix, destiné à s’affirmer progressivement.

Hommes qui êtes frères, hommes de bonne volonté, vous les sages, vous qui souffrez, croyez à notre parole humble et réitérée, à notre cri inlassable. La Paix est l’idéal de l’humanité. La Paix est nécessaire. La Paix est un devoir. La Paix est profitable. Ce n’est pas une idée fixe et illogique que la nôtre ; ce n’est pas une obsession ni une illusion. C’est une certitude ; oui, c’est une espérance ; elle a pour elle l’avenir de la civilisation, le destin du monde ; oui, la Paix.

La Paix est le point d’arrivée de l’humanité qui progressivement prend conscience d’elle-même et développe la civilisation sur la face de la terre. Nous en sommes tellement convaincu qu’aujourd’hui, pour l’an nouveau et pour les années futures, Nous osons proclamer comme Nous l’avons déjà fait l’année dernière : la Paix est possible.

Car, au fond, ce qui compromet la solidité de la Paix et le déroulement de l’histoire en sa faveur, c’est la conviction secrète et sceptique qu’elle est pratiquement impossible. Très beau concept, pense-t-on sans le dire, excellente synthèse des aspirations humaines ; mais songe poétique, utopie fallacieuse. C’est une drogue enivrante, mais débilitante. Et dans les esprits resurgit encore, comme une logique inévitable, cette affirmation : ce qui compte, c’est la force ; l’homme réduira le plus possible le complexe des forces à l’équilibre de leur contraste ; mais l’organisation humaine ne peut faire abstraction de la force.

Nous devons nous arrêter un instant sur cette objection capitale afin de résoudre une équivoque possible, celle qui confond la Paix avec la faiblesse, non seulement physique mais morale, avec la renonciation au vrai droit et à la justice équitable, avec la fuite du risque et du sacrifice, avec la résignation craintive et soumise à la domination d’autrui, dans l’acceptation de son propre esclavage. Ce n’est pas cela, la Paix authentique. La répression n’est pas la Paix. L’indolence n’est pas la Paix. L’ordre purement extérieur et imposé par la peur n’est pas la Paix. La récente célébration du XXV° anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme nous rappelle que la véritable Paix doit être fondée sur le sens de la dignité intangible de la personne humaine, d’où découlent des droits inviolables et des devoirs correspondants.

Il est pourtant vrai que la Paix acceptera d’obéir à la loi juste et à l’autorité légitime, mais elle ne fera jamais fi de la raison du bien commun ni de la liberté morale de l’homme. La Paix pourra en venir aussi à de sérieux renoncements, dans la lutte de prestige, dans le course aux armements, dans l’oubli des offenses, dans la remise des dettes ; elle en arrivera même à la générosité du pardon et de la réconciliation ; mais ce ne sera jamais pour un marché servile au détriment de la dignité humaine, jamais pour la sauvegarde d’un intérêt personnel égoïste au préjudice de l’intérêt légitime d’autrui ; jamais par lâcheté. Le paix n’existera pas sans la faim et la soif de la justice ; elle n’oubliera jamais les efforts à réaliser pour défendre les faibles, pour secourir les pauvres, pour promouvoir la cause des humbles, jamais elle ne trahira, pour vivre, les raisons supérieures de la vie (cf. Jn Jn 12,25).

On ne peut donc dire que la Paix est une utopie. La certitude de la Paix ne consiste pas seulement dans l’être, mais aussi dans le devenir. Elle est dynamique, comme l’est la vie de l’homme. Son règne s’étend encore et principalement dans le domaine déontologique, c’est-à-dire dans le sphère des devoirs. Il faut non seulement maintenir la Paix, mais la faire. La Paix est donc, et doit être, en voie d’affermissement continuel et progressif. Nous dirons même : la Paix n’est possible que si on la considère comme un devoir. Il ne suffit pas qu’elle soit établie sur la conviction, habituellement fort juste, qu’elle est avantageuse. Elle doit entrer dans la conscience des hommes comme une finalité éthique suprême, comme une nécessité morale, une ??????, (ananké), découlant de l’exigence intrinsèque de la vie commune.

Cette découverte — car c’en est une dans le processus positif de notre faculté de raisonner — nous enseigne quelques principes dont nous ne pourrons jamais plus nous détourner. Et tout d’abord elle nous éclaire sur la nature authentique de la Paix: elle est avant tout une idée. C’est un axiome intérieur, un trésor de l’esprit. La Paix doit germer d’une conception fondamentale et spirituelle de l’humanité : l’humanité doit être pacifique, c’est-à-dire unie, cohérente en elle-même, solidaire au plus profond de son être. L’absence de cette conception radicale a été, et est encore, à l’origine profonde des malheurs qui ont affligé l’histoire. Concevoir la lutte entre les hommes comme une exigence des structures de la société ne constitue pas seulement une erreur du point de vue philosophique, mais un délit virtuel et permanent contre l’humanité. La civilisation doit enfin se libérer de l’antique maxime trompeuse, qui depuis Caïn, a survécu et est toujours à l’oeuvre : « l’homme est un loup pour l’homme ». L’homme d’aujourd’hui doit avoir le courage moral et prophétique de s’affranchir de cette férocité innée et en arriver à la seule conclusion possible, l’idée de la Paix, comme étant essentiellement naturelle, nécessaire, juste et donc possible. Désormais il importe de concevoir l’humanité, l’histoire, le travail, la politique, la culture, le progrès, en fonction de la Paix.

Mais que vaut cette idée, spirituelle, subjective, intérieure et personnelle, que vaut-elle ainsi désarmée, si éloignée des réalités vécues par notre histoire, avec leur formidable efficacité ? Tandis que le tragique expérience de la dernière guerre mondiale passe peu à peu dans la sphère des souvenirs, il nous faut constater malheureusement une recrudescence de l’esprit de rivalité entre les nations et dans la dialectique politique de la société; le potentiel de guerre et de lutte, loin de diminuer, s’est beaucoup accru aujourd’hui par rapport à celui dont disposait l’humanité avant les guerres mondiales. Ne voyez-vous pas, objectera un observateur quelconque, que le monde s’en va vers des conflits encore plus terribles et horribles que ceux d’hier ? Ne voyez-vous pas combien est peu efficace la propagande pacifiste et insuffisant l’impact des institutions internationales qui ont surgi pendant la convalescence du monde ensanglanté et exténué par les guerres mondiales ? Où va le monde ? Ne se prépare-t-il pas encore à des conflits plus catastrophiques et plus exécrables ? Hélas ! Devant des raisonnements aussi pressants et impitoyables, nous devrions être muets comme devant un destin désespéré !

Mais non ! Sommes-Nous aveugle, nous aussi ? Sommes-Nous naïf, nous aussi ? Non, Frères humains ! Nous sommes sûr que la cause qui est nôtre, celle de la Paix, l’emportera. D’abord, parce que cette idée de la Paix, malgré les folies de la politique contraire, est désormais victorieuse dans l’esprit de tous les hommes qui ont une responsabilité. Nous avons confiance dans leur sagesse moderne, dans leur énergique habileté. Aucun Chef de Peuple ne peut aujourd’hui vouloir la guerre ; tous aspirent à la Paix générale du monde. Quelle importante affaire ! Nous osons les supplier instamment de ne plus jamais rétracter leur programme, ou mieux leur commun programme de paix.

En second lieu, ce sont les idées, plus encore que les intérêts particuliers et avant eux, qui guident le monde malgré les apparences contraires. Si l’idée de la Paix gagne vraiment le coeur des hommes, la Paix sera sauvée, ou plutôt elle sauvera les hommes. Il est superflu, en ce discours, de dépenser des paroles pour démontrer la puissance actuelle de l’idée devenue la pensée du Peuple, c’est-à-dire la puissance de l’opinion publique ; aujourd’hui elle est la reine qui, en fait, gouverne les Peuples ; son influence impondérable les forme et les guide ; et ensuite ce sont les Peuples, c’est-à-dire l’opinion publique agissante qui gouverne les dirigeants; en grande partie au moins, les choses sont ainsi.

Troisièmement, si l’opinion publique atteint un coefficient qui détermine le destin des Peuples, le destin de la Paix dépend aussi de chacun de nous. Chacun de nous en effet est membre d’un corps civil dont le système démocratique, selon des formes et des degrés variés, caractérise aujourd’hui la vie des nations organisées de façon moderne. Nous tenons à l’affirmer : la Paix est possible, si chacun de nous la veut, si chacun de nous aime la Paix, éduque sa mentalité personnelle à la Paix, défend la Paix, travaille pour la Paix. Chacun de nous doit écouter dans sa propre conscience l’appel contraignant : La Paix dépend aussi de toi.

Assurément l’influence individuelle sur l’opinion publique ne peut être que très petite, mais elle n’est jamais vaine. La Paix vit grâce aux adhésions, même particulières et anonymes, que lui donnent les personnes. Nous savons tout comment se façonne et se manifeste le phénomène de l’opinion publique : une affirmation sérieuse et forte est facilement susceptible de diffusion. D’individuelle, l’affirmation de la Paix doit devenir collective et communautaire. Elle doit devenir affirmation du Peuple et de la communauté des Peuples ; elle doit devenir conviction, idéologie, action ; elle doit aspirer à pénétrer la pensée et l’activité des nouvelles générations, envahir le monde, la politique, l’économie, la pédagogie, l’avenir, la civilisation. Non point par réaction de peur et de fuite, mais par impulsion créatrice de l’histoire nouvelle et de la construction nouvelle du monde ; non point par indolence et par égoïsme, mais par vigueur morale et par amour accru de l’humanité. La Paix est courage, la Paix est sagesse, la Paix est devoir; et par-dessus tout intérêt et bonheur.

Nous osons vous le dire, à vous Frères humains, à vous hommes qui avez en main, à quelque titre que ce soit, la direction du monde : hommes de gouvernement, hommes de culture, hommes d’affaires : il faut que vous donniez à votre action une orientation vigoureuse et perspicace vers la Paix : elle a besoin de vous. Si vous le voulez, vous le pouvez ! La Paix dépend aussi et spécialement de vous.

En outre Nous voulons réserver à ceux qui partagent notre foi et notre charité une parole encore plus confiante et plus pressante: n’avons-nous pas nos possibilités spécifiques et surnaturelles pour concourir avec les Promoteurs de la Paix à rendre efficace leur travail qui est l’oeuvre commune, afin que le Christ nous reconnaisse tous « fils de Dieu » (cf. Mt 5,9), avec eux, selon la béatitude évangélique ? Est-ce que nous ne pouvons pas prêcher la Paix, avant tout, dans les consciences ? Et qui plus que nous doit être éducateur de paix par la parole et par l’exemple ? Comment ensuite pourrons-nous appuyer l’oeuvre de la Paix dans laquelle l’action humaine atteint son plus haut niveau, si ce n’est par notre insertion dans l’action divine toujours à l’écoute de nos prières ? Serons-nous insensibles à ce testament de paix que le Christ, et le Christ seul, nous a laissé, à nous qui vivons dans un monde incapable de donner parfaitement sa Paix transcendante et ineffable ? Ne pouvons-nous pas, nous particulièrement, donner à la prière pour la Paix cette force humble et pleine d’amour à laquelle ne résiste pas la miséricorde divine (cf. Mt 7,7 ss. ; Jn 14,27) ? C’est merveilleux : la Paix est possible, et elle dépend aussi de nous, par le Christ, notre Paix (Ep 2,4).

Que notre Bénédiction Apostolique, porteuse de Paix, en soit le gage.



Du Vatican, le 8 décembre 1973.




PAULUS PP. VI






10 décembre



DROITS, DIGNITE ET FRATERNITE : FONDEMENTS DE PAIX ENTRE LES HOMMES



A l’occasion du XXV° anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, le Souverain Pontife a adressé au Président de la XXVIII° Assemblée Générale des Nations Unies, Son Excellence Monsieur Léopold Benites, le message suivant :



A Son Excellence Monsieur Léopold Bénites,

Président de la XXVIII° Assemblée Générale des Nations Unies



Poussé par la conscience de notre mission qui, est de rendre présent, vivant et actuel le message de salut proclamé par le Christ, Nous n’avons pas manqué, au cours de notre Pontificat, de donner maintes fois l’assurance de notre adhésion morale aux activités des Nations Unies en faveur de la justice, de la paix et du développement de tous les peuples.

Alors que cette éminente Assemblée internationale s’apprête à commémorer le XXV° anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Nous voulons une fois encore saisir l’occasion d’exprimer notre grande confiance, en même temps que notre ferme accord, en ce qui concerne l’engagement constant de l’Organisation des Nations Unies pour la promotion toujours plus précise, plus autorisée et plus efficace, du respect des droits fondamentaux de l’homme.

Comme Nous l’affirmions dans une autre circonstance, la Déclaration des Droits de l’Homme « demeure à nos yeux l’un des plus beaux titres de gloire » de votre Organisation (Message pour le XXV° anniversaire de l’Organisation des Nations Unies ; AAS 62, 1970, p. 684), spécialement quand on pense à l’importance qui lui est dévolue comme chemin certain vers la paix. En réalité, la paix et le droit sont deux biens en relation directe et réciproque de cause et d’effet : il ne peut exister de paix véritable là où il n’y a point respect, défense et promotion des Droits de l’Homme. Si une telle promotion des droits de la personne humaine conduit à la paix, en même temps la paix en favorise la réalisation.

Nous ne pouvons donc demeurer indifférent devant l’urgence de construire une communauté de vie humaine qui garantisse partout à l’individu, aux groupes et particulièrement aux minorités, le droit à la vie, à la dignité personnelle et sociale, au développement dans un milieu protégé et amélioré et à l’équitable répartition des richesses de la nature et des fruits de la civilisation.

« L’Eglise, avant tout soucieuse des droits de Dieu — disions-Nous l’an dernier au Secrétaire général Monsieur Kurt Waldheim — ne pourra jamais se désintéresser des droits de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de son Créateur. Elle se sent blessée lorsque les droits de l’homme, quel qu’il soit, et où que ce soit, sont méconnus et violés » (AAS 64, 1972, p. 215).

C’est pourquoi le Saint-Siège donné Son plein appui moral à l’idéal commun contenu dans la Déclaration universelle comme aussi à l’approfondissement progressif des Droits de l’Homme qui y sont exprimés.

Les droits de l’homme sont fondés sur la dignité reconnue de tous les êtres humains, sur leur égalité et leur fraternité. Le devoir de respecter ces droits est un devoir de caractère universel. La promotion de ces droits est un facteur de paix ; leur violation est une cause de tensions et de troubles, même au plan international.

Si les Etats ont intérêt à coopérer dans les domaines de l’économie, de la science, de la technologie, de l’écologie, ils l’ont encore plus à collaborer — et la Charte de l’Organisation des Nations Unies les y engage expressément— pour protéger et promouvoir les droits de l’homme.

On objecte parfois que cette collaboration de tous les Etats pour promouvoir les droits de l’homme constitue une ingérence dans les affaires internes. Mais n’est-il pas vrai que le plus sûr moyen, pour un Etat, d’éviter des immixtions de l’extérieur, c’est précisément de reconnaître et d’assurer lui-même sur les territoires de sa juridiction le respect des droits et des libertés fondamentales ?

Sans vouloir entrer dans le détail de chacune des formules de la célèbre Déclaration, mais en considérant l’élévation de son inspiration et l’ensemble de sa rédaction, Nous pouvons dire qu’elle demeure l’expression d’une conscience plus mûre et plus précise des droits de la personne humaine. Elle continue à représenter le fondement sûr de la reconnaissance pour chaque homme d’un droit de cité honorable dans la communauté des peuples.

Mais il serait vraiment déplorable pour l’humanité, qu’une proclamation aussi solennelle se réduise à une vaine reconnaissance de valeurs ou à un, principe doctrinal abstrait, sans recevoir une application concrète et toujours plus cohérente, dans le monde contemporain, comme vous le releviez justement en assumant la présidence de cette Assemblée.

Nous savons bien qu’en ce qui concerne les pouvoirs publics, cette application ne va pas sans difficultés ; mais il est nécessaire de mettre en même temps tout en oeuvre pour assurer le respect et la promotion de ces droits, de la part de ceux qui ont le pouvoir et le devoir de le faire, et, en même temps, pour développer toujours davantage, dans les populations, la conscience des droits et des libertés fondamentales de l’homme. Il faut faire appel à la collaboration de chacun afin, que ces principes soient respectés « par tous, partout, et pour tous » (Message à la Conférence de Téhéran pour le XX° anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme : AAS 60, 1968, p. 285). Est-il vraiment possible, sans grave péril pour la paix et l’harmonie des peuples, de demeurer insensible, face à tant de violations graves et souvent systématiques des Droits de l’Homme, si clairement proclamés dans la Déclaration comme universels, inviolables et inaliénables ?

Nous ne pouvons cacher nos graves préoccupations devant la persistance ou l’aggravation de situations que Nous déplorons grandement, telles que, par exemple, la discrimination raciale ou ethnique, les obstacles à l’autodétermination des peuples, les violations répétées du droit sacré de la liberté religieuse sous ses divers aspects et l’absence d’une entente internationale qui le soutienne et en précise les conséquences, la répression de la liberté d’exprimer les opinions saines, les traitements inhumains envers les prisonniers, l’élimination violente et systématique des adversaires politiques, les autres formes de violence, et les attentats à la vie humaine, particulièrement dans le sein maternel. A toutes les victimes silencieuses de l’injustice, Nous prêtons notre voix pour protester et supplier. Mais il ne suffit pas de dénoncer, souvent d’ailleurs trop tard et de façon inefficace : il faut aussi analyser les causes profondes de ces situations et s’engager résolument à les affronter et à les résoudre correctement.

Il est encourageant, cependant, de noter combien les hommes de notre temps se montrent sensibles aux valeurs fondamentales contenues dans la Déclaration universelle. La multiplication des dénonciations et des revendications n’est-elle pas en effet symptôme significatif de cette sensibilité croissante face à la multiplication des atteintes aux libertés inaliénables de l’homme et des collectivités ?

Avec un grand intérêt et une vive satisfaction, Nous avons appris que l’Assemblée générale tiendra à l’occasion du XXV° anniversaire de la Déclaration universelle, une session spéciale au cours de laquelle sera proclamée la Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Cette entreprise, éminemment humaine; trouvera encore une fois côte à côte le Saint-Siège et les Nations Unies — bien qu’à des plans divers et avec des moyens différents — dans un effort commun pour défendre et protéger la liberté et la dignité de chaque homme et de chaque groupe, sans aucune distinction de race, de couleur, de langue, de religion ou de condition sociale.

Nous voulons souligner aussi en ce Message la valeur et l’importance des autres documents déjà approuvés par les Nations Unies et concernant les droits de l’homme. Inspirés par l’esprit et les principes de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ils représentent un pas en avant dans la promotion et la protection concrète de plusieurs de ces droits dont ils veulent garantir l’application soigneuse et fidèle. Leur ratification en assurera l’efficacité au plan national et international. Le Saint-Siège, pour sa part, y donne son adhésion morale et offre son appui aux aspirations louables et légitimes qui les inspirent.

Si les droits fondamentaux de l’homme représentent un bien commun de toute l’humanité en marche vers la conquête de la paix, il est nécessaire que tous les hommes, prenant toujours mieux conscience de cette réalité, sachent bien qu’en ce domaine parler de droits, c’est aussi énoncer des devoirs.

Nous renouvelons nos voeux à votre noble et haute Assemblée, confiant qu’elle continuera inlassablement à promouvoir entre les nations le respect et l’application des principes solennellement énoncés dans la Déclaration universelle, dans un effort sincère pour transformer la famille humaine en une communauté mondiale fraternelle, dans laquelle tous les fils des hommes pourront mener une vie digne de celle de fils de Dieu.



Du Vatican, le 10 Décembre 1973.






25 décembre



MESSAGE DE NOËL DE PAUL VI : L’HUMANISME CHRETIEN, REPONSE AUX ASPIRATIONS DES HOMMES



Le jour de Noël le Saint-Père a célébré une deuxième Messe à Saint-Pierre, à l’issue de laquelle il s’est rendu à la « Loggia » des Bénédictions où, avant la traditionnelle Bénédiction « Urbi et Orbi » de Noël, il a lu le Message à tous les hommes de bonne volonté. Voici la traduction de ce Message pour le Noël 1973 :



Notre voix se fait aujourd’hui l’écho d’un message céleste, éloigné dans le temps, mais toujours proche dans la réalité ; un message qui traverse les siècles et demeure actuel ; et ce message dit : « Voici que je vous annonce une grande joie qui sera celle de tout le peuple ; aujourd’hui un Sauveur vous est né, le Christ Seigneur » (cf. Lc Lc 2,10-11).

C’est le message de Noël.

Il annonce que, d’un Fils né de la race humaine, vient le salut de l’humanité. Alors une question surgit, impérieuse : l’homme est-il sauvé par l’homme ?

Nous célébrons, c’est vrai, une fête de l’Homme. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Noël rencontre spontanément la sympathie, même chez beaucoup qui n’en accueillent pas la signification religieuse. Beaucoup, aujourd’hui, remplacent la théologie par l’anthropologie. Ils voient dans le christianisme une valeur humaine acceptable pour tous ; ils ne voient pas la vérité divine qui confère à cette valeur humaine sa raison d’être et son prix infini.

Aujourd’hui, l’humanisme constitue le point crucial de la discussion idéologique. Non pas l’humanisme de nos souvenirs historiques ou celui le notre culture classique, mais celui de la culture et de la sociologie moderne, devenu en certaines de ses expressions caractéristiques une utopie cosmique qui fait de l’homme le Dieu de l’homme; un humanisme qui, dans un vertige de pensée durable et pseudo-logique, osera proclamer que l’homme est la cause absolue de lui-même, l’expression spontanée d’une vitalité libératrice et originairement légitime et honnête, remplaçant toute autre obligation aliénante. L’homme, et c’est assez. Ensuite, cette prétention humaniste, ayant mesuré les limites de notre vie, dilatera outre mesure les dimensions de la stature humaine et nous assourdira par le cri de triomphe du surhomme, se consumant secrètement de son ignorance à accomplir autrement la vocation intérieure de l’homme à se dépasser lui-même, et elle donnera au monde l’illusion de pouvoir le régénérer en le laissant conquérir et utiliser une puissance matérielle sans limite. Mais en même temps, cet humanisme, désillusionné sur lui-même, se raccrochera à l’analyse scientifique et nous rappellera la consistance réelle de notre être animal, assimilant sans scrupule la complexe créature d’élection que nous sommes, aux êtres inférieurs du règne biologique, merveilles de la nature eux aussi, mais privés de conscience spirituelle et destinés à la dissolution soudaine et inexorable de la mort. C’est un autre humanisme, Frères, que nous célébrons à Noël. Une autre conception de l’homme, et ceci revêt aujourd’hui une importance capitale ; la véritable fête de Noël nous transporte, en effet, au sommet de ce qu’il est possible de connaître sur l’homme : l’antique sagesse du « connais-toi toi-même », demeurée au niveau de l’interrogation, reçoit aujourd’hui une réponse surabondante même si elle reste toujours mystérieuse.

Notre anthropologie connaît et affirme l’existence d’une origine de l’homme infiniment supérieure, créature tellement belle, tellement noble, tellement digne de toute notre admiration enthousiaste lorsqu’on la considère en soi ; lorsqu’on la considère dans son essence, elle est « l’image et la ressemblance » de Dieu (Gn 1,25), destinée à dominer sur toutes les créatures. Par la foi, confirmée par l’expérience (cf. pascal, Pensées, 434), elle connaît le drame douloureux de la décadence primitive et héréditaire du péché originel qui a bouleversé toute la vie humaine, y laissant d’immenses nostalgies et d’insatiables insatisfactions, un désordre et un déséquilibre dans le mécanisme psychologique et moral de son activité, d’expériences douloureuses et humiliantes de ce trouble fonctionnel congénital, grandeur et misère qui font que l’homme est pour lui-même un besoin à la fois exaltant et tourmenté, portant au fond de son coeur un besoin énigmatique, devenu espérance en vertu de la promesse de la divine miséricorde. Voici ce qu’est l’homme. Malheur à qui porte la main sur lui : il naît sacré à la vie, dès le sein maternel. Il naît toujours pourvu de cette prérogative dangereuse mais divine, la liberté, éducable mais inviolable. Il naît personne, se suffisant en soi, mais en soi, également, ayant besoin d’environnement social ; il naît doué de pensée, il naît doué de volonté, destiné au bien mais capable d’erreur et de péché. Il naît pour la vérité, il naît pour l’amour.

Nous n’en finirions pas si nous voulions tracer un portrait complet de l’homme tel que l’humanisme chrétien le décrit ; nous en relevons pour l’instant un seul aspect qui se réfère à tous les autres dont la physionomie essentielle de l’homme est composée : le besoin d’être sauvé.

Tel qu’il est, l’homme n’est pas parfait : il est un être qui a un besoin essentiel de restauration, de réhabilitation, de plénitude, de perfection, de bonheur. Il est une vie qui ne se suffit pas à elle-même : il a besoin d’un complément de Vie, d’un complément infini. Exaltez l’homme : vous mettrez en plus grande évidence son insuffisance, son incomplétude, son besoin secret d’être sauvé. Disons-le tout de suite et disons tout : son besoin d’un Sauveur.

Oui, besoin d’un Sauveur ; homme pour s’unir, aux hommes, mais en même temps Dieu pour porter l’homme vers les hauteurs auxquelles le destine sa vocation première et toujours immanente : les hauteurs divines.

A vous tous, hommes nos frères, nous disons aujourd’hui ces vérités fondamentales, afin que vous les connaissiez, que vous y croyiez, que vous en viviez. A vous, hommes nos frères, si vous êtes en proie à la douleur, à la misère, à la souffrance, au péché ; à vous, nations du monde entier, nous le répétons avec l’allégresse de la certitude : frères, il est né pour nous un Sauveur, le Sauveur ; c’est le Fils de Marie, c’est le Fils de Dieu. Il se nomme Notre Seigneur Jésus-Christ.





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