Discours 1977 110

AUX REPRÉSENTANTS DE L’EGLISE ORTHODOXE RUSSE


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Mercredi 30 novembre 1977




Nous vous saluons avec joie, Frères très chers, qui représentez ici Sa Sainteté le Patriarche Pimen et l’Eglise orthodoxe russe.

Vous avez rencontré des représentants des dicastères de la Curie romaine et de divers Instituts ecclésiastiques. Et ces mêmes jours, nous avons envoyé une délégation visiter votre Eglise pour y avoir des rencontres analogues.

Nous nous réjouissons de telles visites. Elles veulent favoriser une meilleure connaissance mutuelle de la vie spirituelle comme des institutions de nos Eglises; leur rôle est donc important pour l’approfondissement de nos relations, car on s’aime plus ardemment lorsqu’on se connaît mieux. Et nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres pour faire entendre l’Evangile à un monde dans lequel les individus comme les peuples ont tant besoin de réconciliation et de paix!

C’est pourquoi Nous bénissons et Nous encourageons les efforts de compréhension que de telles rencontres témoignent. Nous vous prions de porter, à votre retour dans votre patrie, notre salut spécial aux dirigeants et aux élèves de vos Instituts ecclésiastiques de formation, en les assurant de notre prière. Et avec ces voeux, Nous exprimons aussi toute notre estime et notre amour fraternel à Sa Sainteté le Patriarche Pimen, à son clergé et a tout le peuple des fidèles.




1er décembre



ENTRETENIR L’ÉMULATION DANS LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ



Le Saint-Père a reçu en audience, le jeudi 1er décembre, un groupe d’Evêques de la Conférence Episcopale Suisse venus a Rome pour leur visite « ad limina ». Autour de leur Président, Mgr. Pierre Niamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, se trouvaient NN. SS. Gabriel Bullet, auxiliaire, Otmar Mader, évêque de St-Gall, ainsi que son prédécesseur Jos. Aster, Gius. Martinoli, évêque de Lugano, Henri Schwery, évêque de Sion et Otto Wust, évêque auxiliaire de Baie. Etaient également présents les R.P. Abbés Dom Georg Holzherr de Einsiedeln et Mgr Henri Satina de St-Maurice.

Mgr Mamie a adressé au Souverain Pontife une adresse d’hommage. Le Pape a répondu, en français, par le discours suivant.



Chers Frères dans le Christ,



Soyez remerciés pour ces paroles qui témoignent d’une confiance affectueuse envers notre Personne, d’un ferme attachement au Siège de Pierre. Et soyez les bienvenus dans cette Maison du Pape, dans cette Cité de Rome qui constitue notre diocèse. Non seulement vous venez y accomplir en commun le pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul et la visite à leur Successeur; mais vous avez choisi la Ville éternelle comme siège de la cent cinquante huitième conférence des Evêques suisses, marquant par là votre souci de réfléchir à vos responsabilités pastorales, en harmonie avec ce centre de l’unité et dans le voisinage des Dicastères romains, consacrés aux besoins communs de l’Eglise universelle. De cet esprit, de cet exemple de « Sensus Ecclesiae », nous vous félicitons et nous vous remercions. Nous formons des voeux chaleureux pour le ministère de chacun d’entre vous, spécialement de ceux qui ont reçu tout récemment la charge épiscopale.

Notre propos n’est point d’ajouter à vos préoccupations déjà lourdes, ni de nous substituer à vous dans la recherche et l’adoption de mesures opportunes, aptes à promouvoir la fidélité et le dynamisme apostolique de vos communautés chrétiennes. Les comptes rendus de vos fréquentes « conférences », l’analyse détaillée du volumineux rapport préparé pour cette visite manifestent un tour d’horizon minutieux des problèmes, auxquels vous vous attachez à faire face. Nous sommes heureux d’observer avec vous la vie de l’Eglise en Suisse, d’en éclairer la marche, en soulignant quelques efforts qui nous paraissent particulièrement importants.

111 Tout d’abord, sans négliger vos responsabilités proprement diocésaines, vous êtes soucieux d’organiser, entre les différentes régions linguistiques, une collaboration d’autant plus méritoire qu’elle demeure difficile, étant donné la diversité des langues, des cultures, des traditions très enracinées, dans un terroir marqué par le régionalisme des cantons et dont il ne s’agit point, bien sûr, de perdre la sève locale. Cet effort de communion dans vos projets pastoraux s’inscrit dans le cadre de votre cher pays, qui a toujours su harmoniser dans la paix, au niveau fédéral, la communauté de destin, et le bien particulier. Nous encouragerons cette coordination nécessaire pour vous, face à des problèmes qui, aujourd’hui, deviennent très vite similaires. Le Saint Siège n’a pas jugé opportun de retenir le projet d’un « Conseil pastoral national » pour les raisons que vous connaissez, et nous vous savons gré d’avoir loyalement fait comprendre au peuple chrétien le sens d’une telle décision, prise non seulement dans l’intérêt de l’Eglise universelle, mais dans l’intérêt de l’Eglise qui est en Suisse. Il reste à chercher, en accord avec le Saint-Siège et selon les exigences canoniques, la voie la plus opportune et la plus sûre pour établir un style de collaboration fructueuse entre les services diocésains et inter-diocésains, sous l’autorité de la Conférence des Evêques, responsables en dernier ressort de l’unité et de l’authenticité de la pastorale.

Vous êtes confrontés, en Suisse comme ailleurs, à un certain nombre de questions nouvelles ou d’initiatives qui demandent intérêt et mûre considération. Il faut en effet annoncer l’Evangile dans le contexte actuel, dans des termes qui puissent atteindre les nouvelles générations; il importe de trouver la meilleure façon de prier et de célébrer ; les chrétiens doivent donner un témoignage de charité et de justice adapté aux besoins d’aujourd’hui. Autour de vous, des laïcs et des prêtres manifestent en ces domaines un zèle très actif. Le Synode suisse de 1972 a donné maints exemples de cette vitalité. Il reste qu’il s’agit souvent de questions délicates : leurs solutions, pour être fructueuses et durables, doivent toujours tenir compte de nombreux éléments qui peuvent échapper à tel individu ou à tel groupe spécialisé, même bien intentionné : la réponse aux divers besoins religieux, avec le respect des sensibilités légitimes, et le souci missionnaire de l’adaptation ne prennent évidemment leur sens que situés dans la fidélité à la Révélation, à l’ensemble des énoncés du Magistère, aux règles canoniques, aux décisions du Saint-Siège, à la doctrine sûre des théologiens. En fonction de tous ces éléments, « nova » et « vetera » comme vous l’avez si bien rappelé, il vous appartient non seulement de veiller à la valeur des efforts proposés ou entrepris, mais de former vos coopérateurs à cette appréciation. Le Concile Vatican II, et les applications autorisées qui en ont résulté, tracent le cadre de pensée et la voie sûre à suivre. Ceux qui les négligent ou veulent les contrecarrer, en invoquant la fidélité au passé, sont infidèles à la mission de l’Eglise aujourd’hui et à sa responsabilité pour demain; ceux qui les outrepassent pour suivre leur propre inspiration édifient sur le sable une Eglise sans racine. Les uns et les autres portent préjudice à l’unité et à la crédibilité de l’Eglise: nous ne cessons de le dire avec netteté.

Nous sommes réduits, faute de temps, à n’évoquer que quelques secteurs où se déploie la vitalité de l’Eglise en Suisse. Grâce à un intense travail de préparation et d’animation, la liturgie rénovée connaît chez vous un bel essor, avec une heureuse participation du peuple. C’est encourageant. Gardez-lui son premier rôle qui est la gloire du Seigneur et l’expression festive du Salut. Nous espérons que les catholiques de Suisse pourront tirer un grand profit du document pastoral que votre Conférence est en train de mettre au point sur le « dimanche des chrétiens ». Nous pensons aussi aux louables efforts réalisés pour une meilleure préparation aux sacrements. A ce sujet, les normes qui sont édictées par le Siège Apostolique garantissent l’authenticité et l’équilibre de ce renouveau, en évitant que des éléments importants ne soient négligés, comme par exemple la confession individuelle des péchés, y compris celle des enfants qui se disposent à communier. Il faut que les pasteurs en comprennent le bien-fondé et lui consacrent la place et le temps nécessaires.

La préparation au ministère presbytéral demande évidemment de grands soins et vous en mesurez, comme nous, les exigences théologiques, spirituelles et pastorales que la « ratio institutionalis sacerdotalis » a pour but de fixer. L’institution du diaconat permanent et l’appel aux divers ministères ecclésiaux non ordonnés, qui peuvent être très bénéfiques, sont inséparables de l’éveil et du soutien des vocations sacerdotales, qu’il vous revient aussi d’encourager. Dans le service de la communauté diocésaine unifiée autour de son Evêque, l’Eglise a grand besoin des uns et des autres, chacun à sa place, comme elle a besoin, en même temps que de fonctions tenues par des hommes, d’une large participation féminine en de nombreux domaines de la pastorale où cet apport est irremplaçable.

Pour tous, prêtres et laïcs, une formation doctrinale approfondie, jointe à la prière, peut seule permettre de faire face, avec l’intelligence et la rigueur qui conviennent, aux remises en question provoquées par les mutations de civilisation, accentuées par les mass-media. Nous avons beaucoup apprécié, en son temps, l’oeuvre, la sagesse et le sens ecclésial du vénéré Cardinal Charles Journet, qui demeure pour nous tous un exemple du théologien fidèle et ouvert. Les théologiens ont en effet une énorme responsabilité dans l’Eglise : puissent-ils ne jamais oublier qu’ils assument une des plus hautes fonctions au service du peuple de Dieu et que leur première règle est de situer leur recherche et leur enseignement à l’intérieur de la foi ! S’ils venaient à l’oublier, que la communauté chrétienne soit dûment avertie des exigences de la vérité : c’est une question non seulement de discipline ecclésiastique, mais de loyauté. Nous sommes heureux de penser que vous disposez, grâce notamment aux Facultés de Théologie de Fribourg et de Lucerne, de possibilités avantageuses pour répondre aux exigences d’aujourd’hui. Outre les prêtres, de nombreux laïcs, en particulier des catéchètes, ont pu déjà bien approfondir leur foi. C’est très important pour eux-mêmes et pour leurs frères. Nous pensons aux jeunes, dont la persévérance, disons plutôt l’épanouissement spirituel, a besoin d’une nourriture solide et d’une expérience de vie chrétienne communautaire.

Nous apprécions aussi la part que vous prenez, comme Evêques, à l’éducation des consciences. Ce faisant, vous aidez à la fois la rectitude morale des croyants, inséparable d’une foi sincère, et l’assainissement des moeurs de la société. Les récentes circonstances vous ont ainsi amenés à préciser, avec clarté et fermeté, le respect dû à toute vie humaine. Et nous sommes sûr que vous trouverez les moyens de poursuivre cette éducation de la meilleure façon, sans détacher le point en question des autres exigences de la maîtrise de soi dans l’amour conjugal, de la vie familiale, de la sainteté du mariage. Vous n’omettez pas non plus de développer le sens de la justice, de la paix, de la pauvreté évangélique, du partage, de la solidarité dans le développement des peuples moins favorisés: vos efforts ne sont pas vains, si l’on en juge, pour ne citer qu’un exemple, par la générosité des collectes de Carême.

Certains secteurs posent des problèmes plus aigus chez vous. Le voisinage quotidien des confessions catholique et protestante, notamment dans les foyers de religion mixte, vous incite à pratiquer un oecuménisme sage, à l’intérieur des orientations données par le Saint-Siège pour garantir le bien spirituel des conjoints. Un certain nombre se sont engagés dans cette voie avec beaucoup d’ardeur pour retrouver l’unité voulue par le Christ. Puisse cet oecuménisme, pour l’ensemble des chrétiens, se solder, non par l’indifférentisme ou l’éclectisme, mais par une émulation dans la recherche de la Vérité, vécue dans une vraie charité, par une commune croissance dans la foi et par un souci renforcé d’éduquer les jeunes à une foi exigeante !

La présence des migrants étrangers, venus en Suisse pour travailler, suscite aussi des questions difficiles. L’Eglise a beaucoup contribué à ce qu’ils trouvent l’accueil et la compréhension qu’ils méritent, et aussi l’aide spirituelle dont ils ont besoin, et qu’apportent avec générosité de nombreux missionnaires, « pères spirituels » comme vous avez dit : nous encourageons ceux-ci à travailler en étroite coopération avec vous. Votre pastorale ne peut non plus ignorer le gros afflux de touristes que vous valent la tradition hospitalière et la beauté de votre pays. Nous pensons enfin à la ville de Genève, internationale par excellence, grâce à la présence d’institutions intergouvernementales ou non-gouvernementales dont la plupart dépendent des Nations Unies ; nous recommandons vivement à votre impulsion pastorale l’apostolat spécial que vos prêtres et militants laïcs peuvent offrir aux chrétiens de ces milieux qui portent d’énormes responsabilités au service du monde. Nous arrêtons là une énumération de secteurs pastoraux où nous savons bien que votre zèle est à l’oeuvre. Ils demandent sans doute des institutions bien organisées, mais plus encore un esprit imprégné de l’Evangile et une grande confiance en la grâce de Dieu. « Je suis avec vous » dit le Seigneur: telle est la parole réconfortante que ses apôtres doivent sans cesse se rappeler.

Que l’Esprit Saint vous éclaire et vous soutienne sur ce vaste chantier où il vous appelle à semer le grain de la Bonne Nouvelle et à veiller à sa croissance, même si vous n’avez pas aussitôt la joie de la moisson !

Pour nous, ce n’est pas sans émotion que nous nous souvenons de notre voyage à Genève, de notre visite à l’Organisation Internationale du Travail, au Conseil Oecuménique des Eglises, de notre contact avec les autorités helvétiques et avec le peuple chrétien de Genève. Oui, nous avons apprécié l’accueil de vos compatriotes, comme nous apprécions quotidiennement ici le service dévoué et ponctuel des Gardes suisses. Que Dieu bénisse votre pays !

Portez à vos prêtres, religieux, religieuses et laïcs notre salut affectueux et la bénédiction apostolique que nous vous donnons de grand coeur !





AUX MEMBRES DE LA DÉLÉGATION DE L’IRAN*


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Vendredi 2 décembre 1977




Excellence, Messieurs,

Nous vous remercions de votre visite qui Nous donne l’occasion d’exprimer notre reconnaissance à Sa Majesté Impériale le Shahinsha Aryamer, et de former des voeux ardents pour sa personne, pour vous-mêmes et pour tout le peuple iranien.

Votre patrie représente un lieu important de l’histoire spirituelle de l’humanité puisqu’elle constitue depuis l’Antiquité un point de rencontre pour les fidèles des grandes religions monothéistes. Certes, à notre époque, les Iraniens sont en majorité musulmans, mais les chrétiens sont présents et actifs dans votre pays depuis leur origine, et Nous nous réjouissons de savoir que tous ces adorateurs de Dieu vivent en paix selon leurs traditions, et collaborent sous la haute direction de sa Majesté Impériale pour la promotion humaine et spirituelle du peuple iranien. Vous connaissez les principes qui inspirent l’Eglise catholique en ce domaine : respect de la conscience personnelle, et refus de toute coercition ou discrimination en ce qui concerne le choix de sa propre foi, sa pratique ou le témoignage qu’on lui rend; considération et estime pour les traditions religieuses authentiques, car nous voyons en elles «des rayons de cette lumière qui éclaire tout homme» (Cfr. Io
Jn 1,9 Nostra Aetate NAE 2). En particulier «les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour», comme l’a déclaré solennellement le Concile Vatican II (Lumen Gentium LG 16 cfr. etiam Nostra Aetate NAE 3). Nous voulons dire aussi notre admiration pour la floraison mystique qui est apparue sur votre terre.

Nous souhaitons donc que le dialogue des chrétiens avec l’Islam soit mené à bien, que la connaissance réciproque s’intensifie, car elle est le présupposé indispensable pour collaborer efficacement au service de l’homme et de la Vérité.

Nous espérons que votre travail et les rencontres que vous avez ces jours-ci avec les experts du Secrétariat pour les non-chrétiens seront fructueux, et Nous invoquons sur vous tous le Nom de Dieu Tout-Puissant et Miséricordieux.




5 décembre



EQUILIBRER LE RAPPORT ACTION-CONTEMPLATION



Le Pape Paul VI a reçu en audience, le lundi 5 décembre, les Evêques français de la région apostolique de l’Est. Autour de leur président Mgr P. J. Schmitt, évêque de Metz se trouvaient l’archevêque de Besançon et son auxiliaire, les Evêques de Strasbourg et son auxiliaire, Verdun, Saint-Dié, Nancy et son auxiliaire, Dijon et Saint-Claude. Répondant à l’adresse de Mgr P. J. Schmitt, le Saint-Père a prononcé en français, le discours suivant :



Chers Frères dans le Christ,



Vous savez avec quels sentiments d’affection et quelle volonté d’encouragement nous avons accueilli vos Confrères de l’Episcopat français au cours de leurs visites « ad limina ». Nous avons d’ailleurs été sensible au témoignage que le Président de votre Conférence a bien voulu en donner tout récemment à Lourdes. Oui, Nous avons la simplicité de vous le confier : Nous aimons profondément tous nos Frères les Evêques, si nombreux, si divers et si unis. Les recevoir constitue l’une de nos plus grandes joies. C’est le charisme de Pierre qui s’exerce, celui du Frère aîné qui réfléchit avec ses Frères, celui du Père entouré de nombreux enfants.

Notre demeure, notre coeur, tout ce que nous sommes est à vous en ce moment. Notre communion à vos charges pastorales n’est pas un vain mot. Nous rejoignons vos diocèses de l’Est, Besançon, Dijon, Metz, Nancy, Saint-Claude, Saint-Dié, Strasbourg et Verdun. Leur visage nous est devenu plus proche et plus précis grâce à vos rapports quinquennaux rédigés avec un soin qui dénote votre passion de l’évangélisation.

113 Nous serions tenté de vous dire que nous avons déjà exprimé l’essentiel de ce que nous tenions à confier aux Evêques de France, lors des huit visites qui ont précédé la vôtre. Tant de problèmes se recoupent du Nord au Sud, et de l’Est à l’Ouest ! Aujourd’hui, il nous est apparu que nous pourrions résumer nos impressions générales sur le catholicisme français, méditer avec vous sur la mission épiscopale et adresser, à travers vous, un appel personnel aux diverses catégories du peuple de Dieu confié à vos soins, aux forces apostoliques, réelles ou en germe ,que recèlent vos diocèses et que décrit en détail votre rapport régional.

Impressions générales sur le catholicisme français





1. Depuis quelque temps, nous avons donc eu bien des occasions d’évaluer la vitalité du catholicisme français. Nous avons senti la loyauté, le zèle et l’espérance pascale de nombreux Pasteurs, mais aussi leurs préoccupations, leurs souffrances, osons le dire : une certaine lassitude.

Pourquoi le taire, puisque vous aimez l’authenticité ? Depuis la deuxième guerre mondiale, l’Eglise qui est en France, traverse comme d’autres, une crise profonde, et manifeste dans cette mutation, une certaine fatigue spirituelle. Ce n’est pas le moment de retracer ici la genèse de la situation actuelle. En simplifiant à l’extrême, évoquons pour le premier quart de siècle, la période des « oeuvres », marquée par souci de préservation ; ensuite la période de l’éclosion de l’Action catholique, participation ardente à l’apostolat hiérarchique, temps des conquêtes espérées. Ces périodes étaient aussi celles du réveil de la conversion, de grandes personnalités catholiques s’imposant par la rigueur de leur pensée, par la profondeur de leur engagement spirituel et apostolique : nous avons personnellement gardé un attachement admiratif à nombre d’entre eux.

La période présente ne manque pas d’aspects positifs. Avec raison, on se montre très sensible à l’incroyance, on se préoccupe spécialement de rejoindre le monde des travailleurs et des pauvres, et aussi de faire face à la mutation culturelle qui affecte la foi de beaucoup, des milieux scientifiques aux plus jeunes générations. Tout cela est évangélique, à condition de ne pas laisser pour compte la masse des fidèles, qui ont un rythme différent et qui, de toute manière, ont besoin eux aussi de ministère pastoral et de structures qu’il importe de rénover plutôt que de supprimer : paroisses, séminaires, couvents, mouvements spécifiquement catholiques. Sinon, le risque existe de voir se développer encore des positions extrêmes qui ne servent pas la cause du Royaume. Certains adoptent en effet un esprit critique d’avant-garde, même dans des revues catholiques ou d’origine chrétienne qui bouleverse parfois les données certaines de la théologie, de la spiritualité, de l’éthique, de l’apostolat. D’autres se raidissent, mais pour faire revivre, de façon stérile et périlleuse, une mentalité comparable à celle de l’« Action française ». Tout ceci ne saurait faire oublier la somme de recherches bénéfiques, d’expériences intéressantes, qui témoignent d’une générosité évidente et de la santé foncière du peuple de Dieu. Mais nous sommes très conscient, comme vous-mêmes, de réalités préoccupantes, par exemple : le problème des vocations et de la formation au sacerdoce, ici ou là des « liturgies » inadmissibles, une apathie spirituelle de prêtres, de religieux et religieuses, une évolution surprenante de tel ou tel mouvement d’action catholique, l’admission, chez des personnalités ou des organismes officiellement catholiques, d’hypothèses ou de pratiques manifestement contraires à la foi ou à l’éthique chrétienne, et nous avons le courage d’ajouter : un certain complexe anti-romain, selon le titre d’un ouvrage récent. Personnellement nous éprouvons devant tout cela un étonnement douloureux, que d’aucuns prennent parfois pour un manque d’information ou de compréhension.

Nous savons pertinemment que vous avez tout le mérite et la lourde charge de faire face vous-mêmes à ces mutations sociales et ecclésiales, qui s’accompagnent d’une crise intellectuelle et spirituelle. Quelle parole prononcer pour vous « affermir », comme le Christ l’a demandé au premier Responsable du Collège apostolique ? Ni celle de la nostalgie, ni celle de la peur, mais une invitation très ardente et très confiante à reprendre la voie assurée de l’Eglise catholique, de l’Eglise qui s’est si bien définie au Concile Vatican II, de l’Eglise de toujours. L’Eglise a fréquemment été en crise, plus ou moins. L’histoire nous le montre à chaque siècle et plusieurs fois par siècle. Aujourd’hui même, bien des pays connaissent des tourmentes graves, voire des persécutions. Aucune de ces crises n’est souhaitable, mais aucune n’a été inutile. Bien souvent, elles ont suscité un approfondissement du mystère de l’Eglise — qui sera toujours le déploiement du mystère salvifique du Christ en sa Passion et sa Résurrection — et une floraison de nouveaux disciples. N’en est-il pas, dans l’Eglise au souffle de l’Esprit, un peu comme dans la nature au retour du printemps. Notre prédécesseur Jean XXIII avait raison d’y croire. Ce printemps viendra. Il faut encore supporter l’hiver. Croyez bien que nous en savons quelque chose, au poste où Dieu nous a placé. Nous n’avons pas de meilleure parole à vous redire que celle du Christ lui-même : « Je serai avec vous jusqu’à la fin des siècles » (
Mt 28,20). Ensemble, laissons cette promesse, destinée d’abord aux Apôtres et à leurs Successeurs, résonner dans nos coeurs et les fortifier !

La mission épiscopale





2. Attardons-nous un instant à votre fonction épiscopale. Plus les temps sont difficiles, plus les chrétiens doivent pouvoir s’appuyer sur le roc. L’Evêque, jadis plus distant, est devenu très proche de son peuple. Qui nierait le bénéfice de cette proximité, de cette simplicité, de cette écoute ? Pourtant l’Evêque doit éviter de se laisser totalement absorber par les « partages » qu’on exige de lui : il arrive qu’ici ou là, des prêtres et des laïcs demandent trop à leurs Evêques. Et surtout, l’Evêque doit garder sa personnalité de Guide, évitant de se laisser mettre en condition par les interlocuteurs d’aujourd’hui, de fléchir devant les impressions du moment. Pourquoi ? Parce qu’il est, à un titre spécial, le Témoin de la fidélité à l’Eglise, aussi loin qu’elle s’enracine dans le passé, et le Pasteur chargé de voir où, à long terme, il doit mener les brebis. Les critiques, certes, ne lui seront pas épargnées, mais il aura au moins la satisfaction d’avoir accompli sa mission d’Apôtre : c’est en cela que réside le prestige de son ministère.

Nous retenons pour vous deux fonctions fondamentales : Docteur de la foi et Bâtisseur d’unité.

C’est d’abord dans le domaine de la foi que vous exercez la mission de Docteur, de Guide. Cela suppose pour vous la liberté de penser, de lire, de méditer personnellement et d’écrire. Cela suppose aussi le concours de vos prêtres, l’aide de théologiens qui soient vraiment des « Maîtres » de doctrine, et le conseil d’experts qui doivent demeurer à leur place, dans leur compétence. Les « bureaux » spécialisés sont à votre service : leur apport qualifié laisse entière la nécessité de votre vision d’ensemble et de votre responsabilité. Ainsi vous pouvez dispenser la nourriture solide dont le Peuple de Dieu a besoin — la recherche continuelle ne tient pas lieu de doctrine ! — et aider au discernement nécessaire des initiatives.

Vous êtes appelés aussi à construire l’unité. Nous-même avons reconnu, à certaines conditions, le bienfait de communautés ecclésiales de base à dimensions plus humaines (cf. Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, EN 58). Mais actuellement les familles catholiques ont tendance à fabriquer des clans dans l’Eglise, qui hésitent à communiquer et à communier sur l’essentiel. Dans le même temps, on nourrit avec raison des projets d’oecuménisme, on veut travailler au rapprochement et à l’unité des peuples. « Médecin, guéris-toi toi-même ». Cette unité doit commencer entre catholiques, entre forces sacerdotales et apostoliques de la paroisse, du diocèse, de la région. Et elle doit se faire autour des Evêques. Nous savons le zèle que vous y déployez.

114 Déjà, entre vous, vous poursuivez un travail communautaire intense, aux plans de la région et de la Conférence épiscopale. L’Assemblée de Lourdes est chaque année l’occasion de révisions de vie fraternelle et d’engagements communs sur les grands objectifs pastoraux. Que ce soit pour tous vos fidèles, en quête de vérité et d’unité, une source de réconfort et de lumière !

Appel aux catégories du Peuple de Dieu





3. Mais vous n’êtes pas seuls ! Plus de cinq mille prêtres coopèrent à votre charge de l’Evangile dans votre région de l’Est. Vous leur transmettrez notre intime conviction : Evêques et prêtres de ce temps sont plus que jamais appelés à la sainteté. La sainteté ne saurait supprimer les qualités humaines, la formation permanente et toutes les techniques apostoliques, mais elle les transcende ; elle reste la médiation la plus courte et la plus étonnante pour faire rencontrer Dieu. L’Eglise a surtout besoin de pasteurs qui brillent par leur sainteté. Ce sont de tels prêtres qui peuvent éveiller un projet de vie sacerdotale chez les jeunes d’aujourd’hui. Car bien des jeunes — les preuves ne manquent pas — sont capables de vivre le sacerdoce tel que l’Eglise latine le conçoit.

Aux prêtres, que nous appelons volontiers nos amis, à la suite du Christ, nous disons : n’ayez pas peur ! Relevez la tête ! Vous avez le mérite d’affronter plus que d’autres l’indifférence religieuse et vous en souffrez. Mais votre vie donnée au Christ demeure votre chance. Soyez vous-mêmes ! Appréciez votre sacerdoce, la confiance que vous fait l’Eglise, la grâce incomparable que vous donne le Christ de participer à sa Mission ! Ravivez le don spirituel qui est en vous (cf.
1Tm 4,14) !

Aux dix mille religieux et religieuses de vos diocèses, qu’ils soient dans les cloîtres ou qu’ils participent à l’apostolat, nous disons : ne craignez pas d’être reconnus partout comme disciples de Jésus-Christ : le monde chrétien, le monde indifférent ou athée ont besoin de témoins qui s’affirment tels ! Investissez vos talents en priorité dans des tâches d’apostolat ecclésial : il y a tant de travail pour les « ouvriers » dont parlait Jésus pour sa moisson ! Maintenez un grand esprit de famille et donc de communauté digne de ce nom, où à travers des expériences sans doute différentes, religieux et religieuses témoignent d’unité et de charité. Ce serait une erreur de délaisser ce témoignage communautaire, inhérent à la vie religieuse. La relève des vocations préoccupe sans doute gravement chacun et chacune : si les jeunes ont pu être éloignés par un certain style de vie que le Concile Vatican II vous a invités à renouveler, les adaptations excessives ne les attirent pas davantage, si elles sont des concessions à l’esprit du monde.

Puissent-ils rencontrer en vous des passionnés de Jésus-Christ et de son oeuvre ! Sachez bien l’admiration et la confiance du Pape !

Aux laïcs chrétiens de vos diocèses, nous disons : aimez l’Eglise, soyez heureux et fiers de travailler, en elle, à ce que l’Evangile pénètre les réalités familiales, professionnelles, sociales. Que les militants gardent leur dynamisme apostolique articulé sur une vie de foi approfondie, sans laquelle leur engagement aurait la fragilité et la partialité des entreprises purement humaines ! Que leur action soit catholique, ecclésiale ! Et que tous se sentent accueillis, invités à prendre place, à devenir actifs dans les communautés chrétiennes : beaucoup attendent sur la place du village, qui sont appelés à la vigne du Seigneur (cf. Mt Mt 20,1-7) !

Enfin, nous tenons à exprimer aux jeunes de vos diocèses et de France notre particulière affection et notre confiance. Nous comprenons leurs insatisfactions et leurs souffrances, dans une société dont les structures multipliées et compliquées, l’esprit de compétition et de profit, de gaspillage et de jouissance, les déçoivent, les étouffent ou les révoltent. Certes, ils sont appelés à changer cette société trop matérialiste. Mais leur combat, lorsqu’ils y consentent, est trop souvent animé par des slogans et des techniques de durcissement, de violence, qui défigurent leur visage humain et chrétien et compromettent les causes qu’ils voudraient défendre. Que les jeunes de France se lèvent ! Sans fuir les problèmes de ce temps qu’ils se remettent en route vers les sources du vrai bonheur : le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu que tant de convertis français, appartenant à tous les milieux, à travers tant d’hésitations et de luttes, intérieures, ont embrassé pour toujours ! Cela est possible ! Nous savons que, sans diminuer l’importance de la recherche d’action apostolique, des groupes de prière et de réflexion se multiplient parmi les jeunes. A Lourdes, les pèlerinages de jeunes connaissent un succès croissant. Que de hauts-lieux en France ont à retrouver et à adapter leur vocation de sources de foi, d’espérance et d’amour ! De telles expériences, loin de « démobiliser » les jeunes selon l’expression fréquente aujourd’hui, leur donnent les vraies « raisons de vivre ».

Il est temps de nous résumer. Après le bouillonnement apostolique des dernières décades, l’Eglise en France a besoin d’approfondir et d’équilibrer le rapport action-contemplation. Cette conviction personnelle ne rejoint-elle pas celle de votre dernière Assemblée de Lourdes ? Nous prions Dieu et la Vierge Marie de donner aux chrétiens de France et à leurs pasteurs le calme et la vigueur, le discernement et la persévérance nécessaires aux ouvriers de l’Evangile. Que l’Esprit Saint, qui sanctifie toutes choses, soude de plus en plus les communautés, spécialement à l’occasion des eucharisties dominicales, expression et source de la vie ecclésiale ! Frères très chers, nous attendons beaucoup de votre région et de la France ! Avec notre affectueuse bénédiction apostolique.








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