Discours 1975 53

AUX PARTICIPANTS AU IV COLLOQUE INTERNATIONAL


SUR LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME*


Vendredi 7 novembre 1975




Mesdames, Messieurs,

En vous recevant ce matin, à l’occasion du quatrième Colloque international sur la Convention européenne des droits de l’homme, Nous sommes très heureux de marquer Nous-même le vingt-cinquième anniversaire de la signature de cette Convention.

Nous pensons que la cité de Rome y demeure aussi particulièrement sensible, elle qui en était le témoin. Cet Acte reste en effet à l’honneur des pays membres du Conseil de l’Europe qui l’ont signé, puis qui l’ont ratifié. Il a ouvert la voie à une meilleure défense des droits de l’homme dans toute cette région de l’Europe. Enfin il constitue à nos yeux un symbole et un espoir pour tous les hommes épris de justice.

54 Pour promouvoir la paix et faire oeuvre de reconstruction morale dans cette Europe de l’après-guerre aux plaies encore vives, il importait de mettre au premier plan le respect des droits de l’homme, de les affirmer et surtout de les garantir pour tous les citoyens.

C’est le mérite du Conseil de l’Europe d’y avoir pourvu sans tarder, en élaborant cette Convention européenne. Certes les Nations Unies venaient d’adopter et de proposer à l’ensemble des peuples la «Déclaration universelle des droits de l’homme». Une telle charte constituait déjà une sorte d’engagement moral d’une importance énorme.

Mais la Convention européenne a voulu, pour cette région, en hâter l’application de façon réaliste et efficace: les principes ont été réaffirmés avec plus de précision et de détails, et surtout un mécanisme approprié a été mis en place afin d’en garantir la sauvegarde, en ménageant, pour les Etats et pour les individus, la possibilité d’un appel contre leur violation éventuelle.

C’était la première fois, Nous semble-t-il, qu’une telle possibilité était ouverte aux personnes de recourir à un organisme international, qui donne des garanties d’ordre judiciaire, pour la défense de leurs droits essentiels. En dehors de telles garanties - Nous le constatons malheureusement chaque jour - les plus belles déclarations, dont l’humanité pourrait être fière, risquent de demeurer sans effet; et la voix des victimes de la violation des droits, même si elle a parfois quelque écho dans l’opinion publique internationale, peut être impunément bafouée dans leur propre pays. Nous sommes loin d’avoir trouvé les remèdes adéquats, respectant à la fois la souveraineté des Etats et ces droits fondamentaux. On souhaiterait par exemple que tous les droits si solennellement proclamés soient assortis de quelque force juridique, dans la ligne des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme qui ont déjà été élaborés.

Ici, précisément, dans le cadre de la Convention européenne trois organes de niveau intergouvernemental sont prévus pour y veiller de façon indépendante, impartiale, selon un fonctionnement judicieux et complexe: la Commission européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme, et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ils ne peuvent évidemment procéder qu’avec le plein consentement des Parties contractantes, et Nous savons que le chemin d’une ratification unanime et entière de la Convention et des protocoles additifs n’est pas sans difficultés. Cependant de gros progrès ont été réalisés. Votre intention n’est d’ailleurs pas de vous substituer aux voies normales de recours possibles en chaque pays, mais de constituer une instance supplémentaire, lorsque celles-ci sont épuisées. Vous dressez actuellement le bilan de ces vingt-cinq années de protection européenne des droits de l’homme. Parmi les multiples demandes présentées, le nombre de celles que vous pouvez retenir est forcément réduit, mais la voie ouverte constitue, à nos yeux, un pas important, dans le sens d’une plus grande justice non seulement pour la rétablir en cas de violation, mais pour en stimuler la recherche. La perspective d’une telle procédure n’a-t-elle pas déjà encouragé certains pays à aménager leur propre législation?

Ce qui empêche d’ailleurs le droit de se figer, c’est l’organe qui a été institué au service de la convention européenne: «le Comité des experts en matière des droits de l’homme». Il permet une étude continuelle des dispositions de la Convention, en fonction des besoins de la société européenne, et propose à l’Autorité compétente mise à jour ou compléments. Le Saint-Siège, dans le cadre de sa compétence propre et de sa finalité spirituelle, est heureux de suivre les travaux de ce Comité, par l’intermédiaire de son Représentant.

Donner des garanties de justice, promouvoir un système juridique plus adéquat, ne suffisent évidemment pas à éliminer les atteintes délictueuses à la dignité humaine. Il faudrait intensifier une éducation continuelle des gens, qui les forme, non seulement à revendiquer leurs droits fondamentaux, et à respecter ceux des autres, mais aussi à assumer, en conscience et pour leur part, les devoirs qui correspondent à tous ces droits de l’homme. Voilà une oeuvre civique et morale à laquelle beaucoup de personnes et d’organismes devraient contribuer, selon leur responsabilité familiale, culturelle et sociale, et là encore l’Eglise ne veut négliger aucun effort pour apporter sa part spécifique.

C’est dans cet esprit, Mesdames et Messieurs, que Nous formons des voeux fervents pour la Convention européenne des droits de l’homme, pour le succès et le progrès de cette institution juridique que le Conseil de l’Europe a eu la sagesse et la patience de mettre en oeuvre. Vous savez nos sentiments sur les responsabilités de cette Europe. Elle a bénéficié, plus que d’autres continents, d’une civilisation chrétienne qui reconnaît au plus haut point la dignité de la personne humaine, à cause du prix que le Dieu Créateur et le Christ Sauveur attachent à chacun de nos frères. Une telle Europe ne devrait- elle pas donner aujourd’hui l’exemple d’une civilisation vraiment humaine, qui ne soit pas seulement axée sur le potentiel économique et technologique, mais qui mette son point d’honneur à défendre les droits de la personne humaine? Dans cet espoir, Nous vous assurons de notre estime et de nos encouragements. Et en cette Année Sainte qui veut promouvoir la réconciliation dans la justice, Nous implorons sur vos travaux, sur vos personnes et sur vos familles les bénédictions du Dieu Tout-Puissant, en qui les droits humains trouvent leur ultime fondement.

*Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIII, p.1234-1237.

L'Osservatore Romano 8.11.1975, p.1, 2.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.46 p.1.

55 La Documentation catholique, n.1687 p.1021-1022.




12 novembre



LE PRIMAT DE LA PRIÈRE DANS LA VIE DES RELIGIEUX





Parmi les nombreux pèlerins étrangers qui remplissaient la Salle des Audiences, se trouvaient les participantes à la réunion de l’Union Internationale des Supérieures Générales, sur le thème « Congrégation et mission ». Le Saint-Père leur a adressé en français le discours suivant :



Nous voulons saluer tout d’abord les très nombreuses Supérieures générales, actuellement réunies pour l’Assemblée de leur Union. Une partie importante des espérances de l’Eglise repose sur la vie religieuse, sur son développement, sur son authenticité. C’est vous dire, très chères Filles, que l’avenir et le présent dépendent de toutes celles que vous représentez, mais aussi de la manière dont vous vous acquittez actuellement de vos lourdes responsabilités.

Nous vous félicitons du thème choisi pour votre rencontre : « Consécration et mission ». Il doit vous permettre de situer toujours mieux ce qui constitue l’essence même de vos différents Ordres, Instituts, Congrégations, au-delà de leur riche diversité, par rapport à Dieu, à l’Eglise, au monde. Puisque la Providence a permis que vous soyez les guides des Instituts religieux et de toutes vos Soeurs, ayez toujours présentes à l’esprit les convictions claires et fondamentales concernant la consécration religieuse, qui doit être le principe de votre identité et l’âme de votre activité. Ce sont les trois voeux ou promesses qui donnent a votre vie, grâce à l’orientation radicale qu’ils lui communiquent, en vous distinguant des autres sans vous en séparer, cette cohérence supérieure, assurément très exigeante, mais qui exprime justement la fidélité à votre vocation.

Or cette vocation vous a consacrées d’abord à Dieu, dans le Christ. Nous voulons insister sur ce point : soyez des âmes de prière. D’ailleurs un renouveau se dessine en ce sens chez de très nombreux fidèles. Pour vous, ne craignez pas de rappeler fréquemment à vos Soeurs qu’un temps de véritable adoration a plus de valeur que l’activité la plus intense, même apostolique. Oui, il appartient à votre vocation de contester une société où l’on ne mise que sur l’efficacité apparente. Vos communautés doivent être par excellence des centres de prière, de solitude pour Dieu, de communion aimante à Jésus-Christ. Et que votre prière liturgique soit ardente, digne et simple, qu’elle soit un modèle d’adhésion aux directives de l’Eglise, au moment où certains cherchent le renouveau dans des fantaisies abusives et illusoires qui ne favorisent ni la communion ecclésiale, ni la profondeur de la prière. Ce sens de la prière est inséparable du sens de l’ascèse. Sachez réagir quand se manifeste une mésestime et un abandon sans discernement des moyens ascétiques traditionnels, et particulièrement de ce que l’on nomme si bien les « observances religieuses », car elles sont une forme importante de l’obéissance qui ouvre le coeur à Dieu et lui donne son élan d’amour. Tout en étant insérées dans le monde, vous devez témoigner que « vous n’êtes pas du monde », comme les disciples du Seigneur.

Consacrées à Dieu, vous êtes unies au Christ et à son Eglise d’une façon spéciale. Chez vous, Filles de l’Eglise, on doit trouver, plus que chez d’autres, une estime de l’Eglise, un amour de l’Eglise, un service de l’Eglise, une disponibilité confiante envers ceux que l’Esprit Saint a institués Pasteurs de l’Eglise. Tous les laïcs chrétiens qui assistent à cette audience pourraient vous dire combien ils comptent sur votre témoignage, sur votre aide de religieuse authentique. Et vos Evêques, vos prêtres misent beaucoup sur les forces vives que vous représentez : leur mission, au plan national, diocésain, paroissial et au niveau des instances apostoliques ne peut se passer de votre contribution spécifique de femmes consacrées.

Reliées au Seigneur, Filles de l’Eglise, vous pouvez alors, selon vos diverses vocations, vous tourner vers le monde pour être, à votre manière, le sel, la lumière, le ferment, dont parle l’Evangile, les témoins de la Joie de Dieu, les missionnaires de la charité et de la réconciliation. En cette Année Sainte, qui est aussi l’Année de la Femme, que votre regard se tourne vers toutes ces femmes exemplaires que nous avons déclarées Bienheureuses ou Saintes, comme Elisabeth Ann Seton pour ne citer qu’un nom. Dieu trouve sa gloire dans de telles âmes ; le monde lui-même estime et attend de tels témoignages. Vous avez par-dessus tout comme modèle la Vierge Marie. Elle est comme nous l’avons rappelé dans notre Exhortation Marialis Cultus, la Vierge qui écoute, la Vierge qui prie la Vierge qui engendre le Christ et le porte au monde. Puisse-t-elle aider à accomplir parfaitement votre vocation, à y guider vos Soeurs.

D’une façon particulière, en signe de notre confiance et de notre affection, nous vous assurons toutes de notre paternelle Bénédiction Apostolique.






AUX PARTICIPANTS À LA CONFÉRENCE DE LA FAO*

Vendredi 14 novembre



« UN AJUSTEMENT AGRICOLE INTERNATIONAL DEMANDE UNE CONVERSION DES ESPRITS À LA SOLIDARITÉ UNIVERSELLE »





Dans la matinée du 14 novembre, le Saint-Père a reçu en audience les délégués et observateurs participant à la XVIII° session de la Conférence de la F.A.O. Ils étaient conduits par le Président élu au cours de la Conférence, M. Mansour Rouhani, Ministre de l’Agriculture de l’Iran.

56 Etaient également présents les hauts fonctionnaires de la F.A.O. conduits par le Directeur Général en Fonction Dr Addeke Boerma et du Directeur Général récemment élu, Dr Edouard Saouma, qui entrera en fonction à la fin de l’année.

Le Saint-Père a adressé au groupe le discours suivant :



Monsieur le Président, Monsieur le Directeur Général, Mesdames, Messieurs,



C’est toujours avec une joie particulière que nous accueillons les membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Nous avons une si vive conscience de l’importance de ces travaux qui réunissent des responsables politiques et des experts du monde entier, sur des problèmes cruciaux qui conditionnent la vie des hommes ! Cette session coïncide d’ailleurs avec le trentième anniversaire de la F.A.O. : nous sommes heureux de renouveler à cette Organisation les voeux fervents et les espoirs confiants que nous sommes venu lui exprimer, à son siège même, voilà cinq ans.

L’idée d’un ajustement agricole international, thème central de cette dix-huitième session, appartient à l’intuition même qui a présidé à la naissance de votre Organisation. Si elle agit désormais chez beaucoup avec la force tranquille d’une nécessité et d’une évidence, n’est-ce pas le plus bel hommage qui puisse être rendu à la qualité du travail déjà accompli ? Et n’est-ce pas aussi le meilleur stimulant pour vous, à l’heure où des alertes successives dramatiques, le sentiment de la précarité de la situation alimentaire mondiale et de l’équilibre économique général vous confèrent une responsabilité nouvelle ?

En l’espace de peu de temps, toute une série de Conférences internationales au plus haut niveau ont insisté sur la nécessité de rapports économiques internationaux plus équitables. Vous avez contribué à cette prise de conscience. Il vous revient maintenant de la développer et de l’aider à déboucher sur des réalisations concrètes cohérentes dans le domaine qui est le vôtre. Vos statuts et l’expérience acquise vous mettent dans une position de premier plan pour travailler à cette tâche.

En effet, dans les recherches en cours, vous vous intéressez directement à la partie la plus nombreuse et trop souvent la plus méprisée et la plus oubliée de l’humanité : le monde rural, en particulier celui du Tiers-Monde. Ensuite, et ceci peut paraître paradoxal, la tâche économique élémentaire qui consiste à nourrir les hommes constitue un précieux régulateur pour la vie économique tout entière : elle met l’accent sur le scandale des gaspillages dont les consciences perçoivent mieux le caractère intolérable à l’heure où d’innombrables êtres humains meurent de faim ; elle oriente les efforts vers les besoins vrais, là où trop souvent l’économie est stimulée et dévoyée par des besoins factices ; elle invite à instaurer des rapports nouveaux dans la perspective d’un véritable service de l’homme, de tout l’homme et de tout homme, dans son développement intégral.

Nous nous réjouissons sincèrement de ces nouvelles perspectives qui s’ouvrent devant vous. Nous vous félicitons du travail déjà accompli. L’histoire des rapports confiants qui n’ont cessé de se développer entre votre Organisation et le Saint-Siège illustre de manière significative le souci de l’Eglise de reconnaître avec joie et gratitude tout service rendu aux hommes, surtout dans un domaine aussi fondamental que celui du pain quotidien.

A son tour, l’Eglise apporte les lumières et les énergies de l’Evangile à toute l’activité humaine. Son enseignement sur l’unité de la famille humaine, dont tous les membres viennent de Dieu, sont créés à son image et appelés à une seule et même fin qui est Dieu lui-même (cf. Gaudium et Spes,
GS 24), éclaire et fortifié ce que votre expérience vous fait découvrir avec toujours plus d’évidence : les problèmes humains comme l’ajustement agricole international et, plus largement, la réalisation de rapports plus équitables entre les nations, ne peuvent trouver de solution que si on les pose dans le cadre de la solidarité effective de toute la famille humaine.

Cela ne signifie pas qu’un cadre universel doive s’imposer en niant les solidarités plus particulières et en cherchant à enfermer l’effort humain dans un modèle unique de développement. La solidarité universelle vivante se construit de proche en proche à partir des solidarités plus immédiates où les hommes et les peuples développent leur personnalité selon leur créativité propre, dans l’environnement dont ils ont plus particulièrement la responsabilité, dans le mouvement d’une histoire qui leur permet de recueillir l’héritage culturel des générations passées et de l’investir dans des constructions neuves. Vous êtes tout particulièrement sensibles à cet enracinement dans un terroir et dans une histoire : le respect des hommes et le souci de l’efficacité se rejoignent pour exiger que les peuples se voient reconnaître la responsabilité première de leur développement et d’abord une autonomie croissante de leurs productions alimentaires. Mais il importe d’ouvrir inlassablement les groupes particuliers sur l’horizon de solidarités plus larges, afin de libérer toutes leurs énergies, de multiplier les échanges de toute nature, d’assurer, aux efforts de tous, cohérence et efficacité. Les populations agricoles gagneront à s’insérer dynamiquement dans le mouvement général de l’économie et de la culture.

Le « cadre conceptuel mondial », dont parlent vos documents, est donc d’abord une question de mentalité, un dynamisme intérieur aux hommes et aux peuples qui élargit leur horizon et leur fait concevoir et réaliser leurs objectifs dans le milieu porteur de la solidarité universelle. Ce mouvement venu de l’intérieur exige une véritable conversion des esprits, et l’Eglise y travaille pour sa part. Mais il se dote d’énergies nouvelles pour se développer lorsque la solidarité universelle réussit à prendre corps dans des institutions communes, avec des orientations communes. Vous êtes l’une de ces institutions qui exprime déjà quelque chose de l’unité de la famille humaine. Nous souhaitons que les travaux de votre dix-huitième session vous permettent de dégager des orientations capables de faire progresser la solidarité humaine dans la lutte commune contre la faim et pour le développement. Ce sera notre précieuse collaboration à l’édification de la communauté humaine. Elle exige que la recherche de structures plus justes s’inscrive à l’intérieur d’une volonté politique de paix et de fraternité, toutes deux étant nourries et guidées par des convictions affermies sur l’incommensurable dignité de la personne humaine, car celle-ci mérite nos efforts tenaces et elle recèle, quand on la respecte dans sa liberté, une créativité capable de maîtriser les grands problèmes de notre temps.

57 Quant à nous, nous vous offrons pour cette grande oeuvre humaine les ressources inépuisables de l’Evangile. Elles ont développé au cours de cette Année Sainte de nouvelles forces de réconciliation : en enracinant davantage les chrétiens en Dieu et en leur faisant faire une expérience renouvelée de leur fraternité en Dieu, l’expérience spirituelle qui se vit ici et à travers le monde prépare des hommes plus aptes à situer leurs efforts dans la perspective de l’unité de la famille humaine réconciliée en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.

Telle est la contribution de l’Eglise, tel est le sens de notre prière. A ce Dieu et Père de tous les hommes, nous demandons de vous assister dans la lourde tâche qui vous revient au service de l’humanité : afin que la terre produise son fruit en abondance et que ce fruit soit à la portée de tous.



*AAS 67 (1975), p.710-713.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIII, p.1276-1279.

L'Osservatore Romano 15.11.1975, p.1, 2.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.47 pp. 1, 11.

La Documentation catholique n.1687 p.1020-1021.



À L’AMBASSADEUR DU LUXEMBOURG


PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Jeudi 20 novembre 1975




Monsieur l’Ambassadeur,

C’est avec joie que nous vous souhaitons la bienvenue au Vatican, et nous vous remercions vivement des paroles aimables et des voeux que vous nous avez adressés au nom de Son Altesse Royale le Gran Duc et du Gouvernement luxembourgeois, que vous représentez désormais officiellement auprès de nous. Veuillez être auprès d’eux l’interprète de notre gratitude et des souhaits fervents que nous formons de tout coeur pour le bonheur et la prospérité de votre pays.

En des termes qui ont retenu toute notre attention, Votre Excellence a évoqué les grands problèmes de notre temps, et le plus important de tous, celui de la paix. Cet objectif doit bien être en effet celui de tous les peuples, en particulier de ceux qui savent faire aux valeurs spirituelles leur juste place, et à plus forte raison de ceux auxquels leur tradition chrétienne permet de donner son sens le plus profond à la fraternité humaine. Et nous savons que le Luxembourg tient à honneur d’apporter son concours aux entreprises visant à promouvoir la paix entre les nations.

58 Il serait vain cependant de chercher à apaiser les conflits et à assurer un climat général de sécurité si les intérêts matériels de chaque peuple continuaient à déterminer égoïstement les perspectives d’avenir. Il faut créer au contraire un souci de justice plus grande pour tous, et donc faire appel constamment au sens de la personne présent en tout être humain, pour promouvoir une civilisation respectueuse de la liberté de chacun et soucieuse de lui garantir des conditions de vie qui permettent son épanouissement physique, moral et religieux.

Telles sont les perspectives que Votre Excellence a heureusement soulignées et qui guident effectivement l’action internationale que le Saint-Siège poursuit avec persévérance. Comment n’apprécierions- nous pas les efforts accomplis par le Luxembourg pour faire face aux problèmes de notre époque et contribuer ainsi à leur solution internationale? L’Eglise y travaille pour sa part selon sa mission spirituelle par la formation de la conscience et le rappel de ses exigences imprescriptibles. Elle s’adresse d’abord à ses fidèles, mais étend volontiers son dialogue à tout homme de bonne volonté.

En cette circonstance solennelle, Monsieur l’Ambassadeur, nous saluons avec affection tous nos fils du Luxembourg. Dans le souvenir de l’aimable visite qu’il nous a rendue en compagnie de Son Altesse Royale la Grande Duchesse, nous exprimons nos sentiments d’estime à Son Altesse Royale le Grand Duc, à tout le peuple luxembourgeois et à ses dirigeants. Nous implorons sur eux les bénédictions du Seigneur, et nous y joignons, Monsieur l’Ambassadeur, les voeux cordiaux que nous formons pour votre mission auprès du Saint-Siège.

*AAS 67 (1975), p.719-720.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIII, p.1303-1304.

L’Attività della Santa Sede 1975, p.386-387.

L'Osservatore Romano 21.11.1975, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.48 p.9.




23 novembre



LE DISCOURS DU PAPE AU PÈLERINAGE INTERNATIONAL DES MILITAIRES





Le dimanche 23 novembre, le Saint-Père a présidé à une commémoration solennelle, Place Saint-Pierre où s’étaient rassemblés plus de 16.000 militaires, appartenant à une vingtaine de pays, venus à Rome pour le pèlerinage international des armées. Paul VI a adressé à ces pèlerins en uniforme, un discours en diverses langues : italien, français, allemand, anglais et espagnol. En voici la traduction :



Votre présence ici est vraiment exceptionnelle et très significative dans le contexte de l’Année Sainte ! Nous voyons en vous la nombreuse représentation de Militaires de diverses armées et spécialités, et de pays divers et lointains, et nous considérons comme parfaitement approprié à notre mission apostolique de vous adresser quelques mots affectueux et mûrement réfléchis : pour vous exhorter à faire vôtres, au même titre que les autres fidèles, les idéaux du renouvellement spirituel et de la réconciliation ; pour vous stimuler au courage du témoignage chrétien ; pour vous rappeler, également, que votre présence « sous les armes », dans l’accomplissement de vos diverses fonctions ne peut et ne doit jamais écarter votre existence d’une vision religieuse et morale cohérente, virile et stable.

59 Nous voulons avant tout saluer les personnes : Officiers et Sous-officiers de tous grades, Soldats, Marins, Aviateurs et, avec vous, tous ceux qui, dans la complexité des tâches que le service militaire a assumées dans le monde moderne, se trouvent enrôlés dans les activités des forces armées. Puis, notre salut s’adresse à vos glorieux drapeaux, vivants symboles de la patrie en même temps qu’invitation constante à la fidélité, au devoir, à l’honneur.



1. Mais pourquoi êtes vous venus ici, à Rome ? Pourquoi avez-vous été invités ? Il y a en cela quelque chose d’apparemment paradoxal



a) vous êtes des soldats ; et il n’est pas douteux que l’image que vous présentez comme tels se définit en termes de force, d’engagement, de discipline, de prestance, de courage et de valeur. Mais ce n’est pas une raison pour que le soldat soit un être capable de se suffire à lui-même (autosufficiente), faisant fond sur sa hardiesse juvénile : peut-il prier ? demander pardon à Dieu ?



b) vous êtes des hommes d’armée ; vous êtes entraînés à la discipline. Mais comment un tel homme peut-il se trouver devant le Christ qui est doux et humble de coeur (
Mt 11,29) ? Devant le Christ qui, au cours des sombres heures de la Passion, a donné un ordre précis à Pierre, c’est-à-dire de remettre au fourreau l’épée qu’il avait dégainée (cf. Jn Jn 18,10-11) ?



c) vous êtes les représentants de nations différentes. Mais dans la réalité des persistantes tensions qui affligent les peuples, cette représentation ne serait-elle pas une sorte d’opposition ? de confrontation entre des mondes qui semblent irréductiblement adversaires ?



Mais, nous le répétons, il s’agit de paradoxes seulement en apparence. La réalité est que vous êtes venus ici animés d’un désir commun de prière et de renouvellement intérieur ; et que vous êtes ici, réunis fraternellement dans le chant, dans la participation réfléchie et active à la liturgie, devenus « un seul coeur et une seule âme » (Ac 4,32) malgré la diversité des mentalités, des langues, des coutumes, fondus en une seule palpitation de foi et d’amour.



2. Voici qu’alors le paradoxe se dénoue et il apparaît ce que vous êtes, ce que cette présence signifie pour vous tous.



a) Vous êtes venus parce que vous aussi vous êtes des hommes ; et l’homme a besoin de Dieu, du Christ, de la religion, du salut ; et il ressent l’urgence de satisfaire sa soif au contact avec le Fils de Dieu !



b) Vous êtes venus ici, parce que plus que d’autres vous avez besoin de paix ; et pour la paix, vous voulez et vous devez vous engager à fond. Puis, ici ; le souvenir des guerres récentes — les deux guerres mondiales et les rencontres incessantes sur plan local — se fait douloureux et cuisant à cause des victimes qu’elles ont provoquées, des jeunes vie tronquées à cause de ce trop de sang innocent qui fut versé ! Que reste fidèle et respectueux notre souvenir de tous ceux qui sont tombés, et que leurs âmes immortelles aient trouvé la paix dans la miséricorde du Christ Sauveur ! Puis : pour vous les armes ne sont pas destinées à l’attaque, mais seulement, et toujours et partout à la défense ; une défense — plaise à Dieu — qui n’ait nul besoin du recours aux armes, mais tende uniquement à donner force et puissance à la justice et à la paix (cf. Rm Rm 13,4 Lc 3,14 Lc 14,31) : c’est-à-dire dans la prévention, dans l’entente loyale, dans la composition magnanime, dans le pardon généreux.



3. Voici alors, voici enfin que votre présence ici devient une grande apologie : vous êtes venus pour célébrer la justice, garante de la civilisation, de l’ordre, du respect réciproque entre les populations, entre les nations. Que vos armes soient le symbole et le soutien de cette justice dont la paix est le fruit ; et sous cet éclairage, votre fonction dans une société civilisée, révèle sa pleine signification. Vous êtes en effet les hommes du devoir, de la discipline et, s’il le faut, du sacrifice pour le bien commun ; c’est-à-dire des sommets de l’amour (« il n’y a pas d’amour plus grand que celui-ci : donner sa vie pour ses propres amis » — a dit Jésus ; Jn 15,13).

La paix, c’est tout cela : ici nous nous découvrons frères, amis, chrétiens. Généreux et joyeux, comme on l’est à votre bienheureux âge, vous avancez vers l’avenir, garantissant des temps meilleurs. Cette paix trouve sa racine la plus vraie, uniquement dans le Christ Jésus : et comme le Centurion, comme les soldats de l’Evangile, c’est avec de tels sentiments que vous le rencontrez ce matin, dans l’esprit de pénitence de l’Année Sainte, puisant en lui la force voulue pour dominer les passions génératrices de guerre et pour rétablir l’harmonie de l’amour.

60 A chacun de vous, à vos Supérieurs, aux Aumôniers Militaires, à tous vos parents ainsi qu’à la communauté des Peuples à laquelle vous appartenez, nous renouvelons notre respectueux salut, en joyeux augure de sérénité et de concorde !



Soyez les bienvenus ! Nous vous accueillons comme Jean-Baptiste accueillait les soldats en recherche de la volonté de Dieu, comme Jésus accueillant le centurion croyant. La Bonne Nouvelle de l’Evangile est aussi pour vous ! Ce qui vous rassemble ici par-dessus les frontières, c’est que vous partagez la même foi de l’Eglise catholique, c’est que vous voudriez la vivre à travers le métier et le service particuliers que vous accomplissez. Dieu vous apporte la certitude de l’amour et l’espoir de la paix dont vos vies ont besoin, et la lumière qui éclaire vos consciences. Le Christ fortifie votre soif de justice vous appelle à être, dans la défense de vos concitoyens, des artisans de paix ; il élargit votre charité. Heureux êtes-vous d’avoir ce Sauveur et ce Guide ! Aidez vos frères soldats, aidez vos familles à s’ouvrir à cet idéal, à cette foi, pour servir la marche de l’humanité vers le bien, vers la paix, vers la fraternité !



Notre appel au renouvellement et à la réconciliation a été entendu par l’Eglise de Dieu tout entière. Et vous, chers Fils et Filles, membres de l’armée avez ouvert vos coeurs pour répondre généreusement et joyeusement à cet appel : vous êtes venus célébrer ici l’Année Sainte. Oui, vous vous êtes rassemblés sous le signe de la Croix — étendard glorieux du Christ vainqueur ressuscité, Roi de l’Univers. Vous êtes venus ici pour exprimer votre foi en Jésus, le Fils de Dieu et Seigneur de la vie, et pour manifester devant le monde votre étroit attachement à l’Eglise. Vous êtes venus pour témoigner de votre profonde conviction que le Royaume est un Royaume de vérité et de vie, un Royaume de sainteté et de grâce, un Royaume de justice, d’amour et de paix. Quant à nous, au nom du Christ nous vous convions aujourd’hui à ne quitter ce centre de l’unité que renouvelés dans ces idéaux et réconciliés dans le sacrifice du Christ afin de donner au monde un vigoureux témoignage commun : proclamer par l’authenticité de votre vie chrétienne que Jésus Christ est Seigneur et Roi, et Sauveur du monde.



Pourquoi êtes-vous venus ici ? Vous êtes venus en fidèles jeunes et croyants, parfaitement convaincus que Dieu est la véritable voie de la Vie, Lui qui nous donne l’être et la vie et que sans Lui, nous ne pouvons rien. Comme vous êtes des soldats vous vous dévouez pour la Justice et la Paix dans le monde. Le Concile Vatican II dit en effet : « Quant à ceux qui se dévouent au service de la patrie dans la vie militaire, qu’ils se considèrent eux aussi comme les serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples ; s’ils s’acquittent correctement de cette tâche, ils concourent vraiment au maintien de la paix » (Gaudium et Spes,
GS 79).

Soyez tous les bienvenus ! Animés d’un esprit de pénitence et d’un désir de renouvellement et de réconciliation vous êtes venus ici pour proclamer votre foi ferme et courageuse dans les idéaux d’une humanité nouvelle fondée dans le Christ, notre Seigneur et notre Sauveur. Dans l’accomplissement quotidien de votre devoir, défense et garantie de la paix entre les hommes et entre les nations, vous trouverez un puissant stimulant dans la pensée que, de par le Baptême, vous êtes des soldats de l’Evangile, disposés à se sacrifier même en donnant la vie pour les frères, à l’imitation du Christ.






Discours 1975 53