Discours 1977



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Discours 1977

Eglise et documents, vol. X – Libreria editrice Vaticana


8 janvier



PAUL VI ANNONCE UNE RÉFORME DU VICARIAT DE ROME



A la Basilique Saint Jean de Latran

Le 8 janvier Paul VI, en sa qualité d’Evêque de Rome a présidé à une célébration solennelle en la Basilique Saint Jean de Latran au cours de laquelle il a présenté et commenté la Constitution Apostolique « Vicariae Potestatis in Urbe » qui concerne la réorganisation du Vicariat de Rome.

Voici en traduction, le discours que le Saint-Père a prononcé pour expliquer les critères et les intentions qui ont inspiré les nouvelles normes.



L’événement qui nous réunit ici aujourd’hui présente des caractères d’une importance telle dans la vie du diocèse de Rome qu’on peut le qualifier d’historique. Et si, en fait, aucune nouveauté excessive ne le distingue du cours désormais séculaire de la tradition propre à l’institution qui préside au gouvernement pastoral de Rome et que nous avons l’habitude d’appeler « Vicariato », l’événement présente une importance dont il faut se rendre compte et garder en mémoire le fait qu’il se rattache canoniquement et logiquement à la Constitution Apostolique de notre Saint Prédécesseur Pie X la Etsi nos (AAS 4, PP 5-22, année 1922) et se conforme aux critères doctrinaux et disciplinaires du Concile Vatican II, si bien qu’il faut reconnaître dans l’événement même un acte de confirmation et de renouvellement significatif.

Après une élaboration réfléchie qui pendant une longue période a mobilisé de nombreuses personnes qualifiées, nous sommes donc en mesure de vous présenter aujourd’hui la Constitution Vicariae Potestatis in Urbe qui pourvoit finalement à cette réorganisation de la Curie diocésaine de Rome, que l’on réclame depuis longtemps.

2 Aussi nos remerciements s’adressent-ils à tous ceux qui ont participé à la préparation du Document. Nous désirons avant tout assurer de notre gratitude Monsieur le Cardinal Luigi Traglia Doyen du Sacré Collège et qui a, autrefois, été notre Vicaire pour ce bien-aimé diocèse. Nous profitons de cette occasion pour témoigner au vénérable Cardinal notre estime et notre satisfaction, certain d’interpréter ainsi le sentiment de tous.

Il nous plaît ensuite de saluer affectueusement les Cardinaux, les Evêques, les Prêtres, les Religieux et Religieuses, ainsi que les membres du laïcat qui — répondant à l’invitation de notre Cardinal Vicaire — sont présents à cette rencontre.

Il n’est certainement pas nécessaire que nous nous attardions à expliquer les raisons qui nous ont incité à affronter cet engagement peu facile. Ces raisons peuvent se résumer en ceci : en promulguant la nouvelle Constitution nous entendons témoigner de notre conscience d’Evêque de Rome, ce qui justifie et soutient celle de Pontife. C’est précisément en tant que Successeur du Bienheureux Pierre à ce Siège Romain que nous nous savons investi de la tâche formidable de Vicaire du Christ sur la terre et, par conséquent, de Pasteur Suprême et Chef visible de l’Eglise Universelle (cf. AAS 67, 1975, p. 609).

C’est avec la plus vive sollicitude, donc, que nous ressentons la responsabilité qu’en tant qu’Evêque de cette Eglise locale sur laquelle repose mystiquement et historiquement un dessein divin, nous avons devant le Christ. Cette responsabilité, elle est « de répandre par le ministère de la parole et par les sacrements, Sa Sainteté dans les âmes des fidèles, de les garder indemnes de tout mal et si possible, avec l’aide de Dieu, de les convertir en bien pour parvenir avec eux à la vie éternelle » (cf. Lumen Gentium,
LG 26,3).

Quel tremblement, quelle conscience de notre humilité, quelle confiance dans l’exaltation, dans le Christ, de notre office, tant épiscopal que pontifical, vibrent dans notre âme en un moment comme celui-ci où nous voyons tout autour de nous notre diocèse, dignement représenté par ses membres les plus qualifiés. S’il est vrai que dans chaque Eglise locale, même la plus petite et la plus pauvre, le Christ est présent par la vertu duquel se rassemble l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique (Lumen Gentium, LG 26,1) : on peut le dire d’autant plus de l’Eglise romaine vers laquelle toutes les Eglises regardent comme vers celle qui « préside à la charité » (cf. St Ignace d’Antioche, Epître aux Romains, Insc. : Patres Apostolici, I, éd. F.X. Funk 1901, p. 253).

Cette prérogative, toutefois, comporte également le devoir de donner l’exemple dans la vie chrétienne, au bénéfice de toute l’Eglise du Christ, vivante et agissante dans les diverses communautés ou Eglises particulières disséminées dans le monde. Voici l’intention qui a présidé à l’élaboration de notre Constitution : raviver la vie chrétienne de Rome, donner à l’organe de gouvernement pastoral du diocèse une nouvelle efficience, en harmonie avec les exigences des temps présents, sans toutefois se soustraire à la fidélité due aux glorieuses, et bien éprouvées, traditions du passé.

Donc, pour faire mieux comprendre non seulement la lettre mais aussi l’esprit des nouvelles dispositions, nous voudrions préciser tout de suite qu’il faut les lire en tenant compte du dénominateur commun qui les anime : celui de la confiance et de l’estime. Confiance et estime pour la personne du Cardinal Vicaire et de ses Evêques auxiliaires, confiance et estime pour les divers Organes de la Curie diocésaine, pour les curés et leurs vicaires, pour les artisans, religieux et laïcs, de la pastorale, pour les organisations diocésaines et paroissiales. Le Pape a confiance en ses collaborateurs : voilà ce que nous tenons à affirmer avant tout.

Sur la base de cette inspiration fondamentale, quels ont été les critères principaux de la nouvelle discipline ? On peut les définir succinctement comme suit :

a) mettre mieux en lumière le lien naturel qui existe entre la personne du Pape, Evêque de Rome et son diocèse avec, en conséquence, la nécessité de la communion doctrinale et pastorale avec lui, spécialement de ceux qui sont appelés à collaborer dans l’activité apostolique ;

b) préciser la participation de tous les secteurs de la communauté diocésaine au travail pastoral, conformément aux prescriptions conciliaires et post-conciliaires ; y stimuler une activité cordonnée grâce à une constante liaison avec la Curie diocésaine, définir les modes de la collaboration de prêtres, religieux et laïcs à cet objectif ;



c) assurer la coordination de l’activité de la Curie diocésaine en vue d’un travail pastoral unitaire ;

3 d) réorganiser les Tribunaux du Vicariat selon des critères de fonctionnalité et d’adaptation à la condition particulière du diocèse de Rome ;



e) stimuler l’engagement de toute la communauté diocésaine dans l’animation chrétienne de la Ville de Rome face aux dangers de la décadence religieuse et morale de la population tellement accrue et si différente, et aux besoins croissants d’assistance spirituelle et culturelle des générations nouvelles ;



f) coordonner les initiatives de promotion humaine avec celles élaborées du côté civil, dans le respect dû, selon les principes chrétiens, à ceux qui sont revêtus d’autorité et par la contribution due par chacun, sur son propre plan, au bien commun à poursuivre.



Voilà, en résumé, les grandes lignes qui ont inspiré la réforme. Nous vous prions de l’accueillir d’un esprit ouvert et de disposer votre mentalité et votre coeur pour en assurer volontiers la traduction concrète telle qu’elle se trouve proposée dans les dispositions de la Constitutions. Nous sommes convaincus que leur intelligente mise en vigueur provoquera efficacement dans notre Eglise locale une impulsion nouvelle de l’initiative pastorale au bénéfice de cette Ville que le sang des martyrs et le témoignage héroïque d’innombrables saints ont rendue glorieuse en face du monde.

Nous invoquons le divin Esprit pour qu’il daigne également en cette circonstance répandre l’abondance de ses dons sur notre Eglise, nous conduisant à une expérience toujours plus vive de la communion de grâce qui nous unit dans le Christ et nous entraîne vers un nouvel engagement de zèle agissant.

Qu’intercèdent pour nous les bienheureux Apôtres Pierre et Paul qui, sur cette terre et sous ce ciel, sont nés, par leur glorieux martyre, à la vie sans fin du Paradis ; que soit proche de nous Saint Jean Baptiste à la mémoire de qui est dédiée cette Basilique où nous nous trouvons aujourd’hui réunis ; et surtout que se penche vers nous, avec son regard maternel Celle qui se trouve ici chez elle, ce Temple étant dédié également à son divin Fils, le Sauveur du monde, Marie que notre population aime invoquer sous son nom traditionnel de « Salut du peuple romain ». Nous mettons cette initiative pastorale sous sa protection pour qu’elle en favorise la féconde fructification pour la gloire de Dieu et au bénéfice des âmes.





AU NOUVEL AMBASSADEUR DE BELGIQUE PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Lundi 10 janvier 1977




Monsieur l’Ambassadeur,

Nous vous remercions vivement des aimables paroles que vous venez de Nous adresser en présentant les Lettres qui vous accréditent auprès de Nous comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Belges.

Votre Excellence vient de rappeler dans quelles perspectives Elle situe la mission qu’Elie vient de recevoir. Votre pays possède, en effet, une riche tradition à la fois culturelle, politique et sociale, qui lui assure une place de choix au sein des nations éprises de justice et de progrès, et soucieuses d’oeuvrer efficacement à la construction d’un monde qui est encore à la recherche de son avenir.

Dans cet effort vers plus de justice et de concorde dans les rapports humains à leurs divers niveaux, l’Eglise, qui n’a pas d’autre but spécifique que le service de l’Evangile du salut, remplit elle aussi un rôle original. Rappelant sans cesse le primat des valeurs éthiques et spirituelles, elle est heureuse de collaborer avec tous ceux, personnes et organismes, qui s’inspirent de ce même idéal. Nous savons que nos Fils de Belgique, qui tiennent une place si importante dans la vie de leur pays, s’efforcent de puiser les orientations de leur action aux sources mêmes de leur longue tradition religieuse, afin de répondre à leur vocation et de contribuer au service de leur communauté nationale et de la communauté humaine.

4 Nous formons, Monsieur l’Ambassadeur, les voeux les meilleurs pour vous-même, en ce jour où Nous avons le plaisir de vous accueillir, et Nous vous souhaitons un heureux accomplissement de votre importante mission. Il Nous est aussi particulièrement agréable de vous confier le soin de transmettre à Sa Majesté le Roi des Belges et à sa Majesté la Reine notre salut respectueux et cordial, ainsi que nos souhaits pour la prospérité du cher Peuple de Belgique.

*AAS 69 (1977), p.56-57;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XV, p.54-55,

L’Attività della Santa Sede 1977, p.17;

OR 11.1.1977, p.1;

ORf n°3 p.9.




Samedi 15 janvier



AIDÉS PAR L’ESPRIT D’AMOUR, BRISEZ L’ESCALADE DE LA VIOLENCE !



Le Pape au Corps Diplomatique

Le samedi 15 janvier, le Souverain Pontife a reçu le Corps Diplomatique accrédité près du Saint-Siège qui venait présenter les voeux de bonne année. Les Ambassadeurs, leurs principaux collaborateurs, leurs épouses se sont rassemblés dans la Salle du Consistoire. En l’absence du Doyen, l’Ambassadeur du Guatemala, retenu par des raisons majeures, il revenait au Vice-Doyen, S. Exe. M.. Henri René DODS, Ambassadeur du Sénégal près du Saint-Siège, de se faire l’interprète de ses collègues auprès du Pape Paul VI. Il a présenté, en français, les voeux du Corps Diplomatique. Le Pape a répondu, également en français, par l’importante intervention que voici :



Messieurs les Ambassadeurs,



Nous accueillons avec émotion et gratitude les voeux chaleureux que votre interprète distingué nous a adressés en votre nom à tous. Nous sommes sensible à cette attention déférente manifestée envers notre personne, et aussi à la gravité, à l’espérance avec lesquelles sont envisagés les efforts de notre pontificat, l’engagement du Saint-Siège, les appels de l’Eglise.

5 A vous tous, Excellences, nous exprimons nos propres souhaits, pour vous-mêmes, pour la joie de vos familles, pour l’accomplissement de votre mission. Et au-delà de vos personnes, nous pensons à tous les peuples que vous représentez ici et dont la paix, le bonheur, le progrès nous tiennent très à coeur.

Au-dessus de toutes les vicissitudes que peut nous réserver l’année 1977, c’est l’espérance qui nous anime, c’est elle que nous vous invitons d’abord à partager avec nous. Sans elle, non seulement nous serions malheureux, mais nous n’oserions rien entreprendre. Il y a là d’ailleurs, dans sa ténacité, un mystère de la conscience humaine. En célébrant le commencement de chaque année nouvelle, les hommes et les peuples laissent parler leur espérance. Plus forte que les désillusions répétées et les scepticismes blasés, toujours l’espérance reprend vie. C’est qu’elle s’alimente à une source que nos gaspillages ou nos négligences ne sauraient tarir. Pour Nous, Dieu est cette source, Lui qui a créé le coeur humain et son désir d’absolu. Et en entrant Lui-même dans l’aventure humaine par l’Incarnation de son Fils, Dieu l’a ouverte plus encore sur un horizon de lumière, de paix et d’amour éternels. De ces biens précieux II nous donne dès cette vie, avec des gages substantiels, un goût inaltérable. Voilà la Bonne Nouvelle de la foi chrétienne. Elle porte en elle-même sa séduction et sa force de persuasion, capables de régénérer et d’affermir l’humaine espérance, même chez ceux qui ne partagent pas notre foi. C’est une Bonne Nouvelle de paix.

Mais elle n’empêche pas d’être réalistes, au contraire. Or le monde auquel elle s’adresse — et ce sera le thème majeur de notre entretien — est un monde en proie à la violence. Certes, il n’y a pas de guerres internationales ouvertes. L’année qui vient de s’achever a vu revenir un certain calme dans des régions hier encore ensanglantées par des luttes meurtrières. Nous nous en réjouissons. Mais comme un feu mal éteint, prêt à repartir au premier souffle, la violence couve, et, pendant ce temps, elle continue ses ravages : citons, à titre d’exemple, une criminalité qui ne répugne devant aucun moyen ; de monstrueux sabotages ; l’enchaînement des terrorismes et des répressions ; les tortures avilissantes ; les condamnations arbitraires; l’oppression de peuples entiers par des pouvoirs inhumains qui ne respectent plus les libertés et droits fondamentaux, ni même l’acquis des civilisations précédentes ; les dénis de justice ; les connivences ou la protection accordées indûment aux terroristes ; les vengeances privées ; dans un autre domaine on pourrait mentionner l’agression plus sournoise des consciences par la pornographie ou la partialité de certaines mass-media, et aussi la violence plus radicale encore qui vise à éliminer, en fait, la liberté de religion. La vie de l’homme, à tous ses stades, compte peu. Sa dignité est bafouée. La pratique courante de la violence et les efforts déployés pour la justifier érodent les consciences et minent la cohésion des communautés. Une situation qui prépare, si l’on n’y prend garde, de nouvelles et plus redoutables explosions.

Nous n’oublions pas qu’à la source d’un bon nombre de violences, individuelles et collectives, il y a des injustices ou des désordres graves, qui sont en quelque sorte des violences aux droits des hommes et provoquent en partie l’enchaînement que nous déplorons. L’action sur les symptômes — les violences — ne saurait servir d’alibi à l’action plus décisive sur les causes — les injustices. Il reste que les symptômes aussi appellent un traitement approprié, sous peine, en se développant, de devenir à leur tour une source spécifique d’empoisonnement du corps social, parfois plus redoutable que le mal initial. C’est à cette menace d’une prolifération dévastatrice de la violence qu’il nous faut prêter une attention particulière.

Comment pouvons-nous briser l’escalade de la violence, tel est le problème. Votre expérience des relations internationales, Messieurs les Ambassadeurs, vous fait comprendre spontanément notre préoccupation. Vous savez que l’action la plus décisive est celle qui s’attaque aux causes des différends entre les peuples. Vous pressentez la nécessité de faire du neuf dans un monde vieilli de ses injustices et obligé, s’il veut survivre, à s’engager dans la voie de mutations profondes. N’est-ce pas ce que voulait stimuler notre Encyclique sur le Développement des Peuples ? Le Saint-Siège contribue pour sa part, en participant à de nombreuses conférences internationales, à promouvoir un Nouvel Ordre qui soit capable de faire face aux tâches présentes de l’humanité tout en résorbant les injustices héritées du passé. Sans avoir à proposer des solutions politiques et techniques, nous invitons les gouvernements à explorer les orientations novatrices que la doctrine chrétienne de l’unité de la famille humaine peut apporter à tous ces débats.

La réalisation de ces grandes tâches serait toutefois compromise, et pour longtemps, si les inévitables tensions dégénéraient en guerres ouvertes. Aussi bien l’action diplomatique s’applique-t-elle avec patience à contenir ces tensions, à maintenir un espace de dialogue là où il est momentanément submergé par le recours aux armes. A cet effort aussi la diplomatie du Saint-Siège apporte sa contribution, selon ses moyens : avec le même lot d’incompréhension, de difficultés, d’échecs que rencontrent vos Etats, mais avec la même patience tenace qui jamais ne renonce. Défenseur inlassable de la paix nous frappons à toutes les portes, plaidant pour des ententes raisonnables qui ménagent la possibilité de nouveaux progrès.

Mais notre réflexion doit aller encore au-delà des causes lointaines d’injustices ou des conflits déclarés. Elle doit descendre dans le dédale de l’enchaînement des violences qui expliquent leur iniquité, leur péril, leur prolifération. Que trouvons-nous bien souvent, en ce domaine du moins de la violence interne qui se rattache à des mobiles politiques ?

— Au départ, il y a généralement une vue délibérément partiale de la réalité : on ne veut retenir que l’injustice qui divise, en négligeant les solidarités que l’histoire a tissées entre les hommes et les groupes.

— Puis le fossé se creuse par une présentation manichéenne et pharisienne des responsabilités : le mal, c’est, toujours et en tous points, les autres. On décolle de la réalité et on laisse atrophier les éléments d’unité qu’elle recèle.

— Des idéologies totalisantes viennent encore durcir l’opposition, répartissant rigoureusement les hommes et les groupes, ici en « exploités et exploiteurs », là, en « amis et ennemis ». L’esprit qui est fait pour connaître le vrai et pour inviter les hommes à se rencontrer dans le dialogue et le dépassement est mobilisé et perverti pour couvrir le mensonge et entretenir la haine.

— En bien des pays, le consensus national forgé au long des siècles s’émiette et, avec lui, des valeurs morales irremplaçables pour surmonter les injustices qu’on déplore. Vient alors le doute sur la légitimité. Ici, l’autorité publique, chargée du bien commun — une notion trop oubliée ! — s’enfonce dans l’impuissance et le terrain est vite occupé par le développement de la criminalité, des vengeances privées, des égoïsmes de groupes. Là, elle s’effondre purement et simplement et, pour un temps, la violence règne presque sans limites. Ailleurs encore le pouvoir se raidit, réprime, jusqu’à la torture, les opposants, quand une brutalité extrême et durable n’a pas réussi, pour un temps, à décourager et à étouffer toute velléité d’opposition.

6 Il faut rompre ce cercle de la violence. Il faut d’abord restaurer une approche plus loyale de la vérité des faits et de leur analyse. Il faut affermir la conviction que, si la réalité individuelle et sociale est marquée par des cassures profondes — la doctrine chrétienne du péché en dévoile l’abîme — elle demeure cependant marquée, dans sa constitution même, par la solidarité et l’unité : le Créateur a inscrit celles-ci dans la famille humaine et, pour nous chrétiens, le Fils de Dieu fait homme leur a rendu une force nouvelle en les enracinant plus intimement encore dans le mystère de son Corps mystique. Dès lors le dynamisme véritable de l’effort pour la justice, quelles que soient les contraintes à travers lesquelles il doit parfois frayer son chemin, est respect et amour de l’autre, même de l’ennemi, volonté de reconnaissance mutuelle et de réconciliation.

Oui, Messieurs, imaginons des voies neuves, où l’esprit, tout en demeurant critique, mette la cohérence, et où le coeur suscite le dialogue. Au lieu de stimuler les instincts souvent agressifs de l’avoir, du pouvoir, du nationalisme étroit, de la race, du sexe, apprenons à les maîtriser et à les intégrer dans les finalités personnelles et sociales plus hautes.

Rendons à nos sociétés un tissu social vivant et diversifié, où se construisent les vraies solidarités et où les tensions peuvent se résorber dans un commun effort de promotion. Le pouvoir politique trouvera alors sa vraie légitimité qui est « d’orienter vers le bien commun les énergies de tous : non d’une manière mécanique ou despotique, mais en agissant avant tout comme une force morale qui prend appui sur la liberté et le sens de la responsabilité » (Const. Gaudium et Spes,
GS 74,2). La contrainte qu’il doit parfois exercer, et dont le monopole lui est normalement réservé pour éviter l’enchaînement des vengeances privées et l’exploitation du faible par le fort, se fonde alors sur les véritables nécessités du bien commun, qui lui interdisent aussi bien le déni de justice que l’arbitraire. A plus forte raison, doit-il veiller à ne pas laisser d’autres corps dans la nation s’arroger une autorité indue et l’exercer de façon irresponsable.

Et vous-mêmes, Messieurs les Ambassadeurs, vous savez d’expérience la vanité des efforts pour la paix internationale quand la violence règne au-dedans des nations. A ce niveau, évidemment, l’action diplomatique ne peut qu’être indirecte et limitée. Plus d’une fois cependant des ambassadeurs, nos propres nonces, avec la discrétion voulue et sans ingérence indue, ont pu obtenir des gestes d’humanité et de justice en faveur d’hommes victimes de situations troublées.

Mais l’oeuvre dépasse la bonne volonté des gouvernants : c’est tout un climat qu’il faut créer. Le récent Concile notait sagement — à propos de la guerre, mais la violence appelle un traitement semblable — : « Les Chefs d’Etat, qui sont les répondants du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du bien universel, sont très dépendants des opinions et des sentiments de la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que les sentiments d’hostilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis pris idéologiques divisent les hommes et les opposent. D’où l’urgence et l’extrême nécessité d’un renouveau dans la formation des mentalités et d’un changement de ton dans l’opinion publique » (Constitution Gaudium et Spes, GS 82, par. 3).

Et là, vous pressentez la contribution importante que l’Eglise, le Saint-Siège, les chrétiens peuvent apporter. Avec la liberté évangélique, ils sont prêts à dénoncer toute violence, celle qui menace les relations internationales, comme celle qui mine la vie intérieure des peuples. Mais voyez dans quel esprit : non pas pour accuser et condamner, mais pour servir les hommes et les peuples, avec le dynamisme de l’amour puisé auprès du Christ. Ils pensent aider les responsables politiques eux-mêmes, sans empiéter sur leurs compétences propres, et ils favorisent, de proche en proche, un climat vraiment respectueux de l’homme, sur lequel on peut bâtir une société. Ils sont convaincus que le progrès est à la mesure exacte de la charge d’amour, d’amitié, de fraternité que nous savons mettre, même au coeur des combats nécessaires pour la justice. Quand la pensée et la pratique de l’amour vont de pair, l’expérience le montre, elles se fortifient. Quand par contre la pratique obéit à une logique de violence, quand elle met entre parenthèses, fût-ce provisoirement, les exigences de l’amour de l’autre, quand elle se refuse par principe aux nécessaires et loyales ententes, elle a tôt fait d’altérer, d’anémier, d’étouffer l’intention initiale de fraternité et la volonté de justice elle-même. Un amour véritable, lui, peut créer des espaces de paix.

Pouf mieux mettre en lumière l’idéal qui nous anime, qui anime ou devrait animer tous les chrétiens — même si la réalité montre, hélas, que nous sommes souvent faibles et illogiques en ce domaine — nous nous permettons d’évoquer le mystère de Celui dont nous venons de fêter l’avènement.

L’espérance de Noël a surgi dans un monde dur comme le nôtre : le massacre des Innocents est proche de la Crèche de Bethléem; proche aussi de la violence de ceux qui croient éliminer le Christ sur le Calvaire. Dans ce monde dur, cependant, Jésus, que nous, les chrétiens, nous appelons notre Paix, a passé « en faisant le bien » (Ac 10,38), suscitant chez beaucoup, les plus pauvres surtout, une expérience de paix profonde, de libération, de douceur, de bonté. Mais Jésus a dû révéler aussi l’amour au coeur d’hostilités qui n’ont jamais désarmé, à travers des confrontations harassantes auxquelles il ne s’est pas dérobé, qu’il a même provoquées parfois pour réveiller les consciences assoupies dans l’injustice, et pour les inviter à la conversion. En tout cela, cependant, un seul et même amour était à l’oeuvre, toujours prêt à servir, à aider, à pardonner, un amour qui a dit son dernier mot dans le don qu’il a fait librement de sa vie et dans le pardon suprême. Certains parlent d’utopie ! Mais n’est-ce pas un fait que le Christ est, depuis lors, une source vivante de paix et de réconciliation pour des hommes et des peuples innombrables ?

Voilà l’exemple, vous le savez, qui inspire les vrais chrétiens, qu’ils agissent comme citoyens, selon les finalités et les moyens propres de la vie politique, ou qu’ils participent à la mission évangélisatrice de l’Eglise. Cela conduit en divers pays des évêques et des fidèles à suivre leur Seigneur jusqu’au sacrifice de leur liberté et parfois de leur vie même, montrant alors de quel esprit de service et de paix ils sont animés quand ils plaident pour la justice et dénoncent la violence. Un esprit d’amour et de foi, préoccupé d’abord de demeurer parmi ceux qui souffrent, de leur révéler au coeur même de leur détresse qu’ils sont aimés de Dieu, de leur rendre, avec l’espérance, des énergies nouvelles pour travailler à la justice, à la fraternité, à la réconciliation. Ils savent qu’ils sont assurés de notre respect, de notre encouragement, de notre affection. Nous tenions à rappeler le sens de leur témoignage à vos Excellences et à ceux qui les accréditent auprès du Saint-Siège.

Et à vous-mêmes, Messieurs les Ambassadeurs, nous lançons un appel pressant dont vous pourrez vous faire l’écho auprès de vos gouvernants : Brisez l’escalade de la violence ! Votre formation, votre mission, votre compétence vous rendent plus aptes que d’autres à saisir la complexité des problèmes et les injustices qu’ils recouvrent, à écouter les points de vue adverses, à rechercher des solutions négociées, des accords raisonnables, acceptables. Votre rôle de diplomates vous place précisément aux antipodes des solutions de violence. Ainsi vous pouvez contribuer à désamorcer l’escalade des injustices et des violences. Soyez fermes pour refuser l’injustice ! Soyez forts pour imaginer et réaliser des gestes d’équité, d’humanité, de paix qui dénouent l’écheveau du tissu serré de la violence ! L’humanité attend de vous ce service : c’est votre honneur, c’est votre devoir d’y coopérer. OUI, BRISEZ L’ESCALADE DE LA VIOLENCE !

Mais pour cela, nous l’avons fortement souligné, il faut l’amour, un amour des hommes, de tous les hommes, au-delà des peurs, des calculs et des intérêts. Aussi, au seuil d’une année nouvelle, prions-nous le Très Haut de répandre largement son Esprit d’Amour dans tous les coeurs.

7 Tels sont les souhaits que nous vous confions. Ils sont graves certes, mais pleins d’espérance. Fasse le Seigneur qu’ils trouvent un large consensus, au cours de cette année 1977 ! Et qu’ils vous apportent à vous-mêmes, et à ceux qui vous sont chers, Joie et Paix !



*Version originale française dans:

AAS 69 (1977), p.87-94;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XV p.62-69;

L’Osservatore Romano, 16.1.1977, p.1, 2;

ORf n.4 p.1, 6-7;

La Documentation catholique, n.1713 p.108-110.



AU NOUVEL AMBASSADEUR DE FINLANDE PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Lundi 24 janvier 1977




Monsieur l’Ambassadeur,

Les paroles que vous venez de Nous adresser en présentant les Lettres qui vous accréditent auprès de Nous comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Finlande, manifestent l’idéal élevé qui veut inspirer votre action auprès du Saint-Siège, et Nous vous en remercions vivement, ainsi que des sentiments que vous avez manifestés à notre égard.

Les rapports que le Saint-Siège entretient avec les Etats ont toujours pour but, outre leur finalité proprement religieuse, de favoriser tout ce qui peut faire naître ou accroître un esprit de coopération pacifique entre les peuples, ainsi que la volonté d’assurer à toutes les personnes la liberté intérieure et extérieure, inséparable de la dignité humaine.

8 C’est pourquoi Nous apprécions les orientations de votre Gouvernement que vous venez de rappeler brièvement. Elles contribuent à unir les hommes de bonne volonté. Il importe donc qu’elles ne se laissent pas décourager par les déceptions ou les difficultés, car elles répondent aux exigences irrépressibles de l’humanité. Nous sommes persuadé que la collaboration confiante qui cherche peu à peu à s’instaurer et qui vise à mettre un véritable sens de l’homme au principe même des relations politiques finira par imposer la conviction que la recherche égoïste de l’intérêt particulier ne peut suffire, pour les Etats comme pour les personnes, à assurer cette paix à laquelle chacun aspire.

A cause même de sa mission religieuse, en conformité avec les enseignements de l’Evangile et la volonté de son Fondateur, l’Eglise s’efforce de contribuer, avec les armes pacifiques qui sont les siennes, à cette oeuvre de persuasion et de transformation des coeurs afin de voir vraiment en chaque homme un frère. Cette conviction a toujours inspiré les appels que Nous lançons chaque année pour la Journée mondiale de la Paix, à la conscience des responsables politiques et à celle de tous les hommes, pour leur rappeler inlassablement où se trouvent les véritables chemins de la paix. Cette conviction a animé aussi la participation du Saint-Siège à la Conférence qui a attiré vers la capitale de votre pays l’attention et les espoirs de bien des peuples. Nous souhaitons que cette attente ne soit pas déçue et que les accords d’Helsinki trouvent leur application totale et loyale de la part de tous leurs signataires.

Nous savons que nos Fils catholiques de Finlande partagent pleinement cet idéal, et Nous nous réjouissons qu’il leur permette de coopérer ainsi, avec leurs frères, au service de leur pays et de toute la communauté humaine.

Nous agréons avec satisfaction les sentiments dont Son Excellence Monsieur le Président de la République vous a chargé d’être l’interprète. Nous gardons Nous-même le meilleur souvenir de sa visite, et Nous vous confions le soin de lui exprimer, avec notre gratitude, les voeux chaleureux que Nous formons, dans la prière, pour sa personne et pour le bonheur du cher Peuple de Finlande.

Soyez assuré, Monsieur l’Ambassadeur, de la cordialité de notre accueil. Avec nos souhaits de bienvenue, Nous vous adressons ceux que Nous formons pour l’accomplissement de votre haute mission.

*AAS 69 (1977), p.94-95;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XV, p.97-98;

L’Attività della Santa Sede 1977, p.35-36;

OR 25.1.1977, p.1, 2;

ORf n.5 p.2.




3 février




Discours 1977