1994 La vie fraternelle en communauté - Etre une communauté en formation permanente

Etre une communauté en formation permanente


43. Le renouveau communautaire a tiré de notables avantages de la formation permanente. Recommandée et exposée dans ses lignes fondamentales par le document Potissimum Institutioni(57), celle-ci est considérée par tous les responsables d'instituts religieux comme d'une importance vitale pour l'avenir.

Malgré des incertitudes sur certains points (difficulté à réaliser une synthèse entre ses divers aspects, difficulté à sensibiliser tous les membres d'une communauté, exigences absorbantes de l'apostolat et juste équilibre entre les activités et la formation), la majorité des instituts a pris des initiatives tant au niveau central, qu'au niveau local.

L'une des fins de ces initiatives est de former des communautés adultes, évangéliques, fraternelles, capables de poursuivre la formation permanente dans le quotidien. La communauté religieuse, en effet, est le lieu où les grandes orientations deviennent effectives, grâce à une patiente et tenace mise en oeuvre quotidienne. Elle est le milieu naturel du processus de croissance, où chacun devient corresponsable de la croissance de l'autre. La communauté religieuse est en outre le lieu où, jour après jour, on s'aide à répondre, en personnes consacrées porteuses d'un même charisme, aux besoins des plus petits et aux défis de la société nouvelle.

Il n'est pas rare que, devant les problèmes à affronter, les réactions soient différentes, avec d'évidentes conséquences sur la vie communautaire. C'est pourquoi l'un des objectifs spécialement visés aujourd'hui est d'intégrer des personnes differentes par la formation et par les conceptions apostoliques, dans une même vie communautaire où les différences ne soient pas des occasions de conflit mais d'enrichissement réciproque.

Dans ce contexte diversifié et mouvant, le rôle unifiant des responsables des communautés devient toujours plus important. Il faut prévoir pour eux des moyens spécifiques de formation permanente, en vue de leur tâche d'animation de la vie fraternelle et apostolique de la communauté.

Sur la base de l'expérience de ces dernières années, deux aspects méritent ici une attention spéciale: la dimension communautaire des conseils évangéliques et le charisme.


44. La dimension communautaire des conseils évangéliques.

La profession religieuse est expression du don de soi à Dieu et à l'Eglise, don vécu dans la communauté d'une famille religieuse. Le religieux n'est pas seulement un appelé, selon une vocation individuelle, mais c'est un "convoqué", c'est-à-dire un appelé ensemble avec d'autres, donc lesquels il partage l'existence quotidienne.

Il y a une convergence du "oui" à Dieu, qui unit les divers consacrés dans une même communauté de vie. Consacrés ensemble, unis dans le même oui, unis dans l'Esprit-Saint, les religieux et les religieuses découvrent chaque jour que leur suite du Christ, obéissant, pauvre et chaste, est vécue dans la fraternité, comme l'ont fait les disciples qui suivaient Jésus au cours de son ministère. Unis au Christ, et donc appelés à être unis entre eux. Unis dans la mission de s'opposer de façon prophétique à l'idolâtrie du pouvoir, de l'avoir, du plaisir (58).

Ainsi l'obéissance lie et unit les différentes volontés dans une même communauté fraternelle chargée d'une mission spécifique à accomplir dans l'Eglise.

L'obéissance est un oui au plan de Dieu qui a confié une tâche particulière à un groupe de personnes. Elle comporte un lien avec la mission, mais aussi avec la communauté qui doit réaliser son service ici et maintenant et ensemble; elle demande aussi qu'on porte un clair regard de foi sur les supérieurs, qui "remplissent leur devoir de service et de guide"(59), et doivent veiller à ce que le travail apostolique correspond à la mission reçue. Et ainsi, en communion avec eux, on doit accomplir la volonté divine, la seule qui peut apporter le salut.

La pauvreté: le partage des biens - y compris spirituels - a été dès les origines un fondement de la communion fraternelle. La pauvreté de chacun des frères et soeurs, qui comporte un style de vie simple et austère, non seulement le libère des préoccupations inhérentes aux biens personnels, mais a toujours profitté à la communauté qui pouvait ainsi se mettre plus efficacement au service de Dieu et des pauvres.

La pauvreté inclut la dimension économique. Disposer de l'argent, comme si on en était proprietaire, pour soi-même ou pour sa famille, avoir un style de vie trop différent de celui des confrères et de la société pauvre dans laquelle on vit souvent, c'est blesser et affaibler la vie fraternelle.

Mais la pauvreté est également "pauvreté en esprit". L'humilité, la simplicité, la reconnaissance des dons des autres, l'appréciation des réalités évangéliques telles que "la vie cachée avec le Christ en Dieu", l'estime pour le sacrifice obscur, la mise en valeur des plus petits, le dévouement à des causes non rétribuées ou non reconnues... sont autant de conséquence de la profession de pauvreté qui ont valeur d'unité pour la vie fraternelle.

Une communauté de pauvres est en mesure d'être solidaire des pauvres et de manifester quel est le coeur de l'évangélisation, parce qu'elle révèle concrètement la force transformante des béatitudes.

Dans sa dimension communautaire, la chasteté consacrée qui implique une grande pureté d'esprit, de coeur et de corps, donne une grande liberté pour aimer Dieu, et tout ce qui lui appartient, avec un coeur sans partage; en conséquence, elle suscite une totale disponibilité pour aimer et servir tous les hommes, leur rendant présent l'amour du Christ. Un tel amour amour n'est ni égoïste, ni exclusif, ni possessif, ni esclave de la passion, mais universel et désintéressé, libre et libérant, très nécessaire pour la mission; il doit être cultivé et il croît par le moyen de la vie fraternelle. Ainsi ceux qui vivent le célibat consacré «évoquent aux yeux de tous les fidèles cette admirable union, établie par Dieu et qui doit être pleinement manifestée dans le siècle futur, par laquelle l'Eglise a le Christ comme son unique époux» (60).

Cette dimension communautaire des voeux évangéliques a besoin d'une atention continue et d'un approfondissement que procure justement la formation permanente.


45. Le charisme.

Le charisme est le second aspect à privilégier dans la formation permanente pour favoriser la croissance de la vie fraternelle.

«La consécration religieuse établit une communion spéciale entre le religieux et Dieu et, en Lui, entre les membres d'un même institut (...). Son fondement est la communion établie dans le Christ sur l'unique charisme du fondateur»(61). La référence au fondateur et au charisme vécu et communiqué par lui, puis gardé, approfondi et développé tout au long de la vie de l'institut(62), apparaît comme une des composantes fondamentales pour l'unité de la communauté.

Vivre en communauté, en effet, c'est vivre tous ensemble la volonté de Dieu conformément au don charismatique que le fondateur ou la fondatrice a reçu de Dieu et a transmis à ses disciples et à ceux et celles qui leur ont succédé.

Le renouveau de ces dernières années, en remettant en lumière l'importance du charisme d'origine, et grâce à une riche réflexion théologique(63) a favorisé l'unité de la communauté, perçue comme porteuse d'un même don de l'Esprit à partager avec les frères et soeurs, et capable d'enrichir l'Eglise "pour la vie du monde". C'est pourquoi il est très profitable d'établir des programmes de formation, comportant des cycles d'étude et de réflexion priante sur le fondateur, le charisme et les constitutions.

Saisir en profondeur ce charisme conduit à une claire perception de l'identité de l'institut, qui facilite l'unité et la communion. De plus cela favorise une adaptation créative aux situations nouvelles, et ouvre des perspectives positives pour l'avenir d'un Institut.

L'absence de cette perception claire peut facilement engendrer l'incertitude au sujet des objectifs et une certaine vulnérabilité face aux conditionnements du milieu, aux courants culturels et même aux différents besoins apostoliques, outre une certaine incapacité à s'adapter et à se renouveler.


46. Il est donc nécessaire de cultiver soigneusement l'identité charismatique de l'institut afin d'éviter un "généricisme" qui constitue un véritable danger pour la vitalité de la communauté religieuse.

En effet on a signalé des situations qui, ces dernières années, ont blessé et en certains endroits blessent encore les communautés religieuses:

- la manière "génériciste" - c'est-à-dire sans tenir compte du charisme spécifique - de considérer certaines indications de l'Eglise particulière ou de certaines suggestions provenant de spiritualités différentes;

- une façon de fréquenter tel ou tel mouvement d'Eglise qui expose le religieux au phénomène ambigu de la double identité;

- dans les indispensables et souvent fructueuses relations avec les laïcs, surtout avec les collaborateurs, une certaine identification à l'état de laïc: au lieu d'offrir le témoignage religieux comme un don fraternel, ferment d'authenticité chrétienne, on arrive à un mimétisme dans les façons de voir et d'agir, qui diminuent l'impact de la consécration.

- une excessive complaisance envers les exigences de la famille, les idéaux de la nation, de la race, de la tribu, du groupe social, qui risquent de faire dévier le charisme vers des positions ou des intérêts de partis.

Ce généricisme, qui réduit la vie religieuse à un plus petit commun dénominateur affadi, tend à effacer ce qu'a de beau et de fécond la multiplicité des charismes suscités par l'Esprit.

L'autorité au service de la fraternité


47. L'évolution de ces dernières années est généralement reconnue comme facteur de progrès dans la vie fraternelle. Le climat de la vie commune s'est amélioré dans beaucoup de communautés: on a donné davantage de place à la participation active de tous on est passé d'une vie en commun trop appuyée sur l'observance à une vie plus attentive aux besoins de chacun et plus soucieuse des réalités humaines. L'effort pour construire des communautés moins formalistes, moins autoritaires, plus fraternelles, plus ouvertes à la participation, est considéré comme l'un des fruits les plus évidents du renouveau de notre époque.


48. Ce développement positif a risqué, en certains endroits, d'être compromis par un sentiment de défiance vis-à-vis de l'autorité.

Le désir d'une communion plus profonde entre les membres, et la réaction compréhensible envers des structures ressenties comme trop autoritaires et rigides, ont conduit à ne plus saisir dans toute sa portée la mission de l'autorité. Certains ont fini même par la considérer comme nullement nécessaire pour la vie de la communauté, d'autres l'ont ramenée a un simple rôle de coordination des initiatives. Ainsi un certain nombre de communautés en sont venues à vivre sans responsable et à prendre collégialement toutes leurs décisions.

Tout cela porte en soi le danger, qui n'est pas seulement hypothétique, d'une sorte d'émiettement de la vie communautaire, qui tendra à privilégier les cheminements individuels et à obscurcir le rôle de l'autorité. Or ce rôle est nécessaire pour la croissance de la vie fraternelle dans la communauté, autant que pour le cheminement spirituel de la personne consacrée.

D'ailleurs les résultats de ce genre d'expériences amènennte à une rédecouverte progressive de la nécessité et du rôle d'une autorité personnelle, en continuité avec toute la tradition de la vie religieuse.

Le climat démocratique répandu un peu partout a favorisé une plus grande corresponsabilité et une meilleure participation de tous au processus de la décision, y compris à l'intérieur de la communauté religieuse. On ne peut oublier cependant que la fraternité n'est pas le fruit du seul effort humain, mais aussi et surtout un don de Dieu. Ce don est reçu dans l'obéissance à la Parole de Dieu et dans la vie religieuse, il vient aussi par l'obéissance à l'autorité qui rappelle cette Parole et l'applique à chacune des situations, selon l'esprit de l'institut.

"Nous vous demandons, frères, d'avoir des égards pour ceux qui, parmi vous, se donnent de la peine pour vous diriger dans le Seigneur et pour vous reprendre; ayez pour eux la plus haute estime, avec amour en raison de leur travail" (1 Th 5,12-13). La communauté chrétienne, en effet, n'est pas un collectif anonyme, mais dès le début elle est dotée de ses chefs, envers lesquels l'Apôtre demande qu'on ait considération, respect, charité.

Dans la communauté religieuse, si l'attention et le respect sont dus à l'autorité, c'est aussi en raison de la profession d'obéissance. Et cette autorité est mise au service de la fraternité, de sa construction, de la réalisation de ses finalités spirituelles et apostoliques.


49. L'aggiornamento a contribué renouveler le visage de l'autorité pour la relier plus étroitement à ses racines évangéliques et la mettre au service du progrès spirituel de chacun et au service de l'édification de la vie fraternelle de la communauté.

Toute communauté a sa mission propre à remplir. Le service de l'autorité s'adresse à une communauté investie d'une mission particulière, reçue et spécifiée par l'institut et son charisme. Comme il y a des missions variées, il y a différents genres de communautés, donc différentes façons, définies par le droit propre, de concevoir et d'exercer l'autorité,

L'autorité selon l'Evangile est toujours un service.


50. Quelques aspects de l'autorité ont été privilégiés dans la

réflexion récent:

a)Une autorité spirituelle

L'autorité favorise et soutient la consécration au service total de Dieu: elle peut être regardée comme "servante des serviteurs de Dieu". Elle a a le devoir primordial de construire, avec les frères et les soeurs, des "communautés fraternelles en lesquelles Dieu soit cherché et aimé avant tout"(64). Il est donc d'abord nécessaire que cette autorité soit une personne spirituelle, convaincue du primat du spirituel, pour la vie personnelle et la construction de la vie fraternelle, consciente que plus l'amour de Dieu croît dans les coeurs, plus les coeurs s'unissent entre eux.

Sa tâche prioritaire sera donc l'animation spirituelle, communautaire et apostolique de sa communauté.

b) Une autorité qui réalise l'unité

Pour réaliser l'unité, l'autorité se soucie de créer le climat favorable au partage et à la corresponsabilité, suscite le concours de tous aux intérêts de tous, elle encourage les frères et soeurs à prendre leurs responsabilités et sait respecter celles-ci. "Pour promouvoir leur obéissance volontaire dans le respect de la personne humaine"(65), elle les écoute volontiers et favorise ainsi leur coopération au bien de l'institut et de l'Eglise(66), elle pratique le dialogue et propose des moments opportuns de rencontre. Elle sait inspirer courage et espérance dans les moments difficiles, et regarder au loin pour indiquer de nouveaux horizons à la mission. Elle cherche à maintenir l'équilibre entre les différents aspects de la vie communautaire, entre prière et travail, apostolat et formation, tâches à accomplir et repos.

L'autorité du supérieur et de la supérieure s'emploie à ce que la maison religieuse ne soit pas simplement un lieu de résidence, ni une juxtaposition de sujets conduisant chacun son histoire individuelle, mais une «vraie communauté fraternelle dans le Christ»(67).

c) Une autorité qui sait prendre la décision finale et veille

à sa réalisation

Le discernement communautaire est une démarche très utile, même s'il n'est ni facile ni automatique, car il suppose compétence humaine, sagesse spirituelle et détachement personnel. Là où il est pratiqué avec foi et sérieux, il peut offrir à l'autorité les meilleures conditions pour prendre les décisions que réclame le bien de la vie fraternelle et de la mission.

La décision une fois prise selon les modalités fixées par le droit propre, il faut, de la part du supérieur, constance et force pour que ce qui a été décidé ne reste pas lettre morte.


51. Il est en outre nécessaire que le droit propre soit le plus précis possible quand il détermine les compétences respectives de la communauté, des différents conseils, des responsables des divers secteurs, et du supérieur. Le manque de clarté en ce domaine est source de confusion et occasion de conflits.

De même, les "projets communautaires", qui favorisent la participation à la vie communautaire et à la mission dans les différents contextes, devraient avoir soin de bien définir le rôle et la compétence de l'autorité, dans le respect des constitutions.


52. Une communauté fraternelle et unie est appelée à être toujours davantage un élément important et éloquent de la contre-culture de l'Evangile, sel de la terre et lumière du monde.

Par exemple, dans la société occidentale menacée par l'individualisme, la communauté religieuse est appelée à être un fort témoignage prophétique de la possibilité de réaliser dans le Christ la fraternité et la solidarité. En revanche, dans les cultures menacées par l'autoritarisme ou par le "communitarisme", la communauté religieuse est appelée à être un signe de respect et de promotion de la personne humaine, un signe d'exercice de l'autorité en conformité avec la volonté de Dieu.

La communauté religieuse se doit d'assumer la culture de l'endroit où elle est implantée, mais elle est appelée aussi à purifier et à élever cette culture, grâce au sel et à la lumière de l'Evangile. Elle présentera, dans ses fraternités authentiques, une synthèse concrète de ce qu'est non seulement une évangélisation de la culture mais aussi une inculturation évangélisatrice ou une évangélisation inculturée.


53. On ne peut oublier enfin que dans toute cette question délicate, complexe, et souvent occasion de souffrance, la foi joue un rôle décisif, elle qui permet de comprendre le mystère salvifique de l'obéissance(68). De la désobéissance d'un homme est venue la désagrégation de la famille humaine, mais de l'obéissance de l'Homme nouveau est née sa reconstruction (cf. Rm 5,19): ainsi l'attitude obéissante sera toujours une force indispensable pour toute vie de famille.

La vie religieuse a sans cesse vécu de cette conviction de foi et, aujourd'hui encore, elle est appelée à la vivre courageusement, pour ne pas courir en vain dans la recherche de rapports fraternels, et pour être une réalité évangéliquement signifiante dans l'Eglise et dans la société.

La fraternité comme signe


54. Les rapports entre vie fraternelle et activité apostolique, en particulier dans les instituts voués aux oeuvres d'apostolat, n'ont pas toujours été clairs et ont souvent provoqué des tensions personelle et communautaire. Pour quelques-uns, la vie de communauté est ressentie comme un obstacle à la mission, presque une perte de temps dans des questions plutôt secondaires. Il est nécessaire de rappeler à tous que la communion fraternelle en tant que telle est déjà un apostolat, c'est-à-dire qu'elle contribue directement à l'oeuvre de l'évangélisation. Le signe par excellence laissé par le Seigneur est celui de la fraternité vécue: "A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour les uns pour les autres" (Jn 13, 35).

En même temps qu'il a donné à ses disciples la mission de prêcher l'Evangile à toute créature (cf. Mt 28, 19-2O), le Seigneur les a envoyés pour vivre unis, "afin que le monde croie" que Jésus est l'envoyé du Père auquel on doit donner le plein assentiment de la foi (cf. Jn 17,21). Le signe de la fraternité est donc de très grande importance, parce qu'il montre l'origine divine du message chrétien et qu'il possède la force d'ouvrir les coeurs à la foi. C'est pourquoi "toute la fécondité de la vie religieuse dépend de la qualité de la vie fraternelle menée en commun"(69).


55. Dans la mesure où la communauté religieuse cultive la vie fraternelle, elle maintient présent, sous une forme permanente et visible, ce signe dont l'Eglise a surtout besoin dans sa tâche de nouvelle évangélisation.

C'est pourquoi l'Eglise prend tellement à coeur la vie d'amour fraternel des communautés religieuses: plus intense est cet amour, plus grande est la crédibilité du message annoncé, et plus perceptible est le coeur du l'Eglise, sacrement de l'union des hommes avec Dieu et entre eux(70). Sans être le "tout" de la mission de la communauté religieuse, la vie fraternelle en est un élément essentiel, aussi important que l'action apostolique.

Il est donc impossible d'invoquer la nécessité du service apostolique pour admettre ou justifier le manque de vie communautaire. L'activité des religieux doit être une activité de personnes qui vivent en commun et remplissent leur action d'esprit communautaire, qui tendent à diffuser l'esprit fraternel par la parole, l'action et l'exemple.

Des situations particulières, qui seront traitées plus loin, peuvent demander des adaptations; mais celles-ci ne doivent pas être telles qu'elles détachent le religieux de la vie de communion et de l'unité d'esprit avec sa propre communauté.


56. La communauté religieuse, consciente de ses responsabilités vis-à-vis de la grande communité qu'est l'Eglise, devient également un signe, et de la possibilité de vivre la fraternité chrétienne, et du prix à payer pour la construction de toute forme de vie fraternelle.

En outre, les diverses sociétés de notre planète, traversées par des passions et des intérêts opposés qui les divisent, sont désireuses d'unité, mais incertaines quant aux chemins à prendre pour y arriver: la présence de communautés où se rencontrent comme frères et soeurs des personnes d'âge, de langue, de culture différentes, demeurant unies en dépit des conflits et difficultés d'une vie menée en commun, est signe d'une réalité plus élevé et appel à regarder plus haut.

"Les communautés religieuses, qui annoncent par leur vie la joie et la valeur humaine et surnaturelle de la fraternité chrétienne, disent, avec l'éloquence des faits, la force transformatrice de la Bonne Nouvelle"(71).

"Et par-dessus tout, revêtez l'amour: c'est le lien parfait." (Col 3, 14), l'amour comme l'a enseigné et vécu Jésus Christ, et comme il nous est communiqué par son Esprit. Cet amour qui unit incite à communiquer aux autres l'expérience de la communion avec Dieu et avec les frères. C'est-à-dire qu'il suscite les apôtres en poussant les communautés sur la voie de la mission, qu'elles soient contemplatives, ou chargées de l'annonce de la Parole ou des ministères de charité. L'amour de Dieu veut envahir le monde: la communauté fraternelle devient missionnaire de cet amour, et signe prohétique de sa force unifiante.


57. La qualité de la vie fraternelle influe enfin grandement sur la persévérance de chacun des religieux.

De même que la qualité médiocre de la vie fraternelle fut souvent alléguée comme motif de nombreux abandons de même la fraternité vraiment vécue a constitué et constitue toujours un soutien solide pour la persévérance de beaucoup.

Dans une communauté fraternelle, chacun se sent corresponsable de la fidélité de l'autre; chacun contribue à ce que règne un climat serein de partage de vie, de compréhension mutuelle, d'aide réciproque; chacun est attentif aux moments de fatigue, de souffrance, d'isolement, de démotivation du frère ou de la soeur; chacun offre son soutien à celui qu'attristent les difficultés ou les épreuves.

La communauté religieuse, en soutenant la persévérance de ses membres, acquiert alors une force de signe de l'éternelle fidélité de Dieu, et donc de soutien pour la foi et la fidélité des chrétiens immergés dans les vicissitudes de notre monde, qui semble connaître de moins en moins les voies de la fidélité.


CHAPITRE III

LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE,

LIEU ET SUJET DE LA MISSION


58. Comme l'Esprit Saint a oint l'Eglise au Cénacle pour l'envoyer évangéliser le monde ainsi chaque communauté religieuse, authentique communauté animée par l'Esprit du Ressuscité, est apostolique selon sa nature propre.

"La communion engendre la communion et se présente essentiellement comme communion missionnaire... La communion et la mission sont profondément unies entre elles, elles se compénètrent et s'impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission: la communion est missionnaire et la mission est pour la communion"(72).

La communauté religieuse, y compris celle qui est spécifiquement contemplative, n'est pas repliée sur elle-même, mais se fait annonce, diaconie et témoignage prophétique. Le Ressuscité qui vit en elle, en lui communiquant son propre Essprit, la rend témoin de la résurrection.

Communauté religieuse et mission

Avant de réfléchir sur certaines situations particulières que doit affronter la communauté religieuse aujourd'hui dans les divers contextes du monde pour être fidèle à sa mission propre, il y a lieu de considérer la relation spécifique entre les différents modèles de communauté religieuse et la mission qu'elles sont appelées à remplir.


59. a)Le Concile Vatican II a affirmé: "Les religieux doivent tendre de tout leur effort à ce que, par eux, de plus en plus parfaitement et réellement, l'Eglise manifeste le Christ aux fidèles comme aux infidèles: soit dans sa contemplation sur la montagne, soit dans son annonce du royaume de Dieu aux foules, soit encore quand il guérit les malades et les infirmes et convertit les pécheurs à une vie féconde, quand il bénit les enfants et répand sur tous ses bienfaits, accomplissant en tout cela, dans l'obéissance, la volonté du Père qui l'a envoyé"(73).

L'Esprit, par la participation aux divers aspects de la mission du Christ, fait surgir des familles religieuses caractérisées par différentes missions et donc par divers genres de communautés.

b)La communauté intégralement ordonnée à la contemplation (qui manifeste le Christ sur la montagne) est centrée sur la double communion avec Dieu et entre ses membres. Sa fécondité apostolique est réelle, mais reste en grande partie cachée dans le mystère. La communauté religieuse dite "apostolique" (qui représente le Christ dans la foule) est vouée à un service actif du prochain, service caractérisé par un charisme particulier.

Parmi les communautés apostoliques, certaines mettent davantage l'accent sur la vie commune, en sorte que l'apostolat dépende de la possibilité de être ensemble, d'autres sont délibérément orientées vers la mission, et leur style de vie communautaire dépend de leur genre de mission. Les instituts clairement destinés à des formes spécifiques de service apostolique accentuent la priorité de la famille religieuse entière, considérée comme un seul corps apostolique et comme une grande communauté, à laquelle l'Esprit a donné une mission à accomplir dans l'Eglise. La communion qui anime et réunit la grande famille est vécue concrètement dans chacune des communautés locales, à qui est confiée la réalisation de la mission selon les différents besoins.

On trouve alors différents types de communautés religieuses, hérités des siècles passés, comme la communauté religieuse monastique, la communauté religieuse conventuelle et la communauté active ou "diaconale".

"La vie commune vécue en communauté" n'a donc pas la même signification pour tous les religieux. Moines et moniales, religieux et religieuses conventuels ou de vie active conservent leurs légitimes différences dans la manière de comprendre et de vivre la communauté.

Cette diversité se reflète dans les constitutions, qui décrivent la physionomie de la communauté en même temps que la physionomie de l'institut.

c) Il est généralement reconnu, spécialement pour les communautés religieuses dédiées aux oeuvres d'apostolat, qu'il est assez difficile de trouver dans la pratique quotidienne l'équilibre entre communauté et engagement apostolique. S'il est dangereux d'opposer ces deux aspects, il n'est pourtant pas facile de les harmoniser. C'est là une des tensions fécondes de la vie religieuse, qui a le devoir de faire croître simultanément le disciple qui doit vivre avec Jésus et avec le groupe de ceux qui marchent à sa suite, et l'apôtre, qui doit participer à la mission du Seigneur.

d) La diversité des besoins apostoliques, ces dernières années, a souvent amené a faire coexister, dans le même institut, des communautés notablement différenciées: de grandes communautés assez structurées et de petites communautés plus souples, qui ne perdent pas pour autant l'authentique physionomie communautaire de la vie religieuse.

Tout cela influence la vie de l'institut et sa physionomie qui n'est pas uniforme comme auparavant, mais plus diversifiée, comportant des styles différentes de vie communautaire.

e) Dans certains instituts la tendance à insister plus sur la mission que sur la communauté, et à privilégier la diversité au lieu de l'unité, a profondément influencé la vie en commun, au point qu'elle devienne parfois une sorte d'option plutôt qu'une partie intégrante de la vie religieuse.

Les conséquences qui à coup sûr ne sont pas positives, portent à s'interroger sérieusement sur l'opportunité de continuer dans cette voie; elles conduisent plutôt à prendre le chemin de la redécouverte du lien intime entre communauté et mission, pour dépasser de manière créative les vues et les actions unilatérales qui appauvrissent toujours la riche réalité de la vie religieuse.

Dans l'Église particulière


60. Par sa présence missionaire, la communauté religieuse se trouve insérée dans une Eglise particulière déterminée, à laquelle elle apporte la richesse de sa consécration, de sa vie fraternelle et de son charisme.

Par cette seule présence, non seulement elle porte en elle même la richesse de la vie chrétienne, mais elle constitue aussi une annonce particulièremente efficace du message chrétien. Elle est, peut-on dire, une prédication vivante et continue. Cet apport objectif aiguise évidemment la responsabilité des religieux; il les engage à être fidèles à cette première mission qui est la leur, en corrigeant et en éliminant tout ce qui peut atténuer ou affaiblir l'effet attrayant de leur image; de plus, il rend leur présence dans l'Eglise particulière extrémement souhaitée et précieuse, avant toute considération ultérieure.

La charité étant le meilleur de tous les charismes (cf. 1 Co 13, 13), la communauté religieuse, partie vivante de l'Eglise, l'enrichit d'abord de son amour. La communauté religieuse aime l'Eglise universelle, mais aussi cette Eglise particulière dans laquelle elle est insérée, parce que c'est dans l'Eglise et comme Eglise qu'elle se sent en contact avec la communion de la Trinité bienheureuse et béatifiante, source de tous les biens. Et elle devient ainsi une manifestation privilégiée de la nature intime de cette Eglise.

La communauté religieuse aime son Eglise particulière, l'enrichissant de ses charismes et l'ouvrant à une dimension plus universelle. Les rapports délicats entre les nécessités pastorales de l'Eglise particulière et la spécificité du charisme de la communauté religieuse ont été traités dans le document Mutuae Relationes qui, avec ses indications théologiques et pastorales, a fourni une importante contribution en vue de leur collaboration plus cordiale et plus intense. Le moment est venu de reprendre en mains ce document pour donner une nouvelle impulsion à l'esprit de vraie communion entre la communauté religieuse et l'Eglise particulière.

Les difficultés croissantes de la mission, et celles qui résultent du manque de personnel, peuvent pousser à l'isolement aussi bien la communauté religieuse que l'Eglise particulière, ce qui, certainement, ne favorise ni la compréhension ni la collaboration réciproques.

Ainsi d'un côté la communauté religieuse risque d'être présente dans l'Eglise particulière sans lien organique avec la vie et la pastorale de celle-ci; de l'autre on tend à réduire la vie religieuse aux seuls travaux pastoraux. Ou encore, si la vie religieuse tend à souligner avec toujours plus de force son identité charismatique, l'Eglise particulière demande souvent d'une manière pressante et insistante, des énergies à insérer dans la pastorale diocésaine ou paroissiale. Mutuae Relationes demande d'éviter l'isolement et l'indépendance de la communauté religieuse vis-à-vis de l'Eglise particulière, autant que son absorption de fait dans les limits de l'Eglise locale.

De même que la communauté religieuse ne peut pas agir indépendamment ou en concurrence, moins encors en opposition avec les directives et la pastorale de l'Eglise particulière, de même celle-ci ne peut pas disposer comme il lui plaît, selon ses besoins, de la communauté religieuse ou de certains de ses membres.

Il est nécessaire de rappeler que la prise en considération insuffisante du charisme d'une communauté religieuse n'est profitable ni à l'Eglise particulière, ni à la communauté religieuse elle-même. C'est seulement si elle a une identité charismatique précise qu'une communauté religieuse peut s'insérer dans la pastorale d'ensemble sans se dénaturer, en l'enrichissant au contraire du don qu'elle a reçu.

Il ne faut pas oublier que tout charisme naît dans l'Eglise et pour le monde, qu'il doit être sans cesse ramené à ses origines et à sa finalité, et qu'il est vivant dans la mesure où il leur est fidèle.

L'Eglise et le monde offrent l'occasion d'interpréter le charisme, ils le sollicitent et l'incitent à une actualisation et à une vitalité toujours plus grandes. Charisme et Eglise particulière ne sont pas faits pour s'opposer, mais pour se soutenir et se compléter, surtout en ce moment où surgit plus d'un problème quant à l'actualisation du charisme et à son insertion dans une réalité qui a changé.

Beaucoup d'incompréhensions naissent d'une insuffissante connaissance réciproque de l'Eglise particulière et de la vie religieuse, et d'une insuffissante connaissance des devoirs de l'Evêque à l'égard de celle-ci.

Il est vivement recommandé de veiller à ce que soit inclus un cours spécifique de théologie de la vie consacrée dans les séminaires diocésains, où on l'étudiera dans ses aspects dogmatiques, juridiques et pastoraux. De même, on veillera à ce que les religieux reçoivent une bonne formation théologique sur l'Eglise particulière(74).

Mais surtout, une communauté religieuse fraternelle sentira le devoir de développer ce climat de communion qui aide la communauté chrétienne tout entière à se sentir la "famille des fils de Dieu".


61. La paroisse


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