Discours 1974 8

Un style de sévérité, de désintéressement et de magnanimité





Ces rappels de littérature judiciaire devraient s’accompagner ici de l’apologie de l’intégrité morale superlative qui doit conditionner l’exercice de votre office dans chacun de ses actes, sous chacun de ses aspects. Mais nous sommes dispensé de le faire, en vertu de l’estime que nous nourrissons pour vos personnes et pour le Tribunal de la S. Rote tout entier. Nos louanges et nos exhortations soutiennent le témoignage que vous donnez également au sujet de cette part essentielle de votre activité qui implique de multiples vertus spécifiques d’ordre professionnel et qui impose, intérieurement et extérieurement, un style de sévérité, de désintéressement, de magnanimité forte et patiente, auquel votre sensibilité chrétienne ajoute une humble mais rayonnante splendeur.

Vous vous efforcez toujours de personnifier la figure idéale du Juge catholique ; et nous jouissons du prestige — on dit aujourd’hui : de la crédibilité — qui en dérive pour l’Eglise et, particulièrement, pour la Curie Romaine. Nous savons bien que cette ligne spirituelle et morale que représentent vos personnes et votre Tribunal ne résout pas les problèmes anciens et nouveaux de votre noble, mais délicate et complexe, activité judiciaire. Au contraire même, parfois elle les rend encore plus compliqués et plus aigus, comme l’est aujourd’hui, par exemple, celui du rapport entre conscience et légalité, un problème psychologique ; ou encore celui de la relation entre loi en vigueur et évolution civile, un problème sociologique ; ou également celui du rapport entre le jus conditum et le jus condendum, un problème historique.

Mais, éduqués comme vous l’êtes à l’école de la loi, c’est-à-dire du devoir, de l’ordre en fonction des principes généraux du droit, du bien public et du dynamisme juridique tendu vers le bien commun, vous ne tenez pas pour insolubles de tels problèmes, vous rappelant, d’une part, certaines valeurs absolues de l’ordre moral, comme la crainte de Dieu et l’amour évangélique, le respect de la vérité, la dignité de la vie et de la personne humaine, l’inviolabilité de la conscience formée, la paix entre les hommes, et ainsi de suite ; et d’autre part, vous voudrez considérer l’excessive facilité avec laquelle l’homme moderne, qui revendique si fièrement sa propre liberté, se laisse alors intimement tenter et parfois blesser par un relativisme systématique qui le réduit au choix plus facile de la situation, de la démagogie, de la mode, de la passion, de l’hédonisme, de l’égoïsme, de telle sorte qu’extérieurement il essaye de contester la « majesté de la loi », et qu’intérieurement, presque sans s’en rendre compte, il substitue à l’empire de la conscience morale, les caprices de la conscience psychologique.

Et juges, comme également vous l’êtes, de la manière d’agir d’autrui, mais non juges de la loi qui vous est simplement consignée pour son application raisonnable et normale, vous saurez sagement conserver à la loi — à la loi de l’Eglise, pensez-y toujours — l’observance prévoyante et substantielle qui lui est due, tempérant, quand et comme il est possible, son éventuel excès de gravité avec ce sens pastoral humain qui est le propre du juge opérant en vertu du ministère chrétien.



Validité de la présente législation canonique sur le mariage





Ce que nous vous disons doit renforcer en vous la conscience de la mission que l’Eglise vous a confiée et, par le fait même, la confiance en sa législation, soit parce qu’elle est dictée par des critères supérieurs puisés aux sources théologiques et soit également parce qu’expérimentée par une tradition séculaire fondée sur la profonde et authentique science de l’homme et orientée vers son salut transcendant.

Oui, confiance dans la législation de l’Eglise.

A ce propos, et pour conclure ces simples paroles nous ne pouvons taire la surprise, que nous ne sommes pas seul à avoir éprouvée, causée par l’écho, qui nous est parvenu à nous également, de certaines expressions de critiques, excessives dans la forme et non entièrement fondées dans la substance, au sujet de la présente législation canonique sur le mariage, critiques faites par des personnes influentes, en un lieu et dans des circonstances cependant dignes d’un langage plus respectueux et plus objectif.

On connaît l’épisode ; et nous n’y faisons qu’une brève allusion afin que vous également, experts et intéressés comme vous l’êtes en la matière, sachiez que nous ne pouvons partager certains des jugements qui y ont été prononcés sur la discipline en vigueur de l’Eglise à propos d’un thème si important. Il est vrai qu’aux notes négatives du discours en ont suivi quelques autres, positives, dont nous prenons note avec loyale reconnaissance. Mais à nous, il nous semble que les valeurs qui se trouvent affirmées dans cette seconde partie font mieux que confirmer les premières : elles les rectifient ; si bien que le jugement qui en résulte sur la loi canonique du mariage actuellement en vigueur mérite encore en soi toute confiance, comme interprète et tutrice de normes sacrées et fondamentales pour l’homme, pour la famille, pour la société, même si, conformément aux doctrines du récent Concile, de telles normes seront — bientôt, nous l’espérons — formulées dans une législation plus complète et plus moderne.

Poursuivez donc avec confiance votre sage et méritoire activité. Avec notre Bénédiction Apostolique.





AUX PARTICIPANTS À LA SESSION ANNUELLE DE LA


CONFÉRENCE PARLEMENTAIRE DE L’ASSOCIATION ENTRE LA COMMUNAUTÉ


ECONOMIQUE EUROPÉENNE ET LES ETATS AFRICAINS,


MALGACHE ET MAURICIEN ASSOCIÉS*


Vendredi 1 février 1974




9 Vous êtes les bienvenus, Mesdames et Messieurs, et Nous sommes honorés de recevoir les participants à la Conférence Parlementaire de l’Association entre la Communauté Economique Européenne et les Etats Africains, Malgache et Mauricien Associés.

Oui, cette rencontre de deux continents, au niveau de ceux qui sont habilités à discuter de l’orientation politique et économique de leur pays revêt une signification profonde: elle Nous semble exprimer, préparer, réaliser déjà quelque peu cette large coopération organique que Nous avons si souvent appelée de nos voeux.

Nous nous gardons de juger les moyens techniques, les éléments de conventions qui doivent assurer ou faire progresser une telle coopération. Mais Nous demeurons fermement convaincu que les pays ne peuvent aujourd’hui agir isolément, avec le partenaire de leur choix, sans tenir compte de ceux qui leur sont naturellement solidaires: la nécessité se fait de plus en plus sentir d’incorporer les accords bilatéraux ou multilatéraux dans un programme de collaboration mondiale, comme Nous le souhaitions dans notre encyclique «Populorum Progressio» (Cfr. n. 52). Dans ce dessein de collaboration mondiale, les rapports entre la Communauté Européenne et l’ensemble de l’Afrique peuvent apparaître comme une étape privilégiée, appelée par le voisinage, la complémentarité, les multiples liens culturels, économiques et religieux qui rattachent les deux continents et qui, Dieu merci, ont dépassé le stade de la dépendance.

Et vous, parlementaires, vous pouvez beaucoup pour y promouvoir la connaissance réciproque des problèmes, les étudier ensemble, créer un climat de confiance, faire prendre conscience à l’opinion publique de vos pays et à vos gouvernements de l’urgence de cette solidarité, bref préparer les conditions sans lesquelles les accords seraient illusoires.

Déjà, voici plus de huit ans, Nous avions rendu hommage à une semblable délégation. Aujourd’hui la situation rend votre travail encore plus utile. Car la conjoncture reste grave pour les uns et pour les autres. Les obstacles que l’Afrique rencontre sur le chemin de son plein développement, la crise de l’énergie, les problèmes monétaires et économiques de l’Europe font mieux comprendre encore qu’il ne peut plus exister d’économies nationales closes, se suffisant à elles-mêmes. Les nations prennent davantage conscience de leurs possibilités et de leurs limites, et sont à la recherche de nouvelles voies.

Comment ferons-nous face à ce moment historique? Devant la dureté des temps, certains pourront ‘être tentés de se replier sur eux-mêmes, ou sur leurs puissants amis, pour résoudre d’abord et eux seuls leurs propres problèmes. Ils penseront également ne pouvoir développer la solidarité ébauchée, en ajoutant aux sacrifices déjà bien lourds qu’il faut consentir actuellement. Certes les situations demeurent souvent délicates. Mais les questions plus fondamentales ne sauraient pour autant être esquivées: peut-on vraiment mettre en balance la diminution du confort des uns, lorsque c’est la vie des autres qui est en jeu ? Les pauvres feront-ils les frais de cette situation pour se retrouver encore plus pauvres? La recherche du seul profit, celle de la surproduction, celle d’une consommation pléthorique, ne doivent pas constituer le but de la société, elles n’assurent pas les valeurs humaines essentielles.

Nous voulons croire au contraire que se moment sera celui de la sagesse; celui du courage et de la créativité: celui peut-être d’une austérité consentie chez les plus nantis; celui surtout d’une coopération plus intense entre pays européens, entre pays africains, entre les deux ensemble, au bénéfice de tous. Il nous faut combattre le découragement, secouer la mesquinerie de nos perspectives, croire que la solidarité est possible, qu’elle seule offre une solution humaine à long terme. Ne serait-ce pas l’heure d’inventer de nouveaux types de rapports entre pays développés et pays en voie de développement? Oui, Nous espérons que cette année, où beaucoup d’accords commerciaux sont à reprendre, hâtera l’établissement de conventions rénovées, pleinement équitables, respectueuses de la dignité des partenaires et dans des conditions de parité.

Et Nous devons ajouter: si les raisons d’intérêt économique, même réciproque et bien compris, peuvent être un stimulant, elles ne suffisent pas. L’histoire montre au contraire que des perspectives purement économiques conduisent à une impasse. Il faut une entraide plus profonde, fondée sur une considération de tout ce qui fait la richesse et l’honneur des partenaires, de leurs besoins réels. Bref, Nous souhaitons également des liens culturels, des liens spirituels, disons le mot, des liens d’amitié. C’est une certaine communauté de destin qu’il faut vivre maintenant à l’échelle des continents, et l’Association que vous représentez Nous semble devoir contribuer à la servir.

Ceux qui parmi vous partagent notre foi chrétienne se rappellent les paroles de l’Apôtre Jean: «Si quelqu’un possède les biens de ce monde et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui?» (
1Jn 3,17). Puissions-nous dire avec lui: «Nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères» (Ibid. 3, 14). Le Créateur appelle tous les hommes à élargir leur coeur aux nouveaux horizons qu’il leur fait découvrir. II nous invite à tenter l’impossible pour qu’une plus grande justice règne entre les hommes. Nous le prions de vous assister dans vos efforts de collaboration et de bénir vos personnes avec tous ceux qui vous sont chers.
* * *


Ein Wort herzlicher Begrüssung richten Wir auch an die Konferenzteilnehmer aus den Ländern deutscher Sprache. Mögen sich die Arbeitssitzungen, an denen Sie teilgenommen haben, sehr geehrte Damen und Herren, dahin fruchtbar auswirken, dass es unter den verschiedenen Völkern zu einer wirklichen Zusammenarbeit auf internationaler Ebene komme, indem die einzelnen Länder aus der Enge der eigenen wirtschaftlichen Vorteile heraustreten und in einem Klima gegenseitigen Vertrauens sich zielstrebig für das gemeinsame Wohl einsetzen. Dazu erflehen Wir Ihnen Gottes bleibenden Schutz und Segen.

10 In extending a cordial greeting in English to the members of this Assembly, we wish to reaffirm once more our confidence in the wisdom, the courage and the spirit of collaboration with which Governments and other parties concerned pursue the establishing of relations and exchanges in conformity with equity between all countries. In this respect-as we said in our recent address to the Diplomatic Corps-“we have followed with the keenest interest the contacts between the European Community of the Nine and the African countries”. We repeat here our fervent wish for the success of such endeavours. We pray that the Lord Will aid your efforts, and we invoke his abundant blessings upon yourselves and upon all those whom you hold dear.

Desideriamo aggiungere un saluto ai Parlamentari italiani, che partecipano a questo incontro.

Ad essi esprimiamo, col Nostro compiacimento, anche l’augurio e il voto perché sappiano condividere un crescente interesse per i problemi che oltrepassano i confini del proprio Paese, coscienti di far parte di una famiglia la cui appartenenza comporta, oltre ai vantaggi, anche sacrifici per il bene comune, e uno spirito di collaborazione e di sensibilità per la promozione costante del progresso umano, civile e sociale in tutto il mondo.

Il compito che vi aspetta e a1 quale attendete è arduo; per questo vi siamo vicini con tutta la Nostra stima, il Nostro incoraggiamento, la Nostra preghiera, che vi invoca ogni benedizione del Cielo.

*Insegnamenti di Paolo VI, vol. XII, p.94-98;

OR 2.2.1974, p.1, 2;

ORf n. 6 p.1, 8;

La Documentation catholique, n.1648 p.157-158.



AU COLLÈGE DE DÉFENSE DE L'OTAN*


Samedi 2 février 1974


Vous saluant ce matin, au moment où votre séjour romain touche à sa fin, Nous voudrions, Mesdames et Messieurs, évoquer brièvement à votre intention quelques uns des enseignements que peut vous laisser la ville éternelle.

Ne convient-il pas d’abord de retenir, du passé complexe de Rome, le sens de l’universel? Bien des peuples avaient contribué à sa grandeur. Tous purent, en retour, bénéficier finalement de ses bienfaits: son ordre, son droit, sa paix furent pour un temps la gloire du monde antique. Par la suite, lorsque sa mission civilisatrice eut acquis sa pleine dimension, Rome devint, plus que jamais, un pôle d’attraction. Combien ont continué alors, grâce à leur génie et à leur idéal, à édifier la cité plus de deux fois millénaire!

11 Plus profondément, en effet, Rome, capitale du monde chrétien, fondée sur la tombe des Apôtres, apprend à découvrir la véritable paix, celle qui vient du Christ. Rassemblant déjà des hommes de toutes nations et de toutes races, elle voudrait offrir comme une image du monde à venir: «Beata pacis visio!». Or la paix de notre monde, c’est-à-dire son seul avenir véritablement conforme à la vocation humaine, reposera demain pour une part entre vos mains.

Comme Nous l’affirmions dans notre récent message de début d’année: la paix dépend aussi de vous. Nous demandons au Seigneur d’affermir en vous cette conviction et de bénir cette volonté de service, vos personnes et tous ceux qui vous sont chers.

*Insegnamenti di Paolo VI, vol. XII, p.147-148;

OR 3.2.1974, p.1;

ORf n.7 p.12.




25 février



UNE COMMUNAUTÉ ECCLÉSIALE PLUS UNIE POUR UNE ACTION PASTORALE PLUS EFFICACE





La rencontre annuelle d’avant-Carême de l’évêque de Rome avec tous ceux qui sont quotidiennement engagés, dans la pastorale diocésaine a réuni le 25 février dernier en la Chapelle Sixtine un nombre exceptionnel de prêtres et de laïcs : curés, vicaires, prêtres diocésains et religieux, collaborateurs paroissiaux ainsi que prédicateurs de l’imminent Carême, Chefs des offices et officiels du Vicariat, élèves des Séminaires diocésains et étrangers, tous groupés autour de S. E. M. le Cardinal Vicaire Ugo Poletti, accompagné de ses Evêques Auxiliaires.

Paul VI a adressé à ses visiteurs un discours dont voici la traduction :



Monsieur le Cardinal,

Vénérés Frères et Très chers Fils,



Cette rencontre marque un moment important pour notre vie spirituelle autant que pour la vie ecclésiale. Il doit être vécu dans toute sa plénitude, plénitude de conscience, de propos, de prière. Il est le seul de l’année qui nous rassemble tous, Evêques, Curés et Prêtres diocésains, Religieux, Professeurs, Etudiants et Hôtes ; il fut un temps, vous le savez, où il réunissait les Prédicateurs du proche Carême ; puis, le nombre de ces Ministres qualifiés de la Parole de Dieu s’étant réduit, à ceux-ci se sont joints, pour leur dignité et par affinité de ministère, les Pasteurs et leurs Coadjuteurs ; et finalement, comme aujourd’hui, tout le Clergé de Rome, s’il le veut et s’il le peut, est invité à cette réunion. Elle conserve son caractère de simplicité, dépouillé de tout cérémonial ; elle garde son intention ascétique en vue de la préparation pascale ; et elle reste pour nous et pour vous l’occasion unique de se retrouver ensemble, et d’avoir le sentiment — intérieurement et extérieurement — d’être communauté et mieux encore, d’être communion, d’être Eglise, et « Eglise Romaine ». Et, tout au moins pour nous, ceci fait de ce moment, si bref et simple soit-il, un instant de bonheur spirituel. Cela nous rappelle, un peu de la même manière, l’humble, la mélancolique parole du Seigneur : « Combien de fois n’ai-je pas essayé de réunir tes fils, (Jésus adressait à Jérusalem sa douloureuse apostrophe), comme la mère-poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu » (Mt 23,37) ; et cette rencontre nous donne une impression contraire, aussi consolante pour nous que fut amère et dramatique celle de Jésus, Messie refusé, Messie méconnu. Une autre image évangélique, très belle, très heureuse, se montre à notre esprit, celle du bercail où les brebis se serrent autour du pasteur qui ainsi les connaît, et ainsi les guide et les protège, prêt à donner sa vie pour elles. Aussi ce moment, s’il revêt pour vous, comme nous le croyons, une grande importance, s’il est plein d’adhésion, d’affection pour votre Evêque, pour nous aussi il représente une occasion d’effusion dans la confiance et dans la charité envers chacune de vos personnes et pour toute la classe ministérielle que vous composez et représentez dans cette Eglise locale, sainte, humaine et toujours pèlerine, la nôtre et la vôtre, qui s’appelle Rome Nous aimerions vous saluer tous, un à un, honorer et encourager la vocation particulière de chacun de vous, exprimer à tous notre reconnaissance pour le ministère sacré que vous exercez et faire à chacun le don du charisme de certitude qui, conféré par Jésus à Pierre, est venu de l’apôtre jusqu’à notre infime personne, se maintenant toutefois intact, puissant, toujours et plus que jamais aujourd’hui, opportun : « Confirme tes frères » (Lc 22,32). Il faut que chacun de vous se rende compte que c’est à lui personnellement que s’adresse notre tonifiant salut.

12 Mais ceci étant dit, dans nos esprits naît une question : Quel sera le sujet du bref discours de circonstance ?

Nous répondrons sur-le-champ, avec une intention de synthèse ; le thème est le binôme : union et action. Vous le voyez, il n’énonce rien qui soit nouveau et original : n’est-ce d’ailleurs pas là le programme ordinaire et traditionnel du sacerdoce ministériel ? Certes ! Mais faites attention à l’intensité que nous entendons donner à ce binôme, une intensité qui découle du caractère urgent de la charité (cf.
2Co 5,14), spécifiquement nécessaire aujourd’hui, soit pour la grande méditation théologique, que le Concile a déployée devant nous en parlant du mystère de l’Eglise et de notre salut ; soit pour la situation critique, ambivalente, négative et positive, de l’humanité de nos jours. Le ministère de l’Eglise ne peut pas se dérouler au rythme, relativement uniforme et tranquille, des temps passés ; s’il veut être efficace, il doit être, nous le répétons, assidu, fort, souffert, plein de ce sens pastoral que Jésus a voulu pénétré d’un immanent esprit de sacrifice : « Le bon pasteur donne sa vie pour son propre troupeau » (Jn 10,11).

Union et action, sous l’impulsion d’une double force convergente : la grâce du Seigneur, dont nous devons être toujours les adeptes jaloux et confiants (cf. Ph Ph 1,20), et notre pauvre et modeste mais vigilante et nouvelle bonne volonté.

Union. Nous nous abstiendrons pour l’instant de jeter un regard rétrospectif sur les conditions de la vie pastorale romaine : était-elle unie, organique, fraternelle ? Jetons plutôt un regard sur le nouveau programme diocésain, accordant une particulière attention aux organes nouveaux — si riches de vertus spirituelles — qui viennent compléter les anciens afin de faciliter de manière harmonieuse l’union, la collaboration, la co-responsabilité (dans une certaine mesure) dans la vie diocésaine : nous parlons du Conseil presbytéral et de l’Office pastoral.

Vous avez ensuite deux autres organismes, le Collège des Curés et les Préfectures qui ont déjà fait longuement et heureusement leurs preuves et qui peuvent être intégrés parfaitement dans le réseau tendu vers l’unification de la communauté ecclésiale. Il existe de nombreuses autres institutions pour l’assistance méthodique à des secteurs particuliers, toutes destinées au perfectionnement de la communion unitaire de l’Eglise Romaine où existe toujours cette Action Catholique qu’ont si vivement recommandée et encouragée nos sages et vénérés Prédécesseurs et à laquelle fut confiée la mission (ante litteram, mais actuelle plus que jamais) d’appeler le laïcat catholique, hommes et femmes de tout âge et de toutes conditions, à la coopération directe et responsable à la mission pastorale propre de la Hiérarchie, accomplie en faveur du Peuple de Dieu.

Nous espérons que cette forme qualifiée — mais libre — d’apostolat recommencera à développer son organisation et retrouvera sa vigueur agissante.

Union. Mais la mention de ce point d’appui de la vie ecclésiale exige, nous le savons tous, la pratique d’une vertu que l’on n’apprécie plus aujourd’hui comme il se doit, alors qu’elle figure toujours dans les canons qui règlent la continuité et l’imitation du Christ et assurent la cohésion indispensable, historique et sociale, du Corps mystique — l’Eglise — durant son pèlerinage dans le temps : nous parlons de l’obéissance. La pratique de cette vertu, empreinte de l’esprit du Concile et de l’Evangile, justifiée dans l’exercice du pouvoir qui l’exige, n’entraîne pas un esprit de domination, mais de service ; il faut que nous revenions tous humblement et fidèlement à la pratique de cette vertu, si nous désirons vraiment l’authenticité de la vie chrétienne et la possibilité de tendre vers le but suprême que le Christ laissa en testament à ses disciples, au moment de prendre congé au début de la Passion : « Soyons tous un » (Jn 17,21). Puisse cette simple invitation suppléer l’apologie, à la fois libératrice et directrice, qu’une telle vertu exigerait de nous. Et avec l’union, l’action.

Chacun le sait, l’action constitue un des chapitres fondamentaux de la « somme » des devoirs du Clergé à l’heure actuelle. Le récent Congrès diocésain, consacré à la responsabilité des chrétiens en matière de promotion de la justice sociale et de la charité, a mis en évidence la nécessité pour le ministère pastoral de perfectionner son activité cultuelle et culturelle en y intégrant des formes nouvelles d’assistance charitable et sociale. Nous constatons que c’est devenu extrêmement urgent et nous apprécions les efforts qui s’exercent déjà. La charité doit être prévenante et faire preuve d’imagination ; la justice doit être courageuse et conclusive. Les besoins sont encore nombreux, et nous qui, en celui qui souffre, voulons voir le Christ qui attend de nous d’être reconnu et servi, nous devons multiplier notre dévouement et nos aptitudes pour ne pas manquer aux impératifs modernes de notre action généreuse et efficace.

Aussi, et précisément dans la perspective de cette fin humaine et chrétienne, permettez-nous de faire quelques remarques que nous estimons importantes et actuelles.

Première remarque : il ne faut pas que notre sollicitude charitable et sociale s’exerce au détriment de notre activité proprement religieuse, aussi bien dans notre vie personnelle, que dans notre vie communautaire. L’annonce de la Parole de Dieu et le ministère de la Grâce doivent garder toujours la priorité soit pour la réalité de leurs valeurs religieuses soit pour éviter le péril que leur carence fasse tarir la véritable inspiration et l’énergie morale dont l’activité sociale chrétienne ne peut être privée.

Seconde remarque : cette « primauté du spirituel » nous est nécessaire pour nous maintenir dans les limites de notre compétence religieuse (souvenez-vous : « Donnez à Dieu..., donnez à César... », Mt 22,21 Rm 13,7), par respect de l’ordre temporel constitué auquel nous devons appui et collaboration, mais que nous ne pouvons prétendre remplacer quand les besoins du prochain ne réclament pas notre assistance de bons Samaritains. Nous ne pouvons admettre non plus que l’activité religieuse soit exploitée à des fins temporelles ou pour des objectifs utilitaires.

13 Laissez-nous poursuivre et présenter à votre conscience sacerdotale une double recommandation, à l’observance rigoureuse de laquelle se trouve aujourd’hui liée, dans quelques cas, votre fidélité authentique au Christ et à l’Eglise : sachez être vraiment détachés de l’argent et des avantages économiques que vous pourriez retirer de l’activité religieuse grâce à d’habiles et injustes manoeuvres ; sachez être sévères avec vous-mêmes afin de maintenir transparente la pureté de vos moeurs, tant intérieurement qu’extérieurement (cf. Mt Mt 5,28), ne cédant jamais dans votre comportement à cette incohérente et presque fatale permissivité dont on ne parle que trop, malheureusement.

Puis, il faudra que nous parlions encore de l’esprit de contestation qui devient presqu’une forme endémique, anti-ecclésiale, de critique acide et pleine de préjugés, désormais habituelle, qui ne réussit qu’à favoriser un opportunisme démolisseur, qui n’est orientée ni vers la vérité, ni vers la charité. Comment pourrait se développer une action positive, cohérente, chrétienne à partir d’un pluralisme idéologique, qui a un aspect de libre-examen, et qui est, par conséquent, destructeur de la cohésion de la communion de foi, d’amour, de service, d’unité évangélique? Ne dispersons pas les forces de l’Eglise, ne prenons pas pour modèles de renouvellement chrétien les principes pseudo-libérateurs qui ont tenté de déchirer la « tunique sans couture du Christ », et qu’un laborieux oecuménisme s’efforce de recomposer. Veritas libera vos (Jn 8,22) a dit le Seigneur : la vérité, celle que l’Eglise garde et enseigne, et non pas les profonde vocum novitates, les opinions courantes, souvent d’origine hostile, auxquelles certains se conforment obséquieusement au lieu d’adhérer à la foi authentique et pure.

Nous voudrions que l’Année Sainte, dans le rayon de lumière de laquelle nous nous trouvons désormais placés, nous aide à surmonter cette situation psychologique et morale, qui attriste l’Eglise ; et qu’elle nous fasse don de ce renouvellement et de cette réconciliation qui sont tellement souhaitables, également dans la perspective de ce douloureux phénomène. Nous avons confiance dans le Seigneur qui voudra recréer la joie d’une voix unique, fraternelle, solidaire dans notre communion ecclésiale. Et nous avons aussi confiance, tant de confiance en vous, qui tous aurez à coeur de nous aider à atteindre ce but réellement prophétique.

L’Union et l’Action, c’est-à-dire l’Evangile vivant et agissant dans l’Eglise de Dieu, feraient tressaillir de joie l’Eglise de Rome ; elle se sentirait plus vigoureuse, plus pénétrée en conscience de sa mission de service et de modèle envers l’Eglise catholique tout entière, envers ces Eglises et ces communautés qui, encore séparées de nous, se trouvent sur le seuil du seul et unique bercail du Christ, et envers le monde contemporain qui, le sachant ou non, attend de nous ce témoignage.

Ainsi soit-il : avec notre Bénédiction Apostolique.





AUX SPÉCIALISTES DE L’ACADÉMIE DES «NUOVI LINCEI»

Mercredi 27 février 1974




Chers Messieurs,

Nous sommes à la fois heureux et honorés de recevoir votre groupe ce matin. La haute compétence scientifique que vous possédez, et qui vous a acquis un renom international, suscite notre estime et nos félicitations. Pour l’Eglise, déchiffrer, avec le plus de précision possible, les lois complexes qui règlent l’univers physique et biologique constitue déjà une quête de la vérité qui rend hommage à la fois à l’Auteur de la nature et à l’esprit humain qui participe à sa Sagesse.

S’il s’agit de mieux pénétrer le mystère de la vie humaine, de la protéger et de la promouvoir, l’oeuvre déborde le domaine étroitement délimité des spécialisations proprement scientifiques. Beaucoup de concours y sont nécessaires: à côté de celui du savant et du médecin, il y faut celui du philosophe, du politique, du juriste, comme aussi, pensons-nous, celui du moraliste et du théologien.

En ce domaine en effet, l’Eglise catholique professe une conception de l’homme totalement englobante, qui fonde ses prises de position relatives aux problèmes actuels. Elle se réjouit de la maîtrise que l’homme acquiert sur sa propre vie, non pour la transformer à son gré, mais pour l’épanouir selon toutes les possibilités inscrites dans sa nature. Elle est soucieuse de la qualité de la vie, à tous ses niveaux, car ils sont tous ordonnés à la vocation spirituelle de l’homme. Elle reconnaît à chaque personne un caractère sacré, garanti par Celui qui a créé l’homme à son image, l’enveloppe de son amour et l’appelle à vivre avec Lui; elle reconnaît donc son droit inaliénable à vivre, dès le premier commencement de son existence - un droit dont nul humain ne peut jamais disposer - et un droit aussi à trouver chez ses semblables, et d’abord dans la famille, les conditions d’une vie vraiment humaine.

Ainsi, face aux problèmes de la vie, l’Eglise se situe dans la lumière d’une foi qui lui révèle le sens plénier de l’homme, et dans le sillage d’une longue expérience d’accueil à la vie. Mais sur ce point, elle sait qu’elle rejoint beaucoup d’hommes de bonne volonté, justement soucieux des conditions de vie réservées aux futures générations. C’est vous dire l’estime et l’intérêt que nous portons à vos travaux, en souhaitant de contribuer, pour votre part, à ce haut service de l’humanité.




AU COMITÉ POUR LA FAMILLE

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Mercredi 13 mars



RESPECTER L’AMOUR ET LA VIE GOMME PRÉCIEUX DONS DE DIEU





Après l’audience générale du 13 mars dernier, le Saint-Père a reçu le Comité pour la Famille institué par lui-même le 11 janvier 1973 et chargé d’étudier au niveau pastoral les problèmes spirituels, moraux et sociaux de la vie familiale. Le Pape a adressé le discours suivant à ses visiteurs :



Chers Frères et chers Fils,



Membres et Consulteurs de notre Comité pour la Famille, experts appelés à se joindre à leur travail, vous êtes heureux de Nous rencontrer au terme de cette deuxième Assemblée générale. Croyez-le bien, pour Nous aussi, votre présence constitue une joie. Nous bénissons le Seigneur de recevoir votre témoignage et tous les témoignages positifs dont vous êtes porteurs, de bénéficier de votre travail intense de réflexion, de pouvoir compter sur votre expérience et sur votre engagement, dans une fidélité totale à l’Eglise. Oui, votre ferveur à promouvoir les valeurs de la famille, à un moment où elles sont fortement ébranlées, Nous apporte réconfort et espérance.

Nous avons pris connaissance du vaste programme de votre Assemblée. Vos questionnaires ont voulu cerner toutes les dimensions du rayonnement de la famille, sans esquiver les problèmes brûlants auxquels elle est affrontée. Votre perspective globale était pastorale, avec tout ce qu’une pastorale suppose de regard sur la vie des personnes et de leurs milieux, d’écoute du Magistère, de considérations théologiques, éthiques et spirituelles, de souci éducatif et d’efficience sociale à long terme.

Nous vous laissons le soin d’en présenter la synthèse, où plutôt d’en prolonger les avenues que vous avez ouvertes. Le premier résultat semble être déjà le lien de communion profonde que vous avez constitué, dans l’analyse et la recherche. Cette communion est marquée par deux caractères qui, à nos yeux, lui donnent un grand prix. Au-delà du travail très sérieux réalisé par maints catholiques dans leur pays, il s’agit ici d’une rencontre universelle dans son esprit, et qui veut le devenir dans les faits.

Mais évidemment, le Comité ne saurait en rester là: il doit trouver des moyens d’action, au niveau qui est le sien. Il doit d’abord être un éveilleur : faire prendre conscience aux communautés chrétiennes de l’enjeu énorme des problèmes familiaux, susciter des centres de réflexion et d’action : certaines régions commencent à en être pourvues ; en d’autres, tout reste à créer. Il faut encore inviter au partage des découvertes, encourager les initiatives, contribuer à les confronter, à les compléter, à les coordonner.

Le Comité doit en même temps être un témoin privilégié de la conception chrétienne des relations familiales. Il doit faire apparaître clairement toutes les valeurs humaines essentielles que la famille est appelée à développer en chacun des ses membres, toutes le richesses chrétiennes qu’elle peut mettre en oeuvre dans leur vie chrétienne, toutes les chances qu’elle représente pour leur vie en société. Et à partir de là, il faut évidemment souligner les conditions exigeantes qui sont requises pour une telle réussite. En ce domaine, il s’agit de répondre aux besoins de la situation actuelle, non pas par des pratiques discutables, mais à la lumière des exigences les plus profondes de la nature humaine personnelle et sociale, à la lumière aussi des perspectives qui ont été ouvertes par le Christ et par l’Eglise animée de l’Esprit du Christ. C’est ce qui permet de dégager les axes prioritaires de la pastorale familiale dont vous devez être, au premier chef, les promoteurs.

Ce matin, Nous pouvons tout juste évoquer quelques-uns de ces axes, sans prétendre être exhaustif.

D’abord, le foyer est le lieu privilégié de l’amour, de la communion intime des personnes, de l’apprentissage d’un don continuel et progressif entre époux, qui doit pouvoir s’appuyer fermement sur l’unité et l’indissolubilité de leur union. Un tel amour suppose nécessairement tendresse, maîtrise de soi, compréhension patiente, fidélité et générosité sans cesse renouvelées aux sources surnaturelles du sacrement de mariage.

Le foyer est le lieu d’accueil à la vie. Une tâche urgente est de former les époux à une paternité et à une maternité responsables, de les aider surtout à la vivre. Une telle responsabilité apparaît aujourd’hui très difficile à exercer : il n’est pas question en effet de détourner artificiellement de sa fin l’acte procréateur, encore moins d’ôter la vie à l’être humain qui a été conçu : les chrétiens doivent demeurer très fermes sur ces points. Heureux ceux qui s’efforcent ainsi de respecter l’amour et la vie, comme des dons de Dieu ! Nous félicitons vivement les médecins, les éducateurs, les prêtres qui aident les foyers à suivre ce chemin exigeant.


Discours 1974 8