Discours 1976 25

CONSISTOIRE PUBLIC DANS LA SALLE DES AUDIENCES



Après un bref intervalle, le Consistoire se déplaçait dans la Salle des Audiences pour l’imposition de la barrette cardinalice et l’assignation des titres ou des diaconies aux nouveaux Cardinaux.

Après avoir écouté un bref salut d’hommage du premier Cardinal, Octavio Antonio Beras Rajas, le Saint-Père a prononcé l’allocution suivante :



En cette phase de la célébration du Consistoire, au cours de laquelle nous nous rencontrons en public pour la première fois, Nous saluons avec joie les nouveaux Cardinaux que Nous avons nommés ce matin en Consistoire secret. Nous disons notre gratitude à Monsieur le Cardinal Archevêque de Saint-Domingue pour les sentiments qu’il a exprimés et qui interprètent bien le moment privilégié que nous sommes en train de vivre ensemble.

26 Nous saluons également les Délégations officielles des gouvernements des divers pays, ainsi que les évêques, les prêtres, les fidèles qui, dans l’allégresse, entourent les nouveaux membres du Sacré Collège auxquels les lient la parenté, l’amitié, la collaboration, l’obéissance de fils à leurs Pères et Pasteurs.



1. Cette présence de représentations d’élite venant des divers diocèses du monde à l’occasion de l’agrégation à l’Eglise de Rome, à un titre tout à fait spécial, de membres des différentes Eglises locales, et de méritants serviteurs du Siège Apostolique dans les Représentations pontificales ou à la Curie romaine, revêt une signification particulièrement éloquente : elle est d’abord comme le prolongement idéalisé de l’Année Sainte, qui a justement vu souligné vigoureusement, dans le langage de la foi et de la prière au tombeau de Pierre, le lien spirituel qui unit l’Eglise entière, vivifiée par le Christ et groupée autour de son Vicaire sur la terre dans la louange sans fin du Père : « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu; un seul Seigneur une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (
Ep 4,4-6). L’Année Sainte, qui nous a fait vivre cette admirable expérience de foi, a aujourd’hui son couronnement.

Mais plus encore, cet acte qui maintenant occupe notre esprit est une représentation visible, dirions-Nous, de la collégialité mise de nouveau en lumière par le Concile Vatican II, et dont la fidèle mise en pratique est le but constant et tenace de notre pontificat. Cette collégialité agit dans la concorde et l’unité, soutenue par le souffle de l’Esprit, pour témoigner du Christ et de son Evangile, pour continuer dans le monde l’élan missionnaire de la Rédemption pour rayonner la lumière de la vérité qui, partie du coeur du Père, a brillé sur le visage du Christ « pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6).

Car voici finalement la signification la plus haute de cette cérémonie : la fidélité. Le serment que vous allez prononcer, Frères vénérés, comporte des paroles d’une grande élévation des paroles graves, lumineuses et redoutables : « je promets et je jure, que je serai, dès maintenant et tant que je vivrai, fidèle au Christ et à son Evangile et que j’obéirai au bienheureux Pierre et à la sainte Eglise Apostolique romaine ». Et en recevant la barrette rouge, vous aurez à coeur de vous rappeler qu’elle indique que « vous devrez vous montrer intrépides jusqu’à l’effusion du sang pour l’accroissement de la foi chrétienne, pour la paix et la sécurité du peuple de Dieu, pour la liberté et le rayonnement de la sainte Eglise romaine ». Voilà décrite la personnalité que vous assumez aujourd’hui dans l’Eglise de Dieu. Désormais, par un signe particulier, vous serez étroitement et intimement unis plus que jamais au Siège de Pierre : les titres des antiques basiliques romaines, ou des nouvelles églises surgies dans la Ville en des temps plus récents comme centres de cohésion d’autant de communautés paroissiales, vous rappelleront le lien qui vous lie, comme membres à un titre tout à fait spécial, à cette Eglise romaine à la destinée unique. Vous aurez le devoir de participer et de collaborer, d’une façon plus ou moins fréquente selon les possibilités et les circonstances, au travail des Dicastères de la Curie romaine. Et la fidélité absolue et inaltérable que vous allez jurer au Siège de Pierre, et sur laquelle le Pape sait qu’il peut compter, devra se manifester également dans la vie de chacune des Eglises locales que vous guidez et représentez. C’est comme un courant de vie qui s’écoule du centre vers chacun des points de l’horizon et qui de là retourne au centre, dans un échange unique de vitalité et d’amour, qui manifeste l’intime fécondité de l’Eglise du Christ.

Nous remercions le Seigneur, qui n’abandonne jamais son Eglise, lui donne toujours une nouvelle vigueur dans la jeunesse permanente qu’il lui a conférée ; son assistance nous guide manu potenti et braccio extento : à Lui, nous nous confions, tandis que nous renouvelons ensemble de façon publique, de façon solennelle, notre acte de foi.







À L’AMBASSADEUR DU MAROC PRÈS LE SAINT-SIÈGE*

Vendredi 4 juin 1976




Monsieur l’Ambassadeur,

Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd’hui et d’accueillir, en la personne de Votre Excellence, le premier Représentant près le Saint-Siège du Royaume du Maroc.

Voici en effet que le Saint-Siège et votre Pays ont décidé, d’un commun accord, de se donner les moyens d’un dialogue permanent, d’une collaboration concrète et certainement fructueuse, en établissant entre eux des relations diplomatiques.

Sans aucun doute, il est difficile de comparer une Puissance politique, un Etat, avec le Saint-Siège. Car l’Eglise catholique est une communauté de chrétiens dont chaque membre appartient aussi à une patrie temporelle et cherche, là où la Providence l’a fait naître, à accomplir son devoir de bon citoyen. Deux réalités bien différentes, assurément.

Mais il Nous semble que, dans le concert des Peuples, tous ceux qui exercent une responsabilité doivent unir leurs voix pour rappeler les droits et les libertés fondamentales de la personne humaine, promouvoir les valeurs spirituelles et stimuler la construction de la paix. C’est la raison pour laquelle Nous sommes très satisfait que le Maroc et le Saint-Siège soient parvenus à nouer officiellement ces liens d’amitié et de confiance réciproque. Aussi Nous vous prions de bien vouloir en porter le témoignage à Sa Majesté le Roi Hassan II, en Lui présentant nos respectueuses salutations et nos voeux.

27 Vous rappeliez il y a un instant que le Souverain Chérifien était le Chef d’une importante communauté musulmane. Nous aimerions donc que nos voeux, à travers Lui, s’étendent à tous les musulmans marocains, héritiers d’une longue tradition spirituelle, nos frères dans la foi au Dieu unique. Dans un monde fortement marqué par le matérialisme ambiant, il est capital que les croyants osent affirmer, dans leurs paroles comme dans leurs actes, la transcendance de la Vérité divine qui surpasse toute conception terrestre. Pour notre part, Nous sommes sûr que les catholiques résidant au Maroc continueront, dans la fidélité à leurs conceptions religieuses, à montrer combien ils partagent cet idéal élevé. Et Nous nous réjouissons de l’heureuse perspective qui s’offre ainsi pour l’avenir.

Par ailleurs, Nous ne voulons pas laisser passer cette occasion sans exprimer à nouveau notre vif désir et le souhait que Nous concrétisons sans cesse dans la prière à Dieu, concernant le Moyen-Orient: que tous s’engagent résolument et sans plus tarder sur le chemin de la paix, que l’on trouve une digne solution à l’importante question de Jérusalem et du problème palestinien, que cessent définitivement les combats au Liban, qui doit redevenir un pays manifestant de façon typique la possibilité de vie en commun et de collaboration entre musulmans et chrétiens.

Au moment où débute votre Mission, Nous vous assurons, Monsieur l’Ambassadeur, de notre sympathie et de celle de nos collaborateurs. Le meilleur accueil vous sera toujours réservé, et vous trouverez ici estime et compréhension. Que le Tout-Puissant vous accorde ses bienfaits, et qu’Il permette, à ces rapports nouveaux, de se développer pour le bien de tous!

*AAS 68 (1976), p.421-422.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIV, p.447-448.

L’Attività della Santa Sede 1976, p.151-152.

L'Osservatore Romano 5.6.1976, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.25 p.4.



AU NOUVEAU CARDINAL JOSEPH MARIE TRIN-NHU-KHUÊ, archevêque de Hanoï


Vendredi 4 juin 1976


Quelle joie pour Nous de vous recevoir ici, Frère vénéré, cher Cardinal Joseph Marie Trin-nhu-Khuê, et de renouveler ce matin l’embrassade que Nous avons eu l’occasion de vous donner le jour du Consistoire. Nous sommes heureux de saluer aussi votre Coadjuteur, Monseigneur Joseph Marie Trinh van- Can. Au-delà de vos personnes, Nous saluons encore toute l’Eglise qui est au Vietnam, tous nos Frères et Fils, les communautés catholiques répandues dans le pays, les familles chrétiennes qui veulent vivre et transmettre leur foi.

Notre salut amical rejoint tout le Vietnam, sa terre et ses populations qui, durant toutes ces années, ont été si présentes à notre pensée, à notre prière. Il y eut même un jour où, alors que la guerre faisait fureur, Nous aurions voulu les visiter personnellement pour implorer avec elles et pour elles la paix tant désirée, un peu comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, durant sa maladie, aspirait à s’envoler, comme la colombe de Noé portant le rameau d’olivier, vers le carmel de Hanoï, alors nouvellement fondé.

28 Pour Nous, vous symbolisez d’abord la fidélité à la foi, au message vivant et toujours fécond de I’Evangile, et Nous ne pouvons Nous empêcher de penser aussi à tous ceux qui vous ont précédés pour implanter et fortifier l’Eglise, depuis plus de trois siècles. Vous symbolisez la fidélité à l’Eglise universelle, avec laquelle vous n’avez jamais cessé de garder des liens d’adhésion et d’affection, dans la communion invisible mais combien profonde du Corps mystique du Christ, qui trouve ici un signe concret dans la personne du Successeur de Pierre. Vous symbolisez la fidélité aux valeurs chrétiennes, à la prière qui n’a cessé de monter de vos coeurs, à la charité qui a fait de vous des artisans de paix et d’amour au service de la Nation vietnamienne si profondément engagée aujourd’hui dans la reconstruction du Pays, tant éprouvé par la guerre.

Ce qui vous a animés par-dessus tous, Nous semble-t-il, c’est l’espérance. Vous l’avez gardée, vous en avez témoigné au milieu des épreuves de toute sorte durant la longue guerre que vous avez connue d’une façon ou de l’autre, l’espérance que Dieu aime tous les hommes, n’abandonnera jamais ceux qui se fient en Lui, qu’Il les attire mystérieusement à Lui.

Frère vénéré, votre rang de Cardinal de la sainte Eglise romaine vous sera, sera pour tout votre peuple, un réconfort, le signe de votre union au Siège de Pierre, au Roc que le Seigneur a posé au coeur de son Eglise. Que l’Esprit Saint continue à éclairer et à guider toute l’Eglise qui est au Vietnam, qu’il vous fortifie et vous donne sa paix! Nous le prions les uns pour les autres en cette attente de la Pentecôte. Et de tout coeur Nous vous bénissons.



À L’ASSOCIATION DES JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE


Mercredi 9 juin 1976




Nous vous accueillons avec joie ce matin, Mesdames et Messieurs, qui représentez l’Association des Journalistes catholiques de Belgique. A travers votre délégation, Nous saluons tous ceux qui s’efforcent de travailler, non sans courage parfois, à former une opinion publique chrétienne.

Nous voudrions les encourager tout particulièrement dans cette tâche de longue haleine. Le journaliste dépend lui aussi de cette opinion qu’il a mission d’informer. Quelle tentation, pour beaucoup, de dire ce qui plaît, de soutenir des engagements incompatibles avec la foi, de donner dans le laxisme et la facilité qui sont à la mode! L’honneur d’une presse vraiment catholique est au contraire, vous le savez, de s’appuyer sur de fermes convictions, de chercher à dire la vérité, même si elle va à contre-courant, de faire entendre, y compris dans le domaine moral, l’enseignement authentique de I’Eglise. Nous vous disons notre confiance sur ce point: soyez fidèles à ce titre de «catholiques» dont vous êtes légitimement fiers.

Nous voulons aussi vous remercier vivement pour la contribution que vous avez à coeur d’apporter fidèlement, par vos «étrennes pontificales», aux charges du Siège Apostolique. A travers vous, notre gratitude va à tous ceux qui apportent ainsi généreusement leur soutien aux oeuvres si variées de l’Eglise. A eux tous, aux membres de votre Association et à vous-mêmes, Nous donnons de grand coeur notre Bénédiction Apostolique.



AUX SECRETAIRES FLAMANDS DE  LA CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS CHRÉTIENS DE BELGIQUE


Samdi 12 juin 1976




Chers Messieurs,

Nous avons accepté volontiers de vous recevoir au cours de votre bref séjour à Rome, et Nous voulons aussi adresser, par votre intermédiaire, nos voeux et nos encouragements à tous les travailleurs de la Confédération des Syndicats chrétiens de Belgique que vous représentez, et à leurs familles.

Nous vous remercions d’abord de votre démarche: elle doit manifester votre volonté de travailler en Eglise, en union avec l’Eglise universelle dont il Nous revient de garantir l’unité et la fidélité. Et Nous, par ces quelques mots, Nous désirons contribuer à vous éclairer dans les multiples engagements qui sont les vôtres. Il importe plus que jamais, à notre époque, de bien percevoir et d’approfondir un point essentiel de toute vie chrétienne, c’est-à-dire le rapport entre les perspectives de la vie éternelle et du monde à venir – éléments essentiels de notre foi - et les perspectives de l’engagement humain, comme l’a fait la Constitution conciliaire «Gaudium et Spes». Les phénomènes collectifs modernes, tout particulièrement dans le monde du travail, ont conduit à considérer, sous des aspects partiellement nouveaux, les valeurs personnelles et collectives qui y sont à l’oeuvre. Précisément la doctrine sociale de l’Eglise a constamment donné aux catholiques les orientations nécessaires pour qu’ils puissent comprendre et réaliser de manière authentique, selon l’originalité de leur foi, selon le dynamisme propre de l’Evangile, leur participation à l’effort commun.

29 Cette doctrine sociale de l’Eglise s’est particulièrement intéressée aux syndicats dans lesquels vous travaillez. Déjà notre prédécesseur Léon XIII, dans son encyclique «Rerum Novarum», quand commençaient à s’organiser et à se regrouper les associations catholiques ouvrières, soulignait leurs trois fonctions essentielles: unir les travailleurs qui étaient alors souvent désemparés et désabusés devant leurs pénibles conditions de vie; défendre et promouvoir leurs propres intérets et leurs droits; et aussi éduquer les ouvriers eux-mêmes à la conscience du bien commun et de leurs devoirs dans le monde du travail, afin de les rendre plus responsables, en harmonie avec les autres classes, les autres secteurs de vie, les autres besoins de la société. Pour le bien-être des ouvriers et la prosperité du peuple tout entier, il importe que les syndicats s’en tiennent toujours à de tels objectifs; et les chrétiens y apporteront une note particulière. A Rome, Nous ne pouvons nous empêcher de penser que les premiers chrétiens, souvent les plus pauvres, ont témoigné de leur foi et préparé de nouvelles relations sociales en se montrant «diligents, laborieux, pacifiques, modèles de justice et surtout de charité» (LEONIS XIII Rerum Novarum. 34). Le monde ouvrier a besoin d’avoir en son sein des hommes qui s’engagent à le rendre plus humain, plus fraternel et plus proche de Dieu, de tout leur courage et d’une manière vraiment chrétienne.

Quel meilleur exemple pourrions-Nous évoquer avec vous que celui dun fondateur de la JOC? Votre pays peut s’enorgueillir d’avoir eu, dans la personne de celui qui devait devenir un jour le cardinal Cardjin sans rien renier de ses origines, un des maîtres de la vie apostolique de notre temps. Son souvenir est toujours vivant parmi vous; beaucoup, certainement, l’ont bien connu. Nous souhaitons que son exemple continue à vous inspirer et à vous stimuler toujours davantage: fidélité à l’Eglise, à I’Evangile; fidélité au monde dans lequel le Seigneur l’avait envoyé travailler. Cette double fidélité est aussi la vôtre. Soyez assurés de notre sympathie profonde pour vos efforts. Nous les recommandons au Seigneur, et Nous vous bénissons de grand coeur, ainsi que tous les travailleurs flamands qui sont associés ce matin à votre démarche filiale.




21 juin



CONFIANCE ET ESPÉRANCE DANS L’AVENIR DE L’ÉGLISE



Le 21 juin le Saint-Père a reçu le Sacré Collège des Cardinaux venus lui présenter leurs voeux à l’occasion de sa fête. A l’adresse d’hommage et aux voeux de S. E. le Cardinal Doyen Traglia, Paul VI a répondu par un discours dont voici notre traduction :



Nous sommes reconnaissant au Cardinal-Doyen pour ses paroles, toujours aimables et pour ses voeux, ainsi qu’à vous tous, nos vénérés Frères du Sacré Collège qui, par son intermédiaire, nous avez exprimé une nouvelle fois vos sentiments de dévotion et d’affection. Que le Seigneur veuille vous récompenser pour ce réconfort que vous nous donnez : Merci, donc ! Et merci pour la collaboration, experte, assidue et inlassable que vous nous apportez dans notre gouvernement universel de la Sainte Eglise ; et pour les nobles efforts que vous consentez pour réaliser toujours mieux et mener à bonne fin la grande tâche héritée du Concile Vatican II ainsi que de l’Année Sainte qui continue à briller à l’horizon comme une force inextinguible.

Selon la coutume, cette traditionnelle rencontre nous offre chaque année la possibilité de nous pencher un instant sur les besoins et sur les problèmes de la vie ecclésiale; et si la célébration du récent Consistoire nous a déjà offert l’occasion de vous confier les sollicitudes que nous inspire la lourde tâche de Souverain Pontife, nous ne croyons pas inopportun, même à brève distance — un peu comme la suite de cette extraordinaire circonstance de réclamer encore la commune attention sur ce qui fait l’objet constant de nos préoccupations pastorales : nous parlons des principaux besoins de l’Eglise à l’heure actuelle.

L’Eglise ! Elle est notre constant amour, notre sollicitude primordiale, notre « pensée fixe » ! Comme la vie de l’Eglise a été, dans toutes ses manifestations tant en son propre sein que dans ses rapports multiples avec le monde, le thème principal du Concile Vatican II qui en a unifié les intérêts et les indications en les faisant confluer comme dans un unique cours majestueux, ainsi l’explication, l’accroissement et la défense de cette vie même sont pour nous le premier et principal fil conducteur de notre humble Pontificat. C’est ce que nous avons voulu et ce que nous continuerons à vouloir jusqu’au terme de notre Pontificat. On n’aime pas le Christ si on n’aime pas l’Eglise ; et on n’aime pas l’Eglise si on ne l’aime pas comme l’aime le Seigneur : Dilexit Ecclesiam et seipsum tratidit pro et (Ep 5,25).

Parmi ces besoins de l’Eglise qui occupent le plus notre esprit, nous voudrions aujourd’hui en indiquer quelques-uns en tant que continuation idéale du discours que nous avons prononcé à l’occasion du Consistoire que nous venons de rappeler.

Promouvoir l’unité interne de l’Eglise





Avant tout il y a le besoin de favoriser et de promouvoir toujours plus l’union interne de l’Eglise. Ce fut la prière de Jésus : ut sint unum (Jn 17,22), prélude sacrificatoire de sa passion rédemptrice présage et avertissement, avec la gravité et la solennité de l’heure dernière, de ces déchirements qui, au cours des siècles, allaient attenter à l’une des prérogatives essentielles, à l’un des facteurs constitutifs de l’Eglise même, l’unité. Aujourd’hui, comme à d’autres époques de désorientation doctrinale, et peut-être même plus que jamais à cause du relativisme qui parfois recueille, absorbe et endosse toutes les erreurs d’une raison ivre d’elle-même et détachée d’un sûr rapport avec Dieu (qui est le seul cependant à pouvoir en garantir l’autonomie et la dignité) aujourd’hui, disions-nous, la communion au sein de l’Eglise est mise en péril par la faute de quelques-uns. C’est pourquoi il est nécessaire de faire retour aux sources et de souligner vigoureusement, sans jamais se lasser, que celui qui se détache de l’Eglise, de ses Pasteurs, de ses doctrines, de ses normes morales court le danger de se placer de lui-même en dehors de la communion ecclésiale. Nous l’avons dit en termes très nets dans notre discours du Consistoire : il faut éviter les extrémismes opposés, soit de la part de ceux qui font appel à la tradition pour justifier leur propre désobéissance au Magistère Suprême et au Concile Oecuménique, soit de la part de ceux qui se déracinent de l’humus ecclésial, corrompant la pure doctrine de l’Eglise ; l’une et l’autre attitudes sont le signe d’un subjectivisme illégitime, peut-être inconscient quand ce n’est pas, par malheur, signe d’obstination, d’orgueil, de déséquilibre ; ce sont là des positions qui blessent au coeur l’Eglise, Mère et Educatrice.

Mais il y a encore un autre danger qu’il importe de souligner et d’éviter : le pluralisme mal compris. Dans notre Lettre Apostolique Octogesima adveniens nous avons rappelé qu’il appartient aux communautés chrétiennes de déterminer — avec l’assistance du Saint-Esprit, en communion avec les Evêques responsables... — les options et les engagements qu’il convient de décider pour opérer les transformations sociales, politiques et économiques qui se révèlent urgentes et nécessaires en de nombreux cas (AAS 63, 1971, p. 403). Du reste, il ne faut pas oublier — et nous le soulignons en réponse à de nombreuses demandes qui nous ont été adressées avec insistance — que les efforts de recherche et de promotion d’une amélioration de la situation de la société doivent toujours être opportunément coordonnés, sagement réglés et correspondant aux exigences du bien véritable de toute la communauté. A cet effet, chaque Evêque a le devoir, en ce qui concerne l’action exercée à cet égard dans son propre diocèse, de garder avec ses Confrères une étroite communion, une unité de doctrine et pleine concordance d’orientation pastorale afin que l’action de tous se révèle claire et efficace. En effet la coordination de l’action commune, normalement effectuée dans le cadre des Conférences Episcopales est nécessaire non seulement pour sauvegarder les principes de l’ordre éthique et religieux, mais aussi leur application à des cas concrets, dans le domaine temporel (cf. Pacem in Terris, AAS, 55, 1963, p. 300 et ss.).

30 Il s’agit donc d’une cohésion interne, sans laquelle on ne peut obtenir efficacité d’application et continuité de résultats, sans laquelle on risque d’être infidèle à l’unité et à la vérité, qui ne conclut rien ou à l’activité extérieure sans coordination, souvent sans la moindre incidence bénéfique et sans aucune durée. Une semblable cohésion exige de grandes vertus : avant tout ce oboedientia et pax qui était la devise de Baronio, reprise avec tant de ferveur par notre Prédécesseur Jean XXIII et rappelée à chacun avec un extraordinaire effet. Mais il y a plus : il faut encore y ajouter la collaboration, la ferveur d’esprit, l’humilité de la mentalité, la générosité de l’engagement, la pureté de l’intention, la cohérence des oeuvres.

Primauté de la vie intérieure





Et voici donc, pour continuer et compléter ce que nous avons dit jusqu’à présent : parmi les besoins actuels de l’Eglise, il nous semble encore nécessaire de rappeler aujourd’hui l’indispensable nécessité et la priorité de solides vertus intérieures et personnelles. L’Eglise ne s’édifie certainement pas avec la rhétorique, ni avec la recherche de la notoriété ou les conditionnements de la faveur publique ou des applaudissements d’autrui. Celui qui se contenterait de ces choses construirait pour soi-même sur le sable mouvant (cf. Mt
Mt 7,26 et ss.), mais il n’édifierait certainement pas l’Eglise. L’Année Sainte que nous avons célébrée a constitué à cet égard un extraordinaire rappel, soit par l’exemple de prière et d’intériorité donné par les pèlerins, soit par l’enseignement de ces grandes, actuelles et très humaines figures de Saints et de Bienheureux que nous avons proposé à la vénération de la famille humaine tout entière. Ce fut une invitation persuasive et incessante à la vie intérieure, personnelle, religieuse, exemplaire : une manière de souligner que ce n’est que dans la recherche sincère de Dieu, faite avec la prière, avec la pénitence, avec la metanoia de tout l’être que l’on peut garantir les vrais succès de la vie chrétienne et apostolique et mettre en pratique le premier et toujours vif appel du Seigneur à la sainteté : « Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche ; repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1,15). « Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).

Le monde d’aujourd’hui a besoin de cette présence et de ce témoignage de la part des chrétiens : c’est un monde qui risque de crouler sous ses propres contradictions : le consommisme insensé et les criantes inégalités sociales, la violence destructrice des institutions et l’apparente impuissance à y porter remède, la velléité des intentions, et le manque de volonté pour les réaliser, la pornographie masquée de considérations soi-disant « libératrices » et mise au service de gigantesques exploitations économiques, la drogue, etc. Devant cet étalage d’intérêts contradictoires, nuisibles au véritable bien de l’homme, il faut proclamer de nouveau les grandes paroles de l’Evangile qui, seules, ont donné la lumière et la paix aux hommes dans d’autres bouleversements semblables de l’histoire.

La « Civilisation de l’amour »





Une parole particulièrement vibrante dans les besoins actuels de l’Eglise, nous voulons que ce soit celle d’espérance, de confiance. Il est vrai que l’Eglise traverse des moments difficiles : forus pugnae, in fus timores — au dehors des luttes ; au dedans des craintes (2Co 7,5) —. Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Et quand donc l’Eglise aurait-elle vécu sans connaître la souffrance ? Et n’est-ce pas lorsqu’elle a souffert, et là où elle a souffert, que les fruits les plus brillants et les plus heureux sont venus à maturité ? C’est-à-dire : la maturité de la foi, la purification des esprits, une plus grande prise de conscience des propres responsabilités, l’augmentation des vocations, la croissance de la vie sacramentelle, une floraison de saints ? Il est vrai, comme nous l’avons dit, qu’aujourd’hui un germe de désunion est entré insensiblement dans certains secteurs de la communauté ecclésiale ; il est vrai que le doute et l’équivoque se sont infiltrés ci-et-là ; il est vrai que dans certains pays l’Eglise souffre à cause du manque de liberté religieuse. Mais il n’est pas moins vrai que la « civilisation de l’amour » est en marche, cette civilisation que nous avons souhaitée comme fruit de l’Année Sainte.

Eh bien, nous avons l’espoir, nous avons confiance. Nous savons que nos fils, principalement ceux qui ont été éprouvés, sauront souffrir et persévérer : « Heureux si vous êtes outragés pour le nom du Christ ! » (1P 4,14). « Heureux d’ailleurs, si vous souffrez pour la justice ! » (ib. 3, 14). Cette confiance naît des promesses divines : soit parce que l’Esprit Saint est dans l’Eglise, qu’il est l’âme de l’Eglise et la vivifie, la soutient et la guide ; il ne l’abandonne pas parce qu’elle est son Eglise ; soit parce qu’est vraie la parole de Jésus : « Et moi je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (ib. 16, 18). La fidélité du plus grand nombre, le désir d’authenticité, de prière, de charité active qui se constatent dans toutes les couches de la société et principalement chez les jeunes ; les signes d’une consolante reprise des vocations sacerdotales et religieuses ; la ferveur et l’animation missionnaires ; tout cela est de bon augure pour l’avenir.

Les relations entre l’Eglise et les pouvoirs civils





Ces considérations sur les problèmes internes de la vie de l’Eglise à l’époque actuelle ne peuvent pas nous faire oublier qu’il en existe d’autres, des problèmes qui lui sont extérieurs mais ont une influence, parfois considérable sur ses possibilités d’action et sur son existence même dans l’un ou l’autre pays, à un moment historique déterminé : problèmes qui découlent des relations entre l’Eglise et les pouvoirs civils.

Au cours de son histoire deux fois millénaire, l’Eglise a connu de multiples formes de ces relations dans les différentes régions du monde : depuis celles, au début, d’ouverte hostilité et de violente persécution — qui durant les siècles se sont souvent répétées, et se répètent même de nos jours, malheureusement, même si la manière est différente — jusqu’à celles de lutte subtile ou d’indifférence, et puis jusqu’aux rapports de bonne entente ou d’amitié et de collaboration réciproque.

Comme l’a rappelé de manière particulièrement insistante le récent Concile Oecuménique Vatican II, l’Eglise ne place pas sa vraie confiance dans l’aide humaine ou dans l’assistance des pouvoirs de l’Etat, mais en Dieu, en son Esprit qui la vivifie et dans la présence, qui lui a été assurée jusqu’à la fin du monde, de son propre Fondateur qui peut parfaitement tirer des épreuves et des persécutions des éléments de force et de progrès. L’Eglise ne demande pour elle-même ni protection spéciale ni situation privilégiée.

31 Elle a seulement besoin et désir de juste liberté. Elle la demande pour elle-même, la liberté du bien, en vertu d’un droit propre et congénital ; elle la demande pour ses fils, comme droits sacrés et inaliénables de la personne humaine, de sa dignité humaine, de sa vocation divine à se réaliser en plénitude de vérité et dans l’exercice de cette responsabilité qu’aucun pouvoir humain, ni société ni Etat, puisse lui ravir.

Ce sont là des principes qui trouvent toujours plus d’accueil et d’affirmation dans les Chartes fondamentales des différents pays et des Communautés internationales, sans recevoir, toutefois, autant de fidèle application dans la praxis et même, parfois, dans la législation de nombreux pays.

Si maintenant nous considérons le panorama que, sous ce profil, nous pouvons contempler dans le monde, particulièrement en ce qui concerne l’Eglise catholique et la religion du Christ, nous devons malheureusement constater qu’il existe de nombreuses situations de limitations d’insuffisances et, souvent, de franche injustice qu’il faut déplorer et dénoncer.

Il n’est pas nécessaire de rappeler ici en détail les histoires récentes ou encore actuelles auxquelles nous faisons allusion : histoire de passion et de tant d’héroïsmes. Si nous en parlons, même sans insister, c’est pour éviter l’impression que le Saint-Siège les aurait oubliées ou acceptées avec la fuite des décennies, et surtout pour assurer à nos fils qui en ont été ou qui continuent à en être victimes que nous n’ignorons pas du tout leur fidélité, que nous pensons toujours à leurs souffrances secrètes et que nous participons à leurs espérances et à leurs prières.



Épreuves et difficultés





Parfois les épreuves de l’Eglise sont liées à des situations générales qui ne concernent pas directement la religion, mais celle-ci en subit toutefois, douloureusement et dangereusement, le contrecoup : c’est le cas, par exemple, lorsque des difficultés d’ordre interne ou en relation avec des luttes intestines ou entre peuples voisins, font tomber les soupçons sur l’Eglise, provoquant des restrictions à son action, même si celle-ci — et en particulier celle des missionnaires qui, parce qu’étrangers, y sont plus exposés — se limite au domaine purement religieux et spirituel.

Mais le phénomène qui, au cours de ces dernières décennies, a influencé, négativement et de manière caractéristique, les rapports entre l’Eglise et l’Etat, entre la religion et la société civile, c’est l’arrivée au pouvoir dans de vastes régions d’Europe et d’Asie, puis dans d’autres, moins nombreuses et moins étendues toutefois, en Europe, en Amérique et en Afrique — l’arrivée au pouvoir, disions-nous, de forces politiques qui ont inscrit à la base de leur idéologie et de leur programme stratégique d’action la « libération » de l’humanité — et prétendent l’arracher à ce qu’ils appellent l’aliénation religieuse.

L’histoire de ces rapports, semblables dans le mouvement et dans la motivation, même si des situations concrètes en font varier le processus, est suffisamment connue, tout au moins dans ses lignes essentielles, notamment parce que ces événements sont tous récents, et même contemporains.

Durant tout notre Pontificat nous avons suivi l’histoire de ces rapports, non seulement avec l’intérêt passionné et la vive préoccupation qui découlent de notre ministère et de l’amour que nous portons à l’Eglise et aux pays mêmes qui en ont été et qui en sont le théâtre, mais aussi avec la volonté d’en corriger le cours dans le sens de la justice : avant tout grâce à la prière, à laquelle une fois de plus nous invitons toute la communauté chrétienne, puis avec les pourparlers et le dialogue, selon l’expression consacrée : un dialogue mené par nos valeureux collaborateurs, un dialogue actif et inlassable, patient et franc, aussi rigide dans l’affirmation des principes et du bon droit de l’Eglise et des croyants que prêt aux accords honnêtes et loyaux, qui se peuvent concilier avec eux.

Nous n’avons pas l’intention, en ce moment, de faire ici un bilan qu’on ne peut, d’autre part, essayer de tracer correctement que selon une perspective historique, c’est-à-dire à la lumière de ce qu’on appelle normalement la philosophie, et, mieux encore, la théologie de l’histoire.

Nous voudrions simplement, en confirmant notre engagement et celui de l’Eglise, fondés plus sur les promesses divines et sur la charité envers tous et chacun que sur la persuasion de la sagesse ou des forces humaines, étaler au grand jour et faire connaître la peine que nous avons au coeur devant ce vaste secteur du monde gouverné par des régimes marxistes qui demeure fermé, non seulement à une entente, mais même à un simple contact avec notre Siège Apostolique.

Puissent ces sentiments qui sont nôtres trouver un écho qui, au moment opportun, ouvre de nouvelles voies à des rencontres qui, selon nos convictions et nos intentions, n’auraient pas seulement pour objectif l’utilité de l’Eglise, mais tout autant une collaboration au service des grandes causes qui associent, dans la crainte, dans les aspirations, dans les responsabilités, tous les peuples de la terre, les grands comme les plus petits.


Discours 1976 25