Discours 1977 27

27 Tout d’abord, l’amour du clergé : que ferait un évêque seul, privé de l’aide de ses prêtres ? Il manquerait d’organe de transmission pour communiquer avec son troupeau et lui apporter le salut. Cette seule considération suffit ; elle n’est ni intéressée ni utilitaire, mais elle répond à la dynamique même du soin pastoral ; elle tend à ce que chacun de vous se persuade encore plus que l’amour à l’égard des « confrères dans le sacerdoce » est une obligation première, valable en toute circonstance et qu’il faut manifester, par exemple, dans une difficulté, un moment de souffrance ou de fête, ou en reconnaissance d’un service.

Un autre intérêt saillant, lié au premier, est le souci des séminaires qui sont le coeur du diocèse (décret Optatam Totius,
OT 5) et surtout, de ce qui touche au séminaire régional, maintenant doté de l’Institut théologique qui convenait. Certes, quelques signes de reprise sont positifs, mais il faut augmenter l’union déjà existante entre les diocèses et les ordres religieux de sorte que les forces les plus qualifiées et les meilleures énergies soient mises au service de l’apprentissage, nécessaire et aujourd’hui plus exigeant, qu’est la préparation à la prêtrise.

Et que dire des laïcs, de leur apostolat, de leur activité, de leur disponibilité à rendre service ? Une seule remarque : dans l’amour que vous portez au clergé ne séparez pas les laïcs ; sachez vous prévaloir de leur contribution, faites-en vos disciples et vos amis, préférez parmi eux les pauvres, les malades, les marginaux.

Que de problèmes qui vont croissant ô frères ! Ils sont si importants et si nombreux qu’on a parfois la sensation de ne pas savoir par où commencer. Et pourtant dans la masse des engagements, il nous semble que soit toujours valable, parce que confirmé par les difficultés actuelles, le schéma du ministère épiscopal, que nous vous proposons comme un réconfort et comme souvenir de cette rencontre :

a) alimenter avant tout une vie spirituelle personnelle, selon la tradition ascétique qui depuis les lettres pastorales de Paul jusqu’à nos jours suit un cours ininterrompu. Citons, à ce propos, un bref passage de la Regula pastorales (règle pastorale) de Saint Grégoire le Grand : Tantum debet actionem populi actio transcendere Praesulis, quantum distare solet a grege vita pastoris (II, 1, cf. ibidem, sur la méditation studiose quotidie sacri eloquii praccepta) (L’agir de celui qui est à la tête doit d’autant plus transcender l’agir du peuple que sa vie de pasteur est plus éloignée de la vie de son troupeau) ;

b) que cette spiritualité soit accompagnée — comme nous le rappelle ce même Saint — de l’officium praedicationis, c’est-à-dire du service de la Parole, sobre mais fréquente et tirée de la méditation ;

c) enfin, selon la leçon toujours actuelle que le Bon Pasteur Jésus nous a dispensée par la bouche de l’apôtre préféré, il faut avoir un grand esprit de sacrifice, qui adoucisse la peine et fasse accepter de bon gré les souffrances parfois aiguës et intenses que comporte le saint ministère : le bon pasteur — vous le savez — à la différence du mercenaire, non seulement connaît ses brebis et les appelle par leur nom, mais à l’occasion, il les défend des assauts du loup et n’hésite pas à donner sa vie pour elles (cf. Jn Jn 10,3-15).



Que la Vierge de Lorette renforce vos résolutions, vous console dans vos peines, vous remplisse de joie et de confiance, vous obtienne cette sagesse cette force qui sont les dons singuliers de son Epoux céleste. Invoquez-la pour vous-mêmes, pour vos prêtres et vos fidèles afin que la région qui lui est consacrée puisse produire, avec un progrès humain assuré et mérité, la vigoureuse floraison spirituelle d’un témoignage chrétien exemplaire.

Ainsi soit-il, avec notre Bénédiction apostolique.





A UN GROUPE D’INDUSTRIELS DE FRANCE


Samedi 26 mars 1977




Mesdames, Messieurs,

28 Nous sommes heureux de pouvoir vous saluer ce matin et de vous adresser quelques mots de bienvenue. Comment ne pas vous souhaiter d’abord, malgré sa brièveté, un séjour dans la Ville éternelle? Puissiez-vous en comprendre le véritable message humain et spirituel, et même en faire un vrai pèlerinage.

Nous voudrions aussi que vous emportiez de votre visite un réconfort et un encouragement. Nous savons combien vos responsabilités sont lourdes, vos tâches complexes et les difficultés de tous ordres nombreuses. Nous voulons cependant vous encourager à chercher dans la doctrine sociale de l’Eglise les principes non seulement religieux mais aussi humains qui vous permettront d’avancer dans les voies du véritable progrès social que vous désirez promouvoir. Nous demandons au Seigneur de bénir vos efforts en ce sens, en lui recommandant vos personnes et vos familles.




26 mars



FAIRE ENTENDRE L’EVANGILE HARDIMENT ET AVEC CLARTÉ



Paul VI reçoit les Evêques de la région épiscopale du Centre (France).



Chers Frères dans le Christ,



Soyez les bienvenus ! Cette rencontre avec nos Frères dans l’Episcopat, venus par région nous entretenir de leur ministère pastoral, constitue l’un des actes les plus importants et les plus émouvants de notre charge de Successeur de Pierre. Désireux de partager vos joies et vos peines, vos difficultés, mais aussi vos espoirs, nous voulons vous aider à discerner l’essentiel et vous confirmer dans la Foi.

Vos diocèses sont célèbres à plus d’un titre : Bourges, Sens, Tours, Blois, Chartres, Moulins, Nevers, Orléans ! Les noms de grands saints y sont attachés : de mémoire, nous citons saint Martin, sainte Jeanne d’Arc, sainte Bernadette, mais ils sont légion. Et vos ancêtres ont laissé, dans cette région du centre, des cathédrales, des monuments religieux, qui attestent encore aujourd’hui l’harmonie merveilleuse de leur art et de l’épanouissement de leur foi. N’est-ce pas un encouragement à construire aujourd’hui l’Eglise, avec les nouvelles pierres vivantes de nos générations ?

A cette oeuvre, vous vous consacrez sans ménagement. Nous apprécions vivement le zèle que vous déployez pour consolider les forces chrétiennes qui demeurent ou resurgissent et tracer de nouvelles voies pour l’Evangile. Vous cherchez, dites-vous, à aider les croyants, souvent minoritaires, à approfondir leur foi au Christ, à les faire participer activement à la vie ecclésiale, à aider les « militants » à s’engager dans leur milieu de vie ou de travail, en veillant à ce que cette action soit reliée au salut en Jésus-Christ et porte objectivement la marque de critères évangéliques. Gardons-nous bien en effet de négliger ceux qui ont la foi et la manifestent de quelque façon, fréquentent l’église, demandent les sacrements, veulent la catéchèse pour leurs enfants, même si leur vigueur apostolique et leur impact dans la société ne sont pas au niveau de vos souhaits. C’est la portion fidèle du Peuple de Dieu sur laquelle il faut d’abord compter. Là où subsiste un reste de foi ou de piété, c’est une grâce : il s’agit d’éclairer, d’éduquer, de fortifier.

Mais vous êtes aussi préoccupés des brebis qui semblent hors du « bercail » : de ceux qui délaissent la pratique dominicale, des groupes qui vivent comme si un « mur de séparation » les éloignait de l’Eglise, de ceux qui ne s’inspirent plus de la foi, explicitement du moins, pour la construction de la cité. Nous apprécions votre lucidité, nous partageons votre préoccupation missionnaire, nous regardons avec vous ce qui peut être porteur d’espérance. Mais les moyens apostoliques ont besoin d’être mûrement réfléchis, solidement éprouvés. Et n’oubliez pas que vous êtes liés à tous vos Frères dans l’Episcopat. La collégialité épiscopale, si bien mise en lumière au Concile Vatican II, vous fait prendre part aux charges de l’Eglise universelle autour du Pape ; elle appelle donc une solidarité sans faille lorsqu’il s’agit d’appliquer les orientations et les mesures adoptées pour les autres diocèses ou l’ensemble de l’Eglise, même si personnellement vous êtes tentés par d’autres projets.

La semaine dernière, nous avons abordé avec vos confrères de l’Ouest de la France un certain nombre de points qui vous intéressent vous aussi. Nous n’allons pas les reprendre aujourd’hui, vous pouvez vous y reporter. Nous relevons cependant trois problèmes particuliers dans votre schéma de présentation : le ministère presbytéral, les assemblées dominicales sans prêtres, la catéchèse.



1. Nous comprenons que la relève sacerdotale vous préoccupe de plus en plus. Le problème doit vous préoccuper sérieusement, mais non au point de vous paralyser ni vous amener à concentrer vos regards et vos espoirs sur des solutions impossibles ou illusoires. Dieu merci, cette difficulté n’est pas universelle dans l’Eglise, et il convient plutôt de la considérer comme temporaire et surmontable. Il faut donc chercher tout ce qui peut être fait pour débloquer la situation, selon les voies qui ont été établies ou confirmées pour l’ensemble de l’Eglise.

29 L’hypothèse de recourir à l’ordination d’hommes mariés dans l’Eglise latine n’a pas été jugée opportune, comme vous le savez tous, par les plus hautes instances de l’Eglise, et avec notre approbation, voilà à peine six ans. L’Eglise a pensé qu’elle pouvait miser sur la grâce de l’Esprit Saint et sur la préparation des âmes, pour susciter des hommes totalement consacrés au Royaume de Dieu. C’est dans ce sens qu’il nous faut tous travailler. Mesurez-vous les risques de doutes, d’hésitations paralysantes, de désengagements, que peut procurer ou renforcer la remise en cause publique du célibat sacerdotal, même à l’état de souhait ? Pensez-vous vraiment que ce serait la solution ? Le problème crucial, celui qui détruit les germes de vocation, n’est-il pas d’abord celui d’une crise de la foi, et plus encore peut-être la peur d’un engagement définitif très répandue chez les jeunes ? Or ne voyez-vous pas qu’il est rendu plus aigu par le manque de cohésion, de clarté, de fermeté, sur l’identité du prêtre de demain, alors que cette dernière n’a pas changé et ne saurait changer ? Les jeunes, c’est normal, veulent savoir où ils vont, quel genre de vie sera le leur. Songez à la perspective spirituelle dans laquelle votre génération ou même celle d’après vous s’est préparée au sacerdoce. Rappelez-vous les textes tonifiants qui les encourageaient, comme la lettre du vénéré Cardinal Suhard sur « Le Prêtre dans la Cité ». Le Concile Vatican II a pu compléter cette perspective ; il ne l’a point abolie. Proposer le rôle du prêtre dans toute sa grandeur et son urgence, avec toutes ses exigences, voilà le problème primordial à nos yeux.

Nous vous livrons quelques suggestions, sans douter bien sûr que vous ayez commencé à les explorer. A l’intérieur des diocèses, entre les diocèses, n’est-il pas possible d’envisager encore une meilleure répartition des forces sacerdotales ; diocésaines ou religieuses ? Les possibilités du diaconat ont-elles été vraiment mises en oeuvre, quant au choix des candidats, quant à leur préparation plus poussée ? Ne peut-on pas lancer un appel plus résolu, assidu, pour les vocations sacerdotales d’aînés, mais aussi d’adolescents et même d’enfants ? Songeons à tous ces groupes de jeunes, soucieux de recherche spirituelle et de participation à quelque responsabilité d’Eglise : sont-ils donc insensibles à de tels appels ? Vous-mêmes, Evêques, beaucoup plus en contact avec les jeunes qu’autrefois, ne craignez pas de leur exposer souvent le problème de la relève sacerdotale, avec le tact et l’ardeur qui conviennent. Et que vos équipes de prêtres, même dans les secteurs difficiles, rayonnent la joie de leur sacerdoce, celle de labourer et de semer pour le Seigneur, sans voir encore la récolte, pas même parfois la germination, portés par cette espérance invincible que donne une vie intérieure profonde !



2. Vous abordez aussi la question des assemblées dominicales sans prêtres, dans les secteurs ruraux où le village forme une certaine unité naturelle pour la vie comme pour la prière, qu’il serait périlleux d’abandonner ou de disperser. Nous en saisissons bien la raison, et les avantages qu’on peut en tirer pour la responsabilité des participants et la vitalité du village. Le monde actuel préfère ces communautés à taille humaine, à condition évidemment qu’elles soient suffisamment étoffées, vivantes et loin de l’esprit de ghetto. Nous vous disons donc : avancez avec discernement, mais sans multiplier ce type de rassemblement, comme si c’était la meilleure solution et la dernière chance ! D’abord, vous êtes très convaincus de la nécessité de choisir judicieusement et de préparer les animateurs, laïcs ou religieux, et déjà à ce niveau, le rôle du prêtre apparaît capital. D’autre part, l’objectif doit demeurer la célébration du sacrifice de la messe, seule vraie réalisation de la Pâque du Seigneur. Et surtout pensons bien que ces assemblées du dimanche ne pourront suffire à rebâtir des communautés vivantes et rayonnantes, dans un contexte de populations peu chrétiennes, ou en voie de laisser tomber la pratique dominicale. Il faudrait créer en même temps d’autres rencontres, d’amitié et de réflexion, des groupes de formation chrétienne, avec le concours de prêtres et de laïcs plus formés, qui aideraient leur entourage immédiat, à tisser des liens de charité et à mieux prendre en charge leurs responsabilités familiales, éducatives, professionnelles, spirituelles.



3. La catéchèse. Dans le contexte de « mal-croyance » que vous décrivez, nous comprenons la nécessité d’une approche pédagogique de la foi du Christ, souvent lente et progressive, proche de l’expérience humaine, qui restitue au message chrétien sa saveur de Bonne Nouvelle, son attrait, le rende aussi audible que possible. Jésus s’exprimait par des paraboles proches du terroir et tous les apôtres, à commencer par saint Paul, ont cherché à aplanir, pour les diverses mentalités, le chemin de la foi. Cependant, si nous donnons ce que l’apôtre appelait le « lait » spirituel aux débutants, aux chrétiens du seuil, trouvons en même temps le moyen de nourrir plus substantiellement ceux qui croient déjà, qui sont capables d’une formation doctrinale, qui désirent une vie spirituelle et apostolique plus avancée. Et à tous, il nous faut annoncer le Message, sans que jamais le caractère progressif de la présentation ; ou l’adaptation du langage n’entraînent une incohérence avec la doctrine authentique. Nous ne gagnerons rien à construire avec de mauvais matériaux (cf.
1Co 3,12). Et il nous faut trouver les moyens de faire entendre l’Evangile hardiment et avec clarté, la où tant d’autres voix étrangères inculquent de mille manières d’autres messages humains. Oh ! certes, plusieurs en font durement l’expérience. Certaines terres semblent longtemps imperméables à l’Evangile : l’appel de Dieu, du Christ, semble ne rencontrer aucun écho dans nombre de coeurs. Quelle épreuve pour l’apôtre ! Et pourtant, « malheur à moi si je ne prêchais pas l’Evangile ! » (1Co 9,16). Peut-être faut-il d’abord susciter un climat de prière pour l’entendre. Le Message chrétien conserve toujours un caractère abrupt, qui oblige au choix de la foi et qui d’ailleurs présente paradoxalement plus d’attrait qu’on ne le pense. Croyons-en la force de la Parole de Dieu !

Voilà, chers Frères, quelques orientations au regard de vos problèmes apostoliques. Ceux-ci sont sérieux, graves. Cependant, Frères, reprenez courage, en confiant au Seigneur l’avenir de vos diocèses. Il ne peut que récompenser votre fidélité, celle de vos collaborateurs, auxquels vous direz notre affection, notre confiance. Et ne craignez pas d’élargir votre coeur d’apôtre, celui de vos fidèles, aux soucis et aux espoirs des autres églises locales. Leurs difficultés sont peut-être d’un autre ordre, mais elles ne sont pas légères. Pour nous, au lieu où la Providence nous a placé nous sommes chaque jour informé, avec nos Dicastères, des situations de détresse de telle ou telle Eglise, en Europe de l’Est, en Afrique, en Asie, en Amérique latine : obstacles, tribulations, voire persécutions, inhérentes à toute évangélisation. C’est le lot de tous les disciples du Seigneur. Mais il y a aussi des printemps remarquables, parfois imprévus. Le plus à craindre, ce serait le manque de vigueur des croyants. Mais que le Christ ressuscité soit notre espérance, que l’Esprit Saint soit notre soutien! De tout coeur, nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.






28 mars



MAINTENIR LE CAP SUR LE BUT DE L’ÉVANGÉLISATION



Paul VI reçoit les Evêques de la région épiscopale du Nord (France).



Chers Frères dans le Christ,



C’est une grande joie pour nous de recevoir ce matin tous les Evêques de la Région du Nord. Au delà de vos personnes, nous gardons une mémoire émue et reconnaissante à quelques-uns de vos prédécesseurs, Mgr Guerry, le Cardinal Liénart. Vos diocèses de Cambrai, de Reims, d’Amiens, d’Arras, de Chalons, de Langres, de Lille, de Soissons, de Troyes, présentent certes des réalités humaines et chrétiennes assez diverses : la grande industrie, les mines, l’agriculture, le vignoble polarisent le travail de vos populations ; certains secteurs ont une densité urbaine très forte, d’autres sont surtout ruraux ; ici un christianisme vigoureux a profondément marqué les générations précédentes, là les chrétiens sont clairsemés. Mais partout des problèmes pastoraux assez semblables paraissent posés, que vous avez évoqués avec précision et lucidité dans la synthèse que vous nous avez remise. Nous vous en remercions vivement. La constatation globale que « la foi ne va plus de soi », même dans les communautés, familles et écoles chrétiennes, vous oblige à approfondir et à renouveler vos efforts d’évangélisation.

Nous ne prétendons pas faire ce travail à votre place, car vous êtes à pied d’oeuvre et c’est vous qui en portez la responsabilité directe. Mais nous aimons connaître vos difficultés et vos espoirs, de façon à mieux remplir notre charge de Successeur de Pierre qui est de « confirmer nos Frères » (Lc 22,32). La visite « ad limina », sagement prescrite par le Droit canonique (can. 341), nous en fournit une occasion privilégiée. Et cette fonction de Pierre, aujourd’hui, revêt une importance particulière. Il y a tant de bouleversements dans les idées, dans la vie sociale, dans la vie religieuse elle-même tant de remises en question, d’inquiétudes plus ou moins justifiées, de recherches, d’essais nouveaux, tant de sollicitations ou de pressions de toutes sortes, qu’il faut prendre le recul nécessaire, se situer au point central de l’Eglise et s’appuyer sur le Roc de la tradition vivante, pour avancer avec sécurité sur des chemins nouveaux. L’avertissement de l’Epître aux Hébreux prend un relief saisissant de nos jours : « Ne vous laissez pas entraîner par la diversité des doctrines étrangères; c’est par la grâce qu’il convient d’affermir son coeur » (He 13,9). Tout cela oblige le Successeur de Pierre à être plus présent que jamais à votre vie apostolique, pour confirmer ses Frères Evêques dans la fermeté nécessaire à l’accomplissement de leurs devoirs dans la sainte Eglise.

Oui, il s’agit de confirmer nos Frères dans la Foi plénière ; de raviver aussi leur confiance dans la mission spéciale exercée par le Saint-Siège : le service de l’unité lui a été confié pour que soit confessée partout la foi uniforme de l’Eglise, pour que la charité unisse tous les membres : « Quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum » (Ps 132,1) ; pour que la liturgie, la discipline ecclésiastique, la mission soient vécues en pleine communion avec le Pape.

30 De façon plus précise, chaque région française nous donne l’occasion d’aborder plusieurs problèmes pastoraux que nous confions d’ailleurs à la réflexion de tous. Avec vous, nous concentrons notre dialogue sur deux questions soigneusement analysées dans votre relation écrite : les communautés chrétiennes et l’action du laïcat.



LES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES





La synthèse de vos rapports met en évidence votre attachement à la paroisse territoriale. Ceci témoigne de votre réalisme.

La paroisse demeurera le lieu le plus adéquat du rassemblement du Peuple de Dieu. La très grande majorité des fidèles serait à bon droit déconcertée par la dévaluation et l’abandon d’un signe ecclésial qui peut et doit retrouver un souffle de jeunesse. Les exemples de ce renouveau sont heureusement très nombreux. Mais vous soulignez en même temps que la paroisse est appelée à se diversifier de plus en plus, à l’intérieur d’elle-même, en petites communautés de réflexion, d’action, de prière, en fonction des milieux souvent très variés qui la composent.

Vous prenez acte de cette apparition ou de ce réveil de groupes chrétiens. En lisant vos rapports, nous sentons à la fois les espoirs et les appréhensions suscités par cette transformation de vos paroisses rurales et urbaines. Nous comprenons votre joie lorsque vous découvrez des chrétiens, des jeunes surtout, qui rêvent de communautés à échelle humaine, soulevées par l’Evénement de Pâques et de Pentecôte, empressées de s’aimer, de partager, de témoigner de la Bonne Nouvelle, de révéler à leurs frères le sens de l’existence humaine ! Cependant vous n’êtes pas sans craindre la dispersion, le manque d’enracinement, l’isolement, les égarements possibles de ces communautés jeunes et généreuses. Le passage de l’unité à la multiplicité du rassemblement chrétien est extrêmement délicat. C’est pourquoi, vous avez l’impérieuse obligation de rappeler souvent à tous vos fidèles et surtout à ceux qui font l’expérience de ces communautés nouvelles qu’ils ont à vérifier sérieusement leur appartenance à l’Eglise selon les critères explicites dans notre Exhortation Evangelii Nuntiandi et ceux que vous avez vous-mêmes précisés dans votre Rapport. Cette évolution de la paroisse nous fait penser à une comparaison : celle du concert vocal et instrumental. Chaque communauté diffère un peu des autres, comme les voix et les instruments. Mais toutes et chacune, pour demeurer authentiquement d’Eglise, doivent être très soucieuses de rester en communion, trouver les moyens de se rassembler pour célébrer le même Sauveur, adhérer au même Evangile, participer au même Pain de vie et reprendre ensemble la même mission apostolique. Récemment d’ailleurs, dans la Lettre aux Catholiques de France, vous avez tracé les orientations majeures dont elles doivent s’inspirer. Et l’unité entre communautés se réalisera d’autant mieux que les prêtres eux-mêmes vivront cette unité entre eux, quelque soit leur âge ou leur ministère spécialisé, avec respect, confiance et amour fraternel.



LA PROMOTION DU LAÏCAT





Nous remarquons, dans vos rapports, une autre préoccupation dominante : la promotion du laïcat. Est-il besoin de vous assurer que nous sommes parfaitement d’accord ? C’est la volonté du Seigneur que tous les baptisés et confirmés participent à l’apostolat. C’est l’une des orientations majeures du Concile Vatican II.

Une remarque préliminaire : il ne faudrait évidemment pas que le souci d’un laïcat formé et responsable fasse oublier l’urgence d’appeler et de bien préparer des prêtres. Il l’exige au contraire. Nous l’avons récemment rappelé.

Ceci dit, nous encourageons vivement vos efforts pour la formation, à tous les niveaux, d’un laïcat chrétien, car l’apostolat ne s’improvise pas, et c’est dans l’Eglise qu’il doit puiser ses principes et ses méthodes. Ceux qui travaillent dans les mouvements apostoliques, les responsables notamment, ne peuvent prétendre faire oeuvre d’évangélisation sans rechercher cet approfondissement spécifiquement chrétien. La foi qui doit imprégner leur action ne se déduit pas d’un simple regard sur la vie ni d’une analyse des événements, bien qu’elle s’y applique. Elle surgit de l’Evangile lu en Eglise, elle se fortifie dans la prière, se nourrit dans les sacrements, met d’abord en oeuvre le charisme fondamental des chrétiens : l’amour, l’amour universel.

Et nous ajoutons : une formation doctrinale. Beaucoup de mouvements s’efforcent déjà d’y pourvoir, selon leurs moyens. Pour le laïcat en général, nous savons aussi que, dans les Instituts catholiques de France et dans vos diocèses respectifs, ont été organisées des possibilités de ressourcement doctrinal. Nous souhaitons que de nombreux laïcs reçoivent ainsi un enseignement théologique solide qui leur permettra de comprendre le mystère de l’Eglise. De tels laïcs, très présents aux réalités de ce temps, et parfois aux points névralgiques où se joue la civilisation, seront mieux à même de discerner les valeurs et les contre-valeurs, pour une véritable évangélisation.

Ces laïcs, loin d’être des exécutants de la hiérarchie, acquerront leur identité et leur majorité, en respectant également l’identité et la mission spécifique de leurs pasteurs. Il importe de maintenir et de renouveler le lien organique indispensable entre les prêtres et les laïcs. Chacun intervient selon sa vocation particulière. Le prêtre n’a pas à suppléer le militant, ni le militant à suppléer le prêtre. L’Eglise ne veut ni du cléricalisme, qui prétendrait garder le monopole de l’apostolat, ni d’un « laïcalisme » coupé du sacerdoce sous prétexte d’autonomie. Ce qu’il faut, c’est une articulation intelligente, persévérante : elle sera créative, et démontrera que l’Eglise, loin d’être un rapport de forces, est une communion.

Quant aux champs et aux méthodes d’apostolat, le réalisme oblige à faire preuve de souplesse et de diversité. Les différents milieux de vie constituent un terrain privilégié, dans la mesure où les laïcs s’y emploient à évangéliser les mentalités particulières et à susciter des engagements inspirés d’un esprit chrétien. Les réalités proprement familiales, les responsabilités éducatives, les problèmes de conscience de la vie professionnelle et civique etc. ne doivent pas être négligés. La dimension politique des problèmes, pour importante qu’elle soit, ne doit pas masquer les autres aspects de la vie quotidienne, ni durcir les rapports interpersonnels. Et pour éviter les ghettos, il importe de susciter de larges rencontrés au sein du Peuple de Dieu.

Enfin il faut bien maintenir le cap sur le but de l’évangélisation : si elle s’intéresse nécessairement à l’humanisation des structures, elle veut plus profondément ouvrir les mentalités à l’Evangile et même provoquer dans le coeur des personnes la question fondamentale du Christ aux disciples : « Qui dites-vous que je suis ? ». Le respect de l’autonomie du temporel et le phénomène grandissant de la sécularisation ne doivent pas faire oublier la nécessité de témoigner explicitement de la foi.

31 Nous savons que certains mouvements apostoliques accueillent en effet de plus en plus des « catéchumènes » ou des incroyants de bonne volonté ; c’est un signe de leur rayonnement. Ce fait ne doit pas pour autant paralyser la réflexion proprement chrétienne, ni amenuiser son ressourcement spirituel, ni entraîner à une action ambiguë.

Nous vous invitons à revoir ces points avec notre Conseil Pontifical pour les Laïcs, dont nous venons de renouveler les structures et les membres. Nous savons bien que vous partagez ces souhaits. Les laïcs attendent de vous proximité, bienveillance, amitié, mais aussi discernement ; franchise, courage. C’est l’amour même et la confiance que tous ensemble nous portons aux laïcs chrétiens qui nous fait désirer pour eux un apostolat authentique et vigoureux, celui du sel qui ne s’affadit pas, celui du levain qui se mêle à toute la pâte pour la faire lever.

Nous sommes très heureux de cette rencontre si fraternelle ! « Ubi caritas et amor, Deus ibi est ! »

Pour conclure, nous exprimons un voeu : Nous aimerions que vous partagiez le mieux possible, avec vos prêtres et vos diocésains, cette rencontre avec l’humble Successeur de Pierre et tous les fruits de votre visite « ad limina ».

Chaque jour, vous célébrez l’Eucharistie, « en union avec le Pape Paul ». Croyez bien que nous-même, nous portons sans cesse, dans notre coeur et notre prière, le nom et le travail apostolique de tous nos Frères dans l’Episcopat. Et nous implorons pour chacun d’eux, la sérénité, le courage et l’espérance.

Avec notre affectueuse Bénédiction.






31 mars



PRIER POUR ÊTRE LE SEL DE LA TERRE



Le Pape reçoit un groupe d’Evêques d’Allemagne

Le Pape a reçu un groupe d’Evêques d’Allemagne, conduit par le Cardinal Joseph Ohffner, Archevêques d’Aachen, Paderborn et des Evêques d’Essen, Munster, Hildesheim, Osmabrück et plusieurs auxiliaires. Voici la traduction de l’allocution prononcée en latin par le Saint-Père.



Vénérables Frères,



Nous éprouvons une grande joie à vous accueillir et à vous saluer, vous, les saints pasteurs des provinces ecclésiastiques de Cologne et de Paderborn ; c’est vous qui représentez pour ainsi dire la première partie des saints évêques d’Allemagne qui accèdent aux tombeaux des apôtres pour leur visite « ad limina ».

32 Nous voulons saluer à titre particulier notre vénérable frère, Joseph, le Cardinal Höffner, actuellement président de la conférence épiscopale d’Allemagne ; nous le remercions vivement des paroles pleines de déférence qu’il nous a adressées.

Votre visite à Rome, aux tombeaux des apôtres et la prière que vous leur adressez se prolonge d’une manière naturelle et se complète par votre venue vers nous, qui, quoique indigne successeur du bienheureux Pierre, occupons le siège épiscopal de Rome. Si nous réfléchissons ici aux origines de notre foi et de notre Eglise, nous sommes en même temps ramenés aux temps actuels : c’est là en effet que l’oeuvre du salut de Jésus Christ, qui a son fondement dans l’histoire, doit être effectivement accomplie dans l’Eglise d’aujourd’hui et d’une manière vivante.

Dieu donc nous appelés en ces jours pour que nous, les pasteurs et les chefs du peuple de Dieu, nous accomplissions jusqu’au bout le mandat donné aux apôtres pour l’édification du corps mystique du Christ. La rénovation qui découle du Concile Vatican II, nous offre de nombreuses et nouvelles possibilités pour mener à bien cette mission de salut et l’étendre avec efficacité. Elle nous impose en même temps des charges multiples et souvent difficiles qui vous incombent à vous surtout en tant qu’Ordinaires des lieux, et qui requièrent toutes vos forces.

Il faut assurément louer l’Eglise de votre patrie, de ce que non seulement elle a opéré une oeuvre de grande importance pour la cause du renouveau et sur les documents du Concile Vatican II, mais aussi parce que dans un Synode des diocèses de la république fédérale d’Allemagne, tout récemment achevé, elle est entrée dans une voie qui conduit à une pratique généreuse et efficace des normes du Concile. Ce sera la tâche qui vous incombera à vous, comme pasteurs, dans les années qui viennent, de suivre fidèlement et avec persévérance la ligne des délibérations synodales dans chacun de vos diocèses. Ceci se fera dans un esprit tel que la vie religieuse des communautés ecclésiales et familiales, ainsi que le témoignage de foi de chaque chrétien en sera vivifié et plus profondément assumé.

Nous participons de coeur à votre souci, que nous connaissons bien, devant la diminution de la foi que l’on peut percevoir dans l’Eglise, ainsi que devant les difficultés qui naissent de la pénurie de prêtres et de religieux. Pour remédier aux tendances qui caractérisent cette situation, outre les dispositions qu’il convient de prendre, comme de nouvelles ordinations à des ministères pastoraux et territoriaux, il faut intensifier la vie spirituelle des prêtres et des fidèles ; il faut éveiller et favoriser chez eux, avec une ardeur nouvelle, le goût de la prière, la volonté de se dévouer, le sens du service à assumer en pleine conscience, quand il s’agit des vocations ecclésiastiques et de la mission salvifique de l’Eglise dans le monde. C’est seulement, en effet, si le sel garde et augmente sa force intérieure, qu’il rend « le sel de la terre » plus efficace, plus généreux et qu’il peut étendre plus largement son effet.

Plus la sécularisation, comme on l’appelle, progresse dans la société humaine et dans les affaires publiques et plus l’Eglise doit élever sa voix avec force et ouvertement, de façon à y répondre, par son mandat qui doit être un ferment dans le monde de ce temps. C’est cela même que vous avez cherché à faire avec autorité, dans les années passées et de plus en plus, en tant que confrères de la conférence épiscopale d’Allemagne, dans les déclarations que vous avez publiées sur des questions primordiales de droit commun et de principes moraux. De nos jours, la juste évaluation des obligations morales qui s’adressent à tous les hommes, disparaît d’une manière effrayante ; dans la société d’aujourd’hui qui se signale par un pluralisme, il est nécessaire que le discernement des esprits s’exerce et que, à temps et à contre temps, l’erreur et le péché soient dénoncés et que soit rejeté ce qui s’oppose à la volonté de Dieu et à la dignité humaine. En même temps, l’Eglise estime qu’il est de son devoir de dépenser ses forces pour améliorer et rendre plus juste la condition humaine. Cela certainement contribue au bien commun et à la promotion de la personne humaine.

L’Eglise de votre patrie peut se glorifier des sentiments élevés où s’est maintenue la conférence épiscopale d’Allemagne dans les graves et urgentes nécessités du monde et pour défendre les droits de l’homme. C’est là qu’intervient la promptitude de vos fidèles à venir en aide aux autres ; générosité qui se manifeste surtout et d’une manière significative par les bienfaits des grandes oeuvres épiscopales qui s’appellent « Misereor » et « Adveniat » ainsi que les secours offerts par l’oeuvre appelée « Missio ». Nous souhaitons que le bien fait avec cette volonté généreuse de venir en aide aux Eglises pauvres et qui est aussi offert à des personnes individuelles, puisse apporter aux donateurs eux-mêmes et à leurs Eglises l’abondance des bénédictions célestes. Nous voulons faire nommément mention des laïcs catholiques d’Allemagne qui ont bien mérité de l’animation religieuse et du souci de l’homme, et qui sous des formes qui leur sont propres et particulières s’appliquent à apporter leur concours à l’édification de la cité terrestre selon l’esprit de l’Eglise.

Que votre foi brille devant le monde, vénérables frères, que le courage de vos collaborateurs et des fidèles dont vous avez la charge, brille en cette heure qui exige tant de vous !

C’est avec ces voeux et dans cet esprit que nous vous suivons et que nous vous suivrons à l’avenir. Nous implorons Dieu de vous donner son aide et son secours à vous-mêmes, à votre clergé et à tous les fidèles de vos communautés ecclésiales. Que le gage de ces grâces soit la Bénédiction apostolique que nous vous accordons dans la charité du Christ.








Discours 1977 27